25e année - n° 91 / Janvier 2007 - ISSN 0754-8826 - 4,00 €
A PROPOS DU MANIFESTE
QUID DU CANAL SEINE-NORD?
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Les Bouches-du-Rhône : drôle de nom pour un département méditerranéen et provençal, dont la diversité naturelle n’est pas la moindre des particularités. Ici, le Rhône des montagnes devient celui des plaines, s’étalant en un vaste delta, père de la Camargue et de ses images traditionnelles : taureaux,
chevaux
et
flamants , mais aussi source (1)
d’une incroyable diversité biologique, escale incontournable pour les fous d’“ornitho”. Les belvédères ne manquent pas, dominant les paysages de part et d’autre de la grande cité phocéenne : Miramas-leVieux et son pin séculaire(2), le bec
de
l’Aigle
du
Cap
Canaille(3), dominant le port de Cassis. Les calanques ( 4 ) , anciennes vallées inondées par la mer depuis
quelques
milliers
d’années, sont le bijou naturel de cette côte trop conquise par les hommes. Au calcaire blanc qui se déchire de Cassis à Marseille répond, comme un jumeau, celui des Alpilles (5) . Peu à peu, les terres de Provence
s’élèvent.
Les
chaînons parallèles, tous
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orientés
est-ouest,
se
succèdent, culminant à la Sainte Victoire et à la Sainte Baume ( 6 ) . Ici, la Provence regarde vers le nord, couverte d’une forêt primitive.
Georges Feterman
L
a conférence de Kyoto, en 1997, et le protocole qui en a découlé, parlaient de diviser par deux les émissions de gaz à effet de serre et de conclure un accord pour réduire ces émissions à l’horizon 2012. Ce sont là les deux objectifs que s’est fixés la 12e conférence(1) des Nations Unies sur les changements climatiques, qui s’est réunie à Nairobi début novembre 2006. Mais elle a renvoyé à 2009 la signature d’un tel accord. Même si les résultats de cette conférence sont insuffisants, il faut noter que la Biélorussie a décidé de ratifier le protocole de Kyoto, tandis qu’aux Etats-Unis, de plus en plus de villes et une dizaine d’Etats se sont engagés pour réduire leurs rejets de gaz à effet de serre. De même la Chine a commencé de bouger en s’engageant dans une politique d’efficacité et de sécurité énergétiques. La conférence de Nairobi, en consacrant l’objectif de diviser par deux la pollution et en ouvrant la porte à des négociations en 2007 et 2008, a permis de maintenir sur les rails le protocole de Kyoto et de donner à l’ONU un rôle d’incitation plus prépondérant pour parvenir à une négociation qui inclura plus fortement les pays en voie de développement(2). Reac est le premier dispositif de règlement qui prévoit, à l’échelle européenne, l’enregistrement et l’évaluation des substances chimiques produites ou importées en Europe. C’est là l’illustration du rôle que pourrait jouer l’Europe en matière de protection de l’environnement et de développement durable. Mais le texte final, adopté le 13 décembre après cinq
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un rapport de sécurité que pour les molécules produites à plus de dix tonnes. C’est donc seulement 12 000 molécules qui seront étudiées et dont les risques seront évalués. Soit le dixième des substances commercialisées en Europe. Replacé dans le contexte actuel où de nombreuses contradictions traversent le Parlement européen, c’est un petit pas qui mérite d’être souligné(3). En cette période pré-électorale où l’on parle beaucoup de rupture, il est bon de rappeler le rapport de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement qui, en 1992, invitait à une rupture avec le mode de développement actuel pour construire un mode de développement viable capable de répondre aux besoins actuels sans compromettre la satisfaction des besoins des générations futures. C’est sur cette base et dans ce cadre que nous devons inscrire toutes les actions pour un développement durable, solidaire et partagé. Agissons, pour accélérer le mouvement. Guy Léger DR
ÉDITORIAL
Kyoto, Nairobi, Reach la marche lente du développement durable
ans de négociations, est très éloigné du projet initial qui ambitionnait de contrôler les 100 000 substances exploitées par l’industrie chimique en Europe. Les 613 milliards d’euros de chiffres d’affaires de cette industrie en déterminent toute sa capacité à faire reculer le Parlement européen, y compris en étant relayé par le président Chirac, le chancelier Schröder et le Premier ministre Tony Blair qui, dans une lettre commune adressée en septembre 2003 au président de la Commission européenne, demandaient « (…) de ne pas porter atteinte à la compétitivité internationale de la chimie européenne (…) ». Le texte, tel qu’il a été adopté, permet aux industriels de continuer d’utiliser les substances les plus dangereuses « (…) en absence d’alternative et si leur utilisation est valablement maîtrisée (…) ». De même, les industriels ne devront présenter
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La Convention Climat adoptée à Rio prévoit la réunion annuelle de toutes les parties signataires de la Convention. (2) Rappelons que Nicolas Stern, Conseiller économique de Tony Blair, a produit un rapport qui estime à 5 500 milliards d’euros la facture climatique, si rien n’était entrepris. (3) « (…) Evaluer les risques sanitaires des produits chimiques que l’on produit, c’était finalement le minimum que l’on pouvait faire. Ce texte va donc dans le bon sens (…) » a estimé le Professeur Jean-François Narbonne, dans un entretien publié le 14 décembre 2006 dans le journal l’Humanité. (1)
Erika
Seine-Nord
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Nicolas Hulot Commerce équitable
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Systématique
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Prénom : ................................................... Adresse : ...................................................
Suzette Issaly nous a quittés est après avoir pris contact avec nos amis du MNLE Rhône-Alpes que Suzette s’est engagée et a créé, avec enthousiasme, le comité de la Drôme du MNLE qui, très vite, est C’ devenu le comité Drôme-Ardèche. A l’écoute des gens, sensible à l’ensemble des problèmes écologiques et aux pollutions, Suzette a contribué à l’organisation de nombreux débats, manifestations et rencontres. Très préoccupée par les effets néfastes de l’ambroisie, Suzette a vu ses efforts récompensés par les décisions prises pour éradiquer la présence de cette plante, notamment en bordure des routes et des voies de chemin de fer. C’est au moment où elle venait d’emménager dans l’Isère, près de ses enfants et petits-enfants, qu’elle a été frappée par la maladie qui devait lui être fatale. Elle s’est éteinte le 26 octobre. Au nom de tous ses amis du MNLE, nous adressons nos plus sincères condoléances à son mari, Jean-Jacques, et à ses enfants.
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Ont collaboré à la rédaction de ce numéro : Brigitte Berland, François Cosserat, Michel Felet, Georges Feterman, Véronique Gallais, Guy Léger, Gérard Nevière, Gérard Niccolini, Philippe Picon, Henri Pignoly, Sandra Pasero, Photos: Annick Amabile-GIPREB, Georges Feterman Graphisme et mise en pages:
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SOMMAIRE
Etang de Berre pages 6 à 19
Des pollutions ordinaires au développement durable
L
e dossier de ce numéro est consacré à l’étang de Berre. Les différents contributeurs montrent bien l’inexorable dégradation d’un vaste écosystème marin au cours des dernières décennies. Ils montrent aussi une parfaite convergence des auteurs sur les solutions. L’Etat français, condamné par la justice européenne, a pris de nouvelles décisions de limitation des entrées d’eaux douces et de limons dans l’étang et donc de la production d’énergie électrique renouvelable et facilement mobilisable en pointe. Un manque de production de 600 millions de kWh par an. L’article d’Henri Pignoly décrit précisément les conséquences de ces restrictions sur la basse Durance. Elles seront aggravées par les nouvelles mesures. Même si elles peuvent améliorer l’écologie de l’étang de Berre, elles sont inacceptables en tant que mesures définitives. Il faut donc les considérer comme des mesures provisoires. L’interview du directeur régional d’EDF n’exclut pas la construction d’une dérivation des eaux douces. C’est la solution préconisée depuis plus de vingt ans par nos amis du MNLE-13. Cette solution est aujourd’hui admise, sauf par l’Etat français. La contribution de Gérard Nevière définit la palette des pollutions en cause, donne un aperçu sur les résultats des actions et leurs limites. Elle met en exergue la résistance des actionnaires. C’est mieux mais il faut encore faire mieux. Les grands groupes industriels n’ont pas été à l’initiative. Ils ont été contraints à un meilleur respect
de l’environnement. Il est donc nécessaire de mettre en évidence le décalage entre leurs déclarations sur le développement durable et la réalité. L’objectif est de transformer le discours en engagement. S’agissant de l’ouvrage de dérivation des eaux de l’étang de Berre, il faut à présent mettre un financement en place. La pétition nationale lancée par le MNLE doit y contribuer(1). Une première entrevue obtenue en 2006 avec les ministères concernés avait mis en évidence un refus très clairement exprimé d’envisager autre chose que des restrictions de production. L’étang de Berre est un exemple significatif de pollutions ordinaires. Par là, il faut entendre que des espaces et des écosystèmes étaient normalement voués à une dégradation écologique au nom de l’intérêt supérieur d’une production industrielle. Parallèlement, les écologistes luttaient pour obtenir la sanctuarisation de zones dont Natura 2000 est un aboutissement. Les limites de cette approche apparaissent aujourd’hui. Il ne s‘agit pas, bien entendu, de demander l’annulation des mesures de protection de la nature si difficilement acquises. Mais elles ne concernent guère que 20 % du territoire. Ce n’est pas suffisant. Le développement durable exige une réconciliation générale de l’économie et de l’écologie. L’étang de Berre est un cas exemplaire. Il faudra trouver un financement voisin de 1,2 milliard d’euros. De l’argent bien placé dans une œuvre de restauration de la Durance et de l’étang de Berre, d’une production retrouvée d’un milliard de kWh d’énergie électrique renouvelable, des activités de loisirs, de la pêche, dans des créations d’emplois. Ce dossier donne de bonnes raisons de faire sauter les dernières résistances. La rédaction DR
DOSSIER
Mistral sur l’étang de Berre © GIPREB
(1) Pétition à signer sur http://mnle.org/
Pendant longtemps, la pêche, l’agriculture et la récolte du sel ont constitué l’essentiel de l’activité économique de l'étang de Berre. Des industries chimiques basées sur l’utilisation du sel sont signalées dès le18e siècle.
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ais on doit compter trois étapes importantes dans son évolution : l’implantation des premières raffineries de pétrole à partir de 1930, avec l’application de la loi de 1929 qui imposait le raffinage sur le sol national, l’essor de la pétrochimie et de la construction aéronautique après la guerre, l’industrialisation du golfe de Fos au début des années soixante-dix. La zone étang de Berre/Fos devenait ainsi un très important bassin d’emploi, entraînant aussi une forte augmentation du nombre d’habitants, soit, pour les communes riveraines, 317 000 habitants en 1999 avec une prévision de 361 000 pour 2030. Cette évolution entraînait aussi de profonds
changements dans l’environnement.
Des pollutions multiples et anciennes L’impact environnemental sur l’étang de Berre et ses riverains résulte des rejets dans l’eau et dans l’air, du bruit, des déchets à éliminer, de la circulation, du transport de matières dangereuses ainsi que de l’urbanisation et des dégradations de paysages. On peut citer d’abord la grande industrie pétrolière et pétrochimique des rives de l’étang mais aussi les zones industrielles des bassins versants d’Aix, de Rousset par la rivière l’Arc, de Salon par la Touloubre, de Vitrolles par La Cadière, ces trois rivières se jetant
L’impact environnemental sur l’étang de Berre et ses riverains résulte des rejets dans l’eau et dans l’air …© GIPREB
dans l’étang. En 1966, l’industrialisation se continuait par l’ouverture du canal EDF et ses rejets massifs et irréguliers d’eau douce et de limons. Au début des années trente et après la guerre de 39-45, la réglementation était très sommaire et peu respectée. Aussi, les rejets d’hydrocarbures et de produits chimiques se sont-ils développés sans contrôle pendant des années. Après la deuxième guerre mondiale, le développement du raffinage et surtout de la pétrochimie autour de l’étang a créé une telle situation que la pêche était interdite en 1957, les poissons étant impropres à la consommation. La pollution atmosphérique, principalement soufrée, s’est également développée rapidement, déclenchant de plus en plus de protestations et de réactions. Ce sont des associations de pêcheurs, des syndicats de salariés, des municipalités, des associations sportives qui ont mené la bataille contre la pollution, dès le début des années soixante. Elle a abouti en 1971, à la création du SPPPI(1) et en 1972 d’AIRFOBEP(2). Le MNLE-13(3) a vu le jour en 1984 à Berre. D’autres associations de défense de l’environnement se sont créées. Un dialogue s’est instauré. Dans les années quatrevingt-dix, une poussée d’associations “anti industrie“ s’est développée. Le MNLE a ouvert un dialogue aboutissant à une coopération entre associations et syndicats pour la garantie de l’emploi et la protection de l’environnement. Les directions ont pris conscience de l’impossibilité d’opposer les associations au personnel des entreprises. L’importance économique de ces der-
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ETANG DE BERRE : DES POLLUTIONS ORDINAIRES…
Impact de l’industrie sur l’étang et ses riverains
… AU DÉVELOPPEMENT DURABLE
Les eaux sont aussi polluées par les retombées atmosphériques et le ruissellement… © GIPREB nières a été prise en considération par l’opinion. La Shell a créé une CLIE(4) dès 2001. Progrès considérable par rapport au “splendide isolement“ du passé. Cette opération ne comporte pas que des avantages. L’information des associations et des populations s’est améliorée et certains résultats sont obtenus. Mais les impératifs financiers des actionnaires subsistent. Aujourd’hui, des CLIC(5) se mettent en place.
Des progrès insuffisants Les chiffres officiels annoncent une importante diminution de la pollution des eaux en 1994 par rapport à 1971, début du SPPPI. Mais il y a une stagnation depuis 1997. Pour les zones industrielles du bassin versant, les associations et les maires ont obtenu une amélioration qui demande à être poursuivie. Il y a aussi les micropolluants, notamment émis par EUROCOPTER : métaux lourds et PCB notamment, dont la réduction doit se poursuivre, à la source, sous le contrôle de la DRIRE. A partir de 2002, la pollution industrielle dépasse le total de celle des villes qui n’a cessé de diminuer avec la mise aux nouvelles normes des stations d’épuration. Les rejets d’un complexe pétrochimique, après épuration, peuvent représenter l’équivalent d’une ville de 15 000 habitants sans épuration. Il est possible de supprimer tout rejet aqueux en fonctionnant en circuit fermé, avec recyclage. Ce n’est qu’un pro-
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blème de finances.
La pollution atmosphérique aussi Les rejets du canal EDF à SaintChamas empêchent la stabilisation du milieu par des variations importantes de salinité et apportent des quantités considérables d’azote et de phosphore. Seul l’arrêt des rejets par un canal de dérivation vers le Rhône peut remédier à ces inconvénients tout en conservant la production électrique hydraulique. Les eaux sont aussi polluées par les retombées atmosphériques et le ruissellement du fait de l’imperméabilisation de grandes superficies. Le dioxyde de soufre (SO2) provient surtout de la combustion du fuel. Les pointes de pollution avec dépassement des normes sont nombreuses et la pollution de fond doit aussi être réduite. La diminution du SO2 se heurte à des choix économiques. Des industriels mettent en avant le coût de réduction d’émissions aériennes soufrées pour ne pas la réaliser. Les pétroliers se débarrassent du soufre par les chaudières des bateaux. D'autres polluants, comme les oxydes d’azote et les composés organiques volatils (COV) sont toxiques par eux-mêmes et participent à la formation de l’ozone. La pollution par l’ozone est forte ainsi que celle due aux particules en suspension qui ont des toxicités diverses en fonction de leur granulométrie. Il y a aussi les pollutions accidentelles, comme par exemple les rejets de gazole dans l’atmosphère par Total, il y a deux
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ans. Le bruit émis par les installations subsiste malgré certains progrès, surtout avec de nouvelles unités dont les arrêts automatiques de sécurité se déclenchent intempestivement. D'autres éléments peuvent être évoqués tels que les risques industriels, la pollution piégée (présente dans les sous-sols ou les fonds marins) ou le trafic aéroportuaire qui ne cesse d'augmenter, entraînant nuisances sonores et pollution atmosphérique. Des progrès ont été réalisés qui doivent être poursuivis pour mieux intégrer les entreprises au tissu local en mettant l’homme au centre de tout projet. L’expérience a montré que la science et la technique permettent de maîtriser les nuisances dues à l’industrie si la volonté existe. L’élaboration du Contrat d’étang préparé par le Groupement d'intérêt public pour la réhabilitation de l'étang de Berre (GIPREB) devrait permettre de concilier durablement activités industrielles et préservation du milieu naturel dans le cadre de la réhabilitation de l’étang. L’action du MNLE va dans ce sens. Gérard Nevière Secrétariat permanent pour la prévention des pollutions industrielles (2) Association pour la Surveillance de la Qualité de l’Air de la région de l’étang de Berre (3) Pour toute information : http://perso.orange.fr/mnle13/ (4) Commission locale d’information et d’échanges (5) Commission locale d'information et de concertation (1)
Les milieux lagunaires constituent l’interface entre le continent et la mer et jouent un rôle fondamental pour l’équilibre physique et écologique de l’ensemble du littoral. Mais ils sont également très fragiles, sensibles aux évènements hydroclimatiques et à l’augmentation des pressions anthropiques.
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n effet, généralement constituées d’un vaste bassin versant, pour un volume d’eau limité, les lagunes reçoivent et subissent en temps réel tous les rejets polluants se produisant en amont. L’étang de Berre, à l’instar des nombreuses lagunes de la façade méditerranéenne française, s’est formé il y a environ 10 000 ans à l’issue de la dernière transgression marine. D’une profondeur maximale de 10 m (et 6 m en moyenne), sa superficie de 155 km2 en fait un des plus grands étangs marins de Méditerranée. L’écosystème aquatique de l’étang de Berre, dont les rives et le bassin versant ont connu une industrialisation et une urbanisation importantes tout au long du XXe siècle, présente un niveau de dégradation important. Les fonctions écologiques et les usages traditionnels associés (exploitation des ressources marines, loisirs de proximité, etc.) de cet étang ont été, tout au long du XXe siècle, ignorés au profit de la seule fonction de milieu récepteur de toutes les eaux usées. Autour de l’étang de Berre, l’industrie pétrochimique, et concomitamment l’urbanisation, se sont développées, s’accompagnant d’une rapide et considérable dégradation de la qualité de l’eau, de l’air, des paysages, et donc du cadre de vie. Une étape importante de ce développement fut l’aménagement hydroélectrique de la Durance : un canal usinier, au départ du lac artificiel de Serre-Ponçon, alimente une vingtaine de centrales et finit sa course depuis 1966 dans l’étang de Berre, y déversant quantité d’eau douce et de limons. Ainsi, en simplifiant quelque peu,
on peut distinguer trois types de pollution dans l’étang de Berre : l’eutrophisation, la contamination chimique et des apports excessifs et variables d’eau douce. La première, très commune des milieux lagunaires, correspond à des apports trop élevés de nutriments dans le milieu (azote et phosphore), ce qui stimule le développement des algues et conduit à des crises d’anoxie. Les sources d’azote et de phosphore dans l’étang sont multiples, avec les rejets urbains sur le bassin versant naturel (600 000 habitants) et une activité agricole importante, y compris sur le bassin versant de la Durance.
Inquiétante eutrophisation Cette eutrophisation était réellement préoccupante jusqu’au début des années 2000 mais on observe, depuis, une nette amélioration. Les symptômes sont toujours là : outre des échouages d’ulves sur ses rives, une eau parfois opaque et appauvrie en oxygène, mais sans commune mesure avec la situation passée. La mise aux normes des stations d’épuration y est pour beaucoup et on peut raisonnablement espérer atteindre une situation acceptable à moyen terme. La deuxième est directement liée à la vocation industrielle des rives de l’étang. Entre les années trente, période des premières installations de sites pétrochimiques et le début des années soixante-dix, aucune contrainte réglementaire n’encadrait les niveaux de rejets. La pollution par les hydrocarbures et les métaux lourds (plomb, mercure, cadmium, etc.) était telle
que la pêche aux “petits métiers“, qui faisait vivre 300 familles, dut être interdite en 1957 pour des raisons sanitaires. Les sédiments du fond de l’étang gardent aujourd’hui la trace de cette contamination, mais depuis 1971 et la mise en place d’un programme efficace de réduction des rejets industriels, la situation s’est améliorée. La pêche professionnelle a pu être rétablie en 1994. La question des apports d’eau douce par le canal usinier EDF est quant à elle au cœur de l’actualité. L’aménagement hydroélectrique de la Durance a structuré la gestion de l’eau dans toute la région, en remplissant trois fonctions essentielles : l’irrigation agricole, l’alimentation en eau potable et la production d’une énergie renouvelable, l’hydroélectricité. Ces missions sont remplies avec efficacité, mais avec un bémol important : l’exploitation de cet ouvrage a été un coup fatal porté à l’écosystème aquatique de l’étang, lui faisant subir une forte baisse et des variations brutales de salinité. Ce constat, partagé depuis de nombreuses années par les acteurs locaux (monde associatif, élus, professionnels de la pêche, etc.), a donné lieu à une vaste mobilisation en faveur de la réhabilitation de l’étang de Berre. Un plan de reconquête, appelé Plan Barnier, a été mis en œuvre en 1994 avec une mesure forte de limitation des rejets EDF : des quotas annuels de 2,1 milliards de m3 d’eau douce et 100 000 tonnes de limons ont été appliqués. Ce fut une étape importante en terme de décision politique, mais malheureusement d’une efficacité limitée (le milieu était toujours impacté par les
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ETANG DE BERRE : DES POLLUTIONS ORDINAIRES…
Une nécessaire réhabilitation
… AU DÉVELOPPEMENT DURABLE
variations de salinité, problème que ne résout pas l’application de quotas à l’échelle d’une année). Parallèlement, une action juridique a été entreprise par les pêcheurs professionnels et cette démarche est remontée jusqu’au niveau européen. Saisie par la Commission européenne, la Cour de justice des communautés européennes a jugé que l’Etat français se devait d’agir plus efficacement pour lutter contre les effets négatifs des rejets EDF, considérant : 1- que l’étang de Berre est un étang marin et que les textes internationaux de protection de la mer Méditerranée lui étaient applicables (protocole d’Athènes et convention de Barcelone), 2- que les rejets de la centrale hydroélectrique EDF dans l’étang de Berre constituent bien une pollution (en raison de leur quantité, l’eau rejetée n’étant pas toxique en elle-même). Cette prise de conscience marque une étape forte en faveur de l’étang de Berre, puisque les négociations qui se sont engagées entre l’Etat français et la Commission européenne ont débouché sur de nouvelles dispositions, allant nettement plus loin que le plan Barnier : - renforcement des quotas annuels (1,2 milliard de m3 d’eau douce et 60 000 tonnes de limons), - limitation des variations saisonnières de salinité par application d’un quota hebdomadaire des rejets d’eau douce, - un certain niveau de salinité à garantir, - des objectifs biologiques à atteindre (cela concerne les herbiers de zostères et les peuplements de moules). Ces mesures s’accompagnent de plus d’une obligation de résultats.
cadre expérimental et elles devront avoir fait la preuve de leur efficacité courant 2009.
Une avancée significative A première vue, les actions engagées semblent satisfaisantes, dans la mesure où elles répondent avec une certaine envergure à la problématique environnementale de l’étang de Berre. Sans préjuger des résultats qui seront obtenus, il faut reconnaître qu’elles représentent une avancée significative. Cependant, la gestion de l’environnement, dans une optique de développement durable, ne peut s’affranchir d’une approche globale, à la fois territoriale et thématique. La réponse apportée à l’étang de Berre ne satisfait malheureusement pas à cette nécessité puisque d’une part elle conduit à limiter la production d’hydroélectricité (une énergie renouvelable fondamentale) et d’autre part, elle génère des impacts négatifs préoccupants sur la Durance (limiter les rejets dans l’étang de Berre revient à augmenter les restitutions dans cette rivière), avec une fragilisation de la nappe, des dégradations déjà constatées sur les ouvrages d’art et un accroissement des risques d’inondation. Ainsi, il apparaît de plus en plus clairement que le problème de l’étang de Berre ne peut être abordé sans tenir compte des enjeux de gestion de l’eau sur la Durance. Ces deux milieux ont été liés par l’aménagement hydroélectrique, c’est ensemble qu’ils doivent être gérés. Pour cela, un projet est ardemment défendu par les acteurs locaux : il s’agit de la dérivation totale des eaux
PROLONGATION DU GIPREB Suite à l'arrêté interministériel du 28 décembre 2006, un arrêté préfectoral du 29 décembre stipule « (...) il a été décidé de reconduire pour un an la constitution actuelle du groupement. Cette phase transitoire permettra de convenir, en concertation avec les élus et les associations, des modalités de renouvellement du GIP et la mise en oeuvre des orientations retenues (...) ». Il serait question de définir un nouveau GIP pour trois années supplémentaires, et ensuite d'une structure permanente pour la gestion de l'étang de Berre. La rédaction Elles sont ainsi appliquées dans un
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duranciennes vers le Rhône, ce qui
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garantirait l’arrêt total des rejets dans l’étang, l’arrêt des restitutions en Durance et la restauration de tout le potentiel d’hydroélectricité de l’aménagement. De plus, cela ouvrirait de formidables perspectives de gestion de l’eau à l’échelle de toute la région à l’ouest de l’étang de Berre. Des études de faisabilité sont en cours de réalisation et les résultats partiels obtenus laissent entrevoir de réelles opportunités. Il s’agit cependant d’un projet de grande envergure, qui nécessitera d’importants investissements ; sa réalisation ne peut être envisagée qu’à moyen – long terme. Mais face aux enjeux auxquels il fait face, gageons que son intérêt sera de plus en plus partagé et que les moyens financiers nécessaires pourront être déployés. Aujourd’hui, la nécessaire prise en compte de la dimension environnementale, en phase avec une demande sociale de plus en plus fortement exprimée, mais aussi institutionnelle et réglementaire, rend incontournable la mise en œuvre d’actions efficaces de réhabilitation des milieux. Ce constat n’est bien évidemment pas réservé à l’étang de Berre, mais on peut attribuer à celui-ci une certaine exemplarité : ce milieu, autrefois florissant, lieu de multiples activités de loisirs et d’exploitation des ressources (poissons et coquillages), a été sacrifié au nom du développement économique et industriel. Un tel développement strictement économique, sans prise en compte des dimensions sociales et écologiques, nécessite aujourd’hui des actions de correction d’envergure. Espérons qu’une application judicieuse de la notion de développement durable permettra de ne pas reproduire ce type d’erreur dans l’avenir. Philippe Picon, directeur du GIPREB Pour en savoir plus : http://www.etangdeberre.org
L'étang de Berre, lieu de vie et de loisirs, centre d'activité et de travail, est un milieu fermé. C'est le plus grand étang marin d'Europe (980 millions de m3 d'eau, 75 km de pourtour, c'est-à-dire autant de littoral qu’entre Marseille et Toulon).
L
'étang de Berre est en communication avec la Méditerranée par le canal de Caronte et est l'exutoire de trois cours d'eau au régime méditerranéen marqué : l'Arc, la Touloubre et la Cadière (voir figure 1). Dans tout étang littoral, l'organisation écologique dépend étroitement du fonctionnement hydrique (échanges avec la mer et apports du bassin versant) et de ses fluctuations, elles-mêmes liées aux évolutions climatiques. Les espèces présentes sont en général tolérantes aux variations de température, de salinité ou de teneur en oxygène des eaux (on les dit “euryhalines”). Elles sont faibles en diversité mais importantes en biomasse. Il existe une diversité de peuplements qui témoigne d'une réelle hétérogénéité physique du
Figure 1 : état des eaux souterraines Comité de bassin Rhône-Méditerranée Corse
milieu. Un véritable zonage biologique s'établit en fonction de l'éloignement du domaine marin. C’est au premier siècle avant J.C. que les Romains creusèrent un canal, le canal de Caronte, qui relie cet étang de façon intermittente avec les eaux marines de la Méditerranée. En 1863, 1874, 1925, le creusement de ce canal, et le percement du tunnel du Rove (en 1925. Il s'est effondré en 1963) ont fait progressivement augmenter la salinité de l'étang et réduire les fluctuations spatiales et saisonnières. Une faible salure s'est ainsi retrouvée dans l'anse de Saint-Chamas, dans l'étang de Bolmon, mais à un moindre degré vers Berre où les salins ont pu se développer tout à leur aise grâce à une exposition parfaite au soleil et au mistral.
Dé-salure, anoxie, eutrophisation Cette relative stabilité fut bouleversée par la dérivation de la Durance dans l'étang qui provoqua une alternance saisonnière marquée de la salinité, de 4 à 10 ‰ en hiver et de 10 à 23 ‰ et plus en été, faisant de l'étang un estuaire à coin salé avec la présence d'une forte halocline(1) en hiver et une morphologie de lagune saumâtre en été. De plus, ces variations de salinité, totalement erratiques, ne permettent aucune adaptation des espèces. De fait, dans les eaux proches du fond, l'absence d'oxygène est quasi permanente et les sédiments du centre de l’étang composés d'une vase nauséabonde n'abritent plus aucune vie, si ce n'est bactériologique. Sur le graphique de la figure 2 (page suivante) on observe le long d'une coupe de l'étang les teneurs en oxygène. Du fait du passé industriel de
l'étang, sans aucune prévention, les sédiments sont aussi fortement chargés en métaux et polluants de toute sorte, notamment d'hydrocarbures recouverts par les limons venant du canal usinier d'EDF. Actuellement, malgré la réduction de la quantité d'eau turbinée de 30 % imposée à EDF, on observe encore une dé-salure (voir graphique figure 3 page 13) Les eaux déversées par le canal EDF sont aussi riches en sels nutritifs. A la dé-salure apportée par les rivières, mais surtout par le canal EDF, s'ajoute donc une eutrophisation(2) des eaux de l'étang qui se manifeste par des poussées d'ulves(3) et par des poussées phytoplanctoniques exceptionnelles. Dès sa création, le GIPREB a cherché à quantifier les apports des rivières et ceux du canal EDF, car les études antérieures, très nombreuses, n'apportaient guère de réponses concrètes à ce questionnement. Les résultats ne sont pas encore publiés. Ce que l'on peut dire, c'est que le canal usinier charrie des eaux peu polluées, mais la quantité apportée est importante du fait de son débit élevé. La Cadière, qui se déverse dans l'étang de Bolmon, propriété du Conservatoire du littoral, est caractérisée par un petit bassin versant (80 km2) mais très anthropisé (20,5 % de surfaces imperméabilisées). Sa réponse hydrologique à un événement pluvieux est très rapide. Elle est à l'origine de la pollution de l'étang de Bolmon en proie de façon régulière à des crises dystrophiques marquées par des poussées de cyanophycées, de botulisme, de mortalité de faune. Cet étang ne sera vraiment dépollué que lorsque les aménagements sur la Cadière seront achevés et que l'amélioration des échanges hydrauliques entre l’étang de
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Les apports d'eau douce
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Prolifération d’algues au bord de l’étang © GIPREB
Bolmon, le canal du Rove et l’étang de Berre sera effective. C'est une revendication des riverains. Gérald Fuxa, président du MNLE-13, a passé 24 heures dans l'eau de l'étang du Bolmon pour attirer l’attention du public sur le fait que les travaux du tunnel du Rove n'ont toujours pas commencé alors que les études de faisabilité puis la décision d'entreprendre les travaux et le financement sont là depuis longtemps(4). L'Arc a un bassin versant beaucoup plus grand (740 km2), plus allongé et beaucoup moins anthropisé (4 % de surfaces imperméabilisées). Sa réponse hydrologique est relativement moins rapide. La Touloubre a un bassin versant de taille intermédiaire (420 km2) et, tout comme le bassin de l'Arc, il est allongé et peu anthropisé (5 % de surfaces imperméabilisées). Sa réponse hydrologique est semblable à celle de l'Arc. Les eaux résiduaires des stations d'épuration du bassin versant, les eaux pluviales passées sur les zones urbanisées, les canaux agricoles chargés de substances nutritives mais aussi de pesticides et d'herbicides, les rejets industriels, participent également à la qualité des eaux de l'étang. Ces rivières font l'objet de SAGE(5) ou de contrats de rivières dont les principales missions sont la qualité des eaux avec l'aménagement des stations d'épuration et la maîtrise des inondations. Pilotées par des comités de bassin, les actions programmées sont financées par
le Conseil général des Bouchesdu-Rhône, le Conseil régional, les collectivités concernées et l'Agence de Bassin. La suppression de la station d'épuration des Romaniquettes près d'Istres, la construction de la nouvelle station de Saint-Chamas auront un grand effet sur la qualité des eaux, surtout sur la qualité bactériologique (les eaux de baignade étaient souvent classifiées en D !). La construction de la station de Vitrolles est en cours et devrait fortement améliorer les eaux de l'étang de Bolmon. Nous pensons que l'application rapide de la loi sur l'eau et un programme de dépollution global des eaux aux normes de zones
Figure 2 : répartition verticale de la teneur en oxygène dissous de Saint-Chamas à La Mède – GIPREB
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sensibles doivent être entrepris sans retard (cela devait être fait pour 1998 !), et ce sur tout le bassin versant. En augmentant la turbidité de l’eau, les apports de limons ont un impact négatif sur le milieu. La pénétration de la lumière est diminuée, ce qui limite la croissance des plantes aquatiques.
La problématique des limons L’étang qui, en moyenne, présentait une perte de 1 cm par an de sa profondeur avant 1966, a vu augmenter de manière importante son envasement avec les apports de limons de la Durance qui ont également désertifié les fonds du site. Les bassins de délimonage prennent de l'espace et sont colmatés en quelques années. La vidange de ces bassins, rendue nécessaire, revient cher à la collectivité. Par ailleurs, ces limons manquent terriblement à la Camargue qui souffre d'un déficit de sédiments, et aux agriculteurs du coin qui autrefois en bénéficiaient. Le plan Barnier, entré en vigueur en 1993, a permis une réduction des apports dans l'étang à 200 000 tonnes par an. En 1999, les seuils ont été abaissés à 100 000 tonnes
Pour le retour à un étang vivant Dans l'étang de Vaïne, où la végétation était particulièrement dense, les herbiers, dans les parties les moins profondes, ont été détruits par les froids exceptionnels de l'hiver 55-56. Dans l'étang de Bolmon, les herbiers formés de Ruppia (phanérogame caractéristique des eaux saumâtres) recouvrent toute la surface. Les bancs de moules se retrouvent surtout dans le Nord de l'étang sous l'in-
Figure 3 : Répartition verticale de la salinité de Saint-Chamas à La Mède GIPREB fluence des apports des canaux et rivières (mais en grande partie dans une zone classée insalubre). Dans le parage de l'Arc, se sont établis des bancs mixtes de moules et d'huîtres ; ces dernières ont pu se développer grâce à une salinité plus élevée et plus stable. Quant aux poissons, tandis que le nombre d'entrées de navires dans l'étang augmentait, le nombre de tonnes de poissons pêchés diminuait. Jusqu'à 3 à 4 m de profondeur, les fonds sont occupés par une flore benthique constituée d'algues tolérantes (ulves en particulier) et de phanérogames euryhalines (Zostera et Ruppia). Les zones plus profondes sont désertées à la fois, comme nous l'avons vu, par les effets combinés des apports de limons et de la désoxygénation des eaux qui prévaut environ 8 mois par an. Par contre, la couche de mélange
TUNNEL DU ROVE : RÉHABILITATION DU BOLMON L’étang de Bolmon est une partie de l’étang de Berre de 600 ha qui en est séparée par le cordon du Jaï (plus de 5 km). Il communiquait avec la mer par le tunnel du Rove jusqu’à l’effondrement de la voûte, en 1963. Il est hyper eutrophisé et connaît des épisodes de botulisme dans les zones humides. Sa réhabilitation s’impose aussi pour sauver le grand étang. La mise en service de nouvelles stations d’épuration et le contrat de rivière Cadière/Bolmon réduiront les apports polluants, mais il faut aussi évacuer la pollution accumulée. Une expérience de pompage contrôlé de l’eau de mer depuis la rade de Marseille élaborée par le GIPREB sur proposition des associations, dès 2000, financé par le Conseil général, le Conseil régional et l’Agence de l’eau va être mise en place, après de nombreuses interventions auprès des ministères et manifestations. Un programme de suivi de trois ans permettra d’améliorer le milieu et de définir les mesures à prendre pour la suite. Le port autonome de Marseille (PAM) assurera la maîtrise d’ouvrage des travaux de mise en place de la conduite souterraine et des pompes (20 m3/sec), le GIPREB le pilotage de l’expérimentation. La mise en service est prévue pour 2011. Gérard Nevière
d'eau dessalée est toujours très productive, avec des communautés d'espèces d'eau douce ou peu salée. De fortes poussées algales peuvent survenir du fait de la richesse de ces eaux en éléments nutritifs et en conjonction avec des conditions climatologiques particulières, (temps calme, ensoleillé, persistance de température élevée) et induire des crises de dystrophie : eaux colorées, mousses, désoxygénation, mortalités de poissons(4). Seule une déviation des eaux et des limons vers le Rhône en aval de Saint-Chamas peut permettre le retour à un étang vivant, prospère, tout en respectant l'environnement. Avoir une vision globale, c'est cela le développement durable. Mais faut-il encore s'en donner les moyens ! Brigitte Berland (1) L’halocline est la couche d'une masse d'eau stratifiée dans laquelle le gradient de salinité est maximal. (2) L'eutrophisation désigne usuellement le déséquilibre qui résulte d'un apport excessif de nutriments : azote (des nitrates par exemple), carbone (carbonates, hydrogénocarbonates, matières organiques...) et phosphore notamment. Le phosphore étant généralement le facteur limitant dans les milieux aquatiques naturels, ce sont ses composés, en particulier les phosphates (orthophosphates, polyphosphates) qui permettent l'emballement du processus. Ce milieu déséquilibré, dystrophe, devient alors hypertrophe. (3) Algue verte marine (4 ) Pour plus d’information : http://assoc.orange.fr/mnle13/ (5) Schéma d’aménagement et de gestion des eaux
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en moyenne. Le “lissage” du débit des eaux tel qu'il est prévu par l'Etat et l'Europe n'est pas envisageable pour la basse vallée de la Durance qui en subira les à-coups en cas de crise (risques d'inondation) de même que pour EDF (bien que la direction soit en accord avec l'Etat) pour laquelle cela signifiera une moindre production hydraulique, à moins d'importants aménagements dont la faisabilité et les coûts n'ont pas été envisagés. En 1957, pour motif de pollution industrielle, une loi est votée qui interdit la pêche dans les eaux de l'étang. L'étang est condamné, les pêcheurs sont indemnisés. En 1961, tous les herbiers sont en régression depuis le début du vingtième siècle. Ils ne se sont bien développés que dans la zone Nord du grand étang et se retrouvent le plus souvent sous forme discontinue de taches.
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Bilan provisoire des restitutions en Basse-Durance Les “restitutions” opérées par EDF à Mallemort dans le cadre du Plan de reconquête de l’étang de Berre (Plan Barnier) sont réalisées depuis 1994 (voir plan ci-dessous).
C
es restitutions ont été faites jusqu’ici pour respecter un quota maximum annuel de rejets dans l’étang de Berre fixé à 2,1 milliards de m3 soit une réduction de 35 % des volumes moyens annuels d’eau douce rejetés jusque-là à l’étang depuis la mise en service de la centrale électrique de Saint-Chamas. Si le laps de temps écoulé depuis 1994 peut paraître bien modeste au regard des évolutions d’une rivière qui mettent en jeu des cycles beaucoup plus longs, il a été néanmoins suffisant pour permettre le constat de grandes tendances d’évolution induites par les restitutions et leurs impacts sur les 50 km de Durance qui vont de Mallemort au Rhône.
Des déséquilibres en série En effet, après un peu plus de 12 ans de ce nouveau régime, plusieurs constats se sont faits jour sur la Basse-Durance. Le premier constat est celui d’un déséquilibre morphologique important du lit de la rivière qui se manifeste sur plusieurs secteurs. Ce déséquilibre se traduit par des phénomènes d’abaissement du lit, accompagnés d’affouillement de berges et de déchaussement de digues. La raison essentielle de cette évolution réside dans le fait que les restitutions se font sans apport supplémentaire de matériaux grossiers (galets) à la rivière. Celle-ci n’a de ce fait pas d’autre alternative que de remanier et remobiliser le stock de matériaux en place dans son lit, lequel se trouve ainsi voué à un lent mais inexorable abaissement. Les conséquences sur le moyen et le long terme à attendre de ces
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phénomènes sont celles liées à l’abaissement du lit : affouillement des digues et des ouvrages d’art, érosion des berges, baisse inexorable de la nappe d’accompagnement de la Durance dont on connaît l’importance pour la fertilité de la plaine agricole et l’alimentation en eau potable de la région (voir photo page suivante). Le deuxième phénomène constaté concerne l’accumulation des limons dans d’autres secteurs du lit qui, à l’inverse, connaissent de ce fait des exhaussements particulièrement préoccupants au regard du risque inondation. Il s’agit pour l’essentiel du secteur terminal de la Durance entre Bonpas et le Rhône. La physionomie du lit dans tout ce secteur est celle d’un très important enlimonnement induisant une végétation envahissante de type cannes de Provence que les essartements ont bien du mal à contrecarrer. Cette végétation constitue ellemême à son tour un très efficace “piège à limon“ et génère ainsi un redoutable cercle vicieux (voir
figures page suivante). Par ailleurs, ce secteur est marqué par la présence entre Avignon et Châteaurenard d’anciennes souilles d’extraction dont la cadence de sédimentation par des matériaux fins depuis le début des restitutions s’est considérablement accélérée. Ces souilles encadrées par des seuils en enrochements et dont la profondeur moyenne était à l’origine de l’ordre de 12 mètres, sont aujourd’hui proches du comblement. En plusieurs points, les dépôts sont affleurants et commencent à se végétaliser.
Comment enrayer le phénomène Cet état de chose a fortement ému la Mission interministérielle sur la Durance qui dans son rapport d’août 2002 (“Rapport Balland”) en soulignait déjà les dangers. Les études en cours conduites par le Syndicat mixte d'aménagement du Val de Durance (SMAVD) pour
Présentation de la chaîne de production hydro-électrique de Basse-Durance
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Conséquence de l’abaissement du lit, la destabilisation des digues le Rhône. On doit souligner ici que cet investissement très lourd ne permettrait dans le meilleur des cas que de ralentir une évolution inexorable. Au bout du compte, c’est à une aggravation sensible des conditions d’écoule-
Impacts des restitutions sur l’enlimonnement du lit Effet “peigne“ en crue
Végétalisation des bancs
Banc moins submersible = végétalisation accrue
ment des crues dans le secteur le plus peuplé de la Basse-Durance qu’il faut s’attendre.
Des écosystèmes perturbés Un autre impact constaté concerne la perturbation des différents écosystèmes duranciens. Même si dans ce domaine les douze années de restitution ne constituent pas un recul suffisant, on peut néanmoins constater que des effets négatifs notoires ont été mis en évidence pour plusieurs compartiments biologiques du fait des restitutions. Tel est le cas notamment pour l’avifaune avec des impacts très négatifs (principalement du fait des marnages) constatés à plusieurs reprises sur la nidification de certaines espèces d’oiseaux protégées, inféodées aux bancs de graviers et au lit vif. De la même manière, les impacts sur la faune aquatique semblent certains, même s’ils n’ont pu être, à ce jour, approchés aussi précisément. Ce bilan provisoire de douze années de “restitutions” à Mallemort éclaire d’un jour tout particulier la “pertinence” pour la Durance des décisions qui viennent d’être prises en vue du quasi doublement du volume moyen annuel de ces restitutions, luimême conséquence directe de la réduction de 2,1 milliards de m3 à 1,2 du quota des rejets annuels à l’étang… Henri Pignoly Directeur du SMAVD
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enrayer cette évolution montrent : - qu’un exhaussement moyen du lit de l’ordre de 2 mètres est à peu près certain si on laisse les choses évoluer sans intervenir (perspective bien entendu inconcevable dans un des secteurs les plus sensibles de toute la Durance au regard des inondations). Ce sont les faibles débits (inférieurs à 500 m3/s) qui sont les plus pénalisants pour les phénomènes de dépôt dans les souilles ; - que la seule parade envisageable (et qui ne compenserait vraisemblablement qu’une partie des effets de l’augmentation des flux de limons) consisterait à équiper les seuils de passes mobiles permettant d’abaisser le niveau des plans d’eau en période de restitution afin de limiter les dépôts de limon dans les souilles et de favoriser leur transit en aval vers
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Protéger l’étang et l’environnement Naturellement a rencontré Daniel Pépin, directeur d’EDF Production Méditerranée, pour évoquer avec lui les conséquences sur l’étang de Berre et l’environnement régional des modifications d’exploitation imposées à son entreprise.
Usine EDF de Saint-Chamas © GIPREB Naturellement • EDF a été contraint de diminuer la production des unités de Salon et SaintChamas. De nouvelles restrictions des entrées d’eau douce et de limons dans l’étang sont imposées par décret. Quelles sont les conséquences sur la production d’énergie et le manque à gagner d’EDF ? Daniel Pépin • Le nouveau décret limite à 1,2 milliard de m3/an les apports d'eau douce dans l’étang, selon un quota hebdomadaire, et fixe à 60 000 tonnes/an les apports de limons. EDF devra également respecter des taux de salinité minima. La Durance étant en outre appelée à recevoir chaque année 30 % d’apports d’eau sup-
plémentaires par rapport à la période précédente, un suivi scientifique de l'écosystème de la rivière est instauré, en parallèle du suivi écologique de l'étang également prescrit. De plus, ces nouvelles dispositions conduiront à alterner les cycles de turbinage vers Berre et les restitutions en Durance de façon beaucoup plus fréquente que par le passé. Les activités d’exploitation d’EDF en sont rendues plus complexes, nécessitant une attention et une surveillance plus soutenues dans le lit de la basse Durance en terme de sécurité pour les riverains. Par ailleurs, les équipements (vannes, commandes, automatismes,…) n’ont pas été conçus pour des sol-
RAPPEL Le concessionnaire, donc le décisionnaire, est l’Etat. Mais la responsabilité d’EDF est bien sûr engagée. Voilà la déclaration de principe de l’entreprise. C’est globalement ce qui est en train de s’élaborer avec le concours d’EDF dans le cadre du GIPREB. Il s’agit donc d’en tenir compte et de passer à l’acte : « Une nature sauvegardée : une étude d’impact précède tout nouveau projet d’aménagement afin de préserver l’environnement et le paysage (hydrologie, hydrogéologie, hydrobiologie, études physico-chimiques de l’eau, insertion dans le paysage, niveau sonore, conséquences sur la faune, la flore, le milieu aquatique. Durant l’exploitation, les ressources piscicoles des rivières sont préservées grâce au maintien d’un débit minimum. De plus, l’installation d’échelles, ascenseurs et écluses permet aux poissons migrateurs de franchir les barrages pour frayer en amont.» Engagement n°6 de service public d’EDF François Cosserat
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licitations aussi fréquentes et vont devoir être adaptés. Par rapport à la situation initiale où l’exploitation était libre (soit jusqu’en 1993), ces nouvelles dispositions représentent une perte d’environ 70 % du potentiel de production hydroélectrique des usines de Salon et Saint-Chamas, équivalant à deux mois de la consommation d’électricité de Marseille. Or, le contexte énergétique particulier de la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur rend indispensable cette production locale. Cette perte de production doit donc être compensée aux trois quarts par le recours à des moyens de production de substitution plus coûteux, utilisant les énergies fossiles, et qui ont un impact sur l’environnement ; on estime que le supplément de rejets de CO2 qui en résulte, représente celui de 200 000 voitures particulières supplémentaires. Naturellement • Envisagez- vous la participation d’EDF à la mise en place d’une solution permettant d’optimiser la production d’énergie renouvelable sans porter atteinte à l’étang ? C’est bien avec cet objectif qu’EDF avait étudié et proposé à l’Etat
La dérivation est une bonne solution économique et écologique La production électrique perdue par les restrictions d’entrée d’eaux douces dans l’étang de Berre a un coût économique mais aussi écologique. Il faut en effet remplacer les 600 millions de kWh perdus par une production reposant sur les énergies fossiles. A partir du gaz, ce sont 230 000 tonnes de gaz carbonique qui seraient émises chaque année dans l’atmosphère ! Le chargé de mission du secrétariat d’Etat à l’énergie rencontré par la délégation du MNLE a mis en exergue que le coût de cette émission évitée par le maintien de la production électrique à son optimum est trop élevé. Le lecteur pourra trouver sur le site du MNLE une fiche de calculs qui détaille une analyse du financement de la construction de la dérivation des eaux. La production des 600 millions de kWh par des éoliennes nécessiterait un investissement d’environ 350 millions d’euros amortis sur 15 ans. C’est une énergie au fil du vent. Elle n’a donc pas la qualité de celle produite à SaintChamas. L’hydraulique est faite pour durer des décennies. La durée d’une concession est de 70 ans. Mais les installations peuvent durer plus longtemps. Il n’y a donc pas photo entre l’hydraulique et l’éolien ! L’hydraulique est plus avantageuse. Que valent donc les discours sur le risque climatique ?
François Cosserat
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une solution fondée sur la régulation hebdomadaire de la production, mettant fin aux envois massifs d’eau douce. A elle seule, cette régulation permettait de stabiliser la salinité et donc l’écosystème de l’étang, sans réduire la production hydroélectrique. Le principe de cette régulation a bien été retenu, mais la France, à l’issue de sa négociation avec la Commission européenne, est allée au-delà du compromis proposé par EDF, amputant plus fortement le potentiel de production des deux usines. Cette perte de production à partir d’énergie renouvelable (EnR) sera difficile à compenser alors que la France a pris l’engagement européen de produire 21 % d’EnR en 2010. Les projets éoliens déjà décidés sont encore insuffisants pour y faire face, et ceux engagés dans la région ne peuvent même pas prétendre compenser cette réduction. Dans le cadre de l’objectif de développement des énergies renouvelables, la préservation du potentiel hydroélectrique existant apparaît donc comme un objectif de premier ordre. De plus, la nécessaire substitution d’une production d’origine renouvelable par une production à partir de combustible fossile aggrave la pollution atmosphérique déjà sensible dans ce secteur. Cela ne va pas dans le bon sens, même si la construction prévue à moyen terme de plusieurs centrales électriques au gaz naturel permettra de diminuer environ de moitié les émissions atmosphériques. Reste le projet actuellement à l’étude d’une dérivation vers le Rhône, censée préserver totalement l’étang de Berre et redonner à la chaîne hydroélectrique des capacités intactes de production ; toutefois, avec un coût de plus d’un milliard d’euros, le financement d’un tel projet est encore loin d’être acquis, sans préjuger de l’acceptation d’un tel ouvrage par les riverains. Entretien réalisé par François Cosserat
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Développement durable Les pêcheurs sont pour Naturellement a rencontré William Tillet, premier Prud’homme(1) et président du Comité local des pêches de Martigues(2). Naturellement • Quel est l’impact des activités industrielles sur la pêche ? : William Tillet • On peut le diviser en 2 catégories. Tout d'abord les industriels qui ont pignon sur le pourtour de l’étang, qui “polluent” l’air par leurs rejets atmosphériques et l’eau par leurs rejets liquides. Pendant de nombreuses années, ces pollutions, d’origine principalement pétrolière et chimique, se sont développées sans aucun contrôle, ce qui a abouti, en 1957, à l’interdiction de la pêche dans l’étang de Berre. Les pêcheurs ont reçu des indemnités, mais c’était la fin d’une activité séculaire et la mort d’un étang sacrifié à l’industrie. L’industrialisation de Fos annonçait ensuite que la destruction des milieux naturels allait se poursuivre dans le golfe et atteindre directement la mer, ce qui a d’ailleurs commencé. Le sacrifice à l’industrie s’étendant à la mer, il n’y avait plus de raison pour que ça s’arrête. La protestation des pêcheurs, ainsi que de beaucoup d’élus, d’associations, de syndicats, des populations, a ensuite conduit les pouvoirs publics à imposer aux industriels des normes plus sévères pour les rejets, ce qui a permis d’autoriser à nouveau la pêche dans l’étang. Mais les rejets du canal EDF à Saint-Chamas, à partir de 1966, ont créé une dégradation du milieu d’un autre type. Ensuite, les rejets massifs d’eau douce et de limons de la centrale EDF de Saint-Chamas qui posent un vrai problème pour la pêche, car les perturbations apportées ne permettent plus un fonctionnement normal du milieu pour la vie et la reproduction des poissons,
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d’autant plus que ces rejets sont très irréguliers et brutaux. La salinité peut varier de 7 g/l à plus de 30 g/l en peu de temps, ce qui ne permet pas de stabilisation du milieu. Ce sont les entrées d’eau de mer par la passe de Caronte qui permettent d’augmenter la salinité, mais les rejets de SaintChamas perturbent cet apport, dû à la marée et aux vents. Les limons, en suspension ou déposés au fond, représentent aussi une nuisance. Il faut ajouter à cet inconvénient les polluants déversés par les industriels, les villes, l’agriculture dans la Durance, qui se retrouvent dans l’étang par le canal EDF. On peut citer les nitrates et les phosphates qui, bien que peu concentrés, représentent de très grandes quantités, vu les volumes d’eau déversés. Aussi, si les entrées d’eau de mer permettent le retour des poissons, ces embellies sont toujours soumises à la menace d’une baisse de salinité qui remet tout en cause. Par ailleurs, les expériences en cours avec l’élevage des naissains de moules risquent d’être vouées à l’échec avec ces variations importantes. Naturellement • Pensez-vous que l’aménagement des rejets, fixé par le nouveau décret, apportera une solution aux problèmes de la pêche dans l’étang ? C’est une mesure provisoire, jusqu’en 2009. Il faut voir ce que ça donnera. Les rejets pourront encore atteindre 1,2 milliard de
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m3/an d’eau et de limons, ce qui représente 30 % de plus que le volume de l’étang. Les inconvénients seront plus réduits mais subsisteront. Seule l’expérience nous dira quel en est le résultat. Enfin, il demeure toujours très difficile pour les entreprises de pêche d’établir des plans prévisionnels à long terme. Seul l’arrêt total des rejets EDF peut garantir un avenir durable à la pêche, et la dérivation des eaux après Saint-Chamas apparaît comme la meilleure solution. Nous ne perdons pas de vue non plus les autres préoccupations de développement durable, avec les problèmes de rejets dans la basse Durance et la production d’énergie renouvelable. Pour terminer je voudrais exprimer un souhait ; l’étang de Berre, avec ses 155 km2 est toujours considéré comme la plus grande nurserie de Méditerranée. Alors, lorsqu’on parle de préservation des ressources pour justifier la limitation de la pêche, on pourrait plutôt songer à rétablir l’étang dans son rôle naturel. Propos recueillis par Gérard Nevière (1) La Prud’homie de pêche est un organisme chargé de la police des pêches. Son Conseil est élu par les pêcheurs. Celui qui nous concerne a la gestion du quartier maritime de Martigues qui s’étend de Sausset-les-Pins aux SaintesMaries-de-la-mer, et Arles, et couvre également l’étang de Berre. (2) Le Comité local des pêches est un organisme élu qui a la même compétence géographique pour la législation et l’administration.
La “mer de Berre” comme l’appelaient les anciens, a toujours fait l’objet de convoitise de la part de ses riverains, tant il y faisait bon vivre jusque dans les années cinquante, avant qu’elle subisse l’industrialisation massive de ses rives et qu’elle reçoive les eaux limoneuses de la Durance. Pêche artisanale sur l’étang de Berre… © GIPREB
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n y pique-niquait, on s’y baignait, on y pêchait et mangeait moules, palourdes, huîtres, et même des oursins, ainsi que toutes espèces marines de poisson. Malheureusement, les produits chimiques qu’on y déversait en abondance et sans contrôle, l’eau douce et les limons contribuèrent rapidement à la disparition de la quasi totalité de la flore et d’une grande partie de la faune. En fait, on courait à la désertification du plus grand étang salé d’Europe. La disparition de la vie dans la mer de Berre était alors constatée et le processus irréversible de son comblement devenait inéluctable. Il fallait donc immédiatement réagir : c’est ce que firent les populations riveraines de l’époque. Une multitude d’actions tous azimuts furent alors menées. Malheureusement, s’agissant d’actions isolées et non concertées, aucune n’aboutit. Il fallut que les populations se constituent en associations pour être prises en considération ; afin d’augmenter leur efficacité, les associations qui s’étaient créées dans les différentes villes riveraines sentirent le besoin de se regrouper en coordination : en 1990 naissait la coordination de l’Etang marin (que j’ai l’honneur de présider). Un an auparavant, les élus des 10 communes riveraines de l’étang avaient créé le SISEB, Syndicat intercommunal pour la sauvegarde de l’étang de Berre. L’action conjuguée des deux fera que la ville de Berre organisera dans 12 communes, le 6 octobre 1991, un référendum qui recueillera plus de 45 000 suffrages, dont 95 % se prononceront
pour « l’arrêt immédiat et absolu de tout déversement d’eau douce et de limons » de la Durance via la Centrale EDF Saint-Chamas. Cette date sera le vrai point de départ des actions que mèneront les riverains au travers du monde associatif. Nous obtiendrons en septembre 1993 les premières propositions du plan Barnier, lequel permettra de réduire les rejets d’eau douce et de limons, d’abord de 15 % puis de 35 % dans les années suivantes pour arriver à plus de 60 % aujourd’hui, ce qui s’avère encore insuffisant. Avec l’application du plan Barnier et un certain nombre de mesures complémentaires telle que la réduction des pollutions industrielles et urbaines (avec la mise aux normes des stations d’épuration), l’impact sur le milieu sera quasi immédiat et en constante progression. Ce qui confortera l’ensemble des usagers du plan d’eau et le monde associatif regroupé, dans la volonté d’organiser sa réhabilitation. Durant toute l’année 1999, la coordination de l’Etang marin, regroupant 52 associations (type loi 1901) du
pourtour de l’étang de Berre, travaillera avec l’ensemble des partenaires, parties prenantes de la réhabilitation de l’étang de Berre, ainsi que l’Etat et ses services et ce, sous la responsabilité du sous-préfet d’Istres. En 2000, sur décision de l’Etat, nous assisterons à la naissance du GIPREB et aurons la satisfaction de faire partie des membres fondateurs ; à ce titre, et depuis cette date, nous siégeons au bureau ainsi qu’au conseil d’administration. Durant ces six dernières années, le GIPREB se révélera comme le véritable outil de travail, bien approprié à la problématique posée ; il faisait vraiment défaut au processus de réhabilitation. Reste aujourd’hui à maintenir la mobilisation de l’ensemble des partenaires et à conserver cette volonté forte d’aboutir pour qu’enfin, à l’horizon 2010 – 2015, nous soyons dans un processus irréversible de réhabilitation. C’est en tout cas le vœu que je formule en ce début d’année 2007. Bernard Niccolini Président de la coordination de l’Etang marin
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ETANG DE BERRE : DES POLLUTIONS ORDINAIRES…
La longue lutte pour la mer de Berre
ECOLOGIE ET POLITIQUE
A propos du manifeste de Nicolas Hulot Nicolas Hulot a publié un manifeste. Il veut réaliser un consensus autour des problèmes de l’environnement et du développement durable. Que recouvre cette union sacrée sur un noyau dur de mesures pour faire face aux dangers ?
L
e premier des objectifs du manifeste vise à sortir d’une économie du jetable pour entrer dans celle de la fabrication de biens durables et recyclables. Ce ne sont pas des idées nouvelles. Elles semblent si raisonnables qu’on se demande pourquoi elles ne sont pas déjà appliquées. Il doit y avoir des résistances et des obstacles. « Réduire les flux de matières, de déchets et d’énergie », comme le propose Nicolas Hulot, revient à peser sur la croissance. La réalisation de ces objectifs se heurte de plein fouet aux rapports dominants entre emplois et croissance. Certes, un recours massif au recyclage et à la réparation crée sans aucun doute des emplois. Il est alors possible de penser que les emplois perdus ici seront gagnés ailleurs, qu’il s’agit donc de le vouloir et de mettre l’innovation au service de l’environnement. Il s’agirait de faire tourner la matière en cycles pour que tout aille bien. Cette économie du recyclage, nécessaire, est-elle suffisante ? Faisons d’abord remarquer qu’il est impossible de considérer l’utilisation de la matière sans poser en même temps celle de l’énergie. Elle fait l’objet de l’objectif n°2. L’appel pressant à réduire la consommation d’énergies fossiles répond à une question majeure. Le constat « qu’aucune offre nouvelle d’énergie n’est susceptible de répondre quantitativement à la demande de consommation si celle-ci reste en l’état », est à mon avis juste. L’absence de référence à l’énergie nucléaire est une faiblesse du manifeste et le résultat d’une autocensure de Nicolas Hulot. Mais il est clair qu’elle ne
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peut pas constituer une substitution massive aux fossiles pour les trois prochaines décennies. Trop long, trop tard !
Des silences gênants Mais pourquoi en sommes-nous là ? Il faut que le prix du baril atteigne 100 $ pour que les énergies alternatives au pétrole, au gaz et au charbon puissent commencer à devenir économiquement compétitives, sans aide fiscale. Il est donc possible de dire qu’un prix de 100 $ le baril exprime la durabilité de l’énergie. Les énergies renouvelables ont manifestement été délaissées pour des raisons de rentabilité des capitaux investis dans la production. L’économie marchande pilotée par le capitalisme nous a amenés à un état d’impuissance technique et de catastrophe écologique parce qu’elle est fondée sur la possibilité de faire croître indéfiniment la production de biens matériels d’une part, d’autre part le pillage des ressources naturelles à qui aucune valeur d’usage n’est donnée. Le pétrole est pourtant brûlé irréversiblement. L’énergie n’est pas recyclable comme la matière. Tout se passe comme si les substituts techniques (matériaux et énergies) pouvaient apporter des solutions au fil du temps sans remettre en cause le fonctionnement d’une économie capitaliste. Nicolas Hulot n’aborde pas cette dimension du problème. La réponse reste ambiguë sur le fond. Il propose alors une taxe “carbone“. En d’autres termes, il faut créer les conditions pour que les énergies renouvelables
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deviennent économiquement compétitives. Il propose une sanction par le prix. Certes le prix de l’énergie ne reflète pas son coût. Mais encore faut-il que la mise à niveau du prix soit équitable. Cette taxe est-elle cohérente et efficace ? Il faut, dit Nicolas Hulot, « réduire massivement la consommation énergétique globale ». Pour qui ? Pour les Français ou pour les humains de la planète ? Pour notre pays, l’objectif est légitime mais ne l’est plus pour l’humanité. Première contradiction. Il propose une économie du recyclage pour corriger les effets d’une croissance sans limite. Le recyclage a besoin d’énergie. Les économies sont-elles suffisantes pour répondre aux impératifs écologiques ? La question mérite d’être posée car la réponse est loin d’être claire (voir encadré). L’efficacité de la réponse dépend essentiellement des modifications à apporter à la production et à la consommation des biens matériels. Nicolas Hulot n’y fait mention que pour l’agriculture dans le
De bonne volonté Les autres objectifs du manifeste définissent des cibles concrètes et parfaitement nécessaires. Peuvent-elles définir un tronc commun à toutes les forces politiques de droite et de gauche ? Oui, formellement. La rupture est un mot à la mode. Le manifeste de Nicolas Hulot a le grand mérite d’attirer fortement l’attention sur l’environnement. Mais le pacte amortit le débat sur les causes et les moyens politiques et sociaux à mettre en œuvre pour modifier la situation. Personne ou presque ne nie la nécessité de mettre en oeuvre des transformations économiques et sociales. Les leviers technologiques et fiscaux sont nécessaires, mais sont-ils suffisants ? La réflexion sur le rôle du politique est insuffisante. Proposer un ministre du développement durable avec des pouvoirs étendus est une bonne proposition mais la dimension sociétale est globalement sous-estimée. Certes, la nécessité de développer la démocratie participative est affirmée. Mais quel rôle doit-elle jouer ? Débat public, contrôle social, consultation, concertation, co-élaboration ? En fait, la question fondamentale qui est posée est celle des rela-
tions entre le politique et l’économique. La globalisation libérale a affirmé et accentué la dépendance du politique, donne au profit une place dominante et destructrice. La taxe carbone n’est qu’un moyen d’une régulation économique qui accepte implicitement mais de facto cette logique dominante. Le manifeste de Hulot omet de poser l’importance des rapports de production dans la détérioration de l’environnement. C’est que l’apparente objectivité d’une marchandise et de son prix cache la manière avec laquelle elle a été produite et son impact sur les milieux naturels et la biodiversité. Ce dernier est à présent insupportable. C’est là que réside la rupture objective, accompagnée de son cortège d’inégalités et de souffrances. Il y a à présent une double exigence de durabilité : naturelle et sociale. La réponse de Nicolas Hulot est celle d’un bon encadrement fiscal et réglementaire, d’une bonne gouvernance, d’un bon comportement du consommateur. Bref un monde de bonne volonté dans un contexte social, économique et politique globalement inchangé.
Oui mais Le manifeste de Nicolas Hulot part de bons sentiments mais escamote une partie essentielle du débat. Union sacrée, sans doute pas, mais initiative à saluer et à soutenir dans la majeure partie de ses objectifs. La réponse politique est à construire en tant que projet citoyen. François Cosserat
CONSOMMATION ÉNERGÉTIQUE La consommation énergétique globale des Français est voisine de 270 millions de tonnes équivalent pétrole (tep), dont 150 d’énergies fossiles proprement dites (pétrole, gaz et charbon). Pour respecter la nature et nos concitoyens, il faut diviser par 4 la consommation d’énergies fossiles d’ici 2050. C’est d’ailleurs l’objectif de la loi d’orientation votée en juillet 2005. Diviser par 4, c’est trouver des économies et des substituts pour 110 millions de tep. 55 millions de tep sont consommés pour faire rouler les autos et dans la vie domestique (chauffage, cuisine). Il faut donc, si jamais on pouvait faire disparaître totalement les énergies fossiles dans la satisfaction de ces besoins, trouver un tonnage égal dans la production et la consommation de biens matériels. Qui oserait prétendre aujourd’hui que ce n’est pas d’abord et essentiellement un problème de société ?
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ECOLOGIE ET POLITIQUE
cadre de son objectif 3. Nécessaire sans aucun doute ! Mais pourquoi cette restriction ? Les forces économiques et politiques dominantes n’ont pas été techniquement et socialement capables d’exprimer toutes les potentialités naturelles et humaines et d’assurer un développement durable et partagé pour l’humanité. Pourquoi le seraient-elles maintenant avec les moyens proposés par N. Hulot (taxe carbone et recyclage) ?
Or l’apparition objective de limites à la production, certes fluctuantes et plus ou moins sévères en fonction de nos techniques et de nos comportements, impose une réflexion sur les besoins sociaux et sur l’équitabilité des réponses apportées. C’est là où on a besoin de la démocratie participative. Comment faire bien vivre les 9 milliards d’êtres humains, à l’horizon 2050, tout en protégeant la nature ? Telle est la question essentielle. Une nouvelle pratique sociale doit investir le champ économique, chasse gardée du capitalisme et délégué aujourd’hui par les forces politiques dominantes aux appétits des actionnaires. Il ne s’agit plus seulement d’exiger une autre répartition des richesses mais de faire en sorte que celles qui sont produites respectent l’homme et la nature. Les rapports du politique et de l’économique doivent être fondamentalement modifiés. Des réponses sociales nouvelles sont en tain de naître. Le commerce équitable en fait partie.
TRANSPORT FLUVIAL
Que se cache-t-il derrière SEINE-NORD-EUROPE ? L’enquête publique du projet de canal à grand gabarit Seine-NordEurope (SNE) doit s’ouvrir en janvier. Une consultation préalable a permis de préciser les impacts environnementaux.
D
es réponses ont été fournies à de nombreuses questions. Mais il reste une incertitude majeure sur les possibilités d’alimentation en eau pendant les étés secs. Subsiste également une forte interrogation sur le gabarit.
Contrôle social L’eau nécessaire à la navigation est obtenue par pompage dans le bief bas de l’Oise. L’alimentation en eau doit donc faire face aux pertes par infiltration et évaporation. Les hypothèses dépendent de l’étanchéité et surtout de sa durabilité. S’il n’est pas difficile de la calculer de manière théorique aujourd’hui, personne ne peut répondre de ce qu’elle va devenir dans le temps. La stabilité des différents ouvrages n’est pas la même. Il existe donc des zones de fragilité. Il n’y a pas de retour d’expérience sur des ouvrages de cette dimension et dans un contexte hydrogéologique analogue. Autre difficulté : comment tenir compte du changement climatique dans le calcul de pertes par évaporation et la disponibilité des ressources en eau pendant des étiages sévères ? Les réponses apportées pendant la consultation consistent à prendre une marge de sécurité de 50 %, à créer des réservoirs qui n’étaient pas prévus au départ, à envisager des restrictions de navigation. Elles consistent d’une part en une réduction de la largeur du chenal
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(événement pouvant survenir avec une fréquence de 15 à 20 ans), d’autre part en une diminution de l’enfoncement des bateaux (occurrence moyenne de 30 ans). Bref, il existe de fortes incertitudes sur l’impact de l’ouvrage sur les ressources en eau et, par ricochet, sur sa fiabilité fonctionnelle. Elles exigent la mise en place d’un contrôle social. La proposition d’un comité de suivi a été avancée mais n’a pas reçu d’écho.
Pourquoi ce gabarit ? La justification économique du gabarit est de pouvoir faire passer des barges avec trois niveaux de conteneurs superposés. Ce qui exige des tirants d’air supérieurs à 7 mètres sous les ponts. En amont comme en aval, cet objectif ne pourra être atteint, même dans un avenir lointain. La réponse de Voies Navigables de France (VNF) est simpliste. Les Belges et les Allemands le font, pourquoi pas nous ? Mais pourquoi ne pas tenir compte d’un contexte particulier, d’autant plus que l’addition est lourde : près de 4 milliards d’euros. Un gabarit de 3 000 tonnes n’était-il pas suffisant ? Pourquoi ne pas mettre une écluse de plus sur le versant sud ? Les performances opérationnelles du canal ont été a priori maximisées sans justifications suffisantes. Les canaux belges et allemands à grand gabarit ne sont pas dans un contexte hydrogéologique ana-
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logue. Ils ne manquent pas d’eau. Seine-Nord-Europe passe près des sources de l’Escaut et de la Somme. Le dénivelé est important. En fait, malgré l’absence d’expérience et les incertitudes, tout ce passe comme si on appliquait un modèle universel, partout valable. Cette tendance ˝au forceps˝ s’exprime parfaitement dans l’analyse économique.
L’économie du canal Les études de VNF permettent de pousser l’analyse. Ne nous en plaignons pas. Elles nous apprennent que, malgré le canal, il y aurait plus de camions sur les routes dans l’avenir. Le tableau, de source VNF, permet de quantifier le problème. Que le canal permette qu’il y ait moins de camions sur les routes en 2020 n’est pas un scoop. Mais qu’il y en ait de toute façon beau-
coup plus est une donnée sensible et alarmante. Le transport routier du vrac ne diminuera pas. Celui des conteneurs serait plus que doublé. Pour 2050, les études de rentabilité du canal tablent sur un nouveau doublement du nombre total de conteneurs transportés ! Ces conteneurs contiennent des marchandises fabriquées dans les pays à bas coût salariaux, à faibles contraintes sociales et environnementales. Que signifient ces hypothèses quand, en juillet 2005, le parlement français a voté une loi qui se fixe comme objectif la division par quatre de la consommation d’énergies fossiles ? La poursuite sur une longue durée d’une mondialisation des échanges déséqui-
librée est-elle socialement et économiquement possible ? Ce sont deux questions de fond, parmi d’autres sans doute, que les études ne posent pas.
Que faire ? La justification du canal est donc bien assise sur la certitude d’une poursuite d’une production sans limite, sans crise ni essoufflement du modèle actuel. La construction d’une offre logistique alter et multimodale basée sur la modernisation des réseaux ferrés et fluviaux existants et la construction d’équipements routiers complémentaires doit être reconnue comme indispensable. Il ne s’agit pas de rendre plus accep-
Le canal du Nord a été ouvert en 1956 après près de 60 ans de guerre et de tergiversations. Cette expérience traumatise VNF qui se jette dans une fuite en avant sur le gabarit du grand frère.
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TRANSPORT FLUVIAL
Lacune dans l’entretien du canal du Nord. Le recours à de telles pratiques sur Seine-Nord-Europe ruine tout le discours sur son étanchéité.
table un système de production qui va apparaître de plus en plus archaïque et dangereux. Dans ce contexte, la modernisation d’une liaison fluviale nordsud est incontournable. Il est difficile de la fonder sur l’actuel canal du Nord. Mais le projet SeineNord-Europe n’est pas satisfaisant. Il est même incohérent. Le projet SNE est celui de la création d’une autoroute fluviale entre les ports belges et hollandais et la région parisienne. L’intermodalité induite est celle qui est liée au flot de conteneurs. Les zones d’activités prévues sont d’ailleurs modestes. Il faut axer la réflexion et les moyens sur la création de logistiques alternatives au routier, irrigant bien les territoires et dans laquelle s’inscrit le projet de liaison fluviale d’un gabarit réduit par rapport au projet. 4 milliards d’euros, ce n’est pas rien ! Comment les utiliser pour un système de transport au service d’un développement durable et solidaire, partagé équitablement entre les hommes et les territoires ? C’est bien là la question essentielle qui est escamotée dans le dossier de VNF. On ne peut pas en vouloir à l’organisme. La consultation a été de haute tenue. C’est une question politique majeure dont la solution lui échappe. François Cosserat
ERIKA
Le procès de la marée noire 12 décembre 1999 : le bateau poubelle “Erika“ fait naufrage. Une marée noire, amplifiée par la redoutable tempête de cette fin d’année, va souiller les côtes, de la Vendée à la Bretagne…
C
e pétrolier (il s’agit d’un vieux navire sans double coque) transportait un dérivé pétrolier, une sorte de boue de pétrole. Pour ce produit peu noble, la société Total avait recherché un transport au moindre coût et a été peu regardante sur les risques pris. C’est en tant que donneur d’ordre et chargeur de l’Erika que Total se retrouve aujour’hui devant la justice avec treize autres personnes morales et physiques, prévenues de pollution et de mise en danger d’autrui. Une première audience a eu lieu le lundi 4 décembre, au cours de laquelle le MNLE s’est constitué partie civile(1). Le procès lui-même s’ouvrira le 12 février 2007 devant
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le tribunal de Paris et durera 4 mois. Le MNLE et ses militants, notamment ceux de LoireAtlantique (MNLE 44), ont été présents dès le premier jour sur les côtes pour participer aux opérations de dépollution. Nous avons également été partie prenante de toutes les manifestations, notamment à Nantes le 5 février 2000 où 4 000 personnes étaient rassemblées ainsi qu’à Paris et à La Défense (devant le siège de Total). Naturellement a largement ouvert ses pages à cette catastrophe, pour exiger que cela ne se reproduise plus, réclamant une réglementation plus sévère, la fin des pavillons de complaisance et une responsabilisation des donneurs d’ordre (y compris par des sanctions très sévères). Cette exigence est d’autant plus forte aujourd’hui, que, comme nous le savons, trois ans après l’Erika c’est le naufrage du Prestige, avec une marée noire sur les côtes atlantiques d’Espagne et de France. Dans le n° 75 de
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Naturellement (2), nous écrivions : « (…) Au total, c’est plus d’un milliard de tonnes d’hydrocarbures qui ont été déversées “accidentellement“ en mer depuis 1990 (…) ». Total ne pouvait ignorer cette situation, ni tous les autres prévenus. Et pourtant ils ont pris les pires risques, mettant en danger la vie des équipages, provoquant d’immenses dégâts sur la faune et la flore marines et côtières, causant d’énormes dégâts économiques par la pollution mais aussi par la nécessaire dépollution. Après sept années d’instruction, le procès répondra-t-il aux attentes de toutes les victimes, répondra-t-il aux interrogations des défenseurs de l’environnement ? C’est ce que chacun espère et c’est pour contribuer à une réponse positive à ces questions que le MNLE a décidé de se porter partie civile(3). Guy Léger (1) C’est le cabinet d’avocats Weyl-Porcheron qui représentera notre association. (2) Voir les n° 71, 73, 75 et 84 de Naturellement. (3) Les amis du collectif Marée noire (où se trouve le MNLE 44) ont également décidé de se porter partie civile dans ce procès (voir encadré page suivante).
affrété par une société écran basée aux Iles-Vierges (voir le n° 76 de Naturellement ). 2- SUR LA DÉCLARATION DE PARTIE CIVILE DU COLLECTIF Le 24 novembre dernier, Les amis du collectif Marée noire tenaient une conférence de presse, à Nantes, pour annoncer qu’ils se porteraient partie civile dans le procès qui va s’ouvrir. Leur objectif : « Connaître les causes réelles de la catastrophe, faire que justice soit rendue, que les coupables soient punis et les victimes rétablies dans leurs droits, et indemnisées ». Pour Les amis du collectif Marée noire, ce procès doit être exemplaire, avoir une valeur éducative et un effet dissuasif pour l’avenir. Il peut faire évoluer la jurisprudence et la loi sur les questions de délinquance environnementale.
L’après-pétrole
Larousse des animaux
Au rythme actuel de production et de consommation, on ne disposerait plus que d’une quarantaine d’années de réserves pétrolières exploitables. Autre donnée: le pétrole ne pourra que renchérir encore, et fortement. Outre l’aberration que constitue le fait de le brûler plutôt que de le consacrer à des usages chimiques, cette situation impose de songer dès à présent à des énergies de substitution, d’autant qu’il faut intégrer aussi le réchauffement climatique. C’est la réflexion qu’engagent les auteurs de ce remarquable vade-mecum. Analysant les avantages et inconvénients socio-économiques et environnementaux des différents substituts (gaz naturel, charbon, nucléaire, biomasse, courants d’eau et d’air, rayonnement solaire…) et les améliorations techniques attendues, ils appellent de leurs vœux une industrie moins polluante, une agriculture plus écologique et une autre façon de vivre. Michel Felet
Tous ceux qu’intéressent la biodiversité animale et sa préservation se devraient de posséder un tel ouvrage. Rédigé par un collectif de spécialistes internationaux, il présente, photos et dessins à l’appui, quelque 3 200 espèces – invertébrés, poissons, amphibiens, reptiles, oiseaux et mammifères. Avec, pour chacune, la dénomination française commune et le nom savant, la répartition géographique et une foultitude de détails sur le biotope, les caractéristiques morphologiques et comportementales, les habitudes alimentaires. Il ne manque pas d’indiquer, bien sûr, si l’animal est ou non en danger de disparition et quelles mesures s’imposent pour sa survie. Gageons qu’il suscitera des vocations de naturaliste amateur, voire professionnel… M. F.
« L’après-pétrole. Lorsque les puits seront à sec… » d’Anne Lefèvre-Balleydier. Petite Encyclopédie Larousse, 128 p., 60 illustrations, 9,90 euros.
« Larousse des animaux », ouvrage collectif, 610 p., 2 500 illustrations, CD audio de 90 cris d’animaux, 41,90 euros.
Ce sont ces mêmes raisons qui guident le MNLE (en tant qu’association nationale agréée) dans sa constitution de partie civile. 3- SUR L’AUDIENCE DU 4 DÉCEMBRE Le 4 décembre, s’est tenu la première audience du procès de l’Erika, devant la 11e chambre correctionnelle du Palais de justice de Paris. Cette audience a consisté à lire très brièvement les motifs de l’accusation, à répertorier les prévenus et les parties civiles, représentés par leurs avocats. Le procès débutera le 12 février 2007 à 13 h 30, devant cette même 11e chambre correctionnelle ; il devrait se terminer le 13 juin, à l’issue de 35 demijournées et de 10 journées d’audience.
Le méthane et le destin de la Terre Parmi les gaz qui contribuent à la n é f a s t e accentuation de l’effet de serre, le méthane arrive en seconde position (après le dioxyde de carbone, encore appelé gaz carbonique, et avant le protoxyde d’azote). Mais si son influence est moindre du fait des quantités actuellement rejetées, leur augmentation inconsidérée aurait des conséquences redoutables : l’action du méthane est vingt fois plus puissante que celle du premier agent, le dioxyde de carbone. Le méthane constitue par ailleurs une ressource potentielle fabuleuse : le pergélisol (permafrost) et les sédiments marins en recèlent 10 000 milliards de tonnes ! Cet ouvrage fait la synthèse, très didactique, de nos connaissances sur ce gaz méconnu. M. F. « Le méthane et le destin de la Terre » de Gérard Lambert, Jérôme Chappellaz, JeanPaul Foucher et Gilles Ramstein. EDP Sciences, 152 p., 24 euros.
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LU, VU, ENTENDU
1- SUR LA CASCADE DE SOCIÉTÉS MISES EN CAUSE L’Erika, vieux navire sans double coque, a été affrété par Total auprès de l’armateur londonien Tevere Shipping (spécialisé dans les transports à moindre coût). L’Erika battait pavillon maltais (de complaisance). L’équipage regroupait plusieurs nationalités. Total espérait dégager sa responsabilité en utilisant ce flou autour de l’Erika. Dans la marée noire intervenue trois ans après l’Erika avec le naufrage du Prestige, ce flou sera encore plus grand. Il s’agissait d’un navire âgé de 26 ans, construit au Japon, qui battait pavillon des Bahamas. Il appartenait à une firme du Libéria dont le siège est à Athènes, était assuré par un bureau de Londres, certifié auprès d’une société nord-américaine, dont le siège était délocalisé en Lettonie … et qui avait été
ERIKA
RAPPEL
COMMERCE ÉQUITABLE
Consommateur ou citoyen ? La question de la consommation traverse toute la société puisque le ˝consommateur˝ en est devenu une figure centrale, à la fois par l’action des entreprises, des professionnels du marketing et des politiques, mais aussi par sa propre complicité dans la construction de la ˝société de consommation˝. ducteur ou au commerçant, en s’intéressant aux modes de production et de commercialisation, en veillant à l’équité et au respect de l’environnement tout au long de la filière).
Analyser sa propre consommation
E
n fait, les actes de consommation (responsables ou non) ont clairement une dimension politique, en lien avec les modes de production et de distribution, l’ensemble contribuant à structurer nos sociétés. L’enjeu est donc de se réapproprier collectivement des parts de décision sur l’organisation de nos sociétés, en faisant le lien entre nos différents rôles (consommateur, travailleur, contribuable, électeur, etc.), en assurant la cohérence entre nos utopies et nos actes, en cherchant à comprendre le monde dans sa complexité mais aussi dans sa richesse, en élaborant des initiatives en réelle alternative à la mondialisation libérale. Certes, les entreprises ont une capacité de récupération phénoménale dans leur conception de produits et
dans leur communication. Mais elles ne pourront pas intégrer des alternatives assez radicales telles que les AMAP(1), qui remodèlent fondamentalement les relations entre producteurs et consommateurs : au-delà de la livraison du panier hebdomadaire, il s’agit justement de contourner le cloisonnement mis en place dans les relations de production et de distribution, en instaurant un lien durable entre un producteur et un collectif de familles. En effet, un critère essentiel de la consommation responsable est le type de relation que l’on entretient : directement au produit (dans les circuits classiques, à travers les labels, marques, étiquettes, quel que soit le mode de distribution) ou à l’ensemble de la filière (en recherchant une relation réelle au pro-
PRÉSENTATION Depuis octobre 2001, Action Consommation rassemble des citoyens soucieux de solidarité et de respect de l'environnement ; l’association a pour but de sensibiliser les consommateurs à leur pouvoir et à leur responsabilité, dans leurs gestes d'achat ou de non-achat, dans les comportements de chacun et à travers l'interpellation des entreprises et des institutions. Action Consommation / 21ter rue Voltaire – 75011 Paris www.actionconsommation.org - info@actionconsommation.org / Tél. : 06 86 89 78 89
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De façon plus générale, il s’agit pour le consommateur de retourner l’ensemble des éléments du ˝marketing mix˝, chers aux concepteurs de produits et de communication, en en faisant une grille d’analyse de sa propre consommation : en s’interrogeant sur ses besoins réels et l’utilité de ses achats, en exigeant une ˝qualité globale˝ (qualité technique, mais aussi sociale et environnementale, sur le cycle de vie du produit et sur l’ensemble de la filière), en s’intéressant à ce qui compose le prix des produits et services, en choisissant des lieux d’achat soucieux de leur qualité sociale et environnementale, en restant vigilant sur ses sources d’information. Et, au-delà de ses actes d’achat, en s’intéressant aux décisions politiques qui participent à structurer la qualité de l’offre et les infrastructures d’approvisionnement, et en interpellant les entreprises sur la qualité sociale et environnementale de leur organisation et de leurs achats. Bref, en (re)devenant citoyen, et non plus simple consommateur ! Véronique Gallais Présidente d’Action Consommation Association pour le maintien d'une agricuture paysane. Voir Naturellement n°90, p24.
(1)
Environ 2 500 visiteurs ont foulé le sol de l’Agora à Aubagne les 25, 26 et 27 novembre 2006, pour la première édition du Salon pour un commerce équitable.
C
e franc succès reflète l’engouement que suscite un tel concept. Si en 2000, seulement 9 % des Français connaissaient ce type de commerce, en 2005 ce chiffre atteignait les 74 %. Bien qu’à ses prémices, le commerce équitable, alternative économique qui vise plus d’équité et qui contribue au développement durable, est en plein essor. L’idée de produire et consommer autrement, émergeante des travaux de la 10e université d’été du Mouvement national de lutte pour l’environnement (MNLE), a mené cette association à organiser le Salon pour un commerce équitable. L’objectif de ce dernier étant de mieux faire connaître et de rassembler ses différents acteurs économiques, de favoriser les rencontres afin de nouer des partenariats commerciaux favorables à tous et de populariser le commerce équitable. Co-organisatrice de l’événement, la Communauté d’agglomération Garlaban Huveaune Sainte-
Baume (GHB) a choisi 2006 comme l’année du développement durable et solidaire. C’est pourquoi ce salon était incontournable pour le Pays d’Aubagne et de l’Etoile. Selon Alain Belviso, son président, « une collectivité publique telle que la notre ne peut pas demeurer à l’écart de la réflexion sur le commerce équitable ». De plus, la Communauté d'agglomération, qui est engagée dans des coopérations décentralisées et solidaires avec la République du Mali, a proposé ce pays comme invité d’honneur du salon. « Or, ce dernier, outre d'offrir l’occasion d’établir un partenariat pérenne avec GHB, coïncide avec les objectifs adoptés par le gouvernement malien, c’est-à-dire la réduction et la lutte contre la pauvreté par la promotion de l’agriculture et de l’artisanat notamment », a précisé Maïga Choguel, ministre de l’industrie et du commerce du Mali. Au cours de ces trois journées, de nombreuses personnes intéressées ont
assisté et participé à diverses animations, ce qui reflète la prise de conscience de ces citoyens du commerce tel qu’il est pratiqué actuellement, leur aspiration à consommer solidairement et leur conversion en ˝consomm’acteurs˝. Pour sa première édition, le Salon pour un commerce équitable a été une réelle réussite. Les réflexions émanant du salon ont conduit le MNLE à organiser les premières rencontres nationales de la consommation pour un autre développement, à Paris, durant le premier trimestre 2007. L'association renouvellera ce salon pour un commerce équitable les 1er et 2 décembre 2007, au Pays d’Aubagne et de l’Etoile, avec la volonté de populariser le commerce équitable. Sandra Pasero
LA DÉFENSE DE L’ENVIRONNEMENT A BESOIN DU COMMERCE ÉQUITABLE La maîtrise du risque climatique exige une limitation des émissions annuelles de carbone fossile à 3 milliards de tonnes. Pour une population qui dépassera très probablement 9 milliards d’êtres humains, ceci ouvre un budget carbone fossile de 350 kg par habitant de la planète à l’horizon 2050. C’est ce que reconnaît une loi votée en 2005 par le parlement français : il faut diviser par 4 la consommation d’énergie fossile par Français d’ici 2050. Mesure légitime, mais prendon les moyens de l’appliquer ? Le développement des énergies renouvelables, la modification de comportements individuels, l’isolation des logements, la promotion des modes de transports alternatifs au routier, ne suffiront pas pour atteindre l’objectif. Il faudra diminuer la consommation annuelle française d’énergies fossiles de 110 millions de tonnes équivalent pétrole alors que nous, particuliers, n'en brûlons qu'environ 55 pour les besoins domestiques (chauffage, cuisine) et les déplacements en automobile. S’il
est nécessaire de changer nos comportements, ce n’est donc pas suffisant. Il faut aussi produire et consommer autrement. Il nous faut développer d’autres outils économiques. Le développement du commerce équitable est une des voies possibles. Il s’écarte de la pensée économique et politique dominante qui nous rebat les oreilles avec la notion de concurrence pure et parfaite. Il est clair que le commerce équitable la shunte. Il s’agit en quelque sorte de créer les conditions pour que, dans une marchandise, apparaissent à la conscience du citoyen les rapports humains et naturels que le prix cache. En outre il faut établir un prix juste qui repose sur la transparence sur toute la chaîne de valeurs, du producteur au consommateur. En d’autres termes, derrière la notion de prix juste se profile tout un apprentissage social des échanges nord – nord et nord – sud. François Cosserat
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COMMERCE ÉQUITABLE
Franche réussite du salon d’Aubagne
Co-directeur avec Guillaume Lecointre, son collègue systématicien du Muséum national d’histoire naturelle, d’un magistral ouvrage sur la classification du vivant, le professeur Hervé Le Guyader, de l’Université Pierre-et-Marie-Curie, répond à nos questions sur sa discipline et le sort de la biodiversité. Naturellement • L’impact des activités humaines sur la biodiversité est plus qu’inquiétante. La nouvelle disparition d’espèces amorcée il y a environ 100 000 ans se serait beaucoup accélérée ces dernières décennies. Certains spécialistes estiment qu’elle est aujourd’hui de 100 à 1 000 fois plus rapide que les précédentes phases d’extinction massive. Estce aussi votre sentiment ? Hervé Le Guyader • Je ne suis pas aussi catastrophiste. D’abord, il faut signaler qu’on ne sait pas encore quantifier la biodiversité. 1 750 000 espèces ont été décrites à ce jour, mais combien y en a-t-il réellement ? On ne sait trop : les chiffres vont de 10 à 100 millions. Quant à la comparaison avec les cinq précédentes extinctions majeures(1), elle appelle une remarque. Dans leurs décomptes, les paléontologues ne vont pas plus bas que les familles(2) et négligent, parfois, le fait que s’il subsiste ne serait-ce qu’une seule espèce de telle famille, cette famille perdure. Entendons-nous bien : je ne nie pas la réalité de l’appauvrissement de la biodiversité et l’accélération du phénomène, mais je ne suis pas pessimiste à outrance. L’érosion majeure concerne les îles, des milieux très riches en espèces endémiques. Il s’agit d’écosystèmes instables, en évolution permanente, qui constituent de véritables machines à éliminer les espèces, mais à en créer aussi. Or, en intervenant sur ces îles, l’homme a accéléré le processus naturel d’érosion. En fait, l’aspect le plus préoccupant pour les éco-
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BIODIVERSITE
L’érosion est encore réversible
systèmes des îles n’est pas tellement la perte d’espèces que le nombre d’espèces introduites par l’homme, les espèces invasives. Cela dit, la situation n’est pas encore irréversible et on assiste à une prise de conscience au plan mondial. Si les actes concrets suivent, on remontera la pente. Les signes positifs se multiplient, du reste. On n’a jamais autant parlé, en haut lieu, de défense de l’environnement, de préservation de la biodiversité et de développement durable. De plus en plus d’économistes perçoivent l’importance de la biodiversité, et le coût que représentera, à terme, la déforestation, la pollution et la perte de terres arables. Ils font des additions et commencent de réagir en proposant des alternatives. Il faut certes tirer la sonnette d’alarme mais se garder d’une vision exagérément alarmiste. Ce serait démoralisant et contre-productif, surtout à l’égard des jeunes. Naturellement • Venons-en à l’objet même de votre livre : la nouvelle classification du vivant. Les scientifiques s’accordent-ils
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tous désormais sur ce plan ? Quelle est l’instance qui décide des nouvelles normes ? Il n’y a pas de réelle instance. C’est la communauté scientifique qui fait surgir le consensus. Pour ce qui est de la dénomination des espèces, elle est fixée lors des congrès internationaux de zoologie, de botanique et de microbiologie, mais ces instances ne légifèrent qu’au niveau du genre, rarement au niveau de la famille et jamais plus haut. Il y a des points sur lesquels s’est désormais établi un extrême consensus : tout le monde s’accorde, par exemple, sur le caractère monophylétique des métazoaires, des vertébrés et des annélides. Ce qui signifie que pour tel groupe il n’y a, selon les spécialistes, qu’un seul ancêtre hypothétique commun. Naturellement • Vous disiez qu’il y a encore des millions d’espèces à découvrir, à nommer et à décrire… Probablement une dizaine de millions. On songe d’abord aux insectes, mais il y a aussi les nématodes qui ont été très peu étudiés, qu’on sait mal différencier et pour l’étude desquels l’outil moléculaire s’avère absolument indispensable. Et puis il y a, bien sûr, le domaine de la microbiologie qu’on commence à peine à investiguer – je pense, en particulier, à l’énorme quantité de bactéries et de virus. A ce propos, on ne sait guère encore ce qu’est une espèce au niveau microbiologique. Dans le domaine de la botanique, je ne dirai pas que tout est connu, mais il est fort improbable qu’on
dépasse les 500 000 plantes à fleurs contre 300 000 décrites à ce jour. En ce qui concerne les mousses et les lichens, en revanche, beaucoup restent à décrire, de même que les petits gastéropodes de mer. Ajoutez à cela les organismes unicellulaires qu’on trouve dans le plancton, et les parasites marins : les poissons des récifs coralliens ont des charges parasitaires d’une ahurissante variété et qui évoluent tout au long de leur vie ! Ce petit monde, qu’on est en train de découvrir, s’avère extraordinaire… Naturellement • Il y a donc un processus permanent de spéciation… N’en déplaise à ses contempteurs créationnistes, la théorie de Darwin est, désormais, largement démontrée ! La sélection naturelle n’est plus niable… En effet. C’est l’un des moteurs de la diversification des espèces. Il y a certes des mutations neutres mais la sélection naturelle joue un rôle déterminant aux différents niveaux, qu’il s’agisse du gène, de la cellule, de l’organisme ou de l’espèce. C’est un processus compliqué mais qu’on commence à bien comprendre. Naturellement • Le recours à la génétique a profondément transformé la classification, la taxinomie… Et on n’est qu’au tout début. En
dégageant de nouveaux caractères, la biologie moléculaire va nous conduire à des phylogénies de plus en plus fiables. La classification va donc encore beaucoup évoluer. Il en a été ainsi, d’ailleurs, depuis Linné : Cuvier a révolutionné la classification de Linné, Darwin a révolutionné celle de Cuvier… Cela dit, il y a des éléments clés qui ne changeront pas. Certains groupes monophylétiques sont désormais bien établis : les grandes familles naturelles que sont les graminées, les orchidées, les crucifères, par exemple. Pour réaliser un arbre correct, il suffit de prendre, pour chacune de ces familles, un seul représentant. Pour d’autres groupes, en revanche, il faudra vérifier s’ils sont bien ˝naturels˝ ; la génétique y aidera. Comme il est, évidemment, hors de question de séquencer le génome de tous les organismes connus – ça demanderait un temps infini et coûterait des sommes énormes –, on devra, avant tout séquençage, construire une bonne hypothèse de travail. Et qui le fera sinon le naturaliste ? Son expertise restera cruciale… Au sujet de la génétique, je voudrais dire un mot sur le codebarres à ADN que certains biologistes proposent pour identifier les espèces. La grande expédition naturaliste conduite en 2006 sur Espiritu Santo, la plus grande île du Vanuatu(3), a donné lieu à la mise en place, pour la toute pre-
mière fois, d’un atelier codebarres. On a prélevé l’ADN de tous les organismes marins récoltés, ce qui permettra d’accéder à de nouveaux caractères classificatoires. Par ailleurs, le fait de disposer de génomes nous aidera à mieux comprendre comment s’opère la sélection naturelle. Le challenge le plus extraordinaire de la biologie va être, dans le demi-siècle qui vient, de saisir comment, au cours de l’embryogenèse, apparaissent les formes. Prenez le chimpanzé et l’homme : leur génome est identique à plus de 98 % ; ce ne sont pourtant pas les mêmes animaux ! En fait, les mêmes gènes s’expriment différemment. Il va falloir comprendre pourquoi. Naturellement • La nouvelle classification continuera toutefois de faire appel, parallèlement, à la morphologie, au classement d’après la forme… Absolument. Si, pour certains groupes comme les spongiaires, la seule comparaison morpho-anatomique a atteint ses limites et si pour d’autres, les bactéries et les virus, par exemple, l’analyse moléculaire s’avère indispensable, le recours à la morphologie a fait et fait encore merveille pour les vertébrés. Naturellement • Longtemps, la classification du vivant a été centrée sur l’homme, référence suprême. Ce n’est plus le cas…
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Illustrations de Dominique Visset
BIODIVERSITE
Les fonds marins recèlent d’innombrables espèces… L’homme n’est plus, en effet, que l’une des créatures de l’arbre du vivant, avec ses spécificités. Le naturaliste et le biologiste, aujourd’hui, se défient de toute subjectivité à son endroit. Naturellement • La systématique a été trop délaissée dans notre pays. La situation s’est-elle améliorée ? La biologie moléculaire y a été privilégiée à l’excès. La GrandeBretagne, les Etats-Unis, les pays nordiques ont eu des politiques beaucoup plus équilibrées, de ce point de vue. Pour ce qui est de la France, je suis plus optimiste désormais. Dans les années 19601970, nos naturalistes n’avaient plus de thèmes de recherche à proposer. Aujourd’hui où le concept de biodiversité se trouve sur le devant de la scène, les
études de phylogénie refleurissent, d’autant que les naturalistes ont appris, eux aussi, à maîtriser l’outil moléculaire. Naturellement • Une importante conférence, à Paris, en 2005, avait appelé à la constitution d’un organisme planétaire pour la défense de la biodiversité sur le modèle du GIEC, le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat. Qu’en est-il à ce jour ? La grande difficulté, avec cette proposition, c’est que les pays les plus riches en biodiversité sont aussi les plus pauvres économiquement. Mais les choses avancent. On ne se pose plus la question de savoir s’il faut préserver la biodiversité, mais comment le faire. Certes, toutes les espèces d’un écosystème ne sont pas
RAPPEL La taxinomie vise à établir une classification systématique des êtres vivants. Elle se présente sous une forme arborescente, depuis une racine incluant tous les êtres vivants existants ou ayant existé jusqu’aux individus situés aux extrémités des branches. Chaque nœud de l’arbre définit un taxon. C’est le Suédois Carl von Linné (1707-1778) qui a fondé, en 1758, la systématique, mais il s’agissait d’une classification anthropocentrique et d’essence divine (créationniste) qui n’a plus cours depuis que l’Anglais Charles Darwin (18091882) a établi, en 1859, une classification purement généalogique, fondée sur sa théorie de l’évolution. Un siècle plus tard naissait la phylogénie, non plus fondée sur la descendance (qui descend de qui ?) et sur les seuls caractères morphologiques observables, mais sur l’apparentement entre espèces (qui est plus proche de qui ?). L’approche phylogénétique suppose deux conditions : tous les individus du taxon descendent d’un individu ancestral particulier ; tous les descendants de cet ancêtre particulier sont dans le taxon. Les taxons monophylétiques sont aussi appelés clades. La systématique phylogénétique ou cladistique intègre la génétique. Rappelons enfin que l’espèce se définit comme une communauté d’êtres vivants interféconds partageant le même patrimoine génétique.
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nécessaires à sa survie. Pourquoi, alors, les conserver toutes, demanderont certains. Pour des raisons scientifiques, mais aussi éthiques et esthétiques. Quand on leur parle d’esthétique, les gens songent d’abord aux paysages – telle forêt des Cévennes, le bocage breton ou normand, le lagon de Nouvelle-Calédonie, etc. – et pas aux écosystèmes. Ce sont les paysages qui les marquent et qu’ils veulent garder. Il faut qu’ils réalisent que les écosystèmes sont constitutifs des paysages, et qu’en préservant ces derniers, ils préservent les écosystèmes correspondants, leur faune et leur flore. Il y a des animaux proprement mythiques : les baleines, les dauphins, les requins-baleines, les éléphants, les lions, les tigres, les girafes, les rhinocéros, les hippopotames, les gorilles, etc. Eh bien, servons-nous de l’attrait de ces animaux pour aider à la préservation des écosystèmes, des paysages où ils évoluent. Ils sont tout simplement indispensables à l’équilibre psychologique des êtres humains… Propos recueillis par Michel Felet (1) L’histoire de la vie sur Terre a été marquée par cinq grandes crises :disparition d’un grand nombre de brachiopodes, conodontes et trilobites à la fin de l’Ordovicien (il y a 440 millions d’années) ; élimination de 70 % des espèces en trois millions d’années lors du Dévonien (365 millions d’années) ; disparition de 95 % de la vie marine et de 70 % de la vie terrestre (incluant plantes, insectes et vertébrés) lors du Permien (240 millions d’années) ; extinction de 20 % des espèces marines, de la plupart des diapsides et des derniers des grands amphibiens lors du Trias-Jurassique (210 millions d’années) ; suppression de 50 % des espèces, dont les dinosaures (à l’exception de ceux qui ont donné naissance aux oiseaux) à la fin du Crétacé (65 millions d’années). (2) Rappelons que le classement du vivant repose sur la hiérarchie suivante : Règne —> embranchement —> classe —> ordre —> famille —> genre —> espèce On dira, par exemple, de l’homme qu’il est du règne animal, de l’embranchement des vertébrés, de la classe des mammifères, de l’ordre des primates, de la famille des hominidés, du genre homo et de l’espèce homo sapiens. (3) Conduite à l’intiative du Muséum national d’histoire naturelle, de l’Institut de recherche pour le développement et de l’ONG ProNatura, elle a engagé 160 chercheurs et naturalistes de 25 nationalités.
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espectivement chercheurs au Muséum national d’histoire naturelle et à l’université Pierre-et-Marie-Curie (Paris VI), les professeurs Guillaume Lecointre et Hervé Le Guyader ont conjugué leurs talents pour diriger cet ouvrage unique en son genre, non seulement en France : d’ores et déjà traduit en italien et en allemand, il devrait l’être bientôt en espagnol et en américain. Il faut dire aussi qu’ils ont été servis par une illustratrice d’exception, Dominique Visset. A priori destiné aux enseignants et élèves du secondaire et du supérieur, la monographie intéressera en fait chaque honnête homme curieux de nature… et de la nature. Le propos était d’abord de faire le point des connaissances et évolutions en matière de classification du vivant, mais cet ouvrage aidera à faire réfléchir sur la biodiversité et les dangers qui la menacent. Il n’existait pas d’ouvrage présentant une classification cohérente qui soit établie sur le seul apparentement évolutif. C’est chose faite. « Il était grand temps, expliquent les auteurs, de changer l’enseignement des sciences naturelles et nos habitudes mentales. La classification moderne, dite phylogénétique, ne met plus l’homme au centre de la nature, les groupes d’organismes ne sont plus définis par rapport à lui, mais pour eux-mêmes. » Après un historique des étapes de la classification, depuis les anciens Grecs jusqu’à la systématique phylogénétique établie, en 1950, par l’Allemand Willi Hennig (1913-1976), les auteurs brossent une rigoureuse synthèse de la phylogénie. Chaque bout de branche est présenté en sept rubriques : description générale, caractères dérivés, nombre d’espèces recensées, plus ancien fossile connu, répartition géographique, écologie (mode de vie et de reproduction, biotope), exemples d’espèces. La taille des organismes est par ailleurs indiquée. Les auteurs savent que leur synthèse se videra d’une partie de sa pertinence au long des années. « Il faut perdre le réflexe de penser que les classifications sont immuables » précisent-ils. Soulignant l’importance de la systématique – elle permet de rendre intelligible l’immense diversité des êtres Classification phylogénétique du vivant » et s’avère vitale par ses applications médicales, pharmade Guillaume Lecointre et Hervé Le Guyader. ceutiques, agronomiques, écologiques et géologiques –, Illustrations de Dominique Visset. ils notent que les espèces constituent un excellent marEditions Belin, 560 pages, 39 euros queur de l’état de santé des milieux. Explicitant ensuite les arbres classificatoires, ils détaillent les différents outils et concepts actuels de la systématique. Vient alors la description des multiples strates et liaisons du vivant, avec pour chaque groupe les arguments qui militent pour la classification retenue. Ce livre constitue la plus formidable des leçons de choses, une source inépuisable de découvertes et de surprises. « Savez-vous, questionnent les auteurs, que vous êtes plus proche d’un bolet que d’une pâquerette, et que les dinosaures sont toujours parmi nous ? » Michel Felet
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NOTE DE LECTURE
Classification phylogénétique du vivant