New York Comics page 8 à 125

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introduction

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L’écrivain américain Thomas Wolfe a écrit un jour : « On appartient à New York instantanément, autant en cinq minutes qu’en cinq ans ». Je dois admettre que je suis d’accord. On ne se contente pas de visiter New York : on en devient très vite un globule rouge, voguant le long de ses artères souterraines. Un lien indestructible et élastique se tisse entre vous et la ville, qui vous ramène constamment vers elle, pour un séjour plus ou moins prolongé. Elle est, au pire, la fille avec laquelle vous continuez de sortir par intermittence tout au long de votre vie. Au mieux, celle à laquelle vous resterez fidèle jusqu’à votre dernier souffle. J’ai battu son pavé, emprunté ses métros à des heures incongrues, découvert de nouveaux lieux à chacun des coins de ses rues. Je fais corps avec la foule qui se presse sur les trottoirs de Manhattan, je partage son naturel d’anchois en conserve dans l’intimité forcée des wagons de métro, ou avec les fantômes des pionniers de la bande dessinée qui hantent encore les rues de la ville. Et c’est la raison pour laquelle je lui appartiens, à jamais. L’histoire toute entière du comic book, depuis sa naissance jusqu’à sa renaissance, a commencé dans les cœurs et les esprits d’un groupe essentiellement constitué de jeunes lycéens, qui pour beaucoup avaient grandi dans les rues de la ville.

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new york comics Le Lower East Side, à Manhattan, ce quartier autrefois tumultueux encombré d’immeubles piteux et surpeuplés, a largement fourni son lot de visionnaires, d’artistes qui se sont mis à dessiner la violence de leur enfance dans leurs pages de bande dessinée dès l’apparition de ce nouveau support, dans les années 1930 et 1940. Parmi les premiers éditeurs se trouvait tout un éventail de truands, escrocs et menteurs en devenir duquel émergeait, de temps à autre, un génie créatif. Ils louaient un placard à balais, le baptisaient « bureau », et embauchaient des gamins avides de travailler pour produire à tour de bras des pages de comics, afin d’étoffer leurs publications imprimées au plus bas coût. Le légendaire Victor Fox (qui, dit-on, fit faillite quatre fois, fut mis en cause dans une affaire d’arnaque boursière et ne payait jamais ses employés ; il s’était même arrangé pour qu’un imprimeur à qui il devait de l’argent publie ses bandes dessinées pendant un an afin qu’il puisse rembourser sa dette) est l’un de ces éditeurs qui mâchaient bruyamment leurs cigares au milieu d’openspace sales et miteux. Ces patrons, bien souvent, versaient dans la pornographie et les magazines de charme... sans manifester aucun amour réel pour la bande dessinée. Ils n’étaient qu’une bande de pseudo-businessmen parfois malins, souvent véreux, qui cherchaient à faire fortune. Mais pour chacun de ces éditeurs factices se dressait une petite armée d’adolescents rêvant de devenir illustrateurs ou artistes de bande dessinée, qui petit à petit prit de force le contrôle du navire pour le mener dans des eaux bien plus palpitantes. Nombre d’entre eux étaient des fils d’immigrants (voire, dans le cas d’artistes comme Gil Kane, des immigrants eux-mêmes), plusieurs étaient Juifs, et tous ou presque vivaient à New York. Et c’est un gamin de Brooklyn, répondant au nom de Will Eisner, qui le premier constitua un atelier d’artistes produisant des comics à la chaîne, avant de créer une bande dessinée intitulée The Spirit (dont l’intrigue se passe, devinez où ? À Central City, sa propre interprétation de New York) puis, des années plus tard, d’amener le roman graphique sous les feux de la rampe avec Un pacte avec Dieu, publié en 1978. Les studios de création constituaient une impitoyable école de la vie, des lieux où les artistes

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Quand vous grandissez dans un pays anglophone, New York est le centre du monde car les médias américains sont tous tournés vers New York. Sesame Street, c’est très New York. Je n’aimais pas la série jusqu’à ce que je commence à vivre ici. Vous ne pouvez pas échapper à New York, tout passe par son prisme car la ville est le goulot d’étranglement de la culture américaine. Je suis persuadé que c’est au détriment d’autres villes des États-Unis, mais tant de gens viennent à New York, et tant de choses s’y passent ! Il faut sacrifier énormément de choses pour être ici mais en fin de compte, si vous voulez être proche de ces gens qui font toutes ces choses, cet environnement vous pousse à donner le meilleur de vous-même, c’est le prix à payer. J’adore ça, mais ça peut aussi être triste parfois. Simon Fraser Dessinateur de 2000AD, Doctor Who.

pouvaient encore flemmarder, rivaliser et se quereller, nuit blanche après nuit blanche, échéance après échéance. Des amitiés, de celles qui durent parfois toute une vie, s’y formaient,

tandis que cette bande de jeunots créaient les super-héros et demis-dieux d’une mythologie souvent rudimentaire, à l’époque désormais légendaire qui suivit la Dépression aux États-Unis. Ils travaillaient dans les quartiers de Midtown, Soho ou Tudor City, dans des ateliers minables, voire à leur table de cuisine. Certains travaillèrent pour un éditeur installé dans l’Empire State Building, comme Stan Lee, qui débuta garçon de bureau pour Timely Comics et resta suffisamment longtemps dans la maison pour la rebaptiser Marvel Comics quelque vingt ans plus tard. Il y avait aussi Jack Kirby, dont le style grandiloquent mêlait la grâce à la violence. C’est pratiquement lui qui, avec son partenaire Joe Simon, inventa le langage de la bande dessinée d’action du super-héros, et qui continua à réinventer le genre (ainsi qu’à créer et à y contribuer encore) une fois son œuvre achevée. On retrouve sa vision de New York dans quasiment toutes les grandes BD Marvel dans les années 1960, que Stan Lee enchanta de ses dialogues. Jack continua par la suite à donner vie à New York, notamment dans son comic autobiographique Street Code, témoignage de son enfance dans les immeubles crasseux de la ville. Dessinée au crayon à papier, son ouvrage dévoile la véritable face cachée de New York sans négliger pour autant le langage visuel du super-héros. Jack Kirby ne pouvait pas s’empêcher d’être héroïque, même dans les circonstances souvent peu propices à l’héroïsme que connut la bande dessinée dans les années 1930. Et tout ceci se déroulait à New York, cette ville gigantesque qui luttait pour échapper à l’emprise de la Grande Dépression et de la Première Guerre mondiale approchante. Ses rues bondées, ses piétons bloquant le trafic à chaque intersection, ses métros saturés de voyageurs, ses habitants qui s’engouffraient dans les artères souterraines de la cité... tous ces éléments se sont frayés un chemin jusqu’aux pages des comics auxquelles les enfants de la ville ont donné naissance. New York City est devenu le modèle type de chaque ville de super-héros infestée par le crime, la ligne d’horizon reconnaissable entre toutes de ces métropoles qui tentaient de ne pas être New York mais qui, inéluctablement, le restaient.

Joe Simon, Jack Kirby, Stan Lee, Irwin Hasen, Alex Toth, Jerry Robinson, Joe Kubert, Bob Kane... tous trimaient dans les rues ou leurs studios minuscules et s’entraidaient. En 1941, le premier numéro d’un certain Daredevil, héros de l’Âge d’or, fut dessiné dans un appartement surpeuplé lors d’une tempête de neige d’une ampleur apocalyptique, les jeunes artistes y survivant à grand renfort de cafés et de sandwiches. S’il ne marqua pas l’apogée du genre, ce moment restera néanmoins celle d’une camaraderie rarement partagée dans les autres industries du storytelling. Les super-héros fleurirent après l’attaque de Pearl Harbor, le 7 décembre 1941, et l’entrée des États-Unis dans la Seconde Guerre mondiale. On vit soudain ces vengeurs urbains et boys-scouts volants sur les lignes de front, en Allemagne ou au Japon, flanquant des beignes à Adolf Hitler ou décimant les Nazis à grands coups de mitraillette. Ils vendaient des obligations de guerre et faisaient de leurs doigts le V de la victoire (et non celui de la paix), mais jamais ne révélèrent comment une guerre si terrible pouvait continuer dans un monde rempli de héros semblables à des dieux. La Seconde Guerre mondiale fournit aux comics les meilleurs méchants imaginables : les Nazis. Ils furent difficiles à détrôner après la fin de la guerre, en 1945. Les super-héros étaient toujours là, mais furent bientôt éclipsés par d’autres genres tels que le crime et l’horreur. Rapidement, ces derniers devinrent plus sensationnalistes, tournés vers un public plus âgé grâce à une bonne dose de sexe, de violence et d’hémoglobine. Les lecteurs qui, enfants, s’étaient passionnés pour Superman cherchaient à présent des aventures plus attrayantes – et plus dangereuses. Les comics les plus célèbres du genre furent ceux de la collection EC, comme Tales from the Crypt, The Vault of Horror, Two-Fisted Tales et Weird Science. Les titres EC Comics, gorgées de gore, de sang et d’allusions coquines, s’avérèrent bien plus sophistiqués que leurs prédécesseurs du début des années 1940. Les dessins de Wally Wood, Graham Engels, Harvey Kurtzman, Johnny Craig et Al Feldstein étaient des illustrations de haut vol, des exercices de style dans un pur esprit

cinématographique ; les scénaristes délaissèrent les contes d’horreur absurdes pour l’adaptation des romans d’anticipation de Ray Bradbury. L’éditeur de cette collection de qualité chez EC Comics s’appelait William C. Gaines. Rien à voir avec Victor Fox, de la décennie précédente : Gaines se souciait réellement de ses artistes et du contenu de leurs œuvres. Ayant hérité EC de son défunt père, Maxwell, ce rebelle se réjouissait de créer des bandes dessinées gratuitement et absurdement subversives. Les bandes dessinées EC Comics voyaient d’un œil horrifié la famille nucléaire banlieusarde de l’après-guerre, comme en témoignent leurs protagonistes poussés à bout par des épouses acariâtres, par la société elle-même voire par leurs propres jalousies et mesquineries. Ces héros-là étaient violents, sexy et très sombres – peut-être un peu trop.

J’adore l’histoire des comics et je ressens cette histoire ici, à New York. Je suis allé à la Kubert School et j’ai eu Kubert, Tex Blaisdell et Irwin Hasen comme enseignants. L’école est dans le New Jersey mais ces gars ont fait l’histoire ici, à New York. Je suis ici de façon tout à fait délibérée, parce que c’est ici qu’elle se fait. Mike Cavallaro Dessinateur de Parade with Fireworks, Life and Times of Savior 28.

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Un psychiatre du nom de Fredric Wertham, soutenus par quelques autres, s’en prit aux bandes dessinées d’horreur et policières, qu’il fustigeait pour leur influence nocive sur les jeunes lecteurs américains. Ils exigèrent tant et si bien la censure des comics que le Sénat lança un sous-comité chargé d’enquêter sur le caractère néfaste de ces livres. Les débats, menés par le candidat à la Présidence Estes Kefauver, se déroulèrent à... New York et furent bien sûr retransmis à la télévision dans tout le pays. C’est l’attentionné et spontané William qui s’éleva contre cette escouade anti-comics des années 1950. Il échoua à retourner la situation et devint le bouc-émissaire du secteur, dépeint par ses détracteurs comme l’éditeur diabolique qui corrompait la jeunesse innocente de l’Amérique. En dépit de cette apparente tombée en disgrâce, les œuvres qu’il publia et continua de publier sont aujourd’hui encore considérées comme des références du genre. Il résulta de cette agitation un code de censure et une publicité négative autour de la bande dessinée qui manqua la tuer. Alors que les éditeurs concevaient les directives et les interdits du Comics Code, imposant au support une mièvrerie insipide, Gaines et le créateur Harvey Kurtzman firent du comic book Mad un magazine... qui échappa de fait à la censure du Code. Or un phénomène inattendu se produisit après que l’industrie eut presque digéré ce coup fatal : la bande dessinée se porta mieux. Elle s’éleva encore

à bien des occasions contre l’establishment, encaissant les coups mais se relevant toujours, en vrai New-Yorkaise. Elle soutint même un ou deux uppercuts qui prouvèrent qu’elle n’était pas prêt de s’éteindre. La nouvelle vie de Mad, sous sa forme magazine, en fit une icône culturelle, Batman devint une extravagante série TV qui déclencha une véritable ferveur populaire ; une génération entière d’auteurs de bandes dessinées, nourrie aux comics EC et au magazine Mad, créèrent des œuvres subversives et matures baptisées underground. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, les comics avaient réinventé la pop culture, des galeries d’art au grand écran. Arrivèrent les années 1960 et Stan Lee, auteur et éditeur chez Marvel Comics, eut une idée brillante : pourquoi ne pas prendre pour décor de sa nouvelle collection de super-héros un univers qu’il connaissait bien, New York ! Voilà qui donna à des titres comme The Amazing Spider-Man et The Fantastic Four un socle sans précédent. La bande dessinée, qui vivait des heures difficiles, fut ainsi tirée de son marasme par un éditeur new-yorkais, grâce à des personnages évoluant dans un New York fantasmé et auto-réferentiel. Puis (et c’est là que les choses deviennent encore plus passionnantes), de nouvelles générations de dessinateurs et de scénaristes se mirent à faire évoluer le langage tout en proposant une nouvelle interprétation des genres alors essoufflés, tel celui du super-héros. Ils débarquèrent à New York dans les années 1970 et 1980, alors que la ville était tout sauf un lieu sûr ; et le délabrement et la crasse de la cité vinrent s’incruster dans les décors de leurs justiciers masqués. Tout en vivant parfois dans des appartements miteux, ils imaginèrent une nouvelle manière d’écrire les comics. La drogue était parfois très présente, certains crevaient de faim, mais tous prenaient pour modèle la génération qui n’avait été à ses débuts qu’une bande de gamins surexploités. Et tous savaient qu’ils marchaient dans les mêmes rues que Will Eisner, Joe Simon, Jack Kirby et un nombre incalculable d’autres créateurs avaient

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arpenté dans leur jeunesse, et ils les traduisaient sur la page sous le nom de Metropolis, Gotham ou Central City. Ces rues leur enseignaient, à la dure, les mêmes leçons et les faisaient grandir. New York était cette austère matriarche qui savait les consoler mais aussi les frapper à la tête. Même après que FedEx a permis aux artistes de quitter la ville qui abrite les deux principaux éditeurs de comics, et même après qu’Internet a rendu les communications instantanées, les bandes dessinées incarnent toujours New York. Et même si DC Comics, aujourd’hui DC Entertainment, est parti s’installer en Californie, on sait que les comics appartiendront toujours à New York. De la même manière que la bande dessinée court dans le sang de la génération actuelle de créateurs, New York est dans l’encre et le sang des comics eux-mêmes, imprimée pour l’éternité sur un papier aujourd’hui haut de gamme ou affichée sur un écran d’ordinateur. Il est question ici de mémoire culturelle, celle non seulement d’une ville fictive dessinée, mais d’une réelle métropole américaine. Imaginez une journée new-yorkaise typique : elle vous touche au vif. Les habitants de la ville ne se promènent pas dans la vie, ils se déplacent avec un but, d’un point A à un point B. Si les New-Yorkais pouvaient vivre en abrégé, ils le feraient. L’avantage de la bande dessinée, c’est qu’elle peut faire ces abrégés, elle peut passer directement de A à C sans passer par le point B. San Diego, à supposer que son histoire et son charme, de Bleecker Street à Houston Avenue, imprègnent le scénario, pourrait-elle transmettre la même énergie ? Et Seattle ? Toutes deux sont extraordinaires en soi, mais sont dépourvues de cette atmosphère contagieuse bien particulière, de cette électricité... de cette synergie entre l’esprit créatif de la génération actuelle d’auteurs de BD et les fantômes de leurs prédécesseurs. Aujourd’hui encore, les comics ne peuvent pas se dérouler ailleurs qu’à New York qui, pour cette raison, engendre et nourrit leurs créateurs. Et quelque soit votre interlocuteur dans le domaine, le nom de Jack Kirby revient presque toujours dans la conversation. Les plus vieux ont parfois travaillé avec lui, les artistes expérimentés l’admiraient dans leur jeunesse et, (s’ils ont eu de la chance),

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C’est une ville internationale. New York est le satellite, vraiment, la lune de l’Amérique. Un de mes amis me disait que quelques-uns des mauvais effets que nous avons eus récemment ont rendu les gens tristes à l’étranger. Tout le monde projette sur New York, parce que c’est la ville où vous pouvez recommencer votre vie. C’est la raison pour laquelle je vois New York comme une ville internationale. Ce qui est génial quand on vit proche de la côte Est, c’est qu’il est très simple d’aller en Europe ; j’y vais tout le temps. J’ai une relation vraiment très intéressante avec des éditeurs là-bas. Où nous en sommes maintenant, en 2008 ? Où est-ce que je vois les comics en 2100 ? Qu’est-ce que je peux faire pour y contribuer ? Paul Pope Dessinateur de Battling Boy, 100%.

l’ont rencontré, les plus jeunes le prennent pour modèle. Kirby est l’exemple type du New-Yorkais ayant réussi sa carrière après des débuts des plus ardus, mais aussi celui du créateur qui a courageusement choisi de travailler à son compte pour conserver la propriété de son œuvre, voire même, à certaines étapes de sa vie professionnelle, celui de l’artiste frustré et exploité.


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De légendaires, les créateurs disparus sont devenus aussi mythiques que les héros et méchants qu’ils ont créés sur le papier tant d’années plus tôt lorsque, courbés au-dessus d’une table sous le grésillement de leur lampe de bureau, ils consommaient des quantités démentielles de café et de cigarettes à l’époque où leur foie et leurs poumons étaient suffisamment solides pour supporter pareil traitement. Je parie qu’en cet instant précis, penché sur son bureau ou son établi, dans un atelier de Brooklyn ou un appartement du Queens, un ou une dessinatrice travaille en se souvenant de sa rencontre avec ses héros dans les rues de New York, alors qu’il ou elle cherchait à glaner un peu de leur sagesse à transmettre, à son tour, à la prochaine génération... La meilleure manière de comprendre pourquoi New York est vitale à la bande dessinée et de venir visiter cette cité de rêves, de gratte-ciels, d’énergie et de fantômes. Pareille à l’image que renvoie d’elle les écrans de cinéma et de télévision, elle prend vie aux yeux du monde entier dans l’adaptation des comics nés de ses fondations et de ses rues. Et comme tout dans l’univers de la bande dessinée américaine, l’histoire d’amour de la ville avec les super-héros débuta avec Superman. Dans les années 1970, les producteurs Alexander and Ilya Salkind parvinrent à se faire confier la création d’un film de Superman à gros budget. Leur projet ne tenait pas d’un divertissement enfantin bas de gamme mais bel et bien d’un véritable film destiné aux adultes aussi bien qu’aux

enfants. Le génie de Salkind consista à en confier la réalisation à Richard Donner, qui eut lui l’idée brillante de tourner dans les rues de New York. Ancrer le film dans un décor réel rendit les incroyables pouvoirs de l’Homme d’Acier, disons plus... crédibles. Le choix d’un acteur inconnu pour le rôle de Clark Kent et Superman scella le deal et fit de Christopher Reeve une star, tandis que New York s’imposait comme décor idéal des films de super-héros. Alors pourquoi n’a-t-on pas vu d’autres films du genre suivre les traces de Superman ? La réponse ne réside pas dans le coût prohibitif des effets spéciaux mais dans le fait que le monde (comprendre, Hollywood), n’était pas prêt à envisager les comics comme autre chose qu’un divertissement pour enfants. Que la sortie de Superman n’ait pas inspiré une déferlante de films de super-héros n’est donc pas un affront fait au film mais plutôt à la perception des comics par les studios et le grand public. Le producteur Michael Uslan se battit pendant des années pour faire de Batman un long-métrage sombre et sérieux. C’est lui qui eut le dernier mot puisque la sortie en 1989 du film de Tim Burton, avec Michael Keaton et Jack Nicholson, obtint un succès colossal. Huit ans et quatre suites plus tard, la franchise Batman s’éteignait après l’échec du désastreux Batman et Robin, en 1997. Puis un film intitulé Matrix, créé par les Wachowski, sortit en 1999 et changea la donne. Des personnages esquivaient en slow motion des balles qui laissaient des ondulations dans leur sillage, dans un univers tout droit sorti de

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Métal Hurlant. Chef d’œuvre visuel puissamment influencé par l’art de la bande dessinée (le dessinateur de comics Geof Darrow figurait au générique comme designer), Matrix fit pour les super-héros ce que Star Wars avait fait pour la science-fiction en 1977 : prouver que la technologie était enfin à la hauteur des fantasmes dessinés dans les pages des comics. Matrix réalisa ce que seuls les deux premiers films de Superman avaient réussi : les Wachowski démontrèrent que les super-pouvoirs, assaisonnés de scènes d’action et d’arts martiaux, ne se contentaient pas d’être cools à l’écran – ils étaient aussi saisissants. Blade, avec Wesley Snipes, sortit en 1998 en apportant les arts martiaux au monde des comics. Son succès rendit possible la sortie, deux ans plus tard, du film X-Men. Et la confrontation des X-Men contre Magneto et la confrérie des Mutants à l’intérieur de la statue de la Liberté ne symbolisait pas seulement le retour des super-héros sur grand écran, mais aussi le renouement de leur relation avec New York... Avec la sortie en 2002 du Spider-Man de Sam Raimi, la ville prit un rôle plus grand encore puisque les aventures du super-héros new-yorkais par excellence furent filmées, trois longs-métrages durant, dans les rues de New York. Warner Bros revint dans la course avec le Batman Begins sans concession de Christopher Nolan. Bien que la plupart des scènes aient été tournées à Chicago, New York et ses artères familières s’avérèrent cruciales pour la pertinence du dernier volet de la trilogie, The Dark Knight Rises, en 2012.

Marvel, pendant ce temps, rassemblait ses forces pour créer son propre studio de cinéma indépendant. L’éditeur lança sa première salve dans la compétition cinématographique en 2008 avec Iron Man, incarné par Robert Downey Junior. Fidèle à la bande dessinée originale, Iron Man était le coup de fouet dont Marvel et le genre avaient besoin. Le studio ramena ensuite The Incredible Hulk dans les rues de Harlem pour son affrontement final avec l’Abomination. Iron Man lui-même apparut dans la Grosse Pomme pendant quelques scènes du second opus, avant un ultime combat dans le parc de Flushing Meadows. Avec cette offensive de films Marvel se déroulant, comme les comics originaux, au sein de New York, la ville de cœur des super-justiciers vit ses trottoirs et ses buildings servir de terrain de jeu à un flot ininterrompu de héros et de bandits. 15

Mais si nos imaginations sont aspirées dans ces mondes peuplés de héros et de méchants, à la fois dans les pages des comics et sur grand écran, c’est la ville où tout commença qui s’empare de nos cœurs. Il faut vous y attendre : New York s’emparera d’un peu de votre être et le conservera en elle, pour toujours, le long de ses souterrains et de ses trottoirs, et dans ses vieux immeubles hantés par les fantômes des génies de la bande dessinée. Il est temps à présent de faire la connaissance de quelques-uns de ces fantômes et légendes, et de plonger dans cette atmosphère qu’Hollywood ne se lasse pas d’adapter...


la statue de la liberté

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C’ est

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liberty island

la plus belle femme de la ville .

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Debout au beau milieu du port, entre les États du New Jersey et de New York, la statue de la Liberté est la première personne qu’apercevaient les immigrants ayant quitté leur pays pour la terre de promesses et d’accomplissement des rêves qu’incarnait l’Amérique. Construite en France et acheminée démontée en bateau, elle est l’enfant des deux pays – conçue par l’intellectuel français Édouard de Laboulaye et sculptée par Auguste Bartholdi, à partir de plaques de cuivre martelées recouvrant la structure d’acier imaginée par Alexandre-Gustave Eiffel lui-même. Bartholdi, dit-on, s’inspira de la silhouette de sa propre mère. Il fallut dix ans de travail avant qu’elle ne fut finalement inaugurée par le président américain, Grover Cleveland, en 1886. Du haut de ses 46 mètres, elle éclaire de la torche qu’elle brandit dans sa main droite la voie vers le nouveau monde. Serrée contre son sein gauche, elle tient une tablette sur laquelle on peut lire JULY IV MDCCLXXVI – c’est-à-dire 4 juillet 1776, la date à laquelle les États-Unis signèrent leur déclaration d’indépendance, défiant ainsi officiellement la monarchie britannique. Un siècle plus tard, Lady Liberty faisait l’objet de grands travaux de restauration pour célébrer son premier centenaire.

La Statue de la Liberté Liberty Island, NYC

The spectacular Spider-Man: rendezvous with death! Gerry Conway, Sal Buscema Marvel Comics, Juillet 1988


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La statue fut la porte d’entrée des États-Unis pour les immigrants fuyant les persécutions sur leur telle natale, ou cherchant à profiter des opportunités qu’offrait ce nouveau pays débordant d’activité. Après que le gouvernement américain eut ouvert en 1892 le centre d’immigration de Ellis Island, 12 millions de migrants franchirent ce seuil vers leur nouveau pays, en l’espace de 62 ans. Dans l’univers de la bande dessinée, elle est un symbole à protéger à tout prix. Sa destruction ne signifie rien de moins que la fin de notre liberté – symbole d’omission et d’oppression.

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Kamandi: the last boy on earth Jack Kirby - DC Comics, 1972 The spectacular Spider-Man: rendezvous with death! Gerry Conway, Sal Buscema - Marvel Comics, Juillet 1988 Captain America #267 J. M. Dematteis, Michael Zeck - Marvel Comics, Mars 1987

Dans La Planète des Singes de 1968, l’astronaute Charlton Heston comprend dans la scène finale, en découvrant les restes de la statue de la Liberté, le destin à la fois de l’humanité et de sa domination de la Terre. Cette scène a en partie inspiré la série post-apocalyptique créée par Jack Kirby pour Marvel, Kamandi the Last Boy on Earth, dont la couverture représente le jeune héros blond pagayant sur un radeau au milieu d’un New York inondé, le regard déterminé, tandis que la statue émerge des f lots derrière lui. Dans Superman, il devient évident, lorsque le héros survole la statue, que Metropolis est New York. Dans Superman III, le justicier secourt une jeune fille menaçant de sauter du haut de la couronne de Lady Liberty ; il risque même sa vie dans le volet suivant pour sauver la statue de la folie destructive de Nuclear Man, en la portant à bout de bras. En 2000, les X-Men, portés pour la première fois à l’écran, affrontèrent Magneto et sa confrérie de Mutants à l’intérieur de la statue, leur ennemi ayant installé dans la torche un engin infernal qui menaçait l’humanité.

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Nous avons fait la connaissance de Lady Liber ty. Enfonçons-nous à présent dans la ville, à la découver te des histoires et des légendes qu’elle abrite... Superman Richad Donner (1978) - Christopher Reeves incarne Superman

La Statue en couverture Emblème de la ville, de nombreux comics prennent la Statue de la Liberté comme sujet. Nous vous en présentons ici une sélection.

The spectacular Spider-Man: rendezvous with death! Gerry Conway, Sal Buscema - Marvel Comics, Juillet 1988 Le Punisher fait un cameo, le temps d’un cas de conscience...


times square

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imes Square n’a pas toujours été le carrefour illuminé, tape-à-l’œil et sûr qu’il est aujourd’hui. À la fin des années 1890, il s’appelait Longacre Square et était l’un des quartiers les plus infects de Manhattan. Il fut rebaptisé Times Square en 1904 par le maire de la ville, George McClellan, lorsque le New York Times y déménagea ses bureaux. La présence d’un grand quotidien força le quartier à s’améliorer – une décision qui changea à jamais le destin de Longacre.

Le New York Times était déjà, à son arrivée sur les lieux, une institution et il œuvra à en devenir une plus importante encore au cours des décennies qui suivirent. Lancé en 1851, le journal s’intitulait à l’origine le New York Daily Times et était vendu un penny, six jours par semaine. Il devint le New York Times six ans plus tard et inaugura, peu de temps après, son édition du dimanche. Le journal, dont le slogan promettait « toute l’actualité qu’il convient d’imprimer », était depuis longtemps déjà un bastion du journalisme objectif et mesuré. Il avait conduit la machine politique connue sous le nom de Tammany Hall à la chute et même révélé des secrets d’État avec la publication des « Pentagon Papers », lors de la très controversée guerre du Vietnam des années 1960 et 1970. Trois ans après cette installation, le propriétaire du journal, Adolph Ochs, instaura une tradition du Nouvel An encore perpétuée à ce jour : à minuit, la Time2: The Epiphany First Comics, Inc (1986) Howard Chaykin

boule de cristal installée sur le toit de l’immeuble descend le long de son mât pour annoncer le début de la nouvelle année. Cette même année fut inaugurée la première ligne de métro de New York qui, passant par Times Square, rendit le quartier plus accessible aux autres habitants de la ville. À peu près à la même époque, les salles de cinémas commencent à se multiplier autour de cette zone résidentielle et commerciale, essentiellement sur Broadway, attirant les classes aisées de New York tout en embrassant l’essor de l’industrie cinématographique. Repaire du crime au XIXe siècle, Times Square était devenu le foyer du divertissement, le « Crossroads of the World » – le Carrefour du monde. Dans les années 1930, un jeune homme quitta son Brooklyn natal pour venir s’installer à Manhattan. Il s’appellait Gene Colan et avait pris l’habitude faire le pied de grue devant un cinéma qui programmait les films d’horreur des grands studios, tels les Dracula et Frankenstein d’Universal. « Il y avait un cinéma sur la 42e, qui faisait tourner en boucle la bande-son des films et la diffusait à plein tube dans la rue pour inciter les gens à entrer voir les images », se souvient-il. « J’avais l’habitude de rester planté là, à écouter le son pendant quelques temps ». Ironiquement, Gene devint par la suite un grand dessinateur de comics d’horreur, dont on put observer le style fantasmagorique dans la série Tomb of Dracula, éditée par Marvel dans les années 1970. Les divertissements coûteux devinrent difficiles à maintenir avec la Grande Dépression qui frappa le pays dans les années 1930, et plusieurs cinémas durent mettre la clé sous la porte. Au cours des décennies suivantes, Times Square vit dans un premier temps son nombre de salles augmenter, lesquelles devinrent progressivement des cinémas pour adultes, des peepshows – puis on assista au retour des activités criminelles du siècle précédent dans tous les domaines, de la drogue à la prostitution. À partir les années 1990 Times Square se porta mieux, avec des boutiques destinées à attirer les touristes et une vie théâtrale redynamisée. Les

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great white alley

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Si les chaînes de restauration sont légions autour du Carrefour du monde, la plus culte des cantines de Broadway reste Sardi’s, au 234 West 44th Street. Sur ses murs sont placardés les caricatures des acteurs de Broadway qui, jouant dans les théâtres alentours, poussaient la porte du légendaire établissement pour y prendre un verre ou un repas. Ouvert par un couple d’immigrants (Vincent et Eugenia Sardi) en 1927, l’endroit devint le repaire où les acteurs, inconnus ou plus illustres, venaient prendre leurs repas. Les Sardi proposaient même un menu à bas prix spécialement pour les comédiens, et Vincent était connu pour nourrir parfois ses clients à crédit. En 1927, Sardi embaucha un artiste russe, Alex Gard, pour dessiner des caricatures des acteurs de Broadway en échange de deux repas par jour. Richard Baratz, quatrième artiste à ce poste, dessine des caricatures pour Sardi’s depuis 1974. Il existe aussi un lien entre Sardi’s et les films de comics : c’est entre ses murs qu’il fut officiellement annoncé que Christopher Reeve incarnerait le rôle-titre du prochain Superman. Nous étions le 23 février 1977 et le jeune comédien avait passé ses essais trois semaines plus tôt. C’est également dans les années 1970 que le super-héros Luke Cage alias « le Héros à louer », de l’écurie Marvel, observait le Times Square des

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cinémas pour adultes ont pratiquement disparus du quartier où magasins et restaurants familiaux sont désormais bien implantés. Certains parlent de la « Disneyification » de Times Square, citant même l›ouverture d›un Disney Store, d’autres y voient une façon de pourvoir aux besoins des touristes venus visiter les lieux.

années maudites depuis les fenêtres de son bureau. Dans la série TV The Incredible Hulk de 1977, l’acteur Lou Ferrigno courrait dans les rues du quartier chaussé de pantoufles vertes pour éviter de se blesser sur les éclats de verre, aiguilles et autres détritus qui jonchaient potentiellement le sol. À la fin de Captain America: The First Avenger, on voit Steve Rogers se réveiller d’un somme de plusieurs décennies et se précipiter dans la rue, où il retrouve face au Times Square d’aujourd’hui. Le paradis des panneaux publicitaires high tech n’a plus rien à voir avec les rues qu’il avait arpentées dans sa jeunesse... Parmi les super-héros les plus habitués de Times Square, du moins dans leurs aventures cinématographiques, on retrouve Spider-man. Spidey y rencontre pour la première fois son ennemi le Bouffon Vert dans Spider-Man, sorti en 2002, avant d’y affronter Electro dans The Amazing Spider-Man 2, en 2013. Autre habitué de la Great White Way, le dessinateur Howard Chaykin, dont on put admirer le trait fluide non seulement dans The Shadow, édité par DC, mais également dans American Flagg!, série sur laquelle il parvint à conserver ses droits de propriété. C’est sa rencontre avec Gil Kane, célèbre co-créateur de Green Lantern dans les années 1950, qui amena le jeune Howard à faire carrière dans les comics. Comme Kane, Chaykin s’attachait avant tout à la qualité du dessin. Apparues dans l’industrie de la bande dessinée au cours des années 1970, ses illustrations incarnèrent rapidement le style dynamique et raffiné qui était le sien en repoussant les limites du genre, à la fois graphiquement et scénaristiquement. Et bien avant qu’il ne devienne une légende et un révolutionnaire de la bande dessinée américaine, Howard créait ses comics dans un atelier qu’il partageait avec une poignée d’autres futures légendes, non loin de Garment District...

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Quelqu’un a dit à jour qu’à New York, on est soit juif, soit irlandais, soit italien. Nous étions un type particulier de Juifs : nous vivions des allocations de l’État, dans un quartier essentiellement composé de Noirs, de PortoRicains et d’Italiens. Quand j’étais môme je traînais avec plein de gamins italiens et plein de gamins noirs, on courrait dans les rues comme des fous. Je n’étais pas très sportif, je préférais les livres – exactement ce à quoi on s’attendait de la part d’un juif ! Howard Chaykin, Dessinateur d’American Flagg.

The Black Widow Marvel Comics (1964) - Stan Lee, Don Rico, Don Heck The Amazing Spider-Man 2 : le Destin d’un Héros De Mark Webb - Columbia Pictures, 2014

Howard Chaykin à Times Square


upstart studio

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garment district

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? Upstart Studio bien sûr, qui s'implanta en plein cœur du Garment District à la fin des années 1970 – début des années 1980. Le Garment District, compris entre les 34e et 42e Rues et les 5e et 9e Avenues, incarne le cœur de la mode pour les États-Unis. C’est là que tout s’y passe, de la conception à la fabrication, et ce depuis le milieu du XIXe siècle. Alors qu’ils débutaient encore dans le métier, quatre artistes – Val Mayerik, Howard Chaykin, Walter Simonson et Jim Starlin – décidèrent un soir de 1978, alors qu’ils dînaient tous ensemble, de se regrouper pour fonder un studio. Cette génération était la première à se lancer dans les comics en tant que fan des bandes dessinées Marvel publiées dans les années 1960. Leur arrivée dans l’univers des super-héros mainstream apporta un degré d’expérimentation et une énergie sans précédent, qui poussèrent les justiciers, autrefois juvéniles, vers des horizons bien plus larges. En fait, les comics avaient fait grandir ces artistes qui, à leur tour, contribuèrent à faire évoluer le média. Frank Miller et Jim Sherman rejoignirent par la suite Upstart qui hébergea, à ses heures les plus animées, Walter Simonson, qui redonnait vie pour Marvel à Thor en insufflant de nombreux changements dans le monde du dieu du Tonnerre créé par Kirby ; Starlin, qui continuait à produire des pages toujours plus cosmiques avec sa série Dreadstar ; Chaykin et son American Flagg, n atelier uniquement composé de stars

Time2: The Epiphany First Comics, Inc (1986) Howard Chaykin

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The Uncanny X-Men Couvertures des N° 91 & 132 Marvel Comics, 1993/1994


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« 1985 a été une année extraordinaire pour moi. Je sautais dans le métro en sortant de l’école pour rejoindre Upstart Studios dans Garnment District, sur la 29e, » raconte Dean Haspiel de ces innocentes années. « Je débarquais dans cet atelier qui abritait les talents de Howard Chaykin, Walter Simonson, James Sherman et (avant que je n’y arrive) de Frank Miller, Jim Starlin et Alan Weiss. J’ai d’abord bossé dans une pièce au bout du couloir avec Bill Sienkiewicz, qui cherchait un assistant... J’ai aussi eu l’occasion de travailler sur le premier numéro de Elektra: Assassin ; je faisais les aplats de couleur, des choses comme ça. » « Je recherchais une certaine cohérence, je voulais fréquenter le plus de dessinateurs possible. J’avais un bon copain à l’époque, Larry O’Neil, qui travaillait pour Howard Chaykin, et celui-ci a décidé un jour qu’il avait besoin d’un second assistant. J’ai donc rapidement travaillé avec Howard sur American Flagg!, tout en faisant des trucs pour Walt Simonson sur Thor. C’était vraiment génial de bosser sur des trucs pareils à l’atelier, et sur mes propres comics une fois à la maison ! » Dean Haspiel, Dessinateur d’Opposable Thumbs.

très en avance sur leur temps dans la critique du média ; et enfin Miller, qui faisait de Daredevil un super-héros de roman noir en rendant le justicier rouge plus sombre et plus sérieux que jamais. Un lycéen du nom de Dean Haspiel débuta sa longue carrière dans les comics comme assistant pour un autre artiste de l’immeuble, Bill Sienkiewicz, mais s’installa rapidement quelques étages plus bas pour assister Walter Simonson et Howard Chaykin. Dean se lança par la suite sous son propre nom avec ses comics autobiographiques, comme Opposable Thumbs, des récits d’action semi-autobiographiques avec son héros Billy Dogma, tout en dessinant les histoires de Harvey Pekar pour American Splendor et d’Archie Comics pour le super-héros The Fox. Ayant pris sous son aile plusieurs artistes prometteurs, il perpétue aujourd’hui l’héritage transmis de Gil Kane à Chaykin, puis de Chaykin à lui-même. Pour beaucoup, Upstart fut le dernier grand atelier de bande dessinée, l’un de ces rares lieux où tant de génies se rassemblèrent pour créer des œuvres qui continuent, aujourd’hui encore, d’influencer les créateurs de comics.


angle de la 5e Avenue et de la 66e Rue

Le Hellfire Club, ou Club des Damnés en français, est apparu en 1980 dans les pages de Uncanny X-Men scénarisées par Chris Claremont et dessinées par John Byrne. Société secrète aristocratique dont certains membres (sinon tous, par moment) sont des mutants, elle piège pour la première fois les X-Men entre ses murs dans les années 1970, après que Sebastian Shaw a kidnappé Jean Grey pour manipuler son esprit et la faire entrer dans le Club sous le nom de Black Queen. De froids et terrifiants gardes du corps, le visage dissimulé sous un masque blanc, protègent le QG de cette élite mutante.

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Les X-Men n’ont pas toujours été les superstars d’aujourd’hui. Stan Lee et Jack Kirby avaient créé en 1963 une première équipe de cinq « Mutants », des créatures nées avec leurs super-pouvoirs. Marvel en stoppa la publication au début des années 1970, préférant réimprimer les anciens épisodes. Puis, à la demande de Roy Thomas, rédacteur en chef, le scénariste Len Wein et le dessinateur Dave Cockrum constituèrent une nouvelle équipe de X-Men, animée d’un nouvel objet de vengeance. Ces « All New, All Different X-Men », qui firent leur apparition dans le GiantSize X-Men n°1, comptaient désormais dans leurs rangs les super-héros Wolverine, Colossus, Banshee (le Hurleur), Cyclope, Storm (Tornade), Thunderbird (Épervier) et Nightcrawler (Diablo). Wein quitta la série après le premier numéro et un nouvel auteur, Chris Claremont, prit sa suite. The Uncanny X-Men Couvertures des N° 91 & 132

Ancien stagiaire de Marvel, Claremont se vit confier les rênes des X-Men et, avec Cockrum, améliora progressivement la série : on vit les héros affronter de nouveaux super-vilains et l’entité cosmique Force Phénix s’emparer de l’identité et de la forme de la super-héroïne Jean Grey. Cockrum cèda en 1977 sa place au Canadien John Byrne. Ce dernier imagina, avec Claremont, la « saga du Phénix noir », récit sur plusieurs numéros du retournement de Jean Grey, en proie à une puissance maléfique, contre les X-Men. Aussi populaires et géniaux qu’aient été les épisodes créés par le tandem Claremont/ Cockrum, Claremont et Byrne emmenèrent à la fois les X-Men et les comics de super-héros dans une nouvelle dimension. Et c’est au Hellfire Club que débutèrent les événements qui conduisirent à la saga du Phénix noir... Le film X-Men : First Class (en français X-Men : Le Commencement) ramena le Club des Damnés au premier plan, bien que Kevin Bacon (Shaw) et Januany Jones (la Reine blanche) n’aient pas réellement fréquenté leur cachette de Manhattan. Bien sûr, le Hellfire Club n’ayant pas réellement existé, son siège secret à l’angle de la 5e Avenue et de la 66e Rue est lui-aussi fictif. Mais s’il ne l’était pas, nul doute qu’on y plongerait dans un monde feutré de boiseries en cerisier, de passages secrets, de portes dérobées et de mystères sans pareil.

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hellfire club

Chris Claremont dans une allée enneigée de New York Angle de la 5e Avenue et de la 66e rue Ce bâtiment n’est - bien sûr - pas le vrai Hellfire Club, mais son look désuet et sa situation géographique en font une parfaite illustration...

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dc comics

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1700 broadway

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n nombre incalculable d ’histoires

a couru le long de ses couloirs et de ses bureaux. Première grande maison d’édition de bande dessinée, DC Comics, fondée par l’ancien major Malcolm Wheeler-Nicholson sous le nom de National Comics, fut la première à se lancer dans la course, en 1934. Comme beaucoup à l’époque, Wheeler-Nicholson peinait à équilibrer ses ventes de livres et choisit de s’associer avec son imprimeur. Ce furent Harry Donenfeld et son associé Jack Liebowitz qui créèrent, après le départ du major, Detective Comics, que nous connaissons aujourd’hui sous l’appellation DC Comics. L’arrivée de Superman, dans le premier numéro d’Action Comics, en juin 1938, changea à jamais le destin de la bande dessinée américaine. Créé par le scénariste Jerry Siegel et le dessinateur Joe Shuster, le justicier est largement considéré aujourd’hui comme le premier des super-héros ; sa popularité et son succès commercial instaurèrent un genre nouveau qui s’empara rapidement du secteur. Siegel et Shuster étaient deux amis de lycée que rapprochait leur amour mutuel pour la forme nouvelle qu’était alors la science-fiction, deux rêveurs s’échappant dans les mondes fantastiques issus de leurs propres imaginations – une façon, peut-être, de fuir les difficultés du monde réel auquel ils peinaient à s’accorder.

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leur création à se partager pour la première fois l’affiche d’un film : Superman Vs. Batman, réalisé par Zack Snyder, dont la sortie est prévue en 2016. Mais à l’époque, personne n’avait idée que ces héros en tenue moulante dessinés pour un public d’enfants deviendraient un jour les protagonistes de films à gros budget. DC était encore une petite entreprise mais aussi une pépinière de nouveaux talents, des créateurs de bande dessinée encore très jeunes mais aux rêves immenses – des rêves commencés sur le papier et devenus, pour les plus populaires des super-héros, de véritables institutions. Alors que l’industrie des comics s’effondrait dans les années 1950, victime des effets combinés d’un lectorat vieillissant, de la concurrence de la télévision et de la peur de la censure, DC Comics donna un nouveau souffle au super-héros en réintroduisant Flash dans les pages du Showcase n°4, paru en octobre 1956. Scénarisé par Robert Kanigher et dessiné par Carmine Infantino, cette nouvelle interprétation d’un ancien personnage contribua à raviver l’engouement pour les superhéros. Kanigher s’était fait la main chez Fox Comics dans les années 1940 et Infantino faisait partie, comme Gil Kane, de cette première génération de lecteurs de bandes dessinées. Kanigher, connu pour son caractère lunatique, maîtrisait l’art de créer un rythme narratif entre ses propres mots et les illustrations de son coéquipier. Doué en outre d’un sens de l’image affûté, il dessina, dit-on, la couverture du Showcase n°4 représentant un Flash en costume écarlate jaillissant d’une pellicule de cinéma – et de la couverture elle-même. À ses début, le trait d’Infantino, influencé par le travail de Milton Canniff sur Terry et les Pirates, était encore épais ; mais son dessin avait déjà fortement évolué vers un style plus dynamique au moment où il dessina cette première aventure du nouveau Flash. Celui-ci est à la ville le policier scientifique Barry Allen qui, frappé par un éclair extraordinaire et aspergé par les produits chimiques de son laboratoire, se réveille doté du pouvoir de supervitesse. Kanigher eut l’intelligence de raconter dans le premier numéro de Flash la découverte par Barry de ses pouvoirs, plaçant ainsi le lecteur au

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Alors qu’ils travaillaient sur Doctor Occult et Slam Bradley pour Nicholson, Jerry cherchait à faire décoller son idée d’un personnage baptisé Superman. Il l’imagina d’abord infligé d’un esprit diabolique, dans une BD pulp illustrée par Joe et intitulée Reign of the Superman. Il en fit ensuite un aventurier en tenue de ville doté d’une mèche blanche, également dessiné par Joe, mais le projet fut une nouvelle fois rejeté. Jerry imagina même des strips sur un scénario de science-fiction, avec l’aide de Russel Keaton, le dessinateur de Buck Rogers, qui ne menèrent nulle part. Le Superman qu’il finit par concevoir reprenait l’idée de Keaton d’un homme venu d’une autre planète, à laquelle s’ajoutèrent deux composantes essentielles : la double identité du personnage – d’un côté le surhomme, de l’autre Clark Kent le looser – et un éblouissant costume rouge et bleu. Envisagé pour une publication en strips, Superman fut retenu par National et finalement publié sous la forme d’un comic book dans le premier numéro d’Action Comics. La naissance du premier superhéros propulsa l’éditeur dans la stratosphère. Emboîtant le pas au justicier aux bottes rouges, Batman fit son apparition l’année suivante dans le numéro 27 de Detective Comics (mai 1939). C’est à l’artiste Bob Kane qu’avait été confié le défi de créer un nouveau super-héros. Engageant son ami scénariste Bill Finger, vendeur de chaussures à l’époque, Kane donna naissance à un personnage aussi mortel que Superman était fort. En cape noire et combinaison grise, ce nouveau héros masqué était le double sombre du lumineux Homme d’Acier. D’autres dessinateurs rejoignirent ensuite la série Batman aux côtés de Kane, comme Jerry Robinson et Sheldon Moldoff. Sous leurs pinceaux, et sous la plume de Finger, apparurent entre autres les personnages du majordome Alfred Pennyworth et du jeune Robin. L’univers de Batman était sombre, son atmosphère lourde, comme tout droit tirée d’un film de gangsters des années 1930. On n’est pas surpris de lui trouver des ennemis quasi grotesques, à l’instar du Joker, qui ne sont pas sans rappeler Chester Gould et ses strips de Dick Tracy. Jusqu’à ce jour, Batman et Superman ont occupé les premières places du panthéon des héros DC Comics. Endroit et envers d’une seule et même médaille, ils s’apprêtent quelque 75 ans après

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À l’époque, on avait suffisamment de place pour se permettre d’avoir une salle de pause ! Il y avait des chaises et des tables en plastique, et puis des distributeurs de sandwiches rassis, de soda et de mauvais café... On s’est assis là et on a papoté, ils voulaient savoir ce que je faisais. Je leur ai montré mon travail et mon book. Jack Adler, qui était responsable adjoint de la production, avait son bureau juste derrière nous. Kaluta a dit, « On va montrer ça à Jack. » J’avais regroupé mes dessins dans un book relié, et il l’a montré à Jack. Jack l’a parcouru et a dit « Laissez-moi montrer ça à Carmine. » Carmine était alors le grand patron, et Jack est allé le voir avec mes dessins. Carmine les a aimé, et a appelé trois de ses éditeurs : Archie Goodwin, Joe Orlando et Julie Schwartz. Il leur a demandé à tous de me donner du travail. À l’époque, on trouvait dans les comics des histoires bonus ; ces récits secondaires permettaient aux artistes de se faire la main sans que leurs ratages ne prêtent à conséquence ! Walter Simonson, Dessinateur de plein de trucs.

même niveau que le scientifique dans les cases panoramiques et ultra-dynamiques d’Infantino. Le super-héros était donc de retour, et à la renaissance de Flash succédèrent celles de Hawkman, The Atom et Green Lantern.


l’un des films Batman, un autre reproduisait l’entrée du Daily Planet, avec des mannequins représentant Clark Kent et Superman, un autre étage encore était exclusivement dédié au magazine MAD. Les murs de chaque étage, quel qu’il soit, étaient en outre ornés des illustrations encadrées réalisées aux cours des décennies d’existence des bandes dessinées DC.

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Infantino fut nommé dans les années 1970 directeur éditorial de DC. Réf léchissant du point de vue des créateurs, il eut l’idée brillante d’installer une salle de pause réservée aux artistes en freelance au sein des bureaux de la société, au 909 Third Avenue. Un coup de génie : les artistes, qu’ils soient débutants ou établis, pouvaient se rencontrer sans l’interférence des éditeurs et échanger idées, conseils et recommandations. Certains créateurs, comme le jeune Walter Simonson, prirent leurs premiers congés en sortant de cette fameuse salle de pause. DC Comics déménagea ses bureaux au 1700 Broadway dans les années 1990, juste en face du plateau du talk-show Late Night with David Letterman. Chacun des étages de la maison d’édition était décoré selon un thème : l’un d’eux était conçu pour ressembler aux toits de Gotham City, avec un mannequin revêtu du costume de

DC Comics connut une évolution majeure en 2009 en se rebaptisant DC Entertainment. Longtemps propriété des studios Warner Bross, l’ère DCE avait pour objectif de faciliter la transition de son immense catalogue de personnages vers les autres médias tels que les jeux vidéos, le cinéma, la télévision et l’animation. Après un faux-départ avec la sortie en 2011 du film Green Lantern, DCE a fourbi ses armes pour revenir avec la série à succès Arrow en 2012 puis le blockbuster Man of Steel en 2013. L’automne 2014 a vu l’entreprise affirmer son emprise sur le marché télévisuel avec plusieurs nouvelles séries – The Flash, la troisième saison de Arrow, iZombie et Constantine. D’autres sont en cours de développement, a-t-elle annoncé. Afin d’améliorer la synergie entre l’audiovisuel et les bandes dessinées, DC a déménagé en 2015 ses bureaux à Burbank, en Californie. Le début d’un nouveau chapitre pour DC Comics mais la fin d’une époque pour New York et les comics... Mais attardons-nous à présent sur la façon dont la ville de New York a contribué à porter sur grand écran la plus grande légende de DC, à quelques milliers de kilomètres pourtant des rues où elle fut créée.

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l ’ immeuble du daily planet

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Superman, Richard Donner, déterminé à faire de Superman le seul superélément d’un monde aussi proche que possible du nôtre, eut la bonne idée de tourner son film dans les rues de New York. Après tout, la ville où réside l’homme d’acier, Metropolis, ressemble beaucoup à la Grosse Pomme, avec ses rues débordantes d’activité et ses incroyables gratteciels. Grâce à ses décors réels, son casting de rêve et ses effets spéciaux, l’envoûtante incarnation de Superman par Christopher Reeve parvient à nous convaincre que oui, un homme peut voler. e réalisateur de

Diplômé de l’école de spectacle Julliard, acteur à Broadway, Reeve remporta l’audition pour le rôle de Superman malgré un défaut : il était trop mince. Entraîné par le comédien et culturiste David Prowse, connu pour avoir incarné Dark Vador dans Star Wars, Reeve se construisit en peu de temps une musculature impressionnante. Son interprétation apporta au super-héros une gaîté à la Peter Pan et un sex-appeal sans précédent. Face à lui, l’actrice et mannequin canadien Margot Kidder fit de Lois Lane une journaliste au tempérament fougueux, digne des comédies déjantées des années 1930. Hilarants dans les rôles de Lois et Clark, ils créent à l’écran une véritable tension électrique dans ceux de Lois et Superman.

The Amazing Spider-Man 2 : le Destin d’un Héros De Mark Webb - Columbia Pictures, 2014

Le Daily Planet, le grand quotidien où travaillent Clark Kent/Superman et Lois Lane, est en réalité l’emblématique immeuble du Daily News. La ressemblance ne s’arrête pas à la façade Art déco : le hall d’entrée et son immense globe, que l’on aperçoit dans le film, ne sont pas un décor de cinéma mais bel et bien l’entrée du véritable Daily News. Conçu par les célèbres architectes Raymond Hood, André Fouilhoux et John Mead Howells, construit entre 1929 et 1930, l’immeuble du Daily News comporte 37 étages. Le journal, qui cherchait un édifice pouvant abriter à la fois sa rédaction et ses bruyantes presses, choisit un quartier alors impopulaire pour se développer. Les fenêtres créent sur la façade une série de lignes verticales, dans une alternance de bandes blanches et brunes. Chaque fenêtre a été pensée et proportionnée de façon à pouvoir être ouverte par un seul individu. Un logo DAILY NEWS surmonte, au dessus de la porte d’entrée principale, une grande peinture murale. Difficile, en traversant ces portes tambours, de résister à l’envie d’y trébucher et d’y rester coincé, comme Clark Kent. Mais une fois à l’intérieur du bâtiment, on découvre un hall circulaire au milieu duquel trône un globe, tandis que sur les murs s’alignent des horloges indiquant les différents fuseaux horaires. Construite en aluminium et en verre noir, l’imposante sculpture deviendra plus emblématique encore après son apparition dans Superman. Fondé en 1919, le Daily News fut à l’époque le premier journal américain à inaugurer le format tabloïd, idéal pour la mise en page des photos d’actualité qui commençaient à être en vogue. Le quotidien devint ainsi célèbre pour ses visuels que pour ses articles. En 1995, le journal quitta l’immeuble, qui abrite depuis le siège principal de l’Associate Press ainsi que la chaîne TV WPIX-TV (connu également sous le nom de PIX 11). L’immeuble du Daily News a donc contribué à transformer New York en la fictive Metropolis. Pour notre prochaine étape, dirigeons-nous vers le seul éditeur à avoir systématiquement fait vivre ses super-héros dans la ville de New York.

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220 E 42nd street

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empire state building

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premier siège des éditions marvel, 350 5th avenue

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Comics, c’est New York : ses héros ont laissé tomber les villes fictives pour vivre dans la véritable Grosse Pomme. À l’origine, Martin Goodman et Louis Silberkleit créèrent Western Publishing dans le but de publier des magazines pulps – les ancêtres des comics, des publications imprimées sur un papier de mauvaise qualité et remplies de récits à sensation. Goodman prit la suite de Silberkleit à la tête de la société deux ans plus tard, et celle-ci passa par divers changements de nom avant qu’il n’opte, en 1939, pour Timely Comics et ne se lance dans l’industrie de la bande dessinée avec Motion Pictures Funnies Weekly. Tout ceci commença au 1270 Avenue of the Americas, dans l’ancien RKO Building, rattaché au Rockefeller Center. Ces premiers comic books étaient intégralement conçus par un studio du nom de Funnies, Inc., dont Goodman payait le propriétaire Lloyd Jacquet pour que ses créateurs produisent des histoires dessinées. L’un d’eux s’appelait Bill Everett : ce jeune artiste passionné créa le personnage de Namor le Prince des mers, créature mi-homme, mi-Atlante capable de respirer sous l’eau et de voler, ennemi de l’humanité à laquelle il reproche ses attaques fortuites sur sa ville natale, Atlantis. Et la fureur de Namor ne tarda pas à s’abattre sur la ville de New York elle-même... L’année 1939 fut décidément bonne pour Goodman, puisque Timely déménagea pour s’installer dans le McGraw-Hill Building, au 330 arvel

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West 42nd Rue, le 15 avril. Construit en 1931, l’immeuble était encore relativement neuf avec sa façade en carreaux de céramique bleu-vert typiquement Art déco. Le quartier dans lequel il était implanté deviendrait connu, quelques années plus tard, sous le nom de Hell’s Kitchen. Publié en 1940, Marvel Comics n°7 représente une étape cruciale de l’univers des comics : deux héros s’y affrontent. Alors que Namor déchaîne sa fureur contre New York et se venge de l’humanité en déraillant des trains et en saccageant la ville, la Torche Humaine se dresse contre lui. Androïde fabriqué dans le laboratoire du docteur Horton, ce dernier a la mauvaise habitude de s’enflammer au contact de l’air. Il finit néanmoins par apprendre à contrôler son pouvoir et rejoint l’humanité comme héros et protecteur. Dans la bataille entre la Torche et Namor, s’affrontent à la fois deux idéologies et deux éléments. Considérée comme la première rixe entre super-héros, cette scène deviendra un élément récurrent des comics au cours des vingt années suivantes.

Peu après sa nomination, Simon se vit incité à embaucher un garçon de bureau, Stanley Lieber, jeune clarinettiste de 18 ans aux aspirations littéraires, qui se trouvait être de la belle-famille de Martin Goodman. Quand Simon et Kirby quittèrent Timely pour la concurrence (National Comics, aujourd’hui connu sous le nom de DC), Stan se retrouva rédacteur en chef des collections de comics – une poste qu’il occupa pendant plusieurs décennies. Trois ans après que la f lèche qui surmonte l’Empire State Building fut arrachée par Namor et envoyée dégringoler dans la rue en contrebas,

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Timely déballait encore ses cartons au McGrawHill lorsque Goodman nomma l’auteur Joe Simon éditeur, afin qu’il l’aide à développer de nouveaux personnages. Jack Kirby fut nommé au poste de directeur artistique dans la foulée. Simon et Kirby créèrent ensemble Captain America, premier grand succès de Timely et premier super-héros à bénéficier, dès son apparition, d’une publication à son nom. La couverture du n°1 marqua les esprits en montrant le Captain décocher un coup de poing à Adolph Hitler. Contrairement aux autres héros patriotiques, qui se contentaient de combattre des mafieux et des espions venus de pays imaginaires, Captain America affrontait directement les forces de l’Axe – l’Allemagne, l’Italie et le Japon. Les deux auteurs reçurent bientôt des menaces de mort de la part de groupes et sympathisants nazis, mais continuèrent la série jusqu’au onzième numéro.


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Timely déménagea au quatorzième étage de ce symbole new-yorkais. L’Empire State Building, situé au coin de Broadway et de la Cinquième Avenue, fut construit en à peine plus d’un an : les travaux démarrèrent le 17 mars 1930, au rythme de quatre étages et demis par semaine, et les 102 niveaux du gratteciel furent achevés le 1er mai 1931. Le Président des États-Unis Herbert Hoover pressa depuis Washington DC un bouton spécial qui illumina le building, marquant son ouverture officielle. C’était à l’époque, avec ses 380 mètres, l’édifice le plus haut du monde. Typiquement Art déco, la flèche de l’Empire State Building fut en réalité conçue pour servir de mât d’amarrage aux dirigeables – dont on pensait alors qu’ils seraient le mode de transport du futur. La terrasse panoramique au sommet de l’édifice est non seulement l’une de ses caractéristiques, mais aussi une étape incontournable pour les touristes et visiteurs de la ville. Lorsque Spiderman fit sa première apparition, en 1962, Marvel s’était installé au 635 Madison Avenue, sur la portion de rue qu’occupaient également les puissants publicitaires de la ville. Ce fut là, dans un bureau étroit, que l’auteur et rédacteur Stan Lee travailla avec son équipe à la création des premiers héros Marvel – SpiderMan, The Fantastic Four, Iron Man, Thor, les Avengers. Il y a fort à parier que les « mad men » ne devinèrent jamais qu’au sein de leur marée de costume de flanelle sombre marchait l’un ou l’autre des créateurs des super-héros modernes. Leurs bureaux étaient devenus trop petits, Marvel déménagea dans les années 1970 un peu plus bas sur Madison, au numéro 575. La maison d’édition continua ses sauts de puce dans le quartier, s’installant au 387 Park Avenue South dans les années 1980 avant d’atterrir à son adresse actuelle, le 135 West 50th Street. L’Empire State Building, dont les illuminations changent au gré des saisons et des occasions spéciales, fêta la sortie du film The Amazing Spider-Man, en 2012, en se parant de lumières rouges et bleues.

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station

89 E 42nd street

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l’angle de la 42e et de Park Avenue se trouve Grand Central Terminal, aujourd’hui encore appelée par le nom de l’ancienne gare, Grand Central Station. C’est là que convergent toutes les lignes de train, permettant aux banlieusards de rejoindre New York grâce au Metro-North Railroad avant de s’éparpiller dans les cinq buroughs, ou arrondissements, via les lignes de métro. L’actuel Grand Central Terminal fut construit par phases successives au-dessus de la gare d’origine, Grand Central Station, entre 1903 et 1913. On y trouve quelques dizaines des restaurants (dont le célèbre Oyster Bar) et boutiques ainsi qu’une flopée de joyaux architecturaux. Le point d’orgue de Grand Central est son hall principal, véritable cœur du terminal, où sont regroupés les guichets ainsi que les tableaux des départs et arrivées. Vous y verrez également une pendule de cuivre à quatre faces, chacune composée d’un fond en opale. Une fresque grandiose représentant une nuit étoilée et des constellations recouvre le plafond du hall. Le plafond original fut remplacé en 1930, pas même vingt ans après sa construction, en raison de ses plâtres défectueux. Il s’avéra que la noirceur de la fresque, que l’on avait attribuée à la pollution et à la fumée du diesel accumulées au fil des ans, était due en réalité la fumée de cigarette. La restauration des peintures dévoila les constellations d’Orion, du Taureau, des Gémeaux, du Poisson et bien

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d’autres, volontairement dessinées à l’envers pour adopter la perspective d’un dieu qui regarderait vers le bas, vers les étoiles et la Terre en dessous de lui. Si vous entrez dans Grand Station Terminal par la 42e Rue, n’oubliez pas de lever la tête pour admirer un ensemble haut de 14,6 mètres représentant les dieux romains Mercure et Minerve ainsi que le demi-dieu Hercule. Mercure surmonte une horloge de quatre mètres de diamètre conçue par le joaillier Tiffany. Le trio évoque le voyage et la rapidité, la sagesse et la force. Baptisée « transportation », cette sculpture est l’œuvre du Français Jules-Felix Coutan, qui refusa de se rendre aux États-Unis pour la réaliser. Il lui fallut sept ans pour construire cet ensemble de 1 500 tonnes. Les deux aigles en fonte qui dominent la façade extérieure datent de la gare d’origine. D’une envergure de quatre mètres, ces oiseaux de plus de 1800 kilos « s’envolent » vers divers lieux de l’État de New York. À l’instar de ces dieux et rapaces, les héros les plus puissants de la Terre se donnent rendez-vous dans le film Avengers devant Grand Central pour combattre les forces extraterrestres ennemies que sont les Chitauris !

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grand central



metlife building

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Avengers, des studios Marvel, Steve Rogers (Captain America) s’assoit en face de Grand Central Station pour dessiner l’architecture classique de l’entrée de la gare, derrière laquelle pointe la très moderne Tour Stark. Ce choc du neuf et de l’ancien est en réalité le MetLife Building, à proximité immédiate de l’entrée de Grand Central sur Park Avenue. Ce g ratte-ciel emblématique, lors de sa constr uction pour la compagnie aér ienne PanAm, en 1963, s’imposa comme le plus grand immeuble de bureaux au monde en raison non ans le film

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de ses 59 étages mais de sa simple superficie. Il exista même, à un moment, un service spécial de transport en hélicoptère entre son héliport, au sommet du bâtiment, et les aéroports voisins. Massive et abondamment bétonnée, l’architecture du MetLife Building est un exemple typique du Brutalisme. Ce style, avec ses angles droits et ses formes octogonales, passa de mode peut après la construction de l’édifice. Avant que PanAm ne cesse son activité, l’entreprise revendit le bâtiment à la compagnie d’assurance MetLife pour 400 millions de dollars. Quand MetLife le vendit à son tour 24 ans plus tard, en 2005, son prix avait atteint la somme vertigineuse de 1,72 milliards de dollars. À l’apogée de sa gloire, PanAm était l’incarnation des voyages élégants. Ses avions étaient parmi les plus rapides et les plus modernes du monde, et ses équipages les mieux formés – on comprend donc assez bien que Tony Stark (Iron-Man), dans Avengers, rachète l’immeuble et y ajoute quelques installations futuristes de son cru... Rebaptisée Stark Tower par son nouveau propriétaire, la tour se trouve au cœur de l’action du film et du gigantesque combat qui défraie New York dans les dernières scènes. Et il se murmure qu’elle pourrait bien devenir dans le volet suivant, The Avengers : Age of Ultron, le QG de la bande... La première équipe de super-héros Marvel s’était pourtant, à l’origine, installée à deux pas de là.

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200 Park Avenue


le siège

Angle de la 42e rue et de Madison Avenue

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es Fantastic Four – les Quatre Fantastiques en

– étant la première équipe de superhéros sans identités secrètes, ils ne cherchèrent pas particulièrement à cacher leur base. À l’instar de Marvel, ils établirent un QG huppé dans la même rue que les agences de publicité branchées de Manhattan, leurs combinaisons bleues tranchant parmi la foule d’hommes d’affaires en costume gris. français

À sa sortie en 1961, Fantastic Four n°1 introduisit une escouade révolutionnaire de super-héros Marvel qui passerait bientôt devant les Avengers, Thor, Iron Man et Spider-Man. Cette bande dessinée étrange, écrite par Stan Lee et dessinée par Jack Kirby, regroupait, dans une équipe improbable et très familiale (chamailleries et brouilles internes comprises), un scientifique au corps étirable, un jeune homme inflammable, une demoiselle invisible et une brute à la peau rocailleuse. Les FF, comme ils furent par la suite surnommés, étaient composés de Reed Richards (Mr. Fantastic), Sue Storm (l’Invisible), Johnny Storm (la Torche humaine) et le tragique Ben Grimm (la Chose). Leur vie dans la métropole branchée de New York contribua à leur statut de rock stars. On retrouve ce thème de la célébrité en fil rouge de ce qui peut être considéré comme la meilleure collaboration de Lee et Kirby, longue de 102 numéros.

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Les FF installèrent à l’origine leur base dans le fictionnel Baxter Building, construit en 1949 par la Leland Baxter Paper Company, dont Reed Richards racheta les cinq derniers étages pour y installer les laboratoires, appartements et garage à fusée du groupe. Mr. Collins, le gérant de l’immeuble, se retrouva rapidement confronté au départ des locataires peu enclins à renouveler leurs baux, la présence des FF dans les murs incitant les super-vilains à attaquer le bâtiment. Dans l’un des premiers épisodes des Quatre Fantastiques, l’immeuble tout entier est même catapulté dans l’espace par le terrible Dr Victor von Doom ! Reed Richards finit par racheter le Baxter Building à Mr. Collins, prenant même soin des locataires restants, jusqu’à ce que l’édifice soit complètement détruit dans un autre affrontement. Construit sur ses ruines, le Four Freedom Plaza fut lui aussi rapidement anéanti. Il a récemment été remplacé par un nouveau Baxter Building. La bande se voit livrer son courrier par le facteur Willie Lumpkin, incarné dans les films Les Quatre Fantastiques et Les Quatre Fantastiques et le Surfer d’argent par le créateur des Quatre, Stan “The Man” Lee. Les FF, dans leur version initiale, incarnent l’un des plus parfaits comics de super-héros, exemple idéal d’une équipe de personnages de rêves conçue par une équipe de créateurs de rêve – grâce aux dialogues enlevés de Stan, l’inimitable coup de crayon de Kirby et l’habile encrage de Joe Sinnot, à l’œuvre sur la quasi-totalité des pages. Comme le montre son travail sur Les Quatre Fantastiques, Jack Kirby vivait et respirait à travers New York, depuis les foules pressées des badauds jusqu’aux canyons creusés par ses grattes-ciels. Il avait la ville dans le sang, aussi innée en lui que son incomparable talent. Traversons maintenant la ville jusqu’aux lieux où tout commença pour lui...

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des fantastic four


la maison d ’ enfance

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e bâtiment , un vieil immeuble du terrible

Lower East Side, fut la demeure d’un rêveur...

...avant qu’il ne devienne un roi. Jack « The King » Kirby est né sous le nom de Jacob Kurtzberg le 28 août 1917, sur Essex Street. Alors qu’il était encore très jeune, ses parents, immigrants autrichiens, déménagèrent avec leurs enfants dans cet immeuble, au 76 Suffolk Street, jusqu’à côté du Williamsburg Bridge reliant Brooklyn à Manhattan. Le Lower East Side, en raison notamment de sa surpopulation, était devenu un quartier dangereux. Le jeune Jakie Kurtzberg se battait dans la rue avec les gamins de son âge et dut compenser sa petite taille en se montrant plus coriace que les autres. Mais quand il ne se frottait pas à la froide et dure réalité de la Grande Dépression, ou qu’il ne vendait pas ses journaux à la criée pour contribuer aux ressources de la famille, Jackie se réfugiait dans la fiction – celle des comic strips, des pulp magazines et du cinéma. Il ne savait alors probablement pas – et ne pouvait peut-être pas même voir par-delà les murs encombrés de l’appartement familial – qu’il deviendrait le plus grand des artistes et changerait, grâce à ses bandes dessinées, le destin de la pop culture...

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Quand l’industrie du comic book atteignit son rythme de croisière, dans les années 1930, les éditeurs poussèrent tels des champignons. Tous ne faisaient pas preuve d’un grand sens de l’éthique (très peu, en réalité) et la majorité des dessinateurs, sortant tout juste du lycée, cherchait à saisir la chance de sa vie. Jakie Kurtzberg changea son nom en Jack Kirby et décrocha son premier job : dessiner des comics pour un éditeur véreux, un certain Victor Fox. Fox s’était autoproclamé « le roi des comics ». S’il avait su que, vingt-cinq ans plus tard, son dessinateur le plus modeste gagnerait authentiquement ce titre, il en aurait fait une attaque cardiaque ! (Fox mourut réellement d’une attaque cardiaque, quelques années avant que Stan Lee ne décerne à Jack ce titre chez Marvel.) Un jeune homme originaire de l’État de New York, répondant au nom de Joe Simon, travaillait lui-aussi pour Victor Fox. Grand et dégingandé, Joe dessinait également pour d’autres éditeurs sur son temps libre et proposa un jour à Jack de s’associer avec lui. Une équipe était née ! Simon et Kirby inventèrent pour les comics un langage cinématographique mêlant action et émotion, la pure violence expérimentée par Jack dans son enfance se révélant dans les coups de poings formidables de ses héros et ses personnages projetés en travers des cases. Élancés et athlétiques, souvent acrobates, les protagonistes de Simon et Kirby jaillissent de leurs pages et peuvent terrasser une pièce remplie d’ennemis sans la moindre goutte de sueur. Le tandem apporta un jour chez Timely Comics son nouveau justicier, Captain America. Envisagé semble-t-il d’abord par Joe, puis étoffé par Jack, le patriotique Captain America fut le premier super-héros anti-Hitler de la bande dessinée ; on le vit décochant effrontément un coup de poing au Führer sur la couverture de son premier numéro. Le Captain leur permit de se faire embaucher chez

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de jack kirby


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11 Timely, Joe comme responsable de publication, Jack comme directeur artistique. Simon et Kirby enchaînèrent les allées et venues pendant plusieurs années, inventant des genres, travaillant pour plusieurs maisons d’édition. Il se lancèrent même dans l’auto-édition. Après que le duo se fut séparé, Jack atterrit une nouvelle fois chez Marvel Comics, autrefois Timely, où il travailla avec son ancien assistant. Stan Lee avait évolué au poste d’éditeur en chef lors du départ de Simon et Kirby pour la concurrence, et l’énergie et le talent de Jack permit à ce duo inédit de créer toute une série de nouveaux super-héros pour la jeune collection de comics de Marvel. Les Quatre Fantastiques. Thor. Ant-Man. Nick Fury. Les X-Men.

dieux. Un ensemble dense, parfois incohérent, fait d’action et de violence pures, mais dont le dessin possède une incroyable puissance. En 1983 Kirby revisita Suffolk Street et le Lower East Side pour Street Code, dans lequel il raconte son enfance tumultueuse. Il choisit le crayon pour mieux refléter les conditions de ces années révolues... … celles pendant lesquelles, sans le savoir, il était un prince qui grandissait dans un minuscule château d’un quartier pauvre de Manhattan.

C’est un Jack frustré qui quitta Marvel quelques années plus tard pour rejoindre DC Comics, où il créa sa grand saga du Quatrième Monde, au sein de laquelle des récits entrecroisés racontent l’histoire d’une race intergalactique de nouveaux The Amazing Spider-Man 2 : le Destin d’un Héros De Mark Webb - Columbia Pictures, 2014


delancey street

yancy street

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yant grandi dans le L ower E ast S ide , il y a fort à parier que le jeune Jack Kirby ait fréquenté la grande artère bordée de boutiques et de delicatessen qu’est Delancey Street. Il y a peu de chance en revanche qu’il se soit contenté d’y faire des courses pour sa famille : Jack était en effet un membre du gang de Suffolk Street, une bande hétéroclite de gamins vivant dans les immeubles de Suffolk, en lutte permanente de territoire contre d’autres bandes hétéroclites de gamins habitant d’autres rues, d’autres immeubles. Le Lower East Side, au moment de la Grande Dépression, devint le centre de la culture juive, non seulement en terme de synagogues mais aussi d’autres institutions juives comme le Katz’s Delicatessen (ouvert en 1888 et toujours en activité à ce jour). Le quartier autour de Delancey était surpeuplé et ses habitants se débattaient entre leurs emplois sous-payés et leurs minuscules appartements.

Ben Grimm alias la Chose, dans Les Quatre Fantastiques, est le double évident de Kirby. Tout comme le dessinateur lorsqu’il était enfant, Grimm dut faire face à un gang rival nourrissant une vendetta à son encontre... Le gang de Yancy Street, dont les membres préservent leur anonymat en se dissimulant systématiquement le visage, a pris en effet pour habitude d’envoyer à Grimm des colis de ravitaillement piégés, générant pour le super-héros Time2: The Epiphany First Comics, Inc (1986) Howard Chaykin

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à la peau de pierre un flot permanent de frustration et, pour ses lecteurs, de grands fous rires. Quelques pas suffisent maintenant pour rejoindre un autre quartier commerçant empreint d’une toute autre culture, cette fois fermement tournée vers l’Orient.


chinatown

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laque tournante de la ville pour tout ce qui a trait à l ’A sie ,

Chinatown est un quartier qui s’est fortement accroché à son héritage et à son identité malgré l’évolution constante et l’embourgeoisement des autres secteurs de New York. Ici, un simple pas peut vous emmener dans un nouveau pays : il suffit de tourner le coin de la rue.

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Dans les années 1870, alors que les tensions politiques s’élevaient contre les Chinois dans l’Ouest des États-Unis, beaucoup affluèrent à New York pour y refaire leur vie. La plupart d’entre eux se retrouva dans un ghetto distinct, qui devint connu sous le nom de Chinatown. Malheureusement, les seuls emplois disponibles pour les immigrants étaient des emplois de service, dans la blanchisserie et la restauration notamment. En 1882, le gouvernement américain adopta le Chinese Exclusion Act, une loi interdisant à tout citoyen chinois de pénétrer aux États-Unis et empêchant ceux déjà établis dans le pays d’en obtenir la nationalité. De nombreux Chinois convergèrent vers Mott Street quand l’épicerie Wo Kee y ouvrit ses portes, puis déménagèrent dans les rues alentours. En établissant leurs propres commerces, dans lesquels leurs compatriotes étaient les bienvenus, les migrants chinois créèrent une communauté qui leur permit d’embrasser et de maintenir leur fierté patrimoniale, dans un pays qui refusait de leur Time2: The Epiphany First Comics, Inc (1986) Howard Chaykin

laisser une chance. Pour les touristes, Chinatown était l’opportunité de découvrir, au détour d’une avenue, une autre culture et un monde entièrement différent. Le secteur devint rapidement une attraction courante pour les New-Yorkais et les visiteurs de la Grosse Pomme. Dans la série télévisée The Incredible Hulk, David Banner, incarné par Bill Bixby, sympathise avec un maître en arts martiaux de Chinatown et, sous les traits de Hulk, y affronte des gangsters durant deux épisodes. Le dessinateur Paul Pope a installé l’intrigue de son 100 % dans un Chinatown futuriste qui n’est pas très éloigné du quartier tel qu’on le connaît actuellement ! En 2002, Marvel Comics a redonné vie au maître des arts martiaux Shang-Chi dans sa collection Ultimate : cherchant à fuir son père, cerveau du crime organisé, ce héros s’installe à Chinatown où ses compétences en kung-fu sont mises à rude épreuve... Flâner dans le quartier chinois s’avère, dans la réalité, une promenade bien plus pacifique. Vous y plongerez dans le tourbillon quotidien de ses rues, et découvrirez un nombre considérable de devantures vendant à peu près tout... et n’importe quoi.

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financial district Le Financial District abrite également le One World Trade Center, également connu sous l’appellation Freedom Tower. Haut de 1 776 pieds (en référence à l’année de signature de la Déclaration d’Indépendance), soit 540 mètres, l’édifice est, avec ses 104 étages, le monument le plus haut du monde. Et comme beaucoup de grandes choses, il est né d’une tragédie.

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District, le quartier où est installée Bourse qui affecte l’économie de tout le pays (et, par conséquent, du monde entier), est le cœur de l’économie américaine. Dans sa trilogie du Dark Knight, le réalisateur Christopher Nolan fit de Gotham une juxtaposition de villes états-uniennes comme Chicago ou Philadelphie. Pour son troisième et dernier volet, The Dark Knight Rises, Nolan s’est fortement appuyé sur la ville de New York. Les décors réels de l’attaque de la Bourse par le terroriste Bane donnent à la scène une gravité qu’aucune autre ville américaine n’aurait pu lui conférer. inancial la

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Plaque tournante du commerce aux États-Unis, la Bourse de New York se trouve au 11 Wall Street. Fondée en 1817, elle s’est, après diverses adresses, installée dans son bâtiment actuel en 1903. Six immenses colonnes corinthiennes flanquent des fenêtres hautes de 29 mètres, lesquelles laissent passer le jour jusqu’au centre bondé de ce temple du capitalisme où les échanges s’effectuent à tombereau ouvert. Le krach du Jeudi Noir, en 1929, fut l’une des causes de la Grande Dépression qui frappa l’Amérique. Cette période noire inspira le monde dans lequel naquirent les super-héros ; une grande partie de la pop culture contemporaine s’est développée en réponse à ce climat national troublé.

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Le 11 septembre 2001, quatre avions de ligne américains étaient détournés par des terroristes et deux d’entre eux dirigés sur chacune des deux tours du World Trade Center, causant l’effondrement de ces dernières et la mort de 2 977 innocents. La réaction du pays à ces attaques fut bouleversante : les États-Unis s’employèrent à se reconstruire. L’artiste Art Spiegelman a partagé son point de vue sur les événements dans son roman graphique In the Shadow of No Towers, publié en français sous le titre À l’Ombre des Tours mortes. Chez Marvel Comics, Captain America se porta bénévole sur le site du WTC (aussi appelé Ground Zero) ; d’autres héros réagirent à la tragédie dans les pages de leurs publications respectives. La bande-annonce du Spider-Man de Sam Raimi fut diffusée pour la première fois quelques mois à peine avant les attaques : on y voyait Spider-Man attraper l’hélicoptère à bord duquel s’enfuyait les braqueurs de banque dans une toile immense tendue entre les deux tours. La bande-annonce fut retirée suite aux événements du 11 septembre mais Raimi inclut dans le film plusieurs références à la tragédie, en ajoutant non seulement le plan d’un ouvrier à Ground Zero mais également en mettant en scène l’esprit de corps des New-Yorkais dans leur résistance au Bouffon vert. C’est dans le Financial District que l’Amérique se rebâtit après cette tragédie sans précédent. C’est un autre drame qui frappa par la suite le pays dans les pages des comics Marvel, et eut pour effet, comme la première fois, de voir émerger de leur reconstruction une ville et un pays plus forts.


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thurgood marshall united states federal courthouse

40 centre street

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e haut-lieu de la justice new-yorkaise marqua la mort d’un rêve le jour où Steve Rogers, alias Captain Ameria, fut abattu au bas de ses emblématiques marches. Steve avait mené la rébellion contre la loi de recensement des super-héros imposée par le gouvernement. Une série Marvel intitulée Civil War raconte en effet l’affrontement des super-héros entre eux, Iron Man conduisant les pro-recensement, convaincus du bien-fondé d’une collaboration avec les autorités, Captain America mobilisant les anti-recensement. La bataille prend fin lorsque ce dernier décide de se rendre à la police ; mais tandis qu’il monte les marches du tribunal pour assister à son procès, Steve s’écroule, assassiné... Cet événement ne marqua cependant pas la fin de l’histoire du capitaine (ni celle de Steve Rogers) : le troisième volet de Captain America, Captain America : Civil War, racontera bientôt sur grand écran sa remontée dans le temps et son retour à la vie.

Achevé en 1936, le Thurgood Marshall United States Federal Courthouse se trouve sur Foley Square, dans le sud de Manhattan, non loin de Chinatown et du City Hall. Haute de six étages, sa partie inférieure est ornée de colonnes corinthiennes ainsi que d’une frise minutieusement taillée. La tour carrée qui surplombe cette partie basse élève le tribunal à 37 étages de hauteur. C’est Time2: The Epiphany First Comics, Inc (1986) Howard Chaykin

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sur les marches menant à l’entrée principale que le corps de Steve Rogers tomba sous les balles de son meurtrier, créant l’image épique et saisissante du sacrifice du super-héros. L’édifice fut renommé Supreme Court Justice Thurgood Marshall en 2001. Premier juge AfroAméricain à siéger dans une Cour suprême américaine, Marshall avait auparavant été juge à la cour d’appel du second circuit dans ce même tribunal, de 1961 à 1965.


city hall

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À

v i ll e d ’ e xc e p t i o n , c e n t r e d e p o u vo i r d’exception.

Le New York’s City Hall se prête à la règle : il est même suffisamment exceptionnel pour que les super-héros s’y marient.

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Le parc du City Hall, dans la partie sud de Manhattan, n’est qu’à quelques rues du World Trade Center et du Financial District. Après un projet jugé trop ornementé et trop cher pour la ville, l’architecte français Joseph François Mangin et le constructeur new-yorkais John McComb Junior abandonnèrent l’extravagance et l’originalité pour la sobriété. Une décennie entière fut nécessaire à la construction du City Hall, finalement inauguré en 1811 et ouvert l’année suivante ; il n’a, depuis, cessé de rendre dignement hommage à la ville. Une grandeur certaine émane de l’édifice du Français quand on gravit les marches de l’entrée principale, flanquée de colonnes et d’ornements d’inspiration ionique et corinthienne. Face à l’entrée se trouve le salon de réception, la Governor’s Room, dont les cinq fenêtres en arc de cercle offrent une vue sur le parc et sur les rues alentours. La tour, coiffée d’un dôme et communément appelée coupole, est surmontée d’une statue de la Justice. Représentée une épée au côté et une balance à deux plateaux à la main, celle-ci accueille les visiteurs de l’un des monuments les plus vénérables de la ville. Entre ses murs se sont succédés des maires, des gouverneurs et même des Présidents américains : Time2: The Epiphany First Comics, Inc (1986) Howard Chaykin

Lincoln et Grant y reposent tous deux. Le lieu abrite également une impressionnante collection de 108 tableaux. Le super-héros le plus new-yorkais, probablement, d’entre tous, est on ne peut plus lié au City Hall. Sous son identité officielle de Peter Parker, SpiderMan y a épousé sa petite amie Mary Jane Watson en 1987. La scène est racontée dans The Amazing Spider-Man n°21, scénarisé par David Michelinie et dont la couverture fut réalisée par John Romita, emblématique dessinateur de la série. Le City Hall tient une fois de plus un rôle dans le destin de l’homme-araignée dans le film SpiderMan 2 (2004). Non seulement Spidey sauve-t-il non loin de là sa tante May des griffes du docteur Octopus, mais c’est aussi en ce lieu que Mary Jane (Kirsten Dunst) abandonne son fiancé au pied de l’autel et se précipite, en robe de mariée, contournant la fontaine située au milieu du parc, vers son véritable amour, Peter Parker (Tobey Maguire).

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260 broadway


l ’ appartement de peter parker

187 chrystie street

À moins de 500 mètres de ce petit meublé de cinéma se trouve un immeuble où vécurent réellement plusieurs auteurs légendaires, mais qui servit aussi de demeure fictive à l’un de nos surnaturels et emblématiques justiciers... Time2: The Epiphany First Comics, Inc (1986) Howard Chaykin

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Étant Spider-Man, il est essentiel pour Peter Parker de rester proche du cœur de Manhattan. Dans Spider-Man 2, le réalisateur Sam Raimi fait vivre le personnage de Tobey Maguire dans un studio délabré de cet immeuble du Lower East Side. Louant son appartement à l’étrange M. Ditkovitch (interprété par Elya Baskin et baptisé ainsi en hommage au co-créateur de Spidey, Steve Ditko), Peter rentre parfois par la fenêtre après une virée dans les airs ou pour échapper à des explications quant à ses retards de loyer. Bordé par Chinatown et East Village, le Lower East Side fut autrefois le quartier où grandit Jack Kirby, un quartier peuplé de familles immigrantes vivant entassées dans des immeubles piteux. 187 Chrystie est le lieu où se rassemblent les sans-abris du coin, et fut l’une des zones les plus douteuses de Manhattan, synonyme de prostitution, de délabrement et de vagabonds. Heureusement pour Peter Parker, le Lower East Side est aujourd’hui beaucoup plus sûr et abrite même plusieurs galeries d’art. D’ailleurs, il en existe une précisément au rez-de-chaussée de l’immeuble choisi par Sam Raimi pour y loger son Peter Parker.


le sanctum sanctorum du docteur strange

greenwich village, 177A bleeker street

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G

r e e n w i ch

V i ll ag e ,

lo ngt e m p s

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c o n s i d é r é c o m m e l e ba s t i o n

New York, fut le quartier des poètes, des écrivains et des comédiens, le centre de toute chose, depuis la Beat Generation jusqu’à l’hebdomadaire The Village Voice. Rien d’étonnant, donc, à ce que dans les années 1960 le mystique docteur Strange y ait établi sa résidence. En pénétrant dans la maison du docteur, les visiteurs sont immédiatement saisis par le vaste et somptueux aménagement que contredit la façade modeste et quelconque de l’édifice. À l’étage se situe le Sanctom Sanctorum du docteur, le Saint des Saints, dans lequel il médite, se détend et concentre ses énergies mystiques. Une fenêtre ronde bien particulière, ornée de quatre barreaux non parallèles, laisse entrer la lumière, que le héros soit en train de méditer, de psalmodier des incantations ou des sorts, ou de parcourir la bibliothèque du Saint des Saints à la recherche d’un volume magique – le Livre du Vishanti par exemple.

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bohème de

Imaginée par le scénariste Stan Lee et le dessinateur Steve Ditko, la maison du docteur Strange n’avait aucune adresse jusqu’à ce que Roy Thomas lui donnât la sienne, le 177A Bleeker Street. Thomas, qui avait succédé à Stan Lee au Time2: The Epiphany First Comics, Inc (1986) Howard Chaykin


poste d’éditeur en chef chez Marvel, vivait dans cet immeuble avec un autre auteur, Gary Friedrich et, à une certaine époque, avec le dessinateur et créateur de Namor, Bill Everett. Construit en 1900, l’actuel édifice du 177A Bleeker Street comporte 5 étages et 17 appartements – le premier d’entre eux ayant été occupé par ces trois créateurs de légende.

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Dans les années 1960, je prenais le métro pour descendre jusque Greenwich Village. J’adorais le jazz, alors je m’asseyais quelque part et j’écoutais. Je ne comprends pas comment j’avais atterri là, j’habitais beaucoup plus au nord ! Je prenais le métro, j’allais au restaurant avec des femmes, je portais des costumes avec des vestes croisées. Je me prenais pour Ronald Coleman, alors à un moment je tombais la veste ! Je me

Au j o u rd ’ h u i , l e Vi l l a ge e st d eve n u – c o m m e qu a s i m e n t tout Manhattan – trop cher pour beaucoup des écrivains, artistes, musiciens et autres bohèmes aux talents multiples de cette époque révolue. On y trouve toujours, en revanche, l’effervescence des boutiques, des restaurants, des nightclubs et des bars. Faites bien attention en arrivant au centre du Village : les intersections de ces rues étroites pourraient bien vous faire perdre votre sens de l’orientation... … et vous mener en des lieux inconnus.

rappelle cette époque où j’étais un homme à la mode, sophistiqué, non pas un homme de la société mais de la ville. J’aimais les bons restaurants, mais pas comme le Stork Club. À cette époque, on trouvait à New York des restaurants abordables, aux prix raisonnables. Aujourd’hui c’est l’arnaque totale, seuls y vont encore les riches, jeunes ou d’âge mûr. La ville d’aujourd’hui n’a rien à voir avec celle que j’ai connu enfant. Tout est

Mais pour l’heure, dirigeons-nous vers une zone beaucoup moins mystérieuse de Manhattan connue sous le nom de Midtown, après un bref arrêt à Soho pour nous rendre chez l’un des éditeurs de comics les plus visionnaires et les plus célèbres de tous les temps.

trop cher, maintenant pour un dollar on n’a absolument plus rien. Les acteurs ou des écrivains ne peuvent plus rien s’y permettre, à moins qu’ils ne soient des célébrités. À l’époque, je travaillais mais je m’amusais aussi. Reconnaissant : c’est le mot qui me vient à l’esprit. J’ai 90 ans, et je vois bien comment marchent la plupart des gens de mon âge. Croyez-moi, j’ai de la chance, ne serait-ce que d’être là assis à parler avec vous comme ça.

18 Irwin Hasen Dessinateur de légende, Dondi, Wildcat.

The Amazing Spider-Man 2 : le Destin d’un Héros De Mark Webb - Columbia Pictures, 2014

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ec comics

225 lafayette street

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illiam G aines n ’ avait que vingt - cinq ans quand il hérita de son père Maxwell les éditions de bandes dessinées Educational Comics, en 1947. EC publiait alors des comics relativement peu captivants, tel Picture Stories from the Bible, et William donna à l’entreprise une direction nouvelle – et révolutionnaire. Ayant embauché le dessinateur Al Feldstein comme éditeur, Gaines lança avec ce dernier, dès 1950, une nouvelle collection de comics d’horreur dont Crypt of Terror et Vault of Horror furent les premiers titres. Tous deux étaient de grands fans des émissions radiophoniques d’horreur et des histoires narrées par leurs animateurs, des présentateurs à l’humour noir dotés d’un penchant certain pour les calembours macabres. Dans leurs bandes dessinées, inspirées par ces émissions, apparut bientôt un trio horrifique – le gardien de la crypte, le gardien du caveau et la vieille sorcière (qui eut rapidement sa propre série, Haunt of Fear) ; chaque personnage avait un dessinateur attitré et apparaissait occasionnellement dans les titres des deux autres. Aux comics d’horreur s’ajoutèrent chez EC les collections policières Crime Suspenstories et Shock Suspenstories, ainsi qu’une collection de science-fiction dans laquelle furent notamment publiées Weird Science et Weird Fantasy.

Les récits étaient bien souvent conventionnels et prévisibles, le lettrage indigestement tapé à la Time2: The Epiphany First Comics, Inc (1986) Howard Chaykin

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machine, mais grâce à leur armée de dessinateurs extrêmement talentueux les bandes dessinées EC Comics furent parmi les meilleures jamais publiées. La fausse simplicité de la gestuelle des personnages de Harvey Kurtzman (combinée à ses scripts géniaux d’aventure et de guerre) apporta une sophistication mature à ce qui était encore considéré comme un média pour les enfants. Le

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style expressif et démesuré de Jack Davis s’avéra fonctionner même sur des histoires d’horreur ; les plantureuses héroïnes et les engins complexes de Wallace Wood furent un des atouts majeurs de la collection SF, tout comme l’impeccable rendu des mondes extraterrestres et machineries futuristes d’Al Williamson. Le seul dessin de Johnny Craig suffisait à faire valoir la puissance de son talent, tandis que les travaux de Bernie Krigstein furent parmi les premiers à combiner peinture et narration dessinée.

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Harvey Kurtzman fut l’un des génies de la maison EC. Diplômé de la High School of Music and Art de New York, Harvey était le roi de la maladresse, très tôt connu pour ses énormes gaucheries. Mais en matière de dessin, la qualité de son geste lui permettait de transmettre de la puissance et une grande variété d’émotion en un minimum de traits. Ses travaux sur la guerre étaient le plus souvent par essence anti-guerres et racontaient les horreurs des champs de bataille davantage que la gloire des combats. Après s’être épuisé dans ce type d’ouvrage exigeant une documentation intensive, il changea de registre en commençant une nouvelle bande dessinée humoristique, Mad,

qui à l’origine parodiait les récits des autres comics, à commencer par ceux d’EC. En dépit de cette équipe de haut vol, les éditions EC Comics devinrent la cible de mire d’un mouvement de censure des années 1950, conduit par un sénateur du nom de Estes Kefauver et un psychiatre, Frederick Wertham. La peur que les comic books ne fassent de la jeunesse américaine une bande de délinquants juvéniles entraîna une enquête sénatoriale télévisée puis la création d’un code de censure qui tua, purement et simplement, les collections de EC. Le Comics Code prohibait en effet l’horreur dans la bande dessinée, rendant quasiment impossible pour cette maison d’édition de continuer à faire ce qu’elle faisait de mieux. Une brève collection d’ouvrages approuvés par le Code vit le jour, avec des titres comme Piracy, Valor ou Psychoanalysis, mais échoua à toucher le public. Gaines parvint à se maintenir à flot grâce à Mad, dont il fit un magazine. Échappant de fait à la censure du Comics Code, Mad, imprimé à bas prix en noir et blanc, put ainsi continuer à pervertir quelques décennies encore la jeunesse du pays !

The Amazing Spider-Man 2 : le Destin d’un Héros De Mark Webb - Columbia Pictures, 2014


hell ’ s kitchen

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ell’s Kitchen n’est pas seulement le quartier

où réside le personnage Daredevil des comics Marvel : c’est aussi là qu’habite, dans la vraie vie, le plus grand des architectes vivants de la série, Frank Miller. Quand la Prohibition bannit les ventes d’alcool dans les années 1920, Hell’s Kitchen devint le repaire des contrebandiers et bootleggers en raison de ses entrepôts et de sa proximité avec les quais. Plantés dans les fissures de ses trottoirs, les germes du crime organisé se développèrent, véritables mauvaises herbes qui empoisonnèrent la tranquillité des rues avoisinantes. Hell’s Kitchen (littéralement la « cuisine de l’enfer ») la biennommée était le dernier lieu où aurait voulu se retrouver n’importe quel citoyen convenable et honnête. Frank Miller était encore pratiquement enfant lorsqu’il arriva à New York. Pris par le génie des comics Neal Adams sous son aile, Miller progressa dans le milieu et, à force de persévérance et de travail, se vit finalement confier les rênes du comic Daredevil. C’était un héros mineur, repris par un créateur mineur, mais qui par son travail changea cette donne à jamais. Auteur charnière de la série, Miller créa la version comics ultime de Hell’s Kitchen, introduisant des crimes de bas étage en parallèle des machinations de haut vol de l’ennemi juré de Daredevil, le terrible Kingpin, dont les affaires fleurissent dans

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les rues infestées par le crime du quartier irlandoaméricain. Sous les pinceaux de Miller, Hell’s Kitchen devient un véritable enfer sur Terre – agresseurs en embuscade dans les ruelles, fumées s’échappant en volute des cheminées industrielles – arpenté par un homme en costume de démon rouge, qui administre la justice à la force de ses poignets gantés. Chez Miller, l’atmosphère de New York est aussi palpable que ses bâtiments et ruelles. La ville respire – on retrouve ici l’influence notamment du créateur du Spirit, Will Eisner, qui fut l’un des mentors de Miller et qui faisait lui-aussi de la ville un personnage à part entière de ses bandes dessinées. Lorsque Miller arrêta Daredevil, en 1983, Hell’s Kitchen était en voie de gentrification. La zone est aujourd’hui connue sous le nom de Clinton et abrite les résidences de quelques uns des citoyens les plus riches de la ville : jamais le quartier n’a été plus propre et plus sûr. Mais Miller est resté dans ces rues qu’il a dépeintes et a conservé son atelier, en contre-haut des toits et des châteaux d’eau. Après Daredevil, il a repris sa plume et ses pinceaux pour Batman et créé sa propre version de Gotham, en y injectant un peu de Hell’s Kitchen et une forme d’écriture typiquement policière. Sa série à succès Sin City se déroule comme vous le savez dans une ville qui n’est pas sans évoquer New York. L’artiste s’est aussi tourné vers d’autres médias puisqu’il a réalisé trois films inspirés de comics (les deux Sin City, co-réalisés avec Robert Rodriguez, et The Spirit) ainsi que quelques publicités pour Gucci. La ville est néanmoins toujours présente dans le travail de Frank, et elle ressemble presque toujours à New York... … et, toujours, on perçoit Hell’s Kitchen suintant des ciments et des fissures de ses chaussées. Bien qu’il soit désor mais beaucoup plus recommandable, Marvel a malgré tout implanté sa série Daredevil sur les toits et dans les ruelles du quartier. Incarné par Charlie Cox, ce Matt Murdock télévisé aura donc autant de pain sur la planche que son homologue dessiné. Le grand Will Eisner, qui fut l’un des mentors de Miller, perfectionnait quant à lui son art à moins de deux kilomètres du lieu où demeure actuellement l’auteur...

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du côté de chez daredevil


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l ’ atelier de will eisner

tudor city

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Tudor City n’était pas, dans les années 1920, le quartier le plus fréquentable de la ville, c’est là que furent pourtant conçus une vingtaine d’années plus tard quelques uns des meilleurs comics de l’histoire. Éclairé par un immense néon rouge sur l’immeuble du 5, Tudor City, ce complexe résidentiel naquit de l’imagination du promoteur Fred F. French. Le centre de Manhattan se développait alors à grand pas et French eut l’idée géniale de construire des appartements pour permettre à leurs occupants de se rendre à pied sur leur lieu de travail. Seul inconvénient, le terrain était situé juste à côté des abattoirs... et l’odeur était affreuse. Mais French persista et, vingt ans plus tard, le premier gratte-ciel résidentiel ainsi que quelques résidences-hôtels virent le jour. Une grande campagne publicitaire mit en avant la proximité de Broadway et le luxe des logements, auquel le style Tudor conférait une petite touche de classe et de panache supplémentaire. i

destinée aux journaux, The Spirit. Celle-ci n’était pas tant le récit des aventures musclées de son héros – un justicier en costume bleu et borsalino, un sourire souvent suffisant au coin des lèvres, masquant son élégant visage d’un loup assorti – qu’une expérimentation sur huit pages, chaque semaine, de nouvelles façons de scénariser une bande dessinée et de brosser des personnages. Chaque épisode s’ouvre sur une page de garde dynamique, sur laquelle le logo Spirit devient un élément de décor, un nom sur un journal voire une flaque formée par des gouttes de pluie ruisselant au bas d’un trottoir. Véritable chef d’œuvre urbain fréquemment balayé par des pluies diluviennes, la série capture la ville de façon aussi cinématographique qu’un film. Difficile d’imaginer que ce New York tentaculaire soit sorti d’un appartement si petit que les assistants dessinateurs d’Eisner se heurtaient les coudes en travaillant sur la table de la cuisine ! Ce dernier racontera plus tard en plaisantant que l’atelier avait abrité, les soirs et week-ends, toutes les frasques des jeunes artistes célibataires...

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Deux équipes de créateurs extraordinaires s’y établirent. Simon et Kirby avaient installé leur atelier dans un petit deux-pièces, probablement loué à bas prix, au début des années 1940. Un dessinateur qui leur rendait visite déclara que l’immeuble hurlait l’Art déco. S’y posa également Will Eisner, qui venait d’abandonner les comics créés pour d’autres éditeurs pour se consacrer à sa propre série


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flatiron building

175 fifth avenue

pour lequel il travaille comme photographe indépendant.

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onçu comme une gigantesque colonne grecque,

le Flatiron Building, dont la façade anguleuse fend les vents de la ville, est l’un des monuments les plus emblématiques et les plus reconnaissables de New York. Dans la trilogie Spider-Man de Sam Raimi, on identifie clairement l’édifice lorsque l’hommearaignée se lance à la poursuite du Bouffon Vert ou du Docteur Octopus, ou qu’il en emprunte l’ascenseur pour entrer, sous l’identité de Peter Parker, dans les bureaux du Daily Bugles

Time2: The Epiphany First Comics, Inc (1986) Howard Chaykin

Le Flatiron illustre l’intelligence d’un architecte, Daniel Burnham, tenu d’imaginer un immeuble dans un espace contraint, en l’occurrence la zone en angle située à l’intersection de la Cinquième Avenue et de Broadway, entre les 22e et 23e Rues. Avec les 22 étages de sa structure d’acier, le gratte-ciel est loin d’être le plus grand de la ville – et ne le fut pas même lors de sa construction, en 1902. De l’autre côté de la rue, dans le Madison Square Park, vous trouverez le Shake Shack, un petit restaurant qui sert des hamburgers frais et des milk shakes maison. Si vous voulez les essayer à l’occasion de votre passage dans le quartier, attendez-vous à faire la queue quelque temps si la journée est belle ! Le dessinateur Bob Kane prit des cours au Commercial Art Studio, installé à l’époque dans le Flatiron. Une simple étape, avant qu’il ne gravisse les échelons de DC Comics jusqu’à co-créer Batman avec le scénariste Bill Finger. À l’issu de sa construction, les New-Yorkais étaient quelque peu sceptiques : le Flatiron pourrait-il supporter les vents de travers qui balaient l’intersection ? Ils n’avaient aucune idée que, des années plus tard, le bâtiment résisterait même aux bombes citrouilles volantes du Bouffon Vert !

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dewitt clinton highschool

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our rentrer à la DeWitt Clinton High School, il fallait être dans les meilleurs. Heureusement pour les comics, la plupart des créateurs pionniers – parmi lesquels beaucoup étaient juifs – furent des produits du célèbre lycée, situé sur la East 205th Street.

Improbables camarades de classe, Will Eisner et Bob Kane firent tous deux leurs études à DeWitt et eurent, chacun à leur manière, un impact considérable sur la bande dessinée. Le brillant Eisner non seulement révolutionna la façon dont les comics étaient réalisés en inventant la chaîne de production dans l’atelier qu’il lança avec son partenaire Jerry Iger, mais il apporta également une technique cinématographique au genre au travers de sa série The Spirit, avant d’inaugurer le roman graphique avec Un pacte avec Dieu, en 1978. Bob Kane, alors connu sous son nom de baptême, Robert Kahn, était un ami de lycée d’Eisner. Ensemble, ils emmenaient leurs petites amies dîner et allaient toquer à la porte des éditeurs. Ce fut grâce à Bob que Will approcha Wow ! What a magazine, où il rencontra son futur partenaire, Jerry Iger. La suite appartient à l’histoire : Will finit par s’associer avec Iger avant de se lancer, seul, dans la création de la série The Spirit. Kane, de son côté, eut pour partenaire le scénariste Bill Finger. À peine plus âgé que lui, Finger était Time2: The Epiphany First Comics, Inc (1986) Howard Chaykin

encore vendeur de chaussures à temps partiel quand les deux garçons décidèrent de travailler ensemble pour DC Comics. Bob avait alors un style quelque peu « clownesque » et dessinait des bandes dessinées animalières comme Peter Pupp. Bob et Bill s’associèrent pour créer un super-héros ultra-populaire, en vue de suivre le succès d’un nouveau personnage, un certain... Superman. En premier lieu, Bob Kane imagina un super-héros en costume rouge du nom de Bird-Man. Ce fut Bill qui suggéra d’opter plutôt pour le nom Bat-Man et qui eut l’idée d’une cape en forme d’aile de chauvesouris et d’une cagoule aux oreilles pointues. Bien que ce fut Bill encore qui non seulement écrivit le premier épisode, mais également développa nombre des traits caractéristiques du héros connu dans le monde entier sous le nom de Batman, Bob Kane s’attribua, pendant des décennies, tout le mérite de cette création. Toutes critiques à son encontre mises à part, Kane reste néanmoins celui qui guida Eisner vers les opportunités inattendues qui jaillirent du labeur et de la maestria de ce génie de la bande dessinée. Quant à Batman, il était sur le point de rencontrer un autre créateur, un gamin du nom de Jerry Robinson s’apprêtant à rentrer à l’université Columbia, qui allait apporter un nouvelle dose de créativité au justicier masqué.

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100 west mosholu pkwy Street

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l ’ université

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angle de la 116e rue et de broadway

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L

’université Columbia a joué un rôle crucial dans la bande dessinée américaine, à la fois dans la culture populaire et dans la réalité. En tant qu’université, Columbia est plus que cela encore : fondée en 1754, elle a été l’une des rares facultés créées avant la guerre d’indépendance des États-Unis contre la Grande-Bretagne. Elle est située dans le Upper West Side de Manhattan, dans le quartier de Morningside Heights, juste en dessous de Harlem. De son campus boisé et ensoleillé sont sortis trois présidents américains - Teddy Roosevelt, Franklin D. Roosevelt et Barack Obama. Les écrivains Allen Ginsberg et Jack Kerouac inaugurèrent la Beat Generation à leur sortie de l’université ; J.D. Salinger et Langston Hughes, figure emblématique du mouvement de la Renaissance de Harlem, fréquentèrent eux aussi ce lieu sacré. En 1940, Jerry Robinson s’inscrivit au cursus de journalisme de Columbia avant d’abandonner ce projet de carrière pour dessiner les aventures de Batman avec Bob Kane. Peut-être aurait-il, en tant que journaliste, étalé au grand jour un nombre formidable d’histoires, mais il y peu de chance qu’il eût ainsi impacté le monde autant qu’il le fit en créant les visages du Joker et de Robin, et en luttant infatigablement en faveur des droits des créateurs.

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Après avoir créé des bandes dessinées tout au long des années 1950, Jerry se lança dans la syndication et la création de strips pour les quotidiens américains. Il devint président de la National Cartoonists Society à la fin des années 1960 et s’engagea, au cours de la décennie suivante, en faveur des droits des auteurs de bande dessinée, en aidant notamment Jerry Siegel et Joe Shuster à voir leurs noms à nouveau crédités en tant que créateurs de Superman. Son action, avec l’aide du dessinateur Neal Adams, permit de mieux faire reconnaître les droits des créateurs de comics. Avançons dans le temps, jusqu’en 2002 : Columbia joue un rôle essentiel dans la trilogie Spider-Man de Sam Raimi. C’est non seulement dans ses murs que Peter Parker subit la fatidique piqûre d’araignée, mais c’est également là qu’il étudie les sciences. Étudiant en droit avec son ami et associé Foggy Nelson, Daredevil – sous son identité de Matt Murdock – y croise malencontreusement, un jour qu’il redescend les escaliers de la bibliothèque, Elektra Natchios, qui deviendra à la fois l’amour de sa vie et l’une de ses plus grandes ennemies. En haut de ces marches, dans le monde réel, les comics sont préservés à l’université grâce au travail de Karen Green, en charge du rayon des romans graphiques, qui a développé les collections de la bibliothèque et y a inclus notamment les travaux de génies du comics comme Robinson, Chris Claremont – le scénariste des X-Men – et Al Jaffee, génial dessinateur de Mad Magazine. C’est par ailleurs à David Hajdu, professeur à Columbia, que l’on doit le récit ultime du mouvement de censure contre les comics des années 1950 : son livre The Ten-Cent Plague brosse le tableau de EC Comics et de la censure qui faillit tuer l’industrie de la bande dessinée, au milieu du siècle précédent.

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columbia

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Bill [Finger] est devenu mon ami et mon mentor en matière de culture. J’étais vraiment très jeune, 17 ans, je sortais du lycée et je me retrouvais à New York pour la première fois. Je ne connaissais rien d’autre que le trajet entre le Bronx et Columbia ! C’est lui qui m’a emmené, pour la première fois, au Met, au MoMA, au cinéma voir des films étrangers, au Village. C’était génial ! J’étais une éponge, j’absorbais tout. Jerry Robinson Artiste de légende, dessinateur de Batman.

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morningside heights

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le manoir de wesley dodd/qg de la jsa

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l n ’ y a pas que la C olumbia U niversity à Morningside Heights : le quartier est surnommé « Academic Acropolis » en raison des très nombreuses universités et écoles qui s’y sont implantées, parmi lesquelles le Goddard Institute for Space Studies de la NASA, le Barnard College (université d’arts libéraux) et le conservatoire de musique de Manhattan. Morningside Heights était à l’origine un quartier huppé, dont les immeubles furent parmi les premiers de la ville à se voir équipés d’ascenseurs.

Vêtu d’un imperméable, d’un borsalino et d’un masque à gaz, armé d’un pistolet à gaz, Sandman fut l’un des premiers héros de DC Comics. Créées par le scénariste Gardner Fox et le dessinateur Bert Christman en 1939, ses aventures offraient un trait noir et rudimentaire, parfois grotesque, et une atmosphère menaçante. Le jour, comme beaucoup de ses contemporains, Sandman était un riche playboy répondant au nom de Wesley Dodds. Sandman fit partie de la première équipe de superhéros, la Justice Society of America, apparue dans All-Star Comics n°3 daté d’octobre 1940. Il y combattit le crime aux côtés de Hawkman, Mister Terrific, Wildcat, Green Lantern, Flash, Wonder Woman, Dr. Fate, le Spectre, The Atom, Hourman et Johnny Thunder. Chaque numéro de All-Star Comics était réalisé par une équipe différente de créateurs, et les héros quittaient parfois le groupe pour s’attaquer à une affaire seul ou avec un autre Time2: The Epiphany First Comics, Inc (1986) Howard Chaykin

membre de l’équipe. La JSA servit de modèle à la Justice League of America, créée par DC Comics dans les années 1960. Quand il raconta les aventures de Dodds pendant la Grande Dépression dans le comic Sandman Mystery Theater, Matt Wagner imagina un New York de film noir, et fit s’éloigner Dodds de son manoir de Morningside Heights. DC utilisa par la suite l’édifice comme quartier général des superhéros de la Justice League of America, après la mort de Dodds. Quoiqu’il en soit, les premiers pas de Sandman comme justicier furent doubles : on put les lire dans un Adventure Comics de 1939, mais aussi dans un comic spécial qui tomba entre les mains de beaucoup d’enfants une semaine ou deux avant l’apparition officielle du héros. Ce comic spécial, paru lui aussi en 1939, s’appelait New York World’s Fair Comic et c’est sur le site de cette formidable exposition que nous nous rendons à présent !

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l’exposition universelle de new york

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Par deux fois, ce qui n’était autrefois qu’une décharge poussiéreuse est devenu le lieu où fut exposé aux yeux de tous un futur rêvé. Quand il fut jugé idéal pour accueillir la foire internationale de 1939, autrement dit l’exposition du siècle, le site de Flushing Meadows n’était encore qu’un amas de déchets, de fumier, de cendres et de carcasses d’animaux : les gens se dirent probablement que la municipalité était folle. Pourtant, quelque 160 millions de dollars plus tard, l’urbaniste Robert Moses avait construit et aménagé ce terrain vague marécageux, désormais prêt à recevoir le « monde de demain ». Pourquoi le spectacle d’une utopie futuriste étaitelle si importante pour l’Amérique ? La Grande Time2: The Epiphany First Comics, Inc (1986) Howard Chaykin

Dépression n’avait pas été qu’économique, et le moral du pays, en proie au chômage et à l’adversité durant toute la décennie 1930, avait grandement besoin d’être redynamisé. Le clou de l’exposition s’intitulait Trylon et Périsphère, respectivement une obélisque de 186 mètres et un globe de 55 mètres de diamètre abritant le « Democracity », diorama géant représentant le monde de demain – un monde dont les habitants vivaient à la campagne et se rendaient en ville pour travailler. D’autres installations furent constr uites et payées par des entreprises privées, avides d’exposer leurs nouvelles technologies telles que les appels téléphoniques longue distance ou les outils de vidéosurveillance. Environ soixante gouvernements participèrent à l’exposition, au nom de la nécessaire paix mondiale – une paix qui, malheureusement, semblait de plus en plus chimérique, le monde étant sur le point de basculer dans la Seconde Guerre mondiale. Mais l’exposition universelle fut aussi, pour les maisons d’édition de bande dessinée, l’occasion de se faire connaître. DC Comics tint une « Journée Superman » le 3 juillet 1940, au cours de laquelle un acteur du nom de Ray Middleton incarna l’homme d’acier dans un costume rouge et bleu déjà fort populaire, le personnage n’ayant alors pourtant que deux ans d’existence. DC publia en outre un comic sur la Foire Internationale de New York en 1939, qui fut suivit d’un second numéro, probablement distribué à l’occasion du Superman Day. L’ouvrage en question fit date puisqu’il réunissait pour la première fois Batman, Superman et Robin en couverture, une illustration signée Jack Burnley. Celui-ci dessina par la suite les aventures de chacun des deux justiciers, et co-créa également le super-héros Starman. Même un petit éditeur comme Fox Comics organisa un « Blue Beetle Day », le 7 août 1940, un mois après le Superman Day. Le célèbre éditeur sortit à peu près à cette date son propre comic, Big 3, dont la couverture rappelait étonnamment celle de DC Comics...

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inoxydable haut comme douze étages, surmontant une fontaine. L’Unisphère, ainsi que le pavillon de l’État de New York et les tours d’observation de la Foire, apparaissent dans Men in Black avec Will Smith et Tommy Lee Jones, le film étant lui-même l’adaptation d’un comic book.

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Ces images de l’Exposition universelle de 1963 reflètent vraiment l’avenir qu’imaginait l’Amérique des années 1950. Je me rappelle d’une photo de la voiture du futur : elle est quasi identique à celle que mon père possédait il y a quinze ans ! Et puis il y avait toutes ces petites expositions, si chargées émotionnellement. Chaque année, toute ma famille se replongeait dans les photos de cet événement. Simon Fraser Dessinateur de 2000AD, Doctor Who.

Le jour de l’Indépendance connut une issue tragique : le 4 juillet 1940, une bombe fut déposée dans un sac abandonné sous le pavillon britannique. Deux policiers, Joe Lynch et Freddy Socha, ouvrant le sac pour le fouiller, furent tués dans l’explosion, qui blessa également plusieurs autres personnes. À ce jour, la tragédie n’a toujours pas été élucidée... L’exposition ferma ses portes le 27 octobre 1940. La plupart des structures, conçues comme temporaires, furent démontées. En 1964 la ville de New York se lança dans une nouvelle exposition universelle, avec moins de succès cette fois. En lieu et place du Trylon et Périsphère se dressa (et se dresse toujours, aujourd’hui) l’Unisphère, un globe en acier

Il reste aujourd’hui quelques vestiges des deux expositions. Flushing Meadows abrite désormais un zoo et deux musées (le Science Museum et le Art Museum) ; le stade des New York Mets, Citi Fields, fait lui-aussi partie du parc, de même que le USTA Billie Jean King National Tennis Center, où ont lieu les tournois de l’US Open. Grâce à des images d’archive, l’exposition de 1964, rebaptisée « Gotham City World’s Fair », apparaît dans le premier épisode de la série Batman, en 1966. Icône éternelle, l’exposition universelle a traversé les ans : dans les années 1980, le scénariste Roy Thomas installa le QG de l’Escadron des Étoiles (en VO « the All-Star Squadron »), une équipe de super-justiciers DC des années 1940, dans le Périsphère. En 2000, Michael Chabon inclut, dans son roman The Adventures of Kavalier and Klay (Les Extraordinaires Aventures de Kavalier & Clay en français) une scène où son personnage de scénariste de bande dessinée se faufile de nuit dans le fameux globe. Les studios Marvel ont, quant à eux, envoyé Steve Rogers et Bucky Barnes à la Stark Expo organisée à Flushing Meadows dans Captain America : The First Avenger (2011), plus de soixante ans avant que Tony Stark n’inaugure, avec les conséquences que l’on sait, sa propre Exposition dans Iron Man 2. Mais Flushing Meadows a également abrité un autre emblème planétaire, avant qu’il ne parte s’installer sur les hauteurs du Queens...

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united nations

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Première Guerre mondiale prit fin 1918, laissant derrière elle des stigmates de destruction et de mort sans précédent, le président Woodrow Wilson proposa « une communauté des puissances » en vue de créer et maintenir la paix mondiale. La guerre de 39-45 démontra qu’une telle ligue, quoique valable sur le papier, était inefficace dans la pratique... Elle fut donc remplacée le 24 octobre 1945 par l’Organisation des Nations Unies, chargée d’empêcher un nouveau conflit mondial dans un contexte de tension croissante entre les États-Unis et l’Union soviétique. La France, les États-Unis, la Chine, l’Union soviétique et le Royaume-Uni en composaient l’Assemblée Générale, et New York fut choisie pour accueillir le siège de cette nouvelle organisation. uand la en

Quand l’Exposition universelle ferma ses portes, son site fut démantelé, les installations rasées et quarante tonnes d’acier furent ainsi récupérées pour l’effort de guerre... et l’ironie ne s’arrête pas là : l’ONU installa dans un premier temps ses bureaux dans l’ancien New York City Building, sur l’emplacement même du « Monde de demain », en attendant que ses nouveaux bâtiments, construits le long de l’East River, ne soient achevés en 1951. Le siège des Nations Unis appartient à tous les États membres et ne relève d’aucune nationalité en particulier. Il représente donc, aux yeux de tous, un territoire neutre : c’est la raison pour laquelle Time2: The Epiphany First Comics, Inc (1986) Howard Chaykin

Les Nations Unies servirent de décor au film Batman de 1966 avec Adam West et Burd Ward, le duo de choc qui sauva de l’engin de déshydratation du Pingouin les membres de l’ONU – et par là-même l’équilibre politique de tout le monde libre. Dans Superman IV: The Quest for Peace (Superman 4 en français), sorti en 1987, le super-héros intervient à l’ONU en faveur du désarmement nucléaire mondial. En raison du budget limité du film, la scène fut en réalité tournée dans un décor de plateau représentant une petite partie du véritable siège de l’organisation... Silver Surfer: Parable (Surfer d’Argent en VF) est un comic book en deux tomes sur lequel œuvrèrent deux légendes de la bande dessinée : Stan Lee au scénario et le Français Moebius au dessin. Le héros, à la fin de l’histoire, se voit dans l’obligation d’expliquer son rôle dans l’univers aux dirigeants du monde entier rassemblés dans les locaux des Nations Unies. Enfin, Superman et ses alliés font un discours à l’ONU dans le conte futuriste Kingdom Come, de Mark Waid et Alex Ross – respectivement scénariste et dessinateur – dans la scène finale de cette œuvre consacrée de la bande dessinée. Par leur capacité à évoquer les meilleurs pays du monde, les Nations Unies sont, sans surprise, une façon de représenter la planète toute entière : qui mieux qu’elles peuvent s’adresser aux héros les plus mondiaux qui soient !

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une équipe internationale d’architectes – douze en tout – fut désignée pour concevoir l’édifice, haut de 39 étages.

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la maison d ’ enfance

rego park

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expérimentaux qui donnèrent naissance aux bandes dessinées underground – les comix. Le Comics Code avait essentiellement entraîné, dans le monde de la BD, une réaction contraire à son objectif : le magazine Mad connut un succès stratosphérique et maintint son influence subversive sur ses jeunes lecteurs. Les mondes satyriques créés par le fondateur du magazine, Harvey Kurtzman, puis par son successeur Al Feldstein, avec l’aide de leurs équipes respectives, inspirèrent cette nouvelle génération qui grandit au travers du Summer of Love et de la guerre du Vietnam. En 1968, Spiegelman raconta dans « Prisoner on the Hell Planet » le jour où il rentra chez lui et découvrit le suicide de sa mère. Cette maison, située dans le Queens dans le quartier de Rego Park, apparaît aussi dans le révolutionnaire roman graphique Maus, dans lequel Art interviewe son père Vladek, survivant de l’Holocauste, sur sa vie dans les camps de concentration lors de la Seconde Guerre mondiale.

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Le nom de « Rego Park » vient de celui d’une société immobilière, la Real Good Construction Company, qui urbanisa dans les années 1920 ce qui n’était alors encore qu’une zone agricole. C’est un quartier hétéroclite où réside une vaste communauté juive, dont font partie de nombreux survivants de l’Holocauste venus s’installer à New York pour échapper aux atrocités de la Seconde Guerre mondiale. Le traitement sans fard par Spiegelman de l’horreur de l’expérience juive pendant le conflit, associé à sa maîtrise de la narration dessinée, a fait de Maus, prix Pulitzer 1992, et de sa suite, Maus II, des succès immédiats.

Les comic books ne parlent pas que de superhéros. Le dessinateur Art Spiegelman, sainement abreuvé durant toute son adolescence des numéros de Mad Magazine, des BD d’horreur EC Comics et des comic strips cultes des décennies précédentes, émergea à la fin des années 1960 comme l’un des membres de la géniale génération de créateurs Time2: The Epiphany First Comics, Inc (1986) Howard Chaykin

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central park

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l est un lieu de la ville aussi emblématique

que ses vertigineux gratte-ciels et ses sentiers d’asphalte : la vaste aire de verdure et de calme que représentent les 340 hectares de Central Park. Alors que se développait New York, tout au long du XIXe siècle, l’afflux de nouveaux habitants et l’expansion urbaine créèrent une véritable cacophonie sonore, privant de calme les résidents new-yorkais : il fut donc décidé d’aménager un immense jardin public dans l’Upper West Side, entre les 59e et 106e Rues. Frederick Law Olmsted et Calvert Vaux en conçurent le plan, baptisé Greensward Plan et approuvé en 1857. Quand il fut achevé, en 1873, le parc comptait environ quatre millions d’arbres, plantes et arbustes. Malheureusement, on laissa Central Park sombrer dans un état de délabrement, dans lequel il demeura jusqu’à ce que le maire Fiorello La Guardia confie au « Master Builder » Robert Moses la réhabilitation et l’assainissement des jardins de la ville, en 1934. Alors que Central Park avait été imaginé comme un grand espace ouvert, Moses y ajouta lors de sa réhabilitation des terrains de base-ball et des aires de jeux, donnant au parc l’atmosphère récréationnelle qui lui faisait défaut. Celui-ci devint le lieu privilégié des rassemblements, manifestations et productions théâtrales. L’histoire, malheureusement, se répéta et le parc retrouva peu de temps après son état d’abandon et de déclin. The Amazing Spider-Man 2 : le Destin d’un Héros De Mark Webb - Columbia Pictures, 2014

Fort heureusement, la municipalité est intervenue et a repris en main la gestion du parc. Depuis le début des années 1980, Central Park est un lieu propre, bien entretenu et dépourvu du moindre graffiti. En vous y promenant, vous croiserez sur

votre chemin les musées d’art du Guggenheim et du Met, ainsi que le musée d’histoire naturelle de la ville. Central Park apparaît dans Spider-Man 3 (2007), lorsque Mary Jane et Peter Parker flânent sur le Bow Bridge, maintes fois photographié. Ce pont en fonte de 18 mètres de long, qui offre une vue époustouflante sur le lac, fut conçu par Calvert Vaux et Jacob Wrey Mould et construit en 1862. On le trouve à peu près au centre du parc, au niveau de la 74e Rue. Il existe une autre connexion, plus obscure, entre le parc et l’univers des comics. Sur la 74e Est se trouve une statue de bronze tout droit tirée du livre de Lewis Carroll Alice au Pays des Merveilles, représentant Alice prenant le thé avec le Lièvre de Mars, le Loir et le Chapelier fou. La statue a été coulée au niveau du sol et les enfants sont invités à y grimper pour interagir avec les personnages – une condition posée par George Delacorte, qui commissionna pour ce travail le sculpteur José de Creeft en 1959. Delacorte était à l’époque patron de Dell Publishing, une immense maison d’édition de comics. Approchez-vous de la tête du Chapelier fou : c’est Delacorte lui-même qui servit de modèle à l’artiste ! D’autres œuvres nous attendent aux abords du Parc, si vous le voulez bien...

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Lorsque Gerry Conway écrivit les origines du vigilante urbain le Punisher, chez Marvel, il révéla que le policier new-yorkais Frank Castle avait entamé sa croisade contre toutes les formes de crimes après que sa famille eut été victime des tirs croisés d’un règlement de compte mafieux dans Central Park. Le scénariste a depuis confié qu’il avait imaginé la tragédie sur le site aujourd’hui connu sous le nom de Strawberry Fields. Après la dissolution des Beatles, John Lennon, rock star légendaire, choisit de s’installer à New York où il fut assassiné le 8 décembre 1980, alors qu’il n’avait que quarante ans. En mémoire de l’artiste et de son activisme au nom de la paix et de l’amour, cette zone de Central Park fut officiellement baptisée Strawberry Fields le 9 octobre 1945. Lennon aurait eu 45 ans ce jour là. Ainsi nommé en hommage à sa chanson culte « Strawberry Fields Forever », le lieu est orné d’une mosaïque circulaire au centre de laquelle se détache le mot « Imagine », l’hymne de paix écrit par Lennon en 1971. Offert au parc par la ville de Naples, en Italie, elle rappelle que 121 pays ont déclaré, collectivement, Strawberry Fields « jardin de la paix ».

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avengers mansion

S

elon les comics Marvel, Tony Stark a grandi dans le manoir familial du 890 Fifth Avenue, à Manhattan. Peu de temps après être devenu Iron Man, il s’associe avec d’autres super-héros – Thor, Hulk, la Guêpe et Ant-Man – pour former les Avengers. Ensemble, ils affrontent leur premier adversaire, Loki, le terrible demi-frère de Thor. Et puisqu’il faut à cette nouvelle équipe un quartier général, Tony fait don aux Avengers de sa maison de famille et du fidèle Jarvis, le majordome des Stark. Le manoir, dont la pelouse fut même un temps décorée des statues des célèbres justiciers, restera la propriété des Avengers pendant des années. Il a été détruit à maintes occasions et toujours reconstruit, de façon à ce que les héros les plus puissants de la planète Terre puissent continuer à l’occuper.

Vous pouvez en réalité vous rendre au manoir des Avengers ou, plus précisément, à l’édifice dont il est inspiré. La Henry Clay Frick House, sur la Cinquième Avenue dans l’Upper East Side de Manhattan, abrite la collection d’art d’Henry Frick. À sa mort, ce philanthrope légua sa résidence et l’intégralité de ses œuvres à la ville de New York, de façon à ce que sa collection privée puisse être exposée au grand public. La Frick House revint à la municipalité à la mort de son épouse, en 1931, et ouvrit comme musée le 16 décembre 1935. Time2: The Epiphany First Comics, Inc (1986) Howard Chaykin

À l’intérieur, vous y découvrirez six galeries d’œuvres de grands maîtres – El Greco, Francisco Goya, François Boucher, James McNeill Whistler et Anthony Van Dyck – ainsi qu’une bibliothèque d’ouvrages d’art. Ce qui n’était à l’origine qu’une collection de 137 tableaux comporte désormais plus de mille œuvres. Monsieur Fr ick n’avait cer tainement pas imaginé que la résidence où il entreposait ses peintures classiques deviendrait un jour un lieu incontournable de l’art populaire au travers des Avengers ! Il est temps à présent de nous diriger vers un quartier qui a nourri certaines des plus grandes formes artistiques américaines...

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la frick collection 1 east 70th street


harlem

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u nord de Midtown et de Morningside Heights

Harlem, siège de la culture afroaméricaine de Manhattan. Le quartier a vu naître quelques uns des plus grands activistes, musiciens et artistes du pays. Harlem ne devint une zone essentiellement noireaméricaine qu’après la guerre de Sécession, à la fin des années 1860. Désireux de profiter des opportunités de la ville, plus vastes que celles offertes par les États du sud, les Afro-Américains affluèrent en masse dans ce quartier que ses très ambitieux promoteurs avaient initialement conçu pour les travailleurs blancs. Cette zone étant encore éloignée de Manhattan, dont la gentrification chassait les populations noires, Harlem devint le refuge de cette nouvelle classe moyenne émergente. La Renaissance de Harlem commença au début des années 1900, au moment où les leaders du mouvement en faveur des droits civiques, W.E.B. DuBois par exemple, fondèrent des groupes d’intérêt comme la National Association for the Advancement of Colored People (la NAACP) en 1909. Harlem devint le lieu de naissance de la musique, de la littérature et de l’art afroaméricains. Des personnages comme Langston Hughes, Josephine Baker, Zora et Neale Hurston émergèrent et créèrent une littérature et un art qui ancrèrent la population noire dans son statut de force motrice de la culture américaine.

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se trouve

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Les années 1920, les fameuses « Années folles », célèbres pour leurs excès, leurs fêtes, leur matérialisme et le boom économique qui suivit la Première Guerre mondiale, donnèrent naissance au jazz. Cette forme musicale, créée et développée par des performers noir-américains de premier plan tels que Louis Armstrong, Dizzy Gillespie, Ella Fitzgerald, Lena Horne, Jelly Roll Morton, Fats Waller ou encore Thelonious Monk, dépassa son cercle originel pour venir influencer la culture blanche populaire. Le jazz transforma, irrémédiablement et à jamais, le paysage culturel. Cette musique fait partie des trois formes et mouvements culturels qui naquirent sur le sol américain, les deux autres étant le basket... … et les comics.

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En 1923 fut construit le Hurtig & Seamon’s New Burlesque Theater, réservé aux Blancs, qui ferma ses portes en 1930. Il fut rebaptisé en 1934 et, sous le nom d’Appolo Theater, offrit à la population afro-américaine d’Harlem des spectacles de variétés où se mêlaient comédiens, danseuses et musiciens. Un nombre considérable d’artistes débutèrent sur la scène de l’Appolo : Ella Fitzgerald, The Supremes, Sammy Davis Junior, James Brown, Stevie Wonder et Marvin Gaye furent parmi ceux-là.

Harlem est aussi le lieu de naissance de Luke Cage, du comics Marvel « Hero for Hire », le premier super-héros noir à faire l’objet d’une série à son nom en 1972. Créé par le scénariste Archie Goodwin et les dessinateurs John Romita et George Tuska, Luke Cage est victime d’un coup monté et envoyé en prison, où il fait l’objet d’expériences qui lui confèrent ses super pouvoirs. Il s’échappe et ouvre un bureau sur Times Square, proposant à qui veut l’employer ses super capacités... Cage a heureusement dépassé ce stéréotype très seventies ; c’est aujourd’hui l’un des principaux membres des Avengers. Il officie toujours à Harlem, dont il protège désormais les rues au nom de la justice et non plus pour des raisons mercenaires. Il sera prochainement le héros d’une série diffusée sur Netflix, développée dans l’univers cinématographique Marvel. La reconnaissance, enfin ! Dans L’incroyable Hulk, des studios Marvel, Hulk affronte l’Abomination dans les rues de Harlem, qu’il dévaste sur son passage... Heureusement pour nous, dans le monde réel Harlem est parfaitement intact et ses restaurants, boutiques et musées sont toujours là pour témoigner de l’héritage de sa culture et de sa diversité.

The Amazing Spider-Man 2 : le Destin d’un Héros De Mark Webb - Columbia Pictures, 2014

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la mort de gwen stacy

’ est au pont de B rooklyn que se déroule , dans les comics, la seconde grande tragédie de Spider-Man. En faction sur l’East River, le pont relie Brooklyn à Manhattan ; 150 000 piétons et véhicules l’empruntent chaque jour. Conçu en granite et en acier, le Brooklyn Bridge est le premier pont suspendu en acier au monde. On le doit à l’architecte allemand John Augustus Roebling, qui imagina un moyen de renforcer et de stabiliser ce monument long de 490 mètres. Tragique ironie du sort, Roebling se vit jamais le pont terminé : il mourut du tétanos après qu’un bateau lui eut écrasé les orteils. La reprise du chantier par son fils Washington, 15 millions de dollars et 600 ouvriers furent nécessaires à l’achèvement des travaux, quelque quatorze ans plus tard. Des années après, en 1973, l’éditeur Roy Thomas et le scénariste Gerry Conway, déterminés à ébranler leurs lecteurs dans The Amazing SpiderMan n°121 avec la mort d’un personnage, furent comblés par-delà leurs espérances en décidant de mettre fin aux jours de Gwen Stacy, la petite amie de longue date de Peter Parker. Kidnappée par l’ennemi juré de Spider-Man, le Bouffon vert, Gwen est précipitée du haut de la tour du pont. Le doute subsiste : se brise-t-elle la nuque à cause

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de la chute, ou de la toile lancée par Spidey pour tenter de la sauver ? Coquille éditoriale, le pont est appelé George Washington Bridge dans ledit épisode. Celui-ci, un pont suspendu à deux niveaux ouvert en 1931, relie en réalité Manhattan au New Jersey. Il fut ainsi nommé en hommage au premier président des États-Unis, en référence à la route Washington qu’il prolonge et en souvenir des efforts mis en œuvre par l’ancien président pour évacuer New York en 1776, dans une tentative infructueuse d’empêcher les Britanniques d’occuper la ville. D’une longueur de 1450 mètres, le pont est doté de deux tours aux armatures d’acier visibles, héritage de ses origines industrielles. Le second niveau du GW Bridge n’était ouvert que depuis une dizaine d’années lorsque Gwen y périt. C’était l’une des premières fois qu’un personnage majeur de comics mourrait : cette disparition causa la réaction furieuse et massive des fans de la série !

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