L'adieu aux armes

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Tout en images Reportage dernier jour en terrain miné

Plus de pression ni de menaces. Sur la base de Bagram, le temps est aux sourires, à la détente, aux achats de cadeaux pour la famille. Mais, devant, se profile la longue route du retour à une vie normale.

Après l’Afghanistan

l’adieu aux armes À Chypre, après leurs six mois de combats contre les talibans, nos soldats passent quelques jours pour se défaire de l’esprit de troupe et réapprendre à mener une vie ordinaire. textes et photos : nicolas mingasson


cette fois, c’est bien fini !

Les hommes rendent leurs derniers chargeurs à leurs chefs de groupe. Pour la première fois depuis six mois ils dormiront sans armes ni munitions à portée de main. Une page se tourne, une autre histoire commence...

sur le port de paphos

Les militaires réapprennent à évoluer dans un monde en paix, sans enjeu de vie ou de mort, sans plus penser à se poster ou assurer leurs arrières. Vivre enfin sereinement, comme n’importe lequel des touristes qui les entourent.

exercices de décompression

“Le retour à un fonctionnement normal peut être très long. Chypre permet de l’initier” Dr Boisseaux

j. r. drahi/armée de terre

Les séances de technique d’optimisation du potentiel permettent aux soldats, grâce à un travail basé sur la respiration, la relaxation et l’imagerie mentale, de se retrouver eux-mêmes et de redécouvrir leurs sensations.


L

Dans l’avion, je ne pensais qu’à ça : être prêt […] à accepter que la famille avait appris à vivre sans nous.

’excitation du combat, le doute, l’ennui et la peur, ils ont tout connu. La mort, ils l’ont vue de près, dans les yeux d’un camarade en train de partir. Le Dr Boisseaux, psychiatre militaire à Sergent C. ­l’hôpital du Val-de-Grâce à Paris, le reconnaît : « En Afghanistan, les soldats ont été placés dans une ­situation de stress intense et ­permanent aux répercussions psychiques et physiologiques importantes et durables. Ils ne sont pas les mêmes quand ils rentrent. » C’est pour ça qu’un « sas de décompression » a été institué, à Chypre, en 2009. Une décision prise un an plus tôt après l’embuscade d’Uzbin, au cours de laquelle dix Français ont été tués. Voilà, c’est fini ! De retour à Bagram – l’immense base américaine où transitent les soldats de la coalition – et après six mois de tension permanente, les soldats laissent exploser leur joie. Dès le surlendemain, après avoir remisé leurs armes et acheté des cadeaux pour leur famille dans l’un des supermarchés de la base, ils s’envolent pour Chypre. « Ce truc, ça serait pas un peu pour les Derrière la joie des retrouvailles gonzesses ? », demande le première-classe V. Pour un challenge difficile attend lui comme pour de nombreux militaires, une chaque homme : réussir son seule envie : rentrer et retrouver les leurs. retour à la maison. Pour les états-majors, le passage par Chypre est l’occasion d’envoyer un signe de reconnaissance. Les soldats FranceJ Afghanistan font l’objet d’attentions : le repas, dans J  J Une réponse, un assentiment ? faits, l’Afgha et la vie en France vont s’entrel’avion, est identique à ­celui servi aux Chypre « Ce n’est que le soir, poursuit mêler pendant longtemps encore. » officiers supérieurs. Leur luxueux D’autant qu’au combat les hommes dévele sergent C., que j’ai compris ­hôtel surplombe la mer, le treillis est que le seul objectif était de nous loppent une fraternité qui les conduit à se lavé, repassé et rangé dans leur placard… faire parler pour faire sortir les dissoudre dans le groupe. C’est une alchimie « P…, ils se sont pas foutus de notre gueule ! », remarque le sergent T. « Ces signes de reconnais- nœuds tissés depuis des mois au fond de nous. » fascinante, mais dangereuse. C’est un peu les sance sont indispensables, confirme le Dr Bois- « Ce processus de parole est extrêmement im- « frères d’armes » contre la famille, la vraie. seaux. Mais attention de ne pas croire qu’ils portant, insiste le Dr Boisseaux. Nous savons Chypre contribue à déconstruire ces liens excep­suffisent. Le processus est bien plus fin et com- depuis longtemps que le combat et le stress qu’il tionnels. « Ce processus est essentiel car ils ne plexe que cela. » C’est que me confiait un militaire entraîne modifie profondément le fonctionne- peuvent se sentir bien en famille s’ils n’ont pas un jour : « Je n’avais pas besoin de reconnaissance ment psychique et même physiologique des retrouvé un équilibre personnel en dehors du mais de soutien. Soutien de la nation, soutien de soldats. Le retour à un fonctionnement normal groupe », relève le Dr Boisseaux. Mais tout ne se l’armée. En fait, j’avais besoin de savoir qu’on peut être très long. Chypre permet de l’initier. » fait pas en un jour. G., un des gars que je suivais, Des activités différentes y n’était pas peu fier de me raconter que, malgré pensait à nous. » Les journalistes n’étant pas “En fait, j’avais besoin sont proposées. Les séances de les ordres, le deuxième jour, « tous les gars avaient autorisés à suivre le passage de savoir qu’on pensait techniques d’optimisation du leur T-shirt de groupe sur le dos ». Les psychologues profitent aussi de ce sas pour potentiel (TOP) permettent, dans le sas, je quitte donc les à nous” Un militaire en travaillant la respiration, la donner quelques clés. En rappelant, par exemple, soldats avec qui j’ai vécu ­plusieurs mois. Je les retrouverai dans deux relaxation et l’imagerie mentale, d’améliorer les que la maison s’est organisée sans eux et qu’il faujours pour rentrer en France. En attendant, je récupérations physique et psychique. Pour la dra y revenir « sur la pointe des pieds » pour ne pas ­première fois depuis des mois, les militaires se tout chambouler. « Dans l’avion, je ne pensais qu’à confie un appareil photo à l’un d’eux. L’objectif numéro 1 de Chypre est de clore la retrouvent avec eux-mêmes, renouent avec des ça : être prêt, comme les psys nous le conseillaient, mission. « Car, explique le Dr Boisseaux, les sensations oubliées. Des séances de massages à laisser glisser, à ne pas être exigeant comme nous ­soldats ne peuvent tourner la page si un terme obligatoires et de sauna les y aident encore. ­Balade l’avons été avec nous-mêmes, à accepter que la fan’y est pas clairement mis. » Le débriefing est en bateau le long de la côte, baignades, prome- mille avait appris à vivre sans nous, me racontera une étape essentielle. Accompagnés par des psy- nades et shopping dans le port de Paphos, visite C. ­plusieurs semaines après son retour en France. chologues, les soldats sont invités à parler en du site archéologique de Kato… Autant de loisirs Souvent, du rêve à la réalité, il y a un monde. » Un monde dans lequel un certain groupe. Eux qui juraient qu’ils n’auraient rien qui permettent d’évoluer pour la première fois à dire se surprennent : ils parlent… « Je n’y depuis six mois sans gilet pare-balles ni arme- nombre n’arrivent pas à se réincroyais pas, me confie deux jours plus tard le ment, sans penser à se poster, surveiller ses sérer : des études récentes montresergent C. dans l’avion qui nous ramène à Istres. ­arrières… « La croisière, la balade sur le port sont raient que 7 % des soldats sont Mais nous ­n’avions pas grand-chose à nous des petits bonds en avant, vers la vie normale, atteints de blessures psychiques. ­cacher après six mois à vivre les uns sur les autres tempère le sergent C. Mais, régulièrement, des Même si, pour ­l’immense majorité et à partager la même pression. » De fait, qu’at- choses nous ramènent en arrière, en “Afgha”. d’entre eux, l’Afghanistan restera un tendaient-ils de cette rencontre avec un psy ? Je crois que les mois qui viennent seront ainsi souvenir exaltant. J

apprentissage

balade sur la plage

À Chypre, au pied de l’hôtel, les soldats initient un long parcours qui les conduira à évacuer les conséquences du stress dû aux combats. Peu à peu ils retrouveront leur mode de fonctionnement d’avant.

une arme, pour jouer cette fois

Quelques jours plus tôt, tous les soldats se déplaçaient hors de la base lourdement armés et dans un état de tension permanente. Le passage de la guerre à la vie civile est ultrarapide.

N° 1836

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