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2. ARCHITECTURES JETABLES

“Où les éboueurs portent chaque jour leurs chargements, personne ne se le demande: hors de la ville, c’est sur; mais chaque année la ville grandit, et les immondices doivent reculer encore; l’importance de la production augmente et les tas s’en élèvent, se stratifient, se déploient sur un périmètre plus vaste. Ajoute à cela que plus l’industrie de Léonie excelle à fabriquer de nouveaux matériaux, plus les ordures améliorent leur substance, résistent au temps, aux intempéries, aux fermentations et aux combustions. Le déjet de Léonie envahirait peu à peu le monde, si sur la décharge sans fin ne pressait, au-delà de sa dernière crête, celle des autres villes, qui elles aussi rejettent de loin d’elles mêmes des montagnes de déchets […] un cataclysme nivellera la sordide chaîne de montagnes, effacera toute trace de la métropole sans cesse habillée de neuf. Déjà des villes sont prêtes dans le voisinage avec leurs rouleaux compresseurs pour aplanir le sol, s’étendre sur le nouveau territoire, s’agrandir elles-mêmes, rejeter plus loin de nouvelles ordures ” Italo Calvino, Les villes invisibles

En Europe, les déchets représentent chaque année plus de 2 milliards de tonnes. Les déchets du bâtiment représentent 40%. Le coût d’élimination de ces déchets est estimé à 2,50 milliards d’euros par an soit 3,5% du chiffre d’affaires du bâtiment. La Chine est confrontée à un énorme problème de pollution avec 2 milliards de m2 de planchers construits chaque année soit 6.600 tonnes par jour de déchets de bâtiments qui finissent dans des décharges urbaines. Le bâtiment et les travaux publics (BTP) sont, de loin, les plus gros pourvoyeurs de déchets non organiques de France, selon l'Institut français de l'environnement (IFEN -2007), avec 343 milliards de kilos produites, soit 5,5 tonnes par habitant.

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Notre société actuelle basé sur la croissance, la production et la consommation a développé un mode de vie accélérée où la multiplicité d’un d’objet banalise ce dernier et le rend dispensable par la suite. De nouveaux “besoins” sont crées par notre société, mais ce n’est qu’une apparente nécessité car souvent ces besoins ne sont plus vitaux. Ces nouvelles “nécessités” vont évoluer rapidement jusqu’à atteindre une durée de vie relativement réduite. Les objets produits pour répondre à ces demandes vont donc eux aussi avoir un caractère éphémère. L’objet devient ainsi jetable dans le sens où il est facilement renouvelable et où sa matérialité n’est plus réellement durable. Certaines des productions bâties ou architecturales ont une courte durée de vie déjà programmée, comme c’est le cas aux États-Unis par exemple, où l’on sait d’avance que la durée de vie de certains bâtiments est de 30 ou 40 années. On peut ainsi parler d’une obsolescence programmée dans les architectures banales et courantes. Le cas est flagrant aux USA mais en France et dans d’autres pays développés cela serait le cas également. Comment pouvons nous pas réagir a ce type de mode opératoire dans le façonnement de nos villes ? Il est inadmissible de minimiser la responsabilité de ceux qui ont tendance à construire de manière effrénée ayant pour conséquence l’expansion urbaine sans limites d’un coté, et la négligence de consommer des ressources premières et de construire avec des matériaux ayant un fort impact au niveau du bilan carbone. D’autant plus que la faute est accentué par le fait que ces ouvrages sont d’avances programmés pour être supprimés dans 30 ou 50 ans! Il est impératif d’établir des réglementations afin de limiter ce genre d’opérations: d’un coté nous pouvons parler d’architectures jetables (où la mauvaise qualité bâtie mériterai dans le futur une démolition) et d’un autre coté de l’obsolescence programmée dans les constructions (où le fait de produire des architectures avec une date de péremption permettrait d’assurer le maintien de la production dans le secteur du bâtiment). La quasi-totalité de la croissance démographique à venir, d’ici 2050, se réalisera dans les villes des pays en développement. Comment créer des villes capables d’encaisser cette lourde demande alors qu’elles présentent déjà tant de problèmes. Dans un premier temps il s'agit comme nous avons vu précédemment de limiter les constructions jetables et l’étalement urbain. Dans un second temps, afin de guérir nos villes, il faut faire appel à deux stratégies: l’une c’est réparer l’existant, l’autre serait penser 100% écologiquement les futures constructions Réparer l’existant est déjà une démarche écologique car on se sert du sur-place pour redonner une seconde ou troisième vie à des constructions. Conserver c’est transformer. À ce dont il faut apporter toute notre attention c’est à la façon que l’on a aujourd’hui de concevoir en peu de temps et avec des matériaux de faible qualité.

Des architectures d’une courte durée de temps de vie sont crées. Des architectures jetables où le temps de réflexion est court et le vieillissement des immeubles laisse beaucoup à désirer. Quel intérêt à construire vite et moins cher pour après venir systématiquement déconstruire- pour construire. Ne faudrai-il plutôt re-valoriser nos futures constructions en amont ? C’est à dire, leur consacrer le temps nécessaire à une bonne conception, le meilleur choix de matériaux mis à disposition, certainement un peu plus chers, mais plus pérennes, de meilleure qualité et soutenables vis à vis de la planète. Le bon marché reviens toujours cher. Depuis la révolution industrielle les villes sont de plus en plus complexes, elles génèrent des dysfonctionnements pour les citadins, les villes sont des organismes qui se régulent difficilement. De ce fait, un nouveau courant à propos de la ville se crée l’Urbaphobie, le fait de détester la ville. Certains penseurs comme Rousseau, David Thoreau, R.W. Emerson, appelés urbaphobes se tournent vers les ressources de la nature pour retrouver la solution aux maux de la ville. D’autres penseurs cherchent au contraire à corriger la ville. Une ville qui ne se corrige pas développe des cancers et tend à l’autodestruction. Je suis plus adepte au deuxième courant qui vise à réparer la ville, plutôt que partir se ressourcer dans la nature. Il ne faut pas partir en nature chercher le refuge et la solution à nos pathologies urbaines mais il faut régénérer la ville en ramenant la nature en ville, autrefois rejeté. Il n’y a rien de moins écologique que partir en pleine nature s’installer libre et facilement. En effet, chaque fois qu’un individu part “s’exiler” en nature il réalise que de par sa propre présence une première empreinte de conquerreur de nouveaux territoires non urbanisés, mais qui par la suite par inertie deviendront des lieux urbains avec le temps. Pour cette raison, il est plus important écologiquement de réparer la ville au lieu de la fuir. L’urbanisme est là pour soigner. De là découle le concept développé par Philippe Simay, la ville pharmakon, qui est à la fois le virus et le remède

Une émission sur France 2, dévoile un projet immobilier réalisé sous le nom d’éco-quartier mais en réalité une affaire d’escroquerie. Les matériaux de faible qualité et les ponts thermiques font l’objet principal de critique. Il me semble important de veiller à ce que le terme “écologie” ne soit pas utilisé à toutes les sauces par n’importe quel projet immobilier. Je juge illégitime que certains projets décrédibilisent notre engagement environnemental. Il faut exiger des normes, labellisations et réglementations qui défendent et qui rendent légitime le vrai propos environnemental. La société civile est en droit de connaitre quels sont les projets porteurs de qualité architecturale. Il est de notre devoir signaler les projets de basse qualité qui se maquillent de “vert”. De cette manière les projets jetables seront diminués

En apparence il est toujours plus coûteux et laborieux de passer plus de temps à faire une tâche dont le résultat instantanée nous paraîtrait semblable à ce que l’on aurait pu avoir si l’on aurait consacré moins de temps. Souvent, la différence du résultat n’est pas instantanée mais visible au long terme. Est ce que l'on peut concevoir le futur de nos villes crée par des machines 3D à béton ? Conçues en 3 minutes selon un prototype ? Ou seront nous des acteurs résiliants à certaines technologies et façons de faire ? Evitons de créer massivement des villes génériques réalisées comme des objets copy-paste, indifférent des traditions, de la culture, du climat, de l’histoire. Soyons promoteurs de villes représentatives de leur population. La mondialisation entraine la ville générique et tend vers l'uniformisation et l’homogénéité des populations. Il y a une perte d’identité alors que l’architecture doit promouvoir la culture. Cessons de construire nos villes avec tant d’ardeur, de manière désinvolte, prenons le temps de penser chaque nouvelle empreinte réalisé par l’étalement urbain. Limitons le monopole que le parc de l’immobilier a sur la question du logement, prenons le temps de nous organiser pour coconcevoir, développer l’habitat participatif et toutes autres démarches citoyennes nécessitant l’expertise de la maitrise d’oeuvre. Prenons le temps d’expliquer aux grands groupes de construction l’intérêt et le devoir qu’ils ont à utiliser des matériaux et des techniques de constructions viables.

«Dans la lenteur il y a une forme de rapidité, une grande agilité de pensée. Dans l’esprit de quelqu’un qui écrit lentement et prend le temps de réfléchir, il y a mille connexions rapides »

Renzo Piano, La désobéissance de l’Architecte

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III. LE FUTUR DE NOS VILLES, UNE RESPONSABILITÉ DE TOUS

« Dire que les villes « ça dure » au sens de la pérennité, de la solidité, est un pléonasme. ce qui est sous-entendu dans le mot durable fait référence au terme anglais sustainable : « qui ne met pas en péril la survie des générations futures », autrement dit « qui s’attache au respect des humains et de leur environnement ». Pour les villes, cela signifie un développement urbain qui limite sa pression sur les milieux naturels (ressources du sol, eau, air, matières, déchets, etc.) et qui minimise globalement l’impact sur l’écosystème : parviendrons-nous à concevoir et à vivre dans des villes qui minimisent notre empreinte écologique »

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