Moi soldat engagé au Mali

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Exclusif

Journal de bord

‘‘Moi, soldat engage au mali’’ Texte et Photos : Nicolas mingasson

Depuis janvier 2013, les militaires français de l’opération serval sont chargés de déloger les djihadistes du sahel. Que font-ils exactement ? L’Un d’eux nous Livre quelques épisodes de sa mission. Secret défense oblige.

L’une des difficultés pour les pilotes du Tigre est de se poser dans des zones sablonneuses. À 10 mètres du sol, un gigantesque nuage de sable enveloppe leur machine et leur fait perdre tous leurs repères. Un danger mortel.


Le capitaine Giraud* a fait partie de la première vague des pilotes « gunners » d’hélicoptères Tigre déployés en urgence au Mali, après la mort du chef de ­bataillon Damien Boiteux, le 11 janvier 2013. Son rôle consistait à appuyer les troupes au sol durant les phases de combat et à neutraliser les groupes terroristes. De janvier à avril 2013, il a effectué une quarantaine de missions, qu’il a ­relatées dans un carnet de bord. Extraits. 19 janvier, arrivée au Mali. Nous sommes ­déployés Durant l’assaut, un soldat français est tué. C’est un choc, teren ­urgence à Sévaré, un faubourg de Mopti. Nos rible à chaque fois. Pendant quelques instants, nous sommes conditions de vie sont plus que rustiques. Nous avec eux. La ­demande d’appui est immédiate. Mais je sais ce sommes installés sous tente, avec un espace vital ré- qu’ils ­attendent de nous : qu’on les sorte de ce merdier, qu’on duit à la surface de notre lit et à l’espace qui le sépare leur donne de l’air pour se ­désengager et limiter la casse. Les GAT sont planqués au sommet, dans l’ombre des de l’autre couchette. Pas d’eau courante, de très rares ­occasions de communiquer avec la maison. Le système D fonctionne à anfractuosités rocheuses. Comme toujours, je me mets à fond, tout ça nous prend un temps fou. Côté ­machines, les leur place, imagine comment je me cacherais moi-même. mécanos n’ont pas encore pu nous ­rejoindre. À nous d’assu- Malgré les 45 °C au sol, la caméra thermique m’aide à les rer les ravitaillements en carburant et d’effectuer le petit débusquer, ombres blanches à peine visibles dans le viseur. entretien. C’est agréable, finalement, d’avoir ce rapport direct Assez, en tout cas, pour ­ouvrir le feu. Les rafales de canon avec nos hélicos, d’être ainsi autonomes. Ici, l’un des ­dangers partent les unes après les autres. Plus d’une ­centaine d’obus en dix minutes. Malgré le déluge que sera le sable. Nous passons nos premiers nous leur imposons, ils ripostent. Du jours à nous entraîner aux « posés sable », courage ou de la folie ? une phase de vol stressante. À 10 mètres Une demi-heure plus tard, la situation du sol, nous nous ­retrouvons enveloppés est sous contrôle et nous rentrons. Cinq d’un nuage si fin qu’il ressemble à de la minutes après, l’ordre tombe : aller sur farine et tous nos repères disparaissent. ­Tessalit. Rebelote, nous voilà de nouveau 9 février, Gao. Longue mission de catapultés dans l’urgence. reconnaissance-destruction le long du 19 février, Tessalit. Dans cette anfleuve Niger. L’objectif est de bloquer la cienne base malienne, c’est un sacré remontée de combattants des « GAT » camping ! En ce début d’opération Ser(groupes armés terroristes) vers le nord. Le cours d’eau est une barrière Ce que voit le « gunner » chargé de la navigation val, la logistique est tout entière accapaet des tirs. À l’avant du cockpit, le pilote. rée par le déploiement des troupes. Le naturelle qui freine leur progression. C’est là que nous pouvons les débusquer avant qu’ils ne le confort viendra plus tard. Du coup, nous passons un bon bout de la soirée à nous installer, à trouver de l’eau, des lits… franchissent sur des barges. Mission de nuit. Nous remontons le Niger vers le nord. Je et à nous occuper des machines : ravitailler en kéro, refaire le n’imaginais pas une telle densité de villages et de végétation. ­niveau d’huile, récupérer et monter les munitions. C’est dur, Pas facile dans ces conditions, même avec nos caméras prenant, fatigant mais c’est aussi une fierté : nous sommes les thermiques, de repérer un ennemi passé maître dans l’art du seuls ­pilotes de combat à pouvoir suivre ainsi les troupes au ­camouflage. Il faut s’arracher les yeux pour les découvrir, sol dans pratiquement n’importe quelles conditions. Mais ce n’est rien à côté de ce qu’a été notre arrivée sur scruter chaque mètre carré. Trente minutes de vol environ avant de dénicher trois pick-up suspects, lourdement armés cette base. Pour des raisons de sécurité, nous n’avons pu de mitrail­leuses et entourés d’une dizaine de personnes. Les profiter de la piste située à l’extérieur de l’enceinte et avons types nous obser­vent, sans réagir. Amis, ennemis ? Nous dû nous poser dans une zone de sable extrêmement fin. À avons besoin de la confirmation par radio qu’il s’agit bien de la première tentative, Barbosa [le pilote du capitaine Giterroristes avant d’ouvrir le feu. À la première rafale d’obus, raud, NDLR] a ­remis les gaz à moins de 10 mètres du sol : les gars détalent. Ils fuient pendant que nous “Cette opération a nous ne ­savions plus où nous étions. La deuxième tentative ne fut pas plus fructueuse finissons de traiter l’objectif. L’énorme boule de feu qui s’élève nous confirme que ces sûrement été la plus et, quand nous avons repris de l’altitude, la combattants sont extrêmement bien armés. À éprouvante de toutes” tension dans le cockpit a vraiment commenmi-parcours, nous devons faire escale à Tombouctou pour cé à se faire sentir. Mais il fallait y ­retourner et ­reprendre le nous ravitailler en kérosène. Nous profitons d’une paillote fil des procédures pour dompter la peur avant qu’elle ne dans l’enceinte de l’aéroport pour boire un soda bien frais et nous envahisse. C’est le ­sergent-chef Alice qui nous a tirés manger un ragoût de chèvre. Après un mois de rations de de là en déposant un repère lumineux qui nous a permis d’atterrir tant bien que mal. Ce soir, Barbosa et moi nous combat, quel bonheur ! 19 février, Gao. Les gars jouent à la belote, je regarde nous sommes fait peur. Avril 2013, retour en France. Cette opération a sûrement Mafia Blues quand l’info tombe à la radio. Des légionnaires du 2e REP ont des ennuis dans le massif de l’Adrar. Je fonce été la plus éprouvante de toutes. Les conditions climatiques prendre les ordres et les dernières infos pendant que pilotes extrêmes, l’absence de confort, les dangers du sable, des GAT et mécaniciens courent aux machines. Vingt minutes de armés et ­motivés. Mais je reviens, cette fois, avec le sentivol pour rejoindre la zone. Je comprends, à la radio, à quel ment d’avoir été véritablement soutenu par la population. point la situation est pourrie. Les gars du REP sont bloqués Cette liesse, si souvent visible du cockpit, compensait, au pied d’un monticule rocheux d’une cinquantaine de largement, la difficulté de tuer. J mètres d’où ils n’ont pu déloger un groupe de GAT. (*) Le nom a été modifié.

Le capitaine Giraud se repose auprès de sa machine. Dans le sac posé au sol, tout le nécessaire pour tenir quelques jours loin de la base.

‘‘Les rafales de canon partent les unes après les autres. Plus d’une centaine d’obus en dix minutes”

Avant de repartir sur les traces des terroristes, le Tigre est réarmé par les soldats.

Dans une des bases militaires maliennes de la région de Gao, les restes d’un hélicoptère de combat Mi-24 saccagé par des groupes ennemis.

Entre deux missions, les militaires assurent eux-mêmes les tâches d’un quotidien spartiate.


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