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25e année - n° 93 / JUILLET 2007 - ISSN 0754-8826 - 4,00 €

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LE PROCES DE L’ERIKA

LES ENTOURLOUPES D’UN CARRIER


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Au cœur de l’été, les cascades du

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Hérisson [1], dans le Jura, rebondissent allègrement sur les strates de calcaire, alimentant en aval des lacs aux eaux turquoise. La situation est inhabituelle. D’ordinaire, le débit est très faible en cette saison. Un mois de juin très pluvieux a provisoirement fait oublier l’affaiblissement chronique du régime des précipitations. Dans les flots tourmentés de la rivière [2], le Cincle plongeur [3], ou Merle d’eau, plonge à la recherche des larves d’insectes dont il se nourrit. Cet oiseau sympathique est un témoin de la qualité de l’eau dans les torrents

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de montagne. Les larves de phryganes, ou porte-faix, base de son alimentation, ne survivent sous les pierres que dans une eau non polluée et bien oxygénée. Pas de larves, pas de Cincle ! Il faut alors vraiment s’inquiéter. Sur les vastes plateaux calcaires du Jura, l’eau s’infiltre dans les fissures de la roche, circule en profondeur dans d’immenses réseaux karstiques, générant des galeries souterraines, puis des grottes, dans lesquelles se formeront d’extraordinaires concrétions. Ressortant à l’air libre au pied du massif, l’eau jaillit en résurgence. La cascade de Baumeles-Messieurs [4] en est un merveilleux exemple. La rivière a contraint peu à peu le plateau à reculer, formant une extraordinaire encoche [5], qui

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entaille profondément le paysage. Les modifications climatiques enclenchées par les hommes menacent à coup sûr les cycles naturels, en particulier le cycle de l’eau, source de toute vie et sculpteur de nos magnifiques paysages. Georges Feterman


ÉDITORIAL

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68 propositions pour un développement durable, solidaire et souhaité

L

e Grenelle de l’environnement en préparation est à la fois le résultat d’une pression de l’opinion, une tentative de récupération des thèmes à présent plus familiers du développement durable et un coup de chapeau à un événement bien particulier de notre histoire. Pour cette initiative, le MNLE s'inscrit dans une perspective de négociations, sans illusion ni a priori. Pour ce faire, nous avançons 68 propositions (1). Elles sont destinées à l’intelligence collective et individuelle en souhaitant qu’elles soient enrichies par le débat. Elles sont volontairement positives. Prenons un exemple. On n’y trouve ni condamnation explicite des OGM ni demande de moratoire. N ous sommes pourtant partisans de l’interdiction de la culture en plein champ des plantes génétiquement modifiées (PGM). Mais ce sont les pratiques agricoles intensives qu’il faut transformer. N os propositions pour une agriculture paysanne écologiquement intensive vont au-delà de l’interdiction des PGM. On pourra également remarquer que la fiscalité écologique n’y joue pas un rôle majeur. Le levier financier, notamment la règle du pollueur – payeur, vise à renchérir l’offre pour la rendre moins attractive. Elle a deux conséquences : le creusement des inégalités qui est incompatible avec l’objectif essentiel d’équité d’une part, le développement d’un écolo-marketing d’autre part, qui surfe sur la revendication environnementale et lui donne souvent des réponses inadéquates. La fiscalité écologique peut avoir un intérêt si elle permet de réorienter la demande vers des offres alternatives préventives et équitables. Encore faut-il les construire ! La collectivité dans son ensemble devra donner une priorité absolue aux mesures préventives qui permettent de minorer à terme les coûts sociaux dus aux dégradations de l’environnement et de la santé. Les mesures curatives visant à faire face aux problèmes les plus immédiats doivent être prises de manière cohérente avec les premières. Pour le volet énergie, le respect de l’objectif du facteur 4 – c'est-à-dire la division par quatre de la consommation des énergies fossiles – est essentiel. L’ensemble ou presque des mesures proposées doit y concourir. L’autre objectif majeur est celui du codéveloppement, c'est-à-dire donner aux 9 milliards d’êtres humains le droit à l’accès à l’énergie sans

mettre le climat en surchauffe. Outre les mesures d’économie, le recours à toutes les énergies renouvelables et à l’énergie nucléaire est incontournable. L’évolution vers un habitat plus sain pour ses occupants, économe en énergie et en eau, s’inscrivant dans une démarche respectueuse de l’environnement est une tendance irréversible. L’habitat durable doit être un enjeu de société où la place du citoyen doit être affirmée. L’ampleur des transformations sociales et économiques à mettre en œuvre, et surtout leur rythme, sont inédits dans l’histoire de l’humanité. La situation l’exige. Si nous avons besoin de beaucoup de technologies nouvelles, propres et économes, gardons-nous de l’idée qu’elles suffiront pour atteindre les objectifs. Gardons-nous également de l’idée que le moteur des transformations peut s’affranchir de la dynamique des choix individuels et se limiter à des options uniquement économiques. Il faut créer une industrie du développement durable. Mais elle ne pourra répondre aux besoins que si la société est capable de les exprimer clairement et de définir du même coup les conditions dans lesquelles ils peuvent être satisfaits. Dans un tel contexte, il faut affirmer le rôle essentiel de la démocratie représentative et participative. Il existe une nécessité impérieuse de rénovation des politiques de service public, du rôle des services publics dans la définition et la mise en œuvre des innovations techniques et sociales. Des besoins de financement se poseront. C’est la responsabilité des institutions politiques d’affecter les moyens nécessaires. L’autorité législative, voire réglementaire, est détenue par les institutions européennes pour les compétences déléguées. N ous devons en tenir compte dans le cadre du principe de subsidiarité. La cohérence de nombreuses mesures ne peut d’ailleurs être trouvée que dans le cadre européen. Mais l’enjeu des politiques est souvent planétaire. N ous devons donc faire converger la diversité des actions locales dans des dynamiques européennes et mondiales. Pour y répondre concrètement, le MNLE propose la création de Maisons de la solidarité pour mettre en œuvre des synergies créatrices d’action, de sens et de lien. François Cosserat Président du MNLE (1)

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Les 68 propositions sont consultables sur le site www.mnle.org


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Protéger et partager les ressources en eau

.........pp. 6 à 21

Introduction .........................................................................................p6 Appel du MNLE ....................................................................................p6 Quelles pluies ferons-nous ?..............................................................p7 Nouvelle Loi sur l’eau : quels enjeux pour le service public ? ....p10 Pollutions et usages de l’eau ..........................................................p13 Les agences de l’eau : un outil de politique nationale ................p15 Pour un pôle public de l’eau ............................................................p17 Schémas des eaux : l’exemple de La Sensée .................................p19 L’association Eau : au service d’une gestion publique ...............p21

Energie page 22 N om : ........................................................ Prénom : ................................................... Adresse : ...................................................

Erika Carrière

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Mardyck

................................................................... ................................................................... CP : .............. Ville : ................................... Tél. : .......................... Port. : .................... Courriel : ...................................................

JE M’ABONNE page 24

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Ont collaboré à la rédaction de ce numéro : Jean-Claude Cheinet, François Cosserat, Michel Felet, Georges Feterman, Jean-Yves Guézénec, Marc Laimé, Pierre Le Berche, Guy Léger, Christian Muys, Michel Partage, Sandra Pasero, Christian Pellicani, Fabrice Thiébaut. Photos: Georges Feterman, Zouhaïr Nakara, Michel Felet, Image temple.

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SOMMAIRE

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Dossier

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DOSSIER

Protéger et partager les ressources en eau L’ eau est au cœur de toutes les conférences internationales, mais les solutions pour protéger la ressource en eau ne sont pas forcément au rendezvous. Depuis le deuxième sommet mondial de la Terre à Johannesburg, l’ensemble des pouvoirs publics et des Etats reste dans l’incantatoire en ce qui concerne le climat, la lutte contre les gaz à effet de serre et l’eau. N otre association organise, fin août 2007, sa 12 e université d’été à Sailly-Lez-Cambrai (département du N ord) sur les questions de l’eau. Dans le dossier de ce numéro de

Naturellement, vous trouverez différentes approches des problématiques liées à la ressource en eau et à sa gestion : le changement climatique et ses conséquences sur l’état futur des ressources en eau, la loi sur l’eau et les milieux aquatiques de décembre 2006, les usages de l’eau et les pollutions, les actions de l’agence de l’eau ArtoisPicardie en matière de pollution, le pôle public de l’eau et le SAGE de la Sensée. Pour le MN LE, la construction d’un pôle public de l’eau nous a amenés à devenir membre fondateur de l’association Eau, créée à l’initiative de la Fondation

Danielle Mitterrand, dans le prolongement de l’appel de Varages(1). N otre Appel pour un pôle public de l’eau invite l’ensemble des acteurs à agir pour la protection de la ressource en eau, de la source au robinet. N ous restons convaincus que le citoyen doit gagner sa place dans la gestion de l’eau en France, et ailleurs, si nous voulons la sortir du secteur marchand et la rendre accessible à tous. Christian Pellicani Secrétaire national du MNLE

Pour en savoir plus : http://www.varages.fr/appel.asp

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Appel du MNLE

Un service public de l’eau pour un développement durable et solidaire

L

’eau est un bien commun, absolument nécessaire à la vie. Le droit fondamental à une eau saine et suffisamment abondante doit être reconnu pour tous. La production d’eau potable et l’épuration des eaux usées sont sous la responsabilité des communes, la protection des ressources sous celle des agences de l’eau. Et pourtant dans de nombreuses régions, la qualité des ressources souterraines et superficielles se dégrade. De nombreuses zones humides ont disparu sous une pression foncière d’origine urbaine, agricole et industrielle. La capacité autoépuratrice des milieux naturels et notamment des sols, a été affaiblie. La qualité biologique de nombreux cours d’eau laisse trop souvent à désirer. Des restrictions dans l’accès aux ressources sont de plus en plus fréquentes. Le coût de l’eau potable

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a augmenté fortement. La tendance haussière ne peut que s’accentuer sous l’effet de détériorations qualitatives et quantitatives de réserves et de l’abandon de la gestion du service public de l’eau au privé. Au niveau international, des milliards de personnes n’ont pas accès à de l’eau saine et suffisamment abondante. Le changement climatique, l’affaiblissement des structures paysannes, la pression démographique, créent des situations de plus en plus dramatiques. L’accès à l’eau génère tension et violence. Au niveau français et européen, l’évolution de la réglementation et de son application se heurte à des obstacles objectifs qui ne seront plus seulement dépassés avec un surcroît de mesures législatives et réglementaires. Il faut d’une part se donner les moyens de généraliser un haut niveau de

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qualité dans le traitement des rejets et notamment en milieu rural. Il faut d’autre part modifier à la source les impacts des activités humaines, faire preuve de transparence et de discernement dans la mise en valeur des ressources qui doit respecter les écosystèmes. L’étang de Berre est à ce point de vue emblématique. Il est l’exemple même des limites imposées par un type de mise en valeur des ressources qui ne tient compte ni de l’écosystème, ni du long terme. Le service public de l’eau doit volontairement prendre en compte une gestion préventive des ressources en eau. C’est d’ailleurs la meilleure voie pour produire une eau potable en quantité suffisante dont le prix doit être le reflet de l'expression du droit à l'accès et de la satisfaction des besoins. L’efficacité passe par la mise en


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œuvre d’une démocratie participative non seulement souhaitée mais reconnue, indispensable pour modifier nos comportements individuels et collectifs. La commune est proche des utilisations quotidiennes de l’eau. Le bassin versant permet de poser la problématique des ressources de manière cohérente. Le premier objectif est d’établir un état des lieux aussi précis que possible, des ressources, des milieux humides, des rejets ; de recenser les acteurs, les reconnaître et les associer à la définition des solutions et à leur application ; de rendre l’information disponible pour un large public. Les Schémas d’Aménagement et de Gestion des Eaux (SAGE) peuvent accueillir ces actions. Le rapport annuel du maire doit aborder tous ces aspects et tenir l’information à jour. A Varages (Var), des élus locaux ont lancé un appel pour« mutualiser les expériences, créer les outils pour s’engager ou accompagner ceux et celles qui souhaitent le retour à une gestion publique et transparente de l’eau » . Le MN LE s’associe à ces objectifs et contribuera, avec ses comités locaux, à leur donner un contenu préventif pour produire et consommer autrement. Il souhaite que cette mutualisation débouche sur la construction d'un pôle public de l'eau. Il permettrait d'associer une puissante démocratie participative, les savoir faire des agricultures paysannes, les entreprises à une innovation technique et sociétale nécessaire pour mettre en oeuvre des solutions socialement et environnementalement acceptables. La disponibilité des ressources en eau de qualité, suffisamment abondantes, est une des conditions indispensables pour un développement durable. Il est urgent que la coopération internationale se renforce. C’est sans doute un des rôles du service public que de la favoriser et lui donner une réelle efficacité.

Source : MIES

Quelles pluies ferons-nous ? Comment prévoir l’état futur des ressources en eau dans un contexte de changement climatique ? L’augmentation moyenne des températures va sans aucun doute augmenter la teneur de l’atmosphère en vapeur d’eau. Mais comment la pluviométrie va-t-elle être modifiée ? Les dernières sessions du Groupe international d’études sur le climat (GIEC) se sont penchées sur ces questions.

L

e groupe 1 a fait le bilan des études sur les prévisions des changements climatiques. Le schéma ci-dessus donne une synthèse d’études sur la variation des précipitations dans le cadre d’un scénario A1B (1). Les informations sont complexes. On y remarque des zones en couleur dont la légende est donnée, chaque zone pouvant être ou non grisée en pointillés. On y constate également des zones blanches. Elles correspondent à une moins bonne convergence des études des climatologues. Les pointillés indiquent par contre un très bon accord. La planche de gauche correspond à une situation hivernale pour l’hémisphère nord, celle de droite à l’été. On constate que globalement la France serait plus arrosée en hiver et beaucoup moins en été. La partie nord de la France est en grisé pour son état hivernal: la probabilité d’hiver pluvieux est forte. Le sud devrait connaître des étés secs. Les événements extrêmes (inondation et canicule) seraient plus nombreux.

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Il n’y a plus de doute aujourd’hui, les activités humaines perturbent le climat. Mais l’impact peut être plus ou moins grand. Il dépend de nombreux paramètres : sociaux, technologiques, sociétaux, en d’autres termes des rapports que l’humanité crée et créera entre l’économie et le politique.

Le scénario A1B

Le scénario A1B décrit un monde futur dans lequel la croissance économique sera très rapide. La population mondiale atteint un maximum au milieu du siècle pour décliner ensuite. De nouvelles technologies sont introduites rapidement. Il y a une convergence forte entre les différentes régions du globe et une réduction substantielle des écarts des revenus moyens. La variante B1 met l’accent sur un équilibre entre différentes sources d’énergie et une amélioration des utilisations finales. Le scénario A1B décrit donc une évolution du monde proche de ce que nous vivons en ce moment. La technologie est

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DR

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une dimension essentielle des réponses. Le scénario n’inclut pas de mesures mondiales contraignantes en faveur d’une réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Le GIEC et ses modèles Les scientifiques du GIEC ont mis en œuvre de manière indépendante plusieurs modélisations pour un même scénario. Un modèle décrit une évolution possible des échanges entre l’atmosphère et les océans. Les différents modèles ne convergent pas tous. Subsiste donc une incertitude globale qui sera réduite dans les prochaines années grâce au développement des moyens mis en œuvre et à l’expérience accumulée. La dispersion des résultats ne peut pas être inter-

prétée comme une dégradation de la qualité de la prévision. 90% des modèles convergent dans les zones grisées. La probabilité de l’évolution est alors forte. Mais attention, le scénario A1B ne reflète qu’une évolution possible

des précipitations. L’incertitude scientifique ne doit pas faire oublier que les modifications climatiques dépendent avant tout de l’évolution des activités humaines. Le GIEC étudie cinq familles de scénarios avec de

Les précisions du G EUROPE Globalement négatif

« Presque toutes les régions d’Europe seront affectées négativement par les conséquences futures des changements climatiques et celles-ci représenteront des défis pour beaucoup de secteurs économiques. On s’attend à ce que les changements climatiques amplifient les différences entre régions d’Europe en ce qui concerne les biens et les ressources naturelles. Les impacts négatifs incluront l’augmentation des risques d’inondation éclair dans l’intérieur des terres, des inondations côtières plus fréquentes, une augmentation de l’érosion (due aux tempêtes et à l’élévation du niveau de la mer). La grande majorité des organismes et écosystèmes aura des difficultés à s’adapter aux changements climatiques. Les régions montagneuses seront confrontées au retrait des glaciers, à une réduction de la couverture nei-

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geuse et du tourisme hivernal et à des extinctions d’espèces étendues. En Europe du sud, les changements climatiques devraient réduire la disponibilité en eau, le potentiel hydroélectrique, le tourisme estival et en règle générale, la productivité des cultures. En Europe centrale et orientale, les projections montrent une diminution des précipitations en été, avec une augmentation du stress hydrique. On s’attend à un déclin de la productivité forestière et à une augmentation de la fréquence des feux de tourbières. En Europe du nord, les projections montrent des effets mitigés ».

tions des surfaces propres à l’agriculture, de la longueur des périodes de végétation et du potentiel de production en marge des zones semi-arides et arides. Dans certains pays, les rendements des zones non irriguées pourraient être réduits de plus de 50 %. De nouvelles études confirment que l’Afrique est un des continents les plus vulnérables. Une certaine adaptation à la variabilité climatique a lieu, cependant elle peut être insuffisante pour les changements climatiques futurs ».

AFRIQUE Des risques sévères mais rien n’est perdu si…

« Les projections amènent au remplacement progressif de la forêt tropicale par la savane en Amazonie orientale. La végétation semi-aride tendra à être remplacée par une végétation de terre aride. Il y a un risque de perte significative de biodiversité

« A l’échéance 2020, les projections indiquent que 75 à 250 millions de personnes seront exposées à une augmentation du stress hydrique. On s’attend à des réduc-

AMÉRIQUE LATINE Sombres perspectives


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nombreuses variantes. Comment s’y retrouver ?

Projections « D’ici 2050, les projections de débit moyen annuel des rivières et la disponibilité en eau montrent une augmentation de 10 à 40 % aux hautes latitudes et dans certaines zones tropicales humides, une diminution de 10 à 30% dans certaines régions sèches des latitudes moyennes et tropicales arides dont certaines sont actuellement en manque d’eau. Les surfaces touchées par la sécheresse vont probablement s’étendre. Les événements de fortes précipita-

tions, dont la fréquence augmentera très probablement, augmenteront les risques d’inondation »(2). Il n’y a donc pas de quoi se réjouir. Outre la question de l’eau potable, se poseront de manière accrue les questions des ressources en eau pour l’agriculture dans un contexte de forte augmentation de la demande de denrées alimentaires (3) d’une part, la protection des biens contre les inondations et précipitations pluviométriques violentes dans un contexte d’augmentation du niveau des océans (4) d’autre part. Tout laisse à penser que l’évolution de la pluviométrie et des res-

sources en eau douce serait un facteur aggravant les inégalités sociales et géographiques. Il est nécessaire de passer d’une logique d’eau “marchandise” où le marché et une bonne gouvernance devraient régler l’accès à l’eau potable, à une solidarité internationale active où les ressources en eau sont équitablement réparties et permettent un développement de l’agriculture. Ce que ne fait pas le Fonds mondial d’investissement. Ce que ne recherche pas l’Organisation mondiale du commerce. François Cosserat

Le scénario A1B prévoit une augmentation de la température de 2,8 °C à la fin du siècle. Ce n’est pas le pire. GIEC groupe 1 et 2, site de la Mission interministérielle sur l’effet de serre. (3) Le doublement de la production mondiale est à prévoir. (4) La moitié de l’humanité habite à moins de 50 kilomètres des côtes. (1) (2)

sions du GIEC par extinction d'espèces dans des régions de l'Amérique latine tropicale. Dans les régions sèches, les changements climatiques devraient mener à la salinisation et à la désertification de surfaces agricoles. Dans les zones tempérées, on s’attend à l’augmentation de rendement des cultures de soja. Les projections indiquent que les modifications dans la répartition des précipitations et la disparition des glaciers affecteront significativement la disponibilité de l’eau pour la consommation humaine, l’agriculture et la production d’énergie ».

bilité importante entre les régions. On s’attend à des difficultés importantes pour les cultures qui sont proches de l’extrémité chaude de la gamme qu’elles tolèrent ou qui dépendent de ressources en eau très utilisées. L’Amérique du N ord devrait connaître des dommages locaux sévères et des ruptures des écosystèmes, des systèmes sociaux et culturels à cause des événements météorologiques extrêmes, comme les cyclones, des tempêtes sévères, des inondations, des sécheresses, des vagues de chaleur et des feux de forêts ».

AMÉRIQUE DU NORD Des événements extrêmes à craindre

ASIE La durabilité du développement en question

« Pendant les premières décennies du siècle, la projection montre une augmentation des rendements des cultures non irriguées de 5 à 20 %, mais avec une varia-

« La disponibilité d’eau douce en Asie centrale, du sud, de l’est, et du sud-ouest est décroissante dans les projections à cause des

…LES RESSOURCES EN EAU

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changements climatiques qui, avec la croissance de la population et l’accroissement de la demande par un niveau de vie plus élevé, pourraient affecter défavorablement plus d’un milliard de personnes dans les années 2050. Les projections indiquent que les rendements des cultures pourraient augmenter jusqu’à 20 % dans l’est et le sud-ouest alors qu’elles pourraient décroître jusqu’à 30 % en Asie centrale et du sud, d’ici à la moitié du XXIe siècle. Dans l’ensemble et en considérant l’influence de la croissance rapide de la population et de l’urbanisation, on prévoit que le risque de famine reste très élevé dans plusieurs pays en développement. Selon les projections, les changements climatiques vont gêner le développement durable de la plupart des régions en développement d’Asie ».

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Nouvelle loi sur l’eau

Quels enjeux pour le service public ?

La nouvelle loi sur l’eau et les milieux aquatiques modifie le cadre réglementaire dans lequel les collectivités exercent leurs compétences en matière d’eau et d’assainissement. Si les 102 articles de la loi et la soixantaine de textes d’application attendus recouvrent tous les aspects de la gestion de l’eau, ils encadrent aussi beaucoup plus précisément que par le passé les missions de service public exercées par les collectivités locales.

L

a nouvelle Loi sur l’eau et les milieux aquatiques (LEMA) du 30 décembre 2006 doit permettre à la France de remplir ses obligations communautaires, et notamment celles découlant de la transcription de la directivecadre du 23 octobre 2000 qui vise à permettre d’atteindre « un bon état écologique et chimique de toutes les masses d’eau » à l’horizon 2015. Elle constitutionnalise les redevances des agences de l’eau, désormais au nombre de sept, dont l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement seront fixés par le législateur, et réorganise les compétences et le financement des agences de l’eau. Elle prévoit ainsi la création d’un Office national de l’eau et des milieux aquatiques (ONEMA), aux pouvoirs renforcés par rapport à ceux du Conseil supérieur de la pêche, qu’il remplace.

auparavant, le service d’eau potable est explicitement désigné comme une compétence communale et devient obligatoire pour la partie « distribution », la production, le transport et le stockage demeurant facultatifs. Les communes et leurs groupements déterminent librement les zones desservies par le réseau de distribution et devront arrêter un schéma directeur, obligation qui ne prévalait jusqu’alors que pour l’assainissement collectif et non collectif. L’obligation de desserte ne visera donc pas les usagers extérieurs à ces périmètres. Le service d’assainissement est désormais défini en termes de service rendu et non plus à partir d’une simple liste de dépenses. Il

L’assistance technique L’article 73 de la loi et son décret d’application ont malheureuse-

«(…) atteindre un bon état écologique et chimique de toutes les masses d’eau.»

Le droit à l’eau

L’article 1 de la loi institue un « droit à l’eau » dont la mise en œuvre suscite nombre d’interrogations. Il prévoit en effet que « dans le cadre des lois et règlements, ainsi que des droits antérieurement établis, l’usage de l’eau appartient à tous, et chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d’accéder à l’eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous ». Formulation par trop floue. Alors que ce n’était pas le cas

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est doté de nouveaux moyens. Le service de l’assainissement collectif comporte dorénavant explicitement le contrôle des branchements individuels et, à titre facultatif, leur mise en conformité. Les agents du service sont donc autorisés à pénétrer dans les domaines privés. La collectivité pourra aussi fixer des prescriptions techniques pour la réalisation des raccordements au réseau d’assainissement et de collecte des eaux pluviales. Mesure qui s’applique tant à la partie privative qu’à la partie publique du branchement.

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masses d’eau.»

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ment remis en cause les conditions d’intervention des SATESE (Service d’assistance technique et d’étude aux stations d’épuration) qui apportaient une assistance précieuse aux services d’assainissement, surtout dans le monde rural. Ces interventions, auparavant gratuites, cofinancées par les conseils généraux et les agences de l’eau, devront désormais faire l’objet d’appels d’offres afin de permettre l’intervention de bureaux d’études privés. Ces dispositions, vivement critiquées, risquent d’entraîner une perte de connaissances et d’efficacité très préjudiciable, à l’heure où la France doit redoubler d’efforts pour remplir ses obligations communautaires. Le service de l’Assainissement non collectif (AN C) est réalisé par les communes et son champ d’intervention a été élargi afin qu’il puisse couvrir toutes les prestations possibles, de la réalisation des installations au traitement des matières de vidange. Il comporte des missions obligatoires et facultatives. Obligatoire, la mission de contrôle, qui correspond à une vérification de la conception et de l’exécution pour les installations réalisées ou réhabilitées depuis moins de huit ans. Ainsi qu’un diagnostic de bon fonctionnement et d’entretien pour les autres. Audelà, les communes peuvent, si elles le souhaitent et à la

demande des propriétaires, assurer l’entretien, les travaux de réalisation et de réhabilitation des installations, ainsi que le traitement des matières de vidange. L’entretien, la vidange et le contrôle de conformité des installations sont réalisés par des personnes agréées, les modalités d’agrément étant fixées par arrêté ministériel. Ce sont les communes qui déterminent les dates et les fréquences des contrôles. Ils devront être réalisés au plus tard le 31 décembre 2012 et doivent intervenir au minimum tous les huit ans. En cas de non conformité, le propriétaire devra faire procéder aux travaux prescrits dans un délai de quatre ans. Enfin, un avis de conformité sera délivré par la collectivité. A compter du 1 er janvier 2013, il sera contenu dans le dossier technique remis à l’acquéreur d’un immeuble à usage d’habitation.

Le financement La loi a adopté, après d’intenses discussions, le principe d’une taxe nouvelle pour la collecte, le transport, le stockage et le traitement des eaux pluviales, comblant un vide juridique qui ne pouvait perdurer. Facultative, elle concernera surtout les grandes agglomérations confrontées à des inondations. Sa mise en œuvre s’annonce complexe en raison d’un dispositif alambiqué d’abattements et d’exonérations. Sans compter que le législateur a, par ailleurs, retenu le principe d’un crédit d’impôt en faveur de l’installation de dispositifs de récupération des eaux pluviales entre le 1 er janvier 2007 et le 31 décembre 2009. La loi a également créé un fonds de garantie des risques liés à l’épandage des boues d’épuration afin de pérenniser la filière agricole d’évacuation des boues. Agriculteurs et propriétaires disposeront désormais d’une garantie d’indemnisation en cas de dommages non couverts par les assurances obligatoires des producteurs de boues. Ce sont ces derniers qui devront s’acquitter d’une taxe annuelle assise sur la

quantité de matière sèche de boues produites dont la valeur, fixée par décret, est plafonnée à 0,50 €uro.

La tarification

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Elle fait l’objet d’une refonte importante. L’eau demeure facturée au tarif applicable à la catégorie d’usagers correspondante. Seuls les services d’incendie pourront continuer à être fournis gratuitement, les autres services des collectivités devront la payer. La tarification est effectuée en fonction du volume consommé, sauf en cas de ressource abondante et d’un nombre limité d’usagers raccordés. Contrairement à ce que souhaitaient les associations d’usagers, il demeure possible d’instituer une part fixe, dont le plafond a été fixé par décret, et qui va considérablement pénaliser les petits consommateurs. Pour inciter aux économies, les collectivités pourront appliquer un tarif progressif. Mais une tarification dégressive demeure possible, à condition que plus de 70 % du prélèvement ne fasse pas l’objet d’une règle de répartition des eaux. La facture devra enfin faire apparaître le prix du litre d’eau et non du seul m3, une décision qui reflète les tensions apparues entre distributeurs et embouteilleurs qui se livrent à une violente bataille d’image. Toutes ces mesures devront être appliquées au plus tard le 1 er janvier 2010. La loi offre enfin la possibilité d’une tarification différenciée pour les communes touristiques, auxquelles le plafonnement de la part fixe ne s’appliquera pas, et qui pourront pratiquer des tarifs distincts selon les périodes de l’année. En habitat collectif, il sera maintenant possible d’appliquer un barème progressif ou dégressif tenant compte du nombre de logements. Les collectivités ont désormais la possibilité de voter un budget annexe en excédent sur leur section d’investissement, ce qui facilitera la programmation pluriannuelle des travaux. Par ailleurs, les communes de moins de 3 000

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habitants et les EPCI (Etablissement public de coopération intercommunale) dont aucune commune membre n’excède 3 000 habitants peuvent établir un budget unique des services d’AEP (Approvisionnement en eau potable) et d’assainissement. De plus, les collectivités auront désormais la faculté d’appliquer une redevance d’occupation du domaine public aux opérateurs d’eau.

La gouvernance

La loi renforce la place de l’intercommunalité dans la gestion de l’eau. L’assainissement devient la 6e compétence optionnelle des communautés de communes, ce qui leur permettra de bénéficier de la dotation d’intercommunalité bonifiée si elles exercent quatre compétences sur sept, dont celle d’assainissement. L’autorisation de déversement des eaux usées non domestiques ne peut dorénavant être accordée qu’après avis des collectivités intervenant en aval dans la col-

lecte, le transport, l’épuration des eaux usées et l’élimination des boues. La loi valide par ailleurs les adhésions de syndicats mixtes à un autre syndicat mixte pour les services publics dits environnementaux. En outre, un syndicat mixte peut désormais constituer un EPTB (Etablissement public territorial de bassin), avancée intéressante dans la perspective de la révision des SDAGE (Schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux), qui doit intervenir en 2009. En matière d’organisation, le règlement de service devra désormais être soumis pour avis à la Commission de consultation des services publics locaux (CCSPL), ce qui pourrait en multiplier le nombre, encore insuffisant. En outre, les EPCI de 20 000 à 50 000 habitants pourront aussi créer une CCSPL. A dater du 1 er janvier 2009, tous les rapports d’activité annuels devront comporter en annexe des indicateurs de performance standardisés dont la production et les comparaisons qu’elle autorisera

sont censés améliorer la transparence et promouvoir les bonnes pratiques. On peut s’interroger sur la capacité des petites collectivités à faire face à cette nouvelle obligation, qui ne saurait dissimuler l’une des failles de la LEMA : elle n’a toujours pas institué une forte régulation publique du secteur. Les fermiers devront établir un programme pluriannuel de travaux, annexé au contrat, retraçant les prévisions de dépenses de renouvellement et de grosses réparations à leur charge. Dix-huit mois avant la fin du contrat, le délégataire devra transmettre les supports techniques nécessaires à la facturation et les plans des réseaux. Marc Laimé*, Journaliste * Marc Laimé est auteur de l’ouvrage : « Le dossier de l’eau – Pénurie, pollution, corruption. » Editions Le Seuil. Présenté dans le n°76 de Naturellement Pour une analyse critique de l’évolution des politiques publiques de l’eau et de l’assainissement : http://www.eauxglacees.com

A LIRE

Atlas mondial de l’eau « Une pénurie annoncée ». Le soustitre de cet atlas précise son objet : faire prendre conscience de l’importance cruciale de l’eau dans le monde, des dangers que nourrissent son inégale répartition et la pénurie qui menace ou afflige certaines régions. Jamais l’or bleu n’a été aussi vital. Comme le souligne Klaus Töpfer, le directeur exécutif du Programme des N ations unies pour l’environnement, cité dans l’ouvrage, « pour la plupart des nations, le développement économique est inextricablement lié à la disponibilité et à la qualité des ressources en eau douce. » Et, par contrecoup, la santé de la population et l’état général de l’environnement. Après un exposé de l’état des ressources mondiales en eau, de l’évolution dans le temps des régimes hydrologiques et des conséquences des activités humaines et de la démographie croissante sur la qualité de l’eau et la biodiversité, les auteurs abordent les divers aspects de la gestion de l’eau (prélèvements et consommation) et nous décrivent quelques cas-types critiques : le conflit juridique entre les Etats riverains

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de la mer Caspienne, le désastre économique et écologique de la mer d’Aral, l’assèchement du lac Tchad. Ils mettent l’accent sur l’urgente nécessité qu’il y a à promouvoir partout dans le monde le « droit à l’eau potable pour tous ». Il importe, en effet, que cette ressource soit gérée dans un esprit de solidarité entre les peuples et dans le respect des principes du développement durable. Les conséquences d’ores et déjà sensibles du réchauffement climatique sont évidemment évoquées. Tout un cahier, enfin, est consacré à l’eau en France. Il s’agit ici d’un atlas, aussi les informations et démonstrations sontelles adossées à des dizaines de cartes et de graphiques. Un ouvrage que tout honnête homme, comme on disait au siècle des Lumières, se devrait de consulter. Michel Felet « Atlas mondial de l’eau», ouvrage collectif dirigé par Dalif Diop et Philippe Rekacewicz. Autrement, collection Atlas/Monde, 71 p., 100 cartes et graphiques. 15 €.


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Pollutions et

usages de l’eau Comme on le constatera ici, l’eau s’écoulera longtemps encore sous les ponts avant qu’économie rime enfin avec écologie. Les impératifs liés à l’eau sont en effet trop souvent ignorés, négligés, voire méprisés…

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es eaux usées se répartissent en trois grandes catégories : les eaux usées domestiques, les eaux usées industrielles et les eaux pluviales. Les eaux usées domestiques proviennent des différents usages domestiques de l’eau. Elles sont donc composées des eaux ménagères (salles de bain, cuisines contenant des détergents, graisses, solvants et débris organiques) et les eaux “vannes” (provenant des toilettes) chargées de diverses matières organiques azotées et de germes fécaux. Les eaux usées industrielles possèdent des caractéristiques qui varient d’une industrie à l’autre et peuvent contenir de la matière organique, azotée ou phosphorée, mais aussi des produits toxiques, des métaux lourds, des micro-polluants organiques et des hydrocarbures. Les eaux pluviales peuvent être à l’origine de pollutions importantes des cours d’eau, notamment pendant les périodes orageuses. L’eau de pluie se charge d’impuretés au contact de l’air (fumées industrielles), puis, en ruisselant, de résidus déposés sur les toits et les chaussées des villes (huiles de vidange, carburants, résidus de pneus, métaux lourds…). Dans le système d’assainissement “unitaire”, les eaux pluviales sont mêlées aux eaux usées domestiques. En cas de fortes précipitations, la préservation des installations d’épuration peut imposer un déversement des eaux très polluées dans le milieu naturel… L’industrie a besoin d’eau pour des tâches industrielles multiples et variées. Compte tenu de ses propriétés physiques et chi-

miques, l’industrie l’utilise comme solvant, fluide thermique ou simplement comme liquide facile à manipuler. Ces propriétés expliquent pourquoi l’eau est impliquée dans la plupart des fabrications industrielles. Elle permet d’assurer de nombreuses fonctions ou opérations comme le lavage d’objets, de canalisations, de sols d’ateliers, le chauffage ou le refroidissement d’objets, de milieux liquides ou gazeux, la réalisation de réactions chimiques minérales et organiques qui se déroulent en milieu aqueux, etc. L’utilisation massive d’eau dans divers domaines a conduit à polluer les cours d’eau et les nappes, et à la dégradation écologique des milieux récepteurs. Depuis quelques années, les services de l’Etat (Drire, etc.), les collectivités entre autres, mettent en place des Conventions spéciales de déversement (CSD) en autorisant et contrôlant, avant rejet, les flux de pollutions dans les réseaux ou dans le milieu naturel. Des industriels ont mis en place des prétraitements avant rejet pour retenir la pollution en amont.

Des risques sanitaires Les pollutions des sols constituent une menace pour les ressources en eau (l’héritage du passé étant lourd). Le sol de nombreux sites industriels en activité contient des quantités importantes de polluants. La migration de ces substances dans le sous-sol jusqu’à la nappe phréatique contamine l’eau, met en péril les forages de captage de cette eau et représente une réelle menace pour les ressources en eau.

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La prise en compte d’un développement durable, la diminution des pollutions, la prévention dans la gestion de la ressource, les économies de l’eau, son prix et son traitement… contribuent à mettre en place un nouveau mode de gestion des eaux pour les industriels. Les moyens et les techniques évoluent aussi vis-à-vis des risques sanitaires, à l’exemple de certaines installations affectées à la recherche de solutions alternatives ; ou encore du risque de légionellose dû aux tours aéroréfrigérantes et à leur panache de vapeur d’eau facilement dispersable qui sont remplacées par des installations de réfrigération à fluide qui évitent le recours à l’eau et diminuent les risques de contamination de l’air.

Un chantier prioritaire

Le chantier prioritaire des quinze prochaines années devient la lutte contre les rejets de polluants toxiques à long terme, facteur limitant au “bon état écologique“ requis par la Directive cadre sur l’Eau à atteindre à l’horizon 2015. L’industrie se retrouve certes en première ligne dans cette lutte contre la pollution toxique, mais il est clair que celle-ci implique également les activités économiques artisanales, agricoles et les sites pollués hérités du passé. La prise de conscience de la nécessité de mettre en place des actions de maîtrise et de réduction des substances toxiques des établissements industriels a des conséquences sur les procédés de fabrication, sur le traitement des eaux résiduaires. Les motivations de ces actions peuvent être le produit

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limite de 20 tonnes/an. Les changements de comportements liés à l’environnement font partie des éléments qui permettent d’apprécier la valeur d’un établissement industriel dans son ensemble, non seulement en terme d’image de marque, d’impact commercial, mais aussi de prise de conscience des impératifs écologiques. La mise en œuvre des normes environnementales, telles que ISO 14 000 et EMAS, contribue à une stratégie de démarche de progrès continu basée sur des cycles successifs d’état des lieux, de programme de progrès, de réalisation d’actions.

d’une évolution réglementaire globale ou le résultat d’une politique volontariste (image de la société, management environnemental). La modification des procédés peut impliquer un changement dans les produits finis, dans les produits mis en œuvre ou dans les sous-produits…

Vers un développement durable La bio-accumulation de substances toxiques (métaux lourds, molécules organiques de phytosanitaires, solvants, dérivés halogénés, etc.) dans l’organisme et leur impact sur la santé sont enfin reconnus : destruction du système nerveux pour le mercure, apparition d’allergies pour le nickel, cancers pour le chrome hexavalent et les hydrocarbures aromatiques polycycliques, troubles de la reproduction pour certains métaux lourds et autres effets physiologiques qui ont pour conséquence la disparition d’espèces. Les agences de l’eau contribuent à la gestion des déchets toxiques par des aides pour les petits producteurs (PMEPMI, commerçants, artisans, collectivités…) de déchets dangereux en quantités dispersées, susceptibles de polluer d’eau dans la

Les techniques propres : un enjeu vital Elles constituent la véritable solution aux problèmes de pollution industrielle de l’eau. Produire sans eau, sans pollution et sans déchet représente un ensemble de contraintes qu’il est difficile de satisfaire dans le contexte de culture industrielle productiviste. Il faut de la volonté, du temps et de l’esprit d’initiative pour remettre en cause les bases de ces procédés, rechercher de nouvelles techniques et les faire admettre par l’ensemble des partenaires. Depuis 15 ans, les exemples de

réalisation de techniques propres ne sont plus des cas isolés. Les éléments techniques et économiques montrent que la modification des techniques de fabrication est préférable à la mise en œuvre des stations d’épuration et à la réparation des dégâts causés sur l’environnement… La pollution la plus facile à éliminer au moindre coût est celle que l’on ne produit plus. L’émergence des obligations et des contraintes liées à la lutte contre les substances toxiques nécessite d’acquérir une appréciation complète de l’ensemble des éléments liés à la fabrication et à la mise sur le marché d’un produit de consommation tenant compte de son utilité, des aspects sociologiques positifs ou négatifs, de la nature, des quantités de matières premières et d’énergie nécessaires à sa fabrication, de leur aptitude à se renouveler, des différentes pollutions entraînées par sa fabrication, de leur caractère nocif et de son comportement en tant que déchet au terme de son utilisation. Beaucoup reste à faire pour que la compatibilité entre les activités économiques et les impératifs liés à l’eau, tant vis-à-vis des ressources que de la qualité des cours d’eau, devienne une réalité. Christian Muys

CHIFFRES CLÉS Quantité d’eau nécessaire pour fabriquer les produits suivants : 500 m3 par tonne de papier 300 à 400 m3 par tonne de sucre Source : CNRS 1994 Utilisation de l’eau potable : 39 % pour les bains et les douches 20 % pour les toilettes 12 % pour le linge 6 % pour la préparation de la nourriture 1 % pour l’eau potable Source : CIEAU Quantité d’eau nécessaire aux cultures : 454 litres par kg de maïs grain 590 litres par kg de pommes de terre 590 litres par kg de blé Source : CNRS Pollutions par les nitrates pour 66 %, d’origine agricole pour 22 %, d’origine domestique pour 12 %, d’origine industrielle

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14 % des points de mesure en eaux souterraines ont un taux de nitrates supérieur à 50 mg/litre Source : Direction de l’eau Pollutions des eaux de surface par les pesticides sur 624 points d’observation de la qualité des eaux de surface : 3 % ne contiennent pas de pesticides 51 % sont en classe bonne à très bonne selon le SEQ-Eau 38 % sont en classe moyenne ou médiocre 8 % sont en classe mauvaise Sur 838 prises d’eau de surface utilisées pour l’alimentation en eau potable, contrôlées en 2002: 41 % ne contiennent pas de pesticides 19 % ne nécessitent pas de traitement 39 % nécessitent un traitement spécifique Moins de 1 % (6 sur 838) ne permettent pas une utilisation sans autorisation du ministère chargé de la Santé Source : Ifen 2002

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Pollution des eaux souterraines par les pesticides sur 1078 points d’observation de la qualité des eaux souterraines : 40 % ne contiennent pas de pesticides 35 % pourraient être utilisés sans traitement spécifique avant utilisation pour l’eau potable 24 % nécessiteraient un traitement spécifique avant utilisation pour l’eau potable Moins de 1% ne pourraient pas être utilisés pour fournir de l’eau potable sans autorisation du ministère de la Santé Sur 2 603 captages utilisés pour l’alimentation en eau potable, contrôlés en 2002 : 45 % ne contiennent pas de pesticides 34 % ne nécessitent pas de traitement 21 % nécessitent un traitement spécifique Source : Ifen 2002


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Les agences de l’eau

Un outil de politique nationale Alain Herman, directeur de la lutte contre la pollution à l’agence de l’eau Artois-Picardie, répond à nos questions sur les politiques menées par son établissement pour économiser l’eau et réduire la pollution. Etat d’avancement des S.A.G.E. dans le bassin Artois-Picardie Situation au 8 novembre 2006 Emergence Instruction Elaboration Mise en œuvre Pas de SAGE en cours

Naturellement • L’une des missions de l’agence de l’eau ArtoisPicardie repose sur la maîtrise des usages de l’eau afin de l’économiser. Quels sont les moyens mis en œuvre pour y parvenir ? Alain Herman • Les missions de l’agence de l’eau Artois-Picardie sont inscrites dans le programme d’interventions pluriannuel. Le 9e a été voté en décembre2006 pour la période 2007-2012. L’économie et la protection des ressources en eau représentent les priorités de ce programme. Concernant les économies d’eau, l’agence ne souhaite pas intervenir ponctuellement ou localement, la politique mise en place est globale. Pour cela, des opérations sont menées auprès des collectivités, des industries et des agriculteurs. Avec les collectivités, nous travaillons sur des projets qui s’étalent sur plu-

sieurs années tels que la récupération des eaux pluviales en installant du matériel dans les stades, écoles… N ous accompagnons aussi ces dernières pour la promotion d’une gestion économe de l’eau auprès des particuliers. L’objectif est d’amener les collectivités à avoir une politique pérenne en matière d’usage de l’eau. Dans le domaine industriel, les efforts en matière d’économie d’eau sont importants. Ces dernières passent par le bouclage des circuits qui sont, pour un grand nombre, ouverts. Ainsi, il n’y a que des apports et plus de rejets. Le problème est que ce type de fonctionnement peut générer un développement bactérien. Pour éviter cela, il est possible de créer un semi bouclage pour certaines industries (textiles, cartonnerie, par exemple).

N aturellement • La Directive cadre eau instaure l’objectif de parvenir, d’ici à 2015, au bon état des eaux superficielles et souterraines. Quelle est la politique de l’agence en matière de lutte contre la pollution ? Depuis 1992, l’agence vise à rendre conforme les stations d’épuration. Cette conformité est imposée par la Directive européenne. En parallèle, les travaux des réseaux d’assainissement, qui couvrent la quasi-totalité du territoire, sont poursuivis. Mais nous devons faire face à une difficulté, celle de la fonctionnalité globale de ces réseaux dont certains sont vétustes. De plus, nous soutenons financièrement le raccordement d’assainissement des particuliers au système collectif. C’est une politique ancienne et particulière au bassin Artois-Picardie. Les pol-

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Il faut rétablir et sauvegarder les équilibres géologiques des cours d’eau lutions d’origine industrielle régressent grâce à une campagne de mesures sur leurs rejets. Un effort réel des industries a été réalisé. Depuis quelques années, l’agence s’intéresse aux métaux, car ce type de produits n’était pas pris en compte dans les polluants. Actuellement, nous dressons un inventaire des substances organiques toxiques (comme les pesticides) rejetées par les industries et les collectivités. Leur analyse permettra, d’ici fin 2007, de distinguer les rejets les plus importants, de les maîtriser et de les traiter. N aturellement • Le 9 e programme d’interventions, qui couvre les années 2007 à 2012, a été approuvé par le conseil d’administration de l’agence de

l’eau Artois-Picardie. Quels sont ses objectifs ? Le 9e programme d’interventions, qui s’applique dans le bassin Artois-Picardie, a été conçu pour répondre aux obligations issues des directives européennes, pour le développement de nouveaux domaines d’interventions et à l’atteinte du bon état de l’eau pour 2015. Il intègre également les objectifs et les échéances fixés par les grands programmes nationaux, notamment celui sur la solidarité urbain-rural pour l’eau ou le plan national santé-environnement. De plus, le système de redevances, qui date de 1964, a été entièrement revu et simplifié. Ce programme, qui est basé sur la concertation de tous les acteurs de l’eau, comporte des orienta-

LES PARTICULARITÉS DU BASSIN C’est le plus petit des six bassins métropolitains. Il couvre presque quatre départements (Nord, Pas-de-Calais, Somme et nord de l’Aisne). La densité de sa population est forte : 235 habitants/km 2, soit deux fois plus que la moyenne nationale. Il est constitué de petits cours d’eau à faibles débits. Une industrialisation importante (26 % du PIB du bassin contre 21 % en moyenne nationale). Consommation d’eau : 440 millions de m 3 en 2006 qui se répartissent en 310 millions de m 3 consommés par les collectivités locales (chiffre en baisse), 100 millions de m 3 pour l’usage industriel (ce chiffre est en baisse depuis une trentaine d’années, car il y a eu un arrêt de l’activité de certaines industries et des travaux sur les circuits d’eau ont été réalisés) ; le reste concerne l’agriculture.

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tions stratégiques et techniques au service de la qualité des milieux aquatiques qui se déclinent en dix objectifs: la réduction de la pollution ; l’augmentation de la sécurité de l’approvisionnement en eau potable par la protection des ressources et l’interconnexion des réseaux ; la maîtrise des pollutions diffuses d’origine agricole; la préservation de l’avenir par une gestion collective solidaire des ressources en eau ; la gestion des eaux pluviales ; l’économie de l’eau et la réduction du gaspillage ; le rétablissement et la sauvegarde des équilibres écologiques des cours d’eau, des zones humides et du littoral ; l’entretien des cours d’eau, leur restauration et la préservation des zones d’expansion de crues pour prévenir les inondations ; l’amélioration des connaissances, l’information, l’éducation, la concertation et le partage pour une gestion collective et solidaire de l’eau ; la contribution aux objectifs pour le développement (accès à une eau salubre…). Un programme ambitieux, mais réaliste. Propos recueillis par Sandra Pasero


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Pour un pôle public de l’eau A coups de grandes affiches sur les murs de nos villes, la bataille fait rage entre l’eau en bouteille Cristaline et celle du robinet. Problème de qualité technique, de goût et de concurrence entre le secteur public et le privé ? Derrière le côté commun du produit, il y a de gros enjeux financiers auxquels les citoyens feraient bien de s’intéresser.

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eau ne s’invente pas. Les climats, la géologie font qu’elle est ou non en quantité disponible pour les sociétés humaines. Dès lors, les zones proches des rivières, les zones de montagne avec des sources nombreuses, les zones alluviales avec des nappes peu profondes, bénéficieront d’un accès privilégié à la ressource en eau, dans une grande diversité de situations tranchant avec des zones plus sèches ou disposant d’une eau plus profonde et difficile d’accès. Depuis la Révolution française, l’eau est définie comme un bien commun dont la gestion est décentralisée et confiée aux communes. Point n’est besoin de souligner le caractère novateur et progressiste de ce dispositif dans le contexte de l’époque. Mais les grandes épidémies (typhus, etc.) dans les villes au début du XIX e siècle, dont la transmission était liée à la distribution de l’eau par des porteurs autant qu’à l’état des fontaines, ont amené à se pencher sur la qualité de l’eau. C’est donc la qualité de l’adduc-

tion d’eau, de la distribution qui allait en faire la valeur réelle. Cette adduction d’eau, prenant modèle notamment sur les aqueducs antiques, situe le rapport hommes/eau dans une longue durée : les tuyaux d’adduction ont une durée d’utilisation de 40 ou 50 ans selon la nature des sols; les grands aménagements (canaux…) sont réalisés sur plusieurs décennies et servent sur un ou plusieurs siècles. Adossées aux collectivités qui vont ainsi contribuer aux investissements les plus lourds, des sociétés amènent l’eau vers les grandes villes depuis la Champagne ou l’Yonne vers Paris ; de même, avec le canal de Marseille, puis plus tard le canal de Provence. Le commerce de l’eau donne naissance dès le milieu du XIXe siècle à de puissantes sociétés privées. Certaines se spécialisent dans la distribution, la vente aux familles ainsi que le traitement de l’eau (purification et filtration de l’eau potable ou épuration des eaux usées). C’est ce secteur-là qui a vu se développer les plus grandes

sociétés privées de la filière, les mêmes qui prospèrent depuis bientôt deux siècles.

Un paradis pour les financiers

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Trois sœurs ou majors dominent le secteur au plan mondial (pour près des deux tiers) : Générale des Eaux-Véolia, Lyonnaise des EauxDumez, SAUR Bouygues. Cette domination a trois aspects. D’abord, l’expérience aidant, il y a un savoir-faire technique considérable, une expertise appuyée sur la recherche qui permet une réponse aux exigences croissantes de qualité des eaux distribuées, car aux exigences classiques sur la qualité bactérienne se joignent de nouvelles normes sur la qualité chimique de l’eau et celles-ci se renforcent au rythme des découvertes sanitaires. Ainsi, on a découvert que les procédés de filtration jadis recommandés laissaient des sels d’aluminium dans l’eau au moment où l’on perçoit le rôle de l’aluminium dans certaines dégénérescences du cerveau ; il faut donc adapter les procédés. Ce savoir-faire est un bien collectif qui doit conduire à réfléchir à la nationalisation des filialesrecherche de ces groupes (Degrémont, OTS, etc.). Deuxième aspect, ces sociétés se conduisent en rentières parasites des collectivités. Envers la population, elles pratiquent une facturation opaque qui intègre souvent de façon apparemment réglementaire, mais excessive, maintenance, frais de personnels, frais financiers, en escomptant que la démultiplication entre des milliers

L’eau, bien commun, devrait être gérée localement dans le cadre d’un pôle public de l’eau

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de foyers rendra l’opération indolore. On est souvent aux limites de la surfacturation. Elles n’hésitent pas non plus devant la corruption par divers moyens dont des emplois plus ou moins fictifs réservés aux décideurs du moment ou potentiels. Car ces firmes gèrent dans la durée et n’hésiteront pas, lorsque les réseaux sont vétustes, à favoriser untel qui propose une régie pour que, devenue responsable, la collectivité concernée finance leur rénovation et qu’ensuite une équipe Pour toute information : qui prendra le relais Sylvie Manfredi au 04 91 90 42 69 aux échéances ultérieures concède à nouveau aux temps que le service ainsi rendu mêmes un réseau devenu impecest de qualité comparable sinon cable…. Enfin, la puissance de ces meilleure et de coût moindre sociétés, par le biais de la maîtrise puisque ne reposant pas sur la de l’eau, est telle qu’elles peuvent recherche du profit… En effet, la jouer un rôle d’aménageur et forme de retour à une gestion bousculer la société et l’économie publique de l’eau à laquelle on de régions entières. Le canal de pense immédiatement est la Provence, en amenant l’eau brute régie. La force d’une régie, à la parcelle, a permis la transforlorsqu’elle est locale, est de coller mation de l’agriculture, mais aussi aux particularités géographiques le mitage par l’habitat secondaire d’une petite région, de privilégier de la Provence intérieure avec le une utilisation de la ressource fait nouveau qu’en face de cet locale en eau, d’être proche et aménageur hors norme il n’y a maîtrisable par les citoyens et plus un syndicat d’arrosants leurs élus. Mais dans ses limites appuyé sur la petite paysannerie, restreintes, la régie locale n’a pas mais une collection de consomma- la maîtrise des techniques de teurs d’eau individuels et isolés… pointe du traitement des eaux et Une puissance telle, que ces socié- elle doit faire appel aux mêmes tés sont parties à la conquête de firmes pour répondre aux exil’eau mondiale… gences de qualité. L’autonomie réelle d’une régie se mesure alors à sa capacité à les mettre en Pour une maîtrise concurrence et peut, sous un citoyenne même statut, être très variable selon les régies et selon ce qu’elles La force de ces grandes sociétés ont délégué ou concédé ou été est dans la qualité et leur savoirobligées d’acheter. faire. Dès lors, elles savent contourner des retours à la collec- Faut-il chercher l’émancipation à travers une grande société natiotivité, des retours en régie qui en nale de l’eau qui regrouperait et resteraient au slogan, car c’est au les firmes du secteur et les régies pied du mur qu’on voit le maçon locales de distribution ? Les et c’est sur la gestion dans la logiques de la gestion centralisée durée qu’elles attendent les cold’une telle société conduiraient à lectivités qui reviennent en régie. privilégier les grands équipeLe défi pour les tenants du service public est donc de prouver dans le ments et à négliger la diversité

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des ressources et des conditions de la distribution. Pour tordre le cou aux appétits financiers, il faut donc à la fois s’appuyer sur le savoir-faire des filiales de ces groupes (en avançant l’idée de leur nationalisation), sur la diversité des situations locales ainsi que sur la vigilance citoyenne. La construction d’un pôle public de l’eau est donc plutôt à rechercher dans la complémentarité entre plusieurs piliers : des régies locales connaissant la ressource et capables d’analyser les besoins d’une part, et d’autre part des sociétés tournées vers la recherche, les techniques de pointe, la production des appareillages, lesquelles peuvent être nationalisées si possible, et enfin, pour irriguer le tout d’un esprit de service du public, un pôle de formation citoyenne délivrant à toutes les personnes intéressées et aux élus les clefs de la connaissance sur la filière. Car la transparence et la démocratie sont les clefs d’un tel pôle public, la garantie que sous l’immobilité d’un statut, la réalité du rapport des forces économiques ne va pas vider le service public de son contenu. Les actuelles feuilles d’information obligatoires sont tout à fait insuffisantes, car cantonnées à des résultats d’analyses. Des comités citoyens pluripartites, pour le moins à l’image des C.L.I.S., devraient être formés non seulement près des régies locales, mais aussi au niveau des bassins et grands équipements, et encore au niveau des firmes de l’eau et de l’ensemble de la filière pour peser sur leur gestion. Définir un cadre unique capable de cette souplesse et de garantir la prévalence des intérêts publics est tout à fait possible. Jean-Claude Cheinet Elu à Martigues et responsable associatif


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Schémas des eaux

L’exemple de la Sensée

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Sollicités pour de multiples usages, les rivières, nappes, milieux aquatiques continentaux et littoraux sont menacés. Lorsque les efforts consentis pour les préserver ne suffisent pas à résoudre les conflits et à dégager les conditions d’un partage et d’une gestion équilibrée de la ressource, la mise en place d’un Schéma d’aménagement et de gestion des eaux (SAGE) s’impose. Un exemple : celui de la Sensée.

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a mise en œuvre du désenvasement des étangs de Hamel (59), Tortequesne (62) et Lecluse (59) et de leur protection ultérieure vis-à-vis du dépôt des matières en suspension a montré la nécessité de disposer d’un maître d’ouvrage supra-départemental, compte tenu de l’ampleur du projet et de sa situation entre deux départements, le Nord et le Pas-de-Calais. En réponse, a été créée en 1987 l’Institution interdépartementale N ord – Pas-deCalais pour l’aménagement de la Vallée de la Sensée. Emanation des Conseils généraux du Nord et du Pas-de-Calais, l’institution se devait d’assurer les études et les travaux nécessaires au bon écoulement des eaux du bassin versant de la Sensée. Le programme de travaux qui lui fut confié s’inscrivait essentiellement dans le cadre du Contrat de rivière Sensée, signé en 1992 et arrivé à terme en 2001. Les principales activités de cette institution, aujourd’hui présidée par Charles Beauchamp, conseiller général du canton d’Arleux (59), sont de mener à bien une étude hydraulique globale sur le bassin et d’assurer la mise en œuvre du SAGE de la Sensée.

place apporte une réponse qui s’inscrit au-delà des frontières administratives et des conflits d’intérêts Par définition, un SAGE est un outil de planification dans le domaine de l’eau, qui est élaboré à l’échelle des sous-bassins versants hydrographiques aquifères. Son objectif est de définir une gestion concertée, globale et intégrée de l’ensemble du bassin versant, action indispensable pour garantir des résultats concrets et surtout durables. Il doit rassembler riverains et usagers sur un territoire cohérent autour d’un projet commun : satisfaire les besoins de tous sans porter d’atteintes irréversibles à l’environnement. Considérée comme un poumon vert, la vallée de la Sensée assure depuis plusieurs décennies une fonction d’accueil, d’espace de nature à vocation de pêche, de chasse, de randonnées et autres loisirs liés à l’eau. Le bassin hydrogéologique de la Sensée constitue l’un des principaux châteaux

d’eau du bassin Artois-Picardie. Pour veiller à ce que les habitants de la Sensée et les générations futures ne paient pas un jour les conséquences de prélèvements excessifs dans la nappe et pour résoudre les différents problèmes rencontrés sur le bassin, les élus de l’institution ont opté, en accord avec l’Etat, pour l’élaboration d’un SAGE. Il fallait en outre poursuivre la démarche collective engagée avec le Contrat de rivière Sensée.

Un parlement de l’eau

Signés respectivement en janvier 2003 et janvier 2004, les arrêtés interpréfectoraux, fixant le périmètre du SAGE (134 communes, 850 km2) et la composition de la Commission locale de l’eau (CLE), marquent le démarrage de l’élaboration du schéma. La CLE, présidée également par Charles Beauchamp, se réunit au moins une fois par an et compte cinquante-six membres répartis au sein des trois collèges (élus/usa-

Le SAGE doit rassembler riverains et usagers autour d’un projet commun : satisfaire les besoins de tous sans porter atteinte à l’environnement

Un outil de planification

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« L’eau fait partie du patrimoine commun de la nation. Sa protection, sa mise en valeur et le développement de la ressource dans le respect des équilibres naturels sont d’intérêt général ». Tel est le fondement de la loi sur l’eau du 3 janvier 1992, qui a créé les Schémas d’aménagement et de gestion des eaux. Leur mise en

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PROTÉGER ET PARTAGER…

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L’eau fait partie du patrimoine commun de la nation. Sa protection dans le respect des équilibres naturels est d’intérêt général.

gers/administration). Véritable parlement de l’eau, elle s’est déjà penchée sur de nombreux sujets d’envergure tel que le programme de mesures de la DCE et le projet du canal Seine Nord. Ce canal traversera le bassin de la Sensée et devrait marquer à nouveau (comme l’ont fait en leur temps les canaux du Nord et de la Sensée) l’hydraulique, l’hydrogéologie et l’écologie du territoire. Le canal du N ord prive la rivière Sensée aval de son alimentation naturelle, induisant des perturbations hydrauliques et écologiques majeures. La connaissance du passé permet de mieux appréhender le futur et d’éviter la réitération des mêmes erreurs. Cependant, « le contenu des études d’impacts issues du dossier d’enquête publique du projet du canal Seine N ord présage la formation d’une nouvelle cicatrice pour le bassin qui le touchera une fois de plus dans ses fonctionnements les plus essentiels», affirme Charles Beauchamp. Pour travailler à la construction du schéma, quatre commissions thématiques ont été mises en place. Commission n° 1 : “Gestion et protection de la ressource en eau souterraine“, avec création d’un comité de suivi des captages; commission n° 2 : “Cours d’eau et milieux aquatiques“ ; commission

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n° 3 : “Erosion des sols“ ; commission n° 4 : “Information et sensibilisation“. De nombreux sujets ont d’ores et déjà été abordés dans les différentes commissions tels que l’assainissement collectif et non collectif, les barrages à l’écoulement des eaux et à la libre circulation piscicole, les remontées d’eau de nappe, l’érosion des sols, l’habitat léger de loisirs, les techniques alternatives à la gestion des eaux pluviales et les zones humides.

Informer et sensibiliser L’étude hydraulique, menée par l’Institution interdépartementale N ord/Pas-de-Calais, sert de base de travail au SAGE. Sa réalisation est en cours depuis 2003. Elle vise notamment à acquérir de nouvelles connaissances par l’exploitation d’un réseau de mesures quantitatives et qualitatives pendant trois ans ; à comprendre le fonctionnement hydraulique du bassin et les interrelations entre ses éléments ; à réalimenter la rivière Sensée aval ; à déterminer l’impact des prélèvements sur l’état de la ressource et les milieux naturels ; et enfin, à définir un programme de restauration et d’aménagement des cours d’eau. Très tôt, il est apparu évident aux

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élus de l’institution que la réussite d’un SAGE nécessite aussi l’implication du public qui sera consulté sur le document. Ainsi, depuis 2003, la « Gazette de la Sensée » est distribuée chaque semestre à tous les foyers du SAGE (40 000) pour les informer de l’avancement des travaux engagés et les sensibiliser sur la richesse de leur patrimoine naturel et l’intérêt de le sauvegarder. Des animations, dont la réalisation a été confiée au MNLE Sensée, sont destinées à informer et sensibiliser tous les enfants de cycle 3 des écoles du SAGE (138 classes, 2800 élèves) sur le fonctionnement des écosystèmes et leur protection. Un site Internet est en cours de réalisation. La politique de l’eau à mettre en œuvre doit être élaborée en concertation avec l’ensemble des usagers et des acteurs de l’eau. Bien évidemment, l’ensemble de ces usagers et acteurs de l’eau du bassin de la Sensée ont des représentants actifs au sein des commissions du SAGE Sensée. La politique d’un SAGE est consensuelle, les élus de l’institution l’ont bien compris. Fabrice Thiébaut MNLE Sensée Scarpe Artois Douaisis Contact : institution5962sensee@cg59.fr


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L’association Eau Au service d’une gestion publique Composée d’associations de défense de l’environnement ou d’usagers, de représentants de collectivités et d’ONG, l’association Eau a été créée pour fédérer les expériences réussies en matière de gestion publique de l’eau potable et d’assainissement. Michel Partage, le maire de Varages, dans le Var, nous présente cette association dont il est le président.

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n ce début de siècle et de millénaire, nous sommes de plus en plus nombreux à prendre conscience que nos modes de vie et la conception dominante du développement économique menacent gravement l’équilibre de la vie sur la Terre. Le moment est venu de nous engager à participer à un grand mouvement pour la sauvegarde de nos ressources vitales, et de l’eau potable principalement. A l’évidence, pour défendre les droits de l’homme, nous devons avant tout préserver la vie, dont l’eau est l’élément constitutif. Chacun doit s'engager dans son travail, ses activités, son quotidien, à porter le message d’une prise de responsabilité individuelle et collective gratifiante, pour la sauvegarde de l’eau, élément vital sacré. D’une eau libre, saine et potable dépend l’avenir de la planète, de nous tous et de

toute forme de vie sur Terre. Toutes nos actions prennent en compte ces trois principes fondamentaux : l'eau est un bien commun de l’humanité et un droit humain ; elle jaillit librement à sa source – à l’état naturel, elle était libre, pure et accessible – et ne peut être traitée comme une marchandise ; la distribution de l’eau et son assainissement constituent un service public essentiel pour le quotidien de chacun et doivent dès lors être gérés par la puissance publique. Nous nous sommes donc réunis en créant l’association Eau pour fédérer nos expériences réussies en matière de gestion publique de l’eau potable et de l’assainissement. Cette association a pour but principal d’aider et d’accompagner les collectivités publiques françaises et étrangères ainsi que les citoyens souhaitant rester ou revenir en gestion publique, mais

également de renégocier les termes de leurs contrats avec des opérateurs privés, en matière de services liés à l’eau potable et à l’assainissement et de mettre en œuvre des mesures de protection préventive des ressources. L’association Eau emploiera tous les moyens nécessaires à l’accomplissement de son but dans le cadre des lois et règlements en vigueur et notamment: la mise en réseau d’informations sur la gestion publique des services d’eau potable et d’assainissement ; la création d’une base de données des régies d’eau potable et d’assainissement ; le conseil et l’assistance dans les domaines technique, comptable, financier et juridique ; le soutien financier et matériel, lié à des actions soutenues par l’association et soumis à l’approbation préalable du bureau ; l’introduction d’actions en justice et/ou la constitution de partie civile dans tous litiges liés à son objet pour la défense des intérêts des adhérents ; l’édition d’un guide d’accompagnement de l’élu et du citoyen pour une gestion publique de l’eau potable ; la publication papier, électronique et l’édition d’un site Internet ; la sensibilisation et l’implication des citoyens et Organisations non gouvernementales (ONG); la conception, l’organisation et le montage de manifestations publiques nationales et internationales ; l’organisation de sessions de formation ; la gestion des locaux, matériels et du personnel liés à l’activité de l’association. Michel Partage Président de l’association Eau

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Michel Partage : « Chacun doit s’engager pour la sauvegarde de l’eau, élément vital sacré »

…LES RESSOURCES EN EAU

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Procès de l’Erika

Vers un jugement exemplaire ? DR

POLLUTION MARITIME

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Les associations, qui se sont portées partie civil, estiment le dommage écologique à 1 milliard d’euros.

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n invoquant l’enchaînement des « comportements désinvoltes » qui ont abouti au naufrage de l’Erika, prélude à une marée noire qui s’est étendue sur 400 km de côtes le long de l'Atlantique, de la Vendée à la Bretagne, le procureur du tribunal correctionnel de Paris s’est montré très sévère dans ses réquisitions à l’encontre des principaux prévenus : amende maximale de 375 000 € requise contre TOTAL, même peine contre la société de classification Rina, déjà mise en cause dans d’autres catastrophes ; un an de prison et 75 000 € d’amende contre l’armateur et le gestionnaire de l’Erika, et 10000 € d’amende contre le capitaine. Mais ce dernier est relaxé de l’accusation de « mise en danger

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de la vie d’autrui». Le procureur a également requis la relaxe pour les services de secours mis en cause par les principaux accusés. Le procureur a souligné le manque de moyens de ces services et a rappelé qu’en ce jour de tempête les secours étaient engagés ailleurs dans des opérations de sauvetage, notamment dans le Golfe du Morbihan.

Le rôle des associations A la suite de ces réquisitions, les prévenus redoutent d'avoir à faire face aux diverses demandes d’indemnisation et de dommages et intérêts émanant de plus de cent collectivités territoriales et associations (dont le MNLE) qui se sont portées parties civiles dans ce

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procès . Bien qu’il y ait des difficultés à chiffrer le ”dommage écologique”, l’ensemble de ces demandes est estimé à un milliard d’€uros. C’est un autre enjeu de ce procès: reconnaître le rôle des associations dans leur engagement au service de la défense de l’environnement. La notion de “préjudice écologique” est confirmée par plusieurs textes et il a été rappelé au cours de ce procès que le premier président de la cour de cassation a constitué un groupe de travail sur ce sujet qui devait lui rendre son rapport le 24 mai. Les textes adoptés à la conférence de Rio appellent les Etats à agir pour « (...) conserver, protéger, rétablir l’intégrité de l’écosystème terrestre » (1) et à « … élaborer des


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réglementations plus strictes pour réduire les risques d’accidents et de pollution dans les transports maritimes. » (2). Au chapitre “Protection des mers et océans” de l’Agenda 21, il est rappelé le principe “pollueurpayeur”, et le fait que les Etats et gouvernements « doivent décourager les pavillons de complaisance » (3) .

Haro sur la complaisance Enfin, ces textes appellent à « … encourager tous les secteurs de la société : industries, universités, pouvoirs publics, associations, à informer et sensibiliser le public vis-à-vis de l’environnement ». Cela confirme le rôle et la responsabilité des associations pour faire grandir la prise de conscience sur l’urgence d’agir pour préserver l’intégrité de l’écosystème ter-

restre. Le MNLE, tout au long de ses activités depuis sa création en 1981, s’est inscrit dans cet objectif d’éducation, de sensibilisation, de formation et d’action. La revue N aturellement, éditée depuis 1982, y contribue également. C’est ce qu’a d’ailleurs rappelé l’avocat du MNLE, Maître Roland Weyl, dans sa plaidoirie, tout en insistant sur l’engagement physique et matériel de ses adhérents et militants, et plus particulièrement ceux du département de Loire-Atlantique, directement concernés. Il est donc important que le tribunal, par ses décisions, encourage le fait associatif en lui reconnaissant le droit aux dommages face aux préjudices causés à l’environnement et à l’écologie par le naufrage de l’Erika. Il y a toujours un lien entre action de la justice et progrès de la légis-

lation. C’est pourquoi il importe que le tribunal donne suite aux demandes formulées par les associations, dont la somme totale englobe les atteintes à l’environnement (sites et biodiversité), le préjudice écologique, la destruction du patrimoine naturel. Le jugement qui sera prononcé devra être exemplaire pour qu’une telle catastrophe ne se reproduise pas et pour que cela incite les pouvoirs publics à renforcer une législation contraignante visant « … à protéger et rétablir l’intégrité de l’écosystème terrestre… » Guy Léger Déclaration de Rio adoptée à l’unanimité des 178 pays représentés. (2) Agenda 21 (3) Voir sur ce sujet, le n°76 de Naturellement et la pétition du MNLE publiée dans ce même numéro. (1)

TEMOIGNAGE

Batz-sur-Mer, presqu’île guérandaise… Cette année-là… Pierre Le Berche, aujourd'hui maire honoraire de la commune de Batz-sur-Mer et Chevalier de l'Ordre du Mérite, est un militant toujours soucieux du devenir de sa commune. Dans ce court témoignage, et avec le recul pris depuis les élections municipales de 2001, il continue de s'interroger sur des choix en matière de dépollution qui auraient pu être différents, et en tout cas plus en rapport avec les exigences du dévelopement durable.

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Erika, ses déchets, nous sont tombés dessus le lendemain de Noël 1999, après la grosse tempête. Un parcours côtier affreux : pas une crique, pas un plateau rocheux épargné, même les pelouses sommitales maculées… Vite, retour en mairie, sinon nous ne serons bons à rien ! Des équipes se constituent sous la houlette des adjoints et des responsables des services techniques. N ous distribuons tout le matériel disponible. C’est parti… Dérisoire, il a fallu attendre la rentrée de janvier… La Préfecture prend l’affaire en mains avec le Département et la Région. Des corps de pompiers viennent en relais les uns des autres. Nous embauchons des renforts en personnels pour nourrir tout ce monde-là. Cela a duré des mois. Les étiers dans le marais avaient été bouchés pour que la saleté n’entre pas dans les salines. N éanmoins, l’été venu, certains considéraient que l’eau était propre et voulaient la pui-

POLLUTION MARITIME

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ser pour faire du sel. Conflit… La coopérative décide qu’il n’y aura pas de sel de l’an 2000. Les paludiers indépendants, qui n'avaient pas ou peu de sel en stock, n’étaient pas d’accord. Conflit dur … mais il n’y a pas eu de sel en l’an 2000. La fin de l’année s’est déroulée dans une ambiance polluée, et le début de l’autre a été consacré aux élections : la fin de l’histoire… Une équipe issue de nos rangs – pour la mise en route – favorisera nos amis “d’en face”. J’avais indiqué que je passerais la main au bout d’un an ou deux. Pas besoin : après 24 années, dont l'année 2000, c’est fini ! L’Erika a aussi contribué à polluer les esprits chagrins… mais la tentation était grande de trahir le choix prioritaire des habitants. Pierre Le Berche Maire de Batz-sur-Mer de 1977 à 2001

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L’affaire de Saint-Saturnin ou

Les entourloupes d’un carrier L’affaire est révélatrice du mépris affiché par certains entrepreneurs à l’égard de l’environnement et de la santé publique. Enquête à Saint-Saturnin, dans le Cher, sur un projet d’exploitation de carrière.

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lusieurs villages se disputent le statut de centre géographique de l’Hexagone ; ils sont tous situés en pays berrichon, dans le département du Cher, au sein d’une région, le Boischaut, qui fut chère à la romancière George Sand. La commune de Saint-Saturnin, à la limite de l’Indre et du Cher, ne peut certes prétendre à ce souverain label mais se trouve assez proche du cœur de la France pour en percevoir les battements et les palpitations… N ichée dans un bocage des plus bucoliques, la localité, d’à peine 500 âmes, respire le bon air et la sérénité. Respire ou respirait ? Bien des habitants du lieu et des hameaux avoisinants se demandent, depuis quelques mois, s’il ne leur faudra pas bientôt conjuguer ce verbe à l’imparfait. Car voilà : une carrière de pierre pourrait s’ouvrir sur le territoire de la commune, à respectivement 60, 125 et 300 mètres de certaines maisons. Oui mais, direz-vous, si le carrier (en l’occurrence, l’entreprise Guignard basée près d’Argentonsur-Creuse, dans l’Indre) s’avère respectueux des lois et des règlements en la matière, si la quiétude et la santé des habitants sont finalement assurées, et si le projet présente un évident intérêt économique pour la localité et la contrée ? L’Association de protection de la nature du Boischaut Sud, qui lutte contre ce projet et dont le siège est à Saint-Saturnin, va nous éclairer(1). C’est en avril 2006 que son président, Lucien Lefour, a appris l’existence d’un projet de réouverture et large extension de l’ancienne carrière de gneiss et amphibole de Taissonne – du nom de la rivière locale qui fait fron-

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tière, à cet endroit, avec les deux départements. « J’ai alors pris rendez-vous avec le maire qui est aussi conseiller général du canton de Châteaumeillan, explique-t-il. Il m’a affirmé n’être pas au courant. C’était un premier mensonge : un arrêté d’enquête publique a été publié quelques semaines plus tard et on a appris par la suite que le projet avait été évoqué en conseil municipal dès 2003 ! Les riverains concernés se sont aussitôt mobilisés. Le 29 mai suivant, les statuts de l’association de défense étaient déposés. »

Une nouvelle carrière, pourquoi ? Un mot sur l’ancienne carrière. Ouverte peu après la Première Guerre mondiale pour fournir en pierres, sable et gravillons le chantier d’une ligne de chemin de fer, elle a été arrêtée au début des années 1980. Elle ne couvrait à l’époque que 3 ha. Celle du projet serait d’une tout autre impor-

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Michel Felet

ENVIRONNEMENT

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Didier Carroff (à gauche) et son compère Didier Armand : deux opposants déterminés

tance : 24 ha. Manque-t-on de telles carrières dans la région ? « Il y en a une autre de 40 ha, dite du Boischaut Sud, à 5 km à vol d’oiseau, sur le territoire de Châteaumeillant, précise Lucien Lefour. Et on en compte déjà une cinquantaine dans le Cher, autant dans l’Indre. Le conseil général nous dit qu’il ne voit pas la nécessité d’en exploiter une nouvelle à SaintSaturnin. » Il n’y a pas que la nuisance sonore générée par les tirs de mines et le concassage, indique notre interlocuteur : « Il faut aussi prendre en compte le bruit, la poussière et le gaz d’échappement des camions. L’étude d’impact évoque une noria de 80 poids lourds par jour. Comme la route qui borde la carrière et beaucoup de celles alentour sont trop étroites et n’autorisent pas le croisement de deux camions, il faudra élargir la chaussée et déplacer les lignes électriques et téléphoniques. Pour ce qui est des poussières soulevées par la carrière, le même projet d’impact estime que, par un vent de 10 km/h, elles seront transportées jusqu’à 9 km du site, et jusqu’à 24 km par vent fort. Quelque 5 000 personnes seront concernées. Quand on voit les maisons qui se trouvent à proximité de la carrière voisine, on comprend à quoi on s’expose : les toits, les vérandas, les haies, tout est couvert de poussière blanche. Or on sait combien c’est néfaste pour la santé des personnes asthmatiques et allergiques. J’ajoute que la population, ici, est assez âgée. Déjà, certaines personnes dépriment à l’idée que le projet pourrait voir le jour. » Autre imposture: lors du dépôt de son dossier à la Direction départe-


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Aujourd’hui désaffectée, la carrière de Taissonne pourrait être étendue à 24 ha mentale de l’agriculture et de la forêt, l’entreprise Guignard avait indiqué que c’est à des cultures qu’elle destinait ces 24 ha ! On est donc assurés des retombées de poussières. Mais quid des retombées économiques ? « Parlons-en ! L’entreprise Guignard avance le chiffre de trois emplois dont elle reconnaît qu’ils ne seraient pas pourvus à Saint-Saturnin car trop spécialisés… La commune récupérerait certes un peu d’impôts mais l’engagement de l’entreprise à reverser une part de la taxe professionnelle n’est guère crédible : cet impôt est normalement perçu au siège social de l’entreprise, qui est dans l’Indre, et rien ne nous dit qu’elle ne changera pas d’avis l’année suivante. » Le dossier Guignard est « intéressant » à d’autres titres. Il faut savoir, en effet, que l’entreprise a déposé un permis de construire avant même d’avoir eu l’autorisation d’exploitation, et que le conseil général du Cher, tout comme la préfecture, l’ont d’abord retoquée pour cette raison. Une enquête publique (obligation dictée par le caractère dangereux des carrières pour la santé publique) a été alors diligentée... qui a conclu à la validité du projet ! Le maire de Saint-Saturnin a aussitôt donné sa caution. Pour l’instant, toutefois, tout reste encore gelé. On attend la décision de la Commission des car-

rières. Composée de représentants des différents services concernés – la DRIRE, la DIREN, la DASS, les services sanitaires – ainsi que des associations départementales reconnues d’intérêt public que sont N ature 18, du Cher, et Indre Nature, elle doit se réunir à la préfecture de Bourges. Lors de notre passage à Saint-Saturnin, le dossier était toujours en instruction à la DRIRE.

Les casseroles de sieur Guignard Résumons. Le conseil général du Cher s’est prononcé contre le projet, de même que le préfet du département, Claude Cupfer (qui s’appuie sur un avis négatif du directeur départemental de l’équipement) ; et un sénateur de l’Indre, Daniel Bernardet, a adressé un courrier défavorable au maire de Saint-Saturnin. Comme on le voit, l’association a des soutiens solides et la bataille est loin d’être perdue. Fait révélateur : Lucien Lefour, cet empêcheur de magouiller en rond, a dû déposer plainte pour menace de mort sur sa personne. Une chose encore. La carrière endormie depuis vingt ans a gravement pollué la rivière Taissonne, réputée pour la qualité de ses eaux vives (elle est classée en première catégorie). L’association en a saisi le procureur de la République du tribunal de grande

instance de Bourges. « Une fois de plus, la loi a été bafouée, s’insurge Lucien Lefour. Les conséquences s’avèrent désastreuses pour la faune, en particulier pour l’écrevisse à pattes blanches ». Répertorié comme vulnérable sur la liste rouge des espèces menacées, cet animal symbolise l’eau pure... On notera, au passage, que l’entreprise Guignard a elle-même été condamnée par la cour d’appel de Bourges, il y a deux ans, pour avoir pollué deux de ses sites. Une condamnation lourde de signification. Jugez-en : « (…) coupable d’infraction au plan local d’urbanisme et au plan d’occupation des sols ; de réalisation non autorisée d’affouillement et d’exhaussement des sols ; de coupes ou abattages d’arbres non autorisés ; de rejets en eaux douces ou pisciculture de substances nuisibles aux poissons ou à leur valeur alimentaire ; de travaux nuisibles au débit des eaux et au milieu aquatique ; de poursuite de l’exploitation d’installations non conformes ; d’exploitation non autorisée d’une carrière… » Le sieur Guignard a été condamné à de lourdes amendes, à cinq mois d’emprisonnement avec sursis, à une mise à l’épreuve pendant deux ans et à la réparation des dommages. Une précision : il avait été condamné antérieurement pour fraude fiscale… On comprend que les habitants bien informés n’aient guère envie de le voir débarquer dans leur havre ! Laissons à Didier Carroff, l’administrateur de l’association, le soin de conclure : « Persuadés que la région en tirerait profit au plan économique, des élus de bonne foi ont cru devoir donner leur accord au projet de Guignard. Je suis convaincu que s’ils avaient connu le fond de l’affaire, ils ne l’auraient pas fait. Ce projet n’apportera rien. » Rien d’autre que des soucis et des problèmes, en effet. Mais la bataille continue. Michel Felet

ENVIRONNEMENT

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Michel Felet

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Pour tous renseignements, consulter le site de l’association : www.apnbs-leberry.org

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Questions énergétiques

Avec esprit critique Il règne une certaine confusion dans la façon efficace et juste de lutter contre les émissions de gaz à effet de serre dans notre pays. Énergie primaire, énergie finale… Il faut clarifier le débat. DR

ENERGIE

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D’ici à 2050, le secteur énergétique français doit viser à épargner chaque année 300 millions de tonnes de gaz carbonique.

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objectif national fixé par le parlement en 2005 est de diviser par 4 les émissions actuelles à l’horizon 2050. Il s’agit de 550 millions de tonnes d’équivalent gaz carbonique (CO 2) par an dans lesquelles le gaz carbonique proprement dit, émis par le secteur énergétique (utilisation des pétrole, gaz, charbon) représente environ 400 millions de tonnes, le reste étant constitué de méthane et divers autres gaz notamment émis par le secteur de l’agriculture. D’ici 2050, le secteur énergétique doit donc viser à épargner au moins une émission annuelle de 300 Mt de gaz carbonique .Un objectif qu’il n’est pas simple d’atteindre si l’on a, en même temps, le souci social que cela ne se traduise pas par des restrictions de la consommation énergétique qui est à la base du bien-être humain, de la santé, de la mobilité, du confort, et dont seraient victimes, évidemment en priorité,

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les couches les plus défavorisées de la population. Dans les discours médiatiques, dans la propagande et les actions d’organismes officiels, on évoque indifféremment la réduction des émissions de CO 2 et la réduction des consommations énergétiques. Or il faut être clair : les économies d'énergie n'entraînent de baisse des émissions de CO2 que s'il s'agit d'économies de combustibles fossiles, pétrole, gaz, charbon. Pour le reste, elles sont évidemment de bonne gestion et correspondent à une conception philosophique absolument respectable selon laquelle la surconsommation n'est pas le bonheur. Il reste que, pour ce qui concerne la réduction des émissions de CO2, ce sont bien des économies sur les combustibles fossiles qu'il faut rechercher en priorité. Il arrive, en effet, que pour émettre moins de gaz à effet de serre il soit nécessaire de consommer davantage d’énergie primaire. Par exemple, un chauf-

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fage par réseau de chaleur alimenté par la géothermie ou par de la biomasse, comparé à un chauffage individuel au gaz.

Il y a énergie et énergie… Nécessaire à la vie tout court et à la vie en société, la consommation d’énergie n’est pas forcément synonyme de dégradation de l’environnement. Il est évident qu’une usine ou une porcherie, qui traitent leurs effluents, consomment, toutes choses égales par ailleurs, plus d’énergie que celles qui les rejettent bruts dans la rivière voisine. Un programme sérieux de réduction des émissions de gaz à effet de serre devra être clair sur ces aspects. Ces deux termes sont essentiellement utilisés quand on évoque la production et la consommation d’électricité, l’énergie primaire étant celle qui est dépensée à la source pour produire l’électricité, et l’énergie finale celle que le


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POUR INFO… Pour plus d’information, consulter le communiqué de mai juin 2007 de l’association « Sauvons le climat » : « Propositions pour un programme énergétique et écologique - Pour une politique de réduction des émissions de Gaz à Effet de Serre ». Sur le site de l’association : www.sauvonsleclimat.org au coefficient d'équivalence 1 MWh = 0,222 tep. Depuis 2002, on a adopté la méthode internationale qui est plus complexe.

L’énergie primaire Pour les kWh nucléaires, on adopte la notion de "contenu énergétique primaire à la production" avec une centrale de rendement théorique de 33 %. Soit 1 MWh = 0,260606 tep Pour les kWh géothermiques, c'est aussi le "contenu énergétique primaire à la production" mais avec un rendement de 10 %. Soit 1 MWh = 0,86 tep Pour les kWh hydrauliques, éolien, photovoltaïque on prend le "contenu énergétique". Soit 1 MWh = 0,086 tep (c'est-à-dire la quantité de pétrole nécessaire pour produire 1 MWh de chaleur. 1 tonne de pétrole a un contenu énergétique de 42 milliards de joules).

L'énergie finale Pour tous les kWh électriques qui arrivent chez le consommateur, on prend le "contenu énergétique", c’est-à-dire la chaleur que représentent ces kWh, qu’ils ser-

vent au chauffage (remplacement possible par du fioul ou du gaz) ou à des usages spécifiques (éclairage, réfrigération, télévision, climatisation…) pratiquement irremplaçables par des combustibles fossiles. Donc 1 MWh = 0,086 tep. On voit que cela minimise considérablement la valeur de l'électricité. Et on arrive avec ces coefficients à des constats surprenants. En 2003, en France, l'électricité représente 42 % de la "consommation d'énergie primaire" et 22,4 % de la "consommation d'énergie finale" (fascicule CEA 2005, page 27). L’électricité nucléaire ne représente que 17 % de l’énergie finale alors qu’elle contribue à environ 80 % de la production électrique. Cela sert d’argument aux antinucléaires pour avancer l’idée que l’électronucléaire représentant si peu, on pourrait s’en passer aisément. Alors qu’avec le coefficient utilisé avant la réforme de 2002, l’électronucléaire aurait représenté de 40 à 50 % de l’énergie finale consommée en France ! Pour situer l’intérêt écologique du parc nucléaire français, il suffit de noter que s’il était remplacé par des centrales thermiques au fioul, gaz ou charbon c’est 200 à 300 Mt de CO 2 en plus qui seraient rejetées dans l’atmosphère. Une augmentation d’environ 50 % des rejets actuels. Jean-Yves Guézénec

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consommateur recueille aux bornes d’arrivée de son compteur électrique. Entre les deux, la différence provient du rendement de la centrale productrice et des pertes dans les lignes de transport. Mais en la matière le premier élément de confusion vient de ce que l'on veut exprimer l'énergie consommée ou produite en une unité unique : la tonne équivalent pétrole (tep), domination du pétrole oblige ! Le deuxième élément vient des coefficients à adopter pour transformer les kWh électriques en tep s'il s'agit d'électricité produite par des installations nucléaires, hydrauliques, éoliennes, géothermiques ou photovoltaïques qui n'ont à la base rien de comparable au pétrole (pour le charbon ou le gaz, pas de problème : comme pour le pétrole, on en tire de l’énergie par combustion). Autrefois en France, qu'il s'agisse d'énergie primaire ou finale, la convention était de donner comme équivalent à ces kWh nucléaires, hydrauliques… la quantité de pétrole qui aurait été nécessaire pour produire cette électricité dans une centrale thermique classique de rendement égal à 38,7 %. Ce qui conduisait

ENERGIE

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Mardyck

Où en est-on aujourd’hui ? Dans le numéro 74 de Naturellement, nous évoquions la situation de Mardyck, un petit village proche de Dunkerque, coincé entre trois usines Seveso et quatre classées en raison de la dangerosité des produits utilisés. Gérard Prince signalait dans nos colonnes que, traumatisées par l’accident tragique de l’usine d’AZF à Toulouse, une trentaine de familles de Mardyck demandaient à partir. Cinq ans ont passé. Où en est-on aujourd’hui ? DR

POLLUTION INDUSTRIELLE

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De nombreuses installations industrielles supplémentaires ont vu le jour…

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es débats qui s’étaient déroulés à l’époque et la loi de juillet 2003 sur les risques technologiques majeurs avaient laissé espérer aux villageois une perspective d’expropriation ou un droit de délaissement. Ils ont dû déchanter. Mais ils ont réagi. Sous l’égide des décideurs locaux (port autonome de Dunkerque, chambre de commerce et d’industrie, industriels et politiques), ils ont pu faire connaître leur situation par le biais du S3PI du littoral (Secrétariat permanent de prévention et de protection industrielles) et de ses commissions, parfois contraintes et forcées. De nombreuses initiatives ont été lancées : réunions d’information sur la pollution de l’air, sur la santé et l’environnement, sur les risques technologiques, présentation de nouveaux projets indus-

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triels, mise en œuvre d’une démarche sécurité auprès des populations avec l’organisation d’une nouvelle campagne d'information sur les risques industriels et la conduite à tenir en cas d'accident avec distribution de plaquettes… Parallèlement, diverses dispositions étaient prises comme la mise en place d’un système complémentaire d'alerte des populations en cas d’accident majeur sur le territoire de Mardyck, et des exercices d’activation des PPI (Plans particuliers d’intervention) sur les sites industriels. Des panneaux d’information ont été apposés par les industriels pour annoncer un danger et interdire l’accès aux abords des usines. Enfin, un prélèvement a été effectué pour analyse et recherche moléculaires lors d’un phénomène de nuisances olfac-

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tives sur l’agglomération, notamment sur Mardyck.

Une situation aggravée Dans un rayon d’un kilomètre, de nombreuses installations industrielles supplémentaires ont vu le jour : un nouveau gazomètre, des canalisations de gaz, une unité de broyage de clinker, une distillerie, un centre de valorisation et de traitement de déchets industriels, une nouvelle unité de déshydratation d'alcool, la création d’une installation de broyage, cisaillage et stockage de ferrailles avant expédition maritime ou terrestre, l’augmentation de la capacité d’une usine de production de combustibles, l’adaptation d’une raffinerie à la production de carburants à très basse teneur en soufre…


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Des projets à court terme sont par ailleurs en gestation comme l’augmentation de la capacité de production d’une usine de polyéthylène, la construction d’une unité de traitement des boues industrielles et urbaines, la construction d’un terminal méthanier, la construction de deux unités de traitement de gaz, de nouvelles canalisations. On n’est par ailleurs sans nouvelle du projet de construction d’une prison entre les trois sites ICPE (Installations classées pour la protection de l’environnement)… Ce n’est pas tout : les habitants ont également été exposés directement à divers risques (atteinte à la santé, atteinte à la tranquillité) lors d’accidents ou de la remise en cause de la fiabilité des procédures d’alerte, à l’exemple de ce qui est survenu les 3 et 4 avril 2002 où trente tonnes de dioxyde de soufre, rejetées par la raffinerie des Flandres du groupe Total, ont provoqué l’intoxication des habitants de Mardyck. Ou de ce qui s’est passé les 2 et 3 avril 2005 quand les sirènes tonitruantes de l'unité d'odorisation et de compression du terminal gazier Statoil ont retenti pendant 48 heures ! Le site était désert parce que rattaché à un système de télésurveillance à Zeebbrughe, en Belgique. On peut encore citer l’incident survenu lors de travaux de terrassement où un câble à

haute tension a été sectionné par une grue. Une erreur humaine de coordination a été avancée mais c’est surtout l’absence de cohérence dans le positionnement des ouvrages souterrains qui semble devoir être incriminée. Et il faut dénoncer aussi la vitesse excessive des camions ( + de 50 km/h en ZIP ) et les accidents dus à des pertes de chargement ou à des collisions comme ce face à face violent de deux camions citernes au carrefour des sites Seveso de Copénor et Stocknor (les citernes, fort heureusement, n’ont pas subi de dommage.)

Amer constat Le moment est venu de conclure. Force est de constater que la population de Mardyck reste soumise à une pollution chimique et organique chronique. L’activité industrielle, alentour, a littéralement explosé : multiplication des canalisations de matières combustibles, augmentation des capacités des sites industriels existants avec chaque jour sa noria de camions, sans révision des zonages Seveso ni prise en compte des effets connexes… A aucun moment, les autorités locales et territoriales ne se sont posé la question de leurs responsabilités et de leurs devoirs quant à la protection des biens et des personnes !

POLLUTION INDUSTRIELLE

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Un Comité local d’information et de concertation (CLIC) est en cours de constitution tandis que des études de danger ont été réalisées par les industriels ou sont en cours d’élaboration qui feront certainement l’objet de discussions et de contre-expertises concernant la mise en œuvre des zones d’expropriation ou de délaissement… Le MN LE N ord Pas-de-Calais et le collectif mardyckois attendent d’être associés à l’élaboration des Plans particuliers des risques technologiques (PPRT). Lors des assises sur les risques technologiques qui se sont tenues le 12 septembre 2006 à Douai, nous avons demandé quel montant était budgétisé en 2007 pour satisfaire aux expropriations souhaitées par les habitants. La réponse a été éloquente : pas d’expropriation ! Seul un délaissement serait préconisé. Quant au montant budgétisé, personne n’a pu nous répondre ! Comme on peut le constater, 5 ans après AZF, bien des choses ont changé autour de Mardyck… Mais pas grand-chose qui soit susceptible de rassurer les Mardyckois… Combien de temps devront-ils encore attendre pour faire valoir leur droit de délaissement et pouvoir quitter cette zone à si hauts risques ? Christian Muys

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La population de Mardyck reste soumise à une pollution chimique et organique chronique.

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TRANSPORTS ET ENVIRONNEMENT

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Objectif de Rio

D’autres choix pour les transports La concurrence que se font l’avion et le train à grande vitesse, surtout en France et en Europe, est sans conteste favorable au train.

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comparaison entre le train et l’avion renvoie au chapitreIX de l’Agenda 21, adopté à Rio, qui recommande aux Etats et gouvernements « …de mettre au point des systèmes de circulation et de transports plus efficaces et visant à maîtriser les atteintes à l’environnement… ». En approuvant l’Agenda 21, les Etats et gouvernements ont approuvé les deux grandes recommandations du sommet mondial de Rio : réduire la pression sur les ressources naturelles et les pollutions. Depuis cette rencontre mondiale de 1992, toutes les politiques et décisions économiques devaient intégrer ces engagements. Pour ce qui nous concerne, tant en France qu'en Europe, nous en sommes bien loin. C’est au contraire à des transports coûteux en énergie et très polluants (comme l’aérien (1) et la route) que vont la majorité des investissements, au détriment du rail et du fluviomaritime pourtant plus économes en énergie et moins polluants. Cette politique, qui tourne le dos à Rio, est encouragée par la libéralisation, par la privatisation, par le fait que seul compte le marché qui est pris comme facteur de développement, ce qui sous-entend rentabilité et profit. Airparif, organisme chargé de surveiller la qualité de l’air en Ilede-France, a révélé dans un rapport que 35 % des rejets polluants avaient pour origine la plate-forme aéroportuaire de Roissy-Charles de Gaulle, à égalité avec la pollution rejetée par la circulation automobile sur le périphérique parisien, les autres pollutions urbaines n’intervenant que pour 30 %. Le développement du transport aérien “déménage” les territoires. N ombreux sont les aéroports qui ont vu leur trafic augmenter, sans tenir compte des habitations environnantes (2) et de l’aménagement urbain qui s’est rapproché de ces aéroports. A tel point que des projets de construction de nouveaux

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aéroports, à proximité des grandes villes de Province et dans la région parisienne, sont envisagés. Mais comme si cela ne suffisait pas, il est prévu au plan national de privatiser 13 aéroports dont Lyon, N ice, Marseille, etc. afin de permettre à ces installations d’atteindre un niveau supérieur de rentabilité.

De l’inquiétude à l’action A ces inquiétudes, s’ajoutent celles que suscite l’accord réalisé entre l’Europe et les Etats-Unis pour la libéralisation du ciel au dessus de l’Atlantique ce qui, d'après les signataires de cet accord, devrait accroître le trafic de 15 à 20 %. La crise d’Airbus vient de nous révéler que le développement du transport aérien ne se fait pas sans casse sociale, comme en témoignent les 10 000 licenciements annoncés. N otons au passage qu’il s’agit d’abord d’un problème de rentabilité d’où sont exclus les contraintes écologiques. Airbus, pour les 5 ans à venir, compte 2 357 avions en commande et les économistes de ce secteur prévoient qu’il sera nécessaire de construire 1 100 avions par an, sur une période de 15 à 20 ans, pour faire face aux besoins de renouvellement de la flotte aérienne et à son développement prévisible. Il y a là une situation inadmissible aux regards des recommandations du Sommet de Rio et de l’urgence à lutter contre les rejets de gaz à effet de serre. Urgence qui vient de nous être rappelé par le GIEC (3), dans son 4e rapport, publié récemment, à l’occasion de la conférence tenue à Paris début février 2007. Cette politique de rentabilité appliquée à l’aérien se retrouve aussi dans la priorité donnée à la route au détriment du rail. Les syndicats de cheminots viennent de souligner que le Plan fret 2004-2006 s’est traduit par des suppressions d’emplois, un déficit accru et une diminution sensible du tonnage de fret trans-

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porté par le rail, au profit de la route. D’autre part, la privatisation des autoroutes (4) réduit les possibilités de financement de l’organisme (l'AFIT) qui a la responsabilité de l’entretien et du développement des infrastructures ferroviaires. Une étude (5) portant sur l’ensemble du réseau ferroviaire estime à 500 millions d’euros les besoins de financement pour retrouver un bon réseau ferroviaire d’ici 15 ou 20 ans. Le développement des lignes TGV s’est traduit bien souvent par des fermetures de lignes et les régions doivent maintenant assurer le financement des TER, dont la SN CF s’est déchargé. Autre incohérence, la sous-utilisation de la plateforme aéroportuaire de Vatry, dans la Marne, qui a été développée et aménagée par les collectivités territoriales pour en faire un équipement par excellence, pour le fret aérien, et dont l’interconnexion avec la route (autoroute A4) et le rail (TGV Est) est réalisable. C’est donc bien l’ensemble de la politique des transports et les choix économiques en ce domaine qui doivent être remis à plat, avec comme préoccupation première de répondre aux besoins en respectant les engagements de Rio. Il est urgent de favoriser un développement harmonieux et complémentaire des modes de transport, au service des hommes et en respectant l’environnement. A chacun d’agir pour qu’il en soit ainsi. Guy Léger Le kérosène utilisé par les avions est détaxé, ce qui n’encourage pas à l’économiser. (2) Le MNLE, ses associations, ses militants, sont parties prenantes des actions de la population. (3) Groupement de 2 000 scientifiques représentant 60 pays. (4) Une part des péages autoroutiers était affectée au développement du réseau ferroviaire. (5) Etude réalisée par l’Ecole polytechnique de Lausanne. (1)


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Comment les riches détruisent la planète

Ce livre devrait valoir à son auteur la reconnaissance de ceux qui contestent l’ordre établi. Dénonçant l’accroissement de la richesse à un pôle et de la pauvreté à l’autre, Hervé Kempf souligne que l’actuelle représentation du monde n’est pas seulement sinistre mais aveugle car elle méconnaît le caractère explosif de l’injustice, sous-estime la gravité de l’empoisonnement de la biosphère et abaisse les libertés publiques. Indifférente à la dégradation des conditions de vie de la majorité, elle dilapide les chances des générations futures. Mais la contestation de l’Organisation mondiale du commerce, la bataille sur les OGM, le maintien du protocole de Kyoto, l’opposition des peuples européens à la guerre en Irak et le rejet de la constitution européenne sont pour lui autant de signes que le vent de l’avenir recommence à souffler, que des solutions émergent et que grandit l’opposition à l’oligarchie. Il éclaire ce que nous défendons : la nécessité de produire et consommer autrement. Guy Léger « Comment les riches détruisent la planète » d’Hervé Kempf. Le Seuil, 156 p., 14 € .

L’énergie en 21 questions

Contre-vérités, faux-fuyants, nondits, défauts d’analyse, erreurs d’interprétation, intox… le secteur de l’énergie est un théâtre d’ombres où règnent le flou et la manipulation. Quelles sont les qualités et défauts des différentes sources d’énergie ? Comment démêler le vrai du faux ? Expert auprès de l’Académie des technologies et de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, Pierre Bacher se propose d’éclairer nos lanternes. Il le fait avec un art didactique accompli et une rare honnêteté intellectuelle. Son

ambition : nourrir un débat citoyen qui prenne en compte les aspects économiques, la défense de l’environnement, l’éthique et l’équité. Après un décryptage de la notion d’énergie (savoir différencier énergie et puissance, et distinguer l’énergie primaire de l’énergie finale et de l’énergie utile), il se livre à une analyse, sans œillères ni a priori, des différentes énergies fossiles ou renouvelables avec, à l’esprit, la lutte contre le réchauffement climatique. Il appelle, en conclusion, à la mise en place d’un comité d’éthique, et à la solidarité entre les peuples des pays riches et des pays pauvres. On adhère. Michel Felet « L’énergie en 21 questions » de Pierre Bacher. Odile Jacob, 220 p., 21,90 €.

Le développement durable

Qui ne connaît cette collection ? C’est un fleuron de l’édition française dont la formule – textes nerveux, riche iconographie, mise en pages originale – a fait florès en France et à l’étranger. Ce titre ne la déparera pas qui traite avec rigueur d’une problématique capitale, le développement durable, au long de trois chapitres traitant : de l’impasse planétaire à laquelle nous sommes aujourd’hui confrontés ; de la nécessité d’un nouveau mode de développement ; des solutions et stratégies qui s’imposent à l’humanité, aux niveaux global, local et individuel. « Des écosystèmes exsangues », « Plus de richesses pour plus d’inégalités », « Des systèmes politiques défaillants » : les auteurs, qui dressent ce constat accablant, mettent l’accent sur l’importance que peuvent et doivent revêtir les politiques publiques dans les urgentes mesures de correction. Ils soulignent le rôle incitatif d’une fiscalité « verte » et du droit comme instrument d’action privilégié, et appellent de leurs vœux la mise en place d’une « économie circulaire et de fonctionnalité », seule à même de « faire décroître la composante énergétique et matérielle de nos économies sans pour autant les

ruiner ou nous précipiter dans un chaos social » ; entendez : « de systématiser la valorisation des déchets comme des biens à la fin de leur usage ». Ils proposent de substituer, progressivement, la vente de services à la vente de biens. C’est, soulignent-ils, l’unique moyen de « vivre ensemble en préservant la biosphère ». À méditer ! M. F. « Le développement durable. Maintenant ou jamais » de Dominique Bourg et Gilles-Laurent Rayssac. Découvertes Gallimard,128 p., 14 €.

Animaux sauvages

Les guides sur les animaux foisonnent. On a l’embarras du choix. Et l’on se trouve effectivement embarrassé ! Quel est le plus pratique, le plus complet, le plus documenté ? En voici un qui devrait rallier les suffrages : il combine les qualités recherchées. Près de 300 espèces de mammifères, reptiles et amphibiens d’Europe (soit 92 % des trois classes) y sont exposées, photos, dessins et cartes à l’appui. Chaque espèce fait l’objet d’une présentation de ses caractéristiques. On trouve ensuite, outre sa photo, celle du type de milieu où on l’observe communément ; sa localisation géographique ; le dessin de ses empreintes et crottes, et de son terrier, le cas échéant ; des informations concernant sa taille (avec, à titre comparatif, un dessin d’échelle – une main humaine ou un homme adulte), son mode de reproduction, son régime alimentaire, et les espèces similaires ; parfois, enfin, une note de curiosité. Le papier, d’un beau blanc glacé, le choix de la typographie et le soin apporté à la mise en pages ajoutent à l’agrément. L’ouvrage se conclut par un glossaire et un index. Que souhaiter de mieux sous un tel format (10 x 18 cm) et pour un prix aussi modique ? M. F. « Animaux sauvages. Reconnaître près de 300 espèces en France et en Europe » de Chris Gibson. Larousse, coll. Nature en poche, 224 p., 780 photos, 590 dessins et cartes, 12,90 €.

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LU, VU, ENTENDU

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