© MÖVENPICK
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SPA, THALASSO ET
STATION
THERMALE
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SOMMAIRE Archibat N°39
Revue maghrébine d'aménagement de l'espace et de la construction
Éditorial
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Opinion libre l’innovation dans le bâtiment un moteur socioéconomique et pédagogique 10
Actualités Nouveau siège pour "beity" ancien édifice, vie nouvelle Politiques de valorisation du patrimoine dans les pays de la francophonie
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Exposition L'éveil d'une nation - L'art à l'aube de la Tunisie moderne (1837 - 1881)
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patrimoine Le Palais de Ksar Saïd - un musée ne voyant pas le jour…
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Réalisation Le siège de la CAPRA - une élégante sobriété
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News internationales Les lauréats du prix Aga Khan pour l'architecture 2016 COP22 - la promesse d’un avenir meilleur Le MAAT de Lisbonne - un musée futuriste à Amman, l’hotel Rotana dans la tour la plus haute de la ville
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SOMMAIRE SPA, Thalasso et station Thermale Spa, thalasso et station thermale - Tendance Rencontre avec M. Rzig Oueslati - PDG de l’ONTH Hydrothérapie - Le spa conquérant état des lieux et grands chantiers de la thermothérapie Les Thermes dans le monde antique et… à Carthage Royal Elyssa Thalasso et Spa Radisson Royal et Intercontinental Spas par Draw Link Group Le Spa Kallisti Mövenpick Gammarth Spas Luxe, calme et volupté
43 44 48 50 52 56 62 66 70
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(Villa Didon/La Badira/La villa Bleue/Dar El Marsa/Radisson Djerba)
PUBLI-RÉDACTIONNEL La société STRUCTURA - Innovation et performance
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DIPLÔME Reconvertion du palais d’Ahmed Bey à La Marsa
URBANISME
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Les chartes de ville
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CONCOURS
Une nouvelle Maison de la Tunisie à la Cite Internationale Universitaire 84 de Paris
Jeunes architectes Aurélia Bouyssonie - l’architecture dans toutes ses dimensions
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Maison 100
DAR par atelierFL
ART 70 artistes d’Al Maken à la conquête du bassin minier
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LIVRES & LIVRAISONS
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ARCHIBAT
Revue maghrébine à parution semestrielle, publiée par : ABC Architecture Bâtiment et Communcation, S A 19 Rue Abou Bakr Bekri, Imm. Luxor I, Br. M/2 Montplaisir 1073 Tunis Tél. : 216 71 904 467 71 907 952 Fax : 216 71 902 485 E-mail : contact@archibat.com.tn
www.archibat.tn Directrice de publication Amel SOUISSI TALBI Conseillère de la rédaction Alia BEN AYED
Ont collaboré à ce numéro : Alia BEN AYED Dorra ISMAIL DELLAGI Faika BEJAOUI Emna TOUITI Denis LESAGE Mohamed Khaled HIZEM Nour El Houda MNAKBI Tahar AYACHI Leila LAJIMI SEBAI Meryem ATHIMINI Henda GAFSI Aurélia BOUYSSONIE Feriel LEJRI Ahmed ZAOUCHE Membres fondateurs Leïla AMMAR Ali DJERBI Amel SOUISSI TALBI Achraf BAHRI MEDDEB Morched CHABBI Denis LESAGE Publicité Zouhaira TALBI REBAI Infographie et site web Mouna MATTOUSSI TRABELSI Abonnement Lobna MCHIRGUI BELHAJ Les articles publiés dans cette revue, et les idées qui peuvent s’y exprimer n’engagent que la responsabilité de leurs auteurs. Tous droits de reproduction, réservés pour tous pays. Les textes et photos reçus et leurs envois impliquent l’accord de l’auteur pour leur libre publication. Impression : SIMPACT VISA N° 2796 Autre publication de ABC : Rejoignez nous sur :
Archibattunisie
ÉDITORIAL À la Une d’Archibat l’exposition « L’éveil d’une nation - L'art à l'aube de la Tunisie moderne (1837-1881) », organisée par la fondation Rambourg au palais Ksar Saïd enfin ouvert au public pour l’occasion. Cet événement exceptionnel a marqué la rentrée culturelle à Tunis. La Tunisie se classe à la deuxième place, au niveau mondial, pour le tourisme thermal et l’hydrothérapie, après la France. Il faut dire que notre pays a une longue histoire dans le domaine, cette histoire remonte à l’antiquité romaine, en témoignent les fameux thermes d’Antonin à Carthage. Le thermalisme va connaître en Tunisie un engouement exceptionnel dès le tout début du XXe siècle, avec Korbous, puis, dans les années 70, à Jebel Oust et à Hammam Bourguiba. Selon l’Office National du Thermalisme et de l’Hydrothérapie (ONTH), la Tunisie est dotée d’une cinquantaine de sources chaudes reconnues comme ayant la composition chimique nécessaire leur permettant d'être exploitées pour des cures thermales répondant à différentes thérapies. Deux pour cent seulement de ces richesses ont été mises à profit à des fins thérapeutiques dans un cadre médicalisé selon les procédés et les normes modernes. C’est dire le potentiel et les énormes perspectives d’évolution et de modernisation du secteur. à l’occasion de la conférence de Tunis sur l’investissement : Tunisia 2020, des projets prometteurs de développement de nouvelles villes d’eau ont suscité l’intérêt d’investisseurs potentiels dans le cadre d’un partenariat PPP ( voir interview de M. Rzig Oueslati - PDG de l’ONTH page 44). La thalassothérapie fait son apparition dans les années 80 dans les hôtels balnéaires qui ont tiré profit de l’exploitation des eaux de mer aux vertus si bénéfiques, grâce à l’implication de promoteurs privés, dont la chaîne Hasdrubal, qui ont parié sur le haut de gamme et contribué à la réputation de l’hydrothérapie tunisienne. En 2015, on recensait 340 spas dont 288 installés dans des unités hôtelières et 52 classés « urbains » qui combinent spas et instituts de beauté. à l’instar des autres domaines d’activité, l’hydrothérapie a été affaiblie par la crise économique conjoncturelle, cependant les spas de qualité continuent à attirer une clientèle de fidèles habitués. Nous revenons dans notre dossier sur un certain nombre de réalisations de spas ou centres thalasso emblématiques, faisons un état des lieux des grands projets futurs de la thermothérapie et présentons les dernières tendances dans le monde. Synonyme de luxe, calme et volupté, l’harmonie entre architecture et décor des spas est un élément essentiel dans la création de ces lieux à part, qui invitent à la relaxation et la rêverie. Nous consacrons, notre rubrique « Concours » au "Pavillon Habib Bourguiba" second pavillon tunisien de la Cité Internationale de Paris qui permettra à la Maison de Tunisie de doubler sa capacité d’accueil. Les jeunes architectes sont décidément à l’honneur dans ce numéro, avec une réalisation de l’AtelierFL, Dar à Ras El Jebel. Aurelia Bouyssonie anime notre rubrique « Jeunes architectes ». Elle nous fait part de son univers de conception, elle, pour qui le but ultime de l’architecture serait de « sublimer le quotidien, de créer de l’émotion ». Amel Souissi Talbi
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Archibat 39 / 11 - 2016
L’innovation dans le bâtiment un moteur socioéconomique et pédagogique
Par Dorra Ismaïl Dellagi, architecte, Maître de Conférences à l’ENAU - Université de Carthage
OPINION LIBRE
La première édition du Concours National de l’Invention 2016 est un événement important en Tunisie puisqu’il est organisé, conjointement par l’Agence de Promotion de l’Industrie et de l’Innovation (APII), l’Institut National de la Normalisation et de la Propriété Industrielle (INNORPI), le Ministère de l’Industrie, le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique, l’Association Tunisienne des Inventeurs (ATI), l’Union Tunisienne de l‘Industrie, du Commerce et de l‘Artisanat (UTICA) et l’Agence Coréenne de Coopération Internationale (KOICA).
C’est donc une première en Tunisie où plusieurs structures se sont mises en réseaux afin d’encourager l’invention, l’innovation et l’esprit d’entreprenariat et de développement technologique. Ce concours est un événement qui vise à encourager les Inventeurs et Chercheurs, Entreprises, Etablissements universitaires, Centres techniques, Centres de Formation Professionnelle, Laboratoires ou Unités de recherche, publics ou privés, les associations, les organismes et instituts privés et d’Etat, à présenter et valoriser leurs inventions à un large public et à s'inscrire dans des démarches d’industrialisation de leurs inventions, de mise en valeur des brevets et de leur exploitation par l’intermédiaire de partenariats. Par extension cela favorise l’esprit d’invention et de compétitivité technique et industrielle, principal moteur de développement socioéconomique de tout pays en émergence. Cette culture d’invention, puis d’innovation et enfin d’entreprenariat est un moyen pédagogique pour rendre nos universités et nos centres de recherches compétitifs et productifs de savoir et de savoir-faire à la fois. Les conférences des diverses représentations de ces institutions (APII, INNORPI, ATI) lors de la journée du 21 septembre 2016 à la cité des sciences, furent très enrichissantes et instructives pour le public d'inventeurs. La thématique du concours 2016 est « le transfert technologique ». Parmi les interventions figurent celles relatives aux brevets (différenciation entre innovation, inventivité et application industrielle) et les différents aspects techniques y afférant mais également la nature même de ce qui est communément dit invention et le passage d’une invention vers l’innovation et enfin l’industrialisation et la confrontation du produit innovant au marché. Un processus long et difficile, mais qui, semble-til, repose sur du bon sens et une formule à trois niveaux : Pains – Gains – Time. « La valorisation est donc une passerelle entre la recherche et le secteur socio-économique. La valeur d’un produit doit être perçue par le client "potentiel" comme un "GAIN" face aux sacrifices qu’il endure (exemples : passage du CD-rom vers la clé-usb, la machine à laver, l’aspirateur, etc.) » Selon Monsieur Kamel Ben Ameur expert en stratégie d’innovation industrielle. Aussi, l’exemple de la Corée du Sud a été présenté. Un pays qui, dans les années 60, était classé parmi les Etats les plus pauvres, se positionne aujourd’hui 15ème puissance économique, et ce grâce, à l’innovation et la production technologique. L’université et notamment les disciplines professionnelles comme l’architecture et l’ingénierie, doivent pouvoir inscrire dans leurs
contenus de formations cet enjeu winwin et l’esprit entrepreneurial chez les jeunes étudiants pour les libérer du schéma classique de l’architecte ou ingénieur prestataire de plans et de dessins techniques. L’architecte peut également inventer des pièces, des matériaux innovants (exemple « le plancher léger intégral composé de matériaux préfabriqués » fruit de l’inventeur architecte Moncef Souissi primé en 2006). L’architecte de renommée internationale Norman Foster s’est enrichi et a atteint une notoriété à travers ses brevets et ses gains sur les pièces technologiques qu’il a inventés pour les projets qu’il a réalisés. De même que Google Book (1990) est l’heureux résultat d’une success story de chercheurs tunisiens (Lotfi Belkhir Docteur en Physique, Makram Mestiri et Associés). La remise des prix aux lauréats s’est déroulée les journées 9 et 10 novembre 2016. Le 1er prix a été attribué à Sami Guetari pour son projet relatif à la production de compléments alimentaires riches en oméga 3 à partir de déchets de thon. Le 2ème prix a été attribué à Ghassen Ferchichi pour sa fabrication d’une semelle intelligente connectée à une application mobile permettant aux diabétiques souffrant d’ulcération du pied d’éviter une aggravation. Le 3ème prix a été attribué à Anis Sahbani pour la production de robots mobiles de sécurité des espaces. Ce qui est regrettable c’est le peu (quasi absence) de recherches dans le domaine des matériaux de construction ou des interfaces de dessin et de conception (logiciels paramétriques) en Tunisie. Pour pallier à ce manque, notre système d’enseignement et de recherche doit nécessairement se réformer et s’inscrire dans de nouvelles dynamiques et de nouveaux paradigmes pédagogiques où la créativité, l’esprit de management et d’entreprenariat (le win-win anglo-saxon) sont au centre des structures et des raisonnements pédagogiques et didactiques, notamment, dans les domaines à formation professionnelle comme l’architecture, l’urbanisme, l’aménagement du territoire et l’ingénierie. L’enseignement et l’éducation vivent aujourd’hui une crise à l’image du monde qui bouge à une vitesse frénétique, où les repères et les fondements s’estompent face à l’emprise du matériel. Paradoxalement, cette mainmise du matériel, par le biais du marché libéral, nous fait prendre conscience de l’importance cruciale de l’éducation et de la faculté à produire des systèmes d’enseignements susceptibles de développer des penseurs, des citoyen(ne)s autonomes, capables de renouveau et d’innovation. D’où le rôle fondamental de l’éducation et donc de l’enseignement qui en est un des biais essentiels. Avant de former des architectes, nous devons réapprendre à former des citoyen(ne)s conscient(e)s de leur rôle dans la société.
Schéma présenté par M. Kamel Ben Ameur
Pour ce faire, l’enseignement doit prendre ancrage sur le réel et embrayer ses mécanismes de résistances et d’intégrations par rapport à cette complexité (Morin, 1999) du monde dans lequel son épistémologie prend sens (Ismaïl, 2009 et 2012)2. L’enseignement de l’architecture ne peut échapper à cette prise de conscience et d’ancrage par rapport à un réel, en renouvellement perpétuel (TIC-BIM, l’innovation industrielle, la question bioclimatique et énergétique, l’impression 3D, la maquette numérique,etc.). Aussi, face à la crise énergétique (l’augmentation des prix de l’électricité et du gaz dans la nouvelle loi de finances 2017 en est un des signes les plus remarquables), mais également face aux nouvelles logiques de temps et de références, de nouveaux questionnements s’imposent à nous en tant qu’architectes, enseignants, chercheurs, citoyens tunisiens : Premier niveau de questionnement Peut-on aujourd’hui continuer à enseigner l’architecture et la conception architecturale et urbaine en faisant fi des principes durables, des diagrammes solaires, de la valeur hygrothermique et énergétique des matériaux, des nouvelles interfaces (le BIM et le paramétrique) qui prennent en compte les données physiques, phoniques et structurelles des systèmes constructifs ? Sachant que l’approche durable redéfinit les modes de représentations et d’opérativités du process où la coupe (architecturale et urbaine soit le skyline) devient un élément fondamental dès les premiers instants de la conception et non pas un élément de représentation à postériori. La coupe fait prendre conscience des poussées du vent, de l’inertie de l’enveloppe, de la transmission calorifique et thermique des parois horizontales et verticales, de l’impact de la course solaire sur le bâti et de la manière de sculpter les ouvertures (baies). Une baie ne devient plus un simple trou dans un mur, mais un « dispositif »3 architectural et physique qui permet une visibilité et une qualité spatiale, mais également un apport de lumière et un gain thermique s'il est bien conçu et isolé…..Le process devient une « pensée » fractale où chaque élément fait partie d’un tout (spatial, esthétique, économique, thermodynamique, hygrothermique, économique,…) et chaque changement dans un élément impacte le changement du tout. Le paramétrique et la méthodologie BIM sont des supports voire des outils inévitables pour faire de ce nouveau process conceptuel une approche intégrée, et globale, tant au niveau pédagogique que professionnel.
BIM : l’interface systémique que permet la méthodologie du process conceptuel BIM où tous les paramètres de conception sont interconnectés et inter-reliés et tout changement d’un élément entraîne la mise à jour des autres paramètres. Source : www.block.arch.ethz.ch
Deuxième niveau de questionnement Peut-on continuer à enseigner le process du projet sans prise en compte de la méthodologie BIM (Building Information Modeling) qui permet un gain de temps considérable et nous inscrit dans notre ère planétaire qui impose d’intégrer la pensée complexe et systémique ? Michel Serres parle de petite poucette4 et de génération mutante en évoquant les enfants, les élèves, les étudiants. Une génération qu’on ne peut plus flouer et la survie de l’homme-femme-citoyen enseignant(e) dépend de sa capacité à s’adapter, à se rénover et à intégrer ce nouveau paradigme du changement tant philosophique, politique, citoyen, que technologique et humain tout simplement. Peut-on aujourd’hui continuer à croire et faire croire aux étudiants-architectes que seuls le système constructif poteau-poutre, le matériau ciment, l’approche de l’objet-bâtiment par le formalisme et la prétention de l’image 3D (enjeu des concours d’architecture aujourd’hui), située partout et nulle part, persistent comme systèmes d’enseignement de l’architecture via le projet ? Peut-on continuer à feindre de ne pas savoir que l’architecture est un système complexe et qu’il ne peut être appréhendable autrement que par cette approche systémique où le bilan énergétique, le bilan thermique, les composants physiques des matériaux, la superposition des tâches, le calcul des quantitatifs en temps réel, la gestion de l’avant chantier, le calcul prévisionnel, le diagramme solaire, le taux d’ensoleillement et son rapport à l’optimisation des systèmes de chauffages et de climatisation, la gestion des modifications,…doivent pouvoir être pensés et paramétrés d’une manière simultanée ? Pour que nos institutions, nos universités et notre profession deviennent réellement professionnelles, compétitives et productrices d’architectes citoyens, penseurs, créatifs, etc., il est temps que les principaux canaux de formation (l’ENAU notre école nationale d’architecture et d’urbanisme et les écoles privées) soient eux-mêmes un fief de formateurs, innovants, créatifs, professionnels de la pédagogie, inscrits dans ce renouveau et dans leur ère planétaire et non pas en dehors du temps. De même, le recrutement de ces formateurs doit se faire sur la base de ces nouveaux enjeux géostratégiques auxquels la profession fait face. Architectes, ingénieurs, étudiant(e)s, tunisien(ne)s de toute activité socio-économique et professionnelle : à vos inventions ! ■
Coupe schématique mettant en avant une approche du process conceptuel prenant en compte plusieurs paramètres. (travail de l'étudiante Khouloud Lamouchi en 4ème année architecture Enau - Atelier de Dorra Ismail)
1- Win-Win, en anglais : gagnant – gagnant. ; 2 - Cf. Texte de Dorra Ismaïl : « quelques propositions pour une réforme de l’enseignement à l’ENAU ». Mars 2014. ; 3.- Voir à ce propos ISMAIL, Dorra, Incompressible 0.0 : réflexions sur l’enseignement en architecture, Beit-al-Hikma, Carthage, 2016, 343.p. ; 4 - SERRES Michel, Petite Poucette, édition Le Pommier, 2012. Archibat 39 / 11 - 2016
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actualités
Nouveau siège pour "beity" ANCIEN éDIFICE, VIE NOUVELLE © ASM
"Beity" une maison de halte pour femmes errantes et sans domicile fixe est un projet intégré, de proximité sociale dans la Médina de Tunis. Il vise tout à la fois la réhabilitation d’un bâti historique désaffecté et menaçant ruine, mais aussi le relèvement social d'une catégorie défavorisée de personnes : les personnes errantes et sans domicile (les femmes âgées en priorité).
L’école Mousmar El Kassaâ (le lieu a été affecté par le ministère des affaires sociales à l'association "Beity"1 le 4 juillet 2012) fut choisie pour être reconvertie en maison de halte, en effet ce bâtiment faisant partie d’un ensemble de deux écoles, l’une destinée aux filles et l’autre aux garçons ; elle est située dans la partie basse de la Médina, non loin de Bâb B’har. Les deux écoles furent abandonnées depuis plus d’une vingtaine d’années. La première école fut réhabilitée au profit de l’Association Tunisienne pour l’Aide aux sourds. L’espace Mousmar El Kassaâ accueillera sans condition et pour une période déterminée (modulable en fonction des situations concrètes) les femmes sans domicile ou en grandes difficultés de logement. Il assurera sous la supervision d’un comité de pilotage et d’équipes professionnelles et de bénévoles, les activités d’accueil, d’orientation, d’hébergement, de soins de santé de base, d’accompagnement social, d’écoute psychologique, d’information et de formation, de renforcement des capacités économiques et sociales, d’accompagnement en dispositif d’insertion par l’emploi et le relogement. l'Association de la Sauvegarde de la Médina (ASM) a assuré les études et travaux du projet. Le parti architectural retenu pour la réhabilitation/ reconversion de l’école était de donner une nouvelle vie à ce bâtiment délaissé en lui affectant une nouvelle fonction qui tient compte à la fois, 12 Archibat 39 / 11 - 2016
des enjeux de la conservation et de la vie contemporaine. Le but est d’intégrer l’édifice dans son ambiance urbaine, sociale et économique en adaptant sa morphologie et sa typologie aux besoins de la nouvelle activité. Le rez-de-chaussée est destiné à abriter les espaces consacrés aux activités communes (salle polyvalente, salle multimédia, espace enfant, cuisine et réfectoire), à l’administration et aux services collectifs (espace écoute et infirmerie). Quatre pièces individuelles sont aménagées au fond de la parcelle dans l’espace jardin. L’étage est aménagé en chambres doubles et triples. Chaque chambre jouit d’une salle d’eau. Au total 12 chambres ont été aménagées dans les anciennes salles de classe avec une capacité d’accueil de 30 lits. Etant donné l’opportunité offerte par la superficie de la cour de l’école, il a été proposé de créer un espace destiné à des activités polyvalentes et de multimédia s’intégrant dans le cadre ancien. La cour couverte en partie par une structure en toile, est aménagée en espace découvert pouvant recueillir des activités multiples (réunions, spectacles, etc.) ■ Faïka Bejaoui, architecte - urbaniste 1 - L’association "Beity", présidée par la professeur de droit Sana Ben Achour, a pour objectif, la lutte contre la vulnérabilité économique et sociale des femmes, afin d’essayer de proposer une solution d’urgence et provisoire à leur errance.
actualités politiques de valorisation du patrimoine dans les pays de la francophonie Dans le droit fil de la Déclaration de Dakar concernant la mise en valeur des paysages urbains historiques, en ce mois d’octobre à Tunis, s’est tenue la conférence internationale « Villes en développement : politique de valorisation et Journées du Patrimoine dans l’espace francophone ». Sous l’égide de l’Association Internationale des Maires Francophones, l’Institut du Patrimoine Wallon, Wallonie-Bruxelles, le Ministère des Affaires Culturelles, la Ville de Tunis, l’Institut National du Patrimoine, l’ASM de Tunis, L’UNESCO et l’ICOMOS, cette conférence a mis l’accent sur la nécessité de la mise en place d’un réseau opérationnel interdisciplinaire international francophone.
L’
Hôtel de ville de Tunis a abrité du 24 au 25 octobre 2016 la conférence internationale « Villes en développement : politique de valorisation et Journées du Patrimoine dans l’espace francophone ».
Cette conférence s’inscrit dans la suite de la Déclaration de la conférence « Villes en développement : politiques de restauration et de valorisation des paysages urbains historiques en Afrique et dans l'espace francophone - Enjeux d'un réseau francophone du patrimoine, de l'architecture et de l'urbanisme » tenue à Dakar en juillet 2014, en préparation du XVème sommet de la Francophonie. La Déclaration de Dakar a recommandé le développement de « Journées du Patrimoine » s’appuyant sur la société civile, les associations locales et les écoles pour la sensibilisation des jeunes comme un des moyens à utiliser pour une politique de valorisation du patrimoine urbain. Aussi, l’importance de la mise en œuvre d’un réseau francophone transversal de protection du patrimoine a été soulignée par les participants. La conférence de Tunis a porté sur les politiques de valorisation du patrimoine qui se traduisent par l’organisation de différentes formules de mobilisation et de sensibilisation des populations, que ce soit sous la forme de « Journées du patrimoine » ou toutes autres formes d’organisation ou de rencontres périodiques à travers l’espace francophone. La conférence de Tunis permettra aux praticiens et acteurs-clés du patrimoine de se retrouver et de partager leurs expertises et expériences. Depuis des décennies, l’importance du rôle des collectivités locales en matière de protection du patrimoine culturel est reconnue au sein des instances internationales et étatiques. L’AIMF, conformément à sa programmation stratégique 2015/2017, mène une activité soutenue et reconnue pour appuyer les villes dans leur politique patrimoniale. D’ailleurs la prise en charge du patrimoine par les collectivités locales
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fait en effet partie intégrante de la gestion des villes francophones dont le développement urbain accru est un défi majeur pour les prochaines décennies. L’initiative de ces rencontres est proposée pour soutenir et encourager les pouvoirs nationaux et locaux, les citoyens, la société civile, les communautés locales dans leurs activités en matière de valorisation du patrimoine et des paysages urbains historiques. La conférence de Tunis organisée sur la protection et la valorisation du patrimoine culturel dans la perspective d’un aménagement durable, équitable et créatif des espaces urbains, a développé les thématiques faisant référence aux conventions et recommandations de l’UNESCO et aux chartes de l’ICOMOS à savoir : Convention concernant la protection du patrimoine mondial culturel et naturel (Convention patrimoine mondial) Unesco, Paris 16 novembre 1972 ; recommandation concernant la protection sur le plan national du patrimoine culturel et naturel (Unesco, Paris 16 novembre 1972) ; Recommandation concernant la sauvegarde des ensembles historiques et traditionnels et leur rôle dans la vie contemporaine (Unesco, Nairobi 26 novembre 1976) ; charte pour la sauvegarde des villes historiques, ICOMOS Washington 1989 ; convention pour la sauvegarde du patrimoine immatériel (Unesco 2003) ; recommandation concernant les paysages urbains historiques (Unesco, Paris 201). Réunissant une centaine d’experts et de représentants des collectivités locales venus du Maroc, de l’Algérie, de la Libye, de la Mauritanie, du Sénégal, de Burkina Faso, d’Egypte, du Liban, du Vietnam, des Iles Comores, du Congo, de la France, de la Belgique, la conférence a porté sur les politiques de valorisation du patrimoine qui se traduisent par l’organisation de différentes formules de mobilisation et de sensibilisation des populations (Journées ou mois du patrimoine, festivals de musique, de lumière, etc.) à travers l’espace francophone. Elle a permis aux praticiens et aux acteurs-clefs de se retrouver, de partager et d’échanger leurs expériences et leurs expertises.
Organisée par l’Association Internationale des Maires Francophones, l’Institut du Patrimoine Wallon, Wallonie-Bruxelles, le Ministère des Affaires Culturelles, la Ville de Tunis, l’Institut National du Patrimoine, l’ASM de Tunis, L’UNESCO et l’ICOMOS, cette conférence a compris : une session plénière introductive des sujets abordés en ateliers, quatre ateliers thématiques de deux demi-journées avec formulation de recommandations issues des débats et travaux et une session plénière transversale de clôture, de validation de recommandations et d’adoption de la Déclaration de la conférence de Tunis. La conférence a été précédée par des visites organisées dans le centre ancien de de Tunis (la Médina et la ville du XIX-XXème siècles) et à Carthage-Sidi Bou Saïd. La séance plénière a introduit les thématiques à développer en ateliers par trois conférences : - « Connaitre et faire connaitre le patrimoine urbain : exemple de la ville de Bordeaux ». - « Quelles pratiques innovantes pour une gestion valorisante et intégrée du patrimoine des Médinas en Tunisie ? » - « Rôle de la culture dans la mise en œuvre du "Nouvel agenda urbain" et du Programme de développement durable à l’horizon 2030 ». Les thèmes débattus en ateliers se sont penchés sur les questions concernant : - « La diversité des expériences en Francophonie et à l’international». - « Les pouvoirs publics et citoyens. Sensibilisation et mobilisation de la jeunesse ». - « Les nouvelles technologies et moyens de communication ». - « La mise en place et le rôle d’un réseau opérationnel interdisciplinaire international francophone ». Les recommandations issues des quatre ateliers insistent sur l’importance de la mise en place d’un secrétariat permanent des acteurs du patrimoine des pays francophones qui sera chargé essentiellement de la mise en œuvre d’un réseau opérationnel interdisciplinaire international francophone. Ce secrétariat pourrait être composé de l’Institut du Patrimoine wallon, l’association Casamémoire, ICOMOS (CIVVIH), l’Association Internationale des Maires Francophones (AIMF), la Direction du Patrimoine Culturel du Sénégal, l’Association de Sauvegarde de la Médina de Tunis et de tout autre organisme souhaitant s’impliquer activement. Complémentairement à la mise en place de ce secrétariat permanent permettant au réseau d’acteurs du patrimoine des pays francophones de devenir opérationnel, le Maire de Tunis a annoncé la création du réseau des Villes Maghrébines et ce, suite aux travaux entamés au sein de l’atelier dédié aux réseaux et à la réunion avec les représentants des villes concernées qu’il a présidée. ■ Faïka Bejaoui, architecte - urbaniste
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Exposition
l'éveil d'une nation
l'art à l'aube de la tunisie moderne (1837 - 1881) Du 27 novembre 2016 au 27 février 2017 Depuis le 27 novembre, l’exposition L’éveil d’une nation a attiré plusieurs milliers de visiteurs au Palais Qsar Es-Saïd. La Fondation Rambourg, et à sa tête sa présidente Olfa Terras Rambourg, a œuvré durant tout une année afin de rendre cela possible. Il s’agit du premier partenariat public/privé de cette importance en Tunisie. La Fondation a fait appel aux meilleurs restaurateurs d’art du monde et a permis grâce à sa générosité de faire sortir de l’ombre tout un pan artistique de notre histoire. Le partenaire public de cette aventure, l’Institut National du Patrimoine, a mis à la disposition de la Fondation, le lieu, le Palais Qsar Es-Saïd tout d’abord, un palais beylical laissé dans son état faute de moyens et surtout la magnifique Collection Nationale d’œuvres d’art. Ce partenariat, au-delà du soin apporté aux œuvres exposées, a permis de former une équipe de restaurateurs de l’INP aux nouvelles techniques. Près de trois cents œuvres et objets d’archive, dont les textes fondateurs de l’Etat tunisien, sont présentés. Ces documents, présentés suivant un parcours chronologique, témoignent des bouleversements historiques qui ont marqué la Tunisie à cette époque. Cette exposition, outre un fort succès populaire qui commence à s’esquisser, va permettre grâce aux sommes collectées d’amorcer le projet de restauration du Palais Qsar Es-Saïd lui-même. Nous avons rencontré deux personnages clé dans ce projet, Ridha Moumni, historien de l’art et commissaire scientifique de l’exposition, et Memia Taktak, scénographe de l’exposition. Entretien mené par Emna Touiti - photos : Fondation Rambourg
Rencontre avec ridha moumni, commissaire scientifique de l'exposition Quel message voulez-vous faire passer avec cette exposition ? On souhaiterait à travers cette exposition que les gens découvrent un patrimoine oublié depuis quelques années, et à travers ce patrimoine qu’ils puissent redécouvrir une période très importante de leur histoire et de leur identité.
Quel a été votre plus grand challenge ?
Ridha Moumni est docteur en Art et Archéologie de l’Université Paris IV Sorbonne. Il a été pensionnaire de l’Académie de France à Rome, la prestigieuse Villa Médicis. Il y initie son travail sur le collectionnisme des élites tunisiennes à l’époque moderne. Il a été lauréat du Prix Marc de Montalembert attribué par l’Institut d’Histoire de l’Art de Paris en 2012. Depuis, il s’est installé à Tunis où il s’intéresse à la peinture contemporaine. Il est chercheur associé à l’Institut de Recherche sur le Maghreb Contemporain (IRMC) et travaille sur les interactions entre l’Europe et l’Afrique du Nord dans le domaine des Arts et de la construction des savoirs. 16 Archibat 39 / 11 - 2016
Il y en a eu plusieurs. Le plus gros challenge a été déjà d’obtenir la convention avec l’Institut National du Patrimoine (INP), notre partenaire, c’était une tâche difficile. Ensuite, le deuxième challenge a été de rassembler un corpus d’œuvres pertinent. Malgré les conditions dans lesquelles on a effectué ce travail, on a pu établir une liste cohérente et assez complète de tous les objets qu’on souhaitait exposer. Les autres paris ont été de pouvoir mener tout un programme scientifique, un
programme de restauration autour de cette exposition, en un temps limité puisqu’on a obtenu la convention de l’INP en janvier dernier et que nous avons inauguré une exposition assez importante avec près de 200 œuvres au mois de novembre. Ce qui est en soi un très gros challenge.
D’où proviennent les œuvres que nous pouvons admirer à partir du 27 novembre au Palais Qsar Es-saïd ? La plupart des œuvres que nous présentons proviennent des collections de l’INP, du Musée National du Bardo, des Archives Nationales de la Tunisie, de la Bibliothèque Nationale de Tunisie, du Musée Lella Hadria à Djerba, du Musée National Militaire du Palais de la Rose, de la Bibliothèque de l’Alcazar à Marseille, ainsi que de collections privées. La plupart des œuvres que nous présentons n’ont pas été exposées auparavant et ce corpus est constitué de nombreux inédits.
Patio du palais Qsar Es-Saïd © Fondation Rambourg Tunisie.
Les collections nationales sont la plupart du temps sousvalorisées, stockées et non exposées, comment avez vous réussi à monter cette expositions ? Le but de ce projet était de faire connaître au plus grand nombre des collections nationales qui n’étaient pas exposées et de démocratiser l’accès à ce patrimoine en organisant un programme de restauration, de valorisation, et d’étude scientifique. Le programme de restauration a duré plusieurs mois. Nous avons fait appel aux meilleurs spécialistes dans chacun des domaines. Nous avons fait appel à des restaurateurs en peinture qui sont venus de France et d’Italie, à un maître tapissier pour restaurer les trônes, qui lui vient de France. Nous avons établi un programme scientifique très cohérent pour donner des gages à l’INP et au Ministère des Affaires Culturelles du sérieux et de la qualité de notre projet. C’est le premier partenariat public/privé, donc forcément les réflexes ont été difficiles à mettre en place, mais nous sommes très heureux des résultats.
Vous êtes historien de l’art, quels ont été les critères de sélection des œuvres exposées ? D’une part mon souhait était de rendre accessible cette collection d’un point de vue intellectuel. Le choix des œuvres était motivé d’une part par leur importance historique, puisque c’est une exposition d’art et d’histoire. Le message historique qu’ils contiennent, puisque tout œuvre d’art contient un message historique ou politique. D’autre part, se posait la question de la qualité artistique. Nous traitons d’une période où la Tunisie s’ouvre à l’influence de l’art européen, alors que coexistait un art local très intéressant. L’important était de témoigner de la manière la plus objective possible de la période, à travers les collections d’une élite politique, financière et intellectuelle, mais aussi d’objets d’art local qualifiés de « traditionnels ». Il s’agissait de reconstituer cette période des réformes à travers les œuvres d’art les plus pertinentes, celles qui pouvaient le plus symboliser cette période de l’histoire.
Selon vous, quel sera l’impact d’une telle mise en lumière d’une période méconnue de l’histoire tunisienne ? D’une part il s’agit de rappeler les grands jalons de l’histoire, également de présenter certains éléments de la mémoire collective tunisienne qui ont leur place dans notre contemporanéité comme la Constitution de 1861, et plusieurs textes fondamentaux qui symbolisent la continuité
ou la naissance de l’Etat moderne tunisien. Ensuite ce qui est très important c’est que les Tunisiens se rendent compte que nous possédons un patrimoine artistique, iconographique mais aussi du mobilier du XIXème siècle, qui sont précieux et qui possèdent une grande valeur historique et mémorielle. Il s’agissait de valoriser tous ces objets et de ne pas rester sur une représentation limitée de notre culture matérielle. Cette dernière fait partie de notre richesse en Tunisie, et il faut savoir exploiter cette richesse artistique.
Quel a été votre implication en tant que commissaire d’exposition dans le travail de scénographie conçu par Memia Taktak ? Avec Memia, je pense qu’on a la chance de travailler depuis le début dans un échange constant et ce dialogue éclaire les deux parties dans la manière de concevoir l’exposition et d’affiner certains choix. Ce qui était intéressant c’était de collaborer dans ce cadre évolutif, malgré la quantité de travail et la pression que représente un tel chantier. Je pense m’être enrichi d’une telle collaboration et j’espère réciproquement.
En tant que professionnel du monde de l’art, que pensez-vous des expériences de mécénat de la part des privés, comme c’est le cas de la Fondation Rambourg pour cette exposition ? Je pense tout simplement que le mécénat est vital actuellement. Cela existe depuis des décennies dans le monde et le privé a entièrement sa place dans la gestion du patrimoine national. Il était temps que ce type d’initiatives débute en Tunisie. C’est un moteur indispensable, puisque d’une part il génère une manne financière pour pouvoir préserver le patrimoine et le valoriser, chose que ne peut faire constamment l’Etat ; et d’autre part il s’agit aussi d’une initiative civique qu’il faut encourager et reproduire. J’espère que cette expérience va créer des émulations et que ce type de projets se verront développer à l’avenir, tout en conservant, comme pour ce projet, des critères qualitatifs, une rigueur scientifique et une véritable attention portée au visiteur pour qu’il puisse se rendre compte de toute la richesse historique et patrimoniale qui est sienne finalement. De ce fait, il est important de féliciter la Fondation Rambourg pour son action qui est unique. Et la féliciter pour sa persévérance et sa générosité dans la mise en place d’un tel partenariat parce que tout n’a pas été de la plus grande simplicité. ■
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Rencontre avec MEMIA TAKTAK, SCÉNOGRAPHE de l'exposition Pouvez-vous nous présenter le métier de scénographe ? La différence avec le métier d'architecte d’intérieur ou de designer d'espace est minime mais elle est quand même là. Quand on monte une scénographie, on combine un parti architectural avec une mise en valeur des objets et plus exactement du propos de l'exposition. Une scénographie c’est mettre en lumière, une relation entre l'objet exposé, le lieu, la vision du spectateur et le propos du commissaire. Une architecture c'est plutôt une relation directe entre l'utilisateur du lieu et l'architecte.
Mémia Taktak est architecte d’intérieur et designer. Elle fonde en 2001 l’agence DZETA, spécialisée en architecture design et scénographie, en association avec l’architecte André Christolhomme et la designer Azza Meknini. Leur philosophie se veut être une réflexion autour d’une pensée contemporaine, poétique puisant son inspiration dans son héritage culturel. L’agence compte aujourd’hui plus d’une vingtaine de collaborateurs. Mémia Taktak a réalisé plusieurs scénographies dans de nombreux évènements importants comme la Première Biennale d’Art Contemporain en Tunisie à la Médina de Tunis et les VIIèmes Rencontres Africaines de la Photographie à Bamako. En 2014, Mémia Taktak remporte le prix Hommage de la première édition du Africa Design Award.
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Racontez nous l’aventure « L’éveil d’une nation », quelle a été la relation entre vous, scénographe et le commissaire de l’exposition ? Je suis très contente car évidemment on réussit des projets, ou on arrive à les aboutir, quand il y a une complicité. Ici c’etait le cas d'autant plus quand il y a eu une complicité et une confiance totale avec Ridha Moumni. D'abord nous avons pris un petit temps de réflexion et de documentation. J'étais très sensible à cette période de l'histoire mais il y avait des choses que je ne percevais pas de la même manière. Il y a eu donc, tout un travail de recherche et de compréhension pendant quelques mois. C’est ce qui nous a permis d'être imprégnés du sujet. Ensuite, il y a le lieu, la décision de faire cette scénographie dans ce lieu lui-même, le Palais Qsar Es-saïd. L'idée était de dire que nous ne sommes pas là pour rénover cet espace, nous sommes là pour nous immiscer dans le volume, exposer, et mettre en lumière quelques objets qui sont le propos de cette période très riche. En conséquence, nous avons crée les séquences, une promenade qui va amener le spectateur à comprendre l'histoire. La chronologie est importante et il y a un jeu entre toiles, écrits, manuscrits à chaque fois.
Perspective sur le patio principal du palais Qsar Es-saïd
En tant que scénographe, avez-vous fait partie du projet de l’exposition dès le départ ? Dès le départ, pour la confirmation du choix du lieu. La scénographie laisse apparaître des perspectives avec une mise en valeur de l’architecture du lieu et du savoir-faire de l'époque.
Quels sont les éléments clés de la scénographie ? La Première Constitution, est l'élément clé. Le point d'orgue de l'exposition, le centre du propos et du cheminement. Un socle imposant, rouge, qui se trouve à la rencontre des diagonales des espaces donc au centre de l'exposition. Pour le cheminement, tantôt on essaie d'abstraire les visiteurs du lieu, tantôt on essaie au contraire de les mettre en confrontation totale avec le lieu, donc on a des espaces de pénombre, des espaces de lumière, et par moment encore l'obscurité totale. On a essayé de faire voyager le visiteur dans un lieu, dans une histoire, dans un univers à travers des perspectives où on est confronté à l’architecture du lieu avec ses céramiques et ses stucs, et à d’autres instants on a essayé d’abstraire le lieu par un apport de couleur pour mettre en valeur les pièces exposées. à mon avis, ce qui est magnifique c'est la modernité de la Tunisie à cette époque et c’était important pour nous de montrer l’excellence de son savoir-faire artisanal, par exemple dans le traitement des céramiques, des costumes, du détail architectural... La signalétique a été soignée d'une manière particulière, c'est un projet avec une identité, une charte. Azza Meknini a réfléchi les choses avec beaucoup de discrétion et d’élégance c’est ce qui donne de la force du propos dans le parcours. C'est un vrai prolongement de la scénographie. La signalétique a été conçue pour qu'elle soit très
Plan de la scénographie générale
Coupe sur le patio principal du palais Qsar Es-saïd
discrète mais assez pertinente pour qu'elle soit visible et par moments, elle ressurgit avec des éléments contemporains, pour replacer les choses dans leur contexte, ce n'est pas parce qu'on s'efface qu'on n’est pas là. Ce sont des éléments qui donnent le rythme du propos et procurent une certaine légitimité contemporaine à l’exposition. La signalétique commence à l'extérieur par les totems et les panneaux pour diriger les gens, jusqu'aux cartels. ça comprend la signalétique directionnelle, la signalétique archigraphique et d'information. Dans l'exposition on a également toute une partie didactique autour des enfants et une boutique objets, des objets dérivés dont la direction artistique a été menée par nous. On a invité des gens autour de nous qui pouvaient être sensibles à cette époque: Insaf Kooli, Fatma Benabdallah, Ashkan, Oumaima Tamarzizt, qui sont là pour étoffer le propos avec des objets créés pour l'exposition et qui sont édités par la Fondation Rambourg et dont les bénéfices iront à la rénovation du Palais. La ligne des objets
dérivés conçus s'adresse à tout public. Il y a des objets entrée de gamme mais symboliques et forts, du pin's, à la carte postale jusqu'à la veste couture. La ligne directrice est l'histoire de l'exposition et les objets qui s'y trouvent. Mais, au fur et à mesure qu'on avance dans la boutique, on trouvera la réinterprétation soit dans l'usage, soit dans le matériau, soit dans le graphisme. C'est vraiment une véritable réinterprétation. Des objets d'aujourd'hui mais inspirés d'hier.
Quels sont les matériaux que vous avez utilisés ? Nous avons utilisé principalement le bois, le verre et le plexiglas, des matériaux neutres. Nous avons aussi beaucoup utilisé la lumière, c'est un point très important dans le projet, l'agence partenaire SYBEL (agence d'éclairage événementiel) nous a permis d’acquérir même des choses assez particulières pour l'exposition parce que, techniquement parlant, éclairer des oeuvres qui datent du XIXème siècle, est délicat, car elles sont très sensibles à la lumière. Archibat 39 / 11 - 2016
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Le Palais Qsar Es-saïd est resté en l'état pour l'exposition, est-ce un choix et comment est ce que vous avez interagit avec ce lieu particulier ?
Perspectives sur la scénographie du cheminement
C'est un parti pris car le projet en lui-même est un point de départ pour une rénovation complète. Ce n’est pas juste une histoire de financement, mais une grande réflexion et une stratégie à mettre en place. C'est un projet sur le long terme.
Avez-vous rencontré des difficultés particulières ? Le lieu n'est pas facile à gérer, il est impressionnant par sa taille, et ses proportions. Il est très chargé, imposant en soi, il a donc fallu réfléchir sur quelque chose qui donne de la force et qui soit en même temps respectueuse et discrète. Comment pouvoir s'introduire dans le lieu avec une certaine force pour exister mais être discret et ne pas annihiler le lieu.
Quelles sont vos impressions sur l'exposition ? C'est une très belle exposition. Ce n'est pas qu'une histoire de scénographie mais plutôt une histoire de synergie entre tout le monde, avec le commissaire, avec la Fondation Rambourg et sa générosité mais aussi avec l'INP et toute son équipe, le directeur, les architectes, les restaurateurs… c'était une très belle collaboration. L’eveil d’une nation ça fait partie des projets un peu particuliers où on parle partenariat public/privé et c'est un très beau partenariat qui a mis en place des choses qui ont fait que chacun a assumé sa partie et qu'on s'est complété au niveau des compétences des uns et des autres. On essaye pour la première fois de donner une véritable exposition temporaire avec toute la norme qu'on puisse exiger d'une exposition temporaire aux standards internationaux, on a beaucoup travaillé là dessus. ■ Coupe axonométrique sur la boutique
Panneaux de signalétique sur pied
Séléction de produits dérivés - design DZETA 20 Archibat 39 / 11 - 2016
Ksar Saïd Musée de la Tunisie Moderne ? Par Denis Lesage, architecte du patrimoine, ancien directeur technique de l'UPGVPC du Ministère de la Culture
Le palais Ksar Saïd est un monument historique, à plusieurs titres : par la qualité de son architecture et de son décor, par les personnalités qui l’ont habité ou fréquenté et par les évènements qui s’y sont déroulés. C’est à Ksar Saïd que fût signé le traité dit du Bardo, le 12 mai 1881, instaurant le protectorat de la France sur la Tunisie. Sur ces sujets il faut se reporter à l’article de Mohamed Khaled Hizem qui constitue une référence (Page 22).
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tilisé comme hôpital après l’indépendance, il est aujourd’hui propriété de l’Etat, affecté au Ministère de la Culture et partiellement occupé par les réserves des collections de tableaux de la Tunisie, mais non visitable pour le public. Nous allons maintenant pouvoir admirer ce patrimoine délaissé, puisque grâce à la Fondation Rambourg Tunisie, en collaboration avec l’INP, les salles d’apparat, le mobilier et la collection de tableaux de l’époque beylicale ont été magnifiquement restaurés pour constituer l’exposition « L’éveil d’une nation : l’art à l’aube de la Tunisie moderne 1837-1881 » Visitant cette exposition magistralement mise en scène, nous serons certainement convaincus que Ksar Saïd mérite une nouvelle vie, celle d’un musée permanent de la Tunisie moderne qui prolongerait l’exposition. Qu’est ce que la Tunisie moderne ? C’est celle des réformistes précurseurs du 19° siècle et celle de l’Indépendance et de la République du 20° siècle. Assurer la connaissance de cette période fondatrice est essentiel. Bien sûr, c’est une affaire de programmes scolaires, mais à court terme, l’apprentissage de la démocratie que connait le pays depuis 2011 pourrait être pédagogiquement renforcé par la création d’un musée de la Tunisie moderne, un musée vivant, ouvert à tous et gratuitement, si possible. On y prendrait connaissance, à travers des reproductions de documents d’époque (traités, conventions, tableaux, photos, enregistrements sonores), des réformes de l’époque beylicale, du mouvement « Jeunes Tunisiens », du vieux Destour et du Néo Destour puis des politiques de la République, l’éducation pour tous, le statut de la femme et de la famille, le planning familial, tous resitués dans leur contexte. L’importance de la période 19°-20° dans la création de la Tunisie moderne serait ainsi magnifiquement mise en valeur dans le palais de Ksar Saïd. Et l’espace symbolique du Bardo deviendrait un formidable ensemble culturel et de souveraineté regroupant l’Assemblée des Représentants du Peuple, le Musée National du Bardo, consacré à l’histoire antique de la Tunisie, l’ex Chambre des Conseillers et le nouveau musée de la Tunisie moderne de Ksar Saïd. Cet ensemble serait assez comparable, dans une dimension plus réduite, au parc du Cinquantenaire à Bruxelles qui regroupe les musées royaux d’Art et d’Histoire, la Grande Mosquée, les musées de l’armée, de l’aviation et de l’automobile. ■
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PATRIMOINE
Le palais de Ksar Saïd Un musée ne voyant pas le jour… Par Mohamed Khaled Hizem Situé à peine à moins de deux cents mètres du Musée national du Bardo et de l’Assemblée des représentants du peuple, le palais de Ksar Saïd, remarquable résidence beylicale du XIXe siècle, végète depuis plusieurs décennies en attendant une réelle mise en valeur qui tarde à se concrétiser. Bien que destiné à abriter un musée, couvrant notamment la période assez méconnue des monarques de la dynastie des Husseinites (1705-1957), il ne sert, jusqu’à nos jours, que de réserve à des collections inaccessibles au grand public. La situation actuelle du palais de Ksar Saïd, doté de décors et d’œuvres d’art d’intérêt majeur, illustre le manque de vision dans les domaines culturel et muséal.
Un palais à l’histoire tourmentée Construit en dehors de l’enceinte fortifiée du complexe palatial du Bardo, le noyau initial du palais remonte à la première moitié du XIXe siècle. Avant d’appartenir à Sadok Bey (1859-1882), qui en fit sa résidence favorite, il fut le séjour d’agrément, connu sous le nom de « Boustan el-Bortal », de son garde des sceaux, également son beau-frère, Ismaïl Sunni. Ce dernier, accusé de complot à l’encontre du souverain, fut emprisonné en 1866, puis exécuté en 1867. Sadok Bey, qui confisqua la demeure de son ministre déchu, lui donna son nom actuel (Ksar Saïd signifiant littéralement « palais heureux »), et entreprit, durant deux ans, de 1867 à 1869, des travaux d’agrandissement et d’embellissement qui donnèrent au palais l’aspect qu’on lui connaît jusqu’à présent. Principale demeure du monarque de 1869 jusqu’à sa mort en 1882, c’est dans l’un de ses salons que Sadok Bey, en présence de ses ministres, fut contraint, le 12 mai 1881, à signer le traité du Bardo instaurant le protectorat de la France sur la Tunisie ; celui-ci ne prendra fin que près de soixante-quinze ans plus tard. Après le décès de Sadok Bey, son successeur, Ali Bey III (18821902) délaissa Ksar Saïd pour aller habiter le palais Dar al-Taj à La Marsa. Il redevint, à nouveau, la principale résidence beylicale lors de l’accession au trône de Hédi Bey (1902-1906). Par la suite, le palais, qui ne fut plus la demeure d’aucun autre monarque, servit de cadre
au deuil beylical ; c’est désormais sur l’ordre du nouveau souverain que la toilette du Bey défunt se déroula dans une salle d’apparat du premier étage. Aux alentours de 1950, Lamine Bey (1943-1957) et son ministre, le docteur Ben Salem, convertirent le palais husseinite en hôpital pneumo-phtisiologique. Après l’abolition de la monarchie, survenue le 25 juillet 1957, ce dernier fut rebaptisé du nom du grand poète tunisien Aboul Kacem Chebbi. Durant la période où il fut affecté à un usage incompatible avec son caractère palatial, l’édifice subit de multiples altérations bien que la partie la plus admirable du bâtiment, située au premier étage, fut relativement épargnée du fait qu’elle abritait les locaux administratifs de l’hôpital. C’est dans les années 1980 que nait le projet d’installer, au sein du monument, un musée d'histoire moderne et contemporaine de la Tunisie, couvrant en particulier la période méconnue des Beys husseinites ; cependant les années passèrent et le musée ne vit guère le jour…Bien qu’une étude, visant la restauration du palais et sa conversion en musée, fut réalisée en 2005-2006, celle-ci ne fut pas suivie de concrétisation. Après son transfert du ministère de la Santé publique à celui de Culture, l’ancienne résidence beylicale, placée sous l’administration de ce dernier, est dès lors gérée par l’Institut national du Patrimoine. Le palais et ses dépendances servent actuellement de réserve nationale où sont entreposées d’innombrables œuvres appartenant à diverses périodes de l’histoire tunisienne.
Photographie, datée de 1905, centrée sur deux niveaux de la partie centrale de la façade principale. Elle montre clairement des détails architecturaux et ornementaux ayant, à présent, totalement disparu, et qu'il faudrait restituer. Parmi ces derniers, il faut citer les décors géométriques simples et les entablements qui surmontaient les fenêtres, ainsi que les armoiries beylicales qui garnissaient le fronton triangulaire situé au-dessus du moucharabieh. Il faudrait, également, reconstituer les deux colonnes, coiffées de vases, qui flanquaient la porte d'entrée.
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Photochrome, daté de 1899, montrant une vue partielle du grand patio couvert, la salle emblématique du palais de Ksar Saïd. Située au premier étage, sa décoration est entièrement d'inspiration italianisante. De nos jours, cette pièce importante présente, faute de restauration, de nombreuses dégradations surtout au niveau du plafond et des stucs. Par ailleurs, ce photochrome montre des éléments décoratifs qui ne sont plus visibles actuellement, parmi lesquels figurent les ornements peints des écoinçons des arcs et les moulures entourant les œils-de-bœuf.
Une architecture syncrétique empreinte de fortes influences italianisantes Si l’architecture palatiale tunisienne de l’époque husseinite a connu plusieurs phases à partir de la première moitié du XVIIIe siècle, en particulier depuis les aménagements réalisés par Ali Pacha (17351756) dans l’aile cérémoniale du Bardo, celle du palais de Ksar Saïd est caractéristique d’une phase, débutée sous le règne d’Ahmed Bey Ier (1837-1855), et comprise entre les années 1840 et 1870, qui est marquée par la place privilégiée accordée au goût italianisant aussi bien dans l’architecture et la décoration, que dans l’ameublement. La façade principale de l’édifice, constituée de trois niveaux, est agrémentée de fenêtres grillagées. Au milieu de cette dernière, se superposent la porte d’entrée, un moucharabieh (en jargon tunisien « Ganaria ») et un fronton triangulaire ; les armoiries beylicales garnissaient autrefois celui-ci. La porte, ouvrant sur un vestibule hypostyle surmonté d’une voûte en berceau, présente un bel encadrement à arc surbaissé, encadré de pilastres. Par opposition à l’uniformité de la façade, les intérieurs du palais, notamment les salles d’apparat du premier étage, offrent une plus grande richesse ornementale, où abondent le marbre blanc de Carrare, les céramiques napolitaines, les stucs et les boiseries peintes. Bien que les apports ornementaux de la Péninsule italienne prédominent, notamment dans l’escalier d’honneur, dans le vaste patio
couvert et dans d’autres pièces entourant ce dernier, les traditions architecturales et décoratives tunisiennes, elles mêmes enrichies d’influences arabo-andalouses et ottomanes, ne sont pas pour autant abandonnées ; ceci est visible au niveau des voûtes à pans, tapissées de stucs ciselés de motifs hispano-mauresques, des deux salles d’apparat qui bordent les longs côtés du patio couvert. Le palais de Ksar Saïd illustre ainsi la coexistence du répertoire ornemental local avec celui émanant de l’autre côté de la méditerranée.
De précieuses collections inaccessibles au grand public Outre son importance, en tant que résidence beylicale typique de la seconde moitié du XIXe siècle, le palais de Ksar Saïd possède la particularité d’abriter des œuvres husseinites à l’intérêt considérable, représentées par des collections de peintures, de meubles, notamment un remarquable ensemble de trônes, ainsi que par des collections de médailles, de décorations honorifiques et de carrosses ; ces dernières se trouvent actuellement dans un état lamentable, faute de restauration et d’entretien…Bien que l’ensemble de ces œuvres présente une valeur inestimable, ce sont principalement les trônes et les peintures qui retiennent le plus l’attention. Les premiers, sièges aux divers décors et dimensions, symbolisant le pouvoir beylical, proviennent aussi bien Archibat 39 / 11 - 2016
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du palais du Bardo, que d'autres résidences, car à l'avènement du règne d'un nouveau souverain, celui-ci ne résidait pas dans le palais de son prédécesseur moins par superstition que par respect envers ses veuves et ses enfants. Cette coutume était renforcée par le fait que la succession héréditaire, au sein de la monarchie husseinite, ne se faisait pas de père en fils par primogéniture mâle, mais plutôt par ordre d'âge entre les princes légitimes mâles (princes du sang), descendants en ligne directe du fondateur de la dynastie, Hussein Bey Ier (17051735). Les trônes beylicaux les plus impressionnants, conservés à Ksar Saïd, sont les deux grands trônes du palais du Bardo qui se trouvaient, jadis, dans Bit al-Mahkama (la salle de justice) et dans la vaste salle d’apparat Bit al-Bacha. Le somptueux trône de Bit al-Bacha, doté de grandes dimensions, se caractérise tant par son allure baroque, que par la richesse de ses ornements. Réalisé en bois sculpté et doré, il se compose d'un siège surélevé, garni de velours rouge ; son dossier est orné de croissants entourant des étoiles à cinq branches. De part et d'autre du siège, huit pinacles, quatre de chaque côté, terminés par des croissants, encadrent six panneaux sculptés des armoiries beylicales. Au-dessus du siège, un dais, au contour chantourné, s'achève par un couronnement arborant l'emblème de la monarchie husseinite. Quant à la remarquable collection de peintures du XIXe siècle et des premières décennies du XXe siècle, ces œuvres dues, pour la plupart, à des peintres européens comme Louis Simil de Nîmes, Auguste Moynier, Alexandre Debelle, Charles-Philippe Larivière et Feodor Dietz, mais aussi aux premiers peintres tunisiens, à l'instar d'Ahmed Osman et Hédi Khayyachi, sont principalement des représentations de la cour beylicale, comprenant les portraits des monarques husseinites, ainsi que de leurs ministres et hauts dignitaires. Il est à signaler que les peintures, ainsi que les trônes, firent récemment l’objet d’une restauration grâce au mécénat de la fondation Rambourg, crée en 2011, en collaboration avec l’Institut national du patrimoine. La restauration fit appel à une équipe de spécialistes étrangers, composée en particulier d'Italiens et de Français, ayant une large expérience dans les sciences et les techniques de conservation et de restauration des biens culturels en Europe. Ces restaurateurs sont venus aussi pour former des conservateurs tunisiens et transmettre leur savoir faire dans ce domaine. Cette restauration a abouti à la remarquable exposition « L’éveil d’une nation : l’art à l’aube de la Tunisie moderne » qui s'est tenue en ce mois de novembre dans l'enceinte du palais. La fondation Rambourg projette, par ailleurs, la restauration du palais et envisage de financer en partie l'opération avec les bénéfices générés par cette exposition dont elle prit l’initiative. En plus de la nécessaire implication de l’Etat, il est essentiel de développer et d’encourager le mécénat pour le financement de projets liés à la restauration aussi bien d’œuvres d’art que d’ensembles architecturaux et décoratifs. Mise à part la cour beylicale, plusieurs portraits représentent des souverains étrangers, parmi lesquels les empereurs Napoléon III et François-Joseph Ier. Les thèmes de ces peintures concernent également des évènements marquants de l'histoire tunisienne antérieurs à l'instauration du protectorat français en 1881. On peut citer parmi ces derniers, l’entrevue de Sadok Bey avec Napoléon III à Alger en 1860. Avant l’année 2016, hormis de rares expositions, comme celle intitulée " De Kheireddine à Bourguiba ", qui s'est tenue à Sfax en 2013, ces œuvres ne furent guère accessibles au grand public. Il est à signaler que les peintures, ainsi que les trônes, firent récemment l’objet d’une restauration grâce au mécénat de la fondation Rambourg, crée en 2011, en collaboration avec l’Institut national du patrimoine. La 24 Archibat 39 / 11 - 2016
restauration fit appel à une équipe de spécialistes étrangers, composée en particulier d'Italiens et de Français, ayant une large expérience dans les sciences et les techniques de conservation et de restauration des biens culturels en Europe. Ces restaurateurs sont venus aussi pour former des conservateurs tunisiens et transmettre leur savoir faire dans ce domaine.
Entre l’absence de classement et la nécessité d’une restauration en profondeur de l’édifice Parmi les négligences manifestes dont souffre le palais de Ksar Saïd, notamment les failles de sécurité, se traduisant par le vol dont furent victimes ses réserves en avril 2016, figure, fâcheusement, la carence de la protection juridique. Alors qu’il fut la résidence de deux monarques husseinites, ainsi que le lieu de signature du traité du Bardo, il n’est pas inscrit sur la liste des monuments historiques et archéologiques classés et protégés de Tunisie. Si cela pouvait se comprendre durant la période où il abritait un établissement hospitalier, ce n’est plus le cas depuis longtemps déjà ! Une autre négligence de taille doit être relevée avec vigueur : il s’agit de l’état actuel, marqué par la présence de détériorations, des extérieurs et des intérieurs de l’édifice. Bien qu’il est supposé en cours de restauration depuis quelques années, celle-ci ne semble nullement progresser, ce qui ne manque pas de soulever maintes interrogations…Sans attendre le classement, dont la procédure est affligée de lenteurs et de lourdeurs considérables, il est fondamental de procéder à une restauration minutieuse de l’architecture et des décors du palais, car ces derniers ont subi des dénaturations et des dégradations dues aussi bien à sa transformation en hôpital, qu’au manque d’entretien qui caractérise, malheureusement, le patrimoine architectural tunisien en général. Une restauration d’envergure du monument ne doit pas uniquement viser la réparation des dégâts, comme les fissures qui lézardent les plafonds, et à rendre aux décors existants leur aspect d’origine, elle doit impérativement aller plus loin en restituant les éléments ornementaux disparus, et ce tant au niveau des façades, qu’au niveau des intérieurs. Dans ce contexte, plusieurs exemples peuvent être cités. On peut mentionner, en premier lieu, l’inévitable reconstitution des ornements manquants de la façade principale. Parmi ceux-ci, figurent les simples décors en relief et les entablements, dont la plupart étaient pourvus de consoles, qui surmontaient jadis les fenêtres, ainsi que les armoiries beylicales qui occupaient le fronton triangulaire. En second lieu, pour ce qui est des intérieurs, en particulier les salles du premier étage, on peut citer, à titre d’exemples de décors disparus, les éléments peints, garnissant auparavant les écoinçons des arcs, et les moulures des œilsde-bœuf du grand patio couvert. Il existe des documents d’archive et des représentations photographiques anciennes qui permettent de restituer facilement les ornements qui furent supprimés ou qui ne sont plus visibles, car ils furent badigeonnés. Par ailleurs la restitution doit, également, concerner des parties grandement défigurées, à l’instar du hammam privé du Bey qui conserve toujours sa baignoire en marbre.
Une mise en valeur conciliant l’aménagement muséographique et le remeublement historique L’affectation actuelle du palais et de ses dépendances, faisant office d’entrepôt à des œuvres d’époques diverses, n’est pas compatible avec une réelle mise en valeur de ce haut lieu historique et patrimonial. La création, en son sein, d’un musée dédié à la dynastie husseinite est
Photographie du début du XXe siècle montrant une vue partielle de l'une des plus somptueuses salles du palais, située au premier étage et communicant avec le grand patio couvert. La pièce, dotée de trois alcôves, présentait un riche mobilier. Grâce à des documents d'archive et à des illustrations anciennes, telle que celle-ci, un remeublement historique peut être envisagé, permettant ainsi de restituer l’atmosphère d'une résidence des souverains husseinites.
de nature à combler une énorme lacune dans le paysage muséal tunisien, car jusqu’à présent il n’existe aucun musée qui couvre spécifiquement cette période s’étalant sur plus de deux siècles et demi. Un tel musée conserverait et exposerait non seulement les peintures, ainsi que d’autres types de représentations, les trônes, les décorations honorifiques et les carrosses, qui se trouvent déjà in situ, mais également toute œuvre en relation avec les Husseinites comme le mobilier provenant d’autres résidences beylicales, les habits et les costumes d’apparat, les bijoux, etc. Parallèlement à un aménagement muséographique respectueux de la configuration et des éléments décoratifs des salles, notamment celles du rez-de-chaussée et du deuxième étage, il serait pertinent d’opter pour un remeublement historique (état fin du XIXe siècle – début du XXe siècle) dans la partie la plus noble du palais, à savoir le premier étage, spécialement le grand patio couvert et les pièces qui l’entourent. Un tel remeublement, basé sur des documents d’archive ainsi que sur des photographies et des photochromes anciens, ferait appel à des pièces d’origine ainsi qu’à des équivalences issues du mobilier appartenant à d’autres palais husseinites. Ceci permettrait de ressusciter l’atmosphère d’une résidence beylicale. Alors qu’en Europe, de nombreux châteaux et palais présentent des appartements royaux et princiers meublés tels qu’ils étaient à l’époque de leur plus grande splendeur, ce n’est hélas pas le cas en Tunisie…Les salles d’apparat du premier étage, dotées des décors les plus somptueux du palais de Ksar Saïd, seraient, une fois soigneusement restaurées, le cadre idéal pour la mise en place d’un mobilier authentiquement d’époque husseinite, composé de tentures, de sièges, de guéridons, de tables-consoles et de miroirs aux cadres finement sculptés, ainsi que de divers bibelots tels les vases et les pendules. Bien qu’il constitue un joyau du patrimoine architectural tunisien du XIXe siècle, le palais de Ksar Saïd n’a bénéficié, jusqu’à maintenant, ni d’une véritable restauration de l’édifice, qui redonnerait tout leur éclat d’origine aux décors tant extérieurs qu’intérieurs, ni d’une mise en valeur concrète de ses superbes collections dans le cadre d’un projet culturel qui pourrait à la fois combiner la présentation muséographique des œuvres et la restitution de l’aspect d’une résidence beylicale meublée. Ce beau monument et ses collections, qui éclairent un chapitre fondamental de l’histoire tunisienne, méritent une attention particulière. ■
Portrait équestre de Kheireddine, qui fut ministre de la marine de 1857 à 1862, avant de devenir grand vizir de 1873 à 1877.
La première version de l’article fut publiée dans La Presse magazine le 01/05/2016
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réalisation LE SIEGE DE LA CAISSE DE PREVOYANCE ET DE RETRAITE DES AVOCATS
Une élégante sobriété
Le siège de la Caisse de Prévoyance et de Retraite des Avocats a fait l’objet d’un concours national remporté par l’architecte Jalel Sakli. La réalisation vient d’être inaugurée. Situé sur l’axe principal du Centre Urbain Nord, le bâtiment se distingue par une élégante volumétrie, sur laquelle se détache un claustra dessinant de délicates arabesques.
Situation du projet : Centre Urbain Nord Superficie des planchers : 7.775 m² Coût global de la réalisation : 10 millions de dinars Date de démarrage des travaux : 2012 Date de fin des travaux : 2016 Maitre d’ouvrage : La Caisse de Prévoyance et de Retraite des Avocats CAPRA Architectes : Jalel SAKLI (Architecte mandataire) et Sofiène HAMZAOUI (Architecte associé) Bureau de pilotage : SETEP Architecture d’intérieur : Jalel SAKLI et Sofiène HAMZAOUI B.E. Structure et VRD : Med Hedi MEDALLEL B.E. Fluides : Kais TABKA B.E. Electricité : SOGICE (Youssef MEMMI ) 26 Archibat 39 / 11 - 2016
Bureau de contrôle : MED CONTROL Gros œuvre : Chaabane & Cie Menuiserie Alu : EFIKOM Fluides : PROCLIMAT Electricité : EREM Agencements : Entreprise Ali ACHOUR et Ligne Apollon Faux Plafonds : PLACO-DESIGN Entreprise peinture : SOTUPED Inox : Chrome décor Ascenseur : ALIS Equipement Audio et Éclairagiste : PROLOISIR EQUIPEMENT Aménagement paysager : Excellence Agricole Equipements cuisine et buvette : ALMIA
plan RDC
plan etage courant
plan etage
coupe
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L’
image du projet affirme une symbolique autoritaire à l’instar de l’institution qu’elle représente. Elle se décline en un jeu de volumes aux lignes clairement définies, qui s’imbriquent pour former un ensemble d’une élégante sobriété. L’austérité de l’ensemble est adoucie en façade, par un claustra en panneaux composite dont les dessins figurent des arabesques. De l’autre côté, une façade vitrée sérigraphiée lui fait pendant. Au rez-de-chaussée se trouvent deux espaces polyvalents correspondant à des activités de bureaux de type agence bancaire ou open space. Le premier étage est reservé à l’Ordre des avocats qui communique avec le salon d’honneur et la salle polyvalente. Le hall d’honneur de la salle polyvalente, à l’allure monumentale, s’élève à 9 m de hauteur. On y accède par une entrée indépendante, agrémentée d’un plan d’eau, à travers un escalier d’honneur et un ascenceur panoramique. Son efficacité sonore a été soigneusement étudiée, elle a fait l’objet d’une correction acoustique. Elle est, de plus, dotée d’une régie son très performante. La tour de bureaux se développe sur six niveaux. On en compte trente-six organisés en deux rangées. Deux entrées, équipées de deux ascenceurs chacune, y conduisent, optimisant ainsi l’accessibilité et fluidifiant les parcours. Le traitement des façades Est et Ouest est différencié. à l’Est, des claustras sont mis en œuvre en guise de protection. à l’Ouest, ce sont trois rangées de brises soleil qui protègent les ouvertures, aux dimensions réduites. Le bâtiment compte deux sous-sols de parking avec deux accès indépendants. Il est supporté par un radier général. ■ Alia Ben Ayed
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NEWS INTERNATIONALES
Les lauréats du Prix Aga Khan pour l'architecture 2016
Par Emna Touiti
Le 3 Octobre dernier ont été annoncés à Abu Dhabi les lauréats du Prix Aga Khan pour l'architecture. Chaque trois ans depuis 1977, ce prix prestigieux récompense les meilleures conceptions et concepteurs qui se sont distingués dans le monde musulman, ou encore là où la communauté musulmane jouit d'une forte présence. Pour cette session, le jury était composé notamment de Suad Amiry, architecte et activiste politique palestinienne ; Luis Fernandez-Galiano, architecte et éditeur de la revue espagnole AV/ Arquitectura Viva ; et de Dominique Perrault, architecte et urbaniste français.
© AKTC/Rajesh Vora
mosquée Bait Ur Roof, Dhaka (Bangladesh) - Marina tabassum architect
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chevée en 2012, la mosquée Bait Ur Roof est l’œuvre de l’architecte bangladaise Marina Tabassum. Cette mosquée de 700 m2 fut construite à l’emplacement d’une mosquée provisoire érigée par l’arrière grand-mère de l’architecte. Dans ce quartier très dense de Dhaka, la mosquée se distingue de par sa forme et les matériaux utilisés. C’est un carré (23m x 23 m x 7,6 m de haut) reposant sur un haut soubassement, créant ainsi une séparation entre l’espace sacré de la mosquée et la rue encombrée. La salle de prière résulte de l’imbrication savante de formes pures. C’est un carré ceint d’un cylindre, lui-même inséré dans un cube en maçonnerie de terre cuite formant le mur de façade de la mosquée. Pas de décoration outrancière, pas d’effusion de calligraphie, pas de minaret ni de coupoles, rien que la simplicité des murs nus et l’architecture presque primitive des petites briques de terre. Un lieu propice à la réflexion, à la contemplation et à la méditation.
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Friendship Center, Gaibandha (Bangladesh) - Kashef Chowdhury architect traditionnelle, cuites dans les fours locaux, la structure a néanmoins été renforcée par du béton à cause des risques sismiques. La circulation se fait à partir de deux escaliers principaux descendants des digues et qui se rencontrent au centre où se trouvent les réservoirs prévus pour collecter les eaux de pluie. Les toits sont couverts de végétation afin de les isoler et d'absorber les eaux pluviales. Le programme est divisé en deux parties, le bloc Ka, celui des bureaux de l'ONG et des salles de formation et le bloc Kha, renfermant les espaces privés des logements. Dans ce projet imaginé par des locaux ( ONG, architectes et ingénieurs) pour une population locale rurale grâce à un matériau local, la brique de terre cuite, l'architecture a donné à ce centre une dimension universelle par la force et la simplicité de son intégration totale au site. © AKTC/Rajesh Vora
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ans les plaines du nord du Bangladesh, à la saison de la mousson, de juillet à septembre, les crues inondent les terres. Pour pallier aux caprices de la nature, les bâtiments sont généralement construits avec une surélévation de 2,4 m. Pour le Friendship Center, achevé en 2011, projet initié par l'ONG Friendship à Gaibandha, les contraintes budgétaires ne permettaient pas de tels travaux. L'architecte Kashef Mahboob Chowdhury a alors l'idée de réaliser une digue de terre tout autour du bâtiment. Le centre est alors conçu comme une multitude de pavillons reliés par des passerelles, des cours intérieures et des bassins d'eau réfléchissants. La digue empêchant la lumière naturelle d'entrer horizontalement dans les pavillons, la lumière est zénithale. Construit en briques de terre
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Centre d’art et bibliothèque pour enfants Micro Yuan’er, Pékin (Chine) ZAO/ Standardarchitecture
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© AKTC/Zhang Ming Ming, ZAO, Satandardarchitecture
© AKTC/Wang Ziling, ZAO, Satandardarchitecture
© AKTC/Su Shengliang, ZAO, Standardarchitecture
L’
architecture traditionnelle chinoise des hutongs (ruelles en chinois) disparait de plus en plus rapidement pour laisser place, à Pékin comme dans nombre d'autres villes chinoises, à une architecture contemporaine aux standards internationaux. Les courettes ancestrales, leurs toitures inclinées et le réseau complexe de ruelles sont certes visibles dans certains quartiers de Pékin, mais ce ne sont malheureusement que des espaces servant de témoin d'un passé révolu, des musées à ciel ouvert sur ce qu'était la Chine. C'est le cas d'ailleurs pour les tissus architecturaux traditionnels dans plusieurs pays dans le monde, l'enjeu est de faire vivre ces espaces dans le monde actuel. ZAO / Standardarchitecture a réussi le pari de s'implanter dans un quartier encore préservé, pour y proposer des espaces communautaires pour les habitants du quartier : une bibliothèque pour les enfants et un centre d'art pour les adultes et les personnes âgées. Le programme est simple, mais l'intégration à l'environnement s'est révélée d'une extrême sensibilité. Les architectes ont dans leur projet réutilisé les petites constructions qui encombraient la cour intérieure. D'autres éléments ont été rajoutés, cette fois-ci en les faisant reposer sur une fondation flottante de poutres d'acier creuses posées à même le sol afin de protéger les racines d'un grand arbre pagode six fois centenaire. Les matériaux utilisés ont aussi été choisis dans la palette déjà présente dans le hutong, à savoir briques grises, bois et verre. La bibliothèque, destinée aux enfants est elle un ingénieux travail d'adaptation. Tout d'abord adaptation aux utilisateurs, puisque l'aménagement intérieur et les meubles se veulent ludiques ; ensuite une adaptation au site, puisque les architectes ont mis au point une innovation esthétique afin de coller à l'environnement, les murs de la bibliothèques sont en béton mâtiné à l'encre de chine.
Parc urbain Superkilen, Copenhague (Danemark) BIG-Bjarke Ingels Group, Superflex, Topotek I
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Topotek 1, a conçu ce projet urbain en collaboration avec la population locale cosmopolite. Le Superkilen tient son nom de kilen, cale en danois ; car à l'image d'une cale, le parc forme une bande étroite insérée entre deux grandes artères de circulation. Très graphique, il se décompose en trois grands morceaux. La partie rouge est dédiée au sport et à la culture, on y retrouve, entre autres, des balançoires venues de Bagdad. Au milieu, le Marché noir, conçu comme une salle de séjour urbaine, avec une composition inédite d'une fontaine marocaine, de bancs allemands et d'abribus du Kazakhstan. Enfin, le parc vert est lui dédié au jeu et au sport. Tous les objets rapportés des différents pays dont sont originaires les habitants du quartier et l'interprétation artistique des lieux, symbolisent l'appartenance du parc aux habitants et par là-même la ré-appartenance du quartier à la ville.
© AKTC/Kristian Skeie
© AKTC/Superflex
es quartiers défavorisés, souvent en périphérie des grandes villes européennes présentent plusieurs enjeux qu'il est urgent de traiter. Ces quartiers, en marge, sont autant de faiblesses dans le développement urbain de la ville. Enclavés, mal desservis, pas très attractifs à cause des nombreux trafics qui y sévissent ; les pouvoirs publics se penchent de plus en plus sérieusement sur leurs problèmes et apportent parfois des initiatives originales, comme c'est le cas du parc Superkilen à Copenhague. Dans ce quartier défavorisé de Nørrebro, en proie à la criminalité, et à forte population musulmane, le but était de redonner un souffle nouveau. Ce parc de 1 kilomètre de long et de 33 000 m², achevé en 2012 est une œuvre collective et collaborative. à l'initiative de l'association RealDania et de la ville de Copenhague, un collectif composé des architectes du BIG-Bjarke Ingels Group, des artistes de Superflex, et de l'architecte-paysagiste
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© AKTC/Mohammad Hassan Ettefagh
Pont Tabiat, Téhéran (Iran) - Diba Tensile Architecture
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e pont Tabiat a été conçu pour relier deux parcs séparés par une autoroute à fort trafic. Dans le tissu urbain dense de Téhéran, il est devenu plus qu'un passage, un lieu de rassemblement populaire, une parenthèse suspendue dans les airs, entre les cimes des arbres. Le pont, œuvre du bureau d'architecture iranien Diba Tensile Architecture, a été achevé en 2014 et court sur une longueur totale de 269 m. Naissant des arbres, il a été conçu dans une approche introspective, où la succession des espaces tient exclusivement compte de l'usager et dans le but de réduire au strict minimum le déboisement nécessaire à sa mise en œuvre. Les colonnes qui le soutiennent reprennent une forme arborescente, et à l'entrée du parc de Ab-o-Atash, la structure elle-même s'ouvre en trois endroits pour laisser les arbres se développer sans entrave, ce qui donne au tout une impression d'harmonie entre la nature et l'œuvre humaine. Le pont est une prouesse technique car chaque élément est différent et a dû être découpé individuellement à cause de la courbure complexe du treillis tridimensionnel. Le résultat est plus qu'un projet d'infrastructure austère, c'est une ballade aérienne, un lieu de rassemblement, un nouveau marqueur de l'identité de la ville, un ancrage urbain de la nouvelle génération iranienne, à la pointe de la technologie et des innovations.
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© AKTC/Cemal Emden
Institut Issam Fares, Université américaine de Beyrouth - Zaha Hadid Architects
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Institut Issam Fares spécialisé en politiques publiques et affaires internationales fait parti du campus de l’Université Américaine de Beyrouth. Ce bâtiment de 3 000 m2, œuvre de Zaha Hadid Architects, achevé en 2014, surplombe la Méditerranée et profite du plus grand espace vert du campus et du voisinage de quelques arbres centenaires. Pour minimiser leur impact sur le site, les architectes ont choisi de réduire l’empreinte au sol en plaçant une grande partie de la structure en porte-à-faux au-dessus de l’entrée. Le bâtiment de 6 étages comprenant des espaces de recherche, des bureaux, des salles de réunion et de séminaires et un auditorium entre autres, profite d’une grande qualité spatiale intérieure grâce à des cloisons en verre partiellement pigmenté, sa structure en béton armé haute qualité a été coulée in situ. Les lignes sont pures et la forme contemporaine, pour autant le bâtiment s’intègre totalement à son site dialoguant d’une manière subtile avec les arbres. ■ 35
NEWS INTERNATIONALES
cop22
LA PROMESSE D’UN AVENIR MEILLEUR Evènement très attendu, la 22ème édition de la conférence des Parties à la Convention Cadre des Nation Unies sur le climat - COP 22 - a marqué le mois de novembre de cette année. La Tunisie, représentée par une délégation de haut niveau et s’est engagée à renforcer sa stratégie nationale d'économie verte.
Les enjeux La 22ème session de la Conférence des Parties de la Convention-Cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (COP22) s’est tenue à Marrakech du 7 au 18 novembre dernier, à peine quelques jours après l’entrée en vigueur officielle de l’Accord de Paris le 4 novembre 2016. Dans le droit fil de la précédente COP, cette session devait s’inscrire dans l’action pour réaliser les différents axes retenus à l’issue de l’Accord de Paris, en particulier, le partage différencié des responsabilités, la transparence, le transfert de technologies, l’accroissement des efforts d’atténuation des émissions de gaz à effets de serre. Pour son Président Salaheddine Mezouar, cette conférence représente une « opportunité pour porter la voix des pays les plus vulnérables face aux changements climatiques, en particulier celle des pays africains et des états insulaires. Il est urgent d’agir devant ces enjeux liés à la stabilité et à la sécurité ». Les objectifs L’un des objectifs de la COP22 concerne l’élaboration des plans nationaux d’adaptation par les pays signataires de l’accord de Paris qui vise à contenir la hausse des températures mondiales sous les 2 degrés (voire 1,5°C) par rapport à l’ère préindustrielle. Ces pays sont encouragés à adopter l’économie bas carbone et à s’engager dans les secteurs de l’économie verte (voire de l’économie bleue) qui, au final, représentent des opportunités en termes de croissance et d’emploi. Il s’agit également de préserver la durabilité des modèles de développement et d’améliorer l’accès aux technologies vertes ainsi que les conditions de leur utilisation et de leur développement. Le second objectif vise à renforcer la solidarité universelle, à partager équitablement la responsabilité et à lutter de concert contre les effets du réchauffement climatique, répartis de façon différentielle sur l’ensemble des pays. « La COP 22 doit être celle de l’égalité, de la jeunesse et de la démocratie », déclare à ce propos Driss El Yazami, chef du pôle de la société civile de la COP22. Proclamation de Marrakech A l’issue de la Conférence les délégués fixent 2018 comme date ultime de finalisation des règles de mise en œuvre des Accords de Paris, cadre global qui doit se traduire dans les faits. L'autre question clé, qui a animé les débats, concerne la répartition équitable du financement, surtout celui de l’adaptation des pays en développement et l’augmentation de leur capacité à faire face aux impacts. En effet, de nos jours, seulement 16 % des financements climat sont consacrés à l’adaptation. En plus d’augmenter les sommes engagées, les pays du sud, très peu émetteurs et très vulnérables, réclament, conformément à l’Accord de Paris, une égalité dans la répartition entre financements pour l’adaptation, et financements pour l’atténuation, des émissions de gaz à effet de serre. C’est, entre autres, ce 36 Archibat 39 / 11 - 2016
sujet qui a fait traîner les discussions et retarder la clôture de la COP22. Il était prévu que l’an prochain, la présidence de la COP23 revienne aux îles Fidji. Faute d’infrastructures et de moyens suffisants, elle devra se dérouler à Bonn, en Allemagne, siège du secrétariat de la CCNUCC. La participation tunisienne La Tunisie a été représentée par une délégation de haut niveau avec à sa tête le chef du gouvernement Monsieur Youssef Chahed. De fait, la Tunisie souffre d’une grande vulnérabilité environnementale (érosion côtière du fait de la montée du niveau de la mer, stress hydrique du fait de périodes d’intense sécheresse) à un l’origine d’une fragilité socio-économique. Signataire du Protocole de Kyoto ainsi que de l'Accord de Paris, la Tunisie s'est engagée à l’issue du sommet africain de la COP22 à réduire ses émission de gaz à effet de serre de 41 % et sa consommation d'énergie fossile de 30 % d'ici 2030, elle s’est également engagée à élaborer une stratégie nationale d'économie verte. La Tunisie a, par ailleurs, obtenu des financements extérieurs pour des projets dans le secteur de l'assainissement des eaux usées et de la valorisation de déchets domestiques et industriels. Le stand de l’Académie du royaume du Maroc La COP22 fut l’occasion pour le Maroc de mettre en avant le savoirfaire ancestral en matière de techniques de construction en terre crue et en pierre, de montrer la résilience de l’architecture vernaculaire et d'en retirer une vision stratégique pour le mieux vivre de demain. Des ateliers ont été organisés à cet effet par l'Académie du royaume du Maroc Dans ce cadre, l’architecte Salima Naji, très engagée sur ces questions, a donné une conférence sur l'écoconstruction. A cette occasion elle est revenue sur des projets dont elle a eu la charge tels que les Greniers d'Amtoudi (récemment restaurés), les chantiers du CIP (Centre International de Perfectionnement) de Tiznit, le centre de traitement des archives, Tigemi n'Tamazirt ou la Source Bleue de Tiznit, le grenierKsar de Tiskmoudine, le centre culturel des Ait Ouabelli, la maternité de Tissint, la place du Ksar d'Akka Ighan dans la Province de Tata. Par ailleurs, un webdocumentaire interactif, « Construire dans les oasis : Penser la durabilité environnementale », a été réalisé par Mehdi Bensid et ses équipes, avec la collaboration de Karim Belbachir et de David Goeury. Les vues ont été prises en drone et à l'épaule pour recréer l’expérience d'un environnement construit in situ dans l'Anti-Atlas. L’argument du film met en avant la dimension hautement symbolique des espaces oasiens, qui en fait des lieux privilégiés de réflexion sur l’héritage, le présent et le futur des sociétés humaines. Ces espaces oasiens attestent de la capacité des hommes à s’adapter aux rigueurs climatiques extrêmes et de constituer des environnements habitables et viables. Ils constituent de ce fait une source d’inspiration pour réfléchir à la durabilité des constructions contemporaines. ■ Alia Ben Ayed
La Canopée
© Luc Boegly
Afin de recevoir les 15.000 personnes venues des 180 pays différents pour participer à la COP22, une structure qui se déploie sur une surface de pas moins de 93.000 m², a émergé d’un terrain de 29.55 hectares de terre viabilisée situé à Bab Ighli à Marrakech. Suite à un concours organisé par les autorités marocaines, c’est l’agence d’architecture Oualalou+Choi, basée à Paris et à Casablanca, qui a été désignée pour créer un village qui soit en harmonie avec l’évènement. Pour la conception de ce village éphémère les architectes se sont inspirés des Moussems : des évènements traditionnels marocains liés aux récoltes. Tarik Oualalou et Linna Choi ont voulu reproduire l’atmosphère fraternelle qui règne dans ces fêtes culturelles et cela par le biais d’une architecture adéquate. Ainsi, une canopée de 12.400 m² vient recouvrir l’artère de 18 mètres de larges et de 680 mètres de long qui a été installée au centre du village. La structure tendue du toit de l’avenue est une conception moderne de la tente que les architectes voient comme un symbole à la fois marocain et universel. Au-delà de son symbole culturel fort, ce toit est une canopée qui permet de s’adapter aux changements climatiques et cela en protégeant les invités des pluies et du soleil tout à la fois. Placée juste en dessous de la canopée, c’est une membrane précontrainte étanche de 15.000 m² de surface et de couleur noire qui a donné son caractère isolant à la canopée. Le village de la COP22 réalisé en six mois seulement et avec une empreinte carbone nulle prouve que l’architecture peut être durable d’un point de vue environnemental, rapide à exécuter et demeurer pour autant une œuvre esthétique. ■
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NEWS INTERNATIONALES
Le MAAT de Lisbonne Un musée futuriste
C’est dans le célèbre quartier culturel de Belém à Lisbonne que s’est installé le récent Musée d’Art, d’Architecture et de Technologie plus connu sous le nom de MAAT. Appartenant à l’histoire de la ville la bâtisse qui accueille le musée est une ancienne centrale électrique construite en 1909 qui a été convertie en Musée de l’électricité en 1990. En juin 2016 elle ouvre ses portes en tant que MAAT avec une nouvelle aile à l’architecture futuriste.
à
Lisbonne le mois d’octobre a été marqué par la quatrième édition de la triennale d’architecture qui invite des participants du monde entier à penser l’architecture contemporaine, mais il a été surtout marqué par l’ouverture de la nouvelle aile du Musée d’Art, d’Architecture et de Technologie. Conçu comme un lieu pour explorer la culture contemporaine à travers les arts visuels, les nouveaux médias, l'architecture, la technologie et la science le musée se devait d’avoir l’espace nécessaire pour permettre à toutes ces activités de se développer. Accolé à la centrale électrique un nouvel espace d’une superficie de 7.000 m² a donc été rajouté ramenant ainsi la superficie totale du musée à 38.000 m². Les dessins de cette nouvelle aile ont été menés par Amanda Levete, Ho-Yin Ng, Alice Dietsch et Maximiliano Arrocet tous membres du studio d’architecture britanique Amanda Levete Architects (AL_A). Situé au bord du fleuve Tage le bâtiment de la nouvelle aile a été pensé comme un espace ouvert qui soit une connexion entre la ville et le lac. Les architectes ont voulu donner vie à cette partie de la ville alors délaissée par les habitants. Deux éléments essentiels ont donc été pris en considération, la nécessité de garder le
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lac visible et celle d’avoir une architecture attractive. Pour concilier ces deux objectifs les architectes ont opté pour une galerie de forme elliptique avec un toit ondulé. La splendeur esthétique du lieu est particulièrement visible à l’extérieur du musée. Le toit est entièrement recouvert par 15.000 tuiles en céramique blanche d’une forme tridimensionnelle dont la disposition est basée sur un système de grille hexagonale. Les spécificités de ces céramiques légèrement réfléchissantes et de leur agencement donnent l’illusion d’un relief qui change au cours de la journée et au gré de la position du soleil. L’ingéniosité de la construction se situe surtout au niveau du porte-à-faux massif que l’on découvre avant même de pénétrer dans la galerie et pour lequel les architectes ont relevé le défi de ne pas utiliser de colonnes de soutient. Un tel édifice n’a été possible que grâce à une arche inclinée et intégrée à toute la structure de l’édifice. Les différents éléments de la construction travaillent entre eux pour maintenir le tout parfaitement stable. Depuis son ouverture en octobre 2016 ce musée au style contemporain est devenu un lieu incontournable à visiter. ■ Nour Mnakbi