En Guyane, la guerre contre les orpailleurs est déclarée.

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En Guyane,

la guerre contre les orpailleurs est déclarée

Deux semaines après l’embuscade qui a coûté la vie à 2 militaires du 9e RIMa et blessé 2 gendarmes, plus de 170 hommes ont été déployés dans la forêt à proximité du site aurifère de Dorlin. Cette opération baptisée « Alatale Nui », qui signifie « Petit puma », a nécessité 32 rotations d’hélicoptères entre le 11 et le 14 juillet. Les militaires, qui multiplient chaque jour les patrouilles, se sont installés dans de rudimentaires bivouacs quasiment invisibles, masqués par la végétation. Tout le matériel qu’ils trouvent est immédiatement saisi et détruit.

Exclusif : après l’embuscade du 27 juin dernier, au cours de laquelle deux militaires français ont trouvé la mort en Guyane, la France a décidé de frapper les orpailleurs clandestins en pleine forêt. DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL NICOLAS MINGASSON (TEXTE ET PHOTOS)

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En forêt, le moindre geste est épuisant

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’hélicoptèrePumasurvoleune mer d’arbres sans fin. A perte devue,laforêts’étend,sansre­ pères, hors du temps. Puis, au boutd’unequarantainedemi­ nutes, apparaît brusquement la zone où, le 27 juin dernier, au cours d’une véritable em­ buscade tendue par des orpailleurs clandes­ tins,lecaporal­chefSébastienPissotetl’adju­ dant Stéphane Moralia du 9e régiment d’infanterie de marine (RIMa) ont été tués et deux gendarmes grièvement blessés. C’est une minuscule clairière entourée de collines aux flancs plus ou moins déboisés par les chercheurs d’or. Situé à plus de 190 kilomè­ tres de Cayenne, le site de Dorlin est l’un des plus riches et des plus convoités de Guyane avec un taux de 20 grammes d’or par tonne de roche extraite. Dorlin n’est pas simple­ ment riche en or ; c’est aussi l’une des zones les plus impaludées du pays. Deuxsemainesontpassédepuisledrameet le déclenchement du plan « Alatale Nui » («Petitpuma»)quiaentraînéledéploiement de près de 170 hommes chargés de sécuriser leslieux.Uneopérationd’envergurequiané­ cessité32rotationsd’hélicoptèresentrele11et le14juillet.Installéstoutautourdansderudi­ mentaires bivouacs masqués par la végéta­ tion, les hommes ont pris leurs quartiers. Deuxarbres.Unebâchetendue,unhamacet samoustiquaire,riendeplusmais,aumoins, peuvent­ils espérer passer la nuit au sec. Pour le reste, il vaut mieux s’habituer à être trempé. La saison des pluies a beau être ter­ minée, des averses violentes s’abattent plu­ sieurs fois par jour sur la forêt. Et lorsqu’il ne pleut pas, la chaleur et l’humidité ne laissent aucun répit. Leur objectif ? Reprendre pos­ sessiondeceboutdeterritoirefrançaisetem­ pêcher les orpailleurs de revenir avant l’ins­ tallationsurlesitedelafuturesociétéminière officielle. Au plus tard d’ici à la fin de l’année 2012. Mais aussi, et surtout, faciliter 22 • LE FIGARO MAGAZINE - 20 JUILLET 2012

Les garimpeiros se répartissent les tâches longtemps à l’avance. Ils sont prêts à nettoyer un site en quelques minutes dès qu’ils craignent l’arrivée des autorités françaises. Ils n’hésitent pas à poster des sentinelles pour donner l’alerte. Chacun sait exactement quoi faire. L’un s’occupera du concasseur, un autre du compresseur, etc. Ceux qui sont chargés de sauver l’or le portent en permanence sur eux, toujours prêts à décamper. Mais cette fois, les militaires ont décidé de frapper fort, longtemps, et d’interroger, comme ici, tous les suspects potentiels. 20 JUILLET 2012 - LE FIGARO MAGAZINE • 23


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Frapper au cœur les orpailleurs clandestins l’enquête judiciaire sur les événements tra­ giques du 27 juin. Sur place, des enquêteurs de la section de recherche de la gendarmerie de Cayenne, un médecin légiste et des balisti­ ciens.«Nousavonsbeauêtreaucœurdelajungle il nous faut des preuves. Sans elles, pas de procès possible », précise le lieutenant­colonel Del­ cambre, directeur opérationnel de l’enquête de la gendarmerie. Car quinze jours plus tard, des indices importants peuvent encore être retrouvés malgré les conditions extrê­ mes qui sévissent ici. ADN, étuis de balles, angles de tirs… les expertsjudiciairespassent la « scène de crime » au peigne fin. Un travail lent et minutieux. Chaque centimètre de ter­ rain est examiné avec des détecteurs de mé­ taux ou encore des outils laser pour simuler les tirs. Il s’agit, aussi, de pouvoir déterminer précisément qui a tiré et qui a tué. D’après les enquêteurs, Ferreira Manuel Moura alias « Manuelzinho », chef de bande brésilien sans foi ni loi, que les orpailleurs n’ont pas le droit de regarder dans les yeux, fait figure de suspect principal. Si lui semble déjà loin, peut­être au Surinam où il aurait, depuis le 27 juin, commis au moins un autre assassi­ nat, Caxiado, son fidèle lieutenant, aurait été vu non loin de Dorlin, dans les environs du village de Barro 13. Pour tenter de le retrou­ ver,unepatrouilleaétéorganiséeetunetren­ tained’hommessontmobilisés:légionnaires, soldats du 9e RIMa, gendarmes mais aussi des Craj, les commandos de recherche et d’action en jungle. Mais la mission n’a donné pour l’instant aucun résultat. Evoluer dans la forêt est un enfer. On crève de chaud, les vêtements collent à la peau, la transpiration pique les yeux, des épines se plantent dans la peau et la terre, continuelle­ ment humide et gluante, transforme le sol en patinoire. Et, comme si tout cela ne suffisait pas,leshommessubissentlepoidsdeleurar­ mement. Depuis le jour de l’embuscade, dès queleursmissionsleséloignentdezonespar­ faitementsécurisées,ilss’équipent«enlourd» comme ils le disent eux­mêmes : gilet pare­ 24 • LE FIGARO MAGAZINE - 20 JUILLET 2012

Le site de Dorlin se situe à plus de 190 kilomètres de Cayenne, en pleine forêt profonde. balles, casque Kevlar, mitrailleuse Minimi rendent leurs déplacements plus pénibles encore. De l’avis de tous, cet équipement est un enfer en pleine forêt guyanaise. Mais la mission de sécurisation et de reconquête de Dorlin continue. Pour rejoindre la « monta­ gne des singes », où se trouve l’un des sites principaux et d’où furent tirés les premiers coups de feu, le 27 juin, sur un hélicoptère de la gendarmerie, les hommes doivent remon­ ter des layons abrupts et des pistes à quad creusées par les garimpeiros eux­mêmes. De chaque côté, les flancs de terre qui s’élèvent de plus de deux mètres prouvent en tout cas que l’installation des « clandés » à Dorlin ne date pas d’hier !

Les soldats coupent, brûlent, cassent… il faut tout détruire Enprogression,unsoldats’arrête,pointeson armeversunéventueldangeretappuieainsi les autres hommes du groupe. Les mêmes réflexes qu’en Afghanistan, où tous, ou pres­ que, ont effectué un mandat. Arrivés aux puits, une poignée de militaires se postent sur sa lisière pour assurer la protection du site, armes chargées. Les soldats inspectent tout le site et ses abords immédiats, ne lais­ sant rien au hasard. Ils savent qu’en quittant les lieux les garimpeiros ont abandonné sur place une large part de leur matériel. Il faut du nez et de l’expérience pour distinguer le puits vide de celui dans lequel du matériel pourrait avoir été caché. C’est une corde nouéeàl’étayagedel’und’euxquiaattirél’at­ tention. Et 25 mètres plus bas, la pêche est bonne : trois groupes électrogènes, des bâches et de l’essence. Tout cela sera rapide­ ment remonté pour être ensuite détruit. La mission est la même : tout détruire pour que les orpailleurs ne reviennent pas. Les soldats coupent, brûlent, cassent… en prenant

conscience de la misère dans laquelle vivent ceshommesetcesfemmes(unsoutien­gorge rose abandonné sur une table en témoigne), quasi maintenus en esclavage par ceux qui contrôlent les filières de l’orpaillage. Mais il ne s’agit pas seulement de les empêcher de revenir. Les officiers le savent d’expérience : ils ne sont pas loin, ils se terrent quelque part dans la forêt, à seulement quelques kilomè­ tres de là. En les privant de leur lieu de vie, des moyens de cuisiner et même de nourri­ ture, les militaires les obligent à sortir de la forêt et à venir à leur rencontre. S’opère alors un étrange échange : de l’eau et quelques rations de combat contre des informations sur la rumeur de la forêt. C’est ainsi, aussi, que se fait le renseignement… Sur le chemin duretour,soudain,uncri !Unsoldatvientde tomber nez à nez avec un garimpeiro. Pas question pour lui de l’interpeller. Sur le terri­ toirefrançais,lesmilitairesn’ontpascedroit. C’est un gendarme qui remonte la colonne. L’homme est parfaitement calme, assis sur une large racine. Le lieutenant­colonel Del­ cambre entame un interrogatoire sommaire, qui rapidement tourne autour des événe­ mentsdu27juin.L’hommeneparlepasfran­ çais mais portugais. Un soldat lusophone du 9e RIMa assure la traduction. Finalement, l’homme est emmené au bivouac principal où est installé le PC de commandement. Il se laisse conduire tranquillement. Il sait, mani­ festement, qu’il ne risque rien et entend bien coopérer.Plustard,danslajournée,l’interro­ gatoire se poursuivra avec le responsable de l’enquête judiciaire. En attendant, les rota­ tions d’hélicoptères s’enchaînent, plusieurs par jour, déchargeant des centaines de litres d’eau, des rations de combat, des tentes de campagne qui transformeront l’actuel camp, sommaire,enunvraiposteavancé.Latraque aux tueurs continue. ■ NICOLAS MINGASSON


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