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XAVIER TROESSAERT
– Xavier Troessaert –Titulaire d’un diplôme de kinésithérapie du sport délivré en 2011 par l’ULB, Xavier Troessaert a rapidement été intégré à l’équipe médicale du club de hockey du Royal Racing Club de Bruxelles. L’équipe évolue au plus haut niveau belge avec des joueurs et joueuses issu(e)s de différentes équipes nationales (Belgique, Canada, France, Irlande, etc.). Par son passé sportif dans le volley, Xavier Troessaert s’est toujours senti particulièrement attiré par le sport de compétition. La mise en place d’un encadrement aussi efficace que possible est sa manière de participer aux performances de l’équipe. Sa devise est la suivante : les joueurs et joueuses doivent être au top chaque jour, nous aussi !
Monsieur Troessaert, comment abordez-vous la question de la récupération au sein du club dans lequel vous travaillez ?
Avant toute chose, il est important de définir clairement ce que nous entendons par « récupération ». Le travail et les performances d’un(e) athlète représentent un continuum. Il est rare qu’il y ait réellement un moment libre entre les matches, les entraînements, les séances de mise en condition physique, etc. Je préfère donc parler en réalité de « gestion de la charge » (« load management »). En fonction du travail effectué, le corps va en effet être soumis à des contraintes spécifiques. Afin d’en tirer un bénéfice, une période de décharge est nécessaire pour cette adaptation. Il en va de même pour les aspects psychologiques. Nous devons donc clairement identifier quelle structure (système nerveux, système cardiovasculaire, articulations, muscles, etc.) est travaillée et de quelle manière (volume, intensité, agressivité) dans chacune des séances de travail effectuées. En fonction de cela, nous pouvons évaluer ou surveiller le temps dont le corps a besoin pour s’adapter. C’est ici qu’intervient alors le concept de « charge optimale », que nous tâchons d’appliquer quotidiennement dans la pratique au niveau du développement physique, mais aussi de la rééducation.
Un bon suivi est donc essentiel ?
En effet. Et pour tenir tout cela à l’oeil, nous utilisons différents outils, notamment pour savoir comment le sportif ou la sportive réagit aux différents efforts accomplis (physiques ou même psychologiques). Tout d’abord, nous avons le « Daily Morning Report », un rapport quotidien qui reprend les données relatives au sommeil (qualité/quantité), aux douleurs, à la fatigue, au stress, etc. Cela est rempli tous les matin et nous comparons ces données avec les valeurs habituelles des athlètes (car elles diffèrent d’une personne à l’autre).
Ensuite, , il y a un rapport de la « charge interne », c.-à-d. de l’intensité ressentie par le sportif ou la sportive à l’issue d’une séance d’entraînement. Ces données peuvent fortement varier entre deux athlètes qui suivent le même entraînement. Cela peut-être le signe que l’un(e) d’eux a du mal à s’adapter à la charge totale à laquelle son corps est soumis (par exemple à cause d’un problème de sommeil, de régime alimentaire, de stress, de récupération insuffisante, etc.). Et enfin, il y a une analyse de la charge externe, à savoir la charge à laquelle le sportif ou la sportive est soumis(e). L’utilisation de GPS, de cardiofréquencemètres ou d’autres dispositifs nous permet de collecter une quantité considérable d’informations. Ces informations nous aident parfois à identifier des changements au niveau des performances mêmes. Cela peut indiquer un problème avec la charge de travail ou une mauvaise récupération.
Quel est alors le résultat de l’association de ces trois approches ?
Ces trois approches rassemblées nous permettent de surveiller la charge à laquelle l’athlète est soumis et la manière dont il ou elle s’y adapte. Toutefois, cela a uniquement du sens si l’on établit un lien étroit avec le planning préparé en fonction des pics de performance recherchés. Une collaboration étroite entre le préparateur physique, le coach et le staff médical est dès lors essentielle. Cependant, une importante différence nous complique la tâche. En effet, chaque athlète s’adapte différemment à l’entraînement. Pour cette raison, le suivi et l’ajustement de l’entraînement ne sont pas si simples à gérer pour une équipe de vingt athlètes ou plus. En outre, les moyens et le personnel disponibles sont limités.
Et c’est seulement à ce moment-là que vous pouvez réellement vous mettre au travail…
Dès que les différentes séances de travail sont planifiées, nous pouvons en effet en éplucher le contenu et mettre en place les stratégies de gestion adéquates. Lorsque nous sortons d’un match « normal », nous savons que les athlètes vont avoir besoin de 48 à 72 heures pour retrouver toutes leurs capacités de performance (puissance, vitesse, etc.). Cela n’a aucun rapport avec d’éventuelles stratégies de récupération que nous pourrions introduire. Si nous ne respectons pas ce délai à plusieurs reprises, nous augmentons le risque de blessures. Cela vaut également pour certains types d’entraînements spécifiques, comme la vitesse de course maximale et la plyométrie, après lesquels les structures visées doivent se reposer pendant un certain temps. Les stratégies pour la récupération, pour faciliter l’adaptation, doivent être élaborées individuellement et conformément au travail fourni. La gestion d’une équipe de hockey est organisée autour du match hebdomadaire (il y en a parfois deux). Nous projetons alors le développement de certains paramètres physiques et nous établissons un planning pour la semaine. C’est évidemment différent d’une équipe nationale, qui se prépare en vue d’un match ou d’un tournoi. Dans ces derniers, les périodes entre les matches sont alors quasiment exclusivement consacrées au maintien des performances et donc à la récupération maximale de tous ces paramètres sur une courte durée.
Quelles techniques sont utilisées pour favoriser la récupération ?
Nous pouvons subdiviser notre approche en deux stratégies. Tout d’abord, il y a un besoin important de récupération entre deux efforts successifs rapprochés. Par exemple, lorsque nous jouons deux matches le même week-end (souvent le vendredi soir et le dimanche). Comme je l’ai déjà mentionné, il n’est pas possible d’accélérer la période de récupération « naturelle » de 48 à 72 heures. Mais nous pouvons utiliser différentes stratégies ou techniques pour aider l’athlète à se sentir mieux. Il y a notamment la cryothérapie, par exemple un bain de glace ou un appareil cryo-compressif. Nous allons ainsi maîtriser la réaction inflammatoire liée aux dommages musculaires. Nous pouvons également appliquer la technique de compression (p. ex. avec des bas de compression), qui facilite le retour veineux et lutte contre la pression intra-tissulaire/la rétention d’eau, qui provoque principalement un inconfort au niveau des membres inférieurs. La récupération active est naturellement aussi une option. Dans ce cas, nous avons recours à une activité à faible charge qui est pratiquée 24 heures après l’entraînement. Par exemple du vélo, du vélo elliptique ou de la natation. Cela permet aux systèmes de régulation propres au corps (cardiovasculaire, hormonal, système nerveux, etc.) de « fonctionner ».
Enfin, nous utilisons également le relâchement myofascial et la mobilisation. Au moyen d’exercices d’étirement, de mobilisation lente et de grandes amplitudes, nous tâchons de libérer l’hypertonie musculaire causée par les processus inflammatoires dus à la dégradation musculaire (le mécanisme DOMS ou de douleur musculaire post-effort). Cela permet aussi une mobilisation au niveau articulaire et à d’autres niveaux qui aide à revenir à l’équilibre métabolique (homéostasie). Par ailleurs, il y a aussi l’approche que nous appelons « Time Line », qui est importante pour une récupération « naturelle ». L’accent est mis sur le relâchement myofascial et les amplitudes (même technique) et la mise en oeuvre de stratégies préventives (mobilité/stabilité/ qualité du mouvement). Une stratégie de récupération accrue peut être appliquée individuellement si les paramètres surveillés ne sont pas assez bons. D’où l’importance du suivi. La récupération active fait également partie de cette procédure d’accompagnement des adaptations naturelles. En plus de tous ces éléments, qui constituent une stratégie spécifique, il est important de souligner que les principaux aspects d’une bonne récupération sont le sommeil, l’hydratation et l’alimentation. Pour compléter cette dernière, les athlètes peuvent notamment intégrer des shakes de récupération après l’effort et des compléments alimentaires spécifiques (acides aminés, antioxydants, créatine, caféine, vitamines, etc.).
Existe-t-il des techniques de récupération spécifiques pour le hockey ?
Différentes techniques peuvent être utilisées dans plusieurs disciplines sportives. Toutefois, le hockey sur gazon génère une charge assez conséquente pour les membres inférieurs. Celle-ci s’illustre notamment par le nombre de blessures sur cette partie du corps. Si nous examinons les informations GPS relatives aux efforts fournis, nous pouvons facilement comparer les données du hockey sur gazon avec celles du football. Néanmoins, étant donné la petite taille de la crosse et le grand nombre de mouvements pour lesquels la crosse doit être placée complètement au sol, nous constatons une charge encore plus importante sur les cuisses et les muscles fessiers. C’est pour cette raison qu’il est très important de développer ces muscles de manière adéquate mais également de veiller à leur bonne adaptation à la charge de travail. De plus, le freinage pour exécuter les mouvements de base (push, flat, flick, etc.) se fait avec la jambe gauche en avant. Ce membre est donc soumis à une charge supérieure. Il est dès lors nécessaire d’attacher une attention particulière aux muscles fessiers et aux quadriceps. Les adducteurs et les ischiojambiers sont également suivis très attentivement, car c’est à ces endroits que la plupart des lésions musculaires se produisent au hockey. Enfin, certains mouvements comme le « DragFlick » sont pratiqué par quelques athlètes uniquement. Mais pratiqué en grand nombre lors des entrainements, c’est un mouvement qui peut-être très agressif pour le corps, notamment au niveau des hanches. Nous devons donc y porter une attention particulière chez ces athlètes.
Utilisez-vous aussi des techniques de la cryothérapie ?
Des stratégies de la cryothérapie sont régulièrement utilisées pour aider à maîtriser les processus inflammatoires liés à la dégradation musculaire. Dans les études scientifiques, il a toutefois été démontré que l’utilisation de ces stratégies de manière chronique constitue un frein à l’adaptation des muscles que nous recherchons. Le processus inflammatoire qui suit la dégradation musculaire due au travail est le précurseur du renforcement recherché. C’est également pour cette raison que les médicaments anti-inflammatoires (AINS) ne sont pas recommandés dans les 72 heures suivant une lésion musculaire. Lors d’efforts successifs rapprochés, et lorsque nous cherchons le « confort » de l’athlète, nous utilisons des stratégies locales avec des appareils de cryo-compression ou des stratégies plus globales (bain de glace ou GR Full Leg). Le développement de la cryothérapie pour l’ensemble du corps est également une stratégie intéressante. Il s’agit cependant plutôt d’une approche systémique qui cible moins les membres inférieurs de manière sélective.
Au hockey, les joueurs et joueuses ne sont pas continuellement au club, contrairement au football par exemple. Quel est le plus grand défi que pose cette réalité pour le staff médical ?
Il est très rare que les clubs disposent, au sein de leur infrastructure, d’un équipement complet pour l’organisation de l’ensemble des soins nécessaires, la récupération collective ou la préparation physique. C’est pourquoi des partenariats sont noués avec des centres de fitness locaux, ce qui s’accompagne parfois de quelques problèmes logistiques. D’autant que, bien qu’il y ait de plus en plus de joueurs et joueuses professionnel(le)s, beaucoup sont encore étudiant(e)s ou ont un travail à côté de leur sport. Le renforcement musculaire se présente donc souvent sous la forme d’un programme que le sportif ou la sportive accomplit selon son horaire individuel. Pour ce qui est du suivi médical/paramédical, il y a une permanence pendant les entraînements. Mais pour ma part, j’estime qu’il vaut mieux effectuer les soins les plus essentiels au sein de cabinet/centre dans lequel nous avons le matériel nécessaire. Idéalement, celui-ci se trouve à proximité du club. En ce qui concerne le suivi préventif et autre, en dehors des périodes de test (examens et autres), celui-ci est communiqué à l’athlète sous la forme d’un programme à effectuer par lui-même ou par elle-même. Ce mode de fonctionnement présente évidemment des problèmes pour le suivi, la qualité, etc. Nous nous retrouvons donc toujours à devoir faire de nombreux compromis. Toutefois, la professionnalisation progressive va permettre d’améliorer tout cela dans un avenir proche. C’est une certitude.
photo: Colas Lefevre
Étant donné le staff médical limité au sein d’un club de hockey, comment les programmes de prévention des blessures et de récupération sont-ils élaborés ?
Il est évident que, dans le monde du hockey, nous sommes encore bien loin du nombre d’effectifs dont les grands clubs de football peuvent disposer. Nous voyons dans le football que de nombreux clubs ont au moins quatre et parfois jusqu’à sept soignants (médecins, kinésithérapeutes, ostéopathes, etc.) pour s’occuper d’une équipe de trente joueurs ou joueuses. Ici, il n’y a souvent qu’une seule personne pour assumer tous ces rôles. Dans notre équipe, nous avons vingt-sept joueurs et les moyens dont nous disposons pour l’encadrement médical ne sont en outre pas exceptionnels. Nous effectuons ce boulot en complément du travail qui nous permet réellement de gagner notre vie, et surtout parce que nous aimons le « travail de terrain ». Ce qui me plaît particulièrement, ce sont tous les éléments qui entourent l’accompagnement d’une équipe, que l’on ne retrouve pas dans des consultations classiques en kinésithérapie. Il est nécessaire de créer dans un avenir proche un cadre plus professionnel dans le hockey, surtout si nous voulons continuer à améliorer les performances au niveau compétitif belge. Mais pour ce faire, il est important que les clubs puissent consacrer une part plus importante de leur budget à un encadrement médical et paramédical de haut niveau.
Dans un monde idéal : comment feriez-vous évoluer l’encadrement médical ?
Dans les clubs de hockey, nous trouvons rarement un médecin qui soit souvent présent. C’est donc le kinésithérapeute qui se trouve en première ligne, souvent aussi pour des problèmes ou des soins qui ne sont pas directement liés à sa discipline. Une plus grande « présence médicale » est donc nécessaire. De plus, chaque club devrait tout de même au moins pouvoir engager une personne à mi-temps pour un suivi optimal des blessures, mais aussi pour travailler de manière proactive au développement de stratégies de contrôle et de prévention. Ensuite, il est essentiel de développer aussi ce professionnalisme pour les équipes jeunes au sein des clubs. Un encadrement professionnel arrive souvent trop tard, lorsque les sportifs et sportives ont déjà entre 19 et 21 ans. Il devrait en réalité être présent depuis déjà trois ou quatre ans. De cette manière, les jeunes hockeyeuses et hockeyeurs talentueux arriveront bien mieux préparés dans les équipes premières mais pourront surtout intégrer les bonnes habitues. Enfin, les infrastructures au sein des clubs (salles de préparation physique et de rééducation) doivent être de nature à nous permettre de passer progressivement de la guérison d’une blessure à une réathlétisation. Il s’agit d’un défi considérable pour les clubs qui ne disposent actuellement pas des moyens financiers ni de l’espace pour le réaliser.