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Martin Fourcade. Sa nouvelle vie

Le 15 mars dernier, Martin Fourcade a mis un terme à sa carrière à Kontiolahti en Finlande. Si le sport reste moteur dans sa vie d’après, la compétition ne l’est plus. Ambassadeur, porte-parole, organisateur d’évènement… son activité s’est diversifiée, toujours guidée par sa volonté que chaque projet fasse sens.

“Je ne suis pas le type le plus souriant. » Ce n’est pas un euphémisme, juste une vérité même si elle ne s’accorde pas toujours avec l’image qu’on en avait. Athlète, Martin Fourcade souriait rarement. Il riait beaucoup quand il grimpait sur le podium. Grognait souvent et s’indignait parfois aussi. Sourire moins. Il le sait et n’a pas peur de l’affirmer.

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publie un texte sur ses réseaux sociaux. « Il y a des décisions quintuple champion olympique qui annonce ranger sa carabine. « Au moment de vous dire au revoir, je suis si ému mais apaiLes heures précédentes, il a prévenu sa famille, ses amis et quelques médias. Il a notamment appelé Tony Estanguet, le patron des Jeux olympiques de Paris en 2024. « Je ne poule triple champion olympique dans Le Parisien – Aujourd’hui n’est pas une décision facile, traite réfléchie et souhaitée, prise le 15 mars dernier en Finlande avec une ultime victoire sur la poursuite de Kontiolahti, là même où dix ans plus tôt il avait engrangé le premier de ses quatrevingt-trois succès en carrière, semble avoir brisé les chaînes et laissé le flux des émotions enfin s’écouler. « Je ne regrette rien, confie-t-il. Il ne fallait pas arrêter plus tôt mais pas continuer plus longtemps. J’ai pris la bonne décision. Il n’y a pas une fois où je me suis dit: je me suis trompé. Tout ce que j’ai vécu depuis l’arrêt me conforte dans ma décision. Je me sens détendu et plus à ma place aujourd’hui. »

Il se découvre, serein et apaisé. Plus souriant aussi. Les deux mois de confide coupe du monde au printemps lui ont permis de passer du temps en famille « à se retrouver tous les quatre, se découvrir et profiter, raconte-t-il. Avec les années, la distance était pesante. Je n’ai pas beaucoup vu Manon [N.D.L.R., sa fille aînée de cinq ans] grandir. J’ai envie de profiter des prochaines années car je ne les revivrai pas. C’est chouette de voir grandir ses enfants [N.D.L.R., il a deux filles] ».

Le temps des engagements L’écriture de son deuxième livre, Un dernier tour de piste, publié fin septembre, a été une façon aussi de « poser les mots » sur son choix, ce passé omnipotent et ce futur à baliser de nouvelles intentions. « J’ai pris du temps pour penser, je ne me suis pas jeté à corps perdu dans tout ce qui se présentait, affiche-t-il. J’ai réfléchi au sens que je voulais donner à mes engagements. Je ne voulais pas les multiplier. J’ai voulu voir quelles étaient les valeurs qui comptaient pour moi ».

On est en septembre, à Puigmal dans les Pyrénées-Orientales. Rossignol a

« Il y a des décisions qui changent une vie »

13 mars 2020. Depuis la Finlande, Martin Fourcade qui changent une vie », écrit le

sé », ajoute-t-il.

vais que le féliciter », déclare en France. Et d’ajouter: « Ce nement à la sortie de sa dernière saison

Il y avait comme une retenue. Sa rec’est une partie de nous qu’on tue (…) ». Plus tôt, Marcel Fourcade, occupé à petit-déjeuner en lisant la presse, a aussi entendu son téléphone sonner. C’était son fils Martin. « J’ai compris avant qu’il n’ouvre la bouche », témoigne le papa dans L’Indépendant. Il ajoute: « C’était sa dernière saison pour plein de bonnes raisons ». Simon a lui aussi eu son petit frère au bout du fil: « Je suis très heureux qu’il prenne sa décision de cette manière. Il l’a prise tout seul, en son âme et conscience et en pesant le pour et le contre. » Brice, le troisième homme de la fratrie, moniteur de ski à Font-Romeu, confie: « Je l’ai trouvé serein, tranquille, lucide. » C’est enfin dans une chambre de l’hôtel où ils étaient logés que ses coéquipiers ont été regroupés pour apprendre la nouvelle. À la veille de la dernière course de la coupe du monde de biathlon amputée par le coronavirus, la chaîne L’Équipe improvise une émission spéciale. « J’ai beaucoup pleuré en écrivant ce communiqué, en allant chercher au plus profond de moi-même les mots justes », témoigne le sportif à l’antenne tandis que les hommages pleuvent. Il raconte encore que le ciel s’est éclairci le jour du relais d’Antholz, après la victoire de l’équipe de France. Il se remémore ses larmes qui n’avaient d’ailleurs pas échappé aux observateurs. « J’ai compris que c’était le signal, qu’il fallait que je passe à autre chose », confie-t-il. L’Histoire retiendra que Martin Fourcade, maillot jaune sur les épaules, a gagné la dernière course de sa carrière, mais qu’il a aussi perdu, pour deux points, le gros globe de cristal. Le Norvégien Johannes Thingnes Boe a été le plus fort, malgré son congé paternité. « Il n’y a pas de regret à avoir », estime Vincent Vittoz, l’entraîneur des tricolores. Cette dernière danse aurait pu être festive, partagée avec le public. Elle s’est déroulée à huis clos par la faute de la Covid-19.

convié une quinzaine de journalistes pour présenter le projet de reconversion de la station pyrénéenne en « station quatre saisons » par l’intermédiaire de son service Outdoor Expériences. Bruno Cercley, le président du groupe Rossignol, s’est déplacé, emmenant dans ses bagages Martin Fourcade. Le néoretraité se fait le porte-parole du projet de la marque iséroise, dont il est l’ambassadeur, sur ces pentes qui l’ont vu faire ses premiers virages en ski alpin. Même s’il se plie au jeu des questions et des photos, le quintuple champion olympique n’est pas là pour parler de lui, de secondes ou de balles manquées derrière la carabine, « sinon il n’aurait pas fallu que j’arrête », mais de sport et d’environnement. « C’est une orientation que je prends car je suis sensible à ça, lâche-t-il. C’est ce que j’ai envie de transmettre à mes enfants et l’univers dans lequel j’ai envie d’évoluer. »

Il ne force pas le trait. Ce sont des engagements qu’ils ne pouvaient pas porter auparavant. Il a le temps désormais. Les différentes discussions entreprises à la sortie de l’hiver avec ses partenaires lui ont permis de les formaliser et de choisir la façon de les conduire. Il a été entre autre amené à reconsidérer son rôle pour les années à venir. « Ce qui nous a fait vibrer ces dernières années ne nous fera plus vibrer demain avec Martin, résume Bruno Cercley. On a fait un contrat avec lui il y a deux ans pour la durée de toute sa carrière sportive plus trois ans une fois que celle-ci serait terminée. On s’est calé là-dessus. Ça nous permet de travailler certains Arriver à savoir pourquoi ‘‘Martin Fourcade sujets et des programmes sur la du- tu te lèves rée. Pour lui, c’est intéressant car c’est du contenu plus valorisant que faire le le matin… sandwich publicitaire. » Sandie Tourondel, responsable de c’est un défi la communication internationale des au quotidien.athlètes au sein du Groupe Rossignol, appuie: « On s’est demandé ce que le public voulait voir de Martin. Je pense que lui aussi la cherche cette image. On est là pour l’aider. Ce qu’on fait avec le concept Outdoor Experience mais aus- des actions avec des athlètes ou des sasi le programme Respect (programme lariés du groupe… On réfléchit à ça. » environnemental et sociétal) lui corres- Et de préciser: « On a un rôle d’accompond totalement. » pagnateur. On l’a toujours eu. Il est dif-

Son rôle d’égérie n’a pas disparu, son férent aujourd’hui. On va essayer de le exercice n’est en revanche plus le même. placer dans des interventions avec Bru« Il y a un projet de websérie diffé- no Cercley, notamment pour gagner en rent de ce que nous faisions ces deux notoriété sur d’autres sujets qu’on ne dernières années, avance Tourondel. connaissait pas avec lui. » Martin a envie d’aller à la rencontre Son image comme ses prises de pad’autres athlètes du groupe, de mener role impactent encore le grand •••

Martin Fourcade a remporté la dernière course de sa carrière. Après l’arrivée, ses coéquipiers – ici, Simon Desthieux et Quentin Fillon-Maillet – l’aspergent de champagne.

b MANZONI/NORDIC FOCUS

Martin Fourcade à VTT lors d’une journée presse organisée par Rossignol ou encore lors de l’arrivée du Tour de France à Villard-de-Lans avec Émilien Jacquelin et Christian Prudhomme.

b LUDOVIC CHAUCHAIX | STÉPHANE MANTEY/PRESSE SPORTS

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TIRIL ECKHOFF RÉPOND À SANDRINE BAILLY

LE RÉVEIL DES BIATHLÈTES CHINOIS LE BIATHLON AU TEMPS DE LA COVID-19 public. C’est aussi ça qui plaît à ses partenaires. Mais le cadre n’est plus le même, le biathlon et la coupe du monde ne sont plus sa tribune. Elle est plus politisée aujourd’hui. Lui doit s’adapter. « Je n’aime pas foncièrement la politique, décrypte Martin Fourcade. Dans tout ce qu’on fait, il y en a un peu. Je ne veux surtout pas rentrer là-dedans. Tu te rends compte que tu n’as pas envie de te compromettre, de faire des choses qui ne te conviennent pas. Arriver à définir tes valeurs, arriver à savoir pourquoi tu te lèves le matin… c’est un défi au quotidien. »

Un retraité très sollicité

Il en a souvent été question ces derniers mois à la lecture des différentes requêtes qui ont été faites auprès de son attachée de presse. « On a eu plus de demandes qu’auparavant, explique Manon Mainenti-Merie de l’Agence Olivia Payerne. Il a été invité à des émissions typées people mais d’une façon générale, on cherche moins le sportif mais la personnalité publique. Il va être sur France Inter par exemple pour parler d’actualité. On le souhaite sur des interventions sur la gestion du stress et la gestion de crise. Ce sont des thématiques qui l’intéressent. » Le Catalan qui vit dans le Vercors précise: « J’ai eu des propositions qui ne m’ont pas fait envie. » Il n’a pas été question de tout accepter.

Martin Fourcade construit cette nouvelle carrière comme il a balisé la précédente: il ne s’est jamais précipité et a toujours su dire non quand ça s’imposait. C’est une nouvelle fois le cas. Il a surtout besoin de challenges. L’environnement en est un. Mais pas le seul. « Il y a plein de choses, concède-t-il. Le Nordic Festival me tient à cœur. C’est un outil pour transmettre les valeurs. Il y a des courses pour les enfants. On se retrouve dans un contexte économique où il faut se réinventer. Les évènements sportifs d’hier, si on reste •••

Martin Fourcade dans ses Pyrénées natales, plus précisément à Puigmal dans les Pyrénées Orientales.

b LUDOVIC CHAUCHAIX/ROSSIGNOL

sur l’ancien modèle, ne tiendraient pas longtemps. Le challenge sera permanent. Il y a plein de belles choses à faire. Il y a même trop à faire. »

Il avoue ne pas regarder au-delà de 2024 pour l’instant. Ce sont les JO de Paris pour lesquels il est investi en tant que président de la commission des athlètes. Avant cela, il y a 2022. Choisi par le CNOSF, Fourcade portera à cette date la candidature française à la commission des athlètes du CIO. « C’est une démarche un peu différente. Je ne vois pas ça comme un engagement politique mais comme quelque chose que je fais à l’IBU. J’ai envie de rendre au sport ce qu’il m’a donné. Il faut avoir vécu les JO pour se rendre compte de la force que ça peut avoir. J’ai envie d’être acteur. » Et de préciser: « Cette curiosité et diversité d’activité, elle est riche et elle est intéressante pour aborder ce type de challenge. J’ai envie de découvrir. Peutêtre que ce que j’ai vécu en tant qu’athlète, je n’arriverai pas à le ressentir en tant que représentant. » C’est un nouveau chapitre qui s’ouvre… n

Retour en librairie

En septembre dernier, Martin Fourcade a publié Un dernier tour de piste aux Éditions Marabout. C’est un journal de bord rédigé au jour le jour que nous livre le quintuple champion olympique, épaulé dans la rédaction par l’ancien journaliste Jean Issartel: du premier jour de compétition jusqu’au franchissement de l’ultime ligne d’arrivée dix ans jour pour jour après sa première victoire, épilogue d’une saison haletante bouleversée par la crise sanitaire et point final d’une carrière en or. Si, dans Mon rêve d’or et de neige paru en 2017, l’ex-biathlète revenait sur ses origines, les grands son expérience et ses moments de sa carrière émotions avec le public et racontait sans fard à qui il n’a pas pu dire ses ambitions, dans ce au revoir en raison de la second ouvrage, il se met Covid-19. à nu. Il se confie pleine- Sa dernière course s’est ment sur ses craintes, déroulée à huis clos et le le goût de la victoire Nordic Festival d’Annecy retrouvée après un hiver de septembre a dû être compliqué, l’adversité. annulé. Il partage sa réflexion au- Le texte est illustré par tour de sa fin de carrière. Oksana Pinchuk, une On y retrouve jeune Russe de 14 le sportif, ans. Passionnée y découvre de biathlon, elle l’homme et le postait régulièpère. rement sur les En somme, Un réseaux sociaux dernier tour de les dessins de son piste est pour athlète préféré: Martin Four- Un dernier tour de Martin Fourcade. cade un moyen piste, éd. Mara- Ce dernier s’en de continuer bout, 216 pages, est aperçu et a à partager 19,90 euros. fait appel à elle.

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