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Le sentier de la réconciliation

Et si la pratique du vélo de montagne contribuait à aider les Premières Nations à panser leurs blessures ? En comblant le fossé entre les différentes cultures grâce au langage universel du plaisir. Reportage en Colombie-Britannique, au premier festival Allies, organisé par la Première Nation Simpcw.

mots :: Matt Coté photos :: Reuben Krabbe de bienveillance, cache un fait inéluctable : la réconciliation est un fardeau colonial, pas autochtone. Et pourtant, dès qu’il faut aborder ce sujet délicat, les Premières Nations continuent de se présenter à la table des discussions.

Dans le cas présent, il s’agit du symposium bisannuel de la Mountain Bike Tourism Association (MBTA) qui a lieu au SilverStar Mountain Resort, en Colombie-Britannique, auquel Tom Eustache a été convié. En tant que cycliste et concepteur de sentiers lui-même, il a trouvé un terrain d’entente avec toutes les personnes présentes dans la salle, ce qui n’a pas toujours été le cas dans le cadre de la réconciliation canadienne. Pour les Simpcw et d’autres nations, les sentiers sont devenus un moyen de réoccuper leur territoire et de ramener la santé et le bonheur dans des lieux assombris par l’héritage du système des pensionnats – un régime brutal d’assimilation culturelle devenue génocide indigène, déployé par le gouvernement canadien jusqu’à la fin des années 1990.

Dans le but de favoriser la guérison de sa communauté natale de Chu Chua, à environ une heure au nord de Kamloops, en Colombie-Britannique, Tom, qui y est à la fois directeur des travaux publics et bénévole, a coordonné la construction et le développement d’un réseau de sentiers en collaboration avec le programme Indigenous Youth Mountain Bike et l’organisation First Journey Trails. Ici, le sol de la forêt est sablonneux et sec, l’espacement entre les sapins et les épinettes est idéal pour obtenir de belles vues, les collines s’élèvent en pente douce depuis la large rivière que les colons ont baptisée la Thompson Nord. C’est l’endroit parfait pour rouler avec de gros pneus, à michemin entre Kamloops et Williams Lake, épicentres du freeride en Colombie-Britannique. Mais, pour les Simpcw, les sentiers de vélo de montagne ne sont pas seulement une commodité, ils sont aussi une occasion à saisir.

Lors de la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, quelques semaines seulement après le symposium de la MBTA, une centaine de cyclistes se sont réunis à Chu Chua pour le premier festival de vélo de montagne Allies. Il s’agit d’une belle invitation à venir célébrer et profiter des lignes fluides que les Simpcw ont sculptées sur leur territoire.

Des cyclistes de quatre Premières Nations de la Colombie-Britannique – les Squamish, Musqueam, Ucluelet et Wet’suwet’en – ont répondu présents, aux côtés de membres des Premières Nations Waterhen Lake, de la Saskatchewan, et Navajo, du sud des États-Unis. Plusieurs amateurs de vélo de montagne non autochtones sont également venus des quatre coins de la Colombie-Britannique et même d’aussi loin que de l’Inde.

« Vous êtes les suivants », fait savoir Tina Donald, une conseillère simpcw qui dirige le cercle d’accueil. Elle demande systématiquement à chaque personne de se présenter. En ce jour si important, chacun doit prendre le temps de se rencontrer et de s’écouter. S’ensuit un chant de bienvenue au tambour, interprété par Leon Eustache, le neveu de Tom, puis il est temps d’aller rouler. Pour le reste de la journée, aucune autre formalité. Le but est simplement de s’amuser ensemble.

C’est quelque chose que je ressens de plus en plus ces derniers temps – être fier de qui je suis et d’où je viens.

La foule se disperse vers le point de départ du sentier et disparaît dans les bois. Certains montent dans des navettes, d’autres choisissent de pédaler sur le sentier d’ascension. Les boucles sont courtes et gratifiantes ; il est possible d’enchaîner plusieurs descentes sur des sentiers qui n’ont rien à envier aux meilleurs de la province.

Sentiers de fierté

Ce réseau de classe mondiale soulève une question simple : compte tenu de ce que les peuples autochtones ont perdu au profit des colons européens et de leurs descendants, pourquoi ont-ils invité des « Blancs » alors qu’ils pourraient garder « leur secret » pour eux seuls ? « Nous voulons montrer à tout le monde comment nous nous rassemblons et comment nous partageons, explique Tom Eustache. Peut-être que, parce que nous sommes ensemble ici dans un contexte décontracté, je peux vous parler, vous pouvez écouter, et vous êtes alors capables d’entendre. Parce que nous venons de faire une descente de vélo, nous avons l’occasion d’être calmes, de nous asseoir avec des gens qui partagent les mêmes idées. »

C’est une réponse si généreuse que nous avons un peu honte de la question. Tom Eustache poursuit en disant que lorsque vous construisez quelque chose dont vous êtes fier, vous voulez le montrer. « Il y a une grande satisfaction à voir des cyclistes venir des centres de vélo de montagne les plus connus de la province pour visiter nos sentiers et les adorer. »

« J’espère que vous vous amusez ici, ajoute-t-il en souriant. Je suis tellement fier de ce que nous sommes. C’est quelque chose que je ressens de plus en plus ces derniers temps – être fier de qui je suis et d’où je viens. Beaucoup de membres des Premières Nations n’ont pas l’occasion de ressentir cela. »

La fierté devient également un sentiment familier pour Jay Millar, de la Première Nation Ucluelet. Plusieurs membres de sa communauté et lui ont eux aussi tracé des sentiers sur leur territoire non cédé où, comme il le dit, « l’océan se heurte aux montagnes ». Faisant partie de l’équipe de construction des sentiers, Jay confesse être tiraillé par l’envie de les garder secrets, tout en voulant les utiliser pour toucher plus de gens. « Par l’éducation, avancet-il, nous pouvons espérer tourner la page sur le passé. Avec l’arrivée d’un plus grand nombre de cyclistes, créer des sentiers est une nécessité pour notre communauté – et un moyen d’amener les Autochtones sur le terrain. »

Agent de guérison

Jay Millar affirme que l’apprentissage du vélo et la construction de sentiers l’ont aidé à surmonter des moments difficiles et lui ont donné un but à atteindre. Il a grandi en faisant du surf, mais il économise aujourd’hui pour s’acheter un vélo de montagne en carbone afin de pouvoir explorer encore plus profondément son territoire ancestral. Cela lui donne l’impression d’être connecté, sans compter que c’est vraiment trippant.

Ce sentiment trouve écho chez Chelsie McCutcheon, une femme de la communauté wet’suwet’en de Smithers, dans le nord de la Colombie-Britannique, qui remarque que la notion même de bonheur autochtone s’est perdue dans le système des pensionnats, annihilée par l’écrasement rigide de l’absolutisme chrétien et remplacée par un traumatisme générationnel. « Le plaisir est un agent de guérison », affirme-t-elle. « Dans plusieurs communautés des Premières Nations, il y a un sentiment de désespoir – un ensemble qui a besoin d’être recousu. Cela semble si élémentaire, mais le fait de s’amuser contribue grandement à la réparation. »

Chelsie vit maintenant à Squamish, où elle collabore à la gestion du programme de vélo de montagne destiné aux jeunes autochtones de la région, et a également participé à l’Indigenous Life Sport Academy. La dépression est un fléau permanent dans les communautés autochtones, mais des sports comme le vélo de montagne et la planche à neige l’ont aidée à garder la tête hors de l’eau, confie-t-elle. Elle pense que cela peut servir de base à la guérison générationnelle. « Nous sommes dans une situation où, dans la société moderne, il n’est pas approprié de montrer sa souffrance. Or, quand vous devez la cacher, vous êtes bloqué. Mais souffrir [par l’exercice] supprime presque cette capacité à se dénigrer soi-même. »

S’il est vrai que le mouvement est un remède puissant pour la santé mentale et le bien-être physique, Chelsie reste consciente du fait que faire bouger les gens est une tâche bien complexe. Il faut des infrastructures, comme les sentiers de Chu Chua et d’Ucluelet, qui sont devenus des modèles de coopération. Alors que les gouvernements, de tous ordres, continuent à tâtonner dans cette mission, les adeptes de vélo de montagne développent leur expertise dans ce domaine. Le programme Indigenous Youth Mountain Bike et l’organisation First Journey Trails, entre autres groupes, ont aidé des douzaines de communautés du Nord et de la côte Ouest à construire des sentiers. Bien sûr, cela aide que la Colombie-Britannique soit la destination la plus prisée du monde pour le vélo de montagne, où ce sport constitue à la fois une passion populaire et un moteur économique important.

ROULEZ PLUS LOIN.

ROULEZ PLUS VITE.

ROULEZ LIBREMENT.

Au-delà des retombées économiques

Mais si la Colombie-Britannique est devenue le point de départ de l’aménagement de sentiers par les Autochtones, c’est probablement pour une raison parallèle : contrairement à la majeure partie du Canada, il n’y a ici pratiquement pas de droits fonciers issus de traités. Il en va de même à Carcross, au Yukon, où la Première Nation Tagish a entrepris une initiative similaire de création de sentiers en 2011, et dispose maintenant d’un aménagement touristique qui attire chaque été des milliers de personnes dans ses sentiers, ses boutiques et ses services de restauration. À mesure que les Premières Nations développent leurs propres réseaux, elles peuvent commencer à profiter de retombées économiques.

Selon la publication de la MBTA intitulée 2016 Sea to Sky Corridor Overall Economic Impact of Mountain Biking, qui résume les études portant sur l’axe de l’autoroute 99 entre North Vancouver et Pemberton, les sentiers de vélo de montagne ont généré cette année-là 70,6 millions de dollars en dépenses des visiteurs, soit le double des montants indiqués dans une étude réalisée en 2006.

Bien que la Colombie-Britannique soit l’une des plus grandes destinations de vélo de montagne de la planète, les avantages de ce sport ne se limitent pas à la province la plus occidentale du Canada. Aux États-Unis, la nation navajo accueille désormais l’impressionnant et populaire Rezduro, considérée comme la première course d’enduro en vélo de montagne dirigée par des Autochtones, dans un réseau toujours plus étoffé de sentiers qu’ils ont construits eux-mêmes.

Terence Yazzie et MT Garcia, de la communauté navajo, sont venus pour comparer leurs expériences. Leur importante réserve s’étend sur trois États : l’Arizona, l’Utah et le Nouveau-Mexique. MT Garcia s’efforce de faire connaître la pratique aux écoliers et, en l’espace de quelques années seulement, elle a vu plus de 40 jeunes navajos s’adonner à ce sport.

« Moi-même et d’autres concepteurs de sentiers, ainsi que les personnes de la communauté qui défendent le vélo, essayons de bâtir un espace sécuritaire », dit Terence Yazzie, en reconnaissant l’inconfort que peut créer le fait d’essayer quelque chose de nouveau.

Une communauté universelle

Bien que la « réconciliation », dans le contexte canadien, soit un nouveau mot pour lui, Terence comprend le concept. « Je pense qu’il s’agit simplement de partager l’importance culturelle de tous les peuples du monde, n’est-ce pas ? Par exemple, ce n’est pas parce que vous n’êtes pas autochtone que vous n’avez pas de culture. Nous pouvons partager cela les uns avec les autres et bâtir une grande communauté. »

Lors de ce rassemblement, cette notion de partage est présente toute la journée sur les sentiers, mais aussi en soirée, près du feu de camp où Chelsie explique à l’assemblée la signification du potlatch, une cérémonie autochtone qui consiste à partager des repas – une tradition que le premier gouvernement colonial de la Colombie-Britannique avait interdite. De même, Tom Eustache fait savoir à Vinay Menon, venant de Pune, en Inde, que la langue autochtone au Canada était entièrement orale et qu’elle a presque été anéantie par les pensionnats. Vinay est stupéfait d’apprendre qu’il n’y ait aucune trace écrite de la langue, ajoutant que si la diversité culturelle de son pays natal subsiste, c’est en grande partie grâce aux documents papier.

Prendre part à ces échanges multiculturels est un vrai plaisir pour Sean Bickerton, un résident non autochtone de Squamish, qui participe au festival Allies avec ses deux jeunes enfants. Agent des ressources naturelles pour le gouvernement de la Colombie-Britannique, il travaille justement dans le domaine des relations avec les Autochtones. Sean admet pourtant que ce travail – qui vise à faire respecter la loi – est un héritage du colonialisme. À ce titre, il s’inquiète d’être perçu comme un ennemi, mais il est toujours très étonné de l’accueil qu’il reçoit lorsqu’il visite les Premières Nations. Avec ses enfants, il est devenu important pour lui de normaliser ce sentiment que nous appartenons à une même communauté. « Je voulais sortir du contexte du travail et venir présenter la personne que je suis vraiment. »

Pour les enfants de Sean, la partie immersive de l’expérience est la plus fascinante. C’est quelque chose qu’on ne peut pas apprendre à l’école, où les peuples autochtones ne sont trop souvent qu’un concept. « Nous aurions pu rester chez nous pour la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, mais j’ai préféré assister à cet événement et montrer à mes enfants comment fonctionne cette communauté des Premières Nations. Vivre et apprendre par l’entremise du vélo de montagne. Cela donne un repère auquel les enfants peuvent s’accrocher, un moyen de rencontrer des gens et d’absorber un tas de nouvelles informations. »

Weyt-kp

Le festival se clôture avec un dîner de bannique et une cérémonie d’adieu. Au lieu de s’entasser à l’intérieur d’un bâtiment, Terence Yazzie, Theo, le fils adolescent de Tom Eustache ainsi qu’une douzaine d’autres cyclistes s’amusent sur le sentier improvisé, tombant, riant et prenant du retard pour le dîner.

Le temps semble malléable, et chacun reconnecte à la simplicité de l’enfance et à ce qu’elle a de merveilleux. Pour chaque chose qui nous sépare, il y en a beaucoup plus qui nous rapprochent.

De retour à l’intérieur, des jeunes de la nation des Squamish prennent Tom Eustache à part pour lui offrir une sculpture en cadeau, alors que Leon joue une chanson d’adieu sur le tambour. Tom est en larmes au moment de dire au revoir au groupe de cyclistes, autochtones et non autochtones, leur avouant qu’il est ému de voir tout ce monde sur le territoire.

« Revenez parcourir les sentiers, les invite-t-il dans sa langue maternelle, le secwepemctsin, et quand vous le ferez, passez dire bonjour – weyt-kp. »

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