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Kaisa Mäkäräinen. Dernières confidences

C’est une grande championne de biathlon qui, en mars dernier, a tiré sa révérence. Pour Nordic Magazine, la Finlandaise Kaisa Mäkäräinen se souvient des temps forts de sa longue carrière.

En mars dernier, la biathlète finlandaise Kaisa Mäkäräinen, trente-sept ans, a mis un point final à sa carrière internationale. La fin d’une aventure qui aura duré pas moins de quinze hivers. C’est à l’issue des courses de Kontiolahti, les dernières avant que la Covid-19 ne stoppe tout, que l’enfant du pays a tiré sa révérence.

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Sans spectateur pour saluer une dernière fois la championne qu’elle est. Kaisa Mäkäräinen n’en a pas été plus affectée ou frustrée que cela: « Je ne voulais pas voir beaucoup de monde. Il y aurait eu des larmes, des câlins… Pour moi, le plus important était que mon équipe et mon entraîneur personnel Jarmo Punkkinen qui ne serait pas allé à Holmenkollen, soient là autour de moi. »

La veille au soir, à la surprise générale, Martin Fourcade avait également sifflé la fin de la partie. Un timing qui n’a pas influé sur les projets de la Finlandaise. Au moment choisi, elle a pu-

blié un message sur les réseaux sociaux; c’était juste avant de partir pour les tests de ski et de tir. Puis, comme si de rien n’était, elle a rangé son smartphone dans son sac et s’est concentrée sur ce qu’elle avait à faire les skis aux pieds. Histoire de signer une happy end.

Calvaire olympique Aujourd’hui, elle peut enfin souffler: « C’est bien de ne rien faire de spécial. » Ce qui ne signifie nullement qu’elle est restée inactive. Depuis le début du printemps, on a vu la championne remettre les skis de fond à Kontiolahti le jour de Pâques, courir dans le parc national de Koli, rouler à Joensuu autour de chez elle ou coacher les jeunes pousses de Vuokatti. « Le biathlon a toujours été ma passion et le sport sera toujours important dans ma vie. Je ne sais pas quel genre d’existence j’aurais mené sans », avoue celle qui n’exclut pas de replonger un jour dans le grand bain. Sa vocation lui est venue lors d’une coupe du monde organisée chez ••• n°34 | nordic MAGAZINE | 77

elle, en décembre 2003. « J’étais notamment chaperon pour les contrôles antidopage [N.D.L.R., elle le sera de nouveau aux Mondiaux juniors de 2005 avec Simon Fourcade et Emil Hegle Svendsen]. Je me souviens que je courais après Uschi Disl et Liv Grete Poirée après les compétitions », s’amuse-t-elle. C’est emportée par cette semaine où elle s’est aussi occupée des Autrichiens qu’elle a décidé qu’elle disputerait à son tour des compétitions internationales.

Sa première course à l’étranger, elle l’a vécue en France. C’était les championnats du monde jeunes de janvier 2004, à Bessans: « Sandrine Bailly encourageait sa sœur [N.D.L.R., Anne Lise]. C’était cool de la voir là-bas. »

Des départs, Kaisa Mäkäräinen en a pris tant et tant. L’IBU en dénombre 431 en coupe du monde de biathlon, il faut y ajouter le ski de fond, le rollerski... De si nombreuses joutes menées sans perdre son âme. « Merci d’avoir couru avec nous » sont d’ailleurs les mots qu’elle a le plus entendu lors de sa dernière prestation à domicile. « Kaisa était une personne très généreuse. Elle faisait des petits cadeaux, comme pour la naissance des filles », confie d’ailleurs Marie Dorin-Habert, la Française qui a été l’une de ses plus grandes rivales. « J’ai aussi tricoté pour les enfants de Selina Gasparin et d’Ekaterina Yurlova-Percht », complète la Finlandaise, les yeux pétillants.

Des parenthèses inattendues qui n’enlèvent rien à l’adversité, ni à la dureté d’un sport de haut niveau. De

Vue par Anaïs Bescond

« Maka, c’est avant tout une grande dame du biathlon. Elle a été épatante de longévité et de réussite, même si son grand regret restera de n’avoir pas gagné de médaille olympique. Pour moi dont les Jeux ont toujours été un rêve de gosse, je peux comprendre sa frustration. Kaisa est une des rares avec qui on a eu un partage en équipe de France. Elle nous avait sollicités pour se joindre à nous lors du stage estival préparatoire au Blink Festival, en Norvège. C’était vraiment intéressant, mais aussi intimidant. Je n’étais pas encore une biathlète établie. Même si je n’avais pas la maturité nécessaire pour m’enrichir de cet échange, j’en garde un bon souvenir. Maka était une bonne locomotive pour notre groupe et, nous, nous lui apportions le collectif qu’elle n’avait pas en Finlande. En course, c’est souvent elle qui m’a coupé l’herbe sous le pied! Dans mes souvenirs, j’ai deux secondes places [N.D.L.R., mass start de Pokljuka en décembre 2014 et poursuite de Tyumen en mars 2018] où elle me bat au finish, tout simplement parce que c’est une fille beaucoup trop rapide pour mes petites jambes [rires]. J’ai eu beau lutter de tout mon cœur, de tout mon corps et donner toutes mes dernières forces, cela n’a pas pu le faire. Partager un podium avec une grande dame comme elle n’avait décidément pas la même valeur qu’avec une inconnue. »

ses années de biathlète, la Finlandaise retient aussi « le goût du sang dans la bouche, la sueur et la douleur » éprouvées pour arriver au sommet de la hiérarchie mondiale.

Dans cette veine, l’ont aussi marquée « les nuits blanches passées aux Jeux de Sochi et de Pyeongchang à tousser sans pouvoir dormir. » Trop malade en tout cas pour espérer de l’or.

Son palmarès est d’ailleurs resté

vierge de toute médaille olympique, une plaie indélébile dans une carrière couronnée de tant de succès.

Fragile devant les cibles

Kaisa Mäkäräinen est heureusement montée sur le toit du monde lors de la poursuite de Khanty-Mansiysk, en 2011. Elle a aussi totalisé 85 podiums en coupe du monde pour 27 victoires, a reçu trois gros globes de cristal: en 2011, 2014 et 2018.

La première fois, c’est lors de la massstart d’Oslo qu’elle a été sacrée meilleure biathlète de la planète: « Lors de l’entraînement du matin, j’ai parlé, alors que ce n’était pas prévu, avec Raphaël Poirée. Il m’a rassurée avec des mots sages dont je ne me souviens malheureusement plus [sourire]. Avant cette discussion, je doutais et étais stressée. Après, j’étais certaine de réussir. »

« Trois saisons plus tard, enchaîne-telle, j’avais tellement faim après les Jeux de Sochi, que cette couronne a été la plus facile à aller chercher, d’autant que j’étais en forme comme jamais. » •••

Le 14 mars dernier, beaucoup d’émotion pour Kaisa Mäkäräinen lors de sa dernière course.

La troisième et dernière fois, là encore après une déception olympique, elle forçait son destin. Avec quaranteet-un points de retard sur la Slovaque Anastasiya Kuzmina avant le triptyque final de Khanty-Mansiysk, elle arrivait battue sur les bords de la rivière Irtych, en Sibérie. « Après le sprint et la poursuite, j’ai repris miraculeusement la tête pour cinq points. J’étais alors prête à me battre pour le globe. La dernière course était une bataille incroyable et je l’emporte pour trois petites unités », raconte-t-elle, sourire aux lèvres. Un moment incroyable alors qu’elle a déjà 35 ans. « Le globe le plus difficile à conquérir, c’est sans doute pour cela que je l’ai apprécié à sa juste valeur ».

Pour expliquer son long règne, point de botte secrète! « J’ai toujours cherché à progresser, principalement devant les cibles. »

Un point faible qu’elle s’est parfois empressée de glisser sous le tapis, comme elle l’avoue aujourd’hui: « Dès que je pouvais annuler une séance de tir pour une raison quelconque, je le faisais. »

Elle aurait aimé être aidée d’un entraîneur spécifique. « Asko Nuutinen, notre meilleur coach de tir, est subitement décédé en 2017 lorsque Mari Eder s’imposait deux fois à Oslo, explique-telle. Le Russe Anatoly Khovantsev, entraîneur des juniors du club de Kontiolahti, m’a ensuite accompagnée lorsque j’étais à la maison. Vraiment, j’aurais trouvé très intéressant de travailler avec quelqu’un comme Siegfried Ma-

Kaisa était une personne très généreuse. ‘‘Marie Dorin-Habert, championne de biathlon

Elle faisait des petits cadeaux, comme pour la naissance des filles.

zet [N.D.L.R., l’entraîneur français de l’équipe masculine de Norvège]. »

Souvent, Kaisa Mäkäräinen est allée puiser de nouvelles idées à l’étranger, par exemple, à l’été 2019, du côté de Zecamp, chez Marie Dorin-Habert, Loïs Habert et Robin Duvillard dans le Vercors. « J’ai toujours pensé que je pouvais beaucoup apprendre des autres. Je suis vraiment reconnaissante envers toutes les équipes qui m’ont accueillie lors de leurs stages estivaux, comme la Norvège, la Suisse, la France, l’Allemagne ou les États-Unis », remercie-t-elle.

Un mari pour farteur

Ce manque de compétitivité dans son pays, à part l’éclosion de Mari Eder [ex-Laukkanen] en 2017, l’a d’ailleurs obligée à disputer tous les relais en coupe du monde, « pour garder le quota de quatre athlètes », explique la native de Ristijärvi: « Il y a de nombreuses fois où je ne voulais pas courir ces courses, mais je devais le faire pour mon pays », souligne la Finlandaise qui a été inspirée par Liv Grete et Uschi Disl.

Sans une équipe très étoffée autour Le 6 janvier 2011, à Khanty-Mansiysk, en Russie, la Finlandaise ne peut retenir ses larmes. Elle est championne du monde la poursuite.

b MODICA/NORDIC FOCUS

d’elle, c’est tout simplement son mari, Jarkko Siltakorpi, qui lui fartait les skis. « Jarkko est professeur en école primaire et son directeur lui donnait le droit de mettre de côté son travail pour m’aider. Pour être honnête, je n’aurais pas autant performé sur les pistes sans lui », remercie la championne qui a longtemps bataillé avec Darya Domracheva, Magdalena Neuer ou Tora Berger.

Maintenant que sa carrière est terminée, son conjoint est retourné enseigner. Quand il n’est pas en classe, il profite avec elle de la nature. « Nous avons beaucoup de forêts et de lacs mais, depuis que j’ai découvert les montagnes lors d’un voyage en Europe centrale en 2000, j’en suis tombée amoureuse et j’adore y faire des randonnées. »

C’est ainsi que Kaisa Mäkäräinen vit sa nouvelle vie de retraitée. « Maintenant ma plus grande motivation lorsque je sors courir, c’est que je puisse enfin manger des bonbons, des pâtisseries ou des glaces à mon retour », lâche-t-elle. Profiter des petits plaisirs de l’existence, c’est aussi cela la retraite d’une sportive de haut niveau. n

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