Naturellement 95

Page 1

9/04/08

11:20

Page 1

26e année - n° 95 / MARS 2008 - ISSN 0754-8826 - 4,00 €

© ESA

Naturellement_95v6

PROCES DE L’ERIKA

TRANSPORTS


Naturellement_95v6

9/04/08

11:21

Page 2

4 6

Littoral breton 7

ProtĂŠgeons s 2

3


Naturellement_95v6

9/04/08

11:21

Page 3

1

5

sa beauté 2

Torrey Canyon, Amoco Cadiz, Erika : des noms terribles qui résonnent comme autant d’agressions pour les côtes bretonnes. A chaque fois, les épaisseurs noires et gluantes des hydrocarbures furent déversées sur les côtes, tuant la vie sur leur passage, sacrifiant la biodiversité sur l’autel de la rentabilité, ruinant les activités humaines traditionnelles, de la pêche artisanale à la conchyliculture. La beauté des rivages armoricains ne se raconte pas, elle se déguste. La côte de granite rose ( 1 ) , de Perros-Guirec à Trégastel n’a pas son pareil. Une histoire géologique tourmentée a fait émerger de somptueux blocs rocheux, finement sculptés par l’érosion. A quelques kilomètres, l’île de Rouzic ( 2 ) abrite une impressionnante colonie de fous de Bassan: plus de 17000 couples, qui font la fierté de la réserve naturelle des Sept îles. Quelques couples de macareux (3) s’obstinent à nicher sur les pentes verdoyantes de la réserve. Un bonheur bien provisoire… Au cœur du Finistère, la presqu’île de Crozon (4) prend des couleurs incomparables. Les eaux tropicales n’ont qu’à bien se tenir ! Les marées noires déversées sur ces merveilles prennent des allures de viol. En avançant vers le sud, les îles bretonnes ont chacune leur identité: Sein et son air de bout du monde ( 5 ) , Groix et ses roches désormais protégées, Belle-Ile la bien nommée, qui inspira les peintres (6). Les marais salants guérandais (7) ont repris goût à la vie. La douceur des paysages, le vol des oiseaux y ont un goût de sel. Il s’en fallut de peu! Les souillures de l’Erika furent contenues, au prix de multiples sacrifices. A chaque nouvelle pollution, des hommes, mais pas les responsables, réparent. Puis la nature reprend ses droits ; plus vite qu’on ne l’imaginait. Mais pour combien de temps? ■ Georges Feterman


ÉDITORIAL

Naturellement_95v6

9/04/08

11:21

Page 4

Pour une agriculture durable, écologiquement intensive actualité du salon de l’agriculture

Haute valeur environnementale (HVE) dont

est plus occupée par les compor-

on ne connaît pas le contenu. Les agences de

tements du président de la

l’eau proposent de sanctuariser des péri-

République que par les suites du Grenelle de

mètres élargis de protection des captages

L’

l’environnement. Et pourtant l’agriculture est secouée. Une loi sur les plantes génétiquement modifiée (PGM) est en préparation. Un moratoire sur l’utilisation d’une variété de maïs a été pris. Les prix des denrées alimentaires ont fortement augmenté avec des conséquences sur le pouvoir d’achat et sur l’équilibre financier des éleveurs. La politique européenne est en pleine

d’eau potable, c'est-à-dire d’y interdire toutes pratiques agricoles. Pendant ce temps, l’association KOKOPELLI, qui commercialise des semences de variétés anciennes, est lourdement condamnée. En toile de fond, au niveau mondial et pour l’horizon 2050, il faudra plus que doubler la production de denrées alimentaires, puiser de l’énergie et des matériaux dans les végétaux. Tout ceci dans un contexte de change-

renégociation.

ment climatique déstabilisateur, une dimi-

Le Grenelle a proposé que l’agriculture bio-

nution de la surface arable et de la qualité

logique occupe 6 % des terres arables. C’est

des sols. Près de 2 milliards de paysans vivent

peu, mais trois fois plus qu’aujourd’hui. Pour

en dessous du minimum de pauvreté. Leur

le reste, il est proposé une certification

nombre est en augmentation. La course au rendement qui nie la fertilité naturelle, nourrit la concentration et pousse à la manipulation du vivant nous amène dans une impasse. La société a besoin d’une agriculture efficace qui respecte le travail des paysans. Elle passe sans aucun doute par la mise en œuvre de pratiques agricoles fondées sur les ressources de la biodiversité, de l’écologie des sols, d’une bonne maîtrise de l’eau. Elles sont mises en œuvre par de nombreux paysans qui ne demandent qu’à partager leurs savoirs. Mais de nombreux obstacles se dressent sur leurs chemins. Nous continuons à lutter pour une agriculture durable, écologiquement intensive (1). ■ François Cosserat (1)

4

• n° 95

Voir le site du MNLE : www.mnle.org


11:21

Page 5

La pellicule de vie

©ESA

LES VIGIES DU VAISSEAU TERRE p 12

p 14

.............................................................

Envisat, le géant vert

p 16

.............................................

Spot, l’œil de la France Les prouesses d’Argos

p 18

.......................................

p 20

..........................................

Energie

p6

Nom : .........................................................

p9

Prénom : .................................................... Adresse : .................................................... .................................................................... .................................................................... CP : ............... Ville : ...................................

Erika

Tél. : ........................... Port. : ....................

Transports

Rencontre

pp. 23-28

Courriel : ....................................................

JE M’ABONNE

p 29

ABONNEMENT PROMOTIONNEL À LA REVUE Naturellement : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10 € ABONNEMENT À LETTRE D’INFORMATION DU MNLE . . . . . . . . . . . ■ Courriel : ....................................................

REVUE TRIMESTRIELLE DU MOUVEMENT NATIONAL DE LUTTE POUR L’ENVIRONNEMENT 6, rue Jules Auffret 93 500 PANTIN Téléphone : 01 48 46 04 14 Télécopie : 01 48 46 44 53 Courriel : MNLE@wanadoo.fr Site Internet : www.mnle.org Directeur de la publication : Guy Léger Coordination de la rédaction: Cyrille Derouet Secrétariat de rédaction: Michel Felet

Ont collaboré à la rédaction de ce numéro : Pierre Brana, François Cosserat, Michel Felet, Georges Feterman, Guy Léger, Christian Pellicani. Photos: Esa, Georges Feterman, Michel

Felet, Tass, Nasa, Cnes, Zouhaïr Nakara. Graphisme et mise en pages:

DGC - Zouhaïr NAKARA (Tél. 0148035030)

Vous pouvez aussi:

ADHÉRER AU MNLE

Cotisation annuelle : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18 €

FAIRE UN

Versement de soutien (*) : . . . . . . . . . . . . . . . . . . € Total versement : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . €

Bulletin à retourner accompagné de votre chèque bancaire ou postal à :

MNLE - 6, rue Jules Auffret - 93500 PANTIN * Les sommes versées à ce titre sont déductibles des impôts sur le revenu. Un reçu conforme au code des impôts vous sera adressé.

( )

Commission paritaire : 0210G86461 - I.S.S.N. : 0754-8826

Impression : SEPIPCA 063540

SOMMAIRE

9/04/08

Dossier

Naturellement_95v6


ERIKA

Naturellement_95v6

9/04/08

11:21

Page 6

Un jugement historique Le naufrage du pétrolier Erika, en décembre 1999, avait gravement pollué 400 kilomètres du littoral atlantique français. Ouvert en février 2007, le procès - premier du genre - vient de connaître son épilogue. Un jugement qui fera date.

E

nés. Ils devront verser au total 192 millions d’euros aux parties civiles. De plus, Total se voit condamné à l’amende maximale de 375 000 euros ; même sanction pour la société Rina ; quant au propriétaire et au gestionnaire italien du bateau, ils écopent de l’amende maximale de 75 000 euros. Ce jugement est historique et devrait faire jurisprudence : il établit pour la première fois l’existence d’un « préjudice écologique ».

Reconnu recevable dans sa constitution de partie civile, le MNLE obtient 18 273 euros au titre des dommages matériels, 5 000 euros au titre de dommage moral (préjudice écologique) et 1 500 euros au titre de l’article 145/1 de procédure pénale. C’est la reconnaissance de l’action du MNLE et de la place qu’il occupe dans le combat écologique.■ Guy Léger

Ce qu’ils en pensent Allain Bougrain-Dubourg, président de la L.P.O. : avec ce procès, « … on est en train de planter les racines d’une jurisprudence qui conduira à davantage de respect et d’indemnisations potentielles à l’égard de l’environnement… ». Corinne Lepage, avocate et ancienne ministre : « … C’est un jugement important, les pétroliers ne peuvent plus dire “Quoi que je fasse, je ne suis pas responsable“ ; autre conséquence, l’entrée de plain-pied dans le droit français, et dans tous les domaines, d’une réparation d’un préjudice à l’environnement… ». Christian Buchet, de l’Académie de Marine : ce procès « … va faire date dans l’histoire de l’environnement. Pour la première fois, on assiste à un élargissement de la chaîne de responsabilité dans le transport maritime… ».

DR

DR

lus, populations, associations et bénévoles s’étaient mobilisés pour faire face à la catastrophe écologique, nettoyer les plages et venir au secours des milliers d’oiseaux englués dans le pétrole. Tous souhaitaient que les responsabilités d’un tel désastre soient établies, et que la justice soit saisie. Présent sur le terrain avec ses militants de Loire-Atlantique, le MNLE a contribué aux opérations de dépollution. Association nationale agréée, il s’est employé à faire connaître le dommage écologique, l’atteinte à la biodiversité. C’est pourquoi il s’est constitué partie civile dans le procès – le premier du genre – ouvert huit ans plus tard, en février 2007, devant le tribunal correctionnel de Paris. Il souhaitait que soient définies les responsabilités et que des sanctions exemplaires soient prononcées. Dans le jugement rendu le 16 janvier 2008, le tribunal correctionnel a répondu à ces attentes. Les armateurs italiens, la compagnie pétrolière française Total et la société de classification italienne Rina sont solidairement condam-

6

• n° 95


9/04/08

11:21

Page 7

« La Mer, avenir de la Terre » Alors que se déroulaient les délibérations du procès de l’Erika, nous avions souhaité rencontrer Christian Buchet, auteur d’un livre récemment paru aux Editions de la Martinière, « La Mer, avenir de la Terre ».

Naturellement

DR

• Depuis la publication en 2003 de votre livre « Les Voyous de la Mer », la situation a-t-elle changé et peut-on noter des avancées significatives ? Christian Buchet • Oui, il y a une évolution qui va dans le bon sens, surtout après les catastrophes de l’Erika et du Prestige qui sont venues rappeler qu’il fallait agir. Au niveau européen, il y a eu ce que l’on appelle le paquet Erika I et le Paquet Erika II, et se prépare en ce moment le paquet Erika III qui va être très important, du point de vue de la sécurité, avec la création de l’Agence européenne de sécurité maritime. Cela va renforcer les contrôles dans les ports et accroître la communication entre eux. Ce qui veut dire qu’on pourra contrôler à 100 % tous les navires. Cette agence européenne aura aussi un regard sur les sociétés européennes de classification. Hélas, les sociétés de classification non-européennes y échapperont.

Malgré tout, il s’agit d’une avancée certaine en matière de sécurité maritime. Mais s’il va globalement dans le bon sens, le paquet Erika III prévoit aussi de généraliser le navire double coque, une mesure très critiquée par tous les experts ; pour ma part, j’y suis totalement hostile. Certes, la mesure s’imposait pour pouvoir entrer dans les eaux américaines, du fait des décisions prises par les Etats-Unis après la catastrophe de l’Exxon Valdes, en 1989. Le seul avantage du double coque, c’est qu’il permet le rajeunissement d’une flotte pétrolière dont 40 % des navires ont plus de 15 ans d’âge. Mais il entraînera à court ou moyen terme des risques de naufrage encore plus fréquents. En effet, le double coque est un piège à corrosion généré par l’air, l’eau, le pétrole qui se trouvent entre les deux coques. De surcroît, cela donne une rigidité au navire qui risque de le rendre cassant (1). L’Erika et le Prestige se sont cassés là où il y avait des ballasts vides qui faisaient office de double coque. En fait, c’est sous la pression de l’opinion publique et après des catastrophes à répéti-

Christian Buchet est membre de l’Académie de marine, directeur du Centre d’étude de la mer de l’Institut catholique de Paris. Il est également membre du Comité de veille écologique de la Fondation Nicolas Hulot. On lui doit « Les Voyous de la Mer » (Editions Ramsay) et « La Mer, avenir de la Terre » (Editions de la Martinière), en collaboration avec le photographe de la mer Philip Plisson.

tion que la décision du double coque a été prise. L’origine de toutes ces catastrophes, c’est le défaut d’entretien. Avec le double coque, le coût d’entretien va plus que doubler. Il est facile d’en conclure qu’il y aura des réticences pour un entretien correct, d’où un risque plus grand de naufrage. Ce choix n’est pas le bon choix, mais c’est celui des Américains et le coup est parti pour le généraliser. C’est d’autant plus regrettable que nous, Européens, avec Euroyard (groupement de cinq chantiers navals), nous proposions une autre solution, le 3E (Européen, Ecologique, Economique). Pour les raisons que j’ai citées plus haut, cette technologie du 3E a été abandonnée. Il n’existe qu’un seul navire 3E, le Bourgogne.

Naturellement

• C’est intéressant ce que vous dites sur le double coque, car nous avons organisé il y a quelque temps une rencontre avec les syndicats CGT des chantiers navals de Saint-Nazaire, où ils nous avaient fait part de l’existence d’un GIE créé pour réaliser le 3E. Les syndicats avaient insisté sur ses avantages. Est-il encore possible de faire pression pour ce nouveau type de navire ? Non, les Américains veulent du double coque car ils ne considèrent pas le 3E comme un double coque. De ce côté-là, la guerre est perdue. Ce qu’il faut maintenant, c’est se battre sur l’entretien dont nous savons qu’il sera plus coûteux. Toute la difficulté viendra de cet aspect. Il y a un autre sujet où il faudrait

• n° 95

7

SÉCURITÉ MARITIME

Naturellement_95v6


SÉCURITÉ MARITIME

Naturellement_95v6

9/04/08

11:21

Page 8

avancer, c’est la responsabilité du Pavillon Etat : actuellement, seul l’armateur est responsable. C’est tout le problème que pose le procès de l’Erika. Le Pavillon Etat est celui qui peut le plus en matière de sécurité. La convention de Genève des Etats maritimes proclamait en 1958 qu’il devait y avoir un lien véritable entre l’Etat et le navire (c’est le Pavillon Etat), car il y aurait ainsi une assise véritable de la responsabilité. De fait, aujourd’hui, cette responsabilité n’existe pas, malgré l’existence de l’Organisation maritime internationale (OMI). Le blocage vient de l’OMI, où les pays les plus contributeurs peuvent empêcher une réforme qui permettrait de responsabiliser les Etats. Ces pays sont : le Panama, le Libéria, la Grèce, les Bahamas, Malte, Chypre qui assurent plus de 50 % de son financement. L’ONU a demandé à l’OMI un rapport sur cette responsabilité Pavillon Etat. On l'attend toujours, hélas.

Naturellement

• Dans les textes adoptés à Rio, en 1992, notamment l’Agenda 21, il est dit que les gouvernements doivent s’engager à limiter les pavillons de complaisance et accroître la responsabilité de l’Etat du pavillon. Pavillon de complaisance, ça ne veut rien dire. On ne peut pas empêcher un Etat, à plus forte raison s’il est près de la mer, d’enregistrer des navires. À l’inverse, si la responsabilité de l’Etat du pavillon était engagée, les Etats seraient plus vigilants sur l’état des navires et de leur entretien. Comme vous le voyez, s’il y a des avancées, il y a encore beaucoup de points qui nous préoccupent. Par exemple, nous allons peutêtre avoir moins de bateaux poubelles sur nos côtes, et les contrôles au niveau européen vont être possibles à 100 %, mais il ne faut pas croire que les bateaux poubelles ne navigueront plus. Nous allons les retrouver dans les mers du Sud. Ce qui fera moins de naufrages sur nos côtes ira en faire bien plus 8

ailleurs. D’où notre préoccupation pour la sauvegarde de la biodiversité marine. Que les pollutions marines viennent du Nord, du Sud, de droite, de gauche, c’est l’ensemble de la biodiversité marine qui en sera perturbée et à l’échelle du monde. On ne mesure pas assez que ces pollutions sont à la fois un scandale écologique et économique. Dans mon dernier livre « La Mer, avenir de la Terre » (voir encadré), je souligne avec insistance que la biodiversité marine constitue l’ensemble des solutions pour l’avenir de l’homme et de la planète. C’est là, le véritable enjeu pour les années à venir. Il faut savoir qu’en dehors des pollutions accidentelles (marées noires), il y a les dégazages et les divers rejets venant de la terre. Cette pollution permanente est douze fois plus importante que les marées noires. Les deux tiers des pollutions marines viennent de la terre. Et si en France, grâce à des mesures positives, on constate moins de dégazage, il faut savoir qu’il y en a plus au large de l’Italie et de l’Espagne. C’est donc au niveau de l’Europe qu’il faut agir. En face des marées noires, il y a ce que nous appelons la marée blanche, qui est bien plus importante. Mais cette dernière est bien moins médiatique qu’une marée noire, qui est plus spectaculaire et chargée d’une émotion instantanée. La marée blanche est bien plus insidieuse et ses conséquences bien plus graves. Un

exemple : on parle de la “surpêche” qui épuise le poisson, c’est vrai, mais les pollutions accidentelles, et surtout permanentes, aboutissent à réduire le stock de poissons, à la disparition totale de certaines espèces. Et si aujourd’hui on prend des mesures efficaces contre les marées noires, on est loin encore d’en prendre contre les pollutions permanentes, les marées blanches.

Naturellement • Il y a ce procès

de l’Erika qui a duré quatre mois, est-ce que cela laisse supposer que l’on va vers une répression plus forte ? Ce procès est le premier du genre… Il faut l’espérer. C’est vrai que c’est la première fois qu’il y a un tel procès. C’est important que les pollueurs soient les payeurs. C’est important aussi que la responsabilité des Etats soit établie. Si on a eu ce procès, comme d’ailleurs un certain nombre de mesures positives, on le doit à la formidable mobilisation de l’opinion publique. Mais cette mobilisation doit être encore plus forte, contre l’ensemble des pollutions, car il faut bien comprendre qu’aujourd’hui la mer est arrivée à un point de rupture d’équilibre et que si on continue ainsi, on va tuer cette poule aux œufs d’or.■ Propos recueillis par Guy Léger Christian Buchet explique les différents inconvénients de la double-coque dans son ouvrage « Les Voyous de la Mer ».

(1)

« La Mer, avenir de la Terre » C’est aux Editions de la Martinière, que Philip Plisson et Christian Buchet publient cet ouvrage. Un livre qui vient enrichir le fonds d’un éditeur qui a publié, entre autres, « La Terre vue du ciel » de Yann Artus-Bertrand. Le propos de Christian Buchet est d’accompagner les magnifiques photos de Philip Plisson par des textes qui fassent le point sur les enjeux pour la planète, en soulignant le rôle de la mer. « La mer, indique-t-il d’entrée, est une formidable machine de vie. Ses courants façonnent notre climat ». Et s’il cite Baudelaire – «Homme libre, toujours tu chériras la mer» –, il s’inquiète des effets des activités humaines sur l’état de la mer, aujourd’hui parvenue à un dramatique point de rupture. Il se veut toutefois optimiste. « A l’origine de la pollution maritime, dit-il, il y a le transport maritime, les dégazages et les rejets émanant de la terre. Des solutions existent dans chacun de ces domaines. C’est avant tout une question de volonté politique et celle-ci dépend dans une large mesure de la prise de conscience des citoyens… ». Un livre à offrir à tous ceux, de 7 à 77 ans, qui se sentent concernés par la mer et l’avenir de notre planète, mais aux autres aussi, qu’il peut aider à voir et à comprendre. G. L.

• n° 95


9/04/08

11:21

Page 9

Les pièges des énergies renouvelables Le constat est là. La facture est de plus en plus lourde. Ce que l’opinion ne sait pas, c’est que les émissions de gaz à effet de serre induites par la production et la consommation d’électricité, ne diminuent pas. La communication sur les éoliennes, sur le solaire, essaie de nous persuader du contraire.

I

l est utile d’attirer l’attention sur un point essentiel. Au-delà des aspects techniques, quel est le rôle de l’absence de service public européen et de l’affaiblissement, voire la disparition, du modèle français ? Le CITEPA(1) est l’organisme qui, en France, tient les statistiques d’émissions dans l’air. La communication de décembre 2007 au format « plan climat de Kyoto » informe sur la variation des émissions “production d’électricité et chauffage urbain”(2). Celles des années 2005 et 2006 sont les plus mauvaises depuis 1993. Si les objectifs de Kyoto peuvent globalement être atteints en 2012, le plus difficile est devant nous. Comment répondre à l’objectif central défini par la loi d’orientation et de programma-

tion sur l’énergie, votée en juillet 2005, d’une division par quatre de notre consommation d’énergies fossiles d’ici 2050 ? La production d’électricité est le quatrième poste d’émissions de gaz carbonique après les transports routiers, le chauffage des logements et l’industrie manufacturière(3). Or l’hydraulique et le nucléaire sont faiblement émetteurs. C’est donc que la production d’électricité dépend trop des énergies fossiles.

Une dépendance accrue aux fossiles

DR

Comment diviser par 4 notre consommation d’énergies fossiles d’ici 2050 ?

L’hydraulique faisait essentiellement face à la pointe. Mais l’affaiblissement relatif du nucléaire et la saturation des sites de production hydraulique amènent une demande accrue en fossiles d’autant plus forte que l’éolien et le photovoltaïque ne sont pas capables de répondre quantitativement à la demande puisque dépendant du vent et du soleil(4). Le lissage des aléas météorologiques se fait par des turbines à gaz capables de démarrer rapidement. Donc l’augmentation de la production électrique française éolienne et solaire est un facteur d’affaiblissement des performances environnementales, aussi paradoxal que cela puisse paraître. Mais on aurait tort de penser qu’il s’agit là du danger principal. Il provient de fait de la privatisation de la production électrique et de la politique suivie par EDF. Aujourd’hui, il ne s’agit plus, comme au temps du monopole national, de vendre l’électricité au meilleur coût(5), mais d’engran-

ger des profits et de croître par acquisitions d’entreprises en utilisant la rente du nucléaire. L’investissement est alors essentiellement réalisé dans des turbines à gaz à cycle combiné dont le rendement voisine 60 %. Certes, le remplacement de la centrale de Martigues fonctionnant au fioul par un nouvel équipement au gaz améliore sa performance(6). Le coût d’investissement d’un cycle combiné est relativement faible. Le chantier est court. Beaucoup de qualités pour des opérateurs privés même si le prix du kWh est élevé. Mais le consommateur est obligé de payer ! C’est la loi du marché. EDF n’est plus seul au niveau national. GDF et les autres grands opérateurs européens veulent leur part du gâteau et pouvoir exister sur la totalité du marché : électricité, gaz, voire agrocarburants(7). Il en résulte une multiplicité de projets de terminaux méthaniers, de centrales thermoélectriques. L’avenir environnemental de la filière est sombre. Les coûts s’envolent comme les profits. Le monopoly s’emballe(8).

Le rôle particulier de l’électricité L’électricité joue un rôle particulier. C’est la seule forme d’énergie polyvalente. Il n’y pas lieu de l’amalgamer avec la chaleur. Faites donc tourner un moteur électrique avec de la vapeur ! Dans le jargon technique, on dit que toutes les formes d’énergie ne sont pas substituables. Or cette question est gommée dans les documents officiels. Elle prend une place essentielle dans l’orga-

• n° 95

9

ÉNERGIE

Naturellement_95v6


9/04/08

11:21

Page 10

ÉNERGIE

Naturellement_95v6

nisation de la vie quotidienne. La réalisation des objectifs de réduction par quatre de notre consommation d’énergies fossiles passe bien sûr prioritairement par des économies. Mais la production d’énergie électrique sans carbone est un objectif majeur. Prenons le cas du chauffage des logements. Le renforcement de l’isolation est la première chose à faire dans le vieux comme dans le neuf. La pompe à chaleur, qui peut être jumelée avec du thermique solaire, est une technique adaptée à bien des cas, notamment dans l’ancien. Mais elle est décriée et pas seulement par les antinucléaires(9). Le marché de l’électricité est à présent européen. Les électrons franchissent rapidement des milliers de kilomètres mais il est toujours préférable d’utiliser l’énergie au plus près de son lieu de production. Le système d’échanges est à présent très complexe. À l’évidence, les logiques actuelles basées sur des opérateurs marchands(10) et des structures de régulation ne sont pas capables d’atteindre les performances environnementales et sociales attendues.

La mort du service public ? Il est donc clair que l’affaiblissement volontaire du rôle dirigeant du politique dans la définition et la conduite d’un système de production de l’énergie électrique est la cause principale des effets négatifs environnementaux et sociaux constatés. Le service public français n’est pas encore mort. Il doit non seulement être défendu mais nous sommes devant l’obligation de le promouvoir au niveau européen. Il ne saurait être question de défendre l’idée d’une seule entreprise étendant ses ailes sur l’Europe. La confusion a trop souvent été faite entre service public et entreprise nationale. En d’autres termes, nous aurions tort de déléguer aux syndicats des employés de l’énergie le soin de cette promotion. Ils n’en récla-

10

ment pas l’exclusivité. Il s’agit bien d’un acte politique majeur. Nous devons donc être capables de le porter. La défense du tarif régulé de l’électricité est un joyau qu’il faut défendre becs et ongles. C’est la seule logique non marchande qui subsiste. Mais comment passer à l’offensive ?

Pour une production durable L’évolution constatée dans notre pays est la conséquence de décisions européennes. La réponse est donc à produire à ce niveau. Elle doit, comme toujours en ce qui concerne le développement durable, associer les trois dimensions économique, sociale et environnementale. Il faut donc obliger les instances européennes à sortir de la gadgétisation des 3x20 % à l’horizon 2020(11), des joujoux des éoliennes(12) et des agrocarburants(13). Le service public européen de l’énergie électrique ne peut que s’appuyer sur la subsidiarité en imposant à chaque Etat une diminution du contenu en carbone fossile de sa consommation énergétique et lui laissant le choix de sa logique tarifaire. Cette dernière condition est indispensable. Elle fonde une responsabilité particulière qui peut aider au développement des actions citoyennes. Elle ne permet plus au pouvoir politique de s’abriter derrière les instances européennes. Le maintien des tarifs régulés est une preuve de l’efficacité de la méthode. Certes, elle heurte de front un principe fondateur de la communauté européenne. Elle constitue une entorse à la règle de concurrence libre et non faussée. Mais l’énergie électrique est-elle une marchandise ? La différence de prix n’est-elle pas aujourd’hui un fait admis et reconnu, certes provisoirement ? Cette répartition des compétences n’empêche pas les échanges. La coordination des moyens de production nationaux est un facteur de stabilité déjà

• n° 95

bien organisé entre des États européens. Il ne s’agit donc pas d’ériger l’autarcie nationale en règle. La liberté tarifaire reconnaît l’histoire des systèmes de production. Elle établit une coopération européenne sur deux objectifs : respecter le climat, répondre de la meilleure façon aux besoins sociaux. Elle reconnaît le droit à une communauté nationale d’organiser la façon dont est produit et consommé un bien fondamental et commun, indispensable à l’organisation de la vie quotidienne et de l’activité économique. L’électricité, c’est comme l’air et l’eau ! Les hochets des énergies renouvelables ne doivent pas détourner l’attention et l’action des défenseurs de l’environnement. Le développement durable c’est autre chose qu’un peu plus de fermes éoliennes et de chauffage au bois, que du lobbying pour créer des niches de profits.■ François Cosserat

www.citepa.org mais voir également le blog les Jardins de l’énergie. (2) Le chauffage des logements n’est pas dans cette rubrique, sauf raccordement à un réseau. (3) La sylviculture mise à part. (4) Voir sur le site de Sauvons le Climat la polémique sur l’éolien. (5) Pendant des années le prix du kWh a baissé. (6) Encore que la performance globale de la filière gaz soit très contestable si on tient compte des fuites sur la production et le transport. (7) EDF a une filiale dans la production d’éthanol. (8) Les besoins supplémentaires sont estimés par le ministère à 5,2 GW (2,6 GW en semibase et 2,6 GW en pointe) en service à fin 2015. Etant donné les projets dont ont fait part les opérateurs électriques consultés, le besoin devrait être couvert en 2009. (9) Voir le site de Sauvons le Climat. (10) Ce n’est pas parce que l’Etat français garde la main sur EDF que l’ex entreprise nationale joue un rôle différent. (11) 20 % d’économies, 20 % d’énergies renouvelables, 20 % d’efficacité énergétique. (12) L’éolien est à présent la moins mauvaise façon de produire de l’électricité renouvelable. Mais la forme qu’il a prise est bien une preuve supplémentaire de l’incapacité des opérateurs industriels à répondre à l’innovation. (13) Idem pour les carburants d’origine végétale : la transformation de denrées alimentaires en carburants est une ineptie. (1)


Naturellement_95v6

9/04/08

11:22

Page 11


Naturellement_95v6

9/04/08

11:22

Page 12

DOSSIER

Les vigies du

vaisseau Terre

Un demi-siècle s’est écoulé depuis la mise en orbite de Spoutnik-1, le premier satellite artificiel de la Terre. Des milliers d’autres lui ont succédé, si banalisés aujourd’hui qu’on peine à réaliser l’importance que nombre d’entre eux revêtent pour la connaissance de la planète et la préservation de l’environnement.

L’

pour tout, deux émetteurs radio, des batteries, un système de régulation thermique et quatre antennes. Leur objectif était, évidemment, tout autre : il s’agissait de porter un coup psychologique, politique et diplomatique…

d’une défaillance du régulateur de température. De toute façon, l’animal était condamné : rien n’était prévu pour le ramener au sol. L’engin était, en outre, équipé de quelques modestes instruments. Spoutnik-3, 1 327 kg, qui lui succéda le 15 mai 1958, était, en revanche, entièrement dédié à la science. Rappelons encore qu’avec Spoutnik-5, le 19 août 1960, l’URSS fut aussi la première à ramener sains et saufs des êtres vivants – les chiennes Belka et Strelka, mais aussi 40 souris et deux rats. Puis ce fut le premier homme en orbite, Youri Gagarine, avec Vostok-1, le 12 avril 1961, la première femme, Valentina Térechkova, avec Vostok-6, le 16 juin 1963, et le premier piéton de l’espace, Alexeï Léonov, avec Voskhod-2, le 18 mars 1965. Reste que la course à la Lune fut finalement remportée par les Américains avec leur Apollo 11 et grâce, là encore, à Von Braun. Le 21 juillet 1969, alors que leur compagnon Michael Collins tournait en orbite lunaire dans le module de commande qui devait les ramener tous trois sur Terre, Neil Armstrong et Edwin Aldrin posaient le pied sur l’astre des nuits. Il faut également citer les différentes stations spatiales habitées dont la série, inaugurée par les Soviétiques avec Saliout, en 1971, se perpétue de nos jours avec la Station spatiale internatio-

La science en orbite Après un premier échec le 6 décembre, les Américains réussissaient à leur tour : le 1er février 1958, Explorer-1, un satellite de 12 kg, était placé en orbite. Mais ils le devaient, il faut le souligner, au lanceur Jupiter-C mis au point par l’Allemand Wernher von Braun(1). Entre-temps, l’URSS avait remporté une nouvelle victoire de prestige : la satellisation, le 1er novembre, de Spoutnik-2, un engin d’une demi-tonne déjà, avec un premier être vivant à bord, la chienne Laïka, qui mourut sept heures plus tard en raison

© Tass

annonce, le 4 octobre 1957, du lancement réussi de Spoutnik-1 stupéfia le monde entier. Y compris le peuple soviétique, tenu dans l’ignorance de la date et du lieu de la tentative ! Oh certes, l’URSS avait déclaré en juillet 1955 que, tout comme les Etats-Unis, elle lancerait un satellite à l’occasion de l’Année géophysique internationale (du 1er juillet 1957 au 31 décembre 1958), mais personne en Occident n’avait pris la chose au sérieux. Surtout pas les Américains, convaincus de leur propre supériorité scientifique et technique. Craignant d’être coiffés in extremis au poteau, les Soviétiques avaient abandonné l’idée de lancer un satellite scientifique pour se rabattre sur un engin des plus rudimentaires : une simple boule métallique de 58 cm de diamètre et 83 kg comportant, en tout et

12

• n° 95

Le lancement de Spoutnik-1 fut, dans l’histoire humaine, un événement fondateur.


Naturellement_95v6

9/04/08

11:22

Page 13

DR

Le premier Français à goûter à l’espace fut le rat Hector, le 22 février 1961. Il en revint sain et sauf. Et fort ébahi…

nale dont la construction, entreprise en 1998, devrait s’achever dans deux ans. Ces stations conduisent des recherches en astrophysique, biotechnologies, physique des fluides, sciences des matériaux, sciences de la vie, et contribuent à l’étude de l’environnement.

Des outils incomparables Sur les quelque 5 500 satellites lancés depuis les débuts de la conquête spatiale, plus de 3 500 poursuivent leur ronde, dont près de 700 en activité. Quelles que soient leurs fonctions, ils présentent l’avantage capital de pouvoir s’affranchir totalement des frontières politiques et d’accumuler des données, répétées et en continu, sur de vastes étendues. Ils constituent donc un outil privilégié, incomparable et désormais indispensable à la connaissance et à l’observation de la planète. Laissons de côté les satellites militaires de surveillance, d’espionnage et de détection pour aborder la catégorie des satellites d’application civils. Les plus nom-

breux sont affectés aux télécommunications (téléphone, télévision directe, Internet). Viennent ensuite les satellites de navigation ou de positionnement (l’actuel système GPS américain et le futur Galileo européen), aux multiples affectations : navigation aérienne, maritime et terrestre, localisation et sauvetage, gestion de parcs de camions, de taxis et de bus, suivi des migrations animales (voir pp. 20 à 22), mesures géodésiques, etc. Autre classe, les satellites météorologiques qui ont permis, non seulement d’améliorer sensiblement la fiabilité des prévisions, mais aussi d’anticiper les risques naturels (sécheresses, inondations, raz-demarée, tornades, ouragans, cyclones). Autre catégorie encore, les satellites imageurs et de télédétection, du type Landsat et Spot (voir pp. 18-19), de plus en plus précieux pour l’agriculture (ils peuvent assurer inventaire, prévision et suivi des cultures, optimiser l’usage des intrants et l’arrosage ; bref, aider à l’avènement d’une agriculture à la fois économe, performante et respec-

Pour en savoir plus « A la conquête de l’espace – de Spoutnik à l’Homme sur Mars » de Jacques Villain (co-édition Vuibert / Ciel & Espace). « De l’espace pour la Terre », sous la direction de Jacques Arnould et Aline Chabreuil (co-édition Le cherche midi / Cnes). « 50 ans d’aventure spatiale » de Philippe Collot, un ouvrage somptueusement illustré de photos pour certaines inédites (co-édition Michel Lafon/Cnes). « 50 années d’ère spatiale », une chronologie très fournie des événements majeurs, par Jacques Villain et Serge Gracieux (Editions Cépaduès). « Une autre histoire de l’espace » d’Alain Dupas (Découvertes Gallimard). « Lanceurs et satellites » de Philippe Couillard (Cépaduès).

tueuse de l’environnement). Idem pour la pêche (voir pp. 20 à 22) et l’exploitation forestière. Ils jouent par ailleurs un rôle de plus en plus important dans les politiques d’urbanisme et d’aménagement, et on recourt à leurs services en géologie et pour la prospection des ressources minérales. Aux côtés de ces engins proprement utilitaires, les satellites scientifiques jouent un rôle crucial dans la connaissance et l’auscultation de la Terre, qu’il s’agisse des composants de l’atmosphère, de la température globale, de la biodiversité, du couvert végétal, de la progression des déserts, de l’évolution des calottes polaires et des glaciers, de l’hydrographie continentale et des océans, si importants pour le piégeage du carbone et la régulation du climat. Et leur utilité dans la détection des pollutions de toute nature n’est plus à démontrer. On en jugera à travers l’article consacré au satellite européen Envisat (voir pp. 1617), un géant de plus de 8 tonnes exclusivement dédié à l’environnement. Réalisé pour le Cnes, en octobre 2006, par l’institut TNSSofres, un sondage révèle que 77 % de nos compatriotes se disent prioritairement intéressés par les activités de l’agence spatiale française en faveur du développement durable. C’est reconnaître le rôle crucial des satellites dans ce domaine. ■ Michel Felet Concepteur et constructeur des fusées V2, Von Braun avait été membre du parti nazi et de la SS. Les Américains avaient non seulement mis la main, en 1945, sur une bonne centaine de V2 « prêtes à l’emploi », mais aussi enrôlé les principaux savants et techniciens allemands. Les Soviétiques, quant à eux, n’avaient pu récupérer que quelques éléments disparates de V2 et durent se rabattre sur des seconds couteaux de la recherche allemande, dont ils s’affranchirent vite, au contraire des Américains. Les Anglais et les Français firent appel, eux aussi, à des spécialistes allemands, mais en très petit nombre et de moindre envergure encore.

(1)

• n° 95

13


LES VIGIES…

Naturellement_95v6

9/04/08

11:22

Page 14

La pellicule de vie…

Q

uand Youri Gagarine, le premier homme de l’espace, se retrouva en orbite, le 12 avril 1961, il fut doublement bouleversé : par la beauté de la planète bleue qui défilait sous lui à la vitesse de 8 km à la seconde, mais aussi, surtout, par cette pellicule pâle, irisée, qu’il voyait sur la courbure de l’horizon et qui matérialisait l’atmosphère terrestre : si ténue, si subtile, si fragile d’apparence… Or, cette infime couche de gaz conditionne, avec l’eau liquide, toute vie sur Terre. La vie… Existe-t-elle ou a-t-elle existé ailleurs que sur Terre, dans le système solaire ? On n’est pas encore en mesure de répondre. Ce dont on est sûr, en revanche, c’est que de l’eau liquide a coulé à la surface de Mars, il y a trois milliards d’années, puis a disparu pour se retrouver dans le sous-sol. On subodore, par ailleurs, qu’Europe, une lune de Jupiter, abriterait un immense océan d’eau souterrain. Les astronomes ont par ailleurs acquis la conviction, depuis la découverte, en 1995, d’une première exoplanète(1) à l’Observatoire de HauteProvence par les astronomes suisses Michel Mayor et Didier Quéloz, suivie de quelque trois cents autres à ce jour, qu’il s’en trouve à foison dans la Galaxie et l’Univers. Et si les instruments actuels n’en ont détecté qu’une seule de type rocheux comme la nôtre, à 20 années-lumière, on ne doute pas d’en découvrir quantité d’autres dans les toutes prochaines années. Cela dit, on ne saurait espérer s’y réfugier en cas de grave problème de survie sur Terre : en l’état actuel des techniques, il faudrait des vaisseaux gigantesques capables de voyager durant des milliers d’années pour seulement franchir les 4,3 années-

14

lumière qui nous séparent de la plus proche étoile, Proxima Centauri ! Autour de laquelle on n’a, du reste, repéré aucune planète. Bref, nous sommes condamnés, pour très longtemps, à vivre sur notre planète et à régler les problèmes qui s’y posent ! A commencer par celui du réchauffement climatique, le plus grand défi auquel l’humanité ait jamais été confrontée. Et bien d’autres soucis pèsent sur elle : le tarissement de certaines ressources naturelles, la déforestation des zones tropicales et la perte de biodiversité qu’elle induit, la pollution du sol, de l’eau et de l’air. Sans parler de l’explosion démographique, des injustices et des conflits.

L’éclosion de la vie La Terre s’est formée, on le sait, en même temps que le Soleil et les autres planètes du système solaire, il y a 4,6 milliards d’années. Et la vie y est apparue, semble-t-il, 800 millions d’années plus tard (si l’on en juge par certaines traces fossiles retrouvées sur des roches). Des inconnues subsistent, bien sûr, mais on discerne peu à peu les ingrédients et les conditions qui ont présidé à son émergence. Les premières théories cohérentes sur l’évolution de la matière inanimée vers la matière vivante émanent d’un biochimiste soviétique, Alexandre Oparine (1894-1980) et d’un biologiste anglais, John Haldane (1892-1964) : la vie serait née, selon eux, au sein d’une bouillie de différentes molécules composées de carbone, hydrogène, oxygène et azote, bouillie bombardée par des décharges électriques (les éclairs) qui auraient généré des molécules organiques, prélude à l’apparition de molécules

• n° 95

M. Felet

Si même les étoiles les plus proches comptaient des planètes habitables, l’immensité des distances qui nous en séparent nous interdirait d’y trouver refuge avant fort longtemps. Raison de plus pour veiller à préserver la vie sur Terre. Cette vie si fragile…

André Brahic : « L’homme a commis toutes les bêtises possibles ». vivantes. Leurs intuitions ont été vérifiées par Stanley Miller, un chimiste américain qui, dans les années 1950, a réussi, sur ces bases, à produire en laboratoire des molécules prébiotiques. Le hic, c’est que la composition de l’atmosphère, aux origines, ne favorisait guère cette chimie. Aussi d’autres théories ont-elles été avancées, depuis lors, qui semblent l’emporter aujourd’hui : la vie aurait été apportée par des météorites ou serait née autour des sources chaudes hydrothermales sous-marines. En tout état de cause, si elle put se maintenir et s’épanouir, ce fut grâce à l’eau liquide. Et pour cela, fallait-il encore que notre planète eût un soleil plutôt sage et stable, ni trop éloigné ni trop proche, et que son orbite autour de l’astre ne fût pas trop excentrique. La Lune aurait aussi joué un rôle capital, de balancier, en stabilisant la Terre. Autre condition cardinale, il importait que la pression atmosphérique ne fût pas trop pesante. La vie sur Terre serait, également, impensable sans la couche d’ozone qui la protège du vent solaire et du rayonnement ultraviolet mortel, et sans le champ magnétique terrestre qui piège et retient en haute altitude les


9/04/08

11:22

Page 15

© Nasa

Ce liseré diaphane à l’horizon : notre subtile et tutélaire atmosphère…

redoutables protons et électrons provenant des orages solaires et de l’espace profond. De même, l’effet de serre généré par le dioxyde de carbone (CO2), le méthane (CH4) et la vapeur d’eau (H2O) s’avère-t-il capital pour le maintien d’une plage de température propice à la vie. Arrêtons-nous, à présent, sur l’effet de serre et ce réchauffement climatique qui, à juste raison, nous préoccupe tant. Comme le fait remarquer l’astrophysicien André Brahic(2) que nous avons rencontré à la faculté des sciences de Jussieu, le Soleil est 30 % plus chaud qu’il ne l’était il y a trois milliards d’années et sera 60 % plus chaud qu’aujourd’hui dans un milliard d’années. La proportion de dioxyde de carbone dans l’atmosphère étant appelée, de surcroît, à diminuer au profit de la vapeur d’eau, beaucoup plus active en terme d’effet de serre, la température globale va peu à peu grimper jusqu’à atteindre des centaines de degrés, condamnant toute vie sur Terre. « Une chose est sûre, note André Brahic, nous sommes plus

près de l’extinction de la vie que de son apparition. Et l’atmosphère actuelle de la planète est une conséquence de la vie ellemême qui l’a profondément transformée. Elle est fort différente de ce qu’elle fut à l’origine, où la vie d’aujourd’hui serait impossible. » Mais si l’homme altère durablement l’atmosphère, il compromettra peu à peu, à court terme, sa propre survie. Peut-être les insectes et d’autres animaux subsisteront-ils, pas lui.

Il n’est pas trop tard « L’atmosphère n’est pas un produit gratuit qu’on peut polluer à loisir, souligne André Brahic. Elle fait partie de l’humanité ellemême, constitue un bien commun. Or, l’homme a commis et continue de commettre, à son égard, toutes les bêtises possibles et imaginables. L’atmosphère est dans un équilibre délicat, instable. Nous sommes en quelque sorte sur une crête. Les activités humaines ont un impact mineur par rapport aux phéno-

mènes physiques naturels mais peuvent suffire à nous faire tomber d’un côté ou de l’autre. » La situation est-elle d’ores et déjà inéluctable ? André Brahic : « Je suis pessimiste à court terme, plutôt optimiste à long terme. On a réussi à préserver la couche d’ozone en interdisant la production des chlorofluorocarbures ; dans une soixantaine d’années, elle devrait être totalement restaurée. Pour le réchauffement climatique, il n’est pas trop tard, mais plus on temporisera, plus les effets seront difficiles et longs à corriger ; c’est d’autant plus dramatique que ce sont les plus pauvres, les plus fragiles, qui en paieront le plus lourd tribut… »■ M. F. (1) Planète extérieure au système solaire. (2) Astrophysicien au CEA, professeur à l’université Paris 7, spécialiste de l’exploration du système solaire par les sondes spatiales, expert au Cnes et à la Nasa, André Brahic a publié des ouvrages de grande vulgarisation, à la fois rigoureux et lyriques. Citons : « Enfants du Soleil – histoire de nos origines » (Editions Odile Jacob) et, tout récemment paru le même éditeur, le fascinant « Lumières d’étoiles – les couleurs de l’invisible », co-écrit avec l’astrophysicienne Isabelle Grenier.

• n° 95

15

… DU VAISSEAU TERRE

Naturellement_95v6


Naturellement_95v6

9/04/08

11:22

Page 16

LES VIGIES…

Envisat, le géant vert © ESA

Lancé en 2002, Envisat demeure, à ce jour, le plus gros, le plus lourd des satellites européens. Et le plus ambitieux de tous les engins dédiés à l’étude du système Terre et de l’environnement. Il a éclairé nos lanternes sur les outrages infligés à la planète par les activités humaines.

Envisat, le satellite des superlatifs.

K

ourou, Guyane française, 1er mars 2002. Le décollage d’une fusée est toujours un moment fort. Mais celui-là fut singulièrement stressant : jamais Ariane-5 n’avait arraché du sol un satellite aussi imposant : 10 m x 4 m x 4 m pour un poids de 8,2 tonnes. Ni aussi coûteux : 2,3 milliards d’euros, dont un quart pour la France. Mais tout s’est parfaitement déroulé et le satellite Envisat s’est retrouvé posté, avec une grande précision, sur l’orbite polaire prévue, à quelque 800 km d’altitude, ce qui lui a garanti d’entrée une grande espérance de vie. Alors qu’il était prévu pour une durée de cinq ans, il est assuré, sauf pépin technique, de poursuivre son office pendant au moins autant d’années. Equipée d’un système de positionnement très performant, la plateforme Envisat embarque neuf instruments scientifiques qui fonctionnent dans une large fenêtre du spectre : visible, infrarouge, micro-ondes, etc. Outre la détection des ressources terrestres, elle a pour fonction d’observer l’atmosphère, les terres émergées, les océans et les surfaces englacées. Ses données s’appliquent à la chimie de l’atmosphère (ana-

16

lyse de la couche d’ozone), la climatologie, l’océanographie (biologie marine, détection de la couleur – paramètre important pour l’évaluation de la concentration de chlorophylle et de sédiments en suspension – et de la température des océans, mesure de la houle et des vagues), l’hydrologie (humidité des sols, surfaces aquatiques, flux des rivières et des fleuves), le suivi agricole et forestier, les risques naturels, la modélisation numérique des terrains, l’observation du trafic maritime, la détection des diverses pollutions, la cartographie et le suivi de la neige et des glaces, etc. C’est un physicien du solide, Stefano Bruzzi, qui pilote le bureau de coordination de la direction des programmes d’observation de la Terre à l’Agence spatiale européenne (Esa). Depuis de nombreuses années, il suit les différents programmes engagés par l’Europe dans ce domaine, dont Envisat, bien sûr. « L’Europe spatiale, précise-t-il, s’est préoccupée de l’état de la planète avant même la création de l’Esa, en 1975, puisque l’organisation qui l’avait précédée avait déjà engagé le programme Meteosat. Il faut savoir,

• n° 95

en effet, que les premiers satellites qu’on pourrait qualifier d’environnementaux ont été des satellites météorologiques. Et que c’est leur succès qui a poussé à la mise au point de satellites d’observation spécialisés, comme le programme imageur américain Landsat démarré en 1972, et son pendant français Spot, lancé en 1981. »

La machine Terre Bien que n’ayant pas de vocation scientifique mais d’application, ces deux programmes ont aidé à une meilleure compréhension des mécanismes de la machine Terre dans son ensemble. « On a su exploiter leurs données pour fabriquer des modèles, explique Stefano Bruzzi. Ce processus, qui a pris une dizaine d’années, a abouti à des résultats extraordinaires, qu’il s’agisse des applications météorologiques, de l’étude des variations climatiques ou de l’environnement. L’intérêt scientifique des différents Spot, par exemple, est aussi important que leur usage commercial. Ces satellites s’avèrent déterminants pour la promotion même du développement durable. L’Esa exploite


9/04/08

11:22

Page 17

La mer d’Aral vue par Envisat. Le détournement de l’Amu Darya et du Syr Darya l’a considérablement asséchée.

© ESA

e

aujourd’hui les archives de satellites commerciaux qui n’avaient aucune vocation environnementale au départ. » Envisat n’est pas né de rien : il participe d’un programme de l’Esa initié avec les engins ERS (sigle anglais pour satellite de télédétection) : ERS-1 (1991) et ERS-2 (1995), d’un coût respectif d’un milliard, et 500 millions d’euros. Beaucoup moins lourds qu’Envisat (environ 2 200 kg), ils sont orientés pour l’essentiel vers la surveillance pluriannuelle des océans, des glaces et des zones côtières. Leur plateforme est constituée d’instruments chargés de mesurer des grandeurs physiques comme la hauteur moyenne des vagues, leur orientation et leur longueur d’onde, le vent en force et en direction, la température à la surface des océans et celle du sommet des nuages, et d’analyser la vapeur d’eau atmosphérique. ERS-2 est équipé d’un instrument supplémentaire qui lui permet de mesurer la teneur en ozone de l’atmosphère et de surveiller la croissance de la végétation. Les deux satellites, qui ont donné toute satisfaction (ERS-1 a fonctionné jusqu’en 2001, dont cinq ans en tandem avec ERS-2 qui poursuit son activité), ont bien préparé la voie à leur successeur. Hormis quelques problèmes mineurs sur certains instruments, Envisat a fonctionné et fonctionne admirablement. L’option d’un satellite aussi lourd, au risque d’un grave et coûteux échec au lancement, s’est donc révélée payante. Hormis les mesures de l’ozone assurées par ERS-2 et qu’affine MetOp, un autre satellite européen lancé en 2006, Envisat nous offre une vision du globe dans toutes ses composantes, avec une continuité dans l’observation et des performances sensiblement améliorées. Ses instruments coordonnés lui offrent deux fois plus de capacités que les deux ERS ensemble. Un détail, entre autres : au contraire de ces derniers qui ne peuvent acquérir d’images radar que selon

un angle fixe de 23 degrés, il dispose d’un instrument de prise de vue orientable autorisant une couverture hebdomadaire à l’équateur, et journalière aux pôles.

D’inquiétants phénomènes Impossible d’évoquer ici, sinon de manière cursive, tout ce qu’on doit déjà à Envisat. Mais quelques exemples en donneront une idée. A peine était-il opérationnel qu’il mettait en évidence, en Antarctique, un phénomène sans précédent par son ampleur : une énorme cassure dans la banquise laissant se détacher un bloc de 3 850 km2, une masse de glace estimée à 720 milliards de tonnes. La scène a été saisie par le radar du satellite quelques heures seulement après la rupture, intervenue le 18 mars 2002. Des milliers d’icebergs ont alors commencé de dériver, autant de dangers potentiels pour la navigation maritime… Autre exemple : grâce à son très performant spectromètre imageur, Envisat a pu révéler avec précision le cheminement des sédiments rejetés dans les océans par les rivières et les fleuves.

D’autres images ont mis en évidence la masse de phytoplancton portée par les flux de marée, à proximité des côtes africaines. Or, les modifications subies ces dernières années par le climat du globe affectent l’intensité de ces flux avec d’importantes conséquences sur l’écosystème marin et donc, la quantité de poisson et l’économie locale. Pour ce qui est plus précisément du climat, Envisat a permis de dessiner une carte globale des émissions de dioxyde de carbone (le principal gaz à effet de serre avec le méthane) et leur évolution depuis 2002. Il a fait apparaître divers phénomènes inquiétants : la fonte accélérée des glaciers du Groënland, la restriction de la glace de mer en Arctique, la hausse du niveau des océans (de 3 mm par an) et leur réchauffement. On pourrait citer aussi son rôle dans la détection des pollutions, à commencer par les dégazages en mer. Une chose est d’ores et déjà certaine : une descendance se prépare. Envisat devrait être progressivement remplacé, à partir de 2012, par une flottille de petits satellites spécialisés, les bien nommés Sentinel…■ M. F.

• n° 95

17

… DU VAISSEAU TERRE

Naturellement_95v6


Naturellement_95v6

9/04/08

11:22

Page 18

LES VIGIES…

Spot, l’œil de la France

Lancé en 1986 par le Cnes, le programme français d’observation satellitaire Spot s’est taillé une réputation mondiale. Sa gamme de services géographiques, qui n’a cessé de s’élargir et de gagner en qualité et réactivité, constitue une prodigieuse source d’informations où puise aussi la communauté scientifique.

S

i l’on excepte le domaine militaire, les premières expériences d’observation de la Terre ont eu lieu en ordre dispersé. Hormis les satellites météorologiques, travaillant du reste dans une étroite fenêtre spectrale, les engins spatiaux n’étaient que secondairement consacrés à l’observation. Il a fallu attendre 1969 pour que les Américains, bientôt suivis des Soviétiques, engagent enfin des programmes spécifiques. Et c’est le système américain Landsat qui a inauguré, en 1972, l’ère commerciale de la télédétection et de l’observation des ressources terrestres. Lancé en 1986, le programme français Spot(1) était précisément destiné à concurrencer les Etats-Unis dans ce domaine, ce qu’il a pleinement réussi. « Le programme Spot est né d’une volonté des pouvoirs publics français, explique Anne-Marie Bernard, chargée de la communication à Spot Image. Il a été conçu et mis en œuvre par le Cnes, qui a lancé les différents satellites, cinq à ce jour, et en assure la maintenance (2). La société Spot Image a été créée à son initiative pour opérer les satellites et commercialiser leurs images. Le Cnes en est le principal actionnaire (41 %) avec EADS-Astrium, l’industriel qui fabrique les satellites (40 %). »

blanc. Spot-5, lancé en 2002, a permis un bond en avant avec 10 m en couleur et 2,5 m en noir et blanc(3). Comment Spot Image opère-t-elle concrètement ? « Nous disposons d’un catalogue de millions de scènes couvrant plus de vingt années, explique Anne-Marie Bernard. Pour certaines applications, on nous demande de saisir des scènes précises de telle et telle zone. Nous transmettons la demande au Cnes, qui programme le satellite en conséquence. » Outre Spot-5, deux satellites demeurent opérationnels : Spot-2 et Spot-4. Postés à 820 km d’altitude, sur une orbite polaire héliosynchrone, ces lourds engins (3 tonnes) seront relayés, à partir de 2009, par une gamme de satellites plus légers (1 tonne), les Pléiades. Développés sous l’égide

du Cnes et (pour les instruments radar) de l’agence spatiale italienne, ils produiront des images de moindre superficie (la largeur de la “fauchée” sera de 20 km contre 60 pour les satellites Spot) mais d’une résolution bien meilleure : 70 cm en noir et blanc. L’association des Spot et des Pléiades offrira aux utilisateurs civils (cartographes, volcanologues, géophysiciens, hydrologues, urbanistes, agriculteurs, etc.) une palette d’images optiques et radar(4), mieux à même de répondre à des besoins de plus en plus pointus et diversifiés. Ajoutons que Spot Image distribue également les scènes de plusieurs satellites d’observation étrangers. Le premier usage de ces satellites concerne la cartographie. « Leurs avantages, par rapport à la photographie aérienne, sont détermi-

Des millions de scènes

Spot-5 cartographie en 3D.

18

• n° 95

© Cnes

Spot a eu d’emblée des caractéristiques plus performantes que son homologue Landsat en proposant une résolution d’image sensiblement plus fine – la résolution, c’est la taille du pixel, le plus petit élément de l’image. Le premier Spot offrait une résolution de 20 m en couleur et 10 m en noir et


9/04/08

11:22

Page 19

L’Etna en éruption sous l’œil de Spot nants, observe Anne-Marie Bernard. Ils ignorent les frontières, les interdictions de survol et les aléas météorologiques. Et si telle image est mauvaise, ils peuvent la refaire dès le lendemain ! » On ne s’étonnera pas que l’Institut géographique national soit à la fois client et partenaire de Spot Image. Tout comme, il va sans dire, le ministère de la Défense. Deuxième classe d’usages, tout ce qui touche à l’agriculture et à l’environnement. « Ces satellites, poursuit-elle, permettent un suivi des terres cultivées, ils informent sur la maturation des plantes, les besoins en eau. Les satellites Spot sont équipés d’un instrument, Végétation, qui leur permet de saisir des scènes de 2 500 km de côté ; d’avoir, donc, une perception globale du couvert végétal, de la biomasse. Mais d’autres instruments donnent, au contraire, des vues très rapprochées, destinées à une agriculture de précision. Les images de Spot sont capables de dire : telle parcelle manque d’eau, telle autre souffre de maladie, et telle autre réclame de l’engrais. En s’aidant de ces informations et d’un positionnement par GPS, l’agriculteur – ou le groupement d’agriculteurs – saura agir à bon escient et à l’endroit précis. C’est plus économique et plus respectueux de la nature. »

Priorité aux sinistrés Le système Spot peut, par ailleurs, observer et analyser le couvert forestier, et alerter sur les excès de la déforestation. Et s’avère éminemment précieux lors des catastrophes naturelles. AnneMarie Bernard : « En cas d’événement grave comme un incendie de brousse ou de forêt ou une inondation, le fait qu’on puisse à la fois programmer rapidement le satellite pour qu’il photographie la scène de la catastrophe, et sortir de nos archives des images de référence, permet d’identifier précisément, par comparaison, les zones atteintes, de repérer les

voies coupées et les accès possibles afin d’aider à la circulation des secours. Ce système permet aussi, à terme, de poursuivre la surveillance de ces zones et d’aider à la reconstruction et à la réhabilitation des sites. » Le Cnes et l’Esa sont à l’origine d’une charte internationale qui les engagent à placer leurs satellites à la disposition des populations sinistrées. Un numéro existe, connu des services de sécurité civile du monde entier. En cas d’alerte, les satellites sont prioritairement programmés pour couvrir les zones concernées. Les images recueillies sont alors envoyées au Cnes qui les fait traiter et interpréter. Et elles se retrouvent, en à peine quarantehuit heures, sur le terrain de la catastrophe… Si les satellites Spot constituent, dans les régions isolées, un outil très apprécié des prospecteurs de pétrole (les subtiles fractures du sol repérées depuis l’orbite peuvent signaler la présence de gisements), ils sont très utiles aussi en matière d’environnement : on fait appel à leurs services pour identifier précisément les zones dégradées afin de les restaurer à l’issue de l’exploitation, comme y obligent des législations de plus en plus contraignantes. Il faut savoir aussi que, dès les débuts, le système Spot a permis la saisie d’images stéréo (en 3D). D’abord, en prenant des photos

de la scène, sous deux angles différents, lors de passages successifs du satellite ; puis à intervalles rapprochés quand les satellites ont pu travailler ensemble ; et enfin, depuis l’avènement de Spot-5, en image stéréo directe, avec l’avantage d’un même ensoleillement de la scène. Le recours aux satellites imageurs a également permis de rationaliser les grands chantiers (barrages, autoroutes, voies ferroviaires, programmes urbains, etc.) en limitant leur impact sur l’environnement : calcul au plus juste du volume de terre et de roches à déplacer… Ces photos en 3D ont permis, de même, de mieux identifier les obstacles d’un relief et donc, de réduire le nombre d’antennes de téléphonie. On pourrait multiplier les exemples. Les satellites nous sont, décidément, devenus indispensables.■ M. F. La Belgique et la Suède se sont joints financièrement au programme, à raison de 4 % chacune. (2) Ils ont tous été lancés par la fusée européenne Ariane. (3) Il existe aujourd’hui des satellites civils avec une résolution plus fine, mais leurs champs et fréquences d’observation sont souvent moins intéressants que ceux de Spot-5. (4) Au contraire de ceux dits optiques qui ne peuvent opérer que le jour et s’avèrent incapables de percer les nuages, les satellites équipés de radars actifs sont opérationnels de jour comme de nuit, et par ciel nuageux. (1)

• n° 95

19

… DU VAISSEAU TERRE

© Cnes

Naturellement_95v6


9/04/08

11:22

Page 20

Les prouesses d’Argos

E

t d’abord, quelques chiffres à garder en tête pour bien saisir les enjeux : une espèce de poisson sur trois est aujourd’hui menacée, et une sur quatre chez les mammifères, une sur huit chez les oiseaux… Argos est né en 1978 d’une coopération entre notre Cnes, la Nasa (Agence spatiale américaine) et la Noaa (Agence américaine d’étude de l’atmosphère et de l’océan), coopération étendue par la suite. Il est exploité par CLS (pour Collecte Localisation Satellites), une filiale du Cnes et de l’Ifremer (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer) basée près de Toulouse. Argos avait été précédé, en 1971, par la fructueuse campagne française Éole qui consistait à localiser par satellite des ballons-sondes lancés dans l’hémisphère sud et à récupérer leurs données sur la circulation atmosphérique. Après cette campagne, les Américains ont proposé au Cnes de développer en commun un système satellitaire de localisation de balises et de collecte de mesures. La composante du système repose aujourd’hui sur une constellation

de satellites équipés de charges utiles sous maîtrise d’œuvre du Cnes. Dans un premier temps, deux cents bouées ont été réparties dans l’océan antarctique. Le champ d’action a ensuite été étendu au globe avec de nouvelles bouées et des stations hydrologiques terrestres. Et d’autres applications ont fait leur apparition, comme le suivi d’animaux.

satellite ne pouvait capter les données que lors de son passage à la verticale. Ce qui présentait toutefois un intérêt : si la mer, très formée, submergeait régulièrement la bouée, le fait que le message soit répété en boucle garantissait qu’à un moment ou un autre il serait capté. On a du reste préservé cette répétitivité. Mais l’avantage, avec Argos-3, c’est qu’il est désormais possible, depuis l’orbite, de reconfigurer les balises au gré des besoins. On peut par exemple décider qu’un flotteur dérivant entre deux eaux à 1 500 m de profondeur descende jusqu’à 2 000 m, et de le faire revenir plus tôt ou plus tard à la surface. Autre avantage du nouveau système : la balise peut calculer elle-même le passage du satellite et n’émettre qu’à ce moment précis. D’où une économie d’énergie. » Deux communautés d’utilisateurs ont été d’emblée intéressées : les météorologistes et les océanographes. Le problème, c’est que les premiers voulaient disposer, le plus vite possible, d’informations même imprécises, afin d’établir leurs prévisions, alors que les seconds, moins pressés, en réclamaient de plus fines. CLS a finalement concilié leurs exigences en traitant les données en temps réel. Les spécialistes ont pu, dès lors, travailler de conserve : les bouées dérivantes informent sur la circulation océanique tout en mesurant la température de l’eau et la pression atmosphérique – un paramètre-clé pour les météorologistes. Il y a deux grandes familles de bouées : les bouées de surface, dérivantes ou ancrées ; et les flotteurs de sub-surface. Les dérivantes de surface sont équipées d’une ancre flottante,

Bidirectionnelle La constellation Argos opère, actuellement, une demi-douzaine de satellites orbitant à 850 km, dont l’européen MetOp lancé en 2006. Le Cnes a beaucoup amélioré le système. Alors que les instruments Argos-1 et Argos-2 embarqués sur les précédents engins ne fonctionnaient qu’en mode unidirectionnel, celui de MetOp, Argos-3, offre une liaison bidirectionnelle : on peut programmer la balise depuis l’espace. « Jusqu’alors, observe Christian Ortega, le responsable des activités scientifiques à CLS, la balise émettait son message de manière répétitive et redondante, et le

Des bouées miniatures sont placées dans le gras de l’animal…

© Cnes

Etudier les océans et leur influence sur le climat, aider à une meilleure gestion des ressources en eau et des activités en mer, détecter les pollutions maritimes, protéger la faune, surveiller les écosystèmes marins… Pour assurer ces missions, les spécialistes du programme Argos accomplissent des prodiges. Illustration.

© Cnes

LES VIGIES…

Naturellement_95v6


11:22

Page 21

d’une dizaine de mètres, qui les tractent à la vitesse du courant. Les positions relevées par Argos renseignent donc sur le courant lui-même, non sur l’effet des vagues et du vent. Cette technologie permet de déterminer la vitesse du courant avec une précision de 4-5 m à la seconde. Les bouées de surface comptent un autre sous-groupe, celles qui sont ancrées au fond avec un corps mort. Elles jouent certes sur leurs câbles mais sont pratiquement fixes. Des bouées ont ainsi été ancrées par 4 000 m de fond dans le Pacifique. Captant la température à différentes profondeurs et des paramètres en surface, elles

permettent d’anticiper le phénomène El Niño, cet immense courant océanique qui, une ou deux fois par décennie, survient dans le Pacifique et provoque de grands dérèglements climatiques. Un mot sur les flotteurs dérivants de sub-surface. Eux sont dépourvus d’ancre. On en compte aujourd’hui 3 000, répartis sur tous les océans. Leurs capteurs mesurent, à différents niveaux, jusqu’à 2 000 m, la température et la salinité de l’eau. Ils remontent à la surface tous les 10 jours, d’où ils transmettent leurs données, puis replongent. Leurs deux localisations – avant la plongée et à la remontée – donnent des informations sur la vitesse et la direction des courants. Quant aux mesures de la température et de la salinité, elles renseignent sur la répartition de la densité océanique.

Archimède à l’honneur

© Cnes

Mais s’ils descendent au fond par l’effet de leur propre poids, leur remontée réclame une véritable prouesse technique. Comme il importe de minimiser la dépense

Il est désormais possible, depuis l’orbite, de reconfigurer les balises.

d’énergie (les flotteurs doivent fonctionner quatre ans), les spécialistes ont imaginé un étonnant dispositif basé sur le principe d’Archimède. « Le flotteur ne varie pas de poids, explique Christian Ortega. Arrivé à la profondeur maximale prévue, il enclenche un subtil mécanisme à pompe et à piston qui injecte lentement de l’huile dans une poche en caoutchouc peu à peu poussée vers l’extérieur. Le flotteur augmente de volume et remonte ! Notez qu’il a fallu aussi contrecarrer les grandes pressions (1 atmosphère de plus tous les 10 m). Ce n’est pas facile d’aller à 2 000 m de fond de manière routinière ! » Autre domaine d’Argos, la surveillance et la protection des ressources marines, et le suivi des bateaux de pêche. Un accord international a interdit les grands filets dérivants (certains mesuraient une centaine de kilomètres). Argos a été chargé de vérifier que les bateaux le respectaient. Le système Argos est surtout connu du public pour son usage dans la course au large, mais son rôle dans le suivi des migrations animales est tout aussi important : 4 200 animaux sont aujourd’hui

• n° 95

21

… DU VAISSEAU TERRE

9/04/08

© Cnes

Naturellement_95v6


LES VIGIES DU VAISSEAU TERRE

Naturellement_95v6

9/04/08

11:22

Page 22

chaude d’une masse d’eau froide. La mer est, en effet, plus haute sur les eaux chaudes, parce que dilatée… On peut donc évaluer l’impact du réchauffement climatique sur le niveau des mers. Philippe Gaspard se concentre aujourd’hui sur certains poissons comme le thon, la sardine, l’anchois. « On essaie de modéliser la dynamique de leurs populations, de comprendre comment ils évoluent en réponse, d’une part, au réchauffement climatique et aux conditions océanographiques, et d’autre part, à la pression induite par l’homme et ses activités de pêche. Et on analyse, parallèlement, les conséquences de cette situation sur les tortues marines, une espèce protégée. Elles ne sont pas elles-mêmes pêchées mais se retrouvent décimées par les filets et les hameçons. On cherche à déterminer, pour chaque espèce et aux différents stades de son existence, la nature des liens avec l’environnement, l’influence des courants sur les migrations, le type de nourriture recherchée, la stratégie de survie, etc. » La température des eaux revêt une grande importance : telle espèce de poisson n’est à l’aise que dans telle fourchette de température. Ce n’est pas un hasard si des espèces tropicales se retrouvent de plus en plus haut en lati-

appareillés de balises. « La possibilité de localiser des animaux à l’aide de balises a vite intéressé les biologistes, remarque notre interlocuteur. D’autant qu’à l’époque le système GPS n’existait pas. Les spécialistes d’Argos ont donc travaillé à la miniaturisation des balises. On a commencé avec les dauphins et les tortues marines. Ce n’est qu’au milieu des années 1980 qu’on a pu disposer de balises pour les oiseaux. » Elles ne pesaient plus que 100 g. Mais on a fait beaucoup mieux depuis : la plus petite balise, aujourd’hui, ne pèse que 9,5 g, et il en existe de 28 g… équipées d’un mini panneau solaire, d’un GPS, et de capteurs de température et de rythme cardiaque ! De même pour les poissons ; des bouées miniatures sont placées dans le gras de l’animal puis larguées, après quelques mois, vers la surface pour y émettre les données.

Au millimètre près !

22

Un système fermé Le moment est venu de conclure ce dossier. Les satellites environnementaux nous permettent, on l’a vu, de porter un regard éclairé sur les enjeux de l’époque. A savoir, qu’il faut impérativement prendre en compte, à titre individuel et collectif, ce fait cardinal : le vaisseau Terre est un système fermé, fini, qui se rétrécit et que des activités humaines incontrôlées peuvent conduire au désastre.■ M. F.

Une tortue marine appareillée pour son suivi par Argos.

© Cnes

Evoquons, à présent, l’altimétrie spatiale. Développée dans les années 1990 à la faveur de missions satellitaires franco-américaines, elle repose sur un principe simple : un radar envoie à la verticale, depuis l’orbite, une onde vers la surface terrestre. Celle-ci est réfléchie et on mesure le temps qu’elle a mis pour faire l’aller et retour ; on en déduit la distance. « C’est extrêmement précis, souligne Philippe Gaspard, le coordinateur scientifique de la direction Océanographie spatiale au CLS. La distance qui sépare le satellite de la surface de la mer est appréciée à 2-3 cm près, en mesure instantanée, et au mm près si on fait la moyenne de plusieurs mesures. La précision dépend de la qualité de l’instrument lui-même et de la valeur de système d’orbitographie qui positionne le satellite par rapport au centre de la Terre. » Ce système permet de mesurer le niveau moyen de la mer et la hauteur des vagues. Détail impressionnant : l’altimétrie permet de distinguer une masse d’eau

tude. Pour le suivi individuel, on recourt à deux types de balises, qu’on appelle des marques. Il y a celles qu’on attache à une nageoire et qui se détachent au bout d’un moment pour recracher leurs informations à la surface, et les marques-archives qu’on place dans l’abdomen et qu’on applique aux espèces très pêchées, comme le thon. Les poissons équipés de marques-archives sont par ailleurs identifiés par un signe particulier inscrit sur le dos. Les pêcheurs qui renvoient les marques sont généreusement récompensés. « Le taux de recapture peut être élevé, signale Philippe Gaspard. Pour le thon rouge, espèce particulièrement menacée, il frôle les 50 % au bout de trois ans. Ce n’est pas bon signe ».

• n° 95


9/04/08

11:22

Page 23

Les atouts de la voie d’eau

DR

Le réseau fluvial français qui a longtemps joué un rôle économique majeur est tombé en déshérence au XXe siècle. Ses atouts économiques et écologiques devraient le rendre de nouveau attractif.

F

ort de ses 8 501 kilomètres, le réseau fluvial français est le plus long réseau de voies navigables d’Europe. Longtemps, il a joué un rôle économique et social important : au Moyen Âge, 85 % des marchandises étaient acheminées par voie d’eau. Mais le XXe siècle allait porter au transport fluvial un coup que beaucoup considérèrent comme fatal. Jugée obsolète face à la concurrence du chemin de fer et de la route, la navigation fluviale a peu à peu décliné, ne représentant plus que quelques pourcents du transport marchandises et passagers. Rejeté dans le passé, le transport fluvial pourrait pourtant se révéler à l’examen beaucoup plus porteur d’avenir qu’on ne l’avait imaginé. Silencieux, fiable, ayant une forte contenance, peu consommateur d’énergie et peu polluant, il a tant sur le plan économique qu’écologique, et dans la problématique nouvelle de développement durable, bien des atouts. La France, qui a pris conscience tardivement de cette nouvelle donne, a du retard à rattraper par rapport à certains de ses voisins. La grande majorité du réseau fluvial français est constitué de trois fleuves (et de leurs affluents) : la Seine, le Rhône et la Loire. Second fleuve français par sa longueur après la Loire qui la

dépasse de 244 km, la Seine a un réseau fluvial important : le bassin de la Seine, qui comprend la Seine et ses affluents (l’Oise, la Marne et l’Yonne), est constitué de 1 367 km de voies navigables, soit 17 % du réseau national. Cas unique en France, la Seine est gérée sur 130 km par la mairie de Paris, le reste du réseau fluvial étant administré, comme la grande majorité du réseau des voies navigables de France (près de 80 %), par un établissement public, Voies navigables de France (VNF).

Le trafic fluvial a le vent en poupe L’intérêt écologique de la voie d’eau n’est plus à démontrer. Elle génère moins de gaz à effet de serre et de nuisances sonores et consomme 5 fois moins d’énergie que la route et 2 fois moins que le rail. Le fait qu’on puisse utiliser un seul convoi fluvial pour acheminer 1 000 tonnes de marchandises là où il faudrait 50 camions ou 25 wagons de chemin de fer prouve à l’envi l’économie réalisée en matière de dégagement de CO2 ou d’énergie. La faiblesse d’utilisation des voies navigables, qui représente moins de 1 % du trafic et seulement 11 % du transport de marchandises, contre respecti-

vement 96 % et 73 % pour la route, est donc largement à reconsidérer. Sur ses 1 367 km de voies navigables, le réseau fluvial du Bassin de la Seine n’en comporte que 564 km à grand gabarit. La batellerie française, seconde d’Europe, souffre de la faiblesse de son tonnage, inférieur de moitié à celui de l’Allemagne et des Pays-Bas. Sur le grand gabarit européen, les convois peuvent atteindre 180 m de long sur 11,40 m de large et le matériel transporté peut peser jusqu’à 2 500 tonnes alors que sur les voies Freycinet à petit gabarit, on ne peut transporter sur des convois de 24 mètres de long et de 4 m de large plus de 240 tonnes par bateau. Néanmoins, en dix ans le trafic fluvial a augmenté de près de 40 %. Outre l’intérêt écologique, la saturation des axes routiers, notamment ceux convergeant vers la capitale, font de la voie d’eau une alternative convaincante. Le trafic pourrait être largement accru sans conséquence notable sur l’environnement ni menaces d’embouteillage : l’inconvénient d’une relative lenteur – du Havre à Gennevilliers, premier port parisien, la durée de transport est de 36 heures – est ainsi compensé par le respect des délais d’acheminement. Le trafic en tonnes de marchan-

• n° 95

23

TRANSPORTS

Naturellement_95v6


9/04/08

11:22

Page 24

dises a augmenté de 12 % sur le Bassin de la Seine depuis 3 ans (+ 8,29 % en 2005, + 3,77 % en 2006). Le principal client en est le BTP (approvisionnement en matériaux neufs (granulats et ciment), déchets et déblais des chantiers (un tiers des déchets du bâtiment sont transportés par voie d’eau). Les autres secteurs utilisateurs sont l’agriculture (15 % des 9 millions de tonnes de céréales qui transitent d’Ile-de-France vers les ports de Normandie sont acheminés par le réseau fluvial, contre 72 % par la route et 13 % par le réseau ferré) et l’industrie automobile. Le grand projet qui doit permettre un nouveau développement du transport fluvial est la liaison fluviale à grand gabarit de la Seine avec le Nord de l’Europe, le canal Seine-Nord, que le Parlement européen a fait figurer sur sa liste des 30 projets prioritaires du Réseau transeuropéen de transport. Programmé pour 2013, il devait faire l’objet fin 2007 d’une déclaration d’utilité publique, et le chantier des travaux, d’un coût estimé à 3,2 milliards d’euros, devrait débuter en 2009. À l’horizon 2020, il se traduirait par le report sur les péniches de l’équivalent de 500 000 camions, contribuant ainsi au désengorgement d’un des axes routiers les plus encom-

brés d’Europe. Des études à l’échelon européen ont montré que cette congestion coûte 2 % du PIB, soit 130 milliards d’euros, avec un impact négatif sur le développement économique.

Quand la Seine invite au voyage Quant au transport de passagers, il a actuellement avant tout une vocation touristique. Le bassin de la Seine comporte une soixantaine de ports de plaisance et haltes fluviales. Avec 7 millions de passagers transportés par an, le Port autonome de Paris est le premier port touristique fluvial d’Europe. Figure emblématique des bateaux promenade dont l’Ile-de-France détient la plus grande part en France avec 70 % des 42 734 places offertes, les bateaux-mouches font partie intégrante du patrimoine culturel de la ville de Paris. Ils sont pour le touriste étranger ou provincial l’un des moyens les plus prisés et les plus enchanteurs de visiter Paris. Ce bateau-omnibus de tourisme fluvial naviguant sur la Seine à portée des monuments et des paysages les plus esthétiques de la capitale a son origine pourtant ailleurs : c’est sur le Rhône à Lyon, entre les quartiers de la Mulatière et de Vaise, que furent créés en 1862, tout droit sortis du

chantier Félizate du quartier de la Mouche, les premiers bateauxomnibus. La dimension touristique n’est pourtant pas la seule. Les nouvelles préoccupations en matière d’écologie et de désengorgement de la circulation pourraient bien faire réanimer la voie d’eau comme moyen de transport régulier, tel qu’il exista des années 1860 jusqu’en 1934. Le système des batobus qui transporte avec ses huit escales dans les quartiers les plus prestigieux de la capitale et circule depuis 1989, bien qu’étant un système de navettes régulières avec une fréquence de quinze à trente minutes, est encore surtout à l’usage des touristes. À l’initiative de la ville de Paris, une étude commandée à l’APUR (Atelier parisien d’urbanisme) en 2003 a envisagé la faisabilité d’une ligne régulière de transport de passagers sur la Seine qui couvrirait 25 km dans des secteurs à forte densité d’emplois et d’habitants. Constatant que « la plupart des équipements culturels et de loisirs visités par les Franciliens sont localisés aux abords du fleuve », cette ligne pourrait constituer, « compte tenu de la vitesse des bateaux, une ligne empruntée dans un but culturel et de loisirs plus que simplement touristique », conclut le rapport.■ Christian Pellicani

L’intérêt écologique de la voie d’eau n’est plus à démontrer. DR

TRANSPORTS

Naturellement_95v6


9/04/08

11:22

Page 25

Grenelle de l’environnement

Articuler l’écologique, l’économique et le social Secrétaire général de l’Union interfédérale des transports CGT, Daniel Geneste développe ici son analyse des ateliers et des résultats du Grenelle de l’environnement, un processus où son organisation a pleinement joué son rôle de défense des salariés et de l’intérêt commun.

Naturellement

• La CGT a participé aux ateliers du Grenelle. Quels enseignements en tirezvous ? Daniel Geneste • Le lancement de ce processus est avant tout le fait d’une sensibilité accrue et d’exigences bien réelles, dans l’opinion publique, sur une cause juste. Cette question, et les besoins sociaux, étaient au centre de la période électorale du printemps 2007. Ces attentes demeurent et sont incontournables. Les réponses apportées ne manquent pas de convergences, posant le plus souvent la nécessité de revoir la finalité de modes de production à ce jour dominés par l’objectif financier. Autant nous faisons des questions environnementales l’une de nos priorités, autant notre rôle de syndicalistes nous responsabilisait dans cette opération, voulue médiatique, pour imposer une articulation cohérente avec le social mais aussi l’économique. La CGT s’est investie, saisissant l’occasion de peser pour faire émerger les lourdes contradictions entre l’ambition que nous partageons, le système de production que nous vivons, et le concept libéral de la société. Nous avons fait entendre la voix des salariés, leurs intérêts, et rendue une place au social dans les rapports et propositions issus des travaux. Pas un seul des sujets traités n’a été dépourvu de propositions de la CGT. Au bout du compte, le gouvernement est pris à son propre jeu avec un certain nombre de

propositions dont il se serait bien passé. Elles donnent du crédit aux revendications et viennent appuyer les mobilisations.

Naturellement

• Il y a eu une déclaration commune entre syndicats et associations. Elle propose la mise en œuvre d’un plan national de réduction du trafic routier basé sur une décision de caractère politique, à savoir le classement du fret ferroviaire, du fret fluvial et du cabotage maritime au rang d’intérêt général, une mesure fiscale, à savoir une taxation du fret routier, une offre en logistiques multimodales où le camion aurait sa place aux bouts de la chaîne. C’est une rupture qui n’a pas fait consensus. Comment voyez-vous la suite ? Le MNLE propose des états généraux des modes de transport non routiers. Qu’en pensez-vous ? Pas une simple déclaration : une contribution officielle ! C’est autre chose ! Elle a d’ailleurs, dans les travaux, rassemblé encore plus largement pour devenir un élément à part entière du rapport et influer fortement nombre des propositions du Grenelle. Elle dessine un concept nouveau et multimodal de notre système de transport. Elle ne diabolise pas la route mais valorise chaque mode selon une pertinence à établir en fonction des critères de développement durable. Elle fixe une réorientation radicale de l’organisation des transports et des infra-

structures. Elle s’est enrichie dans les débats, de négociations, et le résultat ne peut souffrir de l’absence de consensus : seul le MEDEF et la CGPME ont combattu jusqu’au bout ces éléments, l’État ayant été, quant à lui, rapidement contraint à prendre en compte le rapport de force indiscutable. Ce qui en découle est donc désormais proposition à part entière du Grenelle. Par exemple, nous avons récusé le principe des péages urbains et là, personne ne qualifie le sujet de non consensuel. Pourquoi devrait-il en être autrement à la diligence du MEDEF ? À présent, c’est un point d’appui considérable pour les mobilisations au service des salariés, des écologistes et à l’adresse de l’opinion publique. La responsabilité du gouvernement est engagée s’il ne veut pas perdre crédit. La déclaration d’intérêt général est une donnée forte qui pose la question de la maîtrise publique nécessaire pour en concrétiser la mise en œuvre et qui suppose une approche hors des règles du marché pour le secteur. Elle n’est pas pour rien dans l’introduction du texte de négociation finale qui dit « Le paradigme actuel fondé sur la priorité accordée à la route et au développement séparé des modes de transports doit laisser place à une logique intégrée, multimodale dans laquelle la route et l’avion deviennent des solutions de dernier recours ». Ceci est incompatible avec un système libéralisé dont les tenants sont devant leurs

• n° 95

25

TRANSPORTS

Naturellement_95v6


9/04/08

11:22

Page 26

TRANSPORTS

Naturellement_95v6

contradictions. Jacques Barreau l’a d’ailleurs bien compris en se précipitant à déclarer que les décisions de la France doivent être dans les clous des orientations actuelles de l’Europe (Les Echos du 29 octobre). Nous allons, sur la base de cette analyse avérée, poursuivre nos mobilisations. Les choix récents de la SNCF sont contre nature, c’est à présent largement affirmé. Elle doit revoir son plan fret. Le gouvernement doit conforter l’outil public de transport propre. Dans les propositions du Grenelle, il y a aussi ”l’organisation d’un débat public national sur la politique ferroviaire”. Ça fait plus de dix ans que nous le revendiquons. L’État doit y donner suite. Nous sommes prêts à l’investir et allons nous battre pour le concrétiser. Le rassemblement large syndicats / ONG qui s’est opéré ouvre une perspective nouvelle. Nous avons l’ambition de le prolonger, l’élargir si possible, en respectant toutes les sensibilités.

Naturellement

• La mise à plat de la programmation des nouvelles infrastructures de transport est reprise dans la synthèse des ateliers du Grenelle. Les investissements à lancer pour mettre à niveau les réseaux existants, créer de nouvelles infrastructures sont énormes, sans doute supérieurs à 300 milliards d’euros. Il faudra non seulement définir des priorités mais réfléchir au bien-fondé de certains projets. En particulier, le système de transport est tributaire d’un modèle économique qui

localise les fonctions industrielles dans des pays à faible coût du travail et à faible protection sociale et environnementale. Votre organisation a-t-elle un avis sur cette question ? Nous n’avons pas abordé les travaux du Grenelle sur les transports indépendamment de l’organisation de la production industrielle, des systèmes de distribution, des modes de consommation, de l’urbanisme et de l’emploi. Ce serait un non-sens, à plus forte raison quand il s’agit d’aborder les enjeux climatiques sur lesquels l’acte de transport est le premier facteur négatif tout en étant outil de délocalisation. Les pratiques de dumping social, environnemental et fiscal sont étroitement liées et la résultante des mêmes conceptions : compétitivité, rentabilité immédiate. C’est cette approche globale qui a fait de la CGT un acteur crédible dans les travaux, à la surprise de plusieurs participants, d’ailleurs. La réorientation globale du système de production est forcément une donnée de longue haleine, mais les bases de sa nécessité sont désormais posées, tout au moins dans le débat public, au grand jour. C’est de nature à faire émerger des alternatives pour nourrir des rapports de force. La mise à plat des nouvelles infrastructures est une bonne chose, elle donne la possibilité de s’investir pour infléchir les choix reconnus néfastes. La question des financements reste entière. Il faudra sortir du dogme de la réduction des dépenses publiques et leur don-

ner enfin le statut d’investissement pour les générations futures et l’avenir de la planète. Nous proposons de transformer les coûts externes que supporte aujourd’hui la société, plus de 80 milliards par an pour la France, dont 93 % imputables à la route (nuisance, pollution…), en source de financement des modes alternatifs. Il faut aussi créer un pôle financier public en faveur de ce qui répond de l’intérêt général et tarifier le transport fret à son juste coût, à charge des donneurs d’ordre. Sur les financements, nous sommes forcément au cœur de l’affrontement avec un MEDEF refusant toute contribution des entreprises et un gouvernement à sa botte. Il n’est pas concevable que la répartition de la plus-value ne soit pas discutable dès lors qu’il s’agit d’une cause nationale, et même de l’humanité. Il y a un vrai risque de voir la fiscalité du travail reportée pour une part sur l’écologie au nom de compensations pour les entreprises par le biais d’exonérations de cotisations sociales. C’est inacceptable pour la CGT. Va-t-on demander 46 années pour la retraite ou doubler les franchises médicales, enclencher la TVA sociale pour combler les manques que cela créerait dans notre système solidaire ? Il y a déjà 32 milliards d’exonérations ! Là, nous avons besoin de faire évoluer certaines ONG environnementales. Elles ne sont pas insensibles. C’est un vrai choix de société, le débat doit se poursuivre sur ce point essentiel.■ Propos recueillis par Guy Léger

© Z. Nakara

A quand l’organisation d’un débat public sur la politique ferroviaire ?

26

• n° 95


9/04/08

11:22

Page 27

L’intermodalité dans les grandes agglomérations

Un enjeu majeur Depuis plusieurs années, les grandes agglomérations françaises affichent clairement leur volonté de développer les transports en commun sur leur territoire. Cet objectif est même devenu une priorité en raison de l’augmentation constante du trafic automobile qui a aggravé la pollution atmosphérique de manière préoccupante pour la santé publique. ment impératif d’articuler ces réseaux de transport en commun entre eux et avec les déplacements en automobile, en deux roues, sans oublier les piétons, afin de rendre attractif pour les usagers le système des transports en commun.

Les conditions de la réussite Toutes ces articulations et les pôles d’échange qui en découlent peuvent être résumés sous le vocable d’intermodalité (littéralement : enchaînement de plusieurs modes de transport pour un même déplacement). Et pour que l’intermodalité soit un succès, il faut réussir plusieurs actions, aussi bien la restructuration du réseau de bus suivant les lignes de

Transport en Commun en Site Propre (TCSP) – qu’ils soient métro, tramway… –, la réalisation de pôles d’échange (réseaux urbains, interurbains, TER) et de parcs relais, la coordination des offres de transport (coordination des horaires, complémentarité des offres) que la mise en place d’une tarification intermodale. Cette politique tarifaire doit d’ailleurs favoriser en premier lieu les abonnés des transports en commun mais aussi les utilisateurs occasionnels qui pratiquent le covoiturage. L’accès gratuit aux parcs relais ou un tarif préférentiel permettent d’inciter les usagers à utiliser ces parcs relais. Et quand ces principes sont appliqués, il est intéressant de noter que les parcs relais enregistrent une fréquentation très impor-

Il est absolument impératif d’articuler les réseaux de transport en commun entre eux…

DR

D

ans une période où le coût de l’énergie explose littéralement et où les économies dans ce domaine sont de nouveau d’actualité, il est parfaitement cohérent de vouloir développer sur un territoire les transports collectifs (avec le recours à des véhicules à énergie alternative comme le Gaz Naturel Véhicules, l’électricité…). Face aux coûts financiers de plus en plus élevés des VRD (Voirie et Réseaux Divers) en raison de l’étalement urbain, le développement des transports en commun devient une nécessité. Afin d’y répondre, les grandes agglomérations créent de plus en plus de lignes de tramways qui s’ajoutent à celles de bus urbains, de cars interurbains ou de trains express régionaux. Et il est absolu-

• n° 95

27

TRANSPORTS

Naturellement_95v6


9/04/08

11:22

Page 28

tante les samedis et dimanches et attirent une clientèle peu familière des transports en commun. De même, des espaces doivent être réservés pour les vélos et un système de prêt de vélos doit être organisé.

Le rôle central des pôles d’échange

HOMMAGE

Afin que ces efforts trouvent leur pleine efficacité, une coordination forte doit également s’établir entre le réseau urbain des transports en commun et les réseaux interurbains et autres TER afin de répondre de manière performante aux enjeux de la périurbanisation. À l'instar du réseau de bus urbains, le réseau de cars interurbains est impacté par le développement des TCSP et doit pouvoir se connecter avec eux, comme avec les bus. Ainsi, des pôles d’échanges doivent être créés, en partenariat avec le département et les exploitants interurbains, afin de permettre aux voyageurs du réseau de cars de bénéficier des gains de temps offerts par les nouveaux moyens de transport que sont le métro, le tramway… Sur les pôles

d’échange les plus importants, il est nécessaire de mettre en place des lieux d’information intermodale où les voyageurs puissent se renseigner sur les réseaux urbain et interurbain. Enfin, en liaison avec le développement des Trains Express Régionaux, des pôles d’échange entre métro, tramway, bus, réseau SNCF, doivent également être créés. Ils permettent au réseau TER de mieux irriguer l’agglomération en multipliant les gares reliées au réseau urbain de façon performante. Inversement, ces pôles d’échange rendent plus accessible le réseau ferroviaire à une plus grande partie des habitants de l’agglomération.

Optimiser tous les réseaux D’une manière générale, ces pôles d’échange, interurbains ou ferroviaires, deviennent ou deviendront des lieux de vie avec des services et des commerces dont le nombre et la diversité dépendent de l’importance du pôle. L’intermodalité est bien au cœur des enjeux d’une agglomération

et les trois autorités organisatrices classiques, communauté urbaine, conseil général, conseil régional doivent travailler de concert pour développer l’usage des transports collectifs sans oublier la mise en œuvre d’une billettique et d’une tarification permettant aux usagers d’utiliser un seul titre de transport en commun. De fait, l’intermodalité représente un enjeu majeur pour l’optimisation de tous les réseaux de transports en commun. Son développement doit être aujourd’hui une préoccupation essentielle pour garantir un essor harmonieux des différents territoires. Cet axe avance cependant à petits pas parce qu’il met en jeu, comme nous l’avons vu, des acteurs divers, parce qu’il concerne des territoires multiples qui vont audelà du périmètre des transports urbains gérés par les communautés urbaines, parce qu’il implique des changements de mentalité dans la gestion, l’interaction des différents réseaux. Il s’agit, à n’en pas douter, de l’un des gros chantiers des années à venir pour les collectivités territoriales.■ Pierre Brana

Yves Babonaux, notre cher ami, n’est plus Avec la disparition d’Yves Babonaux, c’est un ami que nous perdons. Yves ? La gentillesse même et un savoir extrême. Spécialiste de la Loire, c’était un Ligérien dans l’âme. Le fleuve doit se sentir un peu orphelin. Notre première rencontre remonte à la fondation même du MNLE, au début des années 1980. Puis nous nous sommes retrouvés dans de multiples réunions dont le sujet était bien évidemment la Loire. Je le revois sur le site du barrage de Serre de la Fare, avec ce calme qui le caractérisait d’où la passion n’était pas absente, s’expliquant avec des écolos extrémistes, qui campaient là pour s’opposer au barrage. Yves Babonaux, professeur émérite de géographie à la Sorbonne, je ne peux que l’associer à René Nozeran, professeur à l’Université d’Orsay et au professeur Jacques Barrau du Muséum d’histoire naturelle, tous trois membres fondateurs du MNLE. Je leur dois beaucoup, ils m’ont permis d’acquérir des connaissances, du savoir. Nous étions très proches philisophiquement et ils incarnaient pour moi cette alliance de l’intellectuel et de l’ouvrier, pour qui l’homme, cela sonne fier. C’est avec émotion que je te rends hommage, mon cher Yves. Toutes mes amicales pensées vont vers ton Guy Léger Vice-président du MNLE

épouse, Anne-Marie.

28

• n° 95

DR

TRANSPORTS

Naturellement_95v6


9/04/08

11:22

Page 29

Danger !

Les spéculateurs s’abattent sur les énergies vertes… Bien que ne partageant pas toutes ses analyses, nous avons décidé de donner la parole à Robert Bell, un économiste américain ostracisé dans son pays pour avoir dénoncé les magouilles de la Bourse. La thèse de son dernier livre s’applique plutôt aux conditions américaines, mais peut aussi nous servir de plateforme pour un fructueux débat.

Naturellement

• Quel est votre jugement sur l’administration Bush ? Robert Bell • Ce sont des criminels. Ils ont lancé une guerre agressive sans l’aval de l’ONU. Et pour cause : l’objectif était de s’emparer du pétrole irakien…

Président du Département des sciences économiques au Brooklyn College de l’université de New York, Robert Bell partage son existence entre la mégapole américaine et Paris (il a épousé une Française). Il vient de publier « La Bulle verte – la ruée vers l’or des énergies renouvelables » aux éditions Scali(1).

Naturellement

• Cette tragédie, qui coûte cher en vies humaines, a de surcroît déstabilisé la planète… Pour longtemps. Si même la guerre cessait, que deviendrait l’énorme armée de mercenaires ? Fait gravissime, jamais les EtatsUnis n’avaient recouru à des forces militaires supplétives. Et pour quels résultats ? Nous sommes d’ores et déjà défaits. Preuve qu’il n’est plus possible de s’emparer militairement du pétrole.

Naturellement

Michel Felet

• Que pensezvous du protocole de Kyoto ? Il ne marche pas et ne fonctionnerait pas mieux si les Etats-Unis l’avaient signé. La première raison, c’est que les Etats ont accordé à des sociétés d’énormes quotas gratuits d’émission, et que ces sociétés les ont revendus en secret à des spéculateurs. La seconde, c’est qu’il n’y a pas de marché central, mais plusieurs marchés opaques. La troisième, c’est que les émissions ne sont pas vraiment évaluées. Bref, ce marché ouvre la porte aux manigances. Il serait plus simple de taxer le gaz carbonique.

Naturellement

• Quel est le propos de votre nouveau livre ? J’ai voulu montrer que le développement des énergies vertes était inexorable et souhaitable du fait du réchauffement climatique et de la finitude du pétrole, mais qu’une bulle boursière verte allait se constituer et rapidement gonfler jusqu’à éclater. Ce qui s’est produit naguère avec l’Internet se reproduira avec les énergies renouvelables. Le système boursier étant ce qu’il est, un marché haussier débouche inévitablement sur une bulle spéculative.

Naturellement

• Le pic de la production pétrolière serait déjà atteint… Oui. On évoque, certes, de gigantesques réserves aux pôles, mais même si elles existent, leur exploitation ne sera pas effective avant dix ans. Entre-temps, le monde se sera largement désengagé du pétrole.

Naturellement

• Des multinationales commencent d’investir le renouvelable. La société Areva, par exemple, a tenté de racheter un fabricant allemand d’éoliennes… En effet. Mais votre ministre de l’économie de l’époque s’y est opposé. Résultat : cette entreprise de pointe, bâtie avec l’argent des contribuables allemands et de la Communauté européenne, est aujourd’hui indienne. Pour ce qui est de l’industrie pétrolière, si elle

• n° 95

29

RENCONTRE

Naturellement_95v6


RENCONTRE

Naturellement_95v6

9/04/08

11:22

Page 30

n’investit pas dans les énergies renouvelables, il y a une raison : on finirait par apprendre qu’elle bénéficie souterrainement, depuis des lustres, de substantielles subventions !

Naturellement

• L’énergie nucléaire vous inspire des réticences. Elle est pourtant préférable à celles qui génèrent des gaz à effet de serre… Le tout nucléaire constitue, indéniablement, de ce point de vue, un atout pour la France, mais plutôt que de développer une nouvelle génération de centrales, elle devrait continuer à exploiter ses centrales actuelles tout en prenant le tournant de l’éolien, du photovoltaïque et du thermique solaire. Le gros problème, avec le nucléaire, est celui des déchets : ils doivent être comptabilisés, entreposés et étroitement surveillés pendant des centaines, voire des milliers d’années. L’autre défaut, c’est qu’entre l’autorisation de construction d’une centrale et la mise en exploitation, il s’écoule au moins dix ans. Combien d’éoliennes ne pourrait-on édifier dans ce laps de temps !

Naturellement

• Les éoliennes ne pourront jamais rendre le même service que le nucléaire qui, lui, offre une puissance concentrée et régulière… Je pense que les piles récemment mises au point permettront de stocker l’énergie des éoliennes et de régler le problème de l’intermittence.

Naturellement • Quid des voi-

tures hybrides et des agrocarburants ? Ces voitures ont fait la preuve de leur intérêt. Et des camions hybrides seront bientôt aussi sur le marché. Pour ce qui est des agrocarburants, seuls les cellulosiques apparaissent écologiquement justifiés.

Naturellement

• S’agissant des énergies renouvelables, les Etats-Unis sont hors circuit, dites-vous, et le demeureront longtemps. On a peine à vous 30

suivre dans cette idée quand on considère la force de frappe dont ils disposent en ingénieurs, chercheurs et moyens financiers… Je m’explique. Pour réduire sensiblement les émissions de gaz à effet de serre, ils devraient miser sur le transport ferroviaire. Or ils l’ont littéralement détruit. Songez qu’il n’y a pas une seule liaison à grande vitesse aux EtatsUnis ! Pour rattraper ce retard, il faudrait investir massivement, ce qu’ils ne sont pas disposés à faire. Vous noterez, en ce qui concerne les véhicules hybrides, qu’on les a développés au Japon et en Europe, pas aux Etats-Unis… Autre chose : la location de vélos. Les villes américaines suivrontelles rapidement l’exemple du Vélov lyonnais et du Vélib parisien ? J’en doute. Ça donne pourtant des résultats. On dit que le Vélov a déjà fait baisser de 10 % l’usage de la voiture à Lyon.

Naturellement

• Les choses commencent quand même à bouger aux Etats-Unis. Regardez la Californie : son gouverneur, Arnold Schwarzenegger, est devenu écolo… Il était surtout connu comme une brute conduisant un Hummer (2), et on se souvient de la manière odieuse dont il a traité les instituteurs et les infirmières de l’Etat. En fait, c’est en réalisant que son parti perdait des élections en Californie qu’il a sauté sur le programme des Verts. Sa conversion est électoraliste.

Naturellement

• Vous affirmez que dans vingt ans, au plus, l’énergie n’aura plus grande valeur monétaire… Je pense qu’on se retrouvera devant une surproduction énergétique du fait d’un développement exponentiel des énergies renouvelables conjugué avec une baisse de la demande – dans les pays développés, s’entend – générée par une forte hausse du coût de l’énergie. Je vous signale que l’année dernière, la demande de pétrole a baissé en Allemagne. Avant dix ans, le développement

• n° 95

de l’éolien sera tel que la bulle verte explosera. Oh ! qu’on se rassure : les grands investisseurs, les banquiers, les fonds de pension, les spéculateurs en général, sauront vendre à temps. Mais les petits porteurs ? Il faut savoir que la Bourse repose sur le mensonge et la manipulation. Les procès engagés contre des spéculateurs de la précédente bulle ont mis au jour de gigantesques magouilles. Je connais des gens qui avaient placé leur épargne dans des fonds de pension par capitalisation et qui ont perdu huit ans de retraite.

Naturellement

• La transition vers le renouvelable risque d’être brutale… En effet, car quatre problèmes vont se présenter simultanément : le pic pétrolier, les ruptures de stock, l’augmentation de la demande par la Chine et l’Inde, et le réchauffement climatique. Mais cette conjonction intervient, par chance, alors que des technologies de substitution sont disponibles.

Naturellement

• Vous êtes plutôt optimiste… Oui. La bulle spéculative fera beaucoup de perdants mais la planète sera sauvée. L’avantage des énergies renouvelables, c’est qu’elles ne poussent pas à la guerre, au contraire des énergies fossiles, et ne sont pas délocalisables. Un événement aux EtatsUnis vient de l’illustrer. Depuis trente ans, les syndicats ouvriers voyaient fondre leurs effectifs du fait des délocalisations. Et voilà qu’une fabrique espagnole d’éoliennes signe avec le syndicat américain des travailleurs de l’acier un contrat impliquant l’embauche de près de 1 000 ouvriers ! Nous sommes sans doute à un tournant.■ Propos recueillis par Michel Felet Scali (80 rue du faubourg Saint-Denis, 75010 Paris). (2) Enorme et surpuissant, ce 4x4 dérivé d’un véhicule de guerre atteint des niveaux de consommation vertigineux : un symbole du gaspillage et de la pollution. (1)


9/04/08

11:22

Page 31

Ces forêts qu’on assassine Terrifiant constat : 130 000 kilomètres carrés de forêts tropicales disparaissent chaque année. L’équivalent de la Grèce ! On en comptait 20 millions de kilomètres carrés en 1982, il n’en subsiste que 17. Plus qu’un crève-cœur, un crime : ces forêts constituent le plus grand réservoir de biodiversité. Les naturalistes estiment qu’elles recèleraient au moins dix millions d’espèces, alors qu’on n’en a décrit, à ce jour, que 1,7 million sur l’ensemble de la planète. Dans ce livre présenté comme un texte de combat (il est dédié à Chico Mendès, le syndicaliste brésilien « assassiné pour avoir défendu la forêt amazonienne contre les tronçonneuses »), Emmanuelle Grundmann, une primatologue, décrit par de multiples exemples ce terrifiant cancer, les causes qui le sous-tendent, et la tragédie qu’il constitue pour les peuples indigènes. Elle ne manque pas de dénoncer, par ailleurs, la mainmise sur les trésors botaniques que d’aucuns osent faire breveter alors qu’ils sont connus des autochtones depuis la nuit des temps. Et l’auteure de dénoncer, à ce sujet, le rôle pervers de l’Organisation mondiale du commerce. « Les forêts précèdent les peuples, les déserts les suivent » : la puissante réflexion de Chateaubriand citée en exergue du livre résume Michel Felet parfaitement l’enjeu. « Ces forêts qu’on assassine » d’Emmanuelle Grundmann, préface de Jane Goodall. Ed. Calmann-Lévy, 284 p., 18 €.

La nature, combien ça coûte ? «

Au milieu du siècle, explique Frédéric Denhez, les économistes (qu’on appelait physiocrates) considéraient la nature comme le bien le plus précieux ». La révolution industrielle, entreprise à la fin du XVIIIe, a changé cela en la rejetant au second plan (encore que, comme le remarque l’auteur, Ricardo, Malthus et Marx se soient quand

XVIII e

même préoccupés de la disparition future des ressources naturelles). Les économistes de la fin du XIXe siècle sont allés, eux, plus loin encore en la négligeant totalement. Assisterait-on à une prise de conscience en ce début du IIIe millénaire ? Les économistes la remettent sur le devant de la scène et des entreprises l’intègrent dans leurs comptes d’exploitation. « La nature entre en Bourse », pour reprendre un titre de chapitre du livre. L’auteur analyse le phénomène sans œillères ni a priori. Et s’il affirme d’emblée que les biens naturels doivent rester dans le domaine public, il relève des signes intéressants dans l’économie marchande. Il y a là, conclut-il, « une formidable opportunité de repenser le développement ». M. F. « La nature, combien ça coûte ? Pourquoi l’écologie n’est pas l’ennemi de l’économie » de Frédéric Denhez. Ed. Delachaux et Niestlé, coll. Changer d’ère, 223, p., 19 €.

Sortie de secours Ecrivain, journaliste, philosophe, écologiste et naturaliste, Yves Paccalet a longtemps couru les mers avec le commandant Cousteau. Il a aussi randonné à pied, en France comme à l’étranger. La parole de ce doux athée est celle d’un sage qui a beaucoup vu, lu, retenu et réfléchi. Dans « L’Humanité disparaîtra, bon débarras ! », un livre précédent (Arthaud, Prix du Pamphlet 2006), il s’était livré à une vive charge frontale contre les abîmeurs de la planète. « L’homme est une espèce en péril », lançait-il. Répondant aux lecteurs enthousiastes mais un peu désemparés à cette lecture, qui lui demandaient à quoi se raccrocher et comment s’engager pour sauver la planète, il a repris la plume. Et voici « Sortie de secours ». Sans rien renier de sa sombre analyse, il leur donne des raisons d’espérer en agissant au quotidien : « Economisez, recyclez, réparez, préservez, protégez… » Dénonçant les ravages de « l’hyper-capitalisme triomphant, mondialisé, outrancier, hystérique et mégalomane », Yves Paccalet propose une « utopie du partage ». Il le fait dans une langue magnifique, émaillée de formules-flèches. On en souligne une, en surligne deux, et puis on s’arrête : il faudrait tout souligner et surligner ! Un livre salutaire, à l’humour jubilatoire. M. F. « Sortie de secours » d’Yves Paccalet. Ed. Arthaud, 187 p., 15 €.

• n° 95

31

LU, VU, ENTENDU

Naturellement_95v6


Annonce environnement A4:Mise en page 1

9/04/08

12:22

Page 1

Avec la SNCM, je protège la Méditerranée !

Une démarche volontaire Protection de l’environnement et prévention de toutes les pollutions • 16 filières de tri opérationnelles à bord de nos navires. • Utilisation de technologies “propres” (ex : séparateurs des eaux mazouteuses). • Résidus liquides débarqués à terre et traités par un prestataire agréé. • Respect des éco-systèmes : les peintures de carène utilisées sont sans plomb et sans étain. • Utilisation de carburants à faible teneur en soufre.

Actions pédagogiques • Opération "Mer en Fête" : soutien logistique et accueil des participants et scolaires, atelier SNCM de découverte des cétacés de Méditerranée.

Contribution à la recherche • Programmes de recherche européens : TOPHIC (Tools to Optimize High Speed Craft) et Wings E Ten. • Détection et observation des cétacés. • Participation aux groupes de travail du sanctuaire Pelagos. • Constitution d’une base de données spacio-temporelle sur la distribution des cétacés en Mediterranée Occidentale (partenariat avec le Laboratoire d’Océanographie et de Bio-géochimie du CNRS). • Cette dynamique de protection de l’environnement s'exprime au travers de la déclaration environnementale affichée à bord de tous les navires de la Compagnie, dans ses agences et dans ses bureaux.

Pour plus d’informations

www.sncm.fr


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.