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2- Patrimoine culturel et histoire de La Goulette
2.1-Lieu d’histoire et de gloire STRATIFICATION HISTORIQUE
2- 1.-1. Etymologie de La Goulette
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Selon le dictionnaire universel de la langue française, le terme Goulette signifie « petit canal interrompu
par des bassins ou coquilles dans lesquels les eaux tombent en cascades »,
21 traduit par les italiens qui se sont installés dans cette région aux XVIII et XIX siècles sous le nom de Gola (gorge) ou Goletta (petite gorge). Ce terme se traduit lui-même du nom arabe Halk-al-wadi qui n’est que l’embouchure ou la gorge du fleuve. Il désigne le canal de 28 mètres de largeur reliant le lac de Tunis a la mer méditerranéenne.
2- 1.-2. Sédimentation historique
Considérée comme l’antichambre de Tunis, La Goulette témoigne d’une puissance militaire due à son emplacement stratégique, ouverte sur la mer méditerranéenne, elle a été la cible de plusieurs conquêtes. Ces successions d’attaques montrent de l’importance et les potentialités de cette région longtemps désirée mais aussi les failles qu’elle a pu présenter. Cela dit, les nombreuses et différentes occupations qu’a connu La Goulette ne sont pas restés sans conséquences, En effet des traces tant matérielles qu’immatérielles en sont aujourd’hui présentées et enfouies dans l’histoire d’une ville qui marque le règne de plusieurs civilisations, symbole de puissance d’un territoire riche en culture et en savoir-faire.
Figure 48 : Carte geographique XVIII golfe de Tunis, La Goulette 1764. Source : Joseph Roux Figure 47 : Temps de conception en Tunisie 1574. Source : Mario Cartaro
Epoque ottomane :
« Avant que Barberousse fortifie La Goulette, ce n’était qu’une tour carré comme si c’eut le logis de la Douane ». 22En effet, l’évolution de la ville et la succession des civilisations se manifeste directement sur la Karraka. En 1534, le corsaire turc décide de faire de La Goulette un lieu de refuge principal de sa flotte
21 Encyclopédie, premiére edition(1751) disponible en ligne sur : https://www.lalanguefrancaise.com/dictionnaire/definition/goulette 22 Luis del Marmol Carvajal, Histoires des derniers rois de Tunis, Carthage, Tunisie ed Cartaginoiseries,2007, P79
et de son arsenal. Des travaux d’amélioration d’ordre militaire et de défense seront exécutés en transformant cette petite tour en une forteresse puissante qui servira à approvisionner les munitions.
Epoque espagnole :
En 1535, Charles QUINT chasse les turcs de Tunis, attaque la forteresse et obtient la cession de La Goulette selon le traité du 6 aout 1535, signé avec le sultan Hafside Moulay Hassan « La Goulette lui fut abandonnée avec toutes ses dépendances intérieures et extérieures » 23En 1565, l’empereur espagnole exécute des travaux de consolidation de la karraka en la renforçant par quatre bastions et La Goulette sera appelée « Goleta la vieja » ce qui signifie « la vielle Goulette »
Figure 49 : La forteresse de La Goulette 1535. Source : Mario Cartaro
Epoque husseinite :
En 1574, La Goulette est de nouveau entre les mains des turcs qui ont réussi à vaincre et chasser les chrétiens. Les turcs entreprennent alors d’importantes décisions qui consistent a démolir une grande partie de ce que les espagnols ont construit. Il s’agit de conserver deux anciens bastions et une partie de l’enceinte pour des raisons de sécurité et détruire le reste afin d’urbaniser le lieu à travers la création d’un nouveau port, l’élargissement du canal et la construction d’un arsenal et de quelques habitations. En 1796, ayant la volonté de renforcer la citadelle, Hammouda Pacha ordonne de construire des flanquements et une demi-lune.vu l’envergure de ces travaux et l’état économique à cette époque, le pays a du s’endette au profit des banques étrangères. Un traité Tuniso-italien a été signe en 1868 qui consiste à accueillir des immigrés maltais et siciliens à rejoindre les maures et les turcs déjà installés dans la ville représentant la population Goulettoise.
Cette arrivée a permis de développer la ville petite à petit, cette population a continué à exercer leurs métiers maritimes et portuaires d’origine telle que la pêche et le commerce. En s’installant à proximité du port près de la citadelle dans un quartier qui portera le nom de la petite Sicile
23 Gustave Hannezo, Lieutenant-Colonel, Occupation espagnole de La Goulette et Tunis de 1535 à 1574, Revue tunisienne, 1912, p.14
Epoque coloniale :
Figure 51 : La Goulette-Porte de l’ancien arsenal. Source : Lacassagne Figure 50 : La Goullete-Le vieux Canal. Source : E.D’amico
Sous les ordres de la colonie européenne, en 1881 les établissements publics et l’infrastructure du chemin de fer et des routes se développent. La Goulette connait à cette époque un étalement urbain permettant de s’étendre au nord en dehors de l’enceinte et la karraka reste à la frontière de la ville.
En 1888, La Goulette connait des travaux au niveau du trafic maritime ainsi que l’aménagement du premier port de Tunis.
En 1893, un nouveau chenal d’accès au port de Tunis a été creusé créant une rupture entre avec la route Goulette-Rades qui fut remplacée par un bac à vapeur.
Un étalement urbain basé sur un tissu de hiérarchie urbaine qui a créé un espace urbain saturé et dense.
Figure 52 : Dessin La Goullete-Le vieux Canal. Source : L.L
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LIEU DE VALEURS ET DE SYMBOLES
Lieu de valeurs et de symboles : Le vécu d’un havre de paix méditerranéen
Lieu de valeurs et de symboles : le vécu d’un havre de paix
Lieu de tolérance et de cohésion, La Goulette a toujours été connue pour être un lieu de brassage culturel. Un lieu qui embrasse diverses religions, où les traditions et les rituels des communautés juives, chrétiennes et musulmanes sont célébrés, un lieu connu auparavant par sa puissance militaire devenue au fil des années un symbole d’une puissance culturelle. Un métissage distinct qui n’est que le fruit de l’histoire d’une ville marquée par les différentes occupations des civilisations précédentes qui ont fait de ce lieu, un havre de paix où les communautés cohabitent en harmonie et l’ambiance pacifique règne sur cette terre. Cette terre a inculpé chez les Goulettois des valeurs de respect, d’amour et de liberté leur permettant de s’enrichir les uns des autres et de s’épanouir dans un milieu sain où leur fierté d’y appartenir se fait ressentir.
« La mémoire culturelle tunisienne est l’addition de la mémoire musulmane à la mémoire juive. A La Goulette, personne ne cherchait à abolir la différence de l’autre ; bien au contraire, le juif allait vers l’arabe et l’arabe allait vers le juif pour s’enrichir mutuellement. De cette confrontation jaillissait un plaisir qui illuminait la terre entière. Le génie d’un peuple ne se réveille vraiment que lorsqu’il se frotte à un autre peuple. Nous avons fait de La Goulette une Andalousie (pour le cosmopolitisme) et aussi une Californie (pour la liberté). » 24
Figure 53 : Guitare Party Source : Henri Tibi Figure 54 : La plage de Kheireddine Source : Henri Tibi
Leur joie de vivre et d’aimer la vie en communauté est intelligible, cette vie si différente et si paisible que celle d’aujourd’hui a marqué les esprits des personnes ayant habité et côtoyé La Goulette, et sont chanceux et reconnaissants de vivre dans un lieu d’unicité, à une époque où la différence ne semble pas déranger au contraire, cela a été d’une conséquence assez enrichissante qui se traduit autant dans la dimension architecturale que dans la dimension humaine.
« Au fur et à mesure que remontent les souvenirs, je me sens fier d’être goulettois, de La Goulette de l’âge d’or. On buvait au lait maternel de La Goulette toute la sagesse du monde. Dieu a vraiment créé La Goulette à un moment de grâce que nous avons ressenti comme un privilège. A La Goulette j’ai découvert ma dimension d’homme au milieu des juifs, des chrétiens et des musulmans. Aux côtés de mes très chers amis, j’ai reçu avec sérénité la mémoire juive de Tunisie. La Goulette m’a communiqué
24 Article disponible en ligne sur : https://harissa.com/D_Arts/yahasralagoulettechelbi.htm
le sentiment d’appartenir à un souffle universel. C’est ce souffle tendre et puissant qui m’accompagne toute ma vie. »25
Figure 55 : Sur La plage de Kheireddine Source : Henri Tibi Figure 56 : Au café vert, La Goulette Source : Henri Tibi
Ces communautés si différentes dans leurs pratiques et leurs croyances, ont appris à vivre en respectant les rituels des autres, à partager leurs histoires et leurs coutumes, à se mélanger et inviter l’autre à découvrir et célébrer leurs fêtes religieuses « Entre juifs et musulmans, nous entretenions une solidarité
de classe sociale. Les juifs étaient artisans ou commerçants, les musulmans pêcheurs… Nous pouvions même célébrer ensemble les fêtes religieuses. Nous ne suivions pas le ramadan, mais nous étions conviés pour le mouton. Et nous nous faisions des cadeaux »26« Nous vivions ensemble, mangions, dormions, les uns chez les autres, participions tous aux fêtes des autres. C’était un éveil, une sensibilisation quotidienne à la différence »27
Figure 57 : Au café vert, La Goulette Source : Henri Tibi
« Depuis ma plus tendre enfance, j’ai aimé les juifs de tout mon cœur car ils m’ont offert une Tunisie qui a échappé à la connaissance de beaucoup de gens. Le patrimoine juif de Tunisie, qu’il soit culinaire, musical ou vestimentaire, est un bien national qu’il faut protéger et sauvegarder. La mémoire culturelle tunisienne est l’addition de la mémoire musulmane à la mémoire juive. A La Goulette, personne ne cherchait à abolir la différence de l’autre ; bien au contraire, le juif allait vers l’arabe et l’arabe allait vers le juif pour s’enrichir mutuellement. De cette confrontation jaillissait un plaisir qui illuminait la terre
25 Article ya hasra La Goulette, de Mustapha Chalbi,, disponible en ligne sur : https://harissa.com/news/article/yahasra-la-goulette 26 Article A La Goulette, L’art de vivre menacé des juifs tunisiens,Le Monde afrique, : disponible en ligne surhttps://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/08/03/a-la-goulette-l-art-de-vivre-menace-des-juifstunisiens_4977841_3212.html 27 Guy Chemla, La cuisine judéo-arabe de Tunisie, La pensée de midi,2004, p. 32-38
entière. Le génie d’un peuple ne se réveille vraiment que lorsqu’il se frotte à un autre peuple. Nous avons fait de La Goulette une Andalousie (pour le cosmopolitisme) et aussi une Californie (pour la liberté). » 28
Figure 58 : Les filles à la plage de La Goulette. Source : Henri Tibi Figure 59 : Les Goulletois sur la barque.Source : Henri Tibi
« Les juifs de Tunisie ont un charme unique, à nul autre pareil, sans doute parce qu’il y a en eux un mélange délicieux de juifs berbères (autochtones) de très vielle souche, de juifs espagnols (fuyant l’Inquisition), de juifs italien (Livournais) et de juifs français »29
Au-delà du mode de vie introverti adopté par certaines sociétés telles les habitants de la Medina de Tunis, où une forme de conventions et pudeur installées font parties de la culture de la médina et de son charme. Loin des façades aveugles et des entrées en chicane, l’intimité a La Goulette ne semble pas avoir sa place, dehors comme dedans, les Goulettois ne se tracassent pas à faire la différence. Ces Goulettois adorent s’inviter et se rassembler aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur au bord du canal, en face de leurs demeures ou simplement à passer les soirées festives dans les cafés profitant de la brise estivale au parfum de la méditerranée.
« A la différence des demeures de la médina qui étaient jalouses de leur intimité, les maisons de La Goulette étaient complètement ouvertes à la rue. La rue était le prolongement de la maison. Pour les beldis que nous étions, nous avons découvert la liberté à La Goulette. Mes parents ont fait sauter les cloisons pour ouvrir notre maison à l’autre. Point de porte fermée ni de fenêtre close. Tout doit être ouvert pour marquer notre adhésion totale à la rue. Après avoir lavé à grande eau le trottoir, on y installait table, chaises et matelas et nos voisins faisaient de même. Nous formions une seule famille avec nos délicieux voisins »30
28 Article ya hasra La Goulette, de Mustapha Chalbi,, disponible en ligne sur : https://harissa.com/news/article/yahasra-la-goulette
29 Idem
30 Idem
Figure 60 : Echange entre jeunes Goulettois. Source : Henri Tibi
Un mode de vie qui démontre l’amour qu’entretiennent ces habitants à ce lieu duquel ils ont su tirer profit, ce mélange culturel qui n’a fait que les rapprocher et s’aimer les uns les autres. Les Goulettois se sont accordés cette liberté considérée si précieuse et vitale qu’on pourrait l’envier. Cette Goulette a été le lieu d’une jeunesse qui a eu la chance de savourer le gout de la liberté et de l’insouciance dans le respect, l’amour et l’entraide et en témoigne aujourd’hui ces rares pellicules et la mémoire de ceux qui l’ont habité.
« Je pense que c’est le mélange réussi des cultures qui a favorisé l’émergence de ce climat de liberté que l’on ne trouvait pas ailleurs. A Tunis, on était prisonnier des conventions, a La Goulette, on avait enfin le droit de revendiquer la joie de vivre sans craindre la foudre de la tradition »31
Figure 61 : photo de groupe sur la plage de La Goulette. Source : Henri Tibi
31 Article La légende de La Goulette, un charme irrésistible, disponible en ligne sur : https://www.touwensa.com/fr/tourisme/3333/la-l%C3%A9gende-de-la-goulette-un-charmeirr%C3%A9sistible.html
LIEU DE COHESION RELIGIEUSE ET SPIRITUELLE
Lieu de cohésion religieuse et spirituelle
Dans un lieu tel que La Goulette, un lieu de solennité religieuse ou chaque croyance est estimée et chaque pratique est respectée, les différentes communautés n’avaient pas de mal à célébrer leurs jours de fêtes, au contraire elles prenaient plaisir à faire participer amis et voisins de différentes religions à ces festivités et à partager leurs rituels. Cette diversité sociale composée de français, siciliens, maltais, arabes et tunisiens a engendré une richesse culturelle et une cohabitation de communautés de différentes religions : juifs, chrétiens et musulmans.
Figure 62 : coexistence des trois religions. Source : Piotr Mlodozeniec
Figure 63 : Barmitsvah a La Goulette. Source : Henri Tibi
2- 1.-1. La population juive
Une population d’origine maltaise et italienne qui a débarqué au début du siècle, quant aux juifs tunisiens ils ont habité La Goulette casino où on trouve actuellement leur demeures fermées et inhabitées. Connue à l’époque par leur cuisine gastronomique, aujourd’hui La Goulette ne garde rien de cette empreinte culinaire malheureusement. Les italiens étaient essentiellement des marins, des pécheurs et petits commerçants quant aux maltais, ils exerçaient la pêche ainsi que la construction des barques. La Goulette comprend bien évidemment un lieu culte permettant aux juifs de pratiquer leurs rituels tels que les bar-mitsvah, il s’agit de la synagogue de l’hôpital dite aussi synagogue Bessis.
Appelée aussi synagogue Beit Mordekhai de La Goulette et située sur la rue khaznadar, cette synagogue a été édifiée en 1910 par Benoit Barsotti et reconstruite en 1995 après un écroulement de la toiture en 1994. Elle admet une façade modeste blanchie à la chaux que ne se différencie pas des autres demeures
de sa rue. Actuellement ce lieu reçoit encore quelques juifs retraités habitant la maison de retraite qui se trouve en face de la synagogue.
Figure 64 : La synagogue Beit Mordekhai. Source : Personnelle Figure 65: Vue intérieure La synagogue Beit Mordekhai. Source : Archive.Diarna.org
2- 1.-2. La population chrétienne
Constituée principalement d’italiens, de maltais et de français venus à l’époque de la colonisation. La Goulette dispose d’un lieu sacré destiné à la pratique de la communauté chrétienne, il s’agit de « l’église Saint-Augustin et Saint Fidèle » construite entre 1848 et 1872 conservée par la prélature de Tunis en 1964. Cette église existe toujours, se trouvant sur le quartier de la petite Sicile, elle a une architecture simple et épurée aux couleurs rafraichissantes avec le fronton et le clocher qui font partie du charme de l’édifice.
Figure 66 : Le quartier de la petite Sicile. Source : Mohamed Hamdane Figure 67: L’église Saint-Augustin et Saint Fidèle. Source : Mohamed
Actuellement, l’église garde ses fonctions, elle reçoit des anglais et des africains qui pratiquent la messe du dimanche ainsi que la procession de la vierge de Trapani « Madone De Trapani » qui se fait chaque 15 aout. Faisant partie du patrimoine culturel de la ville, la procession de la madone est une tradition qui remonte au vingtième siècle et née à La Goulette. Cette célébration consiste à porter la statue de notre Dame Trapani en hommage aux paroissiens originaire de cette ville, des rues de la petite Sicile jusqu’au port afin de bénir la mer et les bateaux des pécheurs. Avec le temps cette tradition s’est éclipsée jusqu’en aout 2017 où on assiste à la renaissance des coutumes et des traditions identitaires de la ville, dans le cadre de la municipalité de La Goulette et avec l’accord de l’Etat, la procession de la madone dite aussi selon les Goulettois « kharjet el madona » revoit le jour et est de nouveau célébrée.
« On raconte ainsi que chacun voulait toucher la statue, la caresser d’un mouchoir. Tout le monde prenait la direction du port où, pavoisés, les bateaux de pêcheurs attendent sur le quai. La sainte Vierge viendra alors les bénir et augurer d’une année faste alors que juifs et musulmans se joignaient aux chrétiens jusqu’à ce que la procession atteigne le rivage, après avoir traversé la ville. »32
Personnellement, cette renaissance représente une lueur d’espoir, que toute traditions faisant partie de l’identité de l’histoire de la ville pourrait refaire surface, ces traditions et ces rituels ne sont que des symboles de convivialité et de tolérance. Bien que ce rituel soit destiné aux croyances catholiques cela n’a pas empêché les juifs ni les musulmans à y participer et se réunir considérant que le jour de la procession est un jour de bonheur, une célébration pour tous les Goulettois.
« Cette église qui compte parmi les plus beaux symboles de la Tunisie moderne accueille chaque 15 août, en célébration de l’Assomption, une messe à laquelle assistent aussi les Goulettois juifs et musulmans. »33
Figure 68 : La procession de La Madonne. Source : Webdo Figure 69 : La procession de La Madonne. Source : Wikipedia
2- 1.-3. La population musulmane
Face aux communautés juives et chrétiennes, les musulmans n’étaient pas assez nombreux à La Goulette mais ce n’est pas pour autant qu’ils n’avaient pas le droit d’avoir un lieu sacré pour se rassembler, prier et fêter leurs rituels. En effet les musulmans disposaient autrefois d’une mosquée à côté de l’ancien canal qui fut bombardée entre 1942 et 1943. Suite au départ des juifs et des chrétiens, des tunisiens musulmans appartenant à une catégorie sociale faible et habitant la campagne, sont venus s’installer dans les demeures juives et chrétiennes dans le but de profiter d’un mode de vie meilleure, expliquant ainsi, l’accroissement du nombre des musulmans mais aussi la dégradation et la détérioration du cadre architectural et paysager.
Se situant à l’entrée de La Goulette, à la proximité de l’arsenal et en face du fort, on trouve le mausolée Sidi Cherif construit au 16 ème siècle par Sidi Ahmed Cherif, un combattant des espagnols qui régnaient sur Tunis auparavant. Ce mausolée est le lieu de la procession « kharja » célébrée a la fin de l’été marquant
32 Article le 15 Aout a La Goulette, quand la madonne benissait la mer, disponible en ligne sur : https://www.webdo.tn/2015/08/12/tunisie-le-15-aout-a-la-goulette-quand-la-madone-benissait-lamer/#.YMgeHKgzbIU 33 Idem
la fin de la saison estivale et le départ des vacanciers venus profiter de cette station balnéaire. Le cycle de procession se passe sur 3 jours de célébration d’affilés : 5 septembre : des versets du Saint Coran versés et un diner servi 6 septembre : La Aissaouia 7 septembre : La tijaanyyia
Figure 70 : La procession de La Madonne. Source : Wikipedia Figure 71 : Vue extérieure sur le mausolée Sidi Cherif. Source : Personnelle
« J’ai toujours souhaité finir ma vie là où elle avait commencé, soit à la Goulette. Je me rappelle de cette époque magique où l’on vivait, toutes communautés confondues, en paix. Il y avait alors une mosquée, une église et quatorze synagogues et oratoires. Nous allions tous aussi bien à la procession de la madonne qu’aux réunions de la synagogue sans oublier à la procession de Sidi Cherif. Ces rendez-vous religieux concernaient tous les Goulettois et non pas une communauté en particulier »34
34 Article Les Lellouches, Des Tunisiens pure souche, disponible en ligne sur : https://harissa.com/news/article/leslellouche-des-tunisiens-pure-souche
Lieu de partage et d’art culinaire
Assez réputée pour ses restaurants populaires situées sur l’axe de la ville de La Goulette, elle a marqué réputée pour ses restaurants populaires situées sur l’axe de la ville de La Goulette, elle a marqué l’esprit de plusieurs générations et continue à attirer les gourmands de la cuisine méditerranéenne. Eté comme hiver, cette cuisine réchauffe et rafraichit les amateurs d’une cuisine gourmande et variée. Cette variation culinaire témoigne d’un brassage culturel des nombreuses civilisations ayant occupé La Goulette. Une ville qui a réuni la cuisine turque, espagnole, italienne, maltaise, française et tunisienne. Cette richesse a eu un impact assez considérable sur l’aspect social, économique et touristique au point qu’elle en devienne un art gastronomique, un atout identitaire d’un héritage culturel. Cependant, bien qu’elle soit connue pour ses restaurants qui longent l’avenue Franklin Roosevelt, les habitants semblent ignorer l’existence de ce trésor culinaire. Rares sont les traditions et le savoir-faire qui ne demeurent ancrés dans la mémoire de tous ceux qui ont côtoyé cette ville.
L’aspect culinaire a joué un rôle assez important surtout dans la formation de la sociabilité en sein d’une communauté multiethnique, prendre le temps de concocter des plats avec amour, le plaisir d’inviter les amis et les voisins à gouter aux plats succulents faisaient partie d’un mode de vie basé sur le partage et l’amour.
Figure 72 : L’avenue Franklin Roosevelt en 1960. Source : Photo.Delcampe.net Figure 73 : Déjeuner au Café Vert à La Goulette en 1980. Source : Henri Tibi
2- 1.-1. Le festival du poisson a La Goulette
Consciente de l’ampleur gastronomique que détient cette ville balnéaire, La Goulette célèbre chaque année au mois d’été Le festival de la fête du poisson. Subventionné par les ministres de la culture, du tourisme et de l’agriculture, cet évènement joue un rôle important dans la dynamique économique, culturelle et touristique. Cet évènement a connu cinq éditions successives permettant d’animer La Goulette, de la rendre plus attractive.
Figure 74 : Slogan du festival du poisson a La Goulette. Source : Tekiano.com
Chaque édition se déroule au mois de juillet ou d’aout sur trois jours successifs portant un slogan symbolique et un programme établi par les ministres en partenariat avec l’association des scouts tunisiens
et la municipalité de La Goulette. En 2019 La quatrième édition a été inauguré sous le slogan de « La ville de la Goulette : ville de la culture, du tourisme, de la tolérance ».
Ce festival devenu le rendez-vous emblématique des amoureux de La Goulette, tend à régaler les estivants à travers les installations des points de vente de poisson « du producteur au consommateur » avec des prix raisonnables. Mis à part la gastronomie, l’animation et l’ambiance musicale ont toujours été présents. En effet, les festivaliers assistent au carnaval, a des spectacles de majorettes et a des concerts musicaux généralement gratuits, invitant les artistes populaires et locaux à se présenter au monument phare de La Goulette, « La Karraka ». L’occasion d’exploiter, de préserver et de faire connaitre cet héritage si précieux de cette ville.
Figure 75 : Le festival du poisson a La Goulette. Source : Tekiano.com
Ce festival comprend d’autres divertissements telles que des expositions artisanales abritées au fort La Karraka et des expositions des planches à voile présentées au club maritime à Khair-Eddine. Le festival du poisson est en outre l’occasion de réunir les estivants afin de les sensibiliser à agir en tant que bon citoyen à travers des actions de nettoyage de la plage et à assister aux conférences scientifiques organisées par l’Institut national des sciences et technologies de la mer traitant des sujets tels que les changements climatiques ainsi que des excursions en bateau afin de faire connaitre la richesse maritime de la ville.
C’est à travers ce genre d’évènements qu’une infime partie de l’héritage immatériel et même matériel que garde La Goulette puisse avoir de la visibilité et soit reconnu. Un évènement au cœur de la culture et de l’art qui permet de refaire vivre La Goulette. Une dynamique tant bénéfique aux habitants locaux, aux estivants, aux restaurateurs ainsi que les artistes.
Figure 76 : Le festival du poisson a La Goulette. Source : Tunisie.co
LE RESTAURANT MAMIE LILY
Parmi les endroits les plus emblématiques à La Goulette, on évoque le restaurant qui a honoré les traditions et le savoir-faire de la cuisine juive. Un succès mérité, le restaurant casher « Mamie Lily » est ancré dans l’identités de la ville, un lieu où on savoure la gastronomie tunisienne et l’amour qu’on nous apporte. Ce lieu est la renaissance d’une cuisine traditionnelle maitrisée mais aussi un lieu symbolique, ou les gourmets gardent encore des souvenirs de partage et de bonne entente entre des communautés de différentes cultures.
MAMIE LILY
2- 1.-2. Le restaurant Mamie Lily
« Mamie Lily, c’est un voyage dans le temps, pour retrouver des plats oubliés. »35
Figure 77 : Vue extérieure du restaurant Mamie Lily. Source : Lepetitjournal.com
Pas loin du casino, La Goulette disposait d’un restaurant considéré comme un des rares lieux de rassemblement de la communauté juive connu sous le nom de « Mamie Lily ». Ce lieu emblématique Fait partie des rares restaurants du pays qui a ouvert ses portes en 1996 au plaisir de concocter des plats casher succulents et authentiques au moment où les restaurants de la cuisine juive situés au centre de Tunis ont commencé à fermer. Appelée la reine de la cuisine juive italienne, Nelly Lellouche a su diriger ce restaurant pendant vingt ans avec l’aide de son fils Jacob Lellouche. Dans un cadre chaleureux et accueillant, Ces amoureux de la Goulette excellaient dans la préparation de plats juifs traditionnels invitant toutes les communautés à découvrir le gout authentique d’une cuisine qui se fait de plus en plus rare.
Figure 78 : Le Restaurant Mamie Lily.Source : Lepetitjournal.com Figure 79 : photo des propriétaires de Mamie Lily. Source : Lepetitjournal.com
Au plus grand plaisir d’une communauté qui cherche à cultiver ses racines, à suivre les traces de ses ancêtres et à savourer le gout tant désiré, Mamie Lily attire de plus en plus de juifs tunisiens et étrangers à replonger dans l’histoire de cette belle ville. Le secret d’une cuisine
« C’était la génération qui redécouvrait un peu la Tunisie, soit qu’ils l’avaient quittée dans les années 50 et 60, soit qu’ils étaient les enfants de ces familles exilées qui avaient vécu en France et voulaient revenir
35 Article, La fermeture de Mamie Lily, institution du patrimoine juif Tunisien, disponible en ligne sur : https://www.middleeasteye.net/fr/reportages/la-fermeture-de-mamie-lily-institution-du-patrimoine-juif-tunisien
au pays. C’est un mouvement de la fin des années 90 dont Jacob et sa mère ont aussi été des acteurs, puisqu’ils ont vécu à Paris auparavant. Des familles juives sont revenues en Tunisie à cette époque, et le pèlerinage de la Ghriba à Djerba a connu un regain de fréquentation. »36
La situation géographique de La Goulette ainsi que les civilisations qui l’ont succéder, a permis l’ouverture du pays aux cultures méditerranéennes et à faciliter les échanges interculturels ce qui engendre toute sorte de similarité entre les différentes communautés et civilisations allant de l’architecture jusqu’à la gastronomie. « Nous sommes ici en Tunisie a un véritable carrefour entre les civilisations. L’Orient, l’Occident, le Nord et le Sud… Et nous en sommes très, très fiers ». 37En effet, dans certains plats, les gouts et les saveurs ressemblent à d’autres plats issus d’autres pays mais leurs noms diffèrent. Considérée en tant que conservatoire de la cuisine juive tunisienne, Mamie Lily offre une carte riche et variée prête à réveiller les papilles de ses gourmets et a les embarquer dans un voyage dans le temps. Ce restaurant est une institution de La Goulette qui met en honneur un patrimoine culinaire oublié en offrant des plats tels que : La makhlouta : plat d'origine libanaise ressemblant à la loubia, à base de haricots blancs dans une sauce parfumée La tfina bkaila : un ragoût de bœuf aux épinards et aux haricots traditionnellement servi aux fêtes juives (bar-mitsva) et aux mariages La mechmachia : un émincé de bœuf aux fruits secs servi avec une timbale de couscous fin
Les banatages : briks farcis aux pommes de terre, keftas de poisson et croquettes de viande Le tajine Karess : un émincé de volaille au citron Le mdarbel de bœuf aux haricots et aux aubergines et le couscous aux boulettes L’arenge : une salade de navets et d'oranges amères Il s’agit d’un menu qui reflète, selon Jacob Lellouche, l’influence de la migration juive de la méditerranée plus précisément l’Espagne, la Turquie et le Moyen Orient.
Figure 80 : Le couscous chez Mamie Lily. Source : Moghrama.com Figure 81 : La mechemchia chez Mamie Lily. Source : Moghrama.com
« Dans ce dernier restaurant juif casher du pays, les patrimoines culinaires se croisent et les saveurs subtiles et prononcées enchantent les papilles gourmandes qui hésiteront toujours entre une Mrouzia, une Bkaïla, une Mechmachia »38
36 Idem 37 Idem 38 Idem
Loin des folies de grandeurs et des artifices, le cadre de ce restaurant est assez modeste a l’image de leurs propriétaires. Etant caché derrière une grande clôture végétalisée gardée par un petit chien, il suffit de franchir la porte bleue pour se retrouver dans le jardin verdoyant d’une villa italienne datant de 1902. A travers le jardin, le visiteur arrive à sentir les saveurs appétissantes venant de la cuisine facilement perçue. Mamie Lily dispose de six tables à l’intérieur et quelques-unes à l’extérieur dans le jardin, ce modeste espace provoque chez le visiteur une certaine intimité et chaleur tant convoitées. Les murs du restaurant étaient garnis de portraits de familles, de tableaux et de toute sorte d’objets qui rendent hommage à cette communauté.
Figure 83 : déjeuner entre amis chez Mamie Lily. Source : Middleeasteye.net Figure 82 : vue intérieure chez Mamie Lily. Source : Middleeasteye.net
Selon Mikael Bentura, jeune tunisois, décrit ce restaurant comme un lieu familial « Ce n’était pas qu’un
restaurant, les photos affichées sur les murs montraient l’histoire des juifs, c’était une école d’apprentissage de notre histoire. Au premier étage, il y a un espace dédié à des expositions, il y en a eu plusieurs, notamment une sur les synagogues de Tunisie, tout était fait dans ce restaurant pour préserver un patrimoine à l’abandon … Mais au-delà du menu, des coupures de journaux, des photographies de famille, des artefacts et des peintures sont encore plus de preuves de l’influence du judaïsme sur la vie tunisienne au cours des 2000 dernières années »39
39 Idem
LIEU D’ART CINEMATOGRAPHIQUE ET DE MODE
Dynamique et divertissante, La Goulette était un lieu d’épanouissement qui a su enrichir ses habitants maitrisant l’art du bon vivre. La Goulette a offert à ses habitants tous les moyens pour contribuer à la culture et au divertissement des générations ayant connu La Goulette durant son âge d’or. Au plus grand plaisir des amoureux des films, aux passionnés des métrages et aux cinéphiles, La Goulette disposait de deux cinémas que tout le monde connaissait, considérés parmi les lieux de loisirs favoris et les plus visités. Il s’agit du théâtre et du cinéma Rex qui, aujourd’hui malheureusement, ne connaissent pas le même sort, disparus au fil du temps.
Figure 84 : Le Ciné-Theatre, La Goulette. Source : Webdo.tn Figure 85 : Le Cinéma Rex, La Goulette. Source : Webdo.tn
Fondé au milieu du vingtième siècle par les Frères Lahmy, le Théâtre ne se trouvait pas loin de la municipalité, sur l’une des plus belles avenues de La Goulette, est considéré comme l’une des pépites de la ville qui attirait un public qui venait de Tunis pendant les saisons estivales. Avec l’arrivée de la télévision et de la vidéo à domicile, ce lieu n’a pas pu tenir durant cette période difficile et comme d’autres salles ayant connu le même destin tels que le cinéma Maxula à Radès ou de l’Azur à Ezzahra ou du Vox au Bardo, devait baisser leur rideau Fermée depuis la fin des années 1970, cette salle a été lâchement livré aux démolisseurs pour construire un nouvel immeuble.
2- 1.-1. Le cinéma REX
Plus petite et se trouvant sur l’une des rues parallèles de l’avenue Bourguiba, Le Rex était la seconde salle de La Goulette. Une salle qui compte parmi les salles de cinéma qui demeurent ouvertes toute l’année mais qui a du fermé au début des années 1980.
Cette fameuse salle noire a embarqué bien plus que quelques-uns dans un voyage marquant l’esprit de plusieurs générations qui en gardent de beaux souvenirs. Cette salle était une opportunité d’enchanter ses rêveurs à la recherche de fantaisies et de magie, une salle sombre longtemps admirée qui accueillait grands et petits à venir s’immerger dans une autre dimension. La salle se remplit, la lumière s’éteint et le projecteur se met en route annonçant le début du voyage.
Figure 86 : Vue intérieure du Cinéma Rex. Source : Lagoulettenostalgie.fr
« La première fois où j’avais mis les pieds dans un cinéma… A cette époque Nous étions une vingtaine dans la classe. Je me souviens, de ce Dimanche matin, alors que nous faisions route par rangée de deux vers le cinéma Rex, à la Goulette Neuve, des pétards qui faisaient feu de toutes parts. C’était la fête. »40
Figure 87 : Le balcon et les spectateurs le jour de l’inauguration. Source : Lagoulettenostalgie.fr
40 Article Le cinema Rex à La Goulette, Pierre Boccarat, disponible en ligne sur : https://harissa.com/D_Souvenirs/lerex.htm
Figure 88 : Jo Stella et Dominique Mannino dans la salle de projection lors de l’inauguration du cinéma le 23 decembre 1951. Source : Lagoulettenostalgie.fr
Le Rex est un lieu d’histoire qui relate à sa façon La Goulette, des souvenirs surgissent des attentes dans les allées de la salle, l’impatience de rejoindre ces fameux fauteuils rudimentaires et hospitaliers, l’excitation de voir l’écran s’allumer de tous les rêves en cinémascope. Des moments de pur bonheur et de partage constituaient la mémoire des petits Goulettois ayant l’occasion d’accéder à ce lieu de loisirs et de culture. Peu importe les catégories sociales ou religieuses, chaque enfant était le bienvenu à admirer la projection. La cohabitation, la fraternité et la joie de vivre étaient omniprésents, un mode de vie si inspirant faisant de La Goulette d’antan une ville festive exemplaire.
« Je me rappelle aussi de Mr Lahmi, le propriétaire du cinéma Rex. Ce monsieur ouvrait ses portes de son cinéma gratuitement aux enfants trois fois par an, à Noël, le jour de l’Aïd et pour Pourrim. Enfant, nous attendions impatiemment ces jours-là et notre dernier souci était de savoir qui fêtait quoi. Nous prenions nos glibettes et profitions de l’occasion pour visualiser de bons films. A travers son geste
symbolique, ce monsieur a réussi à rassembler les trois communautés. »41
Figure 89 : Vue extérieure sur le Cinéma REX source : Lagoulettenostalgie.fr
41 Article Les Lellouches, Des Tunisiens pure souche, disponible en ligne sur : https://harissa.com/news/article/leslellouche-des-tunisiens-pure-souche
« Les années passèrent et le Rex devint une institution et le lieu de rendez-vous de tout le monde ; il y avait autour, le café Rex, le glacier Cuiratollo et ses fameuses religieuses et le temple du pic-foot de chez Hassen…Singulièrement, en Hiver, ce lieu servait de détente. »42
Figure 90 : Vue extérieure sur le Cinéma REX source : Lagoulettenostalgie.fr Figure 91:Vue extérieure sur le café REX source : Lagoulettenostalgie.fr
Façade, balcon et orchestre constituaient les trois espaces essentiels du Rex, Cependant au fil du temps, des moments difficiles viennent chambouler le destin d’un lieu qui auparavant était respecté, un lieu de mémoire, un lieu d’art et de culture, devenu méconnaissable, exploité d’une façon anarchique. L’âme de ce lieu semble être emportée tout comme la joie et la richesse que le Rex apportait jadis à ses visiteurs.
Figure 92 : Vue actuelle sur le Cinéma Rex. Source : Mohamed Hamdane
Aujourd’hui, il ne demeure plus rien du Rex, sinon quelques logements en mauvais été et quelques commerces dont un salon de coiffure établi sur une partie des lieux qui a préservé le nom de la salle de cinéma
42 Article Le cinema Rex à La Goulette, Pierre Boccarat, disponible en ligne sur : https://harissa.com/D_Souvenirs/lerex.htm
UN ETE A LA GOULETTE
2- 1.-2. Un été à La Goulette
Un film réalisé par Ferid Boughedir en 1996 avec Mustapha Adouani, Michel Boujenah ainsi que la participation de Claudia Cardinale qui a incarné son propre rôle. Dans la Banlieue de Tunis, au cœur du village portuaire de La Goulette, le film relate l’histoire de trois personnages inséparables. Youssef le musulman, Jojo le juif et Guiseppe le catholique. Rien ne semble séparer le contrôleur du TGM, le roi de la brique à l’œuf, le roi de la brique et le pêcheur Sicilien ainsi que leurs filles qui décident de perdre leurs virginités avec des garçons de différentes religions avant que la guerre des six jours ne se déclare. Malgré les différentes origines, croyances et activités, le lien qu’entreprend ces personnages était assez fort.
Figure 93 : L’affiche du film « un été à La Goulette ». Source : Un été à La Goulette
Figure 94 : Séquence du film « un été à La Goulette ». Source : Un été à La Goulette
Le film retrace alors l’esprit de La Goulette dans les années soixante, une histoire qui nous emporte dans une Goulette épanouie loin des dogmes et des tensions. Durant cet été en 1996, des amitiés naissaient, des cultures se mélangeaient et les rituels religieux et les festivités se succédaient au plus grand bonheur des pratiquants et des enfants.
Figure 95: Séquence du film « un été à La Goulette ». Source : Un été à La Goulette
Le film commence avec un texte écrit par l’auteur Ferid Boughedir « Comment pour moi, arabe et
musulman vivant en terre d'islam, parler le plus justement possible de l'amitié et de la tolérance vécue entre Juifs et Arabes, entre musulmans et catholiques en Tunisie, à l'heure où dans le monde on s'entretue pour sa religion et où l'intégrisme voudrait imposer partout une pensée unique ? Comment dire la sensualité quotidienne de ma société qui a toujours réussi à placer la vie au-dessus de tous les
dogmes ? En parlant de ces choses simples que j'ai vécues... à La Goulette. »43
Une cinématographie qui montre la bonne entente et les liens fraternels tissés entre les voisins qui se considéraient des familles plus que des amis. On voit les musulmans, les juifs et les catholiques habiter dans le même immeuble, s’inviter dans les repas ou s’envoyer des assiettes, s’amuser dans les bars et les cafés. Quant aux petits, on les voit, a l’âge de l’insouciance, jouer et courir se baigner ensemble tandis que les plus grands, très souvent en cachette, à profiter pleinement de leurs amours de jeunesses.
Figure 96: Séquence du film « un été à La Goulette ». Source : Un été à La Goulette
Loin des jugements, ce trio a renforcé l’identité de la ville et a créé un esprit paisible. La joie de vivre, le partage et la tolérance constituaient l’essence de ce village. Ce brassage des trois cultures a fait naitre une nouvelle « religion », une spiritualité qui a réuni toutes les cultures des Goulettois, celle de l’amour et la paix.
Selon le rédacteur Louis Morice, Boughedir renvoie un message de tolérance et de joie de vivre et non pas de mélancolie à travers des scènes joyeuses et comiques « Boughedir, nostalgique de ces temps de
tolérance, ne se laisse pas aller à l'amertume ou à la tristesse. Impossible d'ailleurs sur une plage où les
mères crient à leurs enfants : Si tu te noies, je te tue ! »44Ayant fréquenté La Goulette étant petit, pour me baigner ou pour déjeuner à l’un des restaurants de L’avenue Roosevelt. Cela était mes seuls souvenirs d’un endroit qui a fait partie de mon enfance mais dont j’ignorais l’histoire. Ce n’est qu’en regardant ce film, que j’ai découvert une partie de l’histoire de cette ville, une époque dont j’aurais aimé faire partie, un quartier balnéaire ou j’aurais aimé habiter. Ce film est pour moi un déclic, une leçon de vie, une histoire qui m’a fait comprendre qu’un génie existait bel et bien dans ce lieu.
43Extrait du film « un été a La Goulette », Ferid Boughedir,1996, disponible en ligne sur : https://fr.wikipedia.org/wiki/Un_%C3%A9t%C3%A9_%C3%A0_La_Goulette 44Le nouvel observateur,1999, disponible en ligne sur : https://fr.wikipedia.org/wiki/Un_%C3%A9t%C3%A9_%C3%A0_La_Goulette
CLAUDIA CARDINALE
2- 1.-3. Claudia Cardinale
Dans ce long métrage où on se croirait naviguer en pleine carte postale, le personnage de Claudia Cardinale fait son apparition. De retour à ses terres natales, elle réjouit les Goulettois sous les yeux admiratifs des personnes qui l’ont connue, aimée et accueillie chaleureusement dès sa descente au port à la jolie scène de balcon jusqu’au casino lors d’un mariage de l’un de ses amis. En effet, le retour de la Cardinale que l’on appelait « l’enfant du pays » faisait partie des scènes les plus marquantes de ce film. Sa présence a égayé cet ilot de paradis sous les cris de la joie et la fierté des habitants.
Née le 15 avril 1938, D’origine Sicilienne, La famille cardinale a habité en Tunisie depuis trois générations entre Tunis et la Goulette où se rendait Claudia régulièrement pour rendre visite à ses grandsparents. « Son grand-père était un petit armateur qui a construit de ses mains le bateau qui lui permit
d’émigrer de sa Sicile natale pour la Tunisie…Ce grand-père vécut à la Goulette où il continua à construire des bateaux, établissant un lien entre cette ville et l’enfance de la star. »
Figure 97 : portrait de Claudia Cardinale. Source : gala.fr Figure 98 : Claudia Cardinale à Rome en 1959. Source : affiche de la 70 ème du festival de Cannes
D’origine italienne, d’éducation française, Claudia a pris ses marques en Tunisie, amoureuse de la méditerranée, elle a passé ses meilleures années d’enfance et de jeunesse se baladant entre Tunis, La Goulette et Carthage. « Ma famille, elle, était une famille d'émigrés d'origine sicilienne établie en Afrique du Nord depuis trois générations. Je considère que l'Afrique du Nord est mon pays. J'aime bien y retourner. Ma langue maternelle est le français. L'italien, je l'ai parlé quand j'ai commencé à faire du cinéma » 45Un pays qui lui tient toujours à cœur, qui fait partie de ses racines dont elle en est fière et qu’elle ne cesse de proclamer son amour pour ce pays. « Je suis fière d’être tunisienne et je revendique
45Article La revue de Cinema, Séquences, disponible en ligne sur : https://www.erudit.org/fr/revues/sequences/1991-n151-sequences1161233/50324ac.pdf
ma tunisianité ». 46« J’ai toujours dit que mes racines étaient en Tunisie. Je n’en suis jamais partie. C’est là que je suis née, même si je suis de nationalité italienne. Ma famille est d’origine sicilienne, du côté de Palerme. Mon grand-père avait quitté son pays en barque pour construire des bateaux à La Goulette »47
Repérée lors d’un concours de beauté a Gammarth organise par l’office du cinéma italien, elle remporte le prix et fut nommée « la plus belle Italienne de Tunis » a l’âge de dix-sept ans sans même y avoir participé. Une victoire qui lui a permis de passer un séjour en Italie pour assister au festival de cinéma « "Biennal » à Venise plus connu sous le nom de la « Mostra ». Cette jeune fille incarne une beauté qui ne passe pas inaperçue sous les yeux des photographes et les producteurs. C’est à ce moment-là que la carrière de Claudia Cardinale se lance.
LE CINEMA
Elle entame une carrière d’actrice, ses apparitions se succèdent, elle semble avoir conquis le public ainsi que les critiques. Elle enchaine alors les prix et son succès ne fait qu’accroitre. Tournage après tournage, elle travaille avec les plus grands producteurs et réalisateurs Italiens comme Mauro Bolognini, Luigi Comencici et Frederico Fellini et tourne des scènes avec les acteurs les plus talentueux tels que Jean Paul Belmondo et Alain Delon.
Les années passent et Cardinale continue à exceller, elle tourne auprès de son idole Brigitte Bardot dans « les pétroleuses » en 1971 puis réduit ses apparitions dans les années quatre-vingts dix en faisant des seconds rôles afin de se consacrer au théâtre et à l’écriture. Parmi ses ouvrages elle publie en 2009 le livre « Ma Tunisie ». Un véritable hommage à ses racines, a son pays natal tant chéri et à son amour pour ses belles années d’enfance et de jeunesse.
« Moi, je viens de là où le soleil réchauffe les cœurs et les corps, là où la douceur de vivre n'a d'égal que la perfection des paysages et la chaleur des sourires. Claudia Cardinale n'existait pas encore. J'étais Claude, et j'étais née tunisienne. J'ai sauté dans le train. Celui de Tunis, qui m'amenait de la Goulette à Carthage. Aujourd'hui, c'est à moi de vous convier à ce voyage. Un voyage sur les traces de mon enfance, des plages de Carthage au village de Sidi Bou Saïd. Mais aussi un voyage dans la Tunisie d'aujourd'hui, celle que j'ai appris à découvrir, celle des nomades, des oasis, des dunes et des palmiers »48
LA MODE
Icône du cinéma mais aussi de la mode, Claudia Cardinale a côtoyé les plus grands couturiers et couturières qui se sont réjouis de l’habiller de la sublimée, mettant en valeur les œuvres joliment et minutieusement cousues sur un corps aussi sublime que celui de La Cardinale qui s’investit autant sur ses apparitions cinématographiques que ses apparitions médiatiques et cérémoniales. L’image d’une Cardinale qui évolue au fil du temps, une Claudia de plus en plus libre, affirmée, passionnée et audacieuse.
Etant une icône de la mode, elle s’est entourée des plus grands stylistes et a porté une panoplie d’œuvres vestimentaires inédites. En 2019, avec l’aide de ses enfants, cent trente robes portées par Cardinale durant les premières décennies de sa carrière, ont été exposées dans le cadre d’une vente aux enchères. Une exposition qui inclue des robes signées par les grands créateurs souvent portées lors des films et offertes
46Article Harissa, Claudia Cardinale, disponible en ligne sur : https://harissa.com/D_Communautes/Tunisie/claudiacardinalealagoulette.htm 47 Article Afrique Magazine, Claudia Cardinale, Initiales, C.C. 48 Claudia Cardinale, Ma Tunisie, Editions Timee,2009
à la fin du tournage et d’autres œuvres présentées lors des ouvertures des cérémonies allant jusqu’aux robes de jours, aux tailleurs et aux prêts à porter.
“Nous nous sommes rendu compte, ma famille et moi, que ces robes nécessitaient de meilleurs soins, que d’être laissées en Italie. L’idée de la vente était une envie de partage”49
Une exposition qui interpelle les souvenirs de Cardinale qui revoie toutes les vies et les personnages qu’elle a incarnés, des œuvres qui détiennent un sens à la vie qu’elle a menée. Il lui suffisait d’apercevoir une telle robe et voilà que ses souvenirs et ses anecdotes resurgissent et un sourire se lit sur son visage. « Je vends les robes de ma vie » 50
Une garde-robe qui lui a permis de se sentir libre. « Nous avons pris conscience que ces robes montrent
un chapitre d'histoire, non pas la mienne mais celle de la femme. On sent, je crois, cette +libération+,
des femmes de ma génération », 51estimait Claudia Cardinale. Elle donnait autant d’importance aux choix des scenarios qu’aux modèles portés.
Figure 99 : Vente aux enchères au showroom Sotheby’s, Paris. Source : Lionel Bonaventure
LES PRISES DE POSITION
A l’encontre de l’image assez connue et médiatisée qu’on connait des divas egocentriques, cette icône de la mode et du cinéma reste néanmoins différente, sensible et humaine qui a su profiter de sa notoriété pour inspirer et s’investir dans ses engagements et ses prises de position. En 1999, elle a été désignée « ambassadrice de bonne volonté » Elle apporte actuellement sa contribution a plusieurs causes humanitaires. Elle s’engage à lutter contre le sida et à défendre les droits des femmes ainsi que les minorités. « Ce métier m’a offert une foule de vies. Et la possibilité de mettre ma notoriété au service
de nombreuses causes : les droits des femmes, car je suis féministe. Le combat contre le sida et la peine de mort avec Amnesty International. Les enfants du Cambodge»52
49 Idem 50 Idem 51 Idem 52 Idem
LIEU DE POESIES ET DE MELODIES
Terre de joie et d’amour, ses beaux paysages et ses habitants aimants ont enchanté les artistes et les romantiques tombés sous le charme de La Goulette, une ville qui s’est démarquée par son histoire, son patrimoine et ses horizons a perte de vues. Durant une époque où cette ville était un véritable havre de paix, témoins et chanceux ont capturé les bons moments passés, de quoi mémoriser ses paysages méditerranéens et ses visages familiers à l’époque. Si certains ont exprimé leur enthousiasme de La Goulette à travers des collections de pellicules devenues aujourd’hui des cartes postales, D’autres expriment leur sensibilité à travers des mots. C’est dans L’écriture, la poésie et la musique que certains se sont enivrer. Au cœur des Paroles mélodieuses des compositeurs et le chant des poètes, on nous raconte l’histoire de La Goulette, sa prospérité et la vie joviale qui existait auparavant joliment décrites. Des compositions poétiques et musicales qui nous plongent a dans le passé et à ressentir les émotions de ceux qui ont connu La Goulette. Sous ces rythmes harmonieux, nous nous embarquons dans La Goulette d’antan où la musique réunissait les amoureux du chant et animait leurs soirées d’été.
Figure 101 : soirée musicale en face du Café Vert. Source : Henri Tibi Figure 100 : soirée musicale en face au Lido. Source : Henri Tibi
Chanteurs et compositeurs ne se sont pas retenus d’exprimer leur amour a ce lieu décrit tel un paradis sur terre, sensibles et séduits par la beauté des paysages ainsi que la bonté des gens qui l’habitaient, La Goulette au centre des éloges faisant rêver tous ceux qui n’ont pas eu la chance de la visiter.
Chanteur compositeur et oudiste, Lotfi Bouchnak est un artiste tunisien, un personnage emblématique qui a marqué plusieurs générations. Il a interprété la chanson « halq el oued », la chanson diffusée dans le générique du film « un été à La Goulette » sous les paroles écrites par Adam Fathi et la mélodie de Jean Marie Senia.
« ... دابدنسلا انأو رحبلا ةسورع كنياك داولا قلح ةمسن اي رمعلا ةلحر نم كلعجرن شفرعن ام تعاض لإ ةنجلا كنياك تابيلڨلا شيوشوت تحو كيبلا ةحير تح تايوشعلا كاه انحرفي اج ام شآو حرفن لعشيو ... ليمتو كسمش تكست يمساي ةكش سبليو ... ليللا كيلع حيطي كو تانبلل ايارم طشلا فرح لىع تاكتا نيو «53نيدخلا درو
53 Paroles de chansons Halq el oued
HENRI TIBI
B2.6.1- Henri Tibi
Henri Tibi (Robert Henri Tibismuth) est un auteur-compositeur et interprète franco-tunisien et issu d’une famille juive, né le 19 octobre 1930 à Tunis et décédé à l’âge de 82 ans, le 14 mai 2013. Etant pongiste, photograveur et imprimeur durant sa jeunesse, Henri Tibi se fait connaitre à travers ses chansons. Des chansons sur La Goulette, sur son climat de vie, sa richesse et ses mœurs. Ayant connu un véritable succès dans son pays natal, Henri Tibi devient un personnage emblématique de La Goulette réunissant les communautés juives et arabes et toujours prêts à interpréter ses chansons en arabe, en français et en judéo-tunisien.
« La Goulette, La Goulette c’est le plus beau coin de la planète… Son petit casino et sa cuisine proprette, sa terrasse au bord de l’eau et la lune sa présence lui fait cadeau… Et je chante à tue-tête tes merveilles et ta beauté. La Goulette La Goulette le paradis c’est pour nous deux, notre amour est merveilleux… »54
Avec ou sans orchestre, la présence seule de Henri Tibi et sa voix pouvait réunir et animer les soirées, mettre l’ambiance pendant les soirées estivales nocturnes, sa voix touchante et son air sympathique arrivaient à faire danser la foule, à faire rire Les Goulettois et les émouvoir.
« La salle surchauffée par tous les zazous de Tunis et banlieue (Goulette, Kheireddine, La Marsa) reprend gaiement le refrain en chœur... Les jeunes dansent et les plus âgés pleurent de bonheur... On s'accroche à La Goulette comme à une maman pleine de tendresse et d'amour55 . »
Figure 102 : Henri Tibi et ses amis à La Goulette. Source : Henri Tibi
Humble et passionné, Henti Tibi n’adhérait pas les bains de foule ni au fait d’être la star du spectacle. Il ne chantait pas pour être repéré par les radios, la télévision ou la presse écrite. Il chantait par amour, sa voix et ses chansons faisaient son bonheur, une plénitude de grâce et de joie qui le consolaient et accompagnaient sa propre solitude mais aussi, celle des autres, ainsi il se plaçait à mille lieues du grand public.
« Lorsqu'il organisait un spectacle à La Goulette ou à Salambo, il faisait le plein à cause de la concentration de son public à La Goulette... La simple nouvelle de son passage à l'Hacienda, au Lido ou à la Tour Blanche faisait boule de neige depuis le Café Vert jusqu'au Café Miled »56
54 Henri Tibi, extrait de la chanson La Goulette 55 Article Goulette,khereddine, La Marsa, disponible en ligne sur: https://harissa.com/news/article/goulettekhereddine-la-marsa-la-video 56 Article Mustapha chalbi, Ya Hasra La Goulette, disponible en ligne sur : https://harissa.com/D_Communautes/Tunisie/yahasralagoulette.htm
« Quand vient la fin de l'été c'est trop bête, c'est trop bête il va falloir se quitter Ô Goulette, ô Goulette j'ai une dette, j'ai une dette et je dois m'en acquitter et je chante à tue-tête tes merveilles et ta beauté Des glibettes, des glibettes les marchands sont revenus ils viennent crier à nos fenêtres et font les cent pas dans les rues Des fillettes, des fillettes y'en a plein dans toutes les rues c'est le plus beau coin de la planète… » 57
Des paroles qui reflètent l’amour profond que portait Henri Tibi pour La Goulette mais aussi une immense tristesse et une nostalgie qu’il arrivait à l’exprimer à travers d’autres chansons. Henri Tibi quitte la Tunisie dans les années 60 et s’installe à Paris, lui et son mal être du pays. Tant de peines et de mélancolies, Tant de beaux souvenirs gardés et de photos capturées des gens qui l’entouraient a La Goulette. Rien ne pouvait combler le vide ressenti, il fait face à la solitude et l’abandon.
« Tunis, ma verte patrie »
« tu gardes en toi tout mon passé des peines, des joies, des caprices j'ai tout connu, tu m'as tout donné que de souffrances et de regrets est-ce la malchance ou la destinée j'ai pleuré en faisant ma valise du bateau, j'ai fait une grosse bise Adieu Tunis, ma bien-aimée et je vois qu'au loin s'agitent les branches du haut palmier aurevoir et reviens vite il me semble les écouter le soleil s'est caché sous un nuage une larme au fond des yeux il fait sombre et soudain c'est l'orage et dans mon coeur voilà qu'il pleut. »58
Fidèle et amoureux de ses racines et de son pays natal, c’est sur les rues Parisiennes que Henti Tibi a rêvé de la Tunisie et l’a chanté. Cet interprète consacre sa vie au chant et à ses animaux de compagnie lui causant des problèmes de voisinages. Henri quitte Paris et s’installe à Besançon.
« Il nous faut bien du courage pour partir loin de chez nous en emportant dans nos bagages doux souvenirs et chagrins fous où trouverai-je cette nonchalance dans quel pays, dans quelle cité? Existe-til au monde un tel bonheur immense bordé de paix et de sérénité il nous suffit d'être ensemble sans jamais se séparer et la quiétude est à son comble douceur de vivre et de tranquillité l'on te quitte et l'on regrette aucune famille n'est au complet jour de deuil ou jour de fête on est confus et dispersé ô mon Dieu faites qu'ils reviennent ces braves gens du monde entier brisant enfin leurs tristes chaînes de l'exil
et de l'anxiété et vers Tunis s'en retourner. »59
Figure 103: Henri Tibi faisant la manche à Besançon. Source : chantouladomfrontaise.eklablog
Figure 104 : Henri Tibi, en octobre2010. Source : Harissa.com
57 Henri Tibi, extrait de la chanson, « La Goulette La Goulette » 58 Henri Tibi, extrait de la chanson « Tunis, ma verte Tunis » 59 Idem
Par manque de moyens, Henri Tibi, celui qui était la star du chant à La Goulette, a eu du mal à briller à Paris. N’ayant pas produit de spectacles, Henri Tibi fait face à la difficulté de l’industrie musicale à cette époque. Celui qui réunissait les communautés juives auparavant a été perdu de vue ainsi que son public qui a été dispersé aux quatre coins de La France dans les années 70 lorsque la communauté israélite Tunisienne a quitté la Tunisie vers la France.
. Henri Tibi décède en 2013 laissant derrière lui de précieux témoignages du passé. Conscient du temps qui défile et des moments qui deviennent de plus en plus éphémères, Henri Tibi n’a pas hésité à les immortaliser. Muni de son appareil photo, au fur et à mesure qu’il se promène, il photographie tout ce qui attirait son regard, les évènements religieux, les festivités ainsi que les portraits de ses amis.
« Henry Tibi a pris son appareil photos et s'est mis à photographier les marchands à la criée, les processions de la Madone, les danses de Aïssawiya, les prières de rabbins, la grande synagogue de Tunis, la cathédrale de Tunis, la mosquée Ez-Zeytouna... Rien n'échappait à son regard... Il a ainsi offert au cercle des copains disparus toute sa collection de photos... Tout ce qu'il a composé et tout ce qu'il a photographié représente un témoignage important sur la Tunisie des années 60. »60
60 Article, Forum, Des tunes celebres, disponible en ligne sur : https://harissa.com/forums/read.php?46,62646,62646