Archibat n°44

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www.archibat.tn

Revue maghrébine d’aménagement de l’espace et de la construction

© Waite, Richard - Four Seasons

l’ ARCHITECTURE HÔTELIERE 44

DOSSIER SPéCIAL

FOUR SEASONS, LAICO TUNIS, IBIS SFAX, THE RESIDENCE DOUZ...

SMART CITY

LES VILLES DE DEMAIN CONCOURS D’ARCHITECTURE

HOTEL ET CENTRE D’AFFAIRES DE L’ASBU (ARAB STATES BROADCASTING UNION)







SOMMAIRE

Archibat N° 44

Éditorial

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opinion libre 14 La Cité de la Culture, expression de l’architecture « officielle » Du Centre National Culturel à la Cité de la Culture - 1992-2003 16

Dossier spécial Smart City Villes Intelligentes La Révolution Smart s’ouvre à Bizerte

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Interview. Borhène Dhaouadi « Bizerte va bénéficier d’un capital d’idées qui se conçoivent depuis neuf ans »

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Interview : Carlos Moreno « La technologie devrait être au service de la qualité de vie urbaine »

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TIC, Participation Citoyenne et Urbanisme

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Smart City. Les villes de demain sont déjà là

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Réouverture du Palais des Congrès de Bizerte

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Concours étudiants Elgazala Media Center « EMC » « Architek Challenge 2018 »

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SOMMAIRE Actualités CPEC 2018, Chantier Participatif d’Eco-Construction

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Séminaire « Patrimoine 19-20ème Siècle en Tunisie, qu'allons-nous en faire ? »

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PUBLI-RéDACTIONNEL Le renouveau des cuisines Meublatex

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NEWS INTERNATIONALES Le Musée National de Qatar, Doha « La Rose de Sable » émerge du sol 42

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Archibat 44 / 07 - 2018

Prix Pritzker 2018 Balkrishna Vithaldas Doshi

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Le Tribunal de Paris Une œuvre majestueuse signée Renzo Piano

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Rencontre avec Bernard Plattner, Partner chez Renzo Piano Building Workshop

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SOMMAIRE L'architecture Hôtelière Four Seasons hôtel Gammarth, élégance et sobriété

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hôtel laico, rénovation d'une icône du tourisme d'affaires à Tunis

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hôtel IBIS SFAX, caractère urbain et atmosphère intérieure design

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hôtel The Residence Douz, invitation au dépaysement au bord du désert

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L’écotourisme, produit dérivé du tourisme durable en Tunisie

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Publi-rédactionnel

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Structura, des solutions innovantes pour l'hôtellerie de luxe

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Offre Duravit pour le secteur de l’hôtellerie

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Concours national Concours national d'architecture à deux degrés, projet de construction d'un hôtel 92 4 étoiles et d'un centre d'affaires appartenant à l'ASBU Projet de construction de l'Institut Supérieur des Arts et Métiers de Gafsa

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Thèse de doctorat Identification et caractérisation des ambiances d’un quartier d’habitat collectif de 106 la période de la reconstruction tunisienne de l’après-guerre Cas du quartier d’El Menzah 1 à Tunis

JEUNES ARCHITECTES Béchir Hizem, une passion le patrimoine Dar Bakir - Mégrine Dar Zahmoul - La Soukra

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Art 5ème édition de « Jaou Tunis », quand l'art met en lumière un patrimoine désaffecté 128

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LIVRES & LIVRAISONS

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ARCHIBAT

Revue maghrébine à parution tous les quatre mois, publiée par : ABC Architecture Bâtiment et Communcation, Sarl 19 Rue Abou Bakr Bekri, Imm. Luxor I, Br. M/2 - Montplaisir 1073 Tunis Tél. : 216 71 904 467 - 71 907 952 Fax : 216 71 902 485 E-mail : contact@archibat.com.tn

www.archibat.tn Directrice de publication Amel SOUISSI TALBI Conseillère de la rédaction Alia BEN AYED Ont collaboré à ce numéro : Alia BEN AYED Amina Imène Bennour Béchir Hizem Denis Lesage Farah Bahri Emna Touiti Hédi SFAYHI Hend Gassa Ibtissem Daoud Ben Cheikh Inés Dimassi Khiri Jelel Bessaad Moez Kacem Monia Jendoubi Nour El Houda JOUINI Olfa Belhassine Sarah Khamassi Salma Gharbi Koubaa Membres fondateurs Leïla AMMAR Ali DJERBI Amel SOUISSI TALBI Achraf BAHRI MEDDEB Morched CHABBI Denis LESAGE Publicité Zouhaira TALBI REBAI Infographie et site web Mouna MATTOUSSI TRABELSI Abonnement Lobna MCHIRGUI BELHAJ Les articles publiés dans cette revue, et les idées qui peuvent s’y exprimer n’engagent que la responsabilité de leurs auteurs. Tous droits de reproduction, réservés pour tous pays. Les textes et photos reçus et leurs envois impliquent l’accord de l’auteur pour leur libre publication. Impression : SIMPACT VISA N° 2796 Autre publication de ABC :

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ÉDITORIAL La Cité de la Culture inaugurée en mars 2018, fait désormais partie du paysage architectural de Tunis. Dans notre rubrique Opinion Libre, Inés Dimassi la passe au crible d’une analyse critique fondée. Hédi Sfayhi, quant à lui, revient sur l’historique à l’origine de ce projet « présidentiel » qui a démarré depuis 1992. Bizerte Smart City poursuit sa dynamique à travers des actions de plus en plus grande envergure. Nous consacrons un dossier à la question avec des interviews de son instigateur, Borhène Dhaouadi et de l’expert international de la Ville Intelligente, Carlos Moreno. Nour El Houda Jouini revient sur la notion même de Smart City et profite de l’occasion pour nous présenter le magnifique Palais des Congrès de Bizerte réalisé par Olivier-Clément Cacoub et qui fait l’objet d’une réhabilitation en cours. Deux manifestations ont réuni des étudiants autour de deux challenges. Le premier, l’ « Architeck Challenge 2018 », initié par Amina Imen Bennour, concerne le lancement d’un concours pour la réaffectation d’un bâtiment existant au Pôle Elgazala en un Media Center destiné à des équipes formées conjointement d’étudiants en architecture et en design. Le deuxième, le « CPEC 2018 », est un chantier participatif en éco-construction initié par trois enseignants de l’Ecole Nationale d’Architecture (Jelel Bessaad, Bassem Ariguib et Mohamed Rouissi), auquel ont participé un groupe d’étudiants. Nous consacrons notre dossier aux nouveaux projets hôteliers qui témoignent de la réactivation du secteur. Les réalisations récentes des grandes chaînes comme Four Seasons, Laïco ou Ibis, sont la preuve d’un retour en force de la destination Tunisie, tant pour les hôtels de luxe, de ville que balnéaires. Dans ce contexte, nous présentons les résultats du concours national d’architecture lancé par l’ASBU (Arab States Broadcasting Union) pour la construction d’un hôtel urbain de 4 étoiles et d’un centre d’affaires. Nous saluons cette initiative, plutôt rare dans le cadre de la commande privée, qui vise la valorisation de la qualité architecturale. Notre coup de cœur revient au musée de Qatar à Doha, une œuvre de l’architecte Jean Nouvel. Opérant avec subtilité, dans le respect des codes culturels, pour « montrer ce qui se cache, (et) révéler ce qui s’efface », l’architecte propose une réalisation contemporaine ancrée dans son temps et qui, par ailleurs, assume sa singularité orientale. Nous faisons la part belle au projet du Tribunal de Paris lauréat de l’équerre d’Argent 2017, une réalisation majestueuse signée Renzo Piano. à ce titre, nous avons eu le plaisir, le temps d’une rencontre menée par Sarah Khamassi, de recueillir les propos de Bernard Plattner, « partner » responsable du projet. Comme chaque année le Pritzker consacre un architecte pour la qualité de ses réalisations. Cette année la palme revient à l’architecte indien Balkrishna Vithaldas Doshi âgé de 90 ans, collaborateur tour à tour de Le Corbusier et de Louis Khan. Ce prix vient couronner une carrière d’exception pour Doshi qui considère que : « la vie est célébrée lorsque modes de vie et architecture fusionnent ». ■ Amel Souissi Talbi

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La Cité de la Culture expression De l’architecture « officielle » L’architecture de la nouvelle Cité de la Culture a fait couler beaucoup d’encre depuis son inauguration en mars 2018. Qualifiée de « stalinienne et esthétiquement ennuyeuse » par certains, de « monumentale et démesurée » par d’autres, elle a souvent été comparée aux malls froids et luxueux des pays du Golfe. L’ensemble de ces qualificatifs renvoient à l’image que véhicule l’architecture de la Cité. Elle constitue par conséquent un système symbolique qui renvoie à un ensemble de représentations sociales et à des schèmes culturels. De ce fait, un essai de compréhension du projet architectural devrait nécessairement passer par une lecture et une analyse des symboles de l’espace conçu et des significations qui leur sont liées. Lancé en 1994 par voie de concours, c’est l’un des plus grands projets présidentiels de l’ère de Ben Ali. Situé au cœur de la capitale, s’étalant sur une superficie de 9 hectares, il est voué à devenir le principal pôle culturel du pays. Il est censé être représentatif de la culture en Tunisie telle que perçue par le pouvoir en place. Cette vision de la culture transparaît dans les discours officiels prononcés par l’ancien président à l’occasion des anniversaires de son arrivée au pouvoir le 7 Novembre 1987. « Notre culture féconde et notre riche civilisation restent le socle durable des valeurs de juste milieu, de modération et d’ouverture, autant de qualités que nous avons veillées, depuis le changement, à consacrer dans les esprits comme dans les actes, par fidélité à notre identité nationale, à notre héritage historique et aux nobles préceptes de notre religion ». 7 novembre 2003 « Nous avons toujours considéré la culture comme un appui à notre projet civilisationnel, un rempart protégeant notre identité nationale […] ». 7 novembre 2006

OPINION LIBRE

© Med-Amin Chouikh

« La culture est un appui du changement et un pilier essentiel du processus de développement intégral, du renforcement des attributs de l’identité et de la construction de la modernité ». 7 novembre 2007

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travers ces extraits de discours officiels, nous pouvons mieux cerner la signification attribuée à la culture par l’autorité au pouvoir. La culture formerait une forteresse protectrice de l’identité nationale, laquelle identité serait constituée par un métissage civilisationnel.

Celui-ci serait défini par la diversité des origines historiques du pays, la noblesse des préceptes de la religion et la nécessaire adhésion aux valeurs de la modernité.


En quelques chiffres, la Cité de la Culture c’est : Un coût estimé à 125 millions de Dinars. Un terrain d’une superficie de 8,6 hectares. Une surface couverte de 49.000 m². Trois théâtres (1.800 sièges, 700 sièges et 300 sièges). Six espaces de répétition. Un complexe cinématographique. Deux salles de projection (350 sièges et 150 sièges). Un auditorium. Une médiathèque. Un musée des Arts Modernes et Contemporains. Un musée de l’Art des marionnettes. Un pôle de littérature et du livre.

La définition « officielle » de la culture en Tunisie constitue, de ce fait, la signification consensuelle qui a servi de socle pour l’élaboration de l’énoncé du concours d’architecture lancé pour la conception de la Cité de la Culture. En effet, l’énoncé du concours exprimait explicitement l’objectif architectural et urbain suivant : « la traduction spatiale et architecturale de la dimension symbolique du projet devra associer monumentalité et richesse des volumes et des traitements, par référence à l’architecture arabo-musulmane ». à l’issue du concours, le choix des membres du jury s’est porté vers le projet proposé par le groupement d’architectes constitué par Riadh Bahri, Mohamed Salah Zlaoui et feu Foued El Euch. L’expression architecturale du projet est la résultante d’une combinaison entre plusieurs styles architecturaux. On y trouve des références arabomusulmanes par l’emploi de colonnes hafsides, d’arcs en plein cintre et de moucharabiehs. Les façades sont structurées selon un ordonnancement tripartite conformément aux canons du classicisme architectural. Elles sont constituées d’un soubassement, matérialisé de l’extérieur par des bandes horizontales et de l’intérieur par des galeries bordées d’arcades, d’un corps principal, et d’un couronnement en dents de scie, couvert d’un revêtement en Kadhel. L’emploi de murs rideaux sur les façades ajoute à l’ensemble des références au style International qui est né grâce notamment au déploiement de techniques et de matériaux nouveaux tels que le fer-acier, le béton et le verre. La façade principale, imposante et majestueuse, suggère les limites d’une véritable forteresse. La porte, symbolisant l’entrée de la Cité, joue également sur cette dimension monumentale. L’hétérogénéité référentielle et la monumentalité du projet proposé par les lauréats du concours étaient, aux yeux des membres du jury, représentatives de l’architecture « officielle », symbolisant les valeurs idéologiques consensuelles attribuées à la culture en Tunisie. Les critères de cohérence de l’ensemble et d’intégration à l’urbain, semblent avoir été relégués au second plan. à l’issue de cette analyse, nous pouvons avancer que le système de

concours d’architecture en Tunisie constituerait un processus de production d’objets hautement représentatifs de l’idéologie officielle du pouvoir en place. Il s’agirait donc d’un système dont le rôle serait d’instaurer un modèle consensuel dans un contexte politique, social et économique donné. Les retards successifs qu’ont accusés les travaux de construction de la Cité de la Culture ont fait que son inauguration ait lieu après la chute du régime du président Ben Ali et donc dans un contexte autre que celui de sa conception. Dans ce nouveau contexte politique, social et économique, les significations attribuées à la culture ont changé. D’une définition consensuelle, conformiste, la culture a glissé vers un entendement plus large, plus ouvert. On assiste en effet en Tunisie, depuis les événements de Janvier 2011 à l’éclosion de pratiques artistiques, intellectuelles ou sociales avantgardistes, transgressives, alternatives et libératoires, en rupture totale avec les normes culturelles de la période prérévolution. De ce fait, il en résulte aujourd’hui un décalage entre les intentions de départ soustendues dans la conception du projet et la réalité du contexte actuel. Le système de concours d’architecture, tel que pratiqué pour la réalisation de la Cité de la Culture, apparaît ici comme un processus d’instauration d’un modèle consensuel représentatif de l’idéologie « officielle » du pouvoir en place. Il empêcherait d’inscrire les réalisations qui en sont issues dans la durabilité, car il ne prendrait pas en considération les dynamiques de renouvellement, d’évolution et de changement des systèmes de valeurs. Il faudrait donc envisager une révision du système de concours en Tunisie afin de faire évoluer la pratique de l’architecture des bâtiments civils et de l’inscrire dans la dynamique des phénomènes de transition socio-économique et culturelle. ■ Inés Dimassi Khiri, Docteur en architecture Membre du groupe de recherche Sémiotique des Espaces Architecturés dirigé par Dr Ali Djerbi, Assistante à l’ISTEUB

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Du centre national Culturel

à la cité de la culture - 1992-2003 Le 29 février 1992, un conseil ministériel restreint, décide d’ériger un Centre National Culturel sur un terrain de 8 ha, sur la rive ouest de l’Avenue Med V. Le 2 mars, un groupe de travail est formé, sous le patronage du District de Tunis (A.U.G.T. actuellement), dont la mission est l’élaboration de programme fonctionnel et technique du projet.

OPINION LIBRE

© Med-Amin Chouikh

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ous les moyens nécessaires étaient mis à la disposition d’une équipe enthousiaste, assistée de consultants étrangers, et moyennant des visites de projets similaires, en France, en Egypte et au Canada. En juin 1994, le document est fini prêt : il prévoit cinq ensembles fonctionnels totalisant 19.017 m2, estimés à cent millions de Dinars. Un premier concours d’architecture a été lancé à la fin de 1995, dans lequel 21 groupements mixtes, tunisiens et étrangers, y ont participé. Le jury mixte a duré une semaine en plein mois de Ramadan. Le concours s’était avéré non concluant, les 21 groupements ont été indemnisés à raison de 5.000 Dinars chacun. De janvier 1996 à mars 1999, le projet a été mis en hibernation pour des raisons obscures. Une expérience riche en couleurs, nous a permis d’organiser des réunions de travail avec une bonne trentaine d’hommes et de femmes de la culture. De l’avis de tous, ce document demeure une référence en la matière. Des responsables de bonne conscience, ont incité le Ministère de la Culture à relancer le projet pour devenir « Cité de la Culture ». Une deuxième édition du concours a été minutieusement préparée, c’était un concours à deux tours, précédé d’une présélection des candidats. à l’issue du premier tour, cinq groupements étaient sélectionnés pour le deuxième tour. Une session d’analyses critiques et de recommandations était organisée au Centre Culturel de Hammamet, en présence des membres du jury, dont deux membres étrangers, un jordanien basé à Londres, et un jordano-palestinien oeuvrant au Liban et dans les pays du golfe. Avec le lancement du deuxième tour du concours, un tournant décisif a guidé l’aboutissement de l’épreuve, terminée en décembre 2000. Après un remaniement à l’intérieur du groupement, un architecte tunisien a repris le poste de mandataire puis est entré en association avec un bureau d’études basé à Beyrouth, et qui avait des relations professionnelles avec l’un des membres du jury. Ainsi la boucle est bouclée. Après l’aval de l’ex-président de la république, pour le projet à exécuter, les choses sérieuses commencent : un membre tunisien du groupement lauréat est évincé, ensuite c’est le tour des Libanais d’être écartés, malgré leurs tentatives judiciaires et politiques de revenir sur le projet. Un accord, pécuniaire à l’amiable a été trouvé et le contentieux a été calmé. En parallèle avec l’examen de l’avant-projet sommaire, les travaux des fondations profondes sont exécutés. En 2002-2003, 574 pieux sont implantés pour consolider le sol vaseux. Quant au déroulement de la commission technique, c’était un véritable calvaire, l’A.P.S. traînait en long et en large, malmené par un architecte stagiaire et défendu farouchement par le big boss. Ainsi le blocage des études grandit de jour en jour. L’évolution de la situation est transmise méthodiquement au palais de Carthage. Le 26 juin 2003, à 15 h 40, le téléphone sonne à mon bureau, le Directeur Général des Bâtiments Civils, m’informe sèchement que Monsieur le Ministre a décidé de me confirmer le projet du Centre des urgences de Ben Arous. Un sentiment mitigé d’injustice et de soulagement, m’a inspiré pour écrire un poème dans les deux langues, dans une terrasse vue sur mer à Tabarka… Ainsi une expérience passionnée et douloureuse est terminée. ■ Hédi SFAYHI, architecte, ancien directeur du projet au MEHAT



Dossier spécial Smart City

Villes intelligentes

La Révolution Smart s’ouvre à Bizerte

Pendant trois jours, le mois d’avril dernier, Bizerte a vécu sur le rythme effréné, accélérant le temps et transformant l’espace, des villes et des concepts « smart ». A l’initiative de l’Association « Bizerte 2050 », a été organisée pour la seconde année consécutive, « Bizerte Smart City ». Un événement international qui veut faire de Bizerte une ville ingénieuse, partagée et connectée et étendre la Révolution « smart » à toute la Tunisie.

Projet d'aménagement urbain proposé par l’Association « Bizerte 2050 »

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e loin, la silhouette du Palais des Congrès de Bizerte, planté sur un site en hauteur, domine la ville, son lac et la mer en contrebas. Œuvre de l’architecte francotunisien Olivier Clément Cacoub, Grand prix de Rome en 1953, on y accède par une voie en lacets, joliment arborée. C’est dans ce lieu étonnant par ses dimensions et volumes, dessiné comme une sculpture, pourtant fermé, oublié, occulté pendant plus de vingt ans, que s’est déroulé les 18, 19 et 20 avril, l’événement : « Bizerte Smart City 2018 ». Organisée par l’Association « Bizerte 2050 », en partenariat avec le Ministère des Technologies de la Communication et de l’Economie Numérique, BSC a été placée sous le haut patronage du chef de Gouvernement. La rencontre a enregistré la participation de près de 12.000 participants et 100 PME tunisiennes et groupes internationaux dans le domaine des technologies, qui ont exposé leurs dernières innovations au Palais des Congrès. Des personnalités influentes quant à la vision futuriste des centres urbains, y ont intervenu, tels Carlos Moreno, Jean François Barsoum, Alexandre Borodich, Marc-Lionel Gatto… « Bizerte Smart City » s’est présentée cette année sous le slogan : « Bizerte… Du comptoir punique au port numérique ! ». Une bannière qui dit tout sur l’objectif de la manifestation. à la fois promouvoir les innovations et les services smart à haute valeur ajoutée dans divers secteurs et intervenir avec une vision horizontale et intelligente sur les mégaprojets du gouvernorat de Bizerte planifiés à l’horizon 2050. Une dynamique qui, selon l’initiateur de Bizerte Smart City, l’architecte urbaniste et agitateur d’idées Borhène Dhaouadi, ne peut que se révéler

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contagieuse pour toute la République, et même au-delà, à travers toute l’Afrique. « Il faut que le phénomène des Smart City devienne un virus pour pouvoir donner de l’espoir aux jeunes », répète Borhene Dhaouadi. Les technologies de l’information et de la communication au cœur de villes L’expression « ville smart » ou « ville intelligente » est née dans les années 1990. Elle est d’abord le fruit d’une stratégie de marketing et de reconquête du marché mis en place par des firmes comme IBM. Souhaitant relever leurs profits dans une période de récession, plusieurs entreprises américaines identifient les villes comme un immense marché potentiel, en associant celles-ci aux technologies de l’information et de la communication. Associé au développement durable, le concept de ville intelligente prendra une dimension plus éthique. Aujourd’hui, la définition de la ville intelligente est d’autant plus large que les technologies avancent et que les villes s’étendent, se peuplent et consomment énergie et ressources. Les principaux apports de la Smart City résident dans le développement durable, l’économie d’énergie, une meilleure mobilité, l’amélioration de la qualité de vie des personnes et leur meilleur accès aux services publics. Ainsi le « smart » inscrit la ville dans le futur et applique aux problématiques urbaines majeures, à savoir la gestion de la mobilité, l’énergie, le bâtiment, le logement et les services publics des solutions basées sur les technologies de l’information et de la communication (TIC), qui continuent à avancer à pas de géants.


L’événement : « Bizerte Smart City 2018 », organisé au Palais des Congrès de Bizerte Des territoires toujours plus étalés, toujours plus denses En occident les villes concentrent 80 % des populations. Dans les pays du Sud ils sont 60 % à avoir choisi de vivre dans les centres urbains. A l’horizon 2050, le développement urbain continuera d’une façon irréversible, notamment en Afrique et en Asie. Les mégalopoles de plus de 50 millions d’habitants se multiplieront. D’où les challenges que posent ce monde qui change à la vitesse de la lumière. La ville intelligente vient alors comme une presque inévitable solution à ces nombreux défis. Et notamment en Tunisie, considérée comme un pays en voie de vieillissement, où le nombre des plus de 50 ans va être multiplié par trois d’ici vingt ans. « Les besoins en services de santé, en logements et en transport intelligents vont par conséquent augmenter. Nous ferons donc face à plusieurs challenges, parmi lesquels trône la rareté des ressources », précise Rym Belhassine Cherif, Directrice Centrale des Services et Innovation à Tunisie Telecom, partenaire de BSC. Pays à déficit énergétique, la Tunisie semble en attente de solutions smart pour faciliter la mobilité des biens et des personnes dans ses villes. Comme expliqué au cours du colloque, ce type de mobilité fournit des transports partagés, respectueux de l’environnement et une circulation fluide, évitant les embouteillages et les émulsions de CO2.

à Copenhague, selon Sylvie Buvery, d’Astrom, « le nombre de kilomètres sillonnés par vélo est aujourd’hui plus important que celui parcouru par les véhicules individuels. La ville en est fière. Car ce genre de mobilité génère un chiffre d’affaires beaucoup plus élevé pour le commerce et rend les villes plus vivantes et plus attractives ». D’autre part, dans le cadre de la stratégie digitale du Ministère du Transport et profitant d’un renouvellement de la flotte de ses bus, une application baptisée “Hafilati” (mon bus) vient d’être réalisée par la Société Régionale de Transport de Bizerte. Elle concerne la ligne “Bizerte/Aéroport Tunis Carthage” comme ligne pilote en attendant de la généraliser aux autres lignes. Cette application gratuite offre aux voyageurs un système d’information innovant et permet aux passagers de consulter en ligne les horaires des dessertes et l’emplacement des stations. « Bizerte 2050 », est déjà identifiée et modélisée Encore une fois grâce à l’Association « Bizerte 2050 », que dirige Borhene Dhaouadi, la révolution smart semble en cours à Bizerte. L’Association produit de la matière pour des exemples de projets intelligents.

La mobilité smart au service des villes durables Mais comment augmenter la mobilité sans alourdir la ville de nouvelles infrastructures et sans grignoter sur ses espaces verts et piétons pour mettre en place de nouveaux parkings ? « En focalisant sur le développement de la voiture électrique et de la voiture autonome, le vélo en libre service, l’auto partage, le taxi partage. Au point qu’à Helsinki, la ville a le projet d’éliminer la voiture individuelle d’ici quelques années. Les constructeurs automobiles prennent en compte eux tous ces défis nouveaux », souligne le Canadien Jean François Barsoum, d’IBM. Ailleurs, comme en Russie, on expérimente déjà le taxi volant. « On se trouve aujourd’hui devant plusieurs modèles de mobilité qui vont façonner la ville de demain. Désormais, nous ne pouvons plus planifier les nouveaux quartiers comme avant », ajoute Jean François Barsoum.

Selma Elloumi Rekik : Ministre du Tourisme et de l’Artisanat, Borhène Dhaouadi : Président de l’Association « Bizerte 2050 » et Mohamed Gouider, Gouverneur de Bizerte. Archibat 44 / 07 - 2018

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Elle a identifié plusieurs cas d’utilisation, dont un projet intelligent pour la Corniche, deux parkings intelligents, un système de collecte de poubelles, un modèle nouveau pour le vieux port… Bizerte 2050 a aussi modélisé la totalité de la ville et notamment son centre en créant une visite virtuelle de la ville de demain et en anticipant sur son avenir. « Nous cherchons à démontrer la preuve par l’exemple et à montrer aux gens que notre projet n’a rien d’une fiction. Cet atout, nous le tirons du bureau d’étude que je dirige et qui est adossé à notre association, « Bizerte 2050 ». Ce bureau et cette association, formés de plusieurs compétences dont des architectes, des urbanistes, un graphiste et d’autres métiers, nous permettent de dessiner nos idées et ambitions » affirme Borhene Dhaouadi.

Interview Borhène Dhaouadi

« Bizerte va bénéficier d’un capital d’idées qui se conçoivent depuis neuf ans »

Parce qu’on ne peut pas réaliser tout ces projets sans un conseil municipal élu et sans un cadre légal spécifique, l’association a attaqué la préparation d’un dispositif légal non pas pour Bizerte uniquement mais pour tout le pays. D’où la création du programme, « Tunisian Smart Cities » qui a été présenté à la présidence du Gouvernement. Le projet a été avalisé et une commission de pilotage a été mise en place à la présidence du Gouvernement pour en faire le suivi. « Ce qui va nous permettre de construire un référentiel smart en Tunisie et de l’étendre à beaucoup de villes, Gafsa, Kairouan, Sidi Bouzid… Il faut que le phénomène des SC devienne un virus pour pouvoir donner de l’espoir aux jeunes », ajoute l’architecte. Une révolution rapide, basée sur le partage et la bienveillance Au cours de Bizerte Smart City, le Commissaire de l’Union Africaine en Charge des Infrastructures et de l’Energie, Ameni Abou Zeid, a souligné que le projet Bizerte Smart City s’inscrit dans le cadre de la l’Agenda 2063 pour la transformation de l’Afrique, réitérant le soutien de l’Union Africaine à ce projet et à toute initiative devant favoriser la réalisation de cet agenda. Le président des études à l’Union Internationale des Télécommunications (UIT), Bilal Jamoussi, a déclaré de son côté, dans une vidéo enregistrée et diffusée à cette occasion, que : « les villes de Bizerte et Kairouan ont été sélectionnées par l’UIT parmi plus de 50 villes à travers le monde, dont Singapour et Dubaï, pour mener un projet pilote d’accompagnement des villes intelligentes (United for Smart Sustainable Cities (U4SCC) ». L’année prochaine, la rencontre initiée par Borhene Dhaouadi se déroulera à Tunis et s’ouvrant aux porteurs de projets smart venant de tout le pays, elle appliquera le concept « smart » à plusieurs autres villes tunisiennes. La révolution smart inaugurée à Bizerte semble avoir de beaux jours devant elle. Marc-Lionel Gatto, patron d’un bureau de consulting spécialisé dans le smart et fin observateur de ce phénomène est lui, catégorique : « On n’a plus le droit de ne pas être smart aujourd’hui. Cette tendance, qui va inverser les modèles, les manières de penser et les valeurs, commence d’ailleurs avec soi, dans sa propre maison, avec son voisinage, dans son quartier, son entreprise ou encore dans son école. Il s’agit là d’une nouvelle révolution qui sera très ample et très rapide, basée sur le partage, le bon sens et la bienveillance ». ■ Olfa Belhassine, journaliste 20 Archibat 44 / 07 - 2018

Borhene Dhaouadi, architecte et urbaniste, a travaillé à Marseille, en France, avant de revenir ces dernières années en Tunisie avec un projet de cité intelligente, pour Bizerte, sa ville natale. Il est aujourd’hui le président de l’Association « Bizerte 2050 », qui a organisé le mois d’avril dernier au Palais des Congrès de Bizerte la seconde édition de la manifestation, « Bizerte Smart City ».

Qu’est-ce qu’une Smart City ? Et plus précisément comment résumerez-vous le concept de Bizerte Smart City ? Une Smart City pour nous aujourd’hui à Bizerte, c’est une ville propre, une ville ingénieuse et également connectée. On aspire à une plus grande propreté de Bizerte, il s’agit d’une de nos priorités. On voudrait aussi appliquer l’ingénierie de la ville à notre environnement : l’urbanisme, l’éclairage public, le stationnement, le transport, la gestion des déchets, de l’eau et des ressources, l’énergie… Mais également la sécurité. Enfin, une ville connectée se traduit par la manière d’utiliser les Technologies de l’information et de la communication (TIC) et notamment nos smart phones afin de faciliter notre quotidien, pour faire nos courses, se déplacer, voyager, trouver un hôtel, pour emprunter un chemin, trouver une place pour se garer en temps réel… D’autre part et d’une manière générale, une Smart City donne accès au citoyen à toutes les données et informations qui concernent sa vie, son quotidien, sa santé en toute transparence. Les documents administratifs deviennent téléchargeables en ligne, les transactions municipales concernant des appels d’offre sont transmises en ligne ainsi que les discussions au sein des commissions.


Pourquoi avoir pensé à Bizerte pour réfléchir à l’introduction en Tunisie du concept des villes intelligentes ? Je suis Bizertin, né un 1er mars 1980, dans le quartier des Andalous, dans la médina. Je m’intéresse à Bizerte parce que je la connais très bien, je dispose de plein d’informations sur la ville, des plans, des documents d’urbanisme, des supports multiples… Autre raison : Bizerte a une chance, mais une toute dernière, pour devenir Smart, contrairement à plusieurs autres villes en Tunisie et même dans le monde. Bizerte va subir un programme de transformations urbaines inégalé dans l’histoire de la Tunisie. Nous aurons un nouveau pont avec une rocade nord et une rocade sud, puisque la ville est divisée en deux parties, qui va toucher de près ou de loin le tiers du périmètre communal. Ainsi le tiers de la ville va être impacté par un projet d’infrastructure urbaine et paysagère. Je pose les questions suivantes : comment va-t-on aménager les abords de ces ouvrages ? Quel concept urbain et paysager va-t-on adopter ? Va-t-on garder la même centralité ? Est-ce qu’on va créer un nouveau quartier administratif à Bizerte ? Quelle mobilité va-t-on imaginer ? Comment se déplacera-t-on ? En voiture ? En vélo ? En bus électrique ? Troisième élément, qui n’est pas des moindres, 100 % du périmètre communal doit être raccordé au gaz. On va donc creuser la ville partout pour faire passer les réseaux. L’idée que nous avons eue consiste à dire, au lieu de faire saigner la ville et de reboucher par la suite d’une manière plus ou moins inconsciente, comme on l’a toujours vu, on va faire un choix, celui de créer un concessionnaire communal ou régional de galeries de réseaux. Ce procédé, que nous n’avons jamais expérimenté sous nos cieux existe ailleurs. Il s’agit d’avoir dans une seule galerie, des réseaux secs, des réseaux humides et bien entendu les eaux pluviales, une manière de retenir ces eaux pour les traiter et recycler par la suite. A-t-on avancé depuis la première édition de l’année passée pour faire de Bizerte une Smart City ? L’édition de l’année passée était consacrée à la sensibilisation à cette problématique. Nous avons ensuite recruté les compétences dans cette question à Barcelone, lors du plus gros show mondial des Smart City, à savoir le Smart City World Congress. Les personnalités étrangères que vous voyez ici, nous les avons contactés à Barcelone. On y trouve les avocats, les architectes et les urbanistes spécialisés, les gens qui montent les systèmes d’information. Il existe aujourd’hui un écosystème qui s’est formé autour d’un cercle englobant 200 à 250 experts. Ce sont des gens qui réfléchissent Smart, qui mangent Smart et qui respirent Smart. On les retrouve à chaque fois qu’il y a une initiative Smart. Barcelone nous a permis de voir ce qui se passe dans le monde pour pouvoir s’en inspirer. Entre temps, nous produisons de la matière pour de vrais projets SC en Tunisie et notamment à Bizerte. On a identifié plusieurs cas d’utilisation, dont un projet intelligent pour la Corniche, deux parkings intelligents, un système de collecte de poubelles, un modèle nouveau pour le vieux port… Nous avons aussi modélisé la totalité de la ville surtout son centre en créant une visite virtuelle de la ville de demain et en anticipant sur son avenir. Nous cherchons à démontrer la preuve par l’exemple et à montrer aux gens que notre projet n’a rien d’une fiction. Cet atout, nous le tirons du bureau d’étude que je dirige et qui est adossé à notre association, « Bizerte 2050 ». Ce bureau et cette association, formés de plusieurs compétences dont des architectes, des urbanistes, un graphiste et d’autres métiers nous

permettent de dessiner nos idées et ambitions. Mais peut-on réaliser tous ces projets sans un conseil municipal élu et sans un cadre légal pour les SC ? Non, bien sûr. Nous avons alors attaqué la préparation d’un cadre légal non pas pour Bizerte seulement mais pour tout le pays. D’où la création du programme, « Tunisian Smart Cities », que nous avons présenté à la présidence du Gouvernement en prenant comme modèle Bizerte. Le programme a été avalisé et une commission de pilotage a été mise en place à la présidence du Gouvernement pour faire le suivi de « Tunisian Smart Cities », ce qui nous permettra de construire un référentiel Smart en Tunisie et de l’étendre à beaucoup de villes, Gafsa, Kairouan, Sidi Bouzid… Il faut que le phénomène des SC devienne un virus pour pouvoir donner de l’espoir aux jeunes. Un nouveau conseil municipal vient d’être élu à Bizerte. Comment allez-vous procéder pour faire adhérer la nouvelle équipe locale à votre projet ? Plus de 50 % des élus municipaux ont participé d’une manière directe ou indirecte dans la mise en place du projet Bizerte Smart City dans ses phases de préparation, de work shops, collectes de données, propositions d’idées. Je dirais encore plus : les trois têtes de listes gagnantes ont pris part pleinement dans ces réunions, à savoir Ennahdha, Nida et l’Union Civile. Ils connaissent tous très bien l’intérêt du programme. Un blogueur s’est amusé pendant la campagne électorale à poser cette question aux candidats : « Quelle est votre position vis-à-vis du programme BSC ? ». La réponse était : « C’est pour moi une affaire plus que personnelle. Il s’agit d’une nécessité et non d’un luxe ». Il faut savoir d’autre part que le programme Bizerte Smart City est calé sur 30 ans. Lorsqu’on bâtit une vision sur trois décades au minimum, six conseils municipaux pourront l’exécuter. Il faudrait que le premier conseil comprenne l’importance de la vision proposée par le programme BSC pour initier une dynamique et soumettre le projet à une concertation publique à travers des mécanismes identifiés et codifiés dans la loi sur les collectivités locales. Nous avons essayé de rendre plus fluide cette concertation en proposant aux élus une solution digitale à travers le logiciel appelé « Eveil ». Un outil de concertation publique en ligne et en simultané, qui pourrait rendre plus accessible notre vision « Bizerte 2050 », la faire valider par la population et permet aux gens de voter par projet, par quartier, par secteur, par zone… L’avantage de cet outil d’aide à la décision consiste aussi dans le fait qu’il génère des statistiques en simultané. Je dirais que la chance de Bizerte est de se retrouver avec un capital d’études, de visions et d’idées sur les-quelles travaillent des professionnels de la ville depuis neuf ans. Vous préconisez également que le Conseil municipal de Bizerte travaille avec les communes limitrophes, comme Menzel Jemil et Menzel Abderrahmane. Pourquoi ? Si on ne réfléchit pas ensemble et si on ne mutualise pas ensemble certaines actions liées par exemple à la collecte des déchets, les services, l’énergie, l’entretien des voiries, on ne pourra pas s’en sortir. Il faut avoir en matière de villes une vision intercommunale et globale en même temps qu’une vision à long terme. ■ Propos recueillis par Olfa Belhassine

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Dossier spécial Smart City

Interview : Carlos Moreno « La technologie devrait être au service de la qualité de vie urbaine »

Professeur des universités en France, Carlos Moreno est expert international sur le sujet de la « Smart City ». Il est considéré comme l’un des précurseurs du concept de ville du futur. Carlos Moreno a pris part à la deuxième édition de « Bizerte Smart City ». Il a développé au cours de sa conférence le concept de l’« ubiquité urbaine ». Et celui de la « ville heureuse », sur lequel il travaille avec le chercheur Boyd Cohen et où la qualité de vie des individus, le vivre ensemble, l’inclusion sociale, l’épanouissement culturel et le principe de l’identité urbaine priment sur les solutions technologiques.

Vous affirmez lors de votre conférence que la nouvelle culture urbaine est liée à l’ubiquité et au phénomène « transmédia ». De quoi s’agit-il ? Le XXIème siècle a une double caractéristique. Il est fondamentalement un siècle urbain, l’habitat est aujourd’hui concentré majoritairement dans les villes qu’elles soient grandes ou petites. Plus de la moitié des habitants de la planète vivent dans les villes et les métropoles : un phénomène irréversible. D’autre part depuis la naissance d’Internet dans les années 2000 puis l’évolution qui a donné l’Internet des objets par la suite, d’une manière globale on est arrivé dans un siècle dans lequel l’ubiquité est omniprésente. Or pour toutes les personnes qui habitent dans le monde urbain, quelle que soit le continent ou la taille de leur ville et quelque soit leur origine sociale, les croisements du phénomène urbain avec l’ubiquitaire génère des citadins hyper connectés. Cette hyper connectivité s’est traduite par des usages. Le plus massif concernant les smart phones est orienté autour des réseaux sociaux et d’une manière plus particulière autour des communications instantanées. Cela a créé ce que j’appelle « un phénomène transmédia urbain », c'est-à-dire la nouvelle génération, celle du nouveau millenium, qui est née urbaine et peut mourir urbaine, est aujourd’hui totalement imprégnée et happée par l’usage de l’ubiquité de manière totalement quotidienne. C’est une mutation culturelle produite par la massivité du numérique. On ne peut pas imaginer la nouvelle génération sans ce qui est devenu une prothèse pour elle, à savoir son mobile. Cet usage intensif des smart phones génère une mase d’informations planétaires et qui arrive sur le téléphone de chacun. Si vous comparez deux téléphones portables, les applications peuvent être différentes, mais on remarque qu’il y a peu de choses qui peuvent se produire quelque part sans que les gens n’en soient pas au courant : les mariages princiers, les divorces du dernier rappeur, les tweet les plus outrageux du Président Trump, les résultats des grands matchs de foot… Ce constat que je fais m’amène à proposer le concept de « transmédia » qui s’est développé ces dernières années. Il croise la culture urbaine et bouscule l’idée de l’appartenance à l'État nation que nous avons maintenue jusqu’au XXème siècle. Cette culture génère de nouvelles valeurs mais aussi de nouvelles appréhensions.

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Ainsi deux types de comportement s’affrontent, ceux portés par une génération habituée au brassage identitaire et de l’autre côté, des réactions populistes, réactionnaires, voire xénophobes, genre « la France d’abord » ou « l’Amérique d’abord ». Cette dernière vision entre en contradiction avec l’évolution « transmédia » urbaine, qui joue sur l’ouverture du monde et se fonde sur la diversité et la spontanéité des communications des réseaux. Le phénomène ubiquitaire, associé au phénomène urbain, amène une nouvelle dimension : certaines villes du Sud n’ont plus à envier d’autres villes du Nord. Cela change aussi le rapport entre gouvernants et gouvernés. Les règles du jeu de la vie urbaine ont changé. Qu’est-ce que le concept de « la ville heureuse » que vous avez développé avec Boyd Cohen ? Et comment passer d’une « Smart City » à une « Happy City » ? On a pu constater que l’idée de la « Smart City » a été portée par des intérêts technico économiques voulant transformer la ville à partir des capteurs, algorithmes et diverses applications pour résoudre les problèmes urbains, en vérité d’une très grande complexité. Puisque la problématique urbaine consiste avant tout à savoir comment des hommes et des femmes vivant dans un territoire peuvent satisfaire des besoins primaires (se loger, travailler, se nourrir, se soigner) et également avoir des loisirs, s’occuper des enfants et des seigneurs et tisser des liens de qualité avec l’environnement. La technologie ne peut pas apporter toutes les réponses sur comment développer la qualité de vie dans des villes quelle que soit leur taille. Le transport par exemple plus que d’être corrélé à la problématique des bouchons devrait poser d’autres questions : pourquoi on se déplace ? Pourquoi on utilise des véhicules privés, parfois de très grosses voitures pour aller dans un mall à trois quarts d’heure de chez-soi pour faire ses courses ? Pourquoi je dois passer une heure de trajet entre ma maison et mon lieu de travail ? Pourquoi est-on obligé de traverser toute l’agglomération pour ramener ses enfants à l’école ? Si on adopte uniquement des solutions technologiques pour répondre à des problèmes relatifs à la mobilité et à d’autres besoins encore, on va à mon avis, tout droit dans le mur.


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