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1- Le génie du lieu
Le génie du lieu, traduit aujourd’hui sous le terme de l’esprit du lieu, une notion qui remonte à l’âge de l’antiquité romaine sous le nom de Genii Loci. Jadis, dans la mythologie romaine, les Genii étaient des créatures immanentes habitant lieux et individus et symbolisant l’être spirituel de l’Homme et son milieu. Par sa force unique, le génie conserve l’existence de la chose, veille sur sa perpétuité et conserve son identité propre. Tant répandu dans les civilisations occidentales que dans les sociétés africaines, le génie a toujours existé et joué un rôle vital pendant des siècles et tend à sacraliser l’Homme, à animer son milieu et éloigner les mauvais esprits. En effet le genius loci se réfère au caractère spirituel du lieu, où chaque village, rivières ou montagnes sont munis d’un être protecteur. Aux XVIIIe et XIXe siècles, le terme genius s’empare de l’idée des forces divines qui habitent l’Homme et son milieu et prend une autre orientation ou le mot genius se rattache plus vers l’esprit, l’identité et l’atmosphère du lieu. En effet des termes telle que divinité, force sacrée et êtres surnaturels sont remis en question et ne correspondent plus à l’explication du génie du lieu qui met en avant l’individu et laisse place aux architectes, urbanistes, paysagistes, sociologues et artistes pour mettre en avant l’espace. Désormais, l’expression « génie du lieu » tend à changer vers « l’esprit du lieu ». Cette locution évoque deux éléments fondamentaux : l’esprit et le lieu. «Nous définissons l’esprit du lieu comme une
dynamique relationnelle entre des éléments matériels (sites, paysages, bâtiments, objets) et immatériels (mémoires, récits, rituels, festivals, savoir-faire), physiques et spirituels, qui produisent du
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sens, de la valeur, de l’émotion et du mystère1 »
L’esprit renvoie à l’immatérialité des éléments, aux pensées, aux croyances et à l’individu, relatifs aux évènements qui ont marqué le lieu. L’esprit relève d’une approche sensorielle et atmosphérique qui marque l’identité et le caractère du lieu, tandis que le lieu se définit par sa matérialité physique et géographique issue d’une approche mesurable et palpable. Rossi définit le locus comme « le rapport à la fois particulier et universel entre une situation locale donnée et les constructions qui s’y trouvent2 ». Les deux sont unis dans une étroite interaction, l’un se construit par rapport à l’autre.
Très souvent, dans les situations où le phénomène englobe plusieurs disciplines, les avis et les interprétations divergent et les constatations varient et s’opposent, marquant la complexité de la doctrine. En effet, l’esprit du lieu représente un champ de significations qui diffère d’une discipline à une autre. Les géomorphologues et les structuralistes partent du fait que l’esprit du lieu est issu du lieu lui-même. Celuici détermine la forme et l’esprit de l’établissement humain (Richot 1999 : 25-32), contrairement aux sociologues et aux anthropologues qui considèrent que c’est plutôt les communautés humaines qui caractérisent les établissements sociaux et l’esprit de leur lieu.
1 LAURIER TURGEON, L’Esprit du lieu : entre le matériel et l’immatériel Présentation de la thématique du colloque disponible en ligne sur : http://openarchive.icomos.org/id/eprint/242/1/inaugural-Turgeon.pdf 2 JEAN LOUIS COHEN, Autour de la notion de mémoire collective de Maurice Halbwachs, et son appropriation par les urbanistes et architectes, p121-132
Géomorphologues Structuralistes
Homme CONSTITUE
Lieu
Sociologues Anthropologues
Figure 1 : L’Homme et le lieu. Source : personnelle
Lieu CONSTITUE
Homme
L’esprit du lieu peut renfermer à la fois la continuité et le changement. La matérialité du lieu témoigne de la durabilité de certaines valeurs et le sens d’origine, voire des groupes qui l’ont occupé. Quant à l’immatérialité, celle-ci se résume à l’esprit des groupes qui l’habitent et elle est capable de raviver le sens du lieu ou même de les varier, ce qui donne à l’esprit du lieu une connotation plurielle et polyvalente, portant une multitude de significations, changer de sens avec le temps et être partagé par plusieurs établissements humains. Cette perspective semble être idéale dans à un monde globalisé, caractérisé de plus en plus par les migrations transnationales et les échanges interculturels.
Ainsi, c’est à travers l’esprit et le lieu que la mémoire dite collective, commune ou sociale se construit et se structure.
« Cette atmosphère ou empreinte particulière, si difficile à représenter car elle n'est ni une substance que l'on pourrait nommer ni une qualité susceptible de servir comme adjectif, est à la fois le point de départ et le but duquel tend l'art du lieu. Ineffable et omniprésente, elle conditionne le lieu et ne peut être saisie qu'en tant que Genius loci, esprit échappant à toute caractérisation. » 3
3 Christian Norberg-Schulz,L’Art du lieu. Architecture et paysage, permanence et mutations,1997 : P198
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