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25e année - n° 92 / Avril 2007 - ISSN 0754-8826 - 4,00 €

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DÉCHETS RADIOACTIFS, débats

MICHEL DESJOYEAUX, entretien


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Comme nous l’explique Brigitte Berland dans ce numéro, notre pays est face à ses responsabilités dans la préservation de la biodiversité. Bien sûr, les départements et territoires d’outre-mer, situés en régions tropicales ou australes, tiennent une place décisive, par les richesses des milieux concernés. Mais la France métropolitaine doit s’impliquer totalement pour préserver une biodiversité menacée par l’urbanisation galopante, les infrastructures multiples, l’uniformisation des sites agricoles. Dans ce dernier domaine, le milieu rural a toute sa part dans cette conservation indispensable. Certes, le recul du monde paysan favorise un retour naturel de la forêt, qui gagne en superficie dans notre pays. Mais cette avancée forestière s’effectue aux dépens des cultures traditionnelles et de l’élevage, faisant disparaître assez rapidement des espaces riches d’une biodiversité peu à peu mise en place, avec le concours involontaire d’homo sapiens, depuis près de 10000 ans. Une prairie de montagne (1), destinée à la fauche, ne peut être considérée comme un espace entièrement “naturel”, mais il s’y est établi un équilibre d’une richesse biologique exceptionnelle. Il en est de même pour les tourbières (2) de notre pays, dont la flore mérite de gros efforts de conservation, à commencer par les petites plantes insectivores que sont les droséras (3). Comme les prairies et les tourbières, les pelouses sèches des régions calcaires (4) ont tendance à se “fermer”, peu à peu, envahies par les arbustes épineux en l’absence des moutons, annonçant le retour de la forêt. La flore héliophile qui en dépend est alors menacée, en particulier une profusion d’espèces d’orchidées, dont les fameux ophrys (5), propres à attirer les insectes par mimétisme. Le bocage (6) correspond également à une gestion du paysage liée à la délimitation des parcelles d’élevage; et le rôle des haies comme abri, lieu de nourriture et de reproduction pour la faune, n’est plus à démontrer. Enfin, les étangs (7), pour la plupart créés par les hommes au Moyen-âge, puis entretenus pour la pêche, sont condamnés à une disparition progressive s’ils ne sont pas régulièrement entretenus. La préservation de ces milieux, dépendants des activités rurales, est partie intégrante de la lutte pour la biodiversité. Georges Feterman


ÉDITORIAL

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Industrie et développement durable

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e MN LE prend l’initiative d’organiser une rencontre annuelle Société et industrie, parce qu’il importe que l’industrie fasse partie d’un développement durable, solidaire, partagé et souhaité. Mais le risque industriel existe. Il est donc indispensable de créer les conditions de sa maîtrise. Elles se gagnent à l’intérieur de l’entreprise. L ’industriel est complètement responsable de leur mise en œuvre. Le risque existe mais il faut créer les conditions pour qu’un accident grave n’arrive pas. Une vigilance de tous les instants est nécessaire. L’industriel doit rendre compte de ses actes. La société civile, et en premier lieu les riverains, sont non seulement concernés mais doivent être les acteurs d’une maîtrise du danger. Les Comités locaux d’information et de concertation (CLIC) ont été créés à la suite de la catastrophe d’AZF à Toulouse. Ils doivent jouer

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un rôle d’interface des acteurs et de miroir des pratiques. C’est une forme de contrôle social qu’il faut réussir. Il faut construire une confrontation, pacifique mais exigeante, des différents points de vue. Le dossier de ce numéro de Naturellement , qui traite du débat public sur les déchets nucléaires à vie longue, donne des éléments. On y verra des considérations intéressantes sur l’expertise et les rapports entre les dif férents acteurs. Le MN LE propose une charte de bonne pratique pour les CLIC. Il porte des revendications particulières sur la reconnaissance d’un volontariat associatif compétent. Il vous invite à participer à la rencontre du 19 juin à Gravelines (1), au pied d’une centrale nucléaire et d’une raffinerie. François Cosserat, Président du MNLE

Renseignements au siège du MNLE : 6 rue Jules Auffret - PANTIN, ou sur le site internet du Mouvement : mnle@wanadoo.fr

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Etat du stockage géologique des déchets radioactifs

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L’encadrement législatif des déchets radioactifs ...........................................................................................................p. 12 Le projet HAVL .............................................................................................................................p. 15 L’indispensable débat public ...............................................................................................p. 17 Pour une expertise dynamique et ouverte .............................................................................................................p. 19 Stockage géologique : « Nous voulons un référendum !» .....................................................................................p. 21 Le divorce entre l’opinion et la communauté scientifique ...........................................................................................p. 23

Michel Griffon

N om : ........................................................ Prénom : ...................................................

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Biodiversité

Adresse : ...................................................

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Trafic aérien

Michel Desjoyeaux

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CP : .............. Ville : ................................... Tél. : .......................... Port. : .................... Courriel : ...................................................

JE M’ABONNE page 28

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Ont collaboré à la rédaction de ce numéro : Brigitte Berland, Pierre Brana, François Cosserat, Jacqueline Eymard, Michel Felet, Georges Feterman, Jean-Yves Guézénec, Didier Lassauzay, Guy Léger, Pierre Lenormand. Photos: ANDRA, CIRAD, Georges Feterman, Gérard Prince, Benoît Stichelbaut. Graphisme et mise en pages:

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SOMMAIRE

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Dossier

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Le paradoxe français « Nous n'avons pas atteint le but de la Convention » (1) a reconnu Klaus Toepfer, directeur exécutif du Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE), à l'ouverture de la septième "Conférence des parties à la Convention sur la diversité biologique" (COP-7), qui s'est déroulée à Kuala Lumpur, en 2004.

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atifiée par 187 pays, cette Convention a pour but de mettre en place un développement économique raisonné qui ne sacrifie pas les autres espèces. « La perte de biodiversité continue à se faire à grande échelle. Nous devons en faire plus. N ous ne pouvons pas nous contenter de paroles mais nous devons dire à la population que la biodiversité est importante pour le développement économique », a ajouté M. Toepfer. « Il est temps que les gouvernements s'accordent sur un régime international permettant un partage des richesses avec les pays en développement. C'est important afin de venir à bout de la pauvreté et de réduire les tensions dans le monde », a-t-il dit. D’après l’UICN (2), la France, dotée d’un patrimoine naturel exceptionnel mais très menacé, se situe au 4 e rang mondial pour le nombre d’espèces en danger présentes sur son territoire. Or la

France a une responsabilité mondiale en terme de préservation de la biodiversité car elle est présente par ses territoires d'OutreMer (Caraïbes, N ouvelle Calédonie, Polynésie, Réunion, Mayotte, Guyane) dans 4 des principaux “points chauds” de la biodiversité mondiale (voir figure cidessous).

Un patrimoine naturel exceptionnel Elle vient tout juste (fin septembre 2006) d'adopter un volet Outre-Mer à son plan national de biodiversité. D'autre part, par sa présence dans les territoires des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), îles françaises inhabitées du sud de l’océan Indien, elle héberge des sanctuaires d’oiseaux marins parmi les plus riches au monde par la biomasse (60 tonnes d’oiseaux/km 2 dans l’Archipel Crozet) et par le nombre d’espèces nicheuses (par

exemple 7 espèces d’albatros !). Ces îles faisant partie du domaine public, elles bénéficient d'ailleurs, d'après le professeur Ramade, de « l'absence de conflits d’usages trop souvent évoqués par les pouvoirs publics français - tous courants de pensée politique confondus - pour justifier leur refus de créer de nouvelles aires protégées, en particulier les plus contraignantes par leur statut : réserves naturelles strictes et parcs nationaux ». La nouvelle loi sur les parcs nationaux et maritimes récemment votée en urgence par nos assemblées (à la suite des débats entre experts, alors que la biodiversité devrait être l'affaire de tous), fait craindre aux défenseurs de la biodiversité une dégradation de la protection. Cette réforme a débuté avec la mission de réflexion confiée par le Premier ministre, le 21 janvier 2003, au député Jean-Pierre Giran. L'objet affiché du projet de

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réforme était de procéder à une modernisation de la loi et de l'adapter pour faciliter la création de nouveaux parcs nationaux (3). Le manque de moyens financiers, notamment, peut faire craindre le pire pour l'avenir : l'Etat aura consacré officiellement en 2006, 896 millions d'euros à la protection de l'environnement, soit 0,3 % de son budget total, selon des chiffres publiés par le ministère de l'Ecologie. Les crédits ne progressent qu'en apparence d'une année sur l'autre (896 millions en 2006 contre 825 millions affectés au ministère de l'Ecologie en 2005). En fait, d'après des experts du ministère ils reculent de 0,75 %. Les investissements comme le fonctionnement risquent de pâtir de la hausse normale des dépenses de personnel (166 millions en 2006 contre 140 millions en 2005 et 134 millions en 2004). Les associations de défense de l'environnement, gestionnaires des aires protégées, pâtiront aussi de cette baisse de budget.

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Préserver les paysages cultivés Au niveau de l'Hexagone même, les paysages cultivés sont probablement davantage menacés que la “nature inviolée”. Réussir àles intégrer dans des concepts de protection représente aujourd’hui l’un des gros défis à relever. Or les divers plans d'aménagement adoptés par le gouvernement ne semblent pas intégrer la préservation de la biodiversité. Au plan européen, après le coup de semonce de la Commission pour la non-application de la directive N atura 2000, réseau européen qui concilie la protection de la nature et les activités humaines, et le rapport de la sénatrice Keller sur le non-respect par la France du droit européen et de son impact budgétaire, la France semble rattraper son retard. De nombreux arrêtés ont été publiés pour définir les sites faisant partie de N atura 2000. Ceux-ci doivent encore être acceptés par la Commission euro-

ETAT DES LIEUX : quelques exemples SITES AVEC UN STATUT INTERNATIONAL (DIRECTIVES COMMUNAUTAIRES ET CONVENTIONS INTERNATIONALES) Zones de protection spéciale (ZPS) En application de la directive européenne sur la conservation des oiseaux sauvages (1979), le ministère chargé de l'Environnement a réalisé depuis 1982 un inventaire des zones importantes pour la conservation des oiseaux (ZICO). Cet inventaire est un travail à caractère scientifique, indépendant du statut juridique des zones concernées. Les sites demandant des mesures particulières de gestion et de protection ont été désignés Zones spéciales de conservation. L'ensemble des ZPS a été intégré dans la liste des sites proposés par la France dans le cadre de Natura 2000. Zones d'intérêt communautaire (Réseau Natura 2000) Le réseau Natura 2000 est composé de sites relevant de la Directive Oiseaux (1979) et de la Directive Habitats-Faune-Flore (1992). SITES AVEC UN STATUT NATIONAL Parcs nationaux Il existe actuellement 7 Parcs nationaux : Vanoise, Ecrins, Mercantour et Pyrénées en haute montagne; Cévennes en moyenne montagne; Port-Cros pour le milieu insulaire et marin ; Guadeloupe pour la forêt tropicale. Des parcs "nouvelle mouture" sont en cours de création : il s'agit du parc marin d'Iroise, du parc de la Guyane et celui de la Réunion. Parcs naturels régionaux (PNR) Un Parc naturel régional est un territoire classé par décret à la demande de la région. Le classement est prévu pour une durée maximale de dix ans, renouvelable par décret. Le classement est donné sur la base d'une charte. Celle-ci est un document contractuel d'objectifs de protection et de développement.

péenne (voir Naturellement n°74, p.26 - article sur N atura 2000). La France a choisi de gérer ces sites de façon concertée (c’està-dire que tous les acteurs sont impliqués) : elle établit des documents d'objectifs (DOCOB), documents de pilotage qui définissent les orientations et les mesures de conservation à mettre en œuvre. Pour une fois, sur ce plan, la France est plutôt en avance sur d'autres Etats européens, bien que ce ne soit pas parfait et que le délai était au départ fixé à 2002 ! Mais on peut se demander quelle sera la cohérence entre ces sites N atura 2000 et ceux du patrimoine naturel dont certains sont sous réglementation française très complexe tandis que d'autres relè-

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vent du patimoine international (voir encadré n°1). Ne serait-il pas temps de mettre tout cela sur la table pour le rendre accessible au commun des mortels ? Notre pays est signataire d'un grand nombre de conventions internationales. De nombreuses conférences sur la biodiversité et ses enjeux pour notre société ont lieu. Mais assez de paroles, passons aux actes ! Brigitte Berland Celle de Rio sur la biodiversité : http://www.biodiv.org/ (2) Pour plus d’information : http://www.uicn.fr/ (3) Pour en savoir plus : http://www.legifrance.gouv.fr/ (1)

POUR EN SAVOIR PLUS Activités humaines et préservation de la biodiversité Naturellement N° 62 - Actes du colloque du 7 février 1998 à Bobigny Dossier Outre-Mer - Naturellement N° 67 Rapport d'audit sur Natura 2000 : http://www.ecologie.gouv.fr/Rapport-de-la-mission-d-audit-de.html

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Pour une agriculture « écologiquement intensive » Peut-on nourrir la planète en préservant la nature et les hommes ? Dans son dernier ouvrage ”Nourrir la planète”(1) , Michel Griffon examine les conditions indispensables à la réussite de ce pari : l’agriculture mondiale doit opérer une véritable révolution, qu’il appelle « doublement verte ». Naturellement l’a rencontré. Naturellement - - • En appelant à une “révolution doublement verte” que vous définissez comme « un scénario fondé sur l’écologie et l’équité », vous précisez d’emblée les deux piliers, à votre sens indissociables, de ce “nouveau paradigme”. Pouvezvous brièvement développer ? Michel Griffon • Le premier pilier concerne la technologie. Celle-ci est fondée sur l’écologie au sens où ce sont les fonctionnalités des écosystèmes qui doivent constituer la base d’une nouvelle productivité. Par exemple, au lieu de penser fertilité en termes d’apport d’engrais, on la pense d’abord dans les termes du fonctionnement de l’écologie et de la biologie des sols : dégradation de la biomasse, humification, minéralisation, absorption par les poils racinaires, fixation symbiotique de l’azote par des légumineuses, constitution d’une structure

Ingénieur agronome, Michel Griffon a été conseiller scientifique au Cirad (Centre de coopération en recherche agronomique pour le développement). Il dirige actuellement le département « Ecosystèmes et développement durable » au sein de l’Agence nationale de la recherche. argilo-humique favorisant la pénétration des racines, rôle des vers de terre et de toute la faune du sol… Mais on ne s’interdit pas l’utilisation d’engrais quand cela est compatible avec les approches écologiques, et de manière subsidiaire. Le second pilier concerne l’équité. Le but de l’agriculture est avant tout de nourrir les sociétés. Or, le paradoxe principal de l’agricul-

Coton sur paille de sorgho, au Mato Grosso (Brésil). Photo CIRAD

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ture mondiale est qu’il y a près de 600 millions de personnes qui vivent de l’agriculture mais qui sont sous-alimentées ; l’agriculture qu’ils pratiquent ne suffit donc pas à leur assurer le minimum vital. Il y a par ailleurs 1,9 milliard de personnes qui vivent dans des petites exploitations agricoles familiales et qui sont en grande partie dans la pauvreté. Il faut donc pour toutes ces familles d’agriculteurs une technologie productive pour faire face à leurs besoins inassouvis et à l’accroissement des besoins des sociétés qui vont s’accroître de 2,5 milliards d’habitants dans les 45 ans qui viennent. C’est le but de la technologie proposée qui ne suppose pas de très grands investissements financiers. Par ailleurs, il faut quand même des politiques agricoles de soutien car on ne peut pas demander un tel effort aux plus pauvres sans leur assurer les financements nécessaires. En ce sens, on peut dire qu’il n’y aura pas de nouvelle révolution technique agricole sans équité au bénéfice des plus pauvres.


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Naturellement - • L’expression “révolution doublement verte” ne risque-t-elle pas d’introduire une ambiguïté, en conduisant le lecteur à penser qu’il suffirait en quelque sorte de “verdir” un modèle technique qui, vous le notez vous-même, a présenté et présente de gros inconvénients, tant sur le plan social qu’environnemental ? N ous avons choisi ce thème dans un groupe de travail international de chercheurs en 1994. L’idée était de ne pas heurter les partisans fort nombreux de la révolution verte et de créer un climat agressif, mais d’indiquer la voie d’un dépassement : le premier qualificatif de “vert” se réfère donc au côté très productif de la révolution verte - fort heureusement elle a permis de réduire les famines d’Asie et d’éviter des défrichements massifs -, et le deuxième qualificatif de “vert” se réfère à l’écologie. Certes, cette expression ne capte pas bien le côté changement de paradigme technique et social. Le terme “agro-écologie” utilisé au Cirad a le même sens mais est limité au domaine technique, de même que son jumeau, le terme “écoagriculture” utilisé par l’UICN (2). Le terme “Evergreen Revolution”

Maïs semé en semis direct sur couverture vivante d’Arachis Pintoï (Brésil) Photo CIRAD employé par MS. Swaminathan, un des pères de la Révolution verte, va dans le même sens. Parler d’agriculture “écologiquement raisonnée” ferait faire une avancée à l’agriculture raisonnée mais n’exprime pas la nécessité de changer de mode de pensée. On peut aussi employer l’expression agriculture “écologiquement intensive”. En réalité, il est difficile d’exprimer avec deux mots “valises” un concept aussi complexe, et nourri de tant d’idées. Mais pour attirer l’attention de la presse puis de

UTILISER DES APPORTS EXTERNES SANS FORÇAGE « (…) Forcer un écosystème, c’est augmenter massivement l’intensité de fonctionnement d’une ou plusieurs des fonctionnalités. Par exemple, la fonctionnalité naturelle de recyclage des nutriments (phosphore, potasse, azote), peut être forcée par l’apport dans le système de quantités importantes d’engrais (…). Ce forçage est bénéfique aux plantes - jusqu’à une certaine limite où il devient toxique - mais l’excès de dose aboutit à un lessivage de l’engrais qui va alors polluer les nappes phréatiques. On parle aussi de forçage, par extension, pour l’utilisation de pesticides, mais l’effet sur le système n’est pas le même. Un pesticide éradique une population (…). Il altère donc la chaîne trophique concernée. (…) Le principe de la révolution doublement verte est d’utiliser les fonctionnalités naturelles au bénéfice de la production alimentaire et des autres besoins des sociétés et d’une manière plus intensive, c’est-à-dire en accroissant le rendement de l’ensemble. Pour cela, des rapports externes ne sont pas interdits - engrais en particulier - mais sous deux conditions : - intensifier simultanément les autres fonctionnalités pour mieux utiliser leur potentiel de synergie ; - utiliser des doses plus modestes qu’en agriculture classique et subsidiairement aux fonctionnalités qui sont ainsi stimulées. L’engrais chimique, par exemple, sera apporté en complément de la fonctionnalité naturelle qui crée la fertilité des sols. » Extrait de « Nourrir la planète » (p. 288-289)

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sive »

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l’opinion, un mot valise – je préfèrerais dire un mot “bannière” - en fait malheureusement beaucoup plus que de nombreux articles scientifiques. Je ne suis pas inquiet que l’expression soit éventuellement ambiguë : cela suscite des questions et le principal est de se poser des questions.

Naturellement - • Dans la description des alternatives durables au modèle productiviste en cours, vous évoquez à diverses reprises, mais toujours brièvement, les différentes pistes que sont l’agroécologie, l’agriculture intégrée ou l’agriculture durable. Pourquoi en dire si peu ? Tout d’abord, je qualifierais le modèle à dépasser de modèle d’agriculture chimiquement et énergétiquement intensive. L’alternative recherchée est économe en énergie et en produits issus de la chimie. Le modèle à dépasser est productiviste au sens où il est tiré par l’objectif d’augmentation de la productivité générale : rendement à l’hectare et rendement du travail. L’alternative est de définir une agriculture assez productive pour faire face aux besoins de plus en plus importants des sociétés – donc très productive mais pas productiviste -, et donnant du travail à une grande partie de la population. C’est un modèle de production, pas de productivisme. Il faut noter au passage que cette agriculture

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devra inévitablement avoir une productivité à l’hectare assez élevée car dans beaucoup de régions du monde, la terre est devenue rare et les besoins alimentaires importants, ce qui suppose d’obtenir des rendements élevés. Je parle peu d’agroécologie, d’agriculture intégrée et d’agriculture durable car ce sont presque des synonymes. Une agriculture durable me semble inévitablement fondée sur l’agroécologie, et il n’y a pas de raisonnement agroécologique qui ne fasse référence à une conception intégrée de l’agriculture, l’ensemble étant contenu dans le concept de révolution doublement verte. L’important est de définir avec précision les concepts très voisins que recouvrent chacun de ces termes. Naturellement - • Au terme de votre étude, pensez-vous que la planète soit en mesure de nourrir l’humanité, et à quelles conditions ? Le problème principal se situe dans les pays en développement. Il est que les mal nourris actuels et

leurs enfants soient capables de se nourrir correctement. Cela suppose qu’ils aient accès à la terre, à l’eau, à la santé, au crédit, à l’éducation, à l’information, à des marchés équitables. Il faut donc un transfert massif d’appui et de financement. Puis, il faut que toutes les exploitations familiales des pays en développement, c'est-à-dire l’immense majorité des exploitations agricoles du monde, puissent accroître leur production pour nourrir les urbains et vivre décemment. Il faut donc qu’elles aient elles aussi accès à tout ce qui est nécessaire, en particulier que les prix agricoles permettent aux exploitations d’être viables. Ce qui suppose que leur production ne soit pas bloquée sur les marchés locaux par des importations alimentaires à bas prix. Ce qui suppose aussi et surtout que les paysanneries ne soient plus considérées par les gouvernements comme une sorte de résidu déclassé de la société ancienne, mais comme un secteur économique-socle qui, s’il reste pauvre, ne permet pas au reste de la

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société de sortir lui non plus de la pauvreté générale. Ces conditions étant réalisées, il resterait à mettre en œuvre les techniques proposées, ce qui reste un gigantesque défi en termes de travail et d’inventivité locale, car inscrire l’accroissement de la production dans un raisonnement écologique implique de partir des réalités écologiques locales. Ce qui fait qu’au total, s’il est possible de nourrir la totalité des habitants de la planète en 2050, à commencer par ceux qui en ont le plus besoin, tout en conservant la biodiversité, tout en gérant l’eau et la fertilité de manière satisfaisante, et en réduisant très fortement les pollutions, rien n’est évident et la voie du succès reste étroite. Entretien réalisé par Pierre Lenormand (1) (2)

Odile Jacob, 2006, 456 p Union internationale pour la conservation de la nature

Photo MG


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ompte tenu des perspectives de disparition progressive des combustibles fossiles sur lesquels est basée majoritairement l’approvisionnement énergétique de l’humanité et des terribles perturbations climatiques que leur utilisation entraîne (émission de gaz carbonique), l’énergie nucléaire pour la production d’électricité (utilisable pour la propulsion de véhicules), de chaleur, pour le dessalement, pour la production dans un futur lointain d’hydrogène…. devient incontournable. Il est donc extrêmement important de se préoccuper des nuisances qu’une telle utilisation massive entraînerait (risques d’accidents, déchets). Naturellement a choisi dans ce dossier d’apporter des éléments de réflexion sur le sujet des déchets radioactifs qui, parmi toutes les questions qui se posent concernant l’utilisation de l’énergie nucléaire, est celle qui vient le plus souvent dans les débats. Le dossier de Naturellement se limite volontairement aux déchets destinés au stockage géologique en profondeur car ce sont ces déchets qui contiennent l’immense majorité des éléments radioactifs à gérer dans les combustibles nucléaires après leur séjour dans un réacteur. Ce sont ces déchets, et la perspective de leur stockage géologique, qui suscitent le plus de mouvements d’opposition de la population.

DOSSIER

Etat du stockage géologique des déchets radioactifs

Nous commencerons ce dossier par une analyse de la loi de juin 2006 sur les déchets radioactifs, qui prolonge la loi de décembre 1991. L’Andra apporte ensuite son point de vue sur cette même loi. Puis Catherine Vourc’h, membre de l’équipe dirigée par M. Mercadal qui a organisé les débats de la Commission particulière du débat public (CPDP) fin 2005 - début 2006 avant les débats parlementaires sur la loi de juin 2006, nous livre son sentiment sur les débats qui ont eu lieu. Ghislain de Marsily quant à lui, en sa qualité de géologue et faisant partie de la Commission nationale d’évaluation (CNE) créée pour les déchets radioactifs par la loi de décembre 1991, nous fait part de son avis sur le projet d’enfouissement de Bure. Il déplore que la nouvelle loi ait entériné le choix du stockage géologique comme seule solution à long terme. Jean-Luc Bouzon, conseiller général communiste de la Haute-Marne, est la tête de file des opposants au projet de stockage géologique dans la région de Bure (Haute-Marne – Meuse) : il nous expose ses arguments. Enfin, nous terminerons ce dossier avec l’analyse de Jean-Yves Guézénec sur le divorce qui existe sur la question des déchets nucléaires entre la communauté scientifique d’une part, et la masse de la population d’autre part. La rédaction

LE COMBUSTIBLE USÉ

© Andra

Il faut impérativement traiter les combustibles usés pour éviter les gâchis et réduire les volumes de déchets Les combustibles usés, qui sortent des centrales nucléaires électrogènes, contiennent d’énormes quantités de matières valorisables: 94 % d’uranium (uranium de retraitement) et 1 % de plutonium. Le traitement de ces combustibles dans des usines analogues à celle de La Hague est absolument nécessaire pour ne pas gâcher les ressources naturelles en matières fissiles et permettre leur recyclage. Sans ce traitement, le volume des déchets à gérer – tous les combustibles usés - serait beaucoup plus important.

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Une nouvelle loi, promulguée en juin 2006, a redéfini et précisé l’encadrement législatif des matières et déchets radioactifs générés par l’industrie électronucléaire, ceux à haute activité (HA) comme ceux à moyenne activité et à vie longue (MAVL). Analyse.

L

a loi du 28 juin 2006 (1) “de programme relative à la gestion des matières et déchets radioactifs” a pris le relais de la loi de décembre 1991, après un délai de 15 ans comme cela était stipulé dans cette dernière. La loi de 1991 s’était contentée de lancer des pistes de recherche sur trois axes : le stockage en couche géologique profonde (par stockage, il faut entendre dépôt définitif), l’entreposage (donc provisoire) en surface ou en subsurface, la séparation et la transmutation des éléments à vie longue en vue de diminuer la toxicité à long terme des déchets radioactifs. Une Agence nationale de gestion des déchets radioactifs était créée, l’Andra, ainsi qu’une Commission nationale d’évaluation, la CN E, composée d’experts de diverses disciplines et chargée de suivre l’évolution des recherches. A noter que la loi de 1991 envisageait la mise en service de plusieurs laboratoires d’étude de stockage en couche géologique profonde. Seul un laboratoire a été développé : celui de Bure, dans la Haute-Marne.

litatif du rôle des installations de l’Andra à Bure dont le statut était jusqu’à présent celui d’un laboratoire souterrain de recherche. Elles prennent maintenant celui de centre de stockage potentiel. C’est cette évolution qui a motivé la manifestation en septembre 2005, dans les rues de Bar-le-Duc, de 6 000 personnes qui y étaient tout à fait opposées. Il faut aussi noter que l’ancienne loi laissait entrevoir clairement l’éventualité que les combustibles usés sortant des réacteurs nucléaires puissent être considérés dans leur ensemble comme des déchets, et donc susceptibles d’abandon. Si la nouvelle loi n’écarte pas définitivement cette éventualité, elle apporte des précisions qui vont dans ce sens. Elle définit : « Les déchets radioactifs sont des substances radioactives pour lesquelles aucune utilisation ultérieure n’est prévue ou envisa-

Le stockage des déchets ultimes Avec la loi de 2006, les trois axes de recherche demeurent, l’Andra voit son rôle affirmé, celui de la CN E pérennisé. Le stockage géologique profond, c'est-à-dire l’abandon sous terre des déchets ultimes du cycle des combustibles nucléaires, est confirmé comme la seule solution pour s’en débarrasser définitivement. Un élément particulièrement important est constitué par le changement qua-

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gée » et « Les déchets radioactifs ultimes sont des déchets qui ne peuvent plus être traités dans les conditions techniques du moment, notamment par extraction de leur part valorisable ou par réduction de leur caractère polluant ou dangereux ». Ces précisions sont de taille : elles confortent l’existence nécessaire d’usines de retraitement des combustibles usés (comme celle de La Hague) chargées de récupérer les matières réutilisables que sont l’uranium qui y subsiste, et le plutonium formé. Il faut savoir que, d’une tonne d’uranium introduite dans un réacteur, il reste, après trois ans de fonctionnement de ce réacteur, 935 kilos d’uranium (que l’on appelle uranium de retraitement) associés à 10 kilos de plutonium, matières décisives pour le développement des surgénérateurs. Ces chiffres donnent la mesure du gâchis d’une option de

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Encadrement législatif des déchets radioactifs


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Futs de stockage non-retraitement des combustibles usés. Concernant les études sur la transmutation des éléments à vie longue en éléments à vie courte, que l’on considère notamment conditionnées par l’existence de nouvelles générations de réacteurs rapides surgénérateurs (réacteurs de génération IV), un examen des perspectives industrielles devra être effectué en 2012 avec prototype industriel avant fin 2020.

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Un calendrier rigoureux L’Andra va poursuivre ses recherches sur le site de Bure, mais la transformation effective de ce site en “stockage réversible” en couche profonde devra faire l’objet d’une demande d’autorisation gouvernementale. Cette demande devra être instruite en 2015 pour une mise en exploitation, c'est-à-dire introduction de colis de déchets, en 2020. Le début du chargement du stockage étant repoussé à 2020, les installations d’entreposage actuellement présentes sur le site de l’usine de retraitement de La Hague auront un volume insuffisant et il conviendra de construire de nouvelles unités d’entreposage. La loi le prévoit en fixant cette perspective à 2015.

La loi fixe les étapes qui, en 2015, pourraient conduire à l’acceptation du site de Bure comme stockage réversible, la réversibilité s’entendant comme la possibilité, pendant un certain délai, de retirer aisément les colis introduits dans le stockage après remplissage de celui-ci : • le dépôt de la demande devra être précédé d’un débat public ; • la demande fera l’objet d’un rapport de la CN E, d’un avis de l’Autorité de sûreté nucléaire et du “recueil” de l’avis des collectivités territoriales d’une “zone de consultation” définie par décret ; • la demande accompagnée des

éléments précédents et du compte rendu du débat public sera transmise à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) pour une évaluation destinée aux commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat ; le gouvernement établira ensuite un projet de loi fixant notamment les conditions de la réversibilité, la durée de réversibilité ne pouvant être inférieure à 100 ans. Après promulgation de cette loi, c’est un décret en Conseil d’Etat, pris après enquête publique, qui pourra alors permettre la création du centre de stockage ; • la fermeture définitive du stockage à l’issue de la période de réversibilité fera l’objet d’une loi.

Les autres mesures La loi prévoit également : • un “plan national de gestion des matières et déchets radioactifs” va être établi au niveau gouvernemental ; il sera mis à jour tous les trois ans, le parlement en sera destinataire, il sera examiné par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) ; • le stockage en France de déchets radioactifs provenant de l’étranger est interdit (ce qui n’interdit

IMPACT RADIOLOGIQUE D’UN STOCKAGE GÉOLOGIQUE DE DÉCHETS L’Andra a procédé à l’évaluation préliminaire de ce que pourrait être la propagation à une très lointaine échéance des éléments radioactifs à vie longue dans un sous-sol du type de celui de Bure (formation du callovooxfordien) avec les caractéristiques du milieu géologique déjà mesurées sur le laboratoire de Bure et en prenant des hypothèses pénalisantes pour le comportement des colis, du milieu géologique lui-même et pour le choix des exutoires de sortie de la radioactivité. Il s’agit notamment d’admettre que l’eau est en contact avec les surconteneurs des colis dès le premier instant de la fermeture du site. Le vecteur eau est en outre celui qui domine dans le transport des radionucléides au sein du milieu géologique. Ces calculs demanderont à être précisés pour tenir compte du lieu précis retenu pour le stockage. Un scénario «d’évolution normale » comme décrit ci-dessus conduit à une dose maximale pour une personne du public qui serait exposée de 0,0013 mSv/an dans 300 000 à 500 000 ans. La règle imposée pour la conception des stockages par l’Autorité de sûreté, la règle fondamentale de sûreté RFS II.2.f (1991), est de ne pas dépasser pour un tel scénario 0,25 mSv/an, soit le dixième de la dose provenant de la radioactivité naturelle.

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pas le retraitement des combustibles usés étrangers qui ne sont pas des déchets) ; • comme indiqué précédemment, la CN E poursuivra son travail en publiant un rapport annuel transmis au parlement et examiné par l’OPECST. • un groupement d’intérêt économique (GIE) sera créé dans tout département comportant un laboratoire souterrain ou un centre de stockage avec pour but de gérer les équipements périphériques du site mais aussi des actions générales d’aménagement du territoire et de développement économique dans la “zone de proximité” ainsi que des actions de formation en rapport ou non avec les connaissances scientifiques et technologiques spécifiques de ce laboratoire ou centre de stockage. Le financement de ces actions sera assuré par 2 taxes parafiscales additionnelles dites “d’accompagnement” et de “diffusion technologique”. • concernant l’Andra, dont le rôle de gestionnaire des déchets est fortement réaffirmé, celle-ci voit institutionnalisé l’inventaire des matières et déchets radioactifs (révision tous les 3 ans) qu’elle réalise depuis environ une décennie. L’agence, qui bénéficie d’une subvention de l’Etat, devra individualiser dans son budget un fonds destiné au financement des recherches et études sur l’entreposage et le stockage en couche géologique profonde, le fonds étant alimenté par une taxe parafiscale additionnelle dite de “recherche”. Un autre fonds sera individualisé pour toutes les activités qui concernent la construction et l’exploitation des stockages et entreposages ; il sera alimenté par les contributions des exploitants des installations nucléaires et fera l’objet de conventions avec ceux-ci. • la loi crée un comité local d’information et de suivi (CLIS) auprès du laboratoire souterrain–centre de stockage (suivi, information, concertation) composé de représentants de l’Etat, d’élus, d’associations de protection de l’environnement, de syn-

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Déchets moyenne activité – vie longue (MAVL, ou déchets B)

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Il s’agit des tronçons compactés du métal du gainage des assemblages combustibles, des boues radioactives récupérées par les circuits d’épuration des liquides contenant de la radioactivité, des déchets technologiques divers. Le volume représenté par les déchets de ce type qui seront produits lors de toute la vie du parc nucléaire actuel est évalué à 60 300 m3.

dicats agricoles et de salariés, d’organisations professionnelles médicales et de personnalités qualifiées. Le financement de ces CLIS est assuré à parts égales par des subventions des entreprises concernées par le laboratoirestockage et par l’Etat.

Sécurisation financière L’article 20 de la loi est consacré à l’important sujet de la sécurisation financière du nucléaire à long terme. Il concerne les fonds que les exploitants d’installations nucléaires de base (INB) - c'est-àdire toutes les grosses installations nucléaires: centrales électrogènes, usine de retraitement, de fabrication du combustible, d’enrichissement de l’uranium, réacteurs de recherche… - doivent provisionner en vue des charges futures de démantèlement de leurs installations ou pour le stockage des déchets qu’ils produisent. Les actifs correspondants seront absolument bloqués pour les usages en vue desquels ils ont été provisionnés. Un rapport triennal devra être fourni à ce sujet par les exploitants, et la

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gestion des fonds sera contrôlée par une « Commission nationale d’évaluation du financement des charges de démantèlement des installations nucléaires de base et de gestion des combustibles usés et des déchets radioactifs ». Les Installations nucléaires de base (IN B) sont déjà assujetties à une taxe parafiscale dont le montant est fonction de la puissance ou de la capacité de production de l’installation. Cette taxe est gérée par l’Autorité de sûreté nucléaire (3). Comme cela a été indiqué précédemment, la loi du 28 juin 2006 crée trois taxes additionnelles dans le cadre de la gestion des déchets radioactifs, les taxes de « recherche », « d’accompagnement », et de « diffusion technologique ». Leur montant pour chaque IN B est déterminé par application d’un coefficient multiplicateur à une somme forfaitaire fixée dans la loi. Jean-Yves Guézénec HA pour Haute activité et MAVL pour Moyenne activité à vie longue (2) Loi n° 2006-739 (3) Loi n° 2006-686 du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité nucléaire ; Article 16 (1)


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Le projet HAVL

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es trois axes de recherche alors définis sont maintenus par cette nouvelle loi. Complémentaires, ils portent sur : • la séparation et la transmutation des éléments radioactifs à vie longue. Confié au Commissariat à l’énergie atomique (CEA), cet axe doit fournir pour 2012 une évaluation des perspectives industrielles des nouvelles filières de réacteurs, capables de produire moins de déchets et plus de matières valorisables, et la mise en service d’un prototype d’installation pour 2020. Cette solution ne concerne pas les déchets déjà conditionnés ; • le stockage réversible en couche géologique profonde. Confié à l’Andra, cet axe est la solution de référence pour la gestion à long terme des déchets HAVL. Il concerne les recherches et études conduites en vue du choix d’un site, et de la conception d’un centre de stockage de sorte qu’en 2015 une demande d’autorisation de création puisse être instruite et qu’en 2025, sous réserve de cette autorisation, le centre de stockage puisse être mis en exploitation ; • l’entreposage, aujourd’hui piloté par l’Andra, qui vise d’ici 2015 à la création de nouvelles installations d’entreposage ou à la modification des installations

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Le traitement des déchets de haute activité et à vie longue (HAVL) est aujourd’hui précisément défini. La loi du 28 juin 2006 est passée par là…

Carte géologique de la zone de transposition, où les propriétés de la couche du Callovo-Oxfordien permettent la réalisation d’un stockage et des environs du Laboratoire de recherche souterrain de Meuse/Haute-Marne

existantes pour répondre aux besoins recensés. Pour répondre aux objectifs de la loi, l’Andra a mis en place un nouveau projet de recherches et d’études sur le stockage et l’entreposage des déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue (projet HAVL). Elle en a élaboré un plan de développe-

CHRONOLOGIE DU PROJET 2006 Loi de programme n° 2006-739 du 28 juin 2006 2009 Proposition au Gouvernement d’une zone d’intérêt restreinte, présentation des options de réversibilité, de sûreté et d’entreposage 2010 Demande d’autorisation de poursuite de l’exploitation du Laboratoire au-delà de 2011 2013 Débat public 2014 Remise de la demande d’autorisation de création 2015 Instruction technique et scientifique de la demande d’autorisation de création 2016 Projet de loi sur les conditions de réversibilité 2025 Mise en exploitation du centre de stockage (sous réserve de son autorisation)

ment sur la période 2007-2014 et a organisé les recherches et les études du projet en programmes thématiques.

Une démarche de sûreté itérative Basé sur les résultats acquis entre 1991 et 2005, en particulier au Laboratoire de recherche souterrain de Meuse/Haute-Marne, ce projet vise à la création d’une installation industrielle capable de protéger les hommes et l'environnement des déchets, sans qu'il ne soit plus nécessaire d'intervenir lorsque sa fermeture définitive aura été décidée (sûreté dite passive). La démarche de sûreté, omniprésente, y est itérative : à chaque étape, elle bénéficie de l'acquisition de nouvelles données et de la définition de concepts optimisés. Ainsi, au fur et à mesure de l’avancement, les

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bases du projet s’affinent et se consolident. Pour mener à bien ce projet, l’Andra doit en particulier approfondir ses connaissances de la zone de transposition de 250 km_ (voir carte ci-jointe), située au voisinage du Laboratoire de recherche souterrain de Meuse/Haute-Marne. Les principaux programmes qui seront mis en œuvre relèvent d’acquisitions de connaissances scientifiques, notamment dans les installations du Laboratoire et au moyen de méthode d’exploration depuis la surface, d’expériences et d’essais de démonstration technologiques (en souterrain et en surface), d’études d’ingénierie sur les principes de stockage des déchets et de simulations qui contribuent à décrire l’évolution du stockage et du milieu géologique. Des activités techniques et scientifiques transverses à ces programmes examinent particulièrement la sûreté, la réversibilité, la santé et la sécurité du travail, l’étude d’impact, le coût. La loi de programme du 28 juin 2006 instaure, au sein de l’Andra, un fonds destiné au financement spécifique du projet HAVL. Ce fonds est alimenté par les producteurs de déchets au moyen d’une taxe additive à la taxe sur les ins-

DEUX ÉCHÉANCES MAJEURES La loi de programme n° 2006-739 prévoit deux rendez-vous importants : • l’instruction de la demande d’autorisation de création d’un centre de stockage géologique en 2015 ; • la mise en exploitation du centre en 2025, sous réserve de son autorisation délivrée par décret en Conseil d’État et après enquête publique.

tallations nucléaires de base (INB). Le projet sera régulièrement évalué par la CNE instituée par la loi du 28 juin 2006 (chaque année) et par l’ASN (selon un calendrier défini conjointement par les deux parties).

Informer et dialoguer Sur la base de ses recherches et études, l’Andra devra préparer un dossier d’information pour éclairer un débat public prévu vers 2013. Suite à ce débat, l’Andra déposera à la fin 2014 un dossier de demande d’autorisation de création d’un centre de stockage. Le Gouvernement présentera alors un projet de loi fixant les conditions de réversibilité du stockage. L’autorisation de création du centre ne pourra être délivrée par le Gouvernement qu’après la promulgation de cette loi. L’Andra souhaite, pendant toute la durée du projet, engager avec tous les acteurs du projet et avec

POUR EN SAVOIR PLUS Les déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue concernés par ce projet sont des déchets qui proviennent de l’industrie électronucléaire. Les déchets de haute activité (HA) correspondent aux substances radioactives non valorisables issues du retraitement des combustibles usés. Ces substances sont placées dans une matrice de verre coulée dans un conteneur en inox. Ces déchets, qui dégagent de la chaleur en raison de leur forte concentration en radioactivité, représentent en 2004 un volume de 1 851 m3 soit seulement 0,2 % du volume des déchets comptabilisés dans l’Inventaire national*. Ils représentent 91,68 % de la radioactivité

des déchets. Les déchets de moyenne activité à vie longue (MA-VL) proviennent majoritairement des structures de combustibles usés (coques et embouts) ou des résidus liés au fonctionnement des installations nucléaires (boues bituminées…). Ils représentent en 2004 un volume de 45 518 m3, soit 4,4 % du volume de déchets comptabilisés dans l’Inventaire national*. Ils représentent 8,22 % de la radioactivité des déchets. Dans le cadre du Projet HAVL, l’Andra travaille pour le stockage de tous les déchets que générera l’exploitation du parc électronucléaire actuel jusqu'au terme prévu pour cette exploitation (soit environ 6 300 m3 de déchets HA et 81 100 m3 de déchets MA-VL).

* au 31 décembre 2004, source : Inventaire national des déchets radioactifs et des matières valorisables en France, Andra, édition 2006

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le public, une démarche d’information et de dialogue basée sur le respect mutuel et la confiance. Cet engagement prolonge les obligations légales qui fixent trois rendez-vous importants avec la population : • une enquête publique, vers 2011, pour la prolongation d’exploitation du Laboratoire de recherche souterrain de Meuse/Haute-Marne ; • un débat public vers 2013 avant le dépôt de la demande d’autorisation de création du stockage ; • le cas échéant, une enquête publique vers 2016 en vue de la création du centre de stockage. Le choix en 2009 d’une zone d’intérêt restreinte de 30 km 2 environ pour permettre des investigations détaillées et in fine proposer une implantation du stockage et la notion de réversibilité constitueront les deux éléments forts de ce dialogue avec la population. La réversibilité sera par ailleurs la question majeure du futur débat parlementaire à l’horizon de 2016 avec à la clé la promulgation de la loi en fixant les conditions. La loi de programme du 28 juin 2006 définit la durée de la réversibilité, qui « ne peut être inférieure à cent ans » mais en laisse les modalités ouvertes. Cette question, déjà déclinée dans le Dossier 2005 sous la forme d’un pilotage flexible et par étapes du stockage, sera un des axes centraux du débat public de 2013. Il s’agit de définir avec les populations, le niveau de liberté de décision que nous devons laisser aux prochaines générations quant aux choix de gestion et d’évolution du stockage. Jacqueline Eymard Directrice de la communication et des affaires internationales de l'ANDRA


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L’indispensable débat public Naturellement. • Comment avezvous perçu le débat public sur la gestion des matières et déchets radioactifs conduit sous la présidence de Georges Mercadal ? Catherine Vourc’h • Ce fut une expérience forte. Quoi qu’on pense du nucléaire, les déchets sont là et doivent être gérés, et cette obligation partagée donnait d’emblée et donnera toujours à ce débat public une intensité particulière. Tout au moins le rendaitelle possible. Possible ? N ous le saurions en marchant. Le débat arrivait à point alors que la CN E venait de rendre ses conclusions quant aux trois axes de recherche définis par la loi de 1991 sur la gestion de ces déchets, et à quelques mois du débat parlementaire qui devrait définir les orientations pour les années à venir. En préparant ce débat public et durant les deux mois de son déroulement, nous avions un objectif que notre président exprimait ainsi : mettre à jour les arguments. Beaucoup de craintes et de tensions entouraient les préparatifs du débat chez nos interlocuteurs : craintes, pour les uns, de déclencher un désordre “chronophage” pénalisant une politique énergétique et industrielle à long terme ; craintes, pour d’autres, de se laisser piéger dans un débat inégal où les arguments scientifiques et techniques et les enjeux industriels et économiques balaieraient leur refus ; craintes encore d’un combat ingérable entre arguments “rationnels” et “irrationnels” ; craintes même d’un mauvais coup porté à la démocratie représentative… Bref, crainte d’en trop entendre ou de n’être pas entendus, d’une précipitation dangereuse ou d’une impuissance coupable, d’un “irréversible”, dans tous les cas. La phase de préparation du débat fut intense. Au terme de nom-

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S’il est un sujet qui réclame d’être débattu, c’est bien celui des déchets nucléaires. Membre de la commission particulière du débat public « Déchets nucléaires », la sociologue Catherine Vourc’h tire les enseignements d’une série de débats organisés récemment sur la question.

breux contacts à l’échelle nationale et au plus près des acteurs de terrain, son cadre s’est précisé : la méthode des scénarios, l’élargissement des thématiques, le pluralisme de l’expertise d’un bout à l’autre, l’accueil de toutes les questions du public, des comptesrendus d’étape au plus près de l’expression de chacun... Comment réagirait le public ? Viendrait-il ? Accepterait-il de s’engager dans ce débat ? N ous avons évoqué, lors de la conférence de clôture à Lyon l’intensité de la première audition à Bar-leDuc, à quelques kilomètres du laboratoire de Bure: salle pleine à craquer durant plus de cinq heures, vivacité des échanges entre la salle, les représentants de l’Etat, les industriels, les experts. Puis le lendemain, à Saint-Dizier. N ous porterons jusqu’au rapport final quelques-unes des interrogations les plus fortes : « Comment voulez-vous qu’on vous croie ? » et « Comment pouvez-vous être sûrs ? » Naturellement. • Y a-t-il eu un réel débat public et de qualité ? Avez-vous trouvé un espace d’expression et de confrontation suffisant ? A chaque déplacement, une trentaine de personnes (associations, experts, institutions) se retrouvait à nos côtés pour rencontrer les publics. Chaque rendez-vous était à la fois “neuf” et déjà un peu

enrichi par les précédents. Les rapports intermédiaires, innovation du débat déchets, voulaient faciliter la prise en compte, à chaque étape, des avancées précédentes, mais nous avions à cœur de rester disponibles aux questionnements du public, fussent-ils réitérés, et à la problématique, voire à la “personnalité” de chaque débat. D’une séance à l’autre, nous avons entendu des arguments nouveaux, nous avons vu s’élaborer des problématiques qui n’étaient pas données d’emblée, et nous avons remis en chantier à chaque étape les éléments de rapport que nous pensions acquis. Tricotage, détricotage, retricotage… Surtout, ne pas perdre le vif des interpellations, l’intensité des préoccupations, la vigueur des interrogations. Au moment où la question du secret défense opposé aux associations dans le cadre du débat EPR a conduit certains experts et associations à suspendre leur contribution au débat déchets, nous avions une préoccupation : rester un espace d’expression, rendre compte au public de ce débat dans le débat. Je peux témoigner de ce que toutes les questions ont été accueillies, et qu’il y a été répondu par les experts ou les institutions en séance ou, lorsque le temps devenait trop court, par la suite. C’est à l’occasion de ce débat que j’ai découvert la méthode mise au point par François Bertault et Georges Mercadal : les questions du public étaient enregistrées par ordre d’arrivée et toutes étaient affichées dans ce même ordre avec le nom de leur auteur. J’y ai vu un facteur essentiel de la qualité du débat: aucune main, fût-ce au nom de la synthèse, ne venait dans la coulisse regrouper par thème ou hiérarchiser par intérêt les questions qui arrivaient. Chaque auteur a eu ainsi l’occa-

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sion de lire sa question publiquement et de dire s’il considérait qu’il y avait déjà été ou non répondu, ou s’il souhaitait un complément. L’engagement personnel et constant des représentants de la maîtrise d’ouvrage, des experts, des associations a rendu possible une certaine reconnaissance mutuelle des acteurs (qui ne signifie pas consentement ou consensus, loin de là). La perception par le public qu’il y a un débat interne à la sphère scientifique et technique, et la perception par les décideurs de la profondeur et de la pertinence des questions et des arguments du public sont un capital précieux pour aborder les étapes à venir. Capitales également que cette préoccupation et cette exigence du public à l’égard des élus. Sontils suffisamment informés ? Comment vont-ils prendre des décisions aussi difficiles ? Pourquoi ne sont-ils pas tous là à nos côtés dans ce débat ? Naturellement. - • Ce débat a-t-il permis d’infléchir, même légèrement, les perspectives et décisions à venir ? Au-delà de désaccords parfois fondamentaux, le public applaudissait au débat, à sa tenue, à son climat. Chacun a été respecté, c’est ma conviction. On peut penser que le débat a influé sur quelques points : • l’émergence de l’entreposage longue durée comme option, alors qu’étaient mises en évidence et précisées les difficultés de la réversibilité une fois fermés les stockages en couche profonde ; • un choix à venir difficile mais mieux identifié entre le risque géologique (stockage en profondeur) et le risque sociétal (entreposage de longue durée en surface ou faible profondeur avec contrainte de surveillance et de maintenance) ; • la nécessité d’un délai de 10 à 15 ans avant de prendre la décision de travaux lourds pour le stockage en couche géologique profonde ; • le lien entre la loi déchets et la loi transparence posé à Caen par

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SÉPARATION-TRANSMUTATION : UNE VOIE MIRACLE ? Une des voies de recherche proposées dans la loi de décembre 1991 consiste à extraire les “actinides” - les éléments lourds, émetteurs alpha, de vie longue que sont le neptunium, le curium, l’américium – du combustible usé et à les traiter spécifiquement pour les transformer en éléments à vie courte (transmutation). Des études sont en cours dans cette voie au Commissariat à l’énergie atomique. Cette perspective a fait naître des illusions en entretenant l’idée schématique qu’il y aurait une possibilité de simplifier à l’extrême le traitement ou même de se débarrasser des déchets radioactifs sans avoir besoin de les stocker. La réalité est différente. Quand on évalue la progression dans le milieu géologique de la radioactivité contenue dans les colis de déchets après des centaines de milliers d’années, lorsque les conteneurs auront été détruits par la corrosion, les études géologiques ont montré que les actinides étaient très peu mobiles, très vite piégés définitivement dans le milieu géologique lui-même. Ainsi, l’impact de l’élimination de ces éléments du corps des déchets est finalement faible : on peut seulement avancer qu’en l’absence de ces actinides la radioactivité des déchets issus des combustibles serait inférieure à celle de l’uranium naturel qui a servi à fabriquer ces combustibles au bout de 5 000 ans, alors qu’elle serait de 10 000 ans si on les y avait laissés.

le débat EPR et le débat déchets sur le secret ; • l’urgence à parler du développement économique partenarial des territoires concernés par le stockage. Plusieurs acteurs locaux se sont exprimés en ce sens. Des propositions ont été faites par l’industrie nucléaire visant à exploiter les forêts à des fins énergétiques. Des experts ont dit l’importance de ce développement, y compris dans une optique de surveillance et de maintenance des installations de stockage. J’en viens maintenant à trois aspects. Le premier concerne la manière dont certains élus de la République sont restés à l’écart de ce débat, non par discrétion et pour laisser le public s’exprimer en direct, comme certains de leurs collègues de terrain, mais par méfiance ou agacement, comme si nous faisions du bruit parasite. Ont-ils changé d’avis ? La loi de 2006 n’aurait pas été tout à fait la même sans le débat public. Le deuxième aspect concerne le développement, que je viens d’évoquer, des territoires concernés directement par les installations. La loi de 2006 continue de parler de compensation et d’accompagnement pour ces territoires, deux mots rejetés avec force dans le cadre du débat déchets, car perçus comme insul-

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tants et désespérants pour les populations et les partenaires de ces territoires. Pourquoi cette obstination ? A quels enjeux obéitelle ? Il reste ici une zone d’ombre qui fait coupure profonde entre le temps du débat et les prises de décisions ultérieures. Le dernier aspect concerne la méthode du débat public telle que j’en ai fait l’expérience. J’en ai évoqué des avancées. Comment l’améliorer ? Quels enseignements tirer du fait que la proximité d’une installation a été un facteur important (même si insuffisant) de mobilisation du public sur une question pourtant générique ? Et, second point, peut-on mieux valoriser dans l’après débat public cet investissement personnel et collectif – je pense en particulier à l’importance, pour les interlocuteurs engagés (experts, autorités, associations, industriels…), de s’être “éprouvés” en amont et au cours des audiences publiques, et de s’être entendus a minima sur les points de désaccord et d’incertitude. N’est-ce pas une condition pour soutenir une vigilance partagée dans la perspective d’un développement durable ? Revenir sur le débat, comme vous le faites, y contribue. Propos recueillis par Jean-Yves Guézénec


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Pour une expertise dynamique et ouverte N aturellement - • Quelles appréciations portez-vous sur l’état d’avancement du projet d’enfouissement de Bure ? Que reste-t-il à faire progresser ? Ghislain de Marsily • Le Laboratoire souterrain de Bure a permis d’acquérir une masse très importante d’information sur les argilites du Callovo-Oxfordien à Bure, et de mettre en route une série d’expérimentations in situ qui vont permettre de mieux caractériser la roche et ses capacité de confinement. L’appréciation que la CNE a donnée de ces travaux est que tout d’abord ils ont été bien menés, et qu’ensuite la capacité de confinement de la roche et du site paraît bonne. Ce n’est pas encore démontré, mais les propriétés mises en évidence vont dans un sens très favorable (très faible perméabilité, pas d’écoulement dans des fractures, capacité de rétention, etc.) et les calculs de sûreté présentés par l’Andra à partir de ces données fournissent des résultats encourageants. S’il faut stocker des déchets nucléaires en profondeur en France, le site de Meuse-Haute Marne semble avoir des propriétés favorables, et il est justifié de poursuivre sa qualification, pour en avoir le cœur net. Que l’on soit pour ou contre l’enfouissement, il me paraît personnellement raisonnable de qualifier jusqu’au bout ce site, et de savoir aussi bien que possible quelles seraient les conséquences éventuelles d’un stockage, pour pouvoir ensuite décider en toute connaissance de cause. Le travail restant à mener pour obtenir cette qualification du site est encore considérable. Il se

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La Commission nationale d’évaluation (CNE) a été saisie lors du débat public sur le traitement des déchets nucléaires. Naturellement a rencontré Ghislain de Marsily, professeur à l’Université Paris VI, membre de l’Académie des sciences et membre de la CNE de 1994 à 2006. Il nous fait part de ses réflexions.

décompose en deux tâches : • poursuivre les expériences dans le laboratoire, pour mesurer sur des périodes longues les cinétiques des phénomènes importants pour le comportement d’un stockage. Si l’on veut, avec de bonnes chances de ne pas se tromper, prédire un comportement sur des milliers à des millions d’années, il est indispensable de mesurer ces cinétiques sur des périodes de plusieurs années au moins. On peut citer par exemple le comportement mécanique à long terme de la roche, le scellement des zones endommagées par le creusement, le rebouchage des galeries et des puits, la vitesse de diffusion des radionucléides dans l’argilite, leur vitesse de migration dans les aquifères encadrants, la production et le devenir des gaz de corrosion, etc. ; • sélectionner, dans la zone dite “de transposition”, où l’Andra indique que le site devrait avoir sensiblement les mêmes propriétés qu’à Bure, et qui mesure de l’ordre de 200 km 2, un emplacement d’environ 20 km 2 où pourrait être construit un stockage. Cet emplacement sera totalement séparé et distinct du laboratoire, il faudra vérifier que les bonnes

propriétés qui seraient mises en évidence à Bure se retrouvent également à l’intérieur de cette zone choisie. Cela implique donc des reconnaissances lourdes à partir de la surface (géophysique, forages,…) puis en profondeur, par le creusement de nouveaux puits pour atteindre la couche. La nouvelle loi du 28 juin 2006 a fixé 9 ans pour faire ces travaux, c’est vraiment un minimum. Naturellement • Comment l’expert que vous êtes a-t-il vécu le débat public ? Comment l’opinion a-t-elle reçu votre mission ? J’ai personnellement beaucoup apprécié les quatre réunions du débat public auxquelles j’ai pu participer (Bar-le-Duc, SaintDizier, Paris-La Villette et Lyon, lors de la clôture). Outre les échanges d’information technique avec le public, et les éléments de réponse qu’il a été possible de fournir à certaines des questions posées, il a été important pour moi d’entendre les questionnements des participants, les objections de fond qu’il émettent, les doutes que suscitent certaines affirmations des scientifiques. Voir réunis pour un même débat et dans un même lieu des élus, des représentants d’associations, des membres du CLIS, des opposants et des membres du public, avec également des représentants de haut niveau de l’Administration, des acteurs de la recherche (CEA, Andra, EDF, Areva, etc.) que le président Mercadal est capable de faire dialoguer en n’éludant aucune question m’a paru être un remarquable exercice de démocratie. Il ne s’agissait pas d’élaborer un

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consensus, les positions sont encore très tranchées, mais de faire s’exprimer toutes les opinions. Ceci a été fait, à mon sens, et c’est remarquable. Les trois questions posées au cours des débats que personnellement je retiens sont les suivantes : La première est « Pourquoi vous pressez-vous ? ». Les déchets actuellement produits sont, de l’avis de tous, bien gérés, ils sont entreposés dans des conditions sûres, et peuvent y rester longtemps, un siècle au moins. Pour les déchets de haute activité, thermogène, il est même recommandé sinon nécessaire de les laisser refroidir en surface, pendant plusieurs décennies, ou, pour certains d’entre eux, siècles, pour réduire la charge thermique introduite dans le stockage, et diminuer les effets thermiques et l’emprise au sol du stockage. Pourquoi alors se presser et vouloir décider aujourd’hui ? La seconde est que le stockage en profondeur est perçu comme un abandon, une absence de surveillance, et le legs d’un cadeau empoisonné aux générations futures. Un sentiment largement exprimé est que le public ne fait pas confiance aux scientifiques pour prédire le comportement d’un stockage sur une période aussi longue, de l’ordre du million d’années. Ceci est confirmé par une étude sociologique effectuée par M. d’Iribarne (CN RS) pour le compte du gouvernement. « Si vous prétendez être capable de le faire, vous nous trompez ou vous vous trompez vous-mêmes, la science n’est pas capable de telle prédiction », dit en substance le public. Suivent des exemples multiples où la science a été mise en défaut, dont le nuage de Tchernobyl. Cet argument fort demanderait une réponse scientifique adéquate, qui fait encore défaut (quels sont les fondements scientifiques qui permettent effectivement de dire que la prévision sur de si longs intervalles de temps est possible ?). Les géologues ont bien l’expérience de ces longues échelles de temps, mais ils travaillent sur la reconsti-

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tution du passé, très rarement sur l’avenir. La troisième est que l’existence d’un choix est une exigence de la démocratie. S’il n’existe qu’une solution, il n’y a plus de débat possible, de concertation, de décision résultant d’un consensus, c’est la technique qui dicte sa loi aux hommes, chose classique il y a 40 ans mais très mal perçue aujourd’hui. Comme le disait un membre du CLIS de Meuse/Haute Marne, « le choix aujourd’hui, c’est Bure, Bure, et Bure » ! Je regrette que la nouvelle loi sur les déchets nucléaires votée le 28 juin 2006 n’ait pas tenu compte des enseignements de ces débats, et ait décidé de choisir le stockage géologique comme seule solution à long terme, sans alternative, en se fixant 9 ans pour confirmer le choix du site de Bure, et dix ans de plus pour autoriser la construction du centre de stockage, si les résultats obtenus à Bure sont bons. Je considère que l’entreposage de longue durée, reconductible de siècle en siècle, est une alternative qui peut être discutée, qui a certes de sérieux inconvénients, comme celui de laisser la charge aux générations futures de surveiller, maintenir et périodiquement reconstruire l’entrepôt, mais qui au moins offre un choix à la discussion. Une troisième voie qui me semble personnellement intéressante est celle d’un entreposage en profondeur dans un site propice, qui puisse être ultérieurement transformable en stockage, si les conditions de stockage y sont favorables. Cette idée, exposée brièvement par l’Andra dans le Dossier Argile 2005, et en annexe du rapport 12 de la CN E, est en fait une extension de la notion de stockage réversible déjà définie dans la Loi de 1991, mais qui laisse une plus grande liberté de choix sur des durées plus longues aux décideurs. N aturellement - • Cette expérience a-t-elle modifié la conception que vous avez du rôle et des moyens de l’expert ? Le rôle et les moyens de l’expert

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font par définition référence à une entité supérieure, à laquelle l’expert rend compte de sa mission. Dans le cadre de la loi de 1991, cette entité supérieure à laquelle la CN E devait rendre compte de ses avis sur le déroulement du programme de recherche était clairement identifiée, c’était le gouvernement et le parlement. A travers ces deux entités, c’est évidement au public qu’étaient destinés nos avis, qui étaient d’ailleurs toujours précisément rendus publics. Le débat public a été une occasion de rapprocher les deux extrémités, et de dialoguer directement avec le public. Comme je l’ai dit plus haut, des questions nouvelles sont apparues, qui n’avaient pas été abordées. Mais ce dialogue peut avoir des limites : une part importante du travail d’expertise est d’analyser dans le détail des points scientifiques difficiles, de confronter les résultats obtenus avec d’autres recueillis ailleurs, de poser des questions aux acteurs de la recherche pour leur demander d’approfondir leur travail. De tels débats techniques ne sont pas nécessairement intelligibles en réunion publique. Il me semble donc souhaitable que les commissions d’évaluation technique mènent en interne de tels débats, puis prennent des rendez-vous périodiques avec des représentants du public, pour rendre compte de l’avancement de leurs travaux, et aussi pour entendre les questions nouvelles que le public se pose sur le sujet retenu. Il me semble aussi que ces commissions doivent comporter parmi leurs membres des personnes ouvertes sur les sciences sociales, pour mieux comprendre ces questionnements, et pour rendre aussi plus intelligibles les résultats des évaluations techniques, dans un langage adapté. La nouvelle CNE créée par la loi du 28 juin 2006 comprend ainsi des membres nommés par l’Académie des sciences morales et politiques, ce qui va dans ce sens.

Propos recueillis par François Cosserat


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STOCKAGE GÉOLOGIQUE : « Nous voulons un référendum ! »

N aturellement - • Vous êtes un des élus de la Haute-Marne engagés dans un combat d’opposition au stockage en profondeur des déchets radioactifs à Bure, une commune située dans la Meuse, en limite de la Haute-Marne. Pouvez-vous préciser le sens et la forme de votre combat, et l’état de son développement ? Jean-Luc Bouzon • Je ne suis absolument pas antinucléaire. L’approvisionnement énergétique de la France doit être réalisé par des sources diversifiées, dont le nucléaire représentera une partie. Par contre, je suis farouchement opposé à l’enfouissement des déchets radioactifs. J’utilise même l’expression de “folie humaine” à ce sujet. Mais j’accepte tous les avis et le combat que j’ai mené, et qui continue, est que le devenir des installations de Bure soit discuté et soumis à l’avis de la population afin que l’avenir ne soit pas seulement décidé par un groupe d’initiés. Nous avons engagé pour cela, avec de nombreux militants de tous horizons, un travail de fourmi sur le terrain en allant notamment au porte-à-porte dans les 532 communes du département faire signer une pétition dans ce sens. Une pétition dont la population s’est véritablement emparée. Il reste encore 8 communes à voir : ce sera fait d’ici fin mars. N ous en sommes à 38 000 signatures sur les 185 000 habitants de Haute-Marne dont 102 maires, 16 maires délégués, 211 adjoints au maire, 583 conseillers municipaux. Sur les deux départements, le nombre de signatures atteint 55 000. C’est clair, nous voulons un référendum sur le sujet.

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Naturellement a rencontré Jean-Luc Bouzon, conseiller général de Saint-Dizier, en Haute Marne. M. Bouzon est un élu fortement engagé dans le combat d’opposition au stockage en profondeur des déchets radioactifs dans le sous-sol de la commune de Bure. Il nous livre son point de vue.

Naturellement - • Quelle est votre appréciation de la loi votée en juin 2006 qui fait suite à celle de décembre 1991 ? La loi de 1991 prévoyait plusieurs laboratoires pour l’étude du stockage souterrain. Il n’y en a qu’un qui a été retenu : celui de Bure. Pourquoi ? Parce que c’est un secteur sinistré sur le plan économique, une région qui se désertifie : la Haute-Marne perd 1 200 habitants par an. La loi de juin 2006, qui fait de Bure non plus un laboratoire de recherche mais un site de stockage potentiel, a été votée à 3 – 4heures du matin avec seulement 19 députés présents, ce qui me paraît anormal pour une question aussi importante qui engage l’avenir du pays. Anormal aussi que le président de l’Andra, qui est député, ait été rapporteur de la loi. Il est ainsi juge et partie. Concernant la réversibilité du stockage, notion introduite dans la nouvelle loi, je considère que c’est un leurre. Cet élément a été

introduit pour calmer les peurs de la population. Et comment ne pas dénoncer l’argent qui coule et qui va continuer à couler à flots comme moyen de pression ? Jusqu’à présent, la Meuse et la Haute-Marne ont touché chacune, depuis 5 ans, 10 millions d’euros par an. Avec la nouvelle loi, cette somme va doubler. Certes, les églises sont rutilantes, les façades rénovées, les routes du côté de Bure de véritables billards. Mais en ce qui concerne activités et emplois nouveaux, on ne comptabilise que la création d’un centre d’archives EDF en Meuse et d’un centre d’archives Areva en Haute-Marne, avec chacun 15 emplois. Et quant à nous faire miroiter que Bure pourrait devenir une vitrine technologique mondiale pour le stockage des déchets, on nous prend pour des demeurés. N aturellement • Les déchets radioactifs existent. Il va falloir adopter une solution pour leur devenir. Mais on se réveille bien tard pour s’en préoccuper. La loi de 1991 envisageait trois solutions : l’entreposage en subsurface, le traitement poussé, le stockage en profondeur. Finalement, c’est cette seule dernière solution qui est retenue. A mon avis, il faut poursuivre les recherches pour les autres solutions que le stockage géologique. N otre slogan de départ était et reste : « N i ici, ni ailleurs, autrement ». Sur les caractéristiques du sous-sol de Bure, de nombreuses incertitudes techniques subsistent : la nappe phréatique est en liaison avec celle qui alimente la région parisienne, avec le lac du Der, qui est

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tout proche. N ous avons une région touristique en devenir. Le risque zéro n’existe pas et les conséquences que pourrait avoir la présence de ce stockage me font froid dans le dos. Naturellement • Vous souhaitez qu’un référendum soit organisé. Pouvez-vous nous préciser dans quelles conditions ? Il y a eu en 1992 deux délibérations dans les conseils généraux de la Haute-Marne et de la Meuse qui ont abouti à l’acceptation du laboratoire sans consultation de la population. Il faudra que ceuxci soient de nouveau consultés avant l’autorisation du stockage effectif. Mais maintenant, après l’action que nous menons, les conseils généraux des deux départements seront obligés de donner leur accord pour que le recueil des avis de la population se fasse sous forme de référendum. Et un référendum qui ne se limite pas à la consultation des seules communes proches de Bure mais qui s’adresse à tous les habitants des deux départements. Cette idée de référendum était contenue dans

les conclusions du rapport de la commission particulière du débat public dirigée par M. Mercadal, mais elle n’a pas été reprise dans la loi. N aturellement • Comment appréciez-vous l’existence du comité local d’information et de suivi du laboratoire (CLIS) ? Le CLIS est constitué de 93 membres. Dans son bureau de 16 membres, les opposants sont lar-

UNE PÉTITION QUI A REÇU 55 000 SIGNATURES HAUTE-MARNE PETITION CITOYENNE (une pétition analogue circule dans la Meuse) Parce qu’en 1993, les départements de Meuse et de Haute-Marne se sont portés candidats au projet de “laboratoire” de recherches géologiques en vue de l’enfouissement des déchets nucléaires (hautement radioactifs et à vie longue), alors qu’un tel projet a été refusé partout ailleurs. Parce qu’en 2004, le but final du laboratoire a été confirmé officiellement : il s’agit bien de la construction dès 2006 d’un centre d’enfouissement DEFINITIF aux alentours de Bure. Parce que l’enfouissement des déchets nucléaires ne solutionne en rien leur toxicité: il ne fait que retarder le retour de la radiotoxicité à la surface, d’où la contamination irréversible et programmée de régions entières. Parce que cette implantation n’aurait que des effets négatifs sur l’image et le développement économique de notre département. Parce que les Haut-Marnais(es) n’ont pas été directement consultés/es sur ce projet qui engage l’avenir de leur département et de leurs descendants, et ce pour l’éternité. Et parce qu’aujourd’hui la mise en œuvre de l’enfouissement des déchets nucléaires engagerait la responsabilité de chaque habitant et celle de la collectivité tout entière. Pour toutes ces raisons, cette question : « Etes–vous pour la construction d’un centre d’enfouissement de déchets nucléaires à Bure (site Meuse/Haute-Marne) ? » doit être posée à toute la population. LES ELECTEURS HAUT-MARN AIS SOUSSIGN ES EXIGEN T DU CON SEIL GEN ERAL DE LA HAUTE MARN E L’ORGAN ISATION SAN S DELAI D’UN REFERENDUM DEPARTEMENTAL SUR CE SUJET

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gement minoritaires. Certes, c’est un endroit où l’on peut débattre et obtenir des informations mais il ne faut pas cacher les difficultés de son fonctionnement, les hésitations des membres à participer, à s’engager. Après la loi de juin 2006, il a fallu que le CLIS confirme son accord pour la poursuite des études sur le laboratoire de Bure : à la première assemblée, il n’y avait pas le quorum et la suivante, celle du 12 octobre 2006, a donné un avis favorable mais à une majorité étriquée puisque seulement 1/3 des membres étaient présents. Naturellement • Pour terminer, pouvez-vous nous dire quels sont vos rapports avec l’Andra ? Avec l’Andra le débat est musclé. Et je pense que l’attitude n’est pas toujours correcte. Lors d’un petit festival près de la limite du site de Bure, des jeunes ont enflammé des bottes de paille et cela a endommagé légèrement la clôture. Sur plainte de l’Andra, quatre jeunes ont été traînés au tribunal de Bar-le-Duc et ont écopé d’amendes et de prison avec sursis. Pour un peu de peinture, c’est désolant. J’estime que l’Andra aurait dû retirer sa plainte. Entretien réalisé par Didier Lassauzay et Jean-Yves Guézénec


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Le divorce entre l’opinion et la communauté scientifique Lors d’une émission sur France Inter, le 3 janvier dernier, concernant l’honnêteté du contenu des publicités diffusées par les médias, l’un des exemples débattus concernait le message publicitaire « EDF travaille aux énergies du futur ». Ce message est présenté en conclusion d’un développement indiquant que l’énergie fait les civilisations et peut les défaire.

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st citée en exemple la civilisation de l’Ile-de-Pâques, qui s’est développée en utilisant le bois, et qui a disparu à cause de l’exploitation excessive de cette ressource. Publicité perverse, dira un représentant de WWF participant à l’émission, car EDF développe l’énergie nucléaire que l’on ne peut considérer comme acceptable à cause des déchets qu’elle produit. En résumé, si l’on suit cet intervenant, les déchets nucléaires seraient un problème majeur pour l’avenir de la planète !

Un problème crucial Cette anecdote donne bien la mesure de la fantastique importance que représente la problématique des déchets radioactifs. Elle se situe en tête des réticences des populations pour l’utilisation du nucléaire, avant les risques d’accident sur les installations nucléaires dont l’ampleur est pourtant bien connue après l’accident de Tchernobyl. La communication sur le sujet est dense, et large est son traitement démocratique. Tous les médias évoquent le sujet de manière récurrente. Le Parlement a voté deux lois, une en décembre 1991 et l’autre en juin 2006 (lois Bataille). Un débat de la Commission nationale du débat public (CN DP) sur le sujet s’est déroulé fin 2005 et début 2006 avec des réunions dans tout l’Hexagone, débat dont les participants ont salué l’excellente tenue. Il n’y a pas d’exemple où le traitement d’autres types de déchets ait été l’objet de préoccupations analogues (1). Peut-être est-ce l’excès de communication à

leur sujet qui, par un retournement dialectique, en fait, dans l’imaginaire collectif, un fardeau hors de proportion avec la possibilité humaine de les traiter de manière correcte. Les dirigeants politiques euxmêmes sont touchés : dans une dépêche du 20 janvier 2007, le ministre espagnol José-Luis Zapatero déclare : « Même si le nucléaire paraît la réponse la plus simple aux questions énergétiques, il existe encore un sérieux problème, celui des déchets, pour lesquels il n’y a pas de réponse efficace et il n’y en aura pas dans l’avenir ». Quand, dans une assemblée, vous annoncez que le sort ultime des résidus radioactifs est l’enfouissement souterrain, c’est souvent l’étonnement et l’indignation. Alors qu’il est une évidence concernant absolument tous les résidus que notre société produit: les opérations de traitement-récupération les plus poussées pour recyclage délivrent un déchet ultime qu’il faut livrer au milieu naturel – en le concentrant ou en le dispersant - dans des conditions telles que la nature, avec le temps, le “digère” dans des conditions acceptables pour la santé humaine et celle de l’environnement. Beaucoup considèrent comme une sorte de tare irrémédiable, pour certains déchets radioactifs, leur longue durée de vie (des milliers voire des millions d’années). C’est surprenant, alors que les déchets toxiques de l’industrie (déchets mercuriels, cadmiés, arséniés…) qui ont une toxicité qui ne décroît pas du tout dans le temps provoquent une angoisse bien moins grande que les déchets radioactifs.

Et, par ailleurs, les déchets en euxmêmes ne sont pas sources d’accident de grande ampleur, y compris lors des transports ou d’actes de malveillance. Ces déchets sont répertoriés de manière quasi exhaustive par l’Andra qui publie régulièrement un rapport sur les divers sites où ils existent. Leur traçabilité est assurée de manière satisfaisante. On entend souvent dire que l’on ne sait que faire de ces déchets avant plusieurs décennies alors que les solutions existent d’ores et déjà. Dans un communiqué du 28 juillet 2006, la Société française d'énergie nucléaire déclare que «les travaux sur le stockage des déchets à vie longue menés depuis 15 ans dans le cadre de la “loi Bataille”, le débat national ainsi que les discussions et les décisions parlementaires qui ont suivi, ont abouti à des conclusions très largement partagées : celles-ci indiquent que les techniques sont disponibles pour gérer les déchets radioactifs à vie longue dans de bonnes conditions de sûreté. Elles montrent qu'un stockage aménagé à plusieurs centaines de mètres de profondeur dans certains types de formations géologiques est capable d'isoler les déchets de la biosphère bien au-delà du temps nécessaire à la décroissance de leur radioactivité vers des niveaux inoffensifs. Un tel stockage offre la garantie très sérieuse que les déchets ne provoqueront, au fil du temps, aucun dommage inacceptable aux populations ou à l'environnement. Les analyses de sûreté montrent que, même dans l'hypothèse la plus pessimiste de défaillance de tous les éléments du stockage, les conséquences seraient négli-

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geables, très largement inférieures, en tout état de cause, à la dose admissible d'exposition fixée par la réglementation à 0,25 millisieverts/an (équivalant au dixième de la radioactivité naturelle). Les conclusions évoquées ici sont étayées par un ensemble de données scientifiques et techniques établies non seulement par les acteurs habituels de la recherche nucléaire française, mais aussi par de nombreux organismes et laboratoires d'études ne relevant pas de ce secteur. Elles font l'objet, au plan international, d'un large consensus parmi les pays qui ont travaillé sur la question et qui mettent en œuvre des programmes de réalisation de stockage géologique ». Pas de doute, le divorce entre la communauté scientifique dans son ensemble et la population en général concernant les appréciations à porter sur la gestion des déchets radioactifs est grave !

Comment évoluer ? Dans la situation actuelle, la seule méthode de gestion des déchets radioactifs de haute activité et à vie longue est le stockage géologique, et le seul site français envisagé est celui de Bure. Existe-t-il d’autres alternatives ? Revenir sur le choix du stockage géologique terrestre paraît difficile : l’immersion ou l’enfouissement géologique sous-marin ont été repoussés internationalement, la voie de la séparation–transmutation ne conduit qu’à peu d’évolution (voir encadré page 18). Par contre, l’ouverture d’un deuxième site de stockage alternatif à celui de Bure, tel que cela était envisagé dans la loi de 1991, offrirait une alternative. Il n’y a pas qu’un seul site en France à offrir de bonnes caractéristiques pour la rétention des éléments radioactifs. Cela se conçoit tout à fait dans la mesure où se confirme la décision nationale de poursuivre le développement de l’énergie nucléaire pour répondre aux besoins énergétiques et lutter contre les émissions de gaz à effet de serre. Cette

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perspective nécessitera, dans les siècles à venir, plus d’un site de stockage. De toute manière, la décision définitive de stocker à tel ou tel endroit ne se conçoit qu’avec l’aval des populations concernées qui doivent pouvoir apprécier dans cette éventualité non pas que la nation se débarrasse chez eux d’un colis encombrant mais le gage d’une véritable dynamique économique régio-

nale choisie démocratiquement, avec des moyens importants. La nouvelle loi qui fixe des échéances à environ 10 ans fournit un délai propice aux échanges qu’il faut alimenter en débats entre scientifiques et populations avec des ouvertures à l’international où les mêmes questions se posent. Jean-Yves Guézénec

(1) Le seul stockage souterrain de produits chimiques toxiques est l’installation Stocamine, implantée à Wittelsheim dans une mine de sel du bassin potassique du Haut-Rhin, dont un incendie sur les colis stockés, survenu le 10 septembre 2002, a conduit à l’arrêt de l’exploitation. 45 000 tonnes de déchets reposent à 600 mètres sous terre (Refiom, sels cyanurés, déchets contenant de l’arsenic, amiante, déchets de laboratoire, terres polluées par les métaux lourds), dans un état sans doute déplorable après l’incendie. La presse n’en a quasiment pas parlé.

MONOGRAPHIE

L’épopée de l’énergie nucléaire

I

l se dit beaucoup de sottises sur le nucléaire civil. D’aucuns le portent aux nues sans nuance quand d’autres le vouent sans rémission aux gémonies. Une chose est sûre, au contraire du pétrole, du charbon ou du gaz naturel, cette filière énergétique ne produit pas de gaz à effet de serre. C’est un argument majeur. Mais elle génère de lourds problèmes que ce numéro de Naturellement aborde sans œillères ni a priori. Le remarquable vade-mecum que voici permet de se bâtir une opinion fondée. Sommité du domaine (il a enseigné la neutronique à l’Institut national des sciences et techniques nucléaires), le physicien Paul Reuss y décrit l’histoire scientifique et industrielle de l’énergie nucléaire. Et d’abord, les fondements de cette discipline depuis les intuitions atomistes des anciens Grecs jusqu’aux réinventeurs du XIXe siècle et le jaillissement qui s’ensuivit : découverte des rayons X et de la radioactivité, du radium et du polonium, mise en évidence du neutron et de l’équivalence masse/énergie, découverte du plutonium, de la fission et de l’idée de réaction en chaîne, émergence, enfin, de la neutronique. Place alors à la genèse même de l’énergie nucléaire. En flèche avant la guerre, les Français virent leur élan arrêté net par l’occupation nazie. Les principales avancées eurent lieu, dès lors, aux EtatsUnis, en Angleterre et au Canada. Mais les recherches françaises reprirent dès 1945, dont l’auteur nous décrit les étapes jusqu’à la maturité. Sans omettre d’évoquer les terrifiantes armes nucléaires et les catastrophes nucléaires civiles, à commencer par celle de Tchernobyl, il se livre à une description lumineuse des différentes filières industrielles, anciennes, actuelles et à venir et des recherches de longue haleine sur la fusion. Il va sans dire qu’il s’attarde aussi sur l’épineux problème des déchets radioactifs. Sans nier l’intérêt des énergies renouvelables, il conclut en soulignant les atouts de cette énergie pour un développement durable. Il n’aura sans doute pas convaincu tous ses lecteurs, mais ils auront les idées plus claires… Michel Felet « L’épopée de l’énergie nucléaire » de Paul Reuss. EDP Sciences, collection Génie atomique. 170 pages, 25 euros.

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Pour toute information : Sylvie Manfredi, Mnle Paca au 04 91 90 42 69


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Comment en réduire les nuisances ? Le trafic aérien mondial a renoué ces derniers mois avec la croissance après plusieurs années de stagnation liées à la conjoncture internationale. C’est une bonne nouvelle pour les compagnies aériennes qui ont souffert des conséquences des attentats du 11 septembre 2001. Mais cette tendance risque d’augmenter les nuisances qui proviennent de ce trafic - en tout premier lieu, les nuisances sonores.

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n France, on estime à 500 000 le nombre de riverains d’aéroports et d’aérodromes gênés par des nuisances sonores importantes, dont 300 000 pour la seule région Ile-deFrance. Et l’on ne tient pas compte dans ces chiffres des personnes qui habitent le long des couloirs d’approche. Les conflits entre associations de riverains et gestionnaires d’aéroports se sont multipliés ces dernières années et les manifestations contre des projets d’implantation ou d’extension d’activités aériennes, comme par exemple à Roissy et Lyon-Saint-Exupéry, n’ont jamais été aussi importantes.

Pollution sonore et atmosphérique Autre nuisance qui découle du trafic aérien, la pollution atmosphérique. La combustion du kérosène dans les moteurs d’avions produit des oxydes d’azote, des hydrocarbures imbrû-

lés, du monoxyde de carbone, des particules de suie et du dioxyde de soufre. Autant d’émissions polluantes dangereuses pour notre santé mais aussi pour l’environnement. Récemment, une équipe de chercheurs du département de météorologie de l’Université de Reading en Grande-Bretagne s’est intéressée de près aux traînées de condensation laissées par les avions. Traînées qui auraient un impact important sur le réchauffement climatique. Selon ces chercheurs, les vols de nuit contribueraient de façon significative à l’effet de serre. Enfin, dernier problème de taille soulevé par la croissance du trafic aérien, sa très forte consommation d’énergie dans un contexte de raréfaction des énergies fossiles et de hausse vertigineuse des prix du pétrole. Compte tenu des taux d’occupation observés, une même dépense d’énergie permet par exemple à un voyageur de parcourir en TGV une distance 9,5 fois plus grande qu’en avion. Pour

Gérard Prince

TRAFIC AÉRIEN

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les voyageurs, comme pour le fret, le recours au transport aérien pour de courts trajets intérieurs constitue ainsi une aberration énergétique et environnementale.

Une répartition souhaitable Dans ce contexte, il apparaît urgent de lancer une réflexion générale sur le trafic aérien et sur les moyens de réduire les multiples nuisances qui en découlent. En premier lieu, il est permis de penser que les vols intérieurs vont progressivement diminuer ces prochaines années au profit des TGV, le réseau ferroviaire des lignes à grande vitesse étant amené à s’étendre, à se développer et à concurrencer directement le transport aérien. Cela s’est vérifié avec la mise en service du TGV Méditerranée en 2001 qui a fait perdre quelque 600 000 passagers à l’aéroport de MarseilleProvence ; il en sera probablement de même prochainement pour le TGV atlantique entre Paris et la frontière espagnole ou pour le TGV Est reliant Paris à Strasbourg. Les vols moyen et long courriers devraient donc être majoritaires à terme et les vols intérieurs une exception. Ce qui permettra au passage de régler la question de la construction d’éventuels nouveaux aéroports dans l’Hexagone afin de faire face à la croissance actuelle du trafic. Cette nouvelle répartition, souhaitable, entre transport ferroviaire et transport aérien offre aussi l’occasion de reconsidérer l’existence des aéroports proches des centres-villes qui, sans les vols intérieurs, ont sans doute moins

de perspectives d’avenir. alors possible d’envisa aéroports communs à d même plusieurs régions poseraient majoritairem vols moyen et long c Cela éviterait la présence sieurs aéroports dans u de quelques dizaines d mètres, comme c’est enc vent le cas, et qui affec de populations. Citons le aéroports de Pau-Pyréné Tarbes-Lourdes-Pyrénée tants de seulement 4 mètres, qui pourraient fait fusionner leurs tra pectifs.

Renforcer la lutte Enfin, la lutte contre sances sonores et env mentales produites par aérien doit être intens s’agit d’inciter les const à travailler sur de


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de perspectives d’avenir. Il serait alors possible d’envisager des aéroports communs à deux ou même plusieurs régions qui proposeraient majoritairement des vols moyen et long courrier. Cela éviterait la présence de plusieurs aéroports dans un rayon de quelques dizaines de kilomètres, comme c’est encore souvent le cas, et qui affecte, trop de populations. Citons le cas des aéroports de Pau-Pyrénées et de Tarbes-Lourdes-Pyrénées, distants de seulement 40 kilomètres, qui pourraient tout à fait fusionner leurs trafics respectifs.

Renforcer la lutte Enfin, la lutte contre les nuisances sonores et environnementales produites par le trafic aérien doit être intensifiée. Il s’agit d’inciter les constructeurs à travailler sur de futurs

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modèles beaucoup moins bruyants et polluants, et bien plus économes en énergie. Ces trois points ne constituent pas encore une priorité affichée par les deux grands constructeurs d’avions que sont EADS et Boeing. Cependant, l’explosion des prix du pétrole, le réchauffement climatique et surtout la mobilisation des populations contre les nuisances de ce trafic sont susceptibles de peser dans le bon sens. Il est et sera, de toute façon, de moins en moins possible en ce début de XXI e siècle de ne pas tenir compte de la volonté des populations, et les pouvoirs publics auront certainement un rôle central à jouer ces prochaines années, ne serait-ce qu’au niveau de la réglementation (quel avenir pour les vols de nuit, pour les aéroports régionaux, etc …). Pierre Brana

CD-Rom Energie fossile, Effet de serre, Climat… Comprendre et Agir

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uels phénomènes sont responsables du changement climatique ? Quel est le lien entre les énergies, notre mode de vie, le climat et l’effet de serre ? Enfin des réponses à ces questions dans un CD-Rom interactif réalisé par le MNLE, avec le soutien du Conseil général de Seine-Saint-Denis.

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Michel Desjoyeaux, écologiste dans le vent 2 janvier… Port - la Forêt, non loin de Concarneau, dans le Finistère... Un léger vent frisquet berce les voiliers amarrés aux pontons du bassin de plaisance. La rencontre avec Michel Desjoyeaux est prévue à une encablure de là, dans les pimpants locaux de Mer agitée, le petit complexe technique (conception et fabrication de bateaux de course) qu’il a créé et qu’il pilote. Silhouette déliée, franc regard, notre homme dégage une impression de force maîtrisée qui met d’emblée à l’aise. N aturellement - • Vous intervenez souvent sur le thème de l’environnement. D’où cette sensibilité vous vient-elle ? Michel Desjoyeaux Ma réflexion est simplement citoyenne. N ous sommes suffisamment informés, aujourd’hui, pour réaliser que si rien n’est fait à court terme nous irons droit dans le mur. Il faut arrêter de gaspiller. Je me suis longtemps bagarré avec mes enfants (il en a trois : un de quatorze ans et deux de onze. N dr) pour qu’ils ne laissent pas brûler inutilement la lumière. Je leur disais : « On n’est pas sponsorisés par EDF… » Ils ont fini par comprendre. Au bureau, on a aussi pris l’habitude d’éteindre les ordinateurs le soir, de même que tous les appareils en veille. Les bonnes habitudes se sont peu à peu installées. A la maison, on a mis en place un système de poubelles très diversifié : pour les plastiques, pour le verre, pour les bouchons en plastique, pour les papiers et cartons, et enfin pour tous les déchets d’une autre nature. Il y en a une aussi, depuis peu, pour les détritus bio-

dégradables – un bac à compost, en quelque sorte. Une précision : nous veillons à nettoyer le verre avant de le mettre au recyclage, ainsi que les boîtes de conserve et les emballages de jus de fruits, et nous évitons de jeter des papiers gras dans la poubelle à recyclage. N otre pratique a inspiré beaucoup de nos proches. Pour ce qui est de l’eau, les enfants ont désormais le réflexe de ne pas la laisser couler quand ils se lavent les dents ou se savonnent sous la douche. Ils prennent très rarement des bains et ne tirent la chasse d’eau que pour la… grosse commission. Il s’agira bientôt d’eau de pluie récupérée, qui servira également à d’autres usages. J’ajoute que nous sommes branchés sur une fosse septique et non au tout-àl’égoût : c’est que je suis, voyezvous, très… sceptique quant au tout-à-l’égoût (Rires) ! Il va sans dire que, pour que cette fosse fonctionne, il ne faut y déverser aucune saloperie du genre détergent.

coup d’énergie. J’essaie, en tout cas, de gaspiller le moins possible. J’ai longtemps recouru à l’énergie solaire pour mes bateaux de course, mais les panneaux vieillissent mal en mer ; il faudrait qu’ils durent au moins une dizaine d’années pour être écologiquement rentables. Pour ce qui est de nos locaux et bien que l’ensoleillement, ici, soit faible, j’ai songé à installer un chauffe-eau solaire, mais le coût de l’équipement est encore dissuasif. J’ai également regardé du côté de la géothermie, mais un spécialiste m’a dit d’entrée de jeu qu’il faudrait changer l’installation – qui est coûteuse – au bout de vingt ans. Si on m’avait dit quarante ans, je me serais décidé. Reste l’option des panneaux solaires sur le toit : j’y réfléchis.

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Si nous avons convié Michel Desjoyeaux dans nos pages, ce n’est pas pour évoquer la course au large dont il est une étoile de première grandeur, mais pour parler d’écologie au quotidien, car ce champion est aussi exemplaire dans ce domaine ( 1).

Naturellement - • Les usagers de la mer la respectent-ils mieux aujourd’hui ? Là, je ne vais pas me faire des amis!

N aturellement • Etes-vous adepte des produits bio ? Oui, mais sans être un intégriste… N aturellement - • Votre femme est-elle sur la même longueur d’onde que vous ? Absolument. Son père est chercheur en biologie. Elle est depuis longtemps sensibilisée à la préservation du milieu naturel. N aturellement • La course au large a-t-elle aidé à votre prise de conscience ? Pour être honnête, je ne peux pas dire que la fabrication de nos bateaux soit vraiment écologique ! Elle consomme beau-

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Les plaisanciers sont beaucoup plus attentifs à la mer que ceux qui travaillent dessus. Je surprends régulièrement des chalutiers qui balancent leurs poubelles par-dessus bord ou vidangent leurs calesmoteurs en sortant du port. J’ai un copain pêcheur à Saint-Malo qui doit se bagarrer avec ses propres marins pour les empêcher de tout jeter à la mer. Quant à nous, navigateurs, nous n’avons pas toujours été vertueux mais, depuis quelque temps, nous revenons à terre avec nos poubelles. L’habitude est prise de regrouper dans deux récipients différents ce qui est à la fois non biodégradable et non recyclable, et ce qui est recyclable. Et on ramène, bien sûr, les hydrocarbures.

Naturellement • Les fonds, le long des littoraux, sont tapissés d’objets en plastique et de rebuts ménagers… Sans parler de ce qui flotte en surface. Je comprends mal qu’on ne généralise pas ce qui se fait en Corse où les sacs non biodégradables sont interdits dans les supermarchés. Pour notre part, nous faisons nos courses avec des cabas. Et nous refusons, autant que faire se peut, les sacs plastique. Plus généralement, j’estime que l’empaquetage des produits est devenu tout à fait excessif. Cela dit, je reconnais que le problème n’est pas simple : on ne peut tout régler d’un claquement de doigts, il faut songer aussi aux gens qui fabriquent ces emballages. Sur un autre plan, je voudrais dénoncer la conduite des transporteurs de conteneurs. Quand leurs bateaux, qui sont bien trop chargés, se retrouvent pris dans une tempête, ils n’hésitent pas à jeter des conteneurs pour abaisser le centre de gravité. C’est inadmissible. Et on pourrait aussi évoquer le dégazage. On est trop tolérants avec les coupables, on devrait les frapper plus fort. Naturellement - • Parlons un peu du carénage et du nettoyage des bateaux dans les ports. Comment se pratiquent-ils à Port-la-Forêt ? Il y a une aire spécifique où les bateaux de plaisance sont carénés et nettoyés hors de l’eau. Les liquides sales et les détritus, notamment de peinture, sont collectés ; on ne les rejette plus en mer. De plus, la récente circulaire de l’eau édictée par le ministère de l’Écologie oblige déjà les ports à assécher et traiter à terre les plus polluées des vases ramenées du fond lors des opérations de dragage. N aturellement • Les économies d’énergie constituent un gisement trop peu exploité encore… En effet. A La Forêt-Fouesnant (où réside Michel Desjoyeaux. N dr), l’éclairage public est coupé dès une heure du matin. C’est une disposition qui devrait être généralisée. A ce propos, deux choses me

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Michel et sa femme Régine recyclent leurs vieilles voiles synthétiques en solides cabas

font bondir: le recours, de plus en plus répandu, à la climatisation, et l’obligation d’allumer les codes des voitures en plein jour. Par parenthèses, je suis tout à fait favorable à la proposition d’une TVA à 35 % sur les grosses cylindrées, à commencer par les 4x4. Un mot sur les éoliennes. Certains les refusent au motif qu’elles nuiraient au paysage et feraient du bruit. Mais les mêmes s’accommodent des pylônes de lignes à haute tension et des immenses enseignes et publicités des zones commerciales ! J’ajoute que je préfère la vue d’un champ d’éoliennes à celle d’une centrale nucléaire. Naturellement •Etes-vous plutôt optimiste? Y a-t-il, selon vous, une réelle prise de conscience de la gravité de la situation ? Plutôt, oui. Mais on ne peut compter sur les seuls milieux économiques pour régler les problèmes. Il faut que des décisions fermes soient prises, et rapidement, au niveau politique, au niveau des Etats. Propos recueillis par Michel Felet (1) Michel Desjoyeaux présente un palmarès d’exception : vainqueur sur Elf Aquitaine III, avec Jean Maurel, de la Twostar en 1990, double vainqueur de la Solitaire du Figaro (en 1992 sur Groupe Coupechoux Design et en 1998 sur TBS), double champion de France Solitaire habitable sur TBS en 1996 et 1998, vainqueur sur PRB de l’édition 2000-2001 du Vendée Globe et, sur Géant, de la Route du Rhum en 2002 et de la Transat en 2004… Série en cours. On se reportera au passionnant ouvrage qu’il a écrit avec Régine Bornens, sa compagne, et Eric Coquerel : « Michel Desjoyeaux, l’enfant de la Vallée des Fous » (Gallimard, 144 pages,30 euros).

Départ du Grand prix de Marseille 2003.

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DANS L’ACTUALITÉ…

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« Une vérité qui dérange »

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e film réalisé par Al Gore(1), l’ancien vice-président des Etats-Unis, s’adresse en premier lieu à l’opinion publique américaine dont le niveau de conscience concernant les problèmes liés au réchauffement climatique n’est pas le même qu’en Europe, encore moins qu’en France. Une récente enquête d’opinion établit qu’un Français sur deux est sensible aux questions liées au réchauffement climatique. Mais ce film a aussi pour objectif de relayer l’action et le combat d’Al Gore, lequel a sillonné les Etats-Unis et donné plus de 1 000 conférences sur l’environnement. D’ailleurs, cette présence physique dans le film agace un peu. Le film en lui-même est un bon documentaire. S’agissant d’une production américaine, ce film n’a manqué ni de moyens techniques, ni de finances pour être réalisé. Cela permet que le message en soit plus fort. L’état dans lequel se trouve la planète est bien décrit et les responsabilités sont clairement identifiées : ce sont l’ensemble des activités humaines. C’est-à-dire le mode de développement, l’industrialisation qui s’est faite au détriment de l’homme et de l’environnement. Les politiques économiques qui ont donné priorité à la production sont ici dénoncées tout comme l’attitude des élus et des plus hautes instances qui, sous prétexte de protéger le mode de vie des Américains, se sont opposés au développement durable dont le concept a été formulé au sommet de Rio (juin 1992) et au protocole de Kyoto (1997). Rio et Kyoto ont pourtant été importants dans la prise de conscience de l’opinion publique, qui s’est bien renforcée depuis, même si les résultats sur l’état de la planète ne sont pas encore évidents. Dans sa dernière partie, le film s’adresse plus particulièrement à l’opinion publique, aux citoyens. Et si la responsabi-

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lité de chacun est soulignée, l’appel à agir en direction des Etats, des villes et du président prend une résonance particulière. Al Gore rappelle les difficultés qu’il a rencontrées et qui n’ont pas permis, alors qu’il était le vice-président de Bill Clinton, que les Etats-Unis ratifient le protocole de Kyoto. Note d’espoir, le film se termine en rappelant qu’une dizaine d’Etats américains, que des dizaines de villes américaines, se sont engagés sur des politiques environnementales et de réduction des rejets polluants, notamment des gaz à effet de serre (2). Mais ce film ne saurait se suffire à lui-même. Il doit être prolongé par des débats. C’est ce qui a eu lieu à Blanc-Mesnil puis à Pantin où le comité de SeineSaint-Denis du MNLE organisait une projection suivie d'un débat (3). Dans les deux cas, les participants ont apporté réflexions, questions et approches de solutions “pour agir”, beaucoup d’intervenants s’appuyant sur les images et les commentaires qui accompagnent la fin du film. La nécessité des gestes quotidiens a été soulignée : économiser l’énergie et l’eau, utiliser moins sa voiture, réduire les pollutions, participer au tri sélectif… Mais il faut aussi interpeller les décideurs car ce sont eux qui peuvent inverser la tendance et inscrire les contraintes écologiques dans l’économie. Guy Léger (1) D’une durée d’une heure, ce film a été diffusé dans le circuit commercial. Il a aussi été soutenu par l’ADEME. Il sort actuellement en DVD. (2) Voir le n°87 de Naturellement qui contient un article sur les EtatsUnis, consécutif à une rencontre du MNLE avec l’Ambassade américaine. (3) 70 personnes étaient présentes au premier débat, et 150 au second…


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Atlas de la menace climatique

Pour les sujets qui s’y prêtent, la cartographie et l’infographie constituent de r e m a r q u a b l e s outils de connaissance. Cet ouvrage en fait la démonstration. Après un exposé des processus qui déterminent la température atmosphérique, les cycles de l’eau, des vents et des courant marins, et la répartition des neiges et des glaces, il tire les enseignements de l’étude des climats du passé d’où il ressort que la Terre a certes connu une alternance de glaciation et de réchauffement mais que la situation actuelle ne relève pas d’un phénomène naturel. Elle est due à l’impact des activités humaines sur l’effet de serre. Températures et précipitations en hausse, élévation du niveau des océans, recul des neiges et des glaciers, les conséquences sont d’ores et déjà sensibles et devraient beaucoup s’aggraver si des mesures drastiques, collectives mais individuelles aussi, ne sont prises sans tarder. Michel Felet

« Atlas de la menace climatique » de Frédéric Denhez, Michel Petit et Krystyna Mazoyer. Autrement, coll. Atlas/Monde, 80 p., 100 cartes, graphiques et illustrations, 15 euros

Des catastrophes naturelles ?

A n c i e n e x p e r t auprès du p r o gramme des N ations unies pour l’environnenent, François Ramade expose ici la genèse des c a t a s trophes naturelles et nous appelle à agir sur le mode de développement afin de limiter leur impact. Il ne manque pas de souligner leur corrélation avec le développement économique ou le sous-développement. Exemple : le phénomène El N ino résulte certes d’un changement cyclique dans le

Pacifique mais ses effets dévastateurs sont aggravés par le réchauffement climatique induit par les gaz à effet de serre. Exemple a contrario : les Californiens qui habitent sur la faille de San Andreas sont exposés à un important risque sismologique mais s’avèrent peu vulnérables car logés dans des édifices antisismiques et bénéficiant d’un réseau de détection performant et d’un efficace système d’aides et d’assurances. La fatalité attribuée à ces catastrophes fait écrire à François Ramade « … (qu’elle) constitue de nos jours une explication trop facile à la préoccupante croissance des désastres… » Et d’avertir : « Le réchauffement global présentera un effet profond et durable sur la biosphère… » A nous d’agir avant qu’il soit trop tard. Guy Léger

« Des catastrophes naturelles ? » de François Ramade. Dunod, 272 p., 25 euros.

La révolution de l’hydrogène

On ne pourra indéfiniment miser sur les combustibles fossiles. Ils sont épuisables, renchérissent, polluent, et les gaz à effet de serre qu’ils génèrent contribuent au réchauffement climatique. Il faut “décarboniser” nos économies. Le nucléaire est intéressant mais pose d’épineux problèmes, l’hydroélectricité comme le solaire et l’éolien ont leurs limites, et les biocarburants polluent. L’hydrogène serait-il “la” solution ? C’est l’élément chimique le plus simple et abondant, mais il n’existe que sous forme combinée, dans la matière organique vivante ou fossile et dans l’eau, et on ne peut le produire qu’à partir de ces substances. Il présente, en revanche, des avantages que l’auteur de cette brillante monographie énumère ainsi : les ressources en sont abondantes ; il complète d’autres solutions énergétiques ; on peut l’utiliser de multiples façons et il est stockable ; il équilibre énergie centralisée et énergie décentralisée ; enfin, il limite les pollutions sur le lieu d’utilisation. Des défis se présentent, toutefois : produire l’hydrogène en masse, à bon coût et proprement ; le stocker, le transporter et le distribuer en toute sécurité.

Sera-t-il bénéfique au plan environnemental ? Pour les véhicules, pas avant trente ans (à condition d’émaner de combustibles primaires non fossiles) et après de nombreux progrès. Pour les applications stationnaires, en revanche, ses avantages s’affirmeront beaucoup plus tôt. Une chose est sûre : cette énergie s’imposera tôt ou tard. Il faut à tout prix investir, dès à présent, dans “l’économiehydrogène” ! M. F.

« La révolution de l’hydrogène. Vers une énergie propre et performante ? » de Stephen Boucher. Editions Le Félin, coll. Echéances, 160 p., 10,90 euros.

Encyclopaedia Universalis

LU, VU, ENTENDU

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Les encyclopédies papier sont de plus en plus concurrencées par leur propre version multimédia. C’est évidemment le cas de la plus prestigieuse d’entre elles, l’Encyclopaedia Universalis. N ous avons testé sa toute nouvelle livraison avec nos lunettes de Naturellement . Le résultat est édifiant : aucun des grands thèmes écologiques ou environnementaux, actuels ou anciens, n’est omis. Qu’il s’agisse des catastrophes naturelles (éruptions volcaniques, tremblements de terre, raz de marée, glissements de terrain, inondations, etc.) ou industrielles (Bhopal, Tchernobyl, Seveso, amiante, Erika, etc), de la grippe aviaire, de la maladie de la vache folle, des OGM, de la couche d’ozone, du réchauffement climatique, de la surpopulation, de la déforestation, de la protection des milieux naturels et des paysages, de la préservation de la biodiversité, chacun des sujets est traité largement, avec rigueur et sans démagogie. M. F.

« Encyclopaedia Universalis ». Conseillé : PC Pentium III, 1 GHz, Windows XP ; MAC PowerPC G4, 800 MHz, MacOs x 3 et plus ; RAM 256 Mo (512 avec Atlas 3D) ; disque dur 7 Go ; lecteur DVD 4 x ; Internet haut-débit ; 139 euros.

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