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Les jeunes sportifs et sportives se spécialisent beaucoup trop tôt et une variété limitée entraîne inévitablement des blessures.

– Damien Van Tiggelen –

PROFESSEUR/CHERCHEUR SPÉCIALISÉ EN REVALIDATION

“ Les jeunes sportifs et sportives se spécialisent beaucoup trop tôt et une variété limitée entraîne inévitablement des blessures. ”

Damien Van Tiggelen est un chercheur spécialisé en revalidation et le chef du Centre de médecine physique et de réadaptation de l’hôpital militaire Reine Astrid (Bruxelles). De plus, il est professeur invité à la Faculté de médecine et des sciences de la santé (UGent) depuis 2013. Il a obtenu en 2009 le titre de docteur en rééducation de la fonction motrice et kinésithérapie grâce à sa thèse intitulée « Prevention of Patellofemoral Pain in Military Recruits ». La prévention des blessures sportives du membre inférieur est son domaine de recherche. Il réalise cette étude en parallèle sur des militaires et sur des joueurs et joueuses de hockey.

Professeur Van Tiggelen, d’après vous, consacre-t-on suffisamment d’attention à la prévention des blessures dans le monde du sport, et plus particulièrement dans le hockey?

Les sportifs, sportives et les coaches sont de plus en plus conscient(e)s de l’importance de la prévention, mais l’attention qui y est consacrée reste malgré tout insuffisante. Naturellement, la prévention n’est pas « sexy », il s’agit souvent d’exercices ennuyeux qui n’ont aucun lien avec le sport. De plus, le sportif ou la sportive ne peut en voir aucun effet immédiat. La prévention des blessures n’est pas un but en soi, contrairement à l’amélioration des performances, et ces deux notions sont évidemment liées l’une à l’autre. C’est la raison pour laquelle il est important de rendre plus clair ce lien avec les performances. Les exercices de prévention sont également des exercices qui mettent l’athlète dans une situation où des blessures aiguës surviennent souvent, afin qu’il ou elle puisse anticiper le mouvement. Au hockey, les changements de direction et les sprints en situation de fatigue présentent par exemple un risque de lésion ligamentaire ou musculaire. Il est donc question d’une forme « d’exposition graduelle ». Cette dernière est une stratégie de traitement où nous allons pratiquer des mouvements qui sont douloureux et augmenter progressivement la charge. Cette approche repose sur le fait que la douleur et son intensification ne signifient pas automatiquement que le corps subit des dommages.

Que peut-on améliorer dans le domaine de la prévention des blessures et à quel niveau ?

Le manque d’infrastructure au sein du hockey belge est évidemment un problème. Il faut plus de place et de temps pour pouvoir pratiquer des exercices préventifs adaptés. Il y a indubitablement encore une importante marge de progression au niveau de la prise de conscience. Depuis 2013, la fédération tient un registre des blessures, mais il en reste malheureusement beaucoup qui passent sous le radar. Les compagnies d’assurance ont une vue d’ensemble très complète des accidents du sport, mais les blessures dues à une surcharge n’apparaissent pas dans les déclarations. La plupart des blessures sportives connaissent un début « latent » et n’apparaissent pas ou à peine dans ces tableaux. Toutefois, elles ne sont pas pour autant moins importantes pour le sport et l’athlète même, qui se retrouve parfois bloqué pendant des années. Au niveau des clubs, je pense que les choses vont pas mal évoluer dans les prochaines années. Cela fait déjà environ cinq ans que nous étudions les blessures dans le monde du hockey et nous avons une idée assez précise des adaptations spécifiques au sport à proposer aux athlètes. Chaque année, nous passons au crible les athlètes du programme BeGold avec Dorothée Gaeremynck, coordinatrice médicaleparamédicale de l’Association Royale Belge de Hockey. Naturellement, la Covid-19 nous a quelque peu mis des bâtons dans les roues cette année à ce niveau, mais s’il est possible de trouver les moyens financiers, nous allons assurément poursuivre cette mission. Une fois que nous pourrons déployer des programmes adaptés, cela aura également une répercussion au niveau des clubs.

Quelles blessures sont les plus fréquentes chez les jeunes joueurs et joueuses de hockey et quelles sont les différences par rapport à d’autres sports ?

Chaque sport est associé à des blessures typiques et le hockey ne fait pas exception. Le hockey est un sport que l’on peut qualifier d’invasif : des sprints courts, des changements de direction et une activité intensive. Les rotations du buste et des membres en flexion profonde sont caractéristiques au hockey. Je trouve que les jeunes joueurs et joueuses se spécialisent trop tôt dans un sport particulier. Ils se retrouvent parfois trois à quatre fois par semaine sur le terrain de hockey et n’ont plus le temps pour d’autres sports. Une variété limitée entraîne inévitablement des blessures. Dans certaines disciplines sportives, nous constatons une intervention de la fédération, par exemple au baseball. Le nombre de lancés par semaine est limité pour les jeunes enfants. Il est cependant encore prématuré de proposer des mesures de ce type pour le hockey. Les données ne sont tout simplement pas encore disponibles pour pouvoir concrétiser quoi que ce soit. Au hockey, nous observons deux sortes de blessures : les blessures traumatiques et les blessures de surcharge. La première catégorie comprend, entre autres, les déchirures musculaires et les entorses, tandis que les lésions de surcharge sont de nature chronique et apparaissent progressivement. Nous pouvons également faire une distinction entre les hommes et les femmes (ou les garçons et les filles). Les hommes sont souvent confrontés à des blessures au niveau des ischiojambiers, comme au football, et à d’autres lésions musculaires. Celles-ci surviennent typiquement pendant la période de préparation ou à la fin de la saison, lorsque la fatigue commence à jouer des tours aux sportifs. Les blessures aux chevilles se produisent indifféremment du sexe, tandis que nous remarquons que les lésions traumatiques du genou (ligaments croisés antérieurs) affectent davantage les filles. Cette observation n’est cependant pas spécifique au hockey. Dans les blessures traumatiques, nous devons également prendre en compte les traumatismes causés par la balle ou la crosse. La plupart des accidents ont lieu dans le cercle de tir, où la balle peut être frappée vers le haut en direction du but et où la concentration de joueurs et joueuses est importante lors de certaines phases de jeu. Nous pensons notamment aux blessures du visage (y compris les dents) et des doigts. Pour ce qui est de la surcharge, nous constatons aussi des différences entre les sexes. Les garçons souffrent plus souvent d’un conflit fémoroacétabulaire (CFA), qui correspond à un coincement au niveau de l’articulation de la hanche entre le bord du col du fémur et l’acétabule. Ils sont aussi plus souvent atteints par la maladie de Sever. Les mollets sont composés de deux grands muscles. Ces deux muscles sont reliés à l’os du talon par le tendon d’Achille. Chez les personnes dont le squelette n’est pas encore arrivé à sa taille définitive, à l’endroit où le tendon d’Achille se fixe, l’on trouve du cartilage de croissance. À chaque fois que les mollets se contractent, les muscles tirent sur le tendon d’Achille. Celui-ci est peu extensible, ce qui entraîne une forte traction sur le cartilage de croissance du talon. Lorsque la tension est trop grande/forte ou exercée de manière répétée et longtemps, elle peut causer une irritation du cartilage de croissance, avec pour résultat des douleurs et parfois l’apparition possible d’une saillie osseuse à l’arrière du talon. Les filles, quant à elles, sont plutôt sujettes à des problèmes fémoro-patellaires, qui se traduisent par des douleurs au niveau de la rotule. Un ensemble de facteurs (en partie inconnus), avec la surcharge comme principale composante, est à l’origine de ces douleurs. Le traitement est souvent long et combine du repos et des exercices de rééducation. Par ailleurs, elles sont aussi plus souvent confrontées aux « syndromes de stress tibial », une appellation générique pour désigner différentes irritations au niveau du tibia. La plus fréquente est la périostite, une inflammation de la membrane fibreuse du tibia. Celle-ci peut apparaître entre autres à cause d’une surcharge ou de chaussures de mauvaise qualité.

Une approche générique ou individuelle, c’est souvent la question cruciale… Que préférez-vous ?

L ’approche générique est intéressante pour les sportifs et sportives qui n’ont pas d’antécédents de blessures, c’est ce que l’on appelle la prévention primaire. L’avantage d’un programme générique est qu’il ne demande pas beaucoup de préparation, qu’il est simple à apprendre et facile à appliquer. Toutefois, même dans cette approche générique, il convient d’opérer une distinction entre les sexes. De plus, certaines tranches d’âge ont aussi des besoins spécifiques. Notre étude nous a par exemple démontré que la mobilité de la hanche chez les garçons diminue de manière significative dans la catégorie U18 par rapport à la catégorie U16, une évolution que nous ne retrouvons absolument pas chez les filles. Il s’avère ainsi que la force des quadriceps et de la ceinture abdominale (les muscles du dos et de l’abdomen) a davantage d’importance. Grâce à ces observations scientifiques, il est possible d’élaborer des programmes semi-personnalisés selon le sexe et l’âge. C’est déjà une belle avancée dans la bonne direction.

Un programme individuel est préférable, mais il nécessite beaucoup de temps et de moyens. Pour ce faire, une anamnèse complète (grâce aux retours du sportif ou de la sportive) et un examen approfondi sont nécessaires. En outre, un suivi adéquat est indispensable, car les besoins d’aujourd’hui ne sont pas nécessairement ceux de la prochaine saison ni même du mois prochain. C’est pourquoi l’examen des athlètes tel que nous avons pu le pratiquer jusqu’à présent connaît également ses limites. Comparons-le à une photo. Parfois, vous êtes bien sur la photo, mais souvent, elle ne montre pas du tout ce que vous souhaitiez. C’est également vrai pour les examens et tests. Il s’agit d’un instantané. Les anomalies très visibles sont évidemment significatives, mais celles qui sont plus subtiles, beaucoup moins. Dans un programme individuel, il faut bien tenir compte des blessures antérieures et, tout particulièrement, de leur cause sous-jacente. Nous savons que le facteur de risque le plus important pour une blessure, c’est une blessure précédente.

Quel rôle joue un bon suivi dans tout cela ?

Le suivi constant de l’athlète constitue une étape vitale dans la prévention des blessures. Les lésions apparaissent en raison d’un déséquilibre entre la charge imposée et la résistance du sportif ou de la sportive. Ces deux facteurs varient constamment et, de ce fait, rendent les choses très complexes. Une performance sportive repose en grande partie sur quatre piliers : la forme physique, la résistance mentale, l’alimentation et l’hydratation et, dernier pilier, mais non des moindres, le repos et la récupération. Ces quatre piliers fluctuent constamment : une mauvaise nuit de sommeil, du stress au travail, un mauvais repas, etc. Dans la littérature scientifique, il est question de charge interne et de charge externe. Cette dernière est mesurée par exemple avec des systèmes GPS (distance totale parcourue, nombre de mètres par minute, etc.). La charge interne est fournie par l’athlète qui évalue celle-ci subjectivement. Le corps n’aime pas les pics soudains au niveau de la charge. Nombre de ces pics élevés se soldent souvent par des blessures. Si vous courez un marathon sans vous être entraîné(e), il y a de grandes chances que vous rentriez à la maison avec, en souvenir, une blessure en plus d’une médaille. Nous travaillons en ce moment à l’élaboration d’un système dans lequel ce suivi ne serait pas uniquement réservé aux athlètes de haut niveau de la Division d’Honneur ou de l’équipe nationale. Un projet pilote est actuellement mené dans un club belge.

Les sportifs et sportives sont-ils suffisamment conscient(e)s de l’utilité de la prévention des blessures ?

Je pense que la sensibilisation est de plus en plus large. Malheureusement, la prévention des blessures se limite encore trop souvent à un échauffement et à quelques étirements dynamiques. Les coaches doivent d’abord être les ambassadeurs de cette prise de conscience, car les joueurs et joueuses font simplement ce qu’on leur demande. Les coaches et les parents doivent encourager les jeunes à pratiquer des sports (complètement) différents pendant l’entre-saison afin de s’exposer à un éventail varié de mouvements. Cette approche va non seulement améliorer leurs aptitudes et leur intelligence de jeu, mais aussi avoir un effet préventif par rapport aux blessures.

Quelles sont les « erreurs » fréquentes au niveau de la prévention des blessures ?

Souvent, les sportifs et sportives effectuent surtout les exercices dans lesquels ils sont bons, pas ceux dont ils ont besoin. Par ailleurs, je vois régulièrement des programmes qui sont trop analytiques et donc trop éloignés de la réalité du sport. Ce n’est pas mal en soi, mais si le programme ne peut pas être transposé dans quelque chose de fonctionnel, il n’a pas beaucoup de sens et ne sera pas bien respecté. Le hockey est un sport de course, dans lequel on se trouve la majorité du temps sur une seule jambe et où la stabilité de la région lombo-pelvienne est essentielle pour courir efficacement (et moins se blesser). La transposition au fonctionnel n’est toutefois pas si évidente. Les lésions au niveau des ischiojambiers surviennent souvent au moment où l’athlète accélère au maximum ou arrive à sa vitesse maximale. Une partie de la prévention devra donc aussi porter sur ces stimuli. Si, par exemple, on s’entraîne constamment sur un demi-terrain de hockey, on ne va alors jamais arriver à la vitesse maximale que l’on atteint en match.

Vous avez déjà évoqué les blessures récurrentes. Que peut-on faire pour les éviter ?

Comme je l’ai dit, le principal risque d’une blessure est une blessure antérieure. Si la rééducation s’est uniquement concentrée sur les symptômes, le risque de se reblesser est réel. Nous n’avons pas encore découvert le secret pour éviter complètement les blessures récurrentes, mais il est naturellement important de trouver la cause de la première blessure. Pourquoi ce biceps fémoral se déchire-t-il à chaque fois pendant la préparation, pourquoi toujours en novembre ou en février ? Pourquoi ces ennuyeux syndromes fémoro-patellaires apparaissent-ils toujours chez les filles ? Le fait de répertorier tous les facteurs qui y contribuent exige du soignant ou de la soignante non seulement une bonne connaissance scientifique de la blessure, mais aussi une connaissance approfondie du sport et de l’environnement du sportif ou de la sportive. Un bon suivi de l’athlète permet aussi de voir à temps que l’équilibre entre la charge et la résistance menace de se rompre. On peut le constater : tout cela est extrêmement intéressant, mais il s’agit en même temps aussi d’un processus complexe. Un véritable défi !

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