Dans la gueule du monstre.

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Tout en images Afghanistan

dans la gueule

du monstre Pour le compte de l’armée française, cet énorme avion russe, l'Antonov 124, rapatrie le matériel militaire. “VSD” était à bord. t e x t e s e t p h o t o s P a r N i c o l a s M i n g a s s o n p o u r V SD

Trésor de guerre

Quatre hélicoptères Gazelle et deux conteneurs KC20 sont arrimés avec un soin extrême. La soute n’est pas pressurisée, impossible donc de vérifier le matériel en vol. Le chargement est modeste ­aujourd’hui. Longue de 36  mètres, la soute d’un Antonov 124 peut embarquer jusqu’à 120 tonnes de fret, ce qui fait de lui le deuxième plus gros porteur au monde.


“Avec les Russes, ça ne traîne pas ! Ce sont des bourreaux de travail, jamais ­fatigués, hyper-efficaces”

Opération commando à Kaboul

Tout va très vite. Un seul objectif : ­ repartir dès que possible pour profiter de l’air frais et dense de la nuit. Sergueï surveille le plein de kérozène pendant que les Gazelle sont chargés, avec d'infinies précautions, sous le regard des militaires français. Trois heures plus tard, les sangles d’amarrage sont tendues tandis que, au-dessus de la soute, l’équipage se prépare déjà à décoller.


S

quittent le sol. Kaboul s’étire sous nos ur le tarmac de Marseille-Maripieds. Les dernières lumières dispagnane, un ­Antonov 124 –  l’un raissent. Nous obliquons plein ouest, des plus gros avions du monde  – direction Bakou, où une escale de toise tous les autres appareils. vingt-deux heures est prévue pour Cela fait des mois que la France que l’équipage se repose. La tension affrète ce monstre des airs, du décollage passée, Youri se détend, ­capable de rapatrier d’Afgha­ fier de piloter cet avion, fier qu’il soit nistan les tonnes d’armes et de fait appel à des équipages russes : « Cet matériel déployés depuis dix ans. avion, c’est le sommet d’une carrière. L’équipage s’apprête à décol­ler C’est une immense responsabilité. Et pour ­Kaboul, où il se trouvait trois jours plus tôt. nous [les Russes, NDLR]sommes les « L’automne est revenu et nous pouvons enfin seuls à posséder un tel appareil. » reprendre les vols, explique Youri, le commanEn vol, la vie s’organise entre les dant. En été, l’air manque de densité et ­l’Antonov relèves de postes, les phases de 124 perd 40 % de ses capacités. Or, avec le retrait ­repos, les cafés et les collations. des Français, la cadence s’est accélérée. Un mois ­Andreï, l’un des trois radios, fait que nous sommes partis de la maison ! Mais ­voler aussi office de cuisinier. Il propose sur cet avion est un privilège. » À la fin de la rotation, à tout le monde une soupe déliÀ bord, vingt-sept membres d’équiaprès trente heures de voyage, l’appareil cieuse avec une ­extrême gentillesse. page, tous russes. L’appareil appartient et son équipage se posent à Pau. Ici aussi, le ­moral passe par l’estoà la 224e unité de l’armée de l’air mac. Alors que le plan de vol russe, spécia­lisée dans le transport Bakou J  J  J m’étonne, Édouard m’éclaire : « Nous ­volons Édouard à déjà ouvert la de fret. « Nous avons rapatrié deux   Paris kaboul trappe de la soute : « Nous plein nord parce que le survol de l’Iran et du hélicoptères Tigre, des chars et des n’avons pas une minute à Turkmé­nistan nous est interdit. Ce qui rallonge canons. Tout rentre dans notre perdre. Plus vite nous partirons, notre vol d’au moins deux heures. » ­avion, énumère Édouard, l’un des Trente heures plus tard, nous piquons sur Pau, meilleures seront les conditions. » ­radios : chars AMX 10, VAB1, Caesar2, Pierre, le directeur de vol de la so- notre destination finale. Au loin, les Pyré­nées muni­tions… » Comme le Pakistan a fermé sa frontière et que les routes terrestres ­restent ciété franco-russe ICS Unité 224 qui exploite bouchent ­l’horizon. La piste est courte, Igor dangereuses, un pont aérien s’est installé dans l’avion pour l’armée française, confirme : « Avec ­inverse la poussée, faisant hurler les réacteurs. le ciel de ­Kaboul. Depuis janvier 2012, cent eux, ça ne traîne pas ! Ce sont des bourreaux de Une fois encore, c’est la course contre la montre. Après Pau, Youri et son équipage doivent trente vols ont déjà été effectués et il en reste travail, jamais ­fatigués, hyper-efficaces. » Il fait frais sur le tarmac. Autour de l’appareil, ­rejoindre la région de Londres où ils embarqueenviron deux cent cinquante à effectuer. À bord, rien ne ressemble à un avion conven- c’est l’effervescence. Les Français approchent les ront d’autres hélicoptères, toujours à destination hélicoptères Gazelle, Sergueï de Kaboul. Là-bas, pour les Britanniques, la tionnel. Pour rejoindre le cockpit, il faut emprunter une lon- Pas un mot. Chacun contrôle le plein de carburant, guerre est loin d’être terminée, et pour les ­troupes gue échelle suspendue dans le connaît son boulot, les Alexeï procède à l’inspection sur place, les ravitaillements se poursuivent. J de l’avion dont la gueule (1) Véhicule de l’avant blindé, transport de troupes. vide, puis se faufiler à travers gestes suffisent s’ouvre lentement, ­tandis que (2) Camion équipé d'un système d’artillerie. une trappe, qui sera ensuite verrouillée pour isoler l’équipage de la soute non le train avant s’abaisse pour ­faciliter le chargepressurisée. Sous les pas de Youri, l’aluminium ment des quatre engins qui patrouillaient aupa­ Afghanistan grince. J’ai le sentiment de pénétrer dans un sous- ravant au-dessus de la vallée de la ­Kapisa. Avec marin. En fait de cockpit, je découvre, outre d’infinies précautions, des soldats français gui­l’immense poste de pilotage où déjà six personnes dent les ­machines le long de la rampe. Au fond s’affairent, un long couloir sombre et étroit où de la soute, Alexander manipule le treuil avec L’essentiel se fait par la voie aérienne. Selon l’on se croise avec difficulté. Dans une des deux doigté. Centimètre par centimètre, les héli­ petites cabines, Nikolaï, un des trois copilotes, coptères rejoignent l’emplacement où ils sont le gouvernement, les opérations devront être travaille aux ­dernières données du vol. Au-dessus solidement arrimés. Entre les Russes et les terminées à la fin de l’année 2013. de lui, à peine visible sous une couverture, un ­soldats français, pas un mot. Chacun connaît u total, la France doit rapatrier d’Afghanistan son boulot et les gestes suffisent. Et même si, autre se ­repose sur une étroite couchette. plus de 1 100 véhicules et 1 550 conteneurs À l’arrière, dans la cabine passagers, parfois, les Français semblent étonnés par la (680 véhicules et 1 240 conteneurs se ­l’ambiance diffère. Y sont ­installés tous les autres ­façon de faire de leurs acolytes, ils finissent par trouvent toujours sur le sol afghan). Cela va des membres de l’équipage : mécanicien, « load­ convenir que leur technique était la bonne. stocks de munitions aux ­véhicules blindés, en Trois heures après notre arrivée, la gueule du master », responsable du carburant et personnel passant par du matériel de soutien (ravitaillement, accompagnant, qui ne sont jamais autorisés à monstre se referme déjà. Derniers contrôles santé, ­mécanique, etc.). prendre place dans le cockpit. Ils savent qu’à ­autour de l’avion. Tout est clair, les portes se La route Sud, vers le Pakistan, est toujours fermée ­Kaboul il faudra tout donner pour repartir le ­referment sur la nuit afghane. Surprise : Youri, pour des raisons techniques et diplomatiques. plus vite possible. Alors ils se reposent pendant le commandant, m’embarque dans le cockpit, La route Nord, sérieusement envisagée par les les huit heures qui nous séparent de la capitale où il m’installe entre lui et son copilote. Dans états-majors, pourrait être empruntée dans afghane. À peine avons-nous décollé de mon dos, le navigateur, le radio et le mécanicien. les prochaines semaines. Mais pour l'instant, ­Provence que surgissent matelas et oreillers. ­Devant nous, la longue piste se devine grâce aux l’intégralité de ces ­matériels et équipements Chacun déplie un lit de fortune. Encore quelques centaines de spots lumineux. quittent l’Afghanistan par la voie ­aérienne. Ça L’autorisation de décollage tombe enfin. Sous minutes et, n’était le vacarme des réacteurs, nous coûte cher : un Antonov se loue en moyenne pourrions ­entendre un concert de ronflements. les mains d’Igor, le chef pilote, les presque 100 22 000 euros de l’heure. Trois heures du matin. Les lumières de tonnes de poussée des quatre réacteurs. L’avion Certains vols voient leur fret déchargé dans des ­Kaboul grossissent à mesure que nous descen- s’élance. À 250 km/h, Youri tire sur le manche. pays du Golfe, le trajet final jusqu’à ­l’Hexagone se dons. Sur la piste, l’avion roule encore, mais Le nez de l’immense albatros se lève, ses roues faisant alors par bateau. Mais les cargaisons

Livraison

“Piloter cet avion, c’est le sommet d’une carrière. C’est une immense responsabilité”

Le retrait du matériel

A

Équipage d'élite

Dans le cockpit : à g. Youri, le commandant, à dr., Igor, le chef pilote, fiers de voler sur une telle machine. En bas, Nikolaï, copilote, travaille sur les données du vol tandis qu’Alexander, navigateur, va se reposer.

les plus ­sensibles, comme les ­hélicoptères, sont acheminées en Antonov 124 jusqu’en France. J N. M.


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