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Fabien Claude, le persévérant
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Malgré un talent évident, le Vosgien a tardé à concrétiser les espoirs placés en lui. Sa volonté et un entourage stable l’ont aidé à surmonter les obstacles. Méticuleux voire obsessionnel, il a mûri avec les épreuves et obtenu son premier podium individuel en coupe du monde l’hiver dernier.
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Issu d’une famille de sportifs, Fabien Claude a essayé de nombreuses disciplines avant de se fixer sur le biathlon comme ses frères Florent et Émilien. Christine, sa maman, est d’ailleurs la présidente et fondatrice de son club : le Basse Sur Le Rupt ski nordique.
b LAURENT MÉRAT POUR NORDIC MAGAZINE
Solide comme un sapin des Vosges
La carrière de Fabien Claude a été semée d’embûches. Le Vosgien a toujours réussi à relever la tête. Aujourd’hui, il fait partie du top 5 des biathlètes français.
b LAURENT MÉRAT POUR NORDIC MAGAZINE “Ce n’est pas un sujet tabou, mais je n’ai pas envie de m’étendre tous les jours dessus. » L’exploit de Fabien Claude à Pokljuka au début de l’année 2020 dans des circonstances tragiques le suivra malgré tout toute sa carrière. Le Vosgien a cependant assez de caractère pour assumer.
En Slovénie, le 23 janvier, celui qui a grandi à Basse-sur-le-Rupt (88) est enfin monté sur le podium en coupe du monde de biathlon. Avec son premier 20/20 à la carabine et un courage hors du commun. Les images du jeune homme, yeux rougis après un individuel où seuls le numéro un mondial, le Norvégien Johannes Thingnes Boe, et l’extraordinaire Martin Fourcade s’étaient montrés plus forts, ont tourné en boucle.
Car le plus beau jour de la carrière sportive de Fabien Claude est marqué du sceau du drame. La veille au soir, il apprenait que son père figurait parmi un groupe de touristes français portés disparus au Canada. Habitué des expéditions en Amérique du Nord, Gilles Claude y assouvissait sa passion des grands espaces en motoneige. Six personnes, dont le guide local, ont perdu la vie au cours de cet accident.
Dès l’annonce du fait divers, son cadet savait que les chances de le retrouver en vie étaient minces. « Quand tu vois ce qu’il a réalisé après... J’en ai chialé. » Technicien en équipe de
France de ski de fond après avoir pris soin des lattes de Fabien Claude en IBU Cup, Baptiste Claudon, camarade de massif, a été bouleversé par la résilience de son copain et de ses deux frères, dont Florent [N.D.L.R., membre de l’équipe de Belgique]. « Mon père aurait voulu qu’on coure », glisse sobrement Fabien Claude. « Il a eu une force incroyable. Le C’est un fort caractère. Je le vois comme le chef ‘‘Florian Rivot, coéquipier de Fabien Claude en juniors matin, il avait mal dormi, des cernes... Mon conseil, c’était courir car il était de la fratrie, sur place, se faire plaisir et rentrer en- celui qui la suite s’occuper de sa mère », se souvient le Jurassien Quentin Fillon-Maillet, qui mène vers partage souvent sa chambre lors des stages et des compétitions. l’avant
« Ce sont des moments comme ce- et sait le plus lui-là qui lient encore plus une équipe, reconnaît l’Italien Patrick Favre, entraî- ce qu’il veut. n°34 | nordic MAGAZINE | 27
neur du tir chez les Bleus. Ce soir-là, on ne pouvait pas faire grand-chose pour lui, à part être proche. » Le staff avait proposé à Fabien et Florent Claude de partager la même chambre pour se soutenir mutuellement. « Les coachs et les athlètes ont été formidables. Décrocher mon premier podium ce jour-là, c’est encore plus beau, mais je ne viens pas de nulle part. J’étais bien sûr poussé par une force extérieure. J’ai aimé ce qu’a dit Vincent [N.D.L.R., Vittoz, entraîneur de l’équipe de France] en rappelant que, la semaine d’avant, j’étais cinquième [N.D.L.R., sur le sprint de Ruhpolding en Allemagne]. »
Le skieur moderne
Reste que ce podium se sera fait attendre. Dès ses jeunes années, le garçon était pourtant doué et promis aux premiers rôles en coupe du monde. « Si Fabien a percé et pas nous, c’est parce qu’il était le meilleur », assène Florian Rivot, un autre Vosgien qui, en février 2012 à Kontiolahti (Finlande), associé à Clément Dumont et Aristide Bègue, a remporté le relais des Mondiaux jeunes. Fabien Claude, faute d’avoir brillé sur les épreuves individuelles, était quant à lui sur la touche. « Il a des qualités physiques indéniables et incarne le skieur moderne. Il est ultra-endurant et ultra-explosif. Face à lui sur une piste, il faut déjà s’accrocher. Il était déjà très bon à l’époque en étant un tireur plus que moyen. » Son palmarès dans les petites catégories en ferait pâlir plus d’un: de multiples médailles mondiales, dont les titres du sprint en jeunes en janvier 2013 et de la poursuite en juniors en mars 2014.
Depuis le début, la carrière de Fabien Claude a été semée d’embûches. À sa place, beaucoup auraient rangé la carabine et seraient passés à autre chose. Mais comme les sapins des Vosges qu’il affectionne, lui, n’a jamais rompu. « Je n’avais pas envie d’abandonner. Je savais que je pouvais exister au plus haut niveau », lâche l’intéressé quand il repense à ce foutu mois de décembre 2018. À Pokljuka, déjà. Il débutait en coupe du monde qui, pour lui, allait prendre un drôle de tour. Il terminait 76e de l’individuel et 84e du sprint. C’est qu’il avait été rapide sur les skis, mais catastrophique devant les cibles: 14/20 et 5/10. Direction l’IBU Cup où il devait encore faire ses preuves, sans assurance de remonter un jour en coupe du monde. « Ces retours en IBU Cup •••
Skieur de talent, parmi les plus rapides de la coupe du monde, Fabien Claude a souvent été rattrapé par l’excessive pression qu’il se mettait dans ses jeunes années, malgré un palmarès solide chez les juniors, et il était pénalisé par son inconstance sur le pas de tir.
b MODICA/NORDIC FOCUS
lui ont fait du bien, analyse a posteriori Patrick Favre. Cela a forgé son caractère. »
D’apparence calme, Fabien Claude a longtemps été rattrapé par ses émotions. Là où Quentin Fillon-Maillet et Émilien Jacquelin se sont vite installés au sommet de leur sport, le Bassurois a multiplié les allers-retours dans l’antichambre. « Je me suis construit lentement, mais sûrement. Je suis passé par tellement d’échecs que, même si je devais redescendre à nouveau, je saurais remonter. »
Compagnon de route des années juniors et IBU Cup, Clément Dumont a gardé des liens étroits avec la fratrie Claude. « Fabien a démontré que la fédération a eu raison d’insister avec lui. Ça fait longtemps que je sais qu’il est capable de gagner une coupe du monde. » Sans doute parce qu’il n’a jamais perdu sa ligne de mire bien qu’embarqué dans des montagnes russes. Il a pu se reposer sur un socle familial solide, avec ses parents attentionnés et ses frères évidemment, mais aussi ses amis. « La fidélité en amitié, c’est typique des Vosgiens, prolonge Clément Dumont. C’est toujours un plaisir de revoir les Claude. Même si ce n’est qu’une ou deux fois par an, c’est comme si on s’était quittés la veille. »
Une âme de leader
Sonne alors le clairon de la camaraderie. L’heure venue, le Bassurois sait couper le contact avec le biathlon. « Début avril, il arrive facilement à poser les skis et la carabine », dixit Florian Rivot. « Fabien est à bloc dans son sport mais cela reste un bon vivant quand la saison est terminée », abonde Baptiste Claudon. Au milieu de la bande, le gaillard n’hésite alors pas à prendre les choses en mains. « Avec ses potes, il amène des idées, même si elles ne sont pas toujours bonnes!, taquine Florian Rivot. Il a une âme de leader, sans se mettre en avant. » « Il s’intègre très bien dans un groupe et aime la compagnie, confirme Quentin Fillon-Maillet. On est en équipe plus de deux cents jours par an et Fabien contribue à la
bonne atmosphère qui règne. » Patrick Favre applaudit: « J’aime beaucoup travailler avec lui. Il sait quand il peut faire des blagues et sa sincérité l’aide à vivre dans un groupe. »
Un bon camarade donc, mais loin d’être effacé: « C’est un fort caractère. Je le vois comme le chef de la fratrie, celui qui la mène vers l’avant et sait le plus ce qu’il veut », complète Florian Rivot.
« J’ai toujours rêvé d’être un champion. Plus le temps passe et plus cela se renforce », concède Fabien Claude. Christine, la maman, a aussi eu son •••heure de gloire et aurait pu être
Quentin Fillon-Maillet, membre de l’équipe de France de biathlon 28 | nordic MAGAZINE | n°34 SUR L’ENGAGEMENT ET L’ENTRAÎNEMENT, IL EST IRRÉPROCHABLE. IL EST TOUJOURS À LA RECHERCHE DE LA PERFORMANCE.‘‘
POUR NORDIC MAGAZINE LAURENT MÉRAT b
Avec mes frères, heureusement ‘‘Fabien Claude
qu’on est liés et qu’on ne se prend pas la tête.
des Jeux d’Albertville en 1992, carabine dans le dos. Gilles, le papa au sourire indélébile, était plutôt branché moto. Discret sur les compétitions, ce dernier ne manquait jamais d’évoquer, en coulisses, sa fierté de voir ses garçons à haut niveau, mais surtout épanouis et soudés. « Être ensemble sur la coupe du monde a permis à Fabien et Florent de se soutenir mutuellement. Il y a eu Pokljuka, mais ils ont été impressionnants moralement sur tout le reste de la saison », observe le Vosgien Igor Cuny, technicien en équipe de Belgique et proche des Claude. « On n’a pas envie de se déchirer pour du sport, glisse Fabien Claude. Avec mes frères, heureusement qu’on est liés et qu’on ne se prend pas la tête parce que l’un est 10e et l’autre 20e. On n’a rien à se prouver les uns les autres. »
Compétiteur jusqu’à l’extrême
Dans le sillage de Florent et avant Émilien, membre de l’équipe de France B, il s’engage dans le sport à très haut niveau, avec une permanente volonté d’exceller. Un atout? Pas toujours. « Son truc en plus, c’est sa soif de compétition. Jusqu’à l’hiver dernier, il vivait essentiellement pour le biathlon et la compétition. Tous ses centres d’intérêt tournaient autour. En juniors, il avait déjà la hargne pour persévérer », analyse Clément Dumont.
Le drame de janvier a bousculé ses certitudes. Il a appris à relativiser. Néanmoins, il reste un maniaque du moindre détail. Jusqu’à l’obsession. « Sur l’engagement et l’entraînement, il est irréprochable. Il est toujours dans la recherche de la performance »,
observe Quentin Fillon-Maillet.
Élève attentif de Vincent Vittoz et Patrick Favre, Fabien Claude reste avide du moindre coup de pouce. « Tu ne peux pas atteindre un tel niveau si tu n’es pas perfectionniste, le défend Igor Cuny. En course, Fabien me demande de le regarder skier pour des conseils techniques et trouver des trucs pour les courses d’après. »
Skieur hors pair, capable de rivaliser avec, voire de dominer Martin Fourcade sur la piste, il a longtemps été pénalisé par son inconstance au tir. Son pourcentage de réussite a toutefois considérablement évolué ces dernières saisons. « Il ne fait plus des erreurs aussi grossières qu’avant. Maintenant, il comprend ses fautes. C’est plus facile pour ensuite les corriger, observe Patrick Favre. Il a assimilé que parfois il vaut mieux attendre un peu pour envoyer sa balle. Fabien a peut-être besoin de plus de temps que d’autres pour apprendre les choses. »
Seule la gagne l’intéresse. Deuxième, c’est une défaite pour l’orgueilleux Fabien Claude. « Ce côté compétiteur est viscéral. Dès qu’il y a un petit enjeu, il ne prend rien à la légère », se souvient Clément Dumont. « Fabien renverse facilement les jeux de société. Il pète un boulon d’un coup et met tout par terre! », plaisantent, hilares, Émilien et Florent Claude.
Un emploi du temps millimétré
On retrouve cette rigueur en dehors des stades. C’est que chaque minute compte quand on veut atteindre la perfection. « Il calcule tout par rapport au biathlon. Pour lui, la récupération fait partie de l’entraînement », explique Florian Rivot. « Mon emploi du temps est millimétré, reconnaît Fabien Claude. Pour la saison prochaine, j’ai déjà mon calendrier jusqu’en avril. J’essaie d’optimiser mon temps. Quand je dois faire le plein de la voiture, si la journée est chargée, je le fais au cours d’un trajet. La vie d’athlète de haut niveau, c’est de la planification. C’est très rare que je décide quelque chose à l’improviste. »
Malgré ces contraintes, n’allez pas croire qu’il ne vit pas comme n’importe quel jeune de son âge. « Je ne me sens pas bridé. Si je veux sortir avec des copains, j’y vais, mais à des moments opportuns. Je ne le ferai pas la veille d’une course ou en hiver. L’été, je vais au lac pour faire un barbecue avec des amis. »
« Comme ses frères, Fabien est un À Pokljuka, Fabien Claude en route vers son premier podium en coupe du monde.
b MANZONI/NORDIC FOCUS
garçon simple et pas bling-bling. C’est aussi le milieu du ski nordique qui veut ça », souligne Igor Cuny. « Ils n’ont jamais oublié d’où ils venaient. Pendant très longtemps, quand ils partaient sur une grosse compétition, ils envoyaient une carte postale à mon père [N.D.L.R., Bernard Cuny qui a été conseiller technique du ski de fond vosgien et a vu passer Florent, Fabien et Émilien]. Avoir un retour et une reconnaissance des gens que tu as formés, cela devient rare. » Fabien Claude a des racines solides. Comme les sapins de ses Vosges. n