25e année - n° 94 / OCTOBRE 2007 - ISSN 0754-8826 - 4,00 €
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GRENELLE : A PROPOS DE L’ENERGIE
LES MAISONS DURABLES DU YEMEN
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L’Inde a du pim
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Les femmes du Rajasthan (1), lumineuses dans leurs saris de couleurs, coupent encore les céréales à la faucille (2). A quelques dizaines de kilomètres pourtant, l’Inde technologique explose et le tourisme fait découvrir au monde entier les merveilles que sont le fort d’Amber ou le célèbre Taj Mahal (3). Mais ces femmes ontelles un jour eu l’occasion de les admirer? Ainsi va la vie… Peu de moyens de
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transport dans les campagnes indiennes, des méthodes de culture archaïques, mais toujours le sourire et l’hospitalité! (4) Chez
nous,
une
agriculture
surmécanisée, devant répondre aux
critères
de
rentabilité
accumule les engrais dans la terre, pour finalement devoir détruire une partie de la production. Làbas, les campagnes travaillent par endroits au rythme médiéval, dans un pays en pleine révolution technologique. L’Inde vise à l’autosuffisance alimentaire. Mais une partie de sa production part en exportation dans les pays occidentaux. Beaucoup de pays pauvres sacrifient désormais une bonne part de leurs terres agricoles à des productions destinées à la rentabilité financière. Le Kenya produit des haricots verts et le Sénégal des petits pois, qui arrivent dans nos supermarchés en hiver. Pendant ce temps, une partie de la
du piment !
population africaine souffre de la faim. Les merveilleux champs de piments (5) du Rajasthan, destinés à la production du célèbre « chile », nous rassurent cependant… par leur beauté.
Georges Feterman
ÉDITORIAL
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Mais où est la révolution écologique ?
L
e développement durable est aujourd’hui dans la presque totalité des discours. L’environnement a son Grenelle. Mais le citoyen a du mal à se retrouver dans ce maelström médiatique. Il y a quinze ans, le MNLE était la seule organisation française à diffuser le rapport Brundtland qui a donné la définition la plus couramment utilisée de la durabilité économique : satisfaire les besoins du moment sans hypothéquer les moyens des futures générations. Le temps et la finitude de l’usage des ressources naturelles interpellaient trop discrètement le productivisme régnant en maître. D’ailleurs, l’économie classique avait et a toujours du mal à intégrer ces nouvelles donnes. Ne nous plaignons donc pas de l’écho qu’elles ont aujourd’hui. Mais l’écho est brouillé, aussi faut-il contribuer à faire la clarté, à faire entrer un nouveau développement dans le concret. Le Grenelle de l’environnement a fait la preuve que la notion de développement durable ne peut pas être consensuelle. Elle peut apparaître ainsi si on la réduit à des mesures de bon sens absolument nécessaires, comme l’isolation des habitations et le développement des transports collectifs. Mais elle ne peut plus l’être si elle interpelle les rapports sociaux et les rapports de production. Ce n’est pas un choix idéologique ou moral fait a priori. Deux considérations majeures nous amènent à cette conclusion. La première est celle de l’insuffisance des substituts technologiques pour opérer les mutations dans la douceur. La seconde est celle de l’indispensable cohésion planétaire de la réponse à apporter à la maîtrise du risque climatique. Elle condamne le modèle de mondialisation en vigueur même amendé avec des mécanismes de flexibilité. De manière générale, la tendance est de frapper le consommateur et non le profit et l’usage
des ressources naturelles par l’industrie. De manière générale, l’environnement est un investissement et donc une source de profits, les marchés sont corrigés par l’application systématique de la règle du pollueur-payeur. Il faut créer le bien vivre des neuf milliards d’êtres humains attendus en 2050. Vaste ambition qui ne peut s’accommoder des appels à la décroissance. Il faut globalement produire plus et réduire nos consommations de ressources naturelles dans les pays développés. Bref, il faut produire et consommer autrement tout en sortant le plus rapidement possible de l’âge des énergies fossiles, celui où on faisait croire que l’énergie était abondante, bon marché et sans effet sur les milieux naturels. De fait, la société doit entrer dans une phase de maturation politique où la démocratie est le moyen primordial pour organiser la satisfaction des besoins de l’ensemble des habitants de la planète. Les rapports sociaux et les rapports de production sont donc directement concernés. Or les ateliers du Grenelle ont laissé deux sujets à l’abandon : celui de la citoyenneté et de l’éducation populaire, celui du développement partagé et de la sécurité de l’emploi. Ce fut donc avant tout une rencontre franco-française entre des tenants du maintien du système actuel secoués par les partisans de l’écolo-marketing en recherche d’affaires d’une part, les représentants de l’écologie politique en situation de reconnaissance durable et en demande de contre-pouvoirs. D’autres forces ont essayé de se faire entendre. Mais le bruit de fond médiatique les a étouffées. Apparaît le besoin de la construction d’une nouvelle alliance pour un développement durable, solidaire et souhaité. François COSSERAT Président du MNLE
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ÉQUITABLE : Un commerce à construire au Nord et au Sud
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Yungas : le café, graine de développement.................................................................................p 11 Artisans du Monde - Marseille : l’équitable au point mort ?.....................................................p 14 Commerce équitable et grande distribution : un leurre ? .........................................................p 16 Les Amap face aux enjeux : nourrir équitablement et écologiquement la planète ..............p 18 La charte d’Aubagne : une dynamique de maintien de l’agriculture périurbaine .................p 21 Les Jardins de la solidarité : comment conjuguer économie et développement durable....p 23
Public-privé Nom : ........................................................ Prénom : ................................................... Adresse : ................................................... ...................................................................
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Grenelle Calanques
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................................................................... CP : .............. Ville : ...................................
Yemen
Tél. : .......................... Port. : .................... Courriel : ...................................................
JE M’ABONNE page 27
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RECTIFICATIF : Une erreur s’est glissée dans le dossier sur l’eau de notre dernier numéro : ce n’est pas au titre d’adhérent du MNLE Sensée Scarpe Artois Douaisis que Fabrice Thiébaut s’exprimait, mais en tant qu’animateur du SAGE de la Sensée et chargé de mission de l’Institution interdépartementale Nord – Pas-de-Calais pour l’aménagement de la Vallée de la Sensée. Notre interlocuteur voudra bien nous en excuser.
REVUE TRIMESTRIELLE DU MOUVEMENT NATIONAL DE LUTTE POUR L’ENVIRONNEMENT 6, rue Jules Auffret 93 500 PANTIN Téléphone : 01 48 46 04 14 Télécopie : 01 48 46 44 53 Courriel : MNLE@wanadoo.fr Site Internet : www.mnle.org Directeur de la publication : Guy Léger Coordination de la rédaction: Cyrille Derouet Secrétariat de rédaction: Michel Felet
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Ont collaboré à la rédaction de ce numéro : Michel Binet, François Cosserat, Léon Coutellec, Michel Felet, Georges Feterman, Pierre Lémery-Peissik, Pierre Lenormand, Sandra Pasero, Alain Patouillard, Christian Pellicani, Photos: CETA Pays-d’Aubagne, Bruno Fert, Georges Feterman, Bruno Fert, Pierre Lenormand, Patrick Massaia, Sandra Pasero. Graphisme et mise en pages:
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SOMMAIRE
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Dossier
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GRENELLE
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Grenelle de l’environnement
A propos d’énergie… Comme prévu, Nicolas Sarkozy a usé du pouvoir présidentiel pour dire ce que doit être l’environnement en France. Son maître mot : investir, investir… Il y a soixante-dix ans, Guizot disait à la bourgeoisie « Enrichissez-vous ». Il y a dans l’air comme une réminiscence de la monarchie de Juillet.
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a transformation du dispositif de production et de distribution est incontournable. Mais il s’agit fondamentalement de savoir par qui et pour qui elle sera opérée. Il faudra donc des investissements. Mais seront-ils conçus comme de nouvelles sources de profit où répondrontils équitablement aux besoins de bien vivre des habitants de la planète ? Le lecteur trouvera dans l’éditorial de ce numéro et sur le site du MNLE des informations complémentaires. Les lignes qui suivent développent plus particulièrement la manière dont le discours présidentiel aborde la question de l’énergie.
Un catalogue… La partie du discours consacrée à l’énergie pourrait en première lecture satisfaire beaucoup de monde, sauf sans doute les antinucléaires. Les ONG du Grenelle se sont plutôt montrées satisfaites. On a seulement promis de n’ouvrir aucun site nucléaire nouveau ; or les 58 sites existants ont encore des réserves… Les anti-éoliens peuvent être satisfaits : « Les éoliennes oui, mais d’abord sur les friches industrielles, et loin des sites emblématiques. Et, franchement, quand je survole certains pays européens, cela ne donne pas envie », a déclaré le président. Observons au passage que l’éolien fait perdre des ressources à la ruralité, alors qu’elle en manque cruellement. Les pro-éoliens n’ont pas protesté. Y en a-t-il ? Que deviennent les énergies renouvelables dans le discours ?
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Ce sont d’abord les carburants de deuxième génération mais sans conditionnalité environnementale. C’est-à-dire qu’ils peuvent être issus de l’agriculture productiviste avec tous les inconvénients dont certains sont reconnus dans le discours (voir plus loin). Les plantes dédiées à ces carburants peuvent être aussi concurrentes des denrées alimentaires dans l’assolement. C’est une logique spéculative qui apparaît déjà aujourd’hui alors que nous sommes seulement au début de la hausse du pétrole et des denrées alimentaires. L’énergie solaire n’est pas explicitement citée dans le discours. Mais il est possible de penser qu’elle est concernée à deux titres : d’une part, dans l’habitat où, à l’horizon de 2020, les bâtiments construits devraient être à énergie positive, c'est-à-dire produire plus d’énergie que les occupants n’en consomment ; d’autre part, dans la recherche pour laquelle il est promis de mettre les crédits à la hauteur de ceux consacrés au nucléaire. L’origine des crédits n’est toutefois pas indiquée. Les groupes pétroliers sont très probablement intéressés.
Course à l’échalote « Notre première priorité, et c’est l’une des conclusions du Grenelle, notre première priorité, c’est de réduire notre besoin d’énergie. L’objectif est d’améliorer de 20 % notre efficacité énergétique d’ici à 2020. Et notre deuxième priorité, de viser un objectif de plus de 95 % d’énergie électrique sans effet sur le climat, c'est-à-dire
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sans carbone. C’est, à mes yeux, le seul objectif pertinent pour lutter contre les défis climatiques ». S’agissant de l’efficacité énergétique, sur quelle forme d’énergie va-t-elle avoir un effet ? Energie électrique ou fossile ? L’enjeu n’est pas le même. Si l’on considère l’habitat, par exemple, la réduction de moitié de l’énergie fossile utilisée pour le chauffage amènerait une réduction de 8,5 % des émissions de gaz carbonique. C’est un objectif ambitieux à l’horizon 2020. Si par contre il s’agit d’économies d’énergie électrique dans l’industrie, les effets sur le risque climatique seront pratiquement nuls. Car nous avons déjà de l’énergie électrique à 95 % sans carbone ! Le discours présidentiel promet ensuite le double recours à l’énergie nucléaire et aux énergies renouvelables. On ne sait pas bien s’il s’agit d’énergie électrique ou non : « De la même façon que nous avons le programme national nucléaire, qui a été lancé en 1974 pour réduire notre dépendance énergétique, je veux engager un programme national des énergies renouvelables, avec la même ambition. Pourquoi opposer le renouvelable et le nucléaire, alors que chacun sent bien que nous avons besoin des deux ? Nous voulons faire de la France le leader des énergies renouvelables, au-delà même (…) de l’objectif européen de 20 % de notre consommation d’énergie en 2020. » S’il s’agit de l’énergie électrique, on n‘en voit pas l’intérêt. S’il s’agit d’énergie primaire totale, on demande à voir comment il sera possible en 2020 de
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Affiche gouvernementale sur le Grenelle de l’environnement
produire l’équivalent de 55 millions de tonnes de pétrole essentiellement avec de la biomasse !
Flou et contradictions Le discours présidentiel indique encore : « Premier principe : tous les grands projets publics, toutes les décisions publiques seront désormais arbitrés en intégrant leur coût pour le climat, leur coût en carbone. Toutes les décisions publiques seront arbitrées en intégrant leur coût pour la biodiversité. Très clairement, un projet dont le coût environnemental est trop lourd sera refusé. » Très bien, mais pourquoi ne pas appliquer ce principe à l’énergie et aux énergies renouvelables ? Pourquoi ne pas demander la transparence économique et environnementale de leur production ? « Les Français ont le droit de savoir. Ils ont le droit de connaître la vérité sur les menaces d’aujourd’hui et de demain. Ils ont le droit de se faire leur propre opinion. » Ils ont en particulier le droit de savoir comment on va diviser par 4 notre consommation d’énergies fossiles ! Le discours présidentiel ne peut guère les renseigner.
Le Centre d’analyse stratégique a publié, le 25 septembre, son rapport sur les problématiques énergétiques. Ces travaux ont été engagés bien avant qu’on ne parle du Grenelle et ses conclusions ne sont guère optimistes. Les Français ont aussi le droit de savoir pourquoi il y a tant de projets de terminaux méthaniers et de centrales au charbon qui ne peuvent être propres. Sans aucun doute sur les effets de la libéralisation de la production d’énergie et la fin des entreprises nationales. Le consommateur paiera la facture de ce foisonnement d’équipements. Investissements toujours, et fuite en avant encore ! Mais aussi, manque de cohérence. Il est vrai qu’en matière d’énergie il est facile de perdre pied. Les candidats à l’élection présidentielle en ont été une preuve vivante. Alors chiche ! Commençons par appliquer le premier principe présidentiel aux problèmes de production et de distribution de l‘énergie.
approche en attrape-tout. Le texte est habile. Les ONG sont globalement satisfaites. La seule interrogation concerne la crédibilité des financements. Qu’on ne s’y trompe pas, la conception sarkozyenne de la durabilité du développement est basée sur l’entrée en force des capitaux privés. Secondairement, le volontarisme présidentiel essaiera de mettre en demeure les collectivités territoriales pour obtenir une cohérence opérationnelle. Le consommateur devra payer ou s’abstenir. Le Grenelle de 68 avait permis une répartition plus juste des richesses. Ce n’est pas le cas de celui-ci. Il serait dangereux pour la défense de l’environnement de s’en tenir là. Ne s’agit-il pas d’une capitulation honorable des ONG de Grenelle qui devront se cramponner à la protection de zones protégées, mieux mises en réseau par une trame – verte, certes ? Le développement durable, solidaire et souhaité, c’est autre chose. François Cosserat
Les limites de l’approche Le discours présidentiel est largement caractérisé par cette
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Un commerce à construire au Nord et au Sud Le commerce équitable se donne pour objectif de corriger les effets négatifs des marchés mondiaux sur les producteurs de denrées alimentaires des pays du Sud comme des pays du Nord. Il affecte des formes diverses. Prenant en compte, peu ou prou, les données économiques, sociales et environnementales, il contribue à la construction d’un développement durable, solidaire et souhaité. C’est pourquoi le MNLE s’y intéresse de près.
DOSSIER
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e lecteur pourra se rendre compte dans le dossier que les différents acteurs du commerce équitable ne sont pas toujours d’accord sur les objectifs et les moyens. Le débat doit s’approfondir avec l’intention de faire grandir la demande sociale et donc une dynamique sociale porteuse. Sur quoi le désaccord porte-t-il ? Max Havelaar, acteur historique, a développé une approche caritative auprès de producteurs du Sud. Les informations sur la marchandise portent donc sur la rémunération des producteurs et les pratiques culturales et collectives dans les domaines de la santé et de la formation. Le prix payé est supérieur à celui qui est déterminé par le marché mondial. Mais il n’y a aucune obligation de transparence pour les opérateurs situés en aval, ceux qui achètent la denrée aux producteurs et effectuent les opérations nécessaires pour la mettre en vente. La grande distribution diffuse les produits Max Havelaar. Ce que conteste Minga (voir pages 16-17) qui affirme sa volonté de « travailler avec des entreprises qui payent correctement leur personnel et respectent la législation de leur pays et l’environnement ». Les grands groupes de l’agro-alimentaire, ceux-là mêmes qui manipulent les marchés mondiaux, pourraient s’introduire dans des formes de commerce équitable. L’écolo marketing n’a
Il faut corriger les effets négatifs des marchés sur les producteurs de denrées alimentaires
Sandra Pasero
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EQUITABLE: UN COMMERCE…
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Nord - Nord : un commerce de proximité
pas d’état d’âme ! Le prix des denrées du commerce équitable est en général plus élevé. Ce n’est pas a priori anormal puisque la denrée est payée plus cher au producteur. Mais y a-t-il une relation directe de cause à effet ? On sait très bien que pour les fruits et légumes, la faiblesse du prix payé aux producteurs n’a pas de répercussion sur les consommateurs. La marge de la grande distribution est le facteur déterminant. Si donc la chaîne économique des valeurs reste opaque, rien n’incitera le citoyen-consommateur à privilégier le commerce équitable sinon de faire, de temps à autre et pour quelques denrées, un geste de soutien à des producteurs du tiers monde.
Utopie ?
Il faut donc amener des informations nouvelles à l’acheteur. Elles doivent permettre de préciser les rapports sociaux qu’une marchandise aujourd’hui cache, de définir l’usage des ressources naturelles qui ont été mobilisées dans sa fabrication, sa distribution et au traitement des déchets. La transparence de l’échange inclut celle de sa valeur d’usage, sociale et environnementale. C’est donc une transformation profonde du fonctionnement du marché qui est demandée. Naguère iconoclaste, la possibilité de faire apparaître le “poids carbone fossile“ dans les produits et les services est maintenant admise. Elle fleurit aujourd’hui jusque dans le discours présidentiel. Mais ne nous
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cachons pas la signification profonde de la rencontre de Grenelle. Les protagonistes principaux ont été d’accord pour examiner les problèmes environnementaux en laissant de côté les considérations sociales et économiques. Le credo de la règle du pollueur-payeur est là pour combler un vide. Il exprime une croyance bien ancienne dans la vertu de la taxe. Le meccano fiscal de la taxe carbone apparaît effectivement comme la seule solution rationnelle s’il n’est pas possible d’agir autrement sur les régulations marchandes. Le salut de l’environnement proviendrait d’une logique fiscale et non de l’intelligence citoyenne. La pauvreté idéologique de l’écologie politique est apparue dans le Grenelle. La « révolution écologique » décrite dans le discours présidentiel et qui semble satisfaire beaucoup de monde n’est qu’un cataplasme appliqué aux effets environnementaux, une potion qui pourrait bien être amère. La question de fond est qu’il faut construire un nouveau développement, durable, solidaire, souhaité. Il ne peut réussir que si les réponses mêlent de manière synergique les dimensions sociales, économiques et environnementales. Dès lors, il est clair que la clarté et la transparence des échanges constituent un champ social stratégique.
Unir les intelligences Le soutien au développement des acteurs du commerce équitable
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est donc un objectif majeur. Etablir la transparence sociale et environnementale des actions est une condition essentielle. Pour ce faire, le MNLE avance trois propositions. La première est la définition d’une charte de la production et de la consommation durables. Elle permet de définir les conditions du rassemblement citoyen autour du commerce équitable. Elle définit son assiette sociale et environnementale, les moyens pour établir sa transparence et son contrôle social. La deuxième est la création, dans les communes, de Jardins de la Solidarité. Rassemblant les différents acteurs du commerce équitable, cette structure aide à la mise en oeuvre des projets dans toute leur diversité : commerciale, culturelle, pédagogique… La dernière porte sur le développement de l’éducation populaire. S’adresser à l’intelligence humaine plutôt qu’à la main invisible du marché pour construire notre avenir est une tâche nouvelle et difficile. Le siècle des Lumières nous a légué l’héritage du mariage solide entre progrès social et progrès scientifique. Il faut revisiter ce déterminisme. Le monde n’est pas seulement plus complexe, il a pris toute sa dimension planétaire. Le citoyen se sent tout petit. L’union des intelligences doit être forte. Encore faut-il s’en donner les moyens ! Le Grenelle de l’environnement et le discours présidentiel ont superbement ignoré ces questions. Francois Cosserat
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Avec les campesinos des Yungas
Le café, graine de développement En une douzaine d’années, le commerce équitable combiné avec le projet d’appui au développement Forcafe a initié en Bolivie une véritable dynamique qui a révolutionné la vie de près de 8 000 familles avec pour elles trois effets essentiels* : passer du stade de la survie à l’investissement dans l’avenir ; retrouver la fierté du travail et l’attachement au produit ; être capables de s’unir en des organisations fortes, démocratiques et transparentes. Trois aspects qui créent les conditions d’un véritable développement durable. Bruno Fert
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n peut voir la Bolivie comme une pente vertigineuse. En haut, l’Altiplano pointe vers les 4 000 m. Au Nord-est, commence à s’étaler, au niveau de la mer, la forêt amazonienne. Entre les deux déboulent à flanc de falaise de minces chemins vicinaux à pic. Dans les dernières décennies, c’est par là que la route des Yungas a ouvert la voie à la colonisation d’espaces d’altitude semi-tropicaux. Des étendues de terres à la verticale, difficiles d’accès, mais ô combien plus fertiles que la caillasse de l’altiplano où, depuis des siècles, des paysans survivent en cherchant à faire pousser des patates et du quinoa. Pendant une quarantaine d’années, des milliers d’entre eux ont descendu les pentes pour venir défricher ces terres aussi généreuses qu’enclavées. Campesino, dans les Andes, c’est un statut socioprofessionnel, le paysan, mais aussi une ethnie, ici le plus souvent aymara. Dans les Yungas, tout pousse. Installé sur son coin de montagne, chaque colon cultive donc ce qu’il peut arriver à vendre. Mais là est tout le problème. Il fait des agrumes, mais c’est peu rémunérateur. Il fait de la coca, mais c’est à peu près illégal et ça détruit les sols. Il fait de l’achiote, un colorant alimentaire naturel, mais les débouchés sont rares. Il fait du café, mais les cours sont tellement fluc-
Pendant des années, faute de mieux, une bonne partie des campesinos des Yungas ont fait du café sous l’ombrage majestueux des arbres tropicaux tuants. Dans les Yungas, l’habitat, c’est au mieux une maison en torchis délavée au fil de la saison des pluies, au pire une cabane en planches ouvertes à tous les vents. La brique est encore le signe d’un privilège. Le régime alimentaire, c’est à chaque repas un gros monticule de riz, quelques bananes desséchées et un peu de sauce pour faire passer le tout. La viande est souvent un signe de luxe.
De la vie à la survie Pour les communautés dont la coopérative est certifiée par Max Havelaar, le prix juste et stable commence à faire son effet.
Quand, au bout d’heures à cheminer sur des pistes poussiéreuses, on arrive dans le bourg central d’une colonie, on peut présumer d’un coup d’oeil son ancienneté dans le commerce équitable. Après quelques années, les maisons de briques coquettement enduites de jaune et de bordeaux remplacent progressivement les masures en planches. Les poteaux électriques jalonnent ce qui commence à ressembler à des rues. Grâce à l’apport de la prime de développement, les coopératives peuvent solliciter des cofinancements des pouvoirs publics pour, par exemple, installer l’eau potable. La coopérative, instance centrale de la vie commune,
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…A CONSTRUIRE AU NORD ET AU SUD
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« Maintenant, que nous savons que le marché est stable, nous pouvons nous permettre de faire des efforts sur la qualité », explique Elias. Ainsi, les suppléments de prix s’empilent : prix minimum garanti, transformation plus avancée grâce aux investissements devenus possibles, accès aux marchés de qualité. Comme la qualité paie, c’est un cercle vertueux qui s’engage pour lui.
Le retour des jeunes
Un café payé à un prix juste s’équipe de salles de réunion, d’ordinateurs et souvent d’une petite usine de transformation. En 2005, une étude d’AVSF (Agronomes et vétérinaires sans frontières) a montré que les revenus des producteurs certifiés des Yungas ont varié en moyenne de 1 600 à 2 700 euros par an, alors que ceux qui vendaient leur café sur le marché local ou en café biologique oscillent plutôt entre 320 et 595 euros. Comme point de repère, l’étude montre qu’une famille de cette région avec deux enfants a besoin de 675 euros par an pour survivre. Survivre, c’est le fait de pouvoir acheter des aliments et différents produits de base au marché. Elle estime aussi que 1 430 euros sont nécessaires pour avoir une vie « digne et durable », c’est-à-dire les moyens de financer les études des enfants et en général d’être en capacité d’investir pour l’avenir.
La valeur du travail Pendant des années, faute de mieux, une bonne partie des campesinos des Yungas ont fait du café sous l’ombrage majestueux des arbres tropicaux. Comme ailleurs, le café est une culture d’exportation. Jusqu’à maintenant, on n’en buvait pas, on se contentait de le faire pousser et de le vendre à l’intermédiaire de passage, le rescatiri, un personnage qu’on n’aimait guère. « Ils
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fixaient leur propre prix et trichaient sur les quantités », se souvient Elias Mamani Flores, producteur à la coopérative Antofagasta. « Ils avaient décrété qu’un quintal faisait 120 livres ». Un quintal, c’est en fait cent livres, soit 45,36 kg, ce qui correspond à peu près au poids d’un sac. Selon les périodes et le bon vouloir des intermédiaires, ce sac était payé en dessous de trente euros. Peu importait la qualité : pour ces acheteurs peu regardants, un grain en vaut un autre, pourvu qu’il se trouve des exportateurs pour acheter, à un aussi bas prix, un café amer et sans saveur.
Le prix de la qualité Aujourd’hui, Elias fait le tri. Installé sur le pas de la porte de sa nouvelle maison, il met de côté les cerises vertes ou sèches pour ne retenir que celles qui luisent d’un beau rouge rubis. Une fois le grain extrait, la pulpe va nourrir des bataillons de lombrics dont les excréments fertiliseront la prochaine récolte. Ces méthodes, il les a développées grâce à l’appui du projet Forcafe, un projet de développement mené par deux ONG, AVSF et Acra. Articulé aux débouchés du commerce équitable, il permet à Elias de fournir un excellent produit, payé à un prix juste : 106 euros le quintal, plus 4 euros de prime à l’agriculture biologique.
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C’est cela qui a mené les enfants d’Elias à s’intéresser à nouveau au café. Rosa, 29 ans, vient d’acheter six hectares de friches près des terres de son père. Dans trois ans, les petits caféiers qu’elle vient d’y planter devraient lui donner de quoi vivre correctement. Rosa revient de La Paz où elle était montée à 18 ans pour faire des études qu’elle ne termina jamais. Dans une chocolaterie, puis chez un tailleur, elle avait connu douze heures par jour des emplois peu qualifiés. Quand elle évoque cette période, les larmes lui montent aux yeux : « Il n’y avait pas beaucoup de travail à La Paz et quand j’en avais, j’étais exploitée et sous-payée. J’étais aussi victime de discriminations parce que je suis une femme et fille de paysans qui parle mal l’espagnol ». L’an dernier, ayant réalisé que son père pouvait vendre entre 50 et 90 sacs, qu’il pouvait investir pour l’avenir, elle s’est dit : « S’il peut le faire, pourquoi moi qui suis jeune ne pourrais-je pas le faire ? ». Aujourd’hui, elle travaille en partie pour aider son père en retour de l’aide financière de celui-ci, tout en achevant le défrichage de ses propres terres. Quand elle sera en capacité de produire vingt sacs en une récolte, elle pourra à son tour adhérer à la coopérative et vendre sur les marchés du commerce équitable. « Mon rêve, c’est de devenir une petite entrepreneuse », confie-t-elle.
S’unir pour être plus forts Quand il parle de son travail, de son café, de ses ventes, Santiago
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La coopérative : un moyen d’élever le niveau de vie en même temps qu’un horizon politique et social Mamani Guaranca parle toujours à la première personne du pluriel : ses compañeros et lui-même. Casquette à la Castro vissée sur le crâne, cet admirateur d’Evo Morales voit Villa Oriente, sa coopérative, autant comme le moyen d’élever son niveau de vie que comme un horizon politique et social. La coopérative, c’est pour les producteurs ce qui permet de ne pas rester isolé face au marché. « Il y a une grande différence entre une société privée et une coopérative, souligne Santiago. L’une garde les bénéfices tandis que l’autre réinvestit le surplus d’argent pour développer des routes, des biens publics… ».
Nouvelle génération A 26 ans, installé depuis seulement cinq ans, Santiago n’a pas connu le temps où les coopératives étaient trop souvent des structures creuses à la gestion déplorable. Dans les Yungas, les plus anciens se méfient encore. Ils ont trop d’exemples de présidents à vie, d’intendance douteuse et d’escroquerie. Santiago, lui, malgré les multiples pincettes qu’il prend pour rendre hommage à l’expérience de ses aînés, se pose en tenant de la nouvelle génération, celle des becarios, les lauréats d’une formation de 19 mois à l’administration, la gestion des
organisations, la commercialisation et à la comptabilité. « Je me vois comme un chef d’entreprise, mais toujours au sein d’un collectif. Nous devons acquérir des compétences en tant que groupe. Si nous ne sommes pas unis, nous risquons d’échouer ». « Entreprise paysanne », c’est un terme qu’on entend de plus en plus dans les Yungas, depuis que des classes entières ont suivi les cours. Les becarios font évoluer les coopératives vers des structures plus commerciales et plus efficaces, mais toujours dans un esprit mutualiste. Nelly Usnayo, la formatrice qui depuis bientôt sept ans anime la plupart des sessions, a développé avec son équipe une méthode participative en langue aymara. Indispensable pour faire comprendre à un public en grande partie illettré que les producteurs de base ont des droits. « Au début de la mise en place du commerce équitable, les premiers becarios à être formés à la bonne gestion ont pris la place de ceux qui monopolisaient le pouvoir ». Ainsi, ces dernières années, les trois quarts des organisations de producteurs certifiées ont réformé leurs statuts. « Autrefois, à la coopérative Mejillones, la direction était empirique, sans aucune procédure écrite », se souvient Nelly. « Il était courant qu’il y ait trois comptabilités : une pour soi, une pour les membres et une
pour le fisc ». Aujourd’hui, quand on arrive à Mejillones, au mur de la salle commune de la coopérative s’étale un grand organigramme : conseil d’administration, comité de surveillance, département commercialisation, département qualité… Au moment de repartir, au terme d’une après-midi passée en compagnie des producteurs, on vous demande de signer un compterendu soigneusement manuscrit. Autre facteur structurant : les visites de FLO-Cert, la société de certification qui contrôle les standards de Max Havelaar. Au fur et à mesure du développement du commerce équitable, le contrôle est devenu toujours plus professionnel. La visite annuelle de l’inspecteur est devenue un facteur motivant pour tenir les registres à jour : « Sans FLO-Cert, le projet Forcafe n’aurait pas eu le même impact », estime Nelly. « Les contrôles leur ont permis de réaliser qu’ils n’avaient pas de procédures. Ils se sont ainsi professionnalisés ». Reportage de Max Havelaar aidé de AVSF * Extrait des conclusions de l’étude de l’impact du commerce équitable sur les organisations et familles paysannes et leurs territoires dans la filière café des Yungas de Bolivie, Agronomes et vétérinaires sans frontières, décembre 2005.
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Commerce équitable et grande distribution : un leurre ? La grande distribution et des marques comme Nestlé se sont lancées dans le commerce équitable. Leurs maigres rayons ou produits qualifiés d’équitables détonnent dans leur royaume du profit où les pratiques demeurent irrespectueuses de l’Homme et de l’environnement. Alors que certains affirment que pour être connu le commerce équitable doit s’afficher en grande distribution, d’autres s’en indignent. Michel Besson, le président de Minga, témoigne pour Naturellement du phénomène « commerce équitable et grande surface ». Naturellement. • Pour Minga, qu’est-ce que le commerce équitable ? Michel Besson. Pour nous, le commerce, qu’il soit ou non dans une démarche d’équité entre
partenaires, est un ensemble de filières socio-économiques complexes, qui inclut tous les domaines d’activité (produits, services, culture, etc.) et toutes les régions du monde. L’objectif
MINGA, QU’EST-CE ? L’association Minga, créée en 1999, regroupe des personnes physiques et une centaine de structures qui participent à la construction et au développement d’actions économiques intégrant : l’exigence d’équité économique et sociale tout au long des filières, dans un fonctionnement démocratique ; tous les secteurs d’activité, la professionnalisation, le refus de la précarité par la création d’emplois et de richesse partagée ; le souci de la qualité des produits et des services proposés en priorité dans le cadre de circuits courts et de proximité ; la préservation et le renouvellement des ressources naturelles ; la transparence totale et la liberté dans les relations économiques, le respect mutuel entre tous les partenaires des filières, faisant de la diversité une richesse collective. Les activités de Minga : participer à des travaux et à des débats sur l’équité dans les transactions commerciales et sur les modes de garantie des différentes démarches ; informer et sensibiliser les acteurs de la société sur les problématiques soulevées par l’équité dans les échanges économiques (rencontres, débats, conférences, bulletin, site Internet…) ; mettre en relation, tant au plan français qu’européen et international, des structures économiques qui intègrent l’exigence d’équité dans leurs transactions et leur mode de fonctionnement. L’objectif est qu’elles puissent renforcer leurs coopérations et faire valoir leur point de vue d’acteurs économiques auprès des pouvoirs publics ; former et accompagner professionnellement des acteurs économiques qui favorisent l’équité dans toutes leurs transactions commerciales (accueil, conseil, formation à la création d’entreprises) ; soutenir la mise en place et le suivi de nouvelles filières commerciales équitables. Minga travaille notamment avec des comités d’entreprise, des collectivités territoriales, des Amap, des comités de chômeurs et de RMIstes ; et dans soixante pays.Site de Minga : www.minga.net
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d’un commerce équitable, c’est le respect entre humains et de la nature, mais c’est avant tout une meilleure compréhension du monde dans lequel nous vivons, à travers ses pratiques d’échange. C’est aussi, dans notre quotidien, l’équité pour tous les travailleurs qui interviennent dans une filière : du producteur à l’acheteur final, en passant par le transporteur, le transformateur, les prestataires et les commerçants. Qu’il s’agisse de filières courtes ou longues, de partenaires voisins ou lointains. Enfin, dans une société de plus en plus inéquitable, cette recherche d’un maximum d’équité dans les échanges ne peut être qu’une démarche qui “tend vers“ et non pas un secteur à part, élitiste et excluant, où tout autre échange ou tout autre commerçant serait inéquitable. Cette pratique de niche commerciale “équitable“ se base sur une idéologie tiers-mondiste paternaliste qui, une fois de plus, divise les travailleurs entre eux et pour le moins en deux catégories : ceux du Nord et ceux du Sud de la planète. Dans notre démarche, les critères de solidarité, de souveraineté politique et économique (notamment sur le plan alimentaire), de moyens démocratiques de connaissance, de production et de distribution ou de respect de notre environnement sont essentiels. Le prix n’est qu’un critère parmi de nombreux autres dont celui de la transparence qui, seule, permet la confiance et surtout un débat
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« Pour un commerce équitable, changeons la loi ! » de fond démocratique et permanent, une véritable autoéducation populaire, mais aussi des échanges pour améliorer nos approches et nos pratiques, et l’autocontrôle citoyen. Naturellement. • Dans la grande distribution, des produits équitables côtoient ceux inéquitables qu’elle achète à des prix dérisoires afin de poursuivre sa course effrénée à la concurrence et au profit. Quel est le point de vue de Minga sur la vente de produits équitables en grande distribution ? Pour la grande distribution, vendre des produits issus d’un certain type de “commerce équitable“ lui permet de redorer son image alors qu’elle ne vise que le profit par l’exploitation des salariés et des fournisseurs. Le commerce équitable est devenu un argument de vente et non plus une démarche. Tous les membres de Minga ont décidé de ne pas travailler avec la grande distribution, car en réalité les produits étiquetés équitables qu’elle propose ne sont que des leurres. Un exemple : les prix de Max Havelaar n’ont pas évolué depuis 1998, alors que l’euro a pris 40 % sur le dollar. A qui cela bénéficie-t-il ? Qui s’enrichit ? Ce ne sont pas les producteurs. Les pseudoproduits équitables vendus en grande distribution mettent à mal ceux des
structures du commerce équitable. De plus, les citoyens qui se fournissaient chez nous se tournent vers les supermarchés, hypermarchés, car tous les produits y sont concentrés, ce qui est donc plus pratique pour eux. Dès lors, la grande distribution, si elle n’est pas totalement responsable des difficultés que nous connaissons, participe à la destruction des organisations mises en place. Minga a effectué des enquêtes à la sortie de grandes surfaces afin de savoir pourquoi les consommateurs y achètent “équitable“. Pour ces derniers, il s’agit d’une démarche caritative, ce qui va à l’encontre d’un véritable commerce équitable et ce qui est paradoxal, car dans ce même lieu, ils achètent inéquitable et cautionnent ainsi, souvent sans le savoir, l’exploitation d’autres travailleurs. Il nous faut sortir de notre ignorance, entretenue par les médias. A l’école, on n’apprend pas ce qu’est le commerce, hormis dans les filières spécialisées. Or il est au cœur d’un système complexe : l’économie dont nous dépendons quotidiennement. Pour que le citoyen soit responsable, réfléchisse et se réapproprie l’économie, il faut faire de l’éducation populaire. Naturellement. • Minga, la Confédération paysanne et Breizh Ha Reizh ont lancé une
pétition pour changer l’article 60 de la loi du 2 août 2005. De quoi s’agit-il ? L’article 60 de la loi du 2 août 2005 limite le commerce équitable à « l’échange de biens et de services entre des pays développés et des producteurs désavantagés situés dans des pays en développement ». Cette loi, votée subrepticement et qui émane d’un travail sur le commerce équitable engagé par l’AFNOR (Association française de normalisation) à l’initiative du secrétariat d’Etat, ignore les négociations engagées avec les organisations et institutions. Pour nous, l’équité est universelle, elle nous concerne tous, citoyens et l’ensemble des travailleurs d’une filière, et tous les échanges, avec les producteurs du Sud, du Nord et français, c’est-àdire là où nous vivons. C’est pourquoi nous avons lancé la pétition « Pour un commerce équitable, changeons la loi ». Réduire l’équité aux seuls échanges NordSud revient à nous faire oublier que nous sommes aussi des travailleurs, des citoyens, à nous cantonner dans un rôle de consommateurs passifs et à adopter une attitude charitable tiers-mondiste. La charité n’a jamais aidé à changer le monde. Réfléchissons et faisons autrement ! Propos recueillis par Sandra Pasero
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L’équitable au point mort ? De plus en plus concurrencées par la présence de quelques produits du commerce équitable sur les gondoles des grandes surfaces, les associations qui le pratiquent de manière généraliste voient leur activité gravement compromise. Ce qui n’est pas sans effet sur la vocation et la nature mêmes du commerce équitable. Et sur le sort de nombreux producteurs des pays du Sud.
«Q
uiconque travaille a droit à une rémunération équitable et satisfaisante lui assurant ainsi qu’à sa famille une existence conforme à la dignité humaine et complétée, s’il y a lieu, par tous autres moyens de protection sociale ». Article 23, alinéa 3 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme. Le commerce équitable, c’est ça ! Il n’y est pas question de « cours des matières premières » ou de « loi de l’offre et de la demande », encore moins de « concurrence acharnée » ou de « maximisation des profits » ! On aborde les discussions de prix et de conditions
d’achat en termes de justice, d’équité, de besoins légitimes, d’éducation et santé, de respect et de protection des humains, de solidarité… On aborde aussi, évidemment, les questions liées à la qualité, au développement durable et à l’environnement. Artisans du Monde est une fédération d’associations locales qui pratique le commerce équitable en France depuis trente ans. Nous sommes présents dans tous les départements à travers 150 associations et 170 points de vente. La première boutique marseillaise a ouvert il y a plus de vingt ans, rue Châteauredon. Depuis dix-neuf ans, elle est implantée au 10 rue
de la Grande Armée, dans le premier arrondissement. Nous y vendons des produits alimentaires classiques comme le chocolat et le café, mais aussi d’autres denrées plus originales comme le thé rouge ou le guaranito. On y trouve aussi de nombreux objets d’artisanat pour la décoration, l’usage quotidien ou l’habillement et même des livres, des bijoux et des instruments de musique… Tout ce que nous vendons respecte scrupuleusement les critères du commerce équitable. Parallèlement à cette activité purement commerciale, nous consacrons beaucoup de moyens
Artisans du Monde est présent dans tous les départements à travers 150 associations et 170 points de vente
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Dans les supermarchés, on ne trouve pas les innombrables objets artisanaux dont la vente fait vivre dignement des villages entiers
riz, quinoa et… c’est tout ! Ces produits se développent vite et bien, tant mieux. Mais au détriment de tous les autres ! Dans les supermarchés, on ne trouve pas les innombrables objets artisanaux dont la vente fait vivre dignement des villages entiers éloignés de tout. Du fait que les clients attirés par le café ou le thé équitable des grandes surfaces ont déserté les boutiques spécialisées, ces objets n’ont plus d’acheteurs ! Si l’on n’y prend garde, le commerce équitable sera réservé dans les années à venir aux producteurs de café, de thé et de riz. Faut-il à ce point spécialiser les pays du Sud ? Orfèvres, tisserands, producteurs de coton et tous les autres paysans et artisans du monde entier doivent trouver des débouchés équitables pour leur travail.
Que faire ? à l’information et à l’éducation, notamment auprès des jeunes en milieu scolaire ou universitaire. En même temps, nous participons à toutes les campagnes d’opinion destinées à promouvoir les principes de la solidarité entre les hommes et à faire disparaître les dysfonctionnements, les dérives et les injustices du commerce international.
Espoirs déçus … Depuis des années notre activité, prise en charge par une forte équipe de bénévoles, s’est développée régulièrement pour le plus grand bien de tous les travailleurs du Sud dont nous écoulons la production. Il y a quelques années, nous avons créé ici un emploi à temps partiel et nous ne désespérons pas d’en créer un second cette année. La situation s’est brutalement dégradée à partir du printemps 2006 où notre volume de ventes a chuté sensiblement. On a cru longtemps que le chantier du tramway était responsable de cette baisse d’activité. Ce n’est vrai qu’en partie. D’autres magasins de commerce équitable, loin de Marseille, connaissent les
mêmes difficultés. La chute de notre chiffre d’affaires sur le café, nettement plus forte que la moyenne, nous a mis sur une piste…
Du bon, du moins bon… Les grandes surfaces ont développé récemment des rayons de commerce équitable autour de quelques produits typés dont le café et ont attiré un grand nombre de nos clients. L’achat de produits du commerce équitable est un achat réfléchi, responsable, pour ainsi dire “militant“. Si le consommateur qui pratique ce genre d’achat trouve quelques denrées équitables dans les rayons de son supermarché, il n’a plus à faire le détour vers une boutique spécialisée. Une partie de son budget va au commerce équitable et c’est bien. D’une certaine manière, c’est « le commerce équitable à la portée de tous ». Il y a malheureusement un revers à cette médaille et il est lourd de conséquences. Dans les rayons équitables de la grande distribution, on trouve cinq ou six produits alimentaires de consommation courante, chocolat, café, thé,
La solution ? Elle nous incombe. A nous d’informer les consommateurs et de les convaincre que le commerce équitable, ce n’est pas seulement deux ou trois mètres de gondole dans un supermarché, goutte d’eau dans un océan. A nous de les attirer vers un commerce équitable “généraliste“ pour le plus grand bienfait du plus grand nombre. A nous de sortir de notre boutique, ici et ailleurs, pour aller encore plus que nous ne le faisons déjà au devant des consommateurs. Il y a peut être d’autres raisons à notre stagnation actuelle : perte de pouvoir d’achat d’une partie de notre clientèle ? Confusion entre bio et équitable ? Qui achète bio croit acheter équitable, ces deux valeurs peuvent être complémentaires, elles ne sont pas équivalentes. Quoi qu’il en soit, nous gardons confiance, nous allons rebondir, nous croyons « dur comme fer » en notre action et nos sympathisants, nombreux, y croient aussi ! Michel Binet, Secrétaire du conseil d’administration d’Artisans du Monde Marseille
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Les Amap face aux enjeux Nourrir équitablement et écologiquement la planète En 2050, 9,2 milliards d’humains devront se nourrir équitablement en prenant en compte les limites physiques de la terre. L'enjeu de l'agriculture est donc bien de savoir comment nourrir la population sans détruire la planète. Face à cet enjeu, deux invariants doivent nous mobiliser constamment : permettre aux peuples de chaque pays d'acquérir une souveraineté alimentaire et réduire l'impact écologique de l'agriculture.
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our relever ces défis, les paysans ne sont plus seuls. Des alternatives nouvelles existent dans lesquelles paysans, écologistes et citoyens convergent et participent à des expérimentations collectives riches d’inventions sociales. En se prononçant concrètement pour une alimentation écologiquement et socialement responsable, des consommateurs font le choix de l’émergence d’une société nouvelle, refusant la maltraitance animale, respectant l’homme, son environnement et n’hypothéquant pas le devenir des générations futures. Les Amap (Associations pour le maintien d'une agriculture paysanne) participent de cette dynamique. Elles révèlent que le changement peut venir des énormes capacités offertes par l'investissement citoyen : réappropriation citoyenne des circuits de distribution, de la définition des prix et des modes de production et de consommation.
Relever le défi alimentaire et social Leur succès est indiscutable, l'objet de cet article n'est pas de revenir là-dessus. Néanmoins, nous ne devons pas perdre de vue deux réalités : d'une part, cette expérimentation collective reste une marge et, d'autre part, la rapidité de son développement fait apparaître des limites et des dérives qui nous obligent à réfléchir, à ralentir et à anticiper sur les possibilités et les enjeux de ce système.
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Dans le monde, plus de 850 millions de personnes souffrent de la faim. En France, une frange considérable de la population manque de ressources. On sait que les contraintes financières ont un impact significatif sur la qualité des produits consommés et peuvent entraîner d’importants déséquilibres alimentaires. En effet, les couches les plus en difficulté de la population sont plus exposées que les autres aux risques de déficience nutritionnelle, d'obésité, de maladies cardiovasculaires et de cancer. L’accès à une alimentation de qualité et de proximité reste impossible pour une grande majorité de la population. Face à ce constat, le Programme national nutrition santé (PNNS) recommande d'agir à trois niveaux : l’éducation et l’information nutritionnelles, le comportement alimentaire et le comportement d’achat. Les Amap pourraient être, au niveau local, des outils efficaces pour agir en ce sens, pour faire prendre conscience qu'une alimentation écologiquement saine peut aussi être économiquement accessible. Par leur fonctionnement même, les Amap sont des outils de sensibilisation et de réalisation concrète du changement de mode de consommation. En région Rhône-Alpes, Alliance PEC a lancé un chantier de réflexion et d'action « Santé et accessibilité » qui a déjà permis un rapprochement avec des partenaires du monde socio-éducatif et la création d'Amap dans des quartiers populaires. Par la conver-
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gence entre les acteurs des quartiers, les consommateurs-habitants et des paysans locaux, nos actions se développent suivant trois axes : sensibilisation et information (quoi acheter ? comment cuisiner ? comment s'organiser ?) ; accessibilité (conditions matérielles) ; prix (budget alimentation, prix des paniers). En créant un environnement favorable à la consommation de produits de qualité (nutritionnelle et environnementale), les Amap sont un cadre matériel efficace qui pourrait permettre de réaliser les trois objectifs du PNNS. Se nourrir façon “Slow food“, consommer façon Amap, se rencontrer façon réunion de quartier, voilà le trio gagnant pour changer son mode de consommation.
Une agriculture équitable et écologique Les Amap préservent des emplois et des terres agricoles quand l'agriculture est soumise – comme les autres activités économiques – à la concurrence internationale, notamment au niveau des prix et des rémunérations. Ce travail de maintien est d'une actualité brûlante : chaque année, c'est 40 000 fermes qui disparaissent. Mais face à la forte demande des citoyens et à la nécessité d'élargir au plus grand nombre, la question du développement (installation, foncier, reconversion) agricole devient tout aussi indispensable : les Amap, les circuits courts en général, doivent entrer dans
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Les circuits courts doivent entrer dans une nouvelle phase
une nouvelle phase. En RhôneAlpes, nous avons de bons exemples de réussite de ce partenariat à la source d'un projet agricole (installation, accompagnement, reconversion). Mais ceci pose une grande question, celle du choix du type d'agriculture. Disons-le clairement, l'agriculture biologique est aujourd'hui la seule alternative crédible de consommation de masse. La conférence du 3-5 mai 2007 de la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture) sur l'agriculture biologique et la sécurité alimentaire nous le confirme : des modèles récents sur l’approvisionnement mondial montrent que l’agriculture biologique « a le potentiel de satisfaire la demande alimentaire mondiale, tout comme l’agriculture conventionnelle d’aujourd’hui, mais avec un impact mineur sur l’environnement ». Mais cela ne nous empêche pas d'avoir un regard objectif sur le bio et sur ses contradictions. Ce regard est indispensable pour parer à ses dérives (consommation d'énergie, transport, conditions sociales des travailleurs, emballages...) ou pour anticiper une fuite en avant de celles-ci. L'agriculture biolo-
gique doit-elle se résumer au seul respect d'un cahier des charges ? Sur ces questions, la charte des Amap (1) adopte une position évolutive : c'est avant tout un processus, une démarche, dans un climat de confiance et de coopération directe. Elle laisse la possibilité d'évaluer le type d'agriculture par son bilan écologique et social et pas seulement par son étiquette. Mais pour éviter les dérives, les mauvaises interprétations, il devient nécessaire d'avoir un cadre clair pour permettre à la fois l'évaluation et l'accompagnement des fermes partenaires, mais aussi l'intégration de données sociales et écologiques plus globales.
Des enjeux politiques indissociables Si l’on attribue au consommateur un rôle important, celui de favoriser, au moyen de ses décisions d’achat, un système alimentaire plus respectueux de l’environnement, les politiques publiques y contribuent aussi en créant un cadre plus ou moins favorable, souvent contraire à une consommation durable. Actuellement, la cohérence entre politique agri-
cole, nutritionnelle, sociale et environnementale est inexistante. On constate de lourdes contradictions entre les objectifs que nous avons développés précédemment et les recommandations de la PAC (Politique agricole commune), inscrites dans les accords internationaux de l'OMC (Organisation mondiale du commerce) ou encore celles du Grenelle de l'environnement. Des politiques, qui encouragent l'usage massif de produits phytosanitaires, qui orientent 70 % des aides vers 20 % des agriculteurs, qui adoptent une soumission aveugle aux lois du marché et qui ont pour seul critère le rendement, sont en totale contradiction avec les réels enjeux de notre temps. Permettre la généralisation d'une agriculture écologique et équitable, offrir aux paysans un salaire, une retraite et des conditions de travail correctes ou encore mettre en place les recommandations du PNNS, nécessiterait de restructurer considérablement le système agricole de façon géographique, sectorielle, économique et sociale. Le système Amap ne pourra évidemment pas relever tous ces défis seul et sans un changement politique d'ampleur. Il ouvre néanmoins la voie, donne l'espoir que l'alternative est possible et que celle-ci passera désormais par de nouvelles formes participatives impliquant les citoyens. Une meilleure structuration et cohérence au niveau national du réseau des Amap, en lien avec les autres réseaux nationaux et internationaux, permettra sans doute d'être plus visible sur ces questions et plus efficace face aux enjeux sociaux et écologiques de l'agriculture. Léo Coutellec, Alliance Paysans Ecologistes Consommateurs Rhône-Alpes, le réseau des Amap (1) Consultable sur le site d'Alliance PEC RA : www.alliancepec-rhonealpes.org
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Publi-reportage
Des produits équitables dans la restauration collective Qualitrace, une centrale de référencement de produits alimentaires, d’hygiène et d’entretien pour la restauration collective, compte deux structures du commerce équitable dans sa mercuriale et travaille sur la mise en place d’un approvisionnement local de ses clients. Naturellement a rencontré Didier Bordu, le directeur général. Naturellement. • Qualitrace est une centrale de référencement de produits alimentaires et non alimentaires pour la restauration collective. Pouvezvous nous en dire plus ? Didier Bordu. Qualitrace, qui existe depuis 1999, appartient au groupe Imestia oeuvrant dans plusieurs métiers de la restauration et de l’immobilier. Qualitrace s’engage, en mutualisant ses achats, sur une maîtrise des prix, sur la qualité et la traçabilité des produits. Les industriels, les fournisseurs et les produits sont sélectionnés rigoureusement. Notre centrale de référencement gère 600 établissements (90 % en restauration collective), ce qui représente 40 millions d’euros par an de denrées alimentaires et non alimentaires. Les clients sont des comités d’entreprise (RATP, Air France siège, HSBC, Le Crédit Lyonnais entre autres). Pour remplir ses fonctions, Qualitrace dispose d’un département qualité achats, commercial et informatique avec un personnel qualifié (un docteur vétérinaire, un ingénieur qualité, une statisticienne…) et a mis en place une cuisine d’essais et un observatoire auxquels les clients participent. La cuisine d’essais se déroule une fois par semaine et permet de tester les nouveaux produits, de les comparer et de choisir celui qui correspond le mieux aux attentes du client. L’observatoire, quant à lui, a lieu une fois par mois et permet de débattre sur les problématiques liées à la restauration telles que les nouvelles normes, les OGM, la gestion de crise. De plus, Qualitrace a créé le logiciel Nutridata. Ce dernier, utilisé par 250 clients, leader sur le marché national et présent en France, Belgique et Martinique, optimise la gestion des approvisionnements et des stocks. Naturellement. • Qualitrace s’engage sur la maîtrise des prix. Comment procédez-vous ? Avant de parler prix, Qualitrace se préoccupe de la qualité des produits livrés aux clients. L’établissement de la mercuriale est sous l’égide de l’ingénieur qualité. Celui-ci étudie dans un premier temps la fiche technique du produit et vérifie qu’il respecte les normes de sécurité et de traçabilité. Par exemple, les produits qui risqueraient une contamination croisée avec l’arachide ne sont pas référencés. De même, les produits avec OGM sont exclus. Ensuite, si le produit s’avère intéressant, il est testé en cuisine d’essais en compagnie des clients et est soumis à des analyses complémentaires. C’est une fois qu’il est accepté dans la mercuriale que nous négocions les prix avec les industriels et les fournisseurs. En mutualisant ses achats, Qualitrace maîtrise nationalement les prix. De plus, notre ingénieur qualité travaille en mercuriale fermée, ce qui signi-
fie que le fournisseur est interdit de démarchage des clients et que les distributeurs n’ont pas le droit de proposer des promotions sans une validation de Qualitrace. Les prix sont ainsi garantis. Naturellement. • Qualitrace référence des structures du commerce équitable. Quel en est l’intérêt ? Depuis 2002, Qualitrace référence des fournisseurs du commerce équitable. Ceci s’est fait suite à la demande des clients. La Caisse centrale d’activités sociales (CCAS) d’EDF-GDF a initié cette démarche pour ses restaurants de vacances. Actuellement, tous nos clients utilisent du café issu du commerce équitable. Pour les autres produits, c’est plus compliqué et plus long. En effet, les chefs de cuisine ne sont pas habitués à travailler avec les produits du commerce équitable, il faut donc les sensibiliser et leur expliquer pourquoi ils sont plus chers. Les deux fournisseurs du commerce équitable que Qualitrace a référencé sont Andines et Solidar’Monde. Ce dernier est essentiellement tourné vers les échanges Nord/Sud alors qu’Andines donne autant la priorité aux échanges Nord/Sud que locaux, nationaux. Cette approche est très intéressante. Naturellement. • Pensez-vous qu’un partenariat entre la restauration collective et des producteurs locaux soit possible ? Qualitrace travaille justement avec la CCAS sur comment mettre en place un approvisionnement local. La principale difficulté réside dans la logistique. Livrer tous les jours des restaurants faisant peu de couverts demeure réalisable. Mais pour des restaurants de grande taille, cela devient alambiqué d’autant que Qualitrace gère 600 établissements répartis sur le territoire national. Actuellement, nous sommes dans une phase de recherche de comment établir un partenariat entre la restauration collective et les producteurs locaux, avec quels outils et à quels coûts, car le système doit être rentable pour tous, du producteur au consommateur.
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La charte d’Aubagne
Une dynamique de maintien de l’agriculture périurbaine L’agriculture occupait une place prépondérante dans la vie aubagnaise jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Mais l’urbanisation croissante a fragilisé cette activité. La Surface agricole utilisée (SAU) est ainsi passée de 3 000 hectares en 1955 à environ 300 en 1995. C’est dans ce contexte que la commune d’Aubagne a pris l’initiative de maintenir et de conforter ce qui restait de son agriculture périurbaine en créant une charte agricole en 1992. baine (qui est essentiellement maraîchère). Les agriculteurs, qui n’y voient qu’une promesse électorale, s’y opposent d’abord. Après consensus, un comité de pilotage est alors constitué. Il est composé d’agriculteurs (pour moitié), de représentants d’organisations professionnelles, d’administrations et de collectivités territoriales concernées. En 1992, la charte est lancée.
Quatre axes La charte agricole d’Aubagne s’appuie sur quatre axes : l’action sur le foncier, la modernisation du réseau d’irrigation, l’accès au conseil technique et la valorisation des produits par la marque “Les Jardins du Pays d’Aubagne“(1). L’action sur le foncier est un principe fondamental en situation périurbaine. Cela commence par le maintien des zones agricoles du POS (Plan d’occupation des sols), surtout en zone sensible. « Cette action s’est aussi concrétisée par une convenPatrick Massaia - Ville d’Aubagne
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u début des années 1990, les promoteurs et certains agriculteurs perçoivent les zones de culture comme des réserves de terrains à bâtir et des friches se développent. « Face à cette pression foncière, en 1991, la commune d’Aubagne fait réaliser une étude sur son agriculture », explique Bernard Baudin, président du Centre d’études techniques agricoles (CETA) d’Aubagne. Deux constats forts en ressortent : la reconnaissance de l’agriculture comme secteur d’activité à part entière, créateur d’emplois et de richesses – l’agriculture aubagnaise génère alors 1 000 emplois directs et induits – et la contribution de l’agriculture au maintien du cadre et de la qualité de la vie (intérêt général). L’enquête a aussi permis de mettre en évidence les conditions de maintien et de développement de l’activité agricole aubagnaise. Suite à cette étude, la mairie d’Aubagne décide de créer une charte agricole afin de maintenir et développer l’agriculture périur-
tion d’intervention foncière avec la SAFER (Société d’aménagement foncier et d’établissement rural) », précise Bernard Baudin. De plus, un groupe d’action foncière examine les vocations agricoles des parcelles à vendre et recherche un candidat agriculteur. Cela a permis l’installation de neuf jeunes agriculteurs et l’agrandissement de cinq exploitations. Concernant la modernisation du réseau d’irrigation, l’irrigation gravitaire individuelle a été remplacée par un réseau sous moyenne pression qui s’étend actuellement sur 310 hectares et qui est géré par l’ASAMIA (Association syndicale autorisée de modernisation des irrigations d'Aubagne). Cette dernière compte 500 adhérents. Ce sont des agriculteurs et des propriétaires. « Pour réaliser ce réseau, il a fallu négocier avec des propriétaires afin de le faire passer sur leur terrain », explique Nathalie Gastal, conseillère-animatrice au CETA d’Aubagne. Le prix de l’eau a ainsi été garanti sur douze ans et des friches ont pu devenir des cultures maraîchères. Le troisième volet de la charte, l’accès au conseil technique, est du ressort du CETA. Celui-ci existait sur Aubagne, mais dans le cadre d’un regroupement qui permettait aux agriculteurs l’accès au service d’un technicien à temps partiel. Une convention signée entre la collectivité et le CETA a conduit à la création d’un, puis de deux postes de techniciens à temps plein ainsi qu’à la mise à disposition d’un local. Créé en 1993, le Centre d’études du Pays d’Aubagne
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compte aujourd'hui 47 agriculteurs (au lieu de 6 avant la charte), soit près de la moitié des exploitations professionnelles du territoire de la Communauté d’agglomération. Ces adhérents du CETA produisent plus de la moitié de la production locale en volume. La plupart des exploitations sont tournées vers le maraîchage et les cultures légumières. L’arboriculture, la vigne et l’oléiculture (l’olivier se développe en contrefort des massifs, favorisé par le programme de réhabilitation des terrasses) sont aussi présentes, souvent en complément du maraîchage. Seuls les pépiniéristes et les horticulteurs en développement sur le territoire ne sont pas représentés au sein du CETA (dont la vocation initiale était maraîchère). Les actions de ce centre s’étendent dans plusieurs domaines : visites régulières des exploitations pour un suivi technique de qualité ; expérimentations ; communication interne, information et formation pour intégrer les techniques nouvelles ; animation et promotion de la marque “Les Jardins du Pays d’Aubagne“; appui aux projets individuels et collectifs (Fonds départemental de gestion de l’espace rural, notamment).
Quant à la valorisation des produits, elle est réalisée par la marque collective “Les Jardins du Pays d’Aubagne“, lancée en mai 1996. Elle a été créée par la Communauté d’agglomération qui en a confié l’animation au CETA. « Les Jardins du Pays d’Aubagne regroupent aujourd’hui 27 agriculteurs. Pour adhérer à cette marque, ces derniers doivent être membres du CETA et respecter un cahier des charges qui assure le suivi du produit de la fabrication à la vente. Plus de la moitié des agriculteurs du CETA en sont adhérents. L’objectif est de valoriser les produits frais, de qualité et du terroir du Pays d’Aubagne selon le concept ”plus frais, plus près“», souligne Bernard Baudin. Ce quatrième axe ne peut être dissocié des autres volets de la charte agricole dont il est la continuité.
Une démarche exemplaire Quand la Communauté de communes (Aubagne, Auriol, Cugesles-Pins, La Penne-sur-Huveaune et Roquevaire) se crée en 1993, la charte est étendue à l’ensemble du territoire intercommunal. Depuis 1999, la Communauté d’agglomération Garlaban-
Patrick Massaia - Ville d’Aubagne
L’irrigation gravitaire individuelle a été remplacée par un réseau sous moyenne pression
Huveaune-Sainte-Baume comprend également la commune varoise de Saint-Zacharie et depuis 2007, cette nouvelle communauté appelée Communauté du Pays d’Aubagne et de l’Etoile inclut également les communes de La Destrousse, Peypin, La Bouilladisse, Belcodène et SaintSavournin. Le comité de pilotage de la charte s’est depuis transformé en Comité de gestion qui continue à réunir les différents partenaires (Communauté d’agglomération du Pays d’Aubagne et de l’Etoile, mairies, DDAF [Direction départementale de l’agriculture et de la forêt], SAFER, Chambre départementale d’agriculture, ASAMIA, CETA, agriculteurs…) pour continuer le travail engagé sur les différents axes. En 2 000, d'après le Recensement général de l’agriculture, la SAU totale du territoire du Pays d’Aubagne et de l’Etoile était de 873 hectares, contre 300 en 1955. Il existait 112 exploitations, ce qui représentait 3,17 % des exploitations du département des Bouches-du-Rhône. La SAU des exploitations représentées au CETA varie entre 1 et 15 hectares avec une moyenne de l’ordre de 5 hectares. Par comparaison, la SAU moyenne sur le territoire de la Communauté d’agglomération est de 3,4 hectares. « La charte agricole d’Aubagne maintient, voire développe, une agriculture en ceinture périurbaine par rapport aux autres communes environnantes, affirme Nathalie Gastal. Ce résultat est le fruit d’une politique volontariste. De plus, grâce à son programme de réhabilitation, des friches, des terrasses et des terrains abandonnés ont pu être remis en culture ». Et de conclure : « La charte est une démarche exemplaire dont la réussite, reconnue au plan national, repose sur la prise en compte synergique des enjeux sociaux, économiques et environnementaux ». Sandra Pasero (1) http://www.jardinsdupaysdaubagne.com
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Les Jardins de la solidarité Comment conjuguer économie et développement durable ? L’économie sociale emploie en France plus de 1 400 000 salariés et réalise un chiffre d’affaires de 460 milliards d’euros. Fondée sur l’idée de solidarité, elle prend et prendra une place de plus en plus importante dans l’économie.
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l y a trois familles et statuts juridiques qui composent et structurent l’économie sociale : les mutuelles, les coopératives et les associations (régies par la loi de 1901). Les mutuelles sont définies comme système d’assurance à base d’entraide mutuelle et ensemble des institutions (sociétés mutualistes) qui fournissent au profit de leurs membres et au moyen des cotisations versées par ces derniers les actions de prévoyance, de solidarité et d’entraide. Elles complètent dans ces domaines l’action des régimes de sécurité sociale. L’histoire des mutuelles remonte à la fin du XIXe siècle et a connu un fort développement après 1945 en France. Les coopératives sont des entreprises collectives dont les membres, associés à égalité de droits et d’obligations, mettent en commun leur travail et/ou du capital. En France, les coopératives connaissent un développement fort dans le secteur agricole
et relativement modeste dans le BTP et les services. On estime à plus de 800 000 aujourd’hui le nombre d’associations qui ont le statut de la loi de 1901. Le solde entre les arrêts d’activité enregistrés et les créations est plutôt positif puisqu’on enregistre plus de 60 000 nouvelles créations par an. Le montant des budgets agrégés des associations, tous secteurs confondus, a été évalué dans les années 2000 à près de 35 milliards d’euros. La vie associative a connu dans les années 2000 un fort développement avec l’arrivée des politiques d’aide à la création d’emploi et au soutien à la vie associative menées par le gouvernement de Lionel Jospin. On a connu avec les emplois jeunes une explosion du nombre de salariés dans ce secteur qui ont de plus en plus occupé le champ économique. Les salariés devaient produire par l’activité la pérennisation de leur emploi. Le champ d’intervention tradi-
tionnel de la vie associative (le social, la culture, le sport, les loisirs, l’environnement) a été largement débordé ces dernières années avec l’arrivée des emplois aidés dans le domaine de la formation, de l’économie, de l’agriculture… Dans la même période on a assisté à un développement fort du concept d’“économie sociale et solidaire”. Une polémique traverse les acteurs associatifs français avec affrontement entre les tenants de l’histoire du mouvement associatif français et ceux qui seraient porteurs d’une nouvelle démarche incluant l’économique et le social. L’objet de mon intervention n’est pas de développer ce point-là, mais il mérite, au regard de l’expérience d’autres pays, notamment l’Italie, d’éclairer nos débats. La construction d’une histoire européenne commune rendra nécessaire la confrontation entre les différents types de tissu associatif des pays de la Communauté européenne. Je me cantonnerai à développer
CETA du Pays-d’Aubagne
Le MNLE est aujourd’hui porteur d’un message qui pose la question de : « Produire et consommer autrement »
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…A CONSTRUIRE AU NORD ET AU SUD
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un point : le rôle et la place de l’emploi et de l’économie dans les projets du Mouvement national de lutte pour l’environnement (MNLE). Le MNLE est un mouvement associatif généraliste qui depuis 1981 développe des actions sur les questions de la protection de la nature, de l’environnement et du développement durable. Seule association française à avoir diffusé massivement, dès 1991, le rapport Brundtland sur le “développement durable“ après le sommet de la Terre à Rio, le MNLE est aujourd’hui porteur d’un message qui pose la question de « produire et consommer autrement » pour « un développement durable, solidaire et souhaité » des populations et se donne comme objectif une « sortie rapide de l’humanité de l’ère des carburants fossiles ». Notre action a porté et porte sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre et le respect du protocole de Kyoto. Afin d’apporter une pierre utile au débat, notre association, après avoir expérimenté ses propositions au travers de différents salons sur les véhicules propres et la promotion du commerce équitable, va proposer de créer, en partenariat avec des acteurs économiques et des structures de l’économie sociale, des lieux baptisés Jardins de la solidarité. Ces
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espaces auront pour mission de proposer à partir de thématiques très précises (la consommation, les énergies renouvelables, les transports…) des réponses économiques, des propositions d’actions avec une approche citoyenne et culturelle. Ces espaces auront une vocation économique, marchande et formatrice pour passer de l’état de consommateur à celui de “ConsomActeur“. Dans les Jardins de la solidarité que nous sommes en train de pro-
mouvoir, on trouvera un espace de vente de produits régionaux, l’accès à des filières et des produits du monde entier, un espace de débats, un lieu d’exposition, de littérature, un point d’accès Internet spécialisé sur le sujet et les contacts pour développer tout ou partie du réseau commercial et des activités de production sur le thème traité. Dans le domaine des énergies, des transports et de l’habitat, nous avons la même volonté de créer des Jardins de la solidarité qui, dans leur concept et chaque fois, replaceront l’homme au centre des questions environnementales. Ils devraient permettre, au travers de combinaisons d’activités économiques et de l’activité citoyenne et bénévole, de générer les moyens de leur autofinancement. La forme juridique de Société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) sera associée aux différents projets pour unir l’économique et le sociétal. Les Jardins de la solidarité sont le cœur d’un projet de société qui vise à produire et consommer autrement pour réconcilier l’Homme et la Nature. Christian Pellicani Secrétaire national du MNLE
A lire
Guide du commerce équitable S
’il nous fallait une preuve supplémentaire de l’installation durable du commerce équitable dans notre paysage, l’apparition de guides pratiques le manifesterait. Celui-ci devrait faire référence. D’abord, parce qu’il s’ouvre sur un fort intéressant vade-mecum présentant les origines du commerce équitable et ses principes fondamentaux, ses organismes de certification et les coopératives des petits producteurs, et que nous pourrions signer des deux mains l’exposé sur la fracture Nord-Sud et la ferme dénonciation du commerce… inéquitable et du pillage des ressources naturelles des pays en voie de développement par certaines sociétés occidentales. Ensuite, parce qu’il aligne rien moins que 450 adresses de toute la France : boutiques spécialisées, magasins écolo, supermarchés bio, ONG, organismes, associations régionales et nationales, calendrier des « rendez-vous équitables » (rencontres, débats, forums, salons, semaine du développement durable, quinzaine du commerce équitable, etc.). En route, donc, pour la « consom’action » ! Michel Felet « Guide Solar du commerce équitable » de Carine Keyvan et Nathalie Frachon. 224 p., 19,90 €.
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Compte rendu du colloque
Opportunité ou régression ? Les décisions nationales et européennes (CIADT du 18 décembre 2003 et décision du parlement européen du 21 avril 2004) en faveur des infrastructures ont vivement relancé les débats sur la question du financement de tels projets.
L’
ordonnance du 17 juin 2004 a institué un mode nouveau de gestion des services publics. Cette forme de partenariat entre la sphère publique et les intérêts privés révolutionne-t-elle pour autant les pratiques en matière de financement des infrastructures ? De quelles opportunités est-elle porteuse ? Quels sont les risques intrinsèques à de telles opérations ? Quelles questions l’usage des partenariats soulève-t-il pour les collectivités dans leur rôle d’autorité organisatrice ? Les contrats de partenariat sont de création récente mais l’usage du partenariat public-privé renvoie à une longue tradition historique en France Les exemples de coopération entre la puissance publique et les intérêts privés sont en effet nombreux et anciens.
On distingue les formes de coopérations institutionnelles que sont les sociétés d’économie mixte qui opèrent en France de nombreux réseaux de transport, en particulier urbains, y compris des réseaux de très grande taille. Les coopérations public-privé s’exercent également sous des formes contractuelles. Le dispositif créé par l’ordonnance du 17 juin 2004 s’inscrit donc dans cette catégorie aux côtés des marchés publics (auquel il est assimilé d’un point de vue juridique) et des délégations de service public (régime auxquelles appartiennent les concessions). Les grandes infrastructures de transport se sont constituées en France sur la base de coopérations entre l’Etat et les intérêts privés depuis les réseaux de chemins de fer dès le début du XIXe siècle jusqu’aux autoroutes du XXe
siècle. Ces montages concessifs ont permis la constitution de réseaux performants et de grande taille. Pour autant, la vie de ces concessions n’a pas été exempte, loin s’en faut, de difficultés. Que ce soit auprès des anciennes sociétés de chemin de fer ou des sociétés d’autoroute, l’Etat est intervenu massivement, par l’intermédiaire de différents dispositifs, financièrement ou par le jeu de l’allongement de la durée des concessions, en soutien des dérives. Ces expériences ne peuvent qu’attirer l’attention et susciter la vigilance à l’heure où des partenariats impliquant les infrastructures ferroviaires, d’ampleur exceptionnelle, par la taille des financements et la complexité qui les accompagne (juridique, technique, institutionnelle) sont en cours de concrétisation. Les partenariats public-privé soulèvent de nombreuses questions pour les collectivités et notamment autour du choix du mode de gestion, de la réversibilité de ce choix et de l’évaluation du service. De quels moyens d’évaluation préalable vont disposer les collectivités et quelles seront leurs conditions de choix du mode de gestion de leurs services de transport ? L’un des dispositifs prévus par l’ordonnance du 17 juin 2004 attire l’attention sur l’évaluation préalable des projets. Toutefois, il ne va pas, comme c’est le cas au Royaume-Uni, jusqu’à prévoir la création d’un “public sector comparator“, visant à évaluer le surplus dégagé par le choix de la délégation par rapport au choix de la régie. Quelle réversibilité du choix d’un
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mode de gestion donné ? La possibilité de revenir à la situation antérieure constitue un élément de préoccupation pour toute collectivité. Déléguer un service revient aussi pour une collectivité à se dessaisir de l’ingénierie qui entoure la réalisation de ce service avec le risque de perte de savoir-faire. La possibilité de retour en interne des compétences (seront-elles encore disponibles ?) constitue également un élément structurant de la prise de décision. Quel rôle continuera de jouer le service public face à la puissance du secteur privé ? Le partenariat public-privé peut se présenter sous la forme d’un désengagement de la puissance publique. M. Marty, dans son ouvrage consacré aux partenariats public-privé, met en évidence le fait qu’elle représente une alternative à la privatisation. Quel rôle joueront les collectivités appelées à financer les compléments nécessaires aux financements privés. Les partenariats public-privé soulèvent de nombreuses questions pour les petites et moyennes entreprises. Ces moyens de financement
offrent la possibilité de confier dans un même marché la conception, le financement, la construction et l’exploitation à une même société ou à un même groupement. Ces nouveaux dispositifs contractuels reviennent ainsi sur une règle appliquée jusqu’à présent, en matière de construction d’ouvrage public, qui veut que « celui qui conçoit l’ouvrage doit être indépendant de celui qui le réalise ». De plus, dans ce contexte, le partenaire privé attribue lui-même les marchés, indépendamment des règles de mise en concurrence qui prévalent pour les donneurs d’ordre publics. Dans ce cadre, quelle sera la place réservée aux petites et moyennes entreprises ? Les partenariats public-privé soulèvent de nombreuses questions en ce qui concerne les coûts. Les taux de rémunération des emprunts sont plus élevés si les emprunts sont contractés par une société privée en lieu et place d’une entreprise publique. Dans bien des cas, il faudra aussi rémunérer des actionnaires. Une société privée, par définition, ne pouvant travailler à perte, il est certain que les coûts supplémen-
taires occasionnés par les aléas imprévisibles mais normaux d’un chantier de génie civil devront être répercutés directement, entraînant une dérive des coûts. Pour éviter cette situation, il y aura tentation de rechercher le maximum d’économies à réaliser sur la qualité du travail et des contrôles, sur la qualité et la mise en œuvre des matériaux et sur la maintenance. La pratique des partenariats public-privé soulève in fine des questions de fond. Le contexte budgétaire en France est favorable à de tels dispositifs, mais ne convient-il pas pour autant d’examiner les solutions alternatives ? D’aucuns proposent la constitution d’un pôle public d’investissement, d’autres suggèrent la mise en place d’un mécanisme de captation de la plusvalue immobilière créée par les infrastructures de transport, destiné à financer de nouvelles opérations. Aucune décision en matière de financement des infrastructures de transport n’est neutre. Les choix opérés sont tous porteurs d’opportunités et de risques et ils pèseront sur les générations futures. Alain Patouillard
PROGRAMME DU COLLOQUE SUR LES EXEMPLES COMPARÉS DES USAGES DE LA SEINE ET DU RHÔNE PROGRAMME
10 h 15 - 12 h 45
MERCREDI 12 DECEMBRE 2007
A partir de 9 h 30 SALLES DES FETES DE LA MAIRIE D’AVIGNON Le réseau fluvial français constitue un patrimoine particulièrement riche. Mais après avoir joué un rôle important du Moyen-âge jusqu’au XIXe siècle, il a été au XXe siècle longtemps délaissé. Plusieurs phénomènes plaident aujourd’hui pour un nouvel essor : saturation de la circulation, potentialité du tourisme fluvial et des loisirs aquatiques. La France accuse un retard par rapport à certains de ses voisins qu’il est urgent de combler. Sous quelle forme et dans quelles conditions ? C’est l’objet de ce colloque concentré sur le réseau fluvial français, qui met en présence gestionnaires, élus, professionnels, experts et usagers de nos voies navigables
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LES ENJEUX ECOLOGIQUES ET ECONOMIQUES DU TRANSPORT FLUVIAL, table ronde animée par Bernard CHAOUAT de Vivre en Europe avec la participation de Marie-Madeleine DAMIEN, professeur d’université, Jean-Pierre ESTELA , MNLE et CERHE. Pierre CALFAS, directeur Interrégional des Voies Navigables de France, Michel THEBAUT, directeur de Rhône-Alpes Compagnie fluviale de transport, Frédéric MEYER, conseiller régional délégué aux transports fluviaux et maritimes.
14 h 30 - 17 h LES POTENTIALITES DU RESEAU FLUVIAL EN MATIERE DE TOURISME, LOISIRS ET TRANSPORT PASSAGERS Table ronde animée par Jacques SALVATOR, maire adjoint d’Aubervilliers, secrétaire général de l’Association pour une communication citoyenne avec la participation d’élus et de représentants du tourisme d’Ile-deFrance, des chambres de commerce, des
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organisations syndicales et patronales, des organismes de tourisme et du mouvement associatif des régions Rhône-Alpes et Provence-Alpes–Côte d’Azur. INSCRIPTION (frais de participation avec repas : 20 euros) Plate-forme associative 58 rue d’Endoume 13007 Marseille Tel : 04 91 31 53 44 Courriel : g.lamourette@arcades-asso.org Financé par Conseil Régional Paca
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Parc national des Calanques
Où en sommes-nous ? Le processus a été long et complexe, les obstacles n’ont pas manqué et les partenaires n’ont pas toujours été au diapason. Mais il est en passe d’aboutir : le projet du parc national des Calanques va être lancé début 2008 pour une création effective en 2010. Ce site unique, d’une rare beauté, va enfin être préservé.
L
e Groupement d’intérêt public (GIP) des Calanques a été créé avec pour objectif, d’une part, de coordonner les actions de gestion du massif, d’autre part de préparer la création du parc national des Calanques. Ce second objectif, fondamental, fait l’objet d’un processus long qui a permis, il faut le dire, aux différents partenaires que sont l’Etat, les collectivités et le monde associatif, de mieux se connaître pour travailler ensemble. Le principe de la création d’un parc national recueille aujourd’hui l’assentiment d’une large partie des acteurs, même si chacun ne met pas forcément la même chose dans le concept. Le processus aujourd’hui engagé vise à obtenir dans un premier temps la prise en considération du projet
par le Comité interministériel des parcs nationaux. Le calendrier projeté s’établit aujourd’hui comme suit : début 2008 : arrêté de prise en considération du projet de parc national (PN) ; année 2008 : élaboration du dossier du projet de PN, et concertation ; mi-2009 : enquête publique sur le projet de PN ; début 2010 : décret de création du PN des Calanques. Lors de sa création en décembre 1999, la durée d’existence du GIP avait été fixée à huit ans par la convention constitutive, ce qui en fixait le terme à décembre 2007. Compte tenu de la durée du processus précisé ci-dessus, il est proposé de prolonger ce délai de trois ans, soit jusqu’en décembre 2010.
Le président du GIP a écrit en ce sens à l’Etat qui a donné son accord en précisant que si le processus de création du parc n’avait pas abouti dans ce délai, le projet serait abandonné. Cette prorogation a été validée par l’assemblée générale du GIP qui s’est réunie le 28 juin dernier. L’assemblée générale a été informée, à cette occasion, que le conseil municipal de La Ciotat avait délibéré pour demander son adhésion au GIP et pour que le massif du Cap Canaille soit intégré au cœur du futur Parc. Après plusieurs années, les associations de La Ciotat obtiennent ainsi satisfaction sur une demande forte relayée par des associations nationales telles que Mountain Wilderness. Il a été demandé par le représen-
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tant du Club alpin français Marseille-Provence que les associations soient consultées, au même titre que les collectivités, tout au long du processus. Il demande également que des moyens de communication (documents de présentation, diaporamas) soient élaborés pour permettre de présenter le projet auprès des membres des associations. Le directeur, après avoir observé que la loi prévoyait seulement la consultation des collectivités, est d’accord pour des consultations, informelles, du milieu associatif. Par ailleurs, une des priorités à venir est effectivement le renforcement de la communication et la création de produits d’information en direction des membres, des milieux extérieurs attentifs au dossier et enfin du grand public. En juin 2007, le conseil municipal de Marseille a adopté une délibération en vue d’acquérir les terrains du Mont-Rose (au-dessus de la Madrague de Montredon) appartenant à l’armée, afin d’y installer « un équipement hôtelier de qualité ». Cette délibération a provoqué une forte mobilisation associative contre le projet, avec l’organisation d’une manifestation en septembre pour le parc national et contre ce projet. Deux jours avant la manifestation, le maire de Marseille a convoqué une conférence de presse au cours de laquelle il a indiqué que la ville de Marseille se ralliait au projet de parc national. Il s’agit là d’une évolution très
positive, qui permettra d’obtenir plus facilement une prise en considération du projet de parc par l’Etat. Mais il ne faut pas pour autant baisser les bras : il faudra continuer à être vigilants sur le projet. Les limites du parc, le contenu même du projet doivent faire l’objet de nos attentions, pour ne pas avoir un parc national qui n’aurait que le nom, sans en avoir les caractéristiques. Le cœur de parc doit contenir l’ensemble du site classé, afin de le protéger contre les velléités d’urbanisation et d’aménagements que d’aucuns gardent à l’esprit… Enfin, concernant le Mont-Rose, le président du Conseil général a fait part, lors d’une visite sur place, de son intention de préempter les terrains de l’armée en cas de vente, afin de les mettre à disposition du parc national. Cette mesure aurait pour avantage de protéger ces terrains de toute opération à caractère spéculatif.
Coordonner les actions de gestion Pour l’été 2007, il est prévu de recruter 22 patrouilleurs (18 pour les patrouilles vertes, et 4 pour les patrouilles en mer) qui ont pour mission d’accueillir et d’informer le public, notamment les jours de fermeture du massif en raison des risques d’incendie. Il est à noter que les règles fixées par arrêté préfectoral ont été assouplies par rapport aux années précédentes (Pour savoir si l’accès au massif est
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autorisé : soit le site du GIP : www.gipcalanques.fr, soit en téléphonant au 08 11 20 13 13, soit auprès de la préfecture ou de la mairie).
Equiper les sentiers Le déséquipement de plusieurs itinéraires, à commencer par le Pas de l’Œil de verre, avait motivé une réaction vigoureuse du monde associatif. Les choses sont aujourd’hui en voie d’apaisement, et des discussions entre les associations, la ville de Marseille, le département, l’ONF et le GIP sont en cours pour définir les modalités juridiques devant régir ces équipements. Dans le même temps, le Pas de l’Œil de verre a été rééquipé clandestinement, de façon très soignée et professionnelle, assurant ainsi le maintien d’un itinéraire historique et évitant aussi de maintenir une situation dangereuse sur un passage connu et répertorié sur les cartes. Par ailleurs, lors de l’assemblée générale du GIP, l’ONF a présenté le travail conduit en collaboration avec la FFME pour réhabiliter le socle de La Grande Candelle, détérioré par la multiplicité des chemins d’accès aux voies d’escalade. Ce site comporte notamment des éboulis avec la présence de la sabline de Provence, ainsi que des stations de lavatère maritime qui sont deux espèces protégées. Le projet consiste à mettre en place un balisage directionnel (discret) pour les sentiers d’accès aux voies afin de canaliser les grimpeurs, avec de petits panneaux d’information sur les espèces présentes. Ce type de démarche concertée, qui permet d’aboutir à des solutions consensuelles, est à privilégier. Le directeur adjoint du GIP indique que l’expérience de La Grande Candelle sera étendue ultérieurement aux autres sites d’escalade. Pierre Lémery-Peissik Secrétaire général du Club alpin français Marseille-Provence
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Yémen : la maison durable a deux mille ans Bordé par la mer Rouge et l’océan Indien, le Yémen occupe une place à part dans la péninsule arabique. Ce coin du sud-ouest, grand comme la France, c’est « l’Arabie verte » des auteurs arabes, l’« Arabia felix » des anciens, heureuse par son climat de type sahélien, avec pluies de printemps et d’été qui depuis des millénaires ont permis le développement d’une agriculture savante. Et sa tradition architecturale est fascinante à plus d’un titre…
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vec des montagnes dépassant 3000 m, des littoraux tropicaux, des plaines et plateaux arides, le Yémen est un pays varié, qui se distingue nettement du grand désert saoudien et, plus au nord, du Proche-Orient méditerranéen. Mettant fin au régime des imams, une République “laïque“ a été proclamée en 1962. Divisé entre nord et sud durant une quinzaine d’années, le Yémen a refait son unité en 1990. Fruit d’une histoire fort ancienne, marquée par des phases de déclin – souvent dues aux interventions étrangères –, et des phases de prospérité liées au grand commerce – caravanier, notamment – le pays possède une identité très forte, dont l’architecture deux fois millénaire est sans doute la marque distinctive la plus éclatante. Construite sur plusieurs
niveaux (couramment 4 à 5), la maison-tour est partout, à l’exception de la plaine littorale de la mer Rouge, l’élément de base de l’architecture yéménite. Avec sa porte unique, elle répond à une préoccupation de défense, mais aussi à une logique sociologique. Chacune est habitée par une même famille, suivant une division verticale de l’espace assez stricte : autour d’un escalier central aux hauts degrés, se succèdent de bas en haut un rez-dechaussée (initialement pour les animaux) puis les réserves, puis au-dessus le ou les étages des femmes, avec la cuisine, puis le ou les étages des hommes ; sur les terrasses, les demeures aisées disposent d’une pièce d’apparat, le ”mafraj”, où on mâche le ”qât” l’après-midi. Habitat villageois ou
urbain ? Le doute est souvent permis, puisque coexistent des éléments de l’économie rurale (bétail, matériel aratoire et réserves vivrières dans les étages inférieurs) et des aspects urbains, les localités associant murailles et portes, ruelles sinueuses, placettes et boutiques. Modèle antique ou modèle contemporain ? Capitale de l’Hadramaout au IIIe siècle de notre ère, la ville de Shibâm – la ”Manhattan du désert” – dresse ses gratte-ciel de terre à plus de trente mètres audessus de la vallée. Economie d’espace, mais aussi des matériaux rares qu’étaient les poutres et charpentes. Alors qu’aujourd’hui, au Yémen comme ailleurs, s’étalent de vastes périphéries urbaines aux maisons basses, cet héritage de la verticalité mériterait sans doute d’être revisité.
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L’adaptation à la chaleur et au froid est à l’origine d’une maîtrise fort ancienne de ce que dans notre langage contemporain on appellerait l’air conditionné : la conception des ouvertures, mêlant ouvertures basses, fenêtres proprement dites et tympans élevés, avec doubles vitrages souvent, organise une circulation de l’air qui, compte tenu de l’épaisseur des murs, maintient des températures intérieures relativement fraîches en été et protège du froid en hiver. Construits dans l’épaisseur des murs, des ”moucharabiehs” de pierre, débordant vers l’extérieur, soigneusement ventilés, permettaient la conservation des aliments. Cuisines et toilettes aux différents étages pouvaient être reliées à un conduit extérieur maçonné à usage de vide-ordures, débouchant sur une petite fosse au pied des hauts murs, où les détritus organiques, rapidement desséchés dans un air la plupart du temps fort sec, et éventuellement mêlés de cendres, étaient ramassés à usage d’engrais. Les constructeurs yéménites ont aussi inventé des enduits imperméables extrêmement efficaces et résistants, à base de pierre de lave, de sable et de chaux tels le qadâd. Exigeant des opérations répétées et soignées, cette pratique très coûteuse en maind’œuvre et en temps a été souvent abandonnée au profit de techniques « modernes » à base de plâtre et de ciment, a priori moins chères, mais moins durables. Les restaurations en cours devraient permettre de sauvegarder (et renouveler ?) les savoir-faire indispensables. Technique fort ancienne, le qadâd assure l’étanchéité des citernes, des canaux, des thermes et des toits. C’est un mélange de chaux éteinte, de sable fin, des graviers, de cendre volcanique et d’eau, soigneusement battus pendant plusieurs jours. Ce mortier est étendu en couches de plusieurs centimètres, frottées et polies longuement à plusieurs reprises, puis recouvert d’un vernis à base de graisse animale. Fait
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dans les règles, le qadâd devient de plus en plus dur au fil des ans, jusqu’à prendre l’apparence d’un marbre, et peut durer des siècles.
Pierre Lenormand
DÉCOUVERTE
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Diversités locales Suivant les régions du pays, le même ”modèle de base” est différemment décliné, en fonction des ressources disponibles localement, et tout particulièrement des matériaux. Ainsi, dans les montagnes de l’ouest, les villagesforteresses sont-ils construits en pierres soigneusement équarries, taillées, maçonnées en lits réguliers, faisant souvent alterner basaltes noirs, calcaires blancs, grès verts. Dans l’Hadramaout aride, le matériau de base est la dalle de brique crue, réalisée à partir de la glaise recueillie au fonds des oueds, mêlée de paille, moulée et séchée au soleil. Les murs de briques crues – montées à plat – peuvent dépasser une vingtaine de mètres de hauteur, mais doivent être protégés par des enduits extérieurs renouvelés régulièrement. A défaut, les constructions à l’abandon se délitent, s’effondrent par pans pour retourner peu à peu à la terre, comme on peut le voir dans les palmeraies. Dans d’autres régions, notamment dans la capitale Sanaa, les constructeurs ont su allier pierre en soubassements et briques aux étages supérieurs. Suivant les régions et l’histoire, les maisons-tours yéménites offrent des éléments décoratifs originaux : grandes plaques d’albâtre translucide, vitraux de verre sur des châssis de plâtre ou de chaux filtrent la lumière ou jet-
Pour en savoir plus Les guides de voyage (notamment ceux de Lonely Planet et de Gallimard) accordent une place de choix à l’architecture. Pour les lecteurs intéressés, on recommande le bel ouvrage de José-Marie Bel « Yémen, l’art des bâtisseurs » (Amyris, Bruxelles, 1997, 272 pages). Ce dernier anime – 30, Rue Pradier, 75019 Paris – l’espace « Reine de Saba » consacré au Yémen.
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tent des taches de couleur dans les pièces oblongues des maisons. Les portes de bois sculpté ont souvent laissé place à des portes métalliques peintes de couleurs vives. Les grands négociants hadramites, dont la diaspora s’est étendue du Levant à Zanzibar et à Singapour, ont édifié dans les vallées de l’Hadramaout de grands palais multicolores, dont les éléments décoratifs ont beaucoup emprunté à l’Inde et à l’ExtrêmeOrient. L’image enfin est bien connue des maisons sanaani, dont les ouvertures, cernées de chaux blanche, paraissent comme fardées et sont en quelque sorte la marque de fabrique de la capitale yéménite.
D’hier et de demain ? Même si elle paraît unique, et relativement circonscrite à son pays d’origine, l’architecture yéménite a exercé des influences, perceptibles dans tout le monde arabo-musulman : on attribue à des maçons d’origine yéménite les constructions verticales du Sudmarocain. Dans les ports de la Méditerranée orientale et de l’océan Indien, des apports décoratifs comme les moucharabiehs de bois ouvragé relèvent de cet héritage. Confrontée à la poussée démographique, l’architecture yéménite est un peu à la croisée des chemins : entre un patrimoine à préserver (saluons à cet égard le rôle de l’Unesco) et la multiplication des constructions à base de parpaings et de béton armé, le maintien et le renouvellement d’une aussi grande tradition architecturale supposent que soient tirées, pour le présent et pour l’avenir, les leçons d’un patrimoine et de savoir-faire exceptionnels. Pierre Lenormand
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Atlas de l’océan mondial Les cartes et les graphiques en disent souvent plus qu’un long texte. À preuve, ce petit atlas. Le système océanique mondial, son fonctionnement, la vie qu’il abrite, l’action de l’homme sur les océans, les conséquences du réchauffement climatique sur ce milieu naturel, les pollutions qui l’affectent du fait de l’homme, la gestion des ressources océaniques, le transport maritime… chaque sujet fait l’objet de lumineux exposés. On saisit mieux, alors, le sens et l’importance du dernier chapitre consacré à la préservation. Michel Felet « Atlas de l’océan mondial » de Jean-Michel Cousteau et Philippe Vallette. Co-édition Autrement, coll. Atlas/Monde, avec Nausicaä, 80 p., 15 €.
tés humaines et qu’il nous affecte d’ores et déjà. Par ailleurs, la destruction des habitats naturels se traduit par une régression rapide de la biodiversité. Chacun comprendra que si rien n’est fait pour contrarier cette dérive, l’humanité se retrouvera devant des problèmes dramatiques. Il faut réagir vite, s’alarment les auteurs de Vive la Terre. Pour nous encourager, ils nous offrent maints exemples positifs appliqués à la biodiversité, l’habitat, l’urbanisme, le monde agricole, le domaine de l’énergie, les transports, etc. Il s’agit de promouvoir une société plus économe, moins polluante, plus respectueuse de l’environnement ; en un mot, durable. Un revigorant message d’espoir ; et un cadeau à offrir et à s’offrir. M. F . « Vive la Terre – voyages vers le monde de demain » par Cyrille Desombre, Colette Gouvion, France Harvois, Marie Lescroart et Stéphane Trano. Co-édition Solar/Géo, 256 p., 300 photos, 39,50 €.
les ressources naturelles. Seule nourriture, désormais, des pastilles dont personne ne sait rien. Un homme va apprendre l’horrible secret… Le quatrième (La Goélette de glace de Michael Moorcock) évoque la Terre, 2 000 ans après un conflit nucléaire qui l’a plongée dans une glaciation. Le cinquième (Génocides de Thomas Disch) imagine la planète sous l’emprise d’extraterrestres venus l’ensemencer de plantes gigantesques et qui considèrent les hommes comme de simples doryphores à éliminer. Hormis peut-être le dernier, vous trouverez là de pertinentes correspondances avec certaines réalités d’aujourd’hui. M. F. « Catastrophes », textes choisis et présentés par Michel Demuth. Omnibus, 814 p., 25,50 €
Curieux de nature
Catastrophes
Vive la Terre Rédigé par des journalistes français spécialisés, cet ouvrage se présente comme un catalogue, somptueusement illustré, des initiatives qui concourent à la préservation de la Terre. L’environnement est devenu un enjeu majeur : les experts s’accordent désormais sur l’idée que le réchauffement est dû aux activi-
Quand le talent est au rendezvous, la fiction peut efficacement attirer l’attention sur des menaces bien réelles. Voici cinq chefs-d’œuvre de science-fiction traitant de catastrophes écologiques. Le premier (La Fin du rêve de Philip Wylie), nous présente une Terre saisie de barbarie. Le lecteur va découvrir que l’humanité paye pour avoir tout pollué. Le second (Terre brûlée de John Christopher) nous confronte à une situation alimentaire désespérée causée par un virus dévastateur pour les cultures. Le thème du troisième (Soleil vert de Harry Harrison) a fait l’objet d’un film à succès. Il nous plonge en un temps où les hommes ont épuisé
Allain Bougrain Dubourg ? On connaît et reconnaît cet infatigable militant de la biodiversité. Le temps n’est pas encore venu, pour lui, de se poser et reposer, mais il a éprouvé le besoin de faire un premier bilan de ses pérégrinations et rencontres, de ses émotions et indignations. Sa passion remonte à loin : adolescent, il présentait des reptiles ! Lauréat de la Fondation de la vocation à 21 ans, il devait bien vite débarquer à la télévision comme chroniqueur puis réalisateur et producteur animalier. Dans cet ouvrage joliment illustré, il évoque une centaine des vagabondages qu’il a conduits sur les cinq continents et aux pôles. Une déclaration d’amour à la gent animale exprimée avec rigueur et lyrisme. M. F. « Curieux de nature » d’Allain Bougrain Dubourg. Flammarion, 192 p., 35 €.
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