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À vos pagaies et boucliers pour la rivière Magpie
Située en Minganie sur la Côte-Nord, la rivière
Magpie est dans la ligne de mire du gouvernement du Québec pour son potentiel hydroélectrique. Combien de temps encore pourrons-nous y pagayer ?
Mathieu Bourdon se souvient que ses collègues parlaient de la rivière Magpie comme d’une légende. C’était en 1996. Celui qui guidait alors des sorties de rafting dans les Laurentides était loin de se douter qu’il y jetterait l’ancre l’année suivante en plus d’y fonder son entreprise de tourisme d’aventure, Noryak Aventures, une décennie plus tard.
L’entreprise offre aujourd’hui du soutien aux pagayeurs autonomes et des expéditions de rafting sur la basse rivière Magpie, entre autres. C’est sur le lac Magpie que l’aventure commence, après avoir fait le voyage en hydravion depuis Havre-Saint-Pierre. Le vol donne le ton : au-delà du hublot défilent la forêt boréale, des bancs de sable entrecoupés de parois vertigineuses, puis les rivières Romaine, Mingan, Saint-Jean et, enfin, Magpie. Son nom innu, Mutehekau Hipu, qui signifie « la rivière où l’eau passe entre des falaises rocheuses carrées », est fidèle à ses paysages. Des rapides de classes 3 et 4 valent d’ailleurs à la Magpie une place dans le classement des 10 meilleures rivières d’eau vive au monde du
National Geographic
Ce potentiel d’eau vive, la professeure en intervention plein air à l’Université du Québec à Chicoutimi, Lorie Ouellet, l’a étudié en comparant la Magpie à d’autres rivières du continent américain. Elle a pris en compte différentes méthodes et critères, dont la longueur des rapides et leur degré de difficulté. Résultat : la Magpie arrive au premier rang, devant des rivières de renommée internationale comme Middle Fork of the Salmon en Idaho, Futaleufú au Chili ainsi que le prestigieux fleuve Colorado, qui arpente le Grand Canyon !
Lorie Ouellet est convaincue que si la Magpie déferlait chez nos voisins du Sud, où la pratique d’eau vive fait davantage partie de la culture qu’au Québec, un système de loterie y limiterait la quantité de pagayeurs.
Rassurez-vous, l’expérience n’est pas réservée qu’aux experts. Si la Magpie était autrefois prisée des sportifs aguerris, l’évolution du matériel technique propre aux sports d’eau vive a changé la donne. « Ce sont des rapides qui n’ont pas besoin d’être négociés beaucoup. C’est relativement facile, même si ça peut parfois être impressionnant », assure Mathieu.
Quand le repos s’impose, les pagaies sont troquées contre les cannes à pêche. Le campement est érigé sur les berges, dans un panorama si sauvage qu’« on a l’impression d’être les premiers humains à y planter leur tente », témoigne le guide. Autour, dans la vallée de la Magpie, le passage des glaciers se fait encore sentir. Ces instants durant lesquels le temps semble figé invitent à la connexion avec le territoire, ce précieux Nitassinan pour les Innus, et avec toute la vie qui y regorge.
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Un Sort Incertain
Les glaciers ne sont pas les seuls à avoir modifié l’aspect du territoire. À 60 km à l’ouest de la Magpie, la rivière Romaine est passée sous le bistouri du fournisseur d’électricité HydroQuébec. Des tronçons autrefois empruntés par les pagayeurs ont été charcutés. Achevé en 2022, le complexe hydroélectrique de la Romaine compte quatre barrages qui fournissent environ 8 térawattheures (TWh) d’énergie sur les 200 que produit la société d’État annuellement, soit juste assez pour alimenter près de 500 000 foyers. L’acteur et cofondateur de l’organisme environnemental Fondation Rivières, Roy Dupuis, s’y est même rendu à l’aube des travaux, en 2009, pour tourner un documentaire sur ce projet controversé. En vain.
Plusieurs craignent que la Magpie ne soit la prochaine à y passer. Le gouvernement du Québec entend construire de nouveaux barrages pour augmenter sa production d’électricité d’ici 2050. L’objectif : répondre aux besoins estimés à 100 TWh, fortement amplifiés par l’abandon des combustibles fossiles, et ce, grâce à une énergie renouvelable… et fiable, notamment en période de froid intense, lorsque tous crinquent le chauffage ! Peu de formes d’énergie, encore moins de rivières, promettent d’abreuver le Québec de la sorte.
Mission Protection
Alors que les barrages ont un jour été une source de fierté nationale, force est de constater que les temps ont changé. Leurs impacts sont mieux documentés et de nouvelles technologies ont fait leur apparition. Primo, les barrages perturbent les écosystèmes et dénaturent un territoire particulièrement important pour les Premières Nations. Les grands réservoirs de la forêt boréale contribuent à l’émission de gaz à effet de serre (GES) et de méthane, en plus d’affecter l’habitat du caribou forestier – une espèce vulnérable aux yeux du Québec et menacée à ceux du Canada. Secundo, il existe des solutions de rechange à moindre coût sur les plans environnemental, social et financier : l’éolien, le solaire, l’amélioration de la capacité de production des barrages existants, ainsi que l’efficacité énergétique (isolation des immeubles, installation de thermopompes, etc.), entre autres. Bien que certaines offrent une énergie intermittente, leur combinaison reste une solution.
Pour éviter que la Magpie ne subisse le même sort que la Romaine, une coalition s’est formée : l’Alliance Mutehekaushipu regroupe le Conseil des Innus d’Eukanitshit, la Municipalité régionale de comté (MRC) de Minganie, la Société pour la nature et les parcs (SNAP) section Québec et l’Association Eaux-Vives
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Minganie, dont fait partie Mathieu. Ensemble, ils revendiquent la création d’une aire protégée auprès du gouvernement du Québec. Malheureusement, bien que le rapport du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) sur l’aménagement du complexe hydroélectrique de la Romaine recommandait en 2009 de protéger des milieux analogues à ceux de la Romaine, et que la Magpie soit ce qui s’en rapproche le plus, Québec fait la sourde oreille. Son potentiel énergétique, évalué à 3,8 TWh, est trop beau, semble-t-il. Les défenseurs de la rivière se tournent maintenant vers de plus hautes instances afin qu’elle apparaisse au registre mondial des aires protégées.
Le regroupement a néanmoins réussi un tour de force sans précédent au pays : en 2021, l’Alliance a conféré à la rivière le statut de personnalité juridique. Sans donner l’immunité à la Magpie contre tout projet hydroélectrique, l’octroi de ce droit symbolique prouve que l’acceptabilité sociale, que prend en compte Hydro-Québec dans le choix de ses projets, est loin d’être au rendez-vous.
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Il n’en fallait pas plus à Roy Dupuis pour reprendre la route 138 vers la Minganie l’été dernier. Cette fois, l’acteur et son équipe de production ont débarqué avec une dizaine d’élèves du secondaire de Montréal – qui, pour la plupart, ne s’étaient jamais aventurés bien loin de la métropole – pour leur faire vivre l’expérience de la Magpie, la documenter et la partager sur les ondes télévisées (le documentaire Après la Romaine est disponible sur ICI Tou.tv).
Guidé par Mathieu, le groupe a pagayé les 55 km de la basse Magpie pendant cinq jours. L’excursion, rythmée par la cueillette, la pêche, le camping à la belle étoile – et quelques moustiques ! –, a donné à ces jeunes urbains une toute nouvelle perspective sur la nature. Mathieu avoue que l’expérience a été extraordinaire pour lui aussi. « Ça m’a fait du bien de voir à quel point ça a transformé leur vie. Ça m’a ramené aux sources », confie-t-il. L’immersion a été somme toute efficace pour éveiller les jeunes à la valeur réelle d’une ressource naturelle comme la Magpie, qui représente plus que des kilowattheures, plus qu’un simple terrain de jeu. Et si vous ne savez toujours pas de quoi je parle, il est temps d’aller voir par vous-même.