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Émilien Buisson, mon dernier hiver
Alors que le team français Decathlon Experience part à la conquête de la Visma Ski Classics, Émilien Buisson annonce son retrait après la saison. Un nouveau défi l’attend : il a créé une application qu’il entend faire prospérer.
“Ce sera mon dernier hiver. » C’est la voix sereine mais un tantinet nouée qu’Émilien
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Buisson annonce la nouvelle. Il lui a fallu beaucoup d’énergie pour prendre sa décision, au point qu’il s’est retrouvé les batteries à plat. Or, ceux qui le connaissent le savent, il en faut beaucoup pour que l’homme perde pied.
Un mardi du mois d’août. Le Team
Decathlon Experience, né de la fusion de e-Liberty Ski Team et du Team Nordique Crédit Agricole Franche-Comté, est en stage dans le Jura. En début d’après-midi, les athlètes quittent le camp de base de Prénovel pour une sortie à ski-roues. Émilien Buisson prend le volant du minibus de l’équipe pour suivre ses troupes. Après quelques kilomètres, il s’aperçoit que les filles ont disparu. Plus exactement, elles ont pris l’itinéraire en sens inverse. Pour celui qui est encore leur entraîneur, il s’agit donc de les retrouver et les remettre sur le droit chemin.
Depuis des années, le Haut-Savoyard ne panique pas quand ça tangue ou que la mer se fracasse violemment sur la proue du navire. Son quotidien est rempli de ces contrariétés qui en feraient disjoncter plus d’un. Mais lui, cela lui convient plutôt. Comme au matin de la course italienne La Marcialonga quand vingt centimètres de neige sont tombés la nuit sans que ce soit anticipé lors du fartage des skis, et qu’un de ses coureurs ne met plus la main sur ses chaussures.
« J’adore résoudre les problèmes. C’est mon travail », lâche-t-il. « Il apporte de la sérénité, traduit son ami Pierre Belingheri, entraîneur de Féclaz Formation Longue Distance [lire par ailleurs] avec qui il partage encore des séances de sport. Il est apaisant. Mais il ne faut pas se tromper. Derrière son look décontracté, c’est quelqu’un de rigoureux et de travailleur. » En fait, Émilien Buisson puise sa satisfaction dans la quête de solutions. « Pour moi, ce sont des défis, assure-t-il. Cela ne m’angoisse pas. »
Famille de « chercheurs »
La recherche, c’est en fait une histoire de famille. Rémi, son frère aîné, est... carrément chercheur. Après avoir passé sa thèse au Canada, connu les bancs de Harvard, la célèbre université privée américaine située à Cambridge, il a ouvert son propre laboratoire à Los Angeles, aux États-Unis. Un frenchy financé par les Américains, ce n’est pas courant.
La fratrie a fait du chemin depuis l’enfance passée à Monnetier-Mornex (74), une commune proche d’Annemasse, donc de Genève où travaillaient les parents. C’est qu’enfants, les deux frangins sont diagnostiqués dyslexiques. « Ils étaient studieux, mais ils prenaient du retard. On leur a dit que ce n’était pas une raison pour baisser les bras », raconte Guy, le papa. Rémi n’a qu’une idée, poursuivre des études en biologie. Cette détermination sert de « moteur », d’« exemple » à son benjamin.
Émilien Buisson avec Antoine Tarantola, lors d’un stage dans le Jura.
b NORDIC MAGAZINE
« Je me nourris de la réussite des autres », concède celui que l’on surnomme Mimil. « Je suis peut-être un vampire », s’amuse-t-il, sourire aux lèvres. En tout cas, il appréhende autrui dans sa globalité. « L’équipe lui doit beaucoup, assure la fondeuse de Praz de Lys-Sommand Marie Kromer. Il nous a poussés sportivement, mais aussi en dehors des pistes. Il nous a toujours encouragés à réussir à côté. » Le fameux double projet. « Dans un groupe, il porte attention à tout le monde, pas seulement à ceux qui occupent le devant de la scène », complète Pierre Belingheri.
De son côté, Émilien Buisson a cheminé, non sans avoir un rapport ambigu avec l’autorité. À l’école, ce n’était déjà pas sans poser problème. Progressivement, il a compris qu’il ne pouvait défaire l’écheveau qu’en prenant la place de celui qui commande. Tout simplement. Une méthode qui a son lot de violence.
En s’apprêtant à quitter le bord, il montre qu’il n’est en tout cas pas vissé à son siège. « J’ai l’impression que le job a été fait, explique-t-il. J’ai franchi la ligne d’arrivée. »
La force de ses faiblesses
L’homme marche à l’ambition. « Je n’ai plus aucune limite. J’ai besoin que l’on gagne la Vasaloppet [N.D.L.R., la plus grande course populaire du monde]. Je sais que l’on peut le faire. » Cette assurance revendiquée enthousiasme Alexis Jeannerod, le leader de Decathlon Experience: « J’aime bien être décomplexé. On ne peut pas battre quelqu’un si l’on se situe en dessous de lui, décrit le Pontissalien. Je suis pressé d’attaquer la compétition avec Émilien. Il a besoin d’adrénaline. Il sait se transcender quand arrive le stress. » Le premier Français au classement général de la dernière édition de la Visma Ski Classics le décrit comme un « meneur d’hommes ».
« J’ai confiance en moi », lâche l’intéressé. On pourrait y voir de la prétention, c’est tout le contraire. « C’est quelqu’un qui est humble », confirme Pierre Belingheri. Il a une parfaite connaissance de ses lacunes et de ses faiblesses. Et c’est cette clairvoyance qui lui donne de la force et, parfois, de la dureté. « Quand c’est non, c’est non », assure-t-il. « Qui ne connaît pas ses défauts ne se connaît pas lui-même », dit un proverbe chinois. « Oui, •••
À Livigno, en Italie, lors d’une course de la Visma Ski Classics.
b E-LIBERTY SKI TEAL
Émilien Buisson et son frère Rémi, chercheur aux États-Unis.
b ÉMILIEN BUISSON
Un entraîneur à l’écoute des athlètes.
b E-LIBERTY SKI TEAM Enfant, à la découverte de la montagne avec son père.
b GUY BUISSON
il avoue ses limites. Ce n’est pas pour autant que ça le rend faible », prévient Alexis Jeannerod.
La compétition pour moteur
En fait, c’est le sport qui a permis au Haut-Savoyard de tracer les frontières de son territoire. « J’adore l’effort physique », concède celui qui, à douze ans, a laissé ses empreintes au sommet du Mont-Blanc. « Je le sentais capable de faire l’ascension, se rappelle son père qui l’accompagnait. Il est d’ailleurs arrivé en haut avant moi. »
Guy Buisson reconnaît que la haute montagne lui a permis de gagner en assurance... comme le ski de fond a offert à son fils de s’affirmer: « On a un peu le même caractère. »
« J’adore gagner », rebondit Émilien qui est passé par le lycée du Fayet, avant d’évoluer en ski-club, au Pays Rochois puis au Grand-Bornand. C’est là, au pied des Aravis, qu’en 2006, à peine âgé de dix-neuf ans, avec une « toute petite bande », est né le team Haute-Savoie Nordic (HSN). Il y avait Mathias Wibault, Ivan Perrillat-Boiteux ou encore Geoffroy Pais. Quatorze ans plus tard, le bilan est exceptionnel. « On est allés au bout de nos rêves. On voulait gagner la Transjurassienne, courir en coupe d’Europe », se rappelle le pionnier. La course jurassienne deviendra leur jardin, la FIS Worldloppet Cup leur royaume et, au lieu d’OPA Cup, pour Perrillat-Boiteux, ce sera, avec l’équipe de France de ski de fond, une médaille de bronze au relais 4 x 10 km des Jeux olympiques de Sochi de 2014, en Russie. Rien de moins!
42 | nordic MAGAZINE ‘‘Pierre Tichit, président de l’association Decathlon Experience. | n°34
Un palmarès qui s’est construit pierre après pierre. « On a souvent joué notre survie », insiste-t-il. Beaucoup ont contribué à écrire l’histoire, qu’il s’agisse de François Gaillard, Christophe Perrillat, Jean Herrody ou Alban Gobert qui a dépensé beaucoup d’énergie à construire le projet professionnel qu’est finalement devenu Decathlon Experience. « Aujourd’hui, nous fonctionnons comme une entreprise. Nous n’avons jamais été aussi forts », se félicite Émilien Buisson qui, en parallèle, a créé une start-up.
L’aventure Hbond
Nous y voilà. Il y a quelques mois, il a imaginé une application qui favorise la vente de matériel quand celle-ci implique un prescripteur. Par exemple, lorsqu’un pratiquant désireux •••
La première promotion comprend dix-neufs jeunes skieurs.
b QUENTIN JOLY/JOLYPICS
Decathlon Experience se dote d’un centre de formation
d’acheter une nouvelle paire de skis interroge un moniteur, celui-ci sélectionne le produit le plus adéquat pour lui. Il lui envoie alors les références par mail. À l’intérieur se trouve un lien qui donne accès au site de la marque. Quand la commande est validée, l’« exsuis levé, j’ai écrit plein de choses », raconte-t-il. Suivent six à huit mois de maturation.
Le storytelling se poursuit lors du confinement décidé au printemps pour combattre la pandémie de coronavirus. Adrien Rochedy assure le développement, d’autres associés apportent leurs idées, des équipementiers sont contactés. Déjà une quinzaine a été intégrée, une trentaine a exprimé son intérêt. L’activité de la start-up s’est encore accélérée quand elle a rejoint un incubateur d’entreprises. Le nom de la société, c’est Rémi Buisson qui l’a trouvé: Hbond, comme l’hydrogène qui sert de lien entre deux brins d’ADN. Maxime Grenard comme successeur
Il devenait dès lors difficile pour le petit frère de combattre sur deux fronts à la fois. En septembre, il a dû se rendre à l’évidence et a réuni les athlètes de Decathlon Experience pour leur dire qu’il était temps pour lui d’organiser son départ. Une transition qu’il souhaite paisible et veut réussir. Il entend aussi transmettre son savoir-faire et son livre de recettes. « Il a une expérience que personne n’a en France sur les longues À la sortie de l’hiver, deux teams tricolores qui allaient ensuite fusionner pour donner naissance à Decathlon Experience, s’associaient au club des sports de La Féclaz pour créer un centre de formation. « Un certain nombre de jeunes sortent de la catégorie U20 sans avoir rempli les objectifs fixés au niveau fédéral et se retrouvent sans projet. L’idée est donc de s’adresser à eux en leur proposant une continuité, explique Marc Desseux, qui dirige toute la partie administrative de la structure. Dans notre système, les jeunes ne changent ni de club ni de comité, leur point d’ancrage reste donc le même. » La première promotion comporte une vingtaine de skieurs, qu’entraîne Pierre Belingheri, aidé de Thomas Chambellant. Au cours de l’été, plusieurs stages et des séances d’entraînement leur ont été proposés. Avant le coup d’envoi de la saison hivernale, « tous les voyants sont au vert », se félicite le coach. Il apprécie la cohésion qui s’est installée, malgré l’hétérogénéité des profils. « Les athlètes se sont bien approprié le projet. Ils participent pleinement à son fonctionnement. » Certains espèrent pouvoir disputer des compétitions de fond spécial ; d’autres courront des longues dis-
pert » reçoit une commission.
« L’idée m’a réveillé une nuit. Je me
tances. distances. Il connaît les parcours, les fartages, les lieux où doivent s’opérer les ravitaillements », énumère Pierre Tichit, le président de l’équipe.
Maxime Grenard le remplacera en tant qu’entraîneur, mais il interviendra encore sur chaque course comme « expert » avec le désir profond d’en « profiter ».
Quant à tout ce qu’il a appris saison après saison, cela va lui servir pour atteindre le nouveau but qu’il s’est fixé. « C’est un compétiteur, il sait où il va, avec son entreprise, comme lorsqu’il est coach », affirme Pierre Belingheri à propos de son témoin de mariage.
Confirmation: Émilien Buisson s’est déjà fixé un cap: « Mon ambition, c’est de dézinguer Amazon mil. n ». Foi de Mi-