Jeudi 4 janvier 2018 - N° 2236 - Hebdomadaire - 15, rue Furtado - 33800 BORDEAUX Prix : 0,80 euro
MAI 68 À BORDEAUX
L’audace prend le pouvoir
VŒUX 2018 Le calendrier nous amène à démarrer 2018 par un numéro spécial. L’occasion de présenter des vœux mais aussi d’anticiper sur les débats qui commémoreront, au printemps, les 50 ans de mai 68, avec quelques témoignages et l’annonce d’un premier débat à la fin du mois. Bonne lecture et bonne année !
Le 4 janvier 1968, les représentants syndicaux CGT, CFDT, FO, devant plus de 1 000 travailleurs, organisent une conférence de presse à l’Athénée, demandant à l’avionneur, Dassault, le « respect de l’accord du 28 février 1967 », la levée des sanctions et le relèvement des salaires. Le débrayage reprend le 26 janvier suite à un licenciement. Un millier de manifestants défilent dans les rues de Bordeaux depuis le domicile de l’ouvrier licencié jusqu’à la préfecture et le siège de l’Inspection du travail. D’autres licenciements suivront, d’autres manifestations aussi.
Christelle Danglot
2018
Être capable d’entendre pousser l’herbe Chaque semaine, Les Nouvelles de Bordeaux nous accompagne et chaque semaine nous montre à quel point le capitalisme en crise est incapable de relever les défis de notre temps. Engagé dans une course effrénée au profit, à l’accumulation, chaque capitaliste semble faire sienne l’antienne « après moi, le déluge ». En attendant, crise sociale, crise alimentaire, crise climatique, guerres, misère et pauvreté enfoncent notre société dans ses propres contradictions alors que jamais la science, le progrès technologique, les moyens d’échange et de communication, les capacités productives n’ont atteint un tel niveau dans l’histoire de l’humanité. Cela laisse envisager tant de bouleversements pour le pire ou le meilleur. Le fossé est béant entre les profits colossaux accaparés par une minorité, les intérêts de ceux qui possèdent tout et de l’autre les aspirations des populations, de la classe des prolétaires, à vivre mieux de leur travail, vivre et travailler dans un environnement sain, trouver dans la société sa place au milieu des autres. Et des forces multiples, diverses, poussent pour de véritables changements. Un siècle après 1917 et ces 10 jours qui ébranlèrent le monde, 50 ans après mai 68 et les avancées sociales importantes que le monde du travail et la jeunesse ont su imposer, une
idée grandit, imperceptible, celle qu’en 2018 il y a toujours besoin de révolution et même que cela s’avère pour l’humanité une nécessité vitale. En 2018, l’idée d’une société post-capitaliste avance, à petits pas, mais elle avance. 150 ans après sa publication, le Manifeste du Parti communiste, conserve toute sa force. Marx, encore lui, disait qu’un révolutionnaire devait être capable d’entendre l’herbe pousser. C’est le vœu que je formule aux lectrices et lecteurs du journal. Soyons capable de saisir tout ce qui pousse et germe dans la société, tout ce qui annonce et prépare un changement de société profond, toute idée de progrès qui grandit peu à peu dans cette société en crise et qui devient quand elle s’empare des masses, une force matérielle puissante. L’information libre, la liberté de la presse, celle qui n’est pas soumise aux intérêts des grands groupes sera encore, cette année, un outil précieux pour cela. En Gironde c’est ce journal, Les Nouvelles de Bordeaux qui retrace l’actualité du mouvement social girondin, donne la parole à toutes les forces qui veulent transformer la société. Belle année à toutes et tous, Sébastien Laborde, secrétaire départemental de la fédération de la Gironde du PCF
2018
De l’ambition pour Les Nouvelles Chaque semaine, sortir notre journal relève d’une performance humaine, que nombre de lecteurs ne peuvent mesurer. Cette performance est celle d’une équipe rédactionnelle qui a su, au fil du temps, s’enrichir de nouveaux camarades, pour essayer de coller au mieux à l’actualité de notre département, pour éclairer les enjeux de la vie quotidienne, parler de mouvements sociaux que d’autres ignorent, rendre compte d’événements culturels, originaux. Les Nouvelles, ce sont aussi des bénévoles qui donnent de leur temps pour s’occuper des abonnements, qui le jeudi matin se lèvent tôt pour venir plier le journal et l’envoyer. Les Nouvelles, c’est un collectif humain qui avance vers un projet commun, celui d’offrir aux Girondins un journal de qualité en prise avec la réalité sociale, qui aide à l’information, à la compréhension et à l’intervention. Les Nouvelles, c’est aussi et bien sûr ses lecteurs. C’est toujours en pensant à vous que nous le faisons, à l’abonne2 • Les Nouvelles 4 janvier 2018
ment que vous prenez, à vos critiques que vous nous formulez, à vos satisfactions aussi dont vous nous faites part, aux dons que vous pouvez nous faire. Les temps ne sont pas simples, cela ne nous empêche pas d’avoir des ambitions, de voir plus loin, de tenter de toujours s’améliorer, d’espérer et de travailler à gagner de nouveaux lecteurs. L’année 2018 doit être celle de prises d’initiatives pour impulser une nouvelle dynamique. Nous allons y réfléchir, en tentant d’associer toutes celles et ceux qui ont à cœur que notre journal soit encore plus et mieux utile à toutes celles et ceux qui souffrent, et qui ne baissent pas les bras. Alors un grand merci à tou-te-s : équipe rédactionnelle, maquettiste, imprimeur, plieurs, comptable, abonneurs et lecteurs. Je présente à tout-e-s mes meilleurs vœux. Frédéric Mellier, Directeur des Nouvelles de Bordeaux et du Sud Ouest
DRAPEAU ROUGE SUR LA GARE SAINT JEAN
Le décor est planté Par André Sourbé * Nous étions en plein dans les événements de Mai 68. Un simple rappel : en un mois nous avions fait, pour la CGT qui nationalement comptait 2 500 000 adhérents, des dizaines de milliers d’adhésions nouvelles (n’ayant plus de bulletins d’adhésions, c’est sur des pages que nous improvisions des listes d’adhésions collectives). Rien que pour la Gironde, ce furent 10 000 adhésions nouvelles, dans des centaines d’entreprises nouvellement organisées. C’est ainsi, par exemple, que le syndicat des Cuirs et Peaux, qui comptait une centaine d’adhérents début mai, s’est retrouvé à 3 000 adhérents en juin ; beaucoup de jeunes, de femmes inexpérimentées syndicalement, qui avaient la volonté d’agir, de s’éduquer, de maintenir le rapport de forces. C’était également le cas dans le commerce, l’habillement, les banques, l’agriculture, la chimie, le bâtiment, etc. Suite à ce mouvement de fond, nous nous étions donné comme objectif d’atteindre les trois millions d’adhérents. Pour l’ensemble des salariés, la lutte avait pour but d’obtenir satisfaction sur leurs justes et légitimes revendications.
Ce fut la signature de conventions collectives, comme dans les Cuirs et Peaux alors que cela n’avait pu avoir lieu en 1936, mais aussi parmi les salariés agricoles qui n’étaient plus des « domestiques ». Leur habitat devait être comme tous les autres habitats et non plus un grenier ou un coin de grange aménagé. Le SMAG est supprimé au profit du SMIG, soit une augmentation de 54 % des salaires. Ceux qui se sont imaginé que 68 était une révolution se sont trompés. De Gaulle était bien au pouvoir et tenait bien les rênes, renforcé par la Constitution de la Ve République. Son départ en Allemagne fut une manœuvre tactique, un piège tendu par la bourgeoisie dans lequel le mouvement gréviste ne tomba pas. Oui, les salariés en lutte sont bien restés la
force tranquille menant son combat, avec ses organisations syndicales et notamment la CGT pour plus de justice sociale, de pouvoir d’achat, de solidarité, de liberté. C’était une évolution appuyée par un puissant mouvement revendicatif et non pas une révolution. Les débats furent incessants à tous les niveaux. À l’entreprise, ce fut un bouillonnement d’idées parmi l’ensemble des salariés. Les employés, les cadres parlaient sur le même pied d’égalité avec les ouvriers. Jamais les machines, les bureaux, les ateliers, les laboratoires, en un mot les outils de travail, ne furent mieux entretenus ; les ouvriers chassant les gauchistes, bien souvent des étudiants qui venaient pour diriger la lutte des travailleurs. Dans les localités, dans le milieu familial, au niveau départemental, entre les diverses organisations syndicales et les partis politiques, on débattait. Nombreux débats également dans les facultés, auxquels les militants ouvriers étaient parfois invités à participer, notamment dans l’édifice du cours Pasteur, aujourd’hui Musée d’Aquitaine, après avoir été le siège de la Communauté urbaine de Bordeaux, qui abritait en 1968 la faculté des Lettres avec, dans son hall, le tombeau de Montaigne. Les entreprises occupées étaient sous la surveillance des salariés, donc avec leur présence 24 heures sur 24 par piquets de grève. Dans certaines entreprises, le drapeau rouge flottait au sommet le plus élevé du bâtiment. C’est le cas, par exemple, pour la gare Saint-Jean. Au niveau des entreprises, c’était le calme vigilant pour assurer la sécurité et déjouer les éventuelles manœuvres patronales. Bon, voilà, le décor est planté. * Retraité de la Régie du gaz, ancien secrétaire de l’UD-CGT Gironde. Extrait du témoignage publié dans Aperçus d’Histoire Sociale en Aquitaine, Mai 68 40 ans, 1er trimestre 2008.
Explosion des idées et des revendications
Au cours de cette lutte, c’est l’expression d’idées neuves qui secoua la société : le besoin de démocratie, la place des femmes, la prise de responsabilité de la jeunesse, la soif de liberté au et hors travail, le besoin de communiquer entre salariés de diverses corporations, la soif de se cultiver, d’apprendre, de se perfectionner dans son travail, la volonté d’être respecté par les employeurs.
Du 20 au 29 mai, le mouvement social prend de l’ampleur. Dans la cour de l’hôpital SaintAndré, les hospitaliers se réunissent.
MAI 68 À BORDEAUX FEMME, JEUNE, SYNDIQUÉE EN MAI 68
Ne pas tourner la page
Le 24 mai, comme presque chaque jour, deux manifestations se déroulent dans les rues de Bordeaux. 5 000 manifestants défilent de 16h à 18h30 à l’appel de la CGT et de la FEN. À 18h une manifestation étudiante s’élance qui débouchera, à partir de 22h sur la « nuit des barricades ». 300 étudiants environ affronteront les forces de l’ordre qui procèderont à 73 arrestations.
Sur le cours Victor-Hugo, le Café des Arts est transformé en poste de secours, deux très importantes barricades faites de pavés, d’ordures, de grilles arrachées au marché Victor Hugo, barrent la chaussée. Non loin de la Fac, le parking à quatre étages du cours Victor-Hugo est occupé pendant plusieurs heures, se préservant d’un éventuel assaut par un bombardement nourri de pavés apportés par les ascenseurs.
Par Christiane Rouanet * Mon témoignage sera l’expression des ressentis de la jeune femme de 23 ans que j’étais à l’époque, employée aux PTT. 1968 fut un déclic pour mes engagements, ma conception de vie future et pour mon attachement à la transmission de notre histoire sociale, trop souvent exclue des livres d’éducation scolaire. Quiconque a vécu 1968 ne peut en sortir indemne.
Il me serait impossible d’en tourner la page, car ces événements ont eu un impact dans ma manière d’agir et d’envisager l’avenir. Comment tourner la page du plus grand mouvement interprofessionnel après la deuxième guerre mondiale ? Les acquis obtenus sont un fait majeur de ce XXe siècle dont les retombées sont encore vivantes en matière de droits syndicaux, de réduction du temps de travail, de négociations de conventions collectives, de défense de la Sécurité sociale. Autrement dit, comment 1968 a cultivé chez beaucoup de personnes de ma génération la confiance dans les luttes, le rejet des fatalités, le besoin d’utopie pour se projeter. 1968 ne fut pas un coup de tonnerre dans un ciel serein. Les braises couvaient. Le contexte et les bouillonnements des années précédentes ne peuvent pas être ignorés. En 1960 explosait la renaissance du féminisme avec ses exigences d’égalités mais aussi ses slogans provocateurs. Confusément nous sentions qu’il fallait dépasser, dans la bataille contre le modèle patriarcal, la sphère
privée, nous voulions en découdre sur le lieu de travail avec toutes les formes de domination, d’autoritarisme. La plupart des jeunes filles avaient grandi dans des structures sexuées. Comme à l’école. À 18 ans nous allions danser le rock and roll accompagnées de nos mères pour nous surveiller ! Dans la fonction publique, sur les positions de travail en relation avec le public, le port du pantalon était interdit ! Si nous avions conscience de l’héritage de 1936 et 1945 légué par nos parents, nous aspirions à une évolution dans l’éducation, dans la reconnaissance de notre autonomie. La contraception, la légalisation de l’avortement, le droit au travail, l’égalité des salaires entre les hommes et les femmes faisaient partie de nos conversations. Nous étions à la veille d’un basculement des rapports sociaux et privés sans précédent. En 1967, j’entendis parler d’assises organisées par la CGT sur l’égalité des salaires entre les hommes et les femmes. Je m’y intéressais, trouvant pour ma part les mouvements féministes excessifs, pas assez dans le concept de mixité et absents des entreprises. Ce fut l’année du plus grand nombre de journées de grèves depuis le début de la Ve République. Nous constations depuis plusieurs années un accroissement du nombre de femmes au travail, mais 77 % d’entre elles n’avaient pas de métier, 41 % possédaient un niveau professionnel inférieur au niveau du CAP. Elles se trouvaient en grand nombre dans les entreprises du textile, des cuirs et peaux, du commerce, dans la fonction publique et particulièrement dans les hôpitaux. Les concentrations industrielles se
créent, l’automatisation se développe au détriment des conditions de travail. Le tertiaire se développe avec l’arrivée des employées. Les modes de vie se modifient. L’université commence à bouger, contre des réformes inégalitaires, malgré la composition sociale des étudiants puisque 3 % seulement étaient issus de la classe ouvrière. Le chômage touche les jeunes avec une progression en un an de 16 % ; nous passons de 350 000 chômeurs à 450 000. La croissance s’essouffle. Dans les années précédentes nous n’avions aucun souci pour trouver un emploi. Ce contexte nous encourageait à très vite devenir autonome financièrement en faisant le choix du travail, parfois au détriment des études. Le droit au travail était vécu comme un moteur de l’émancipation et de l’indépendance financière. Il faut savoir que c’est seulement en 1965 que les femmes pouvaient enfin exercer un métier sans le consentement de leur mari.
syndicaux expérimentés, avec une culture du discours fleuve où peu de place restait libre pour prendre la parole. Mais leur « dévouement » nous éblouissait. L’élan de la lutte et l’espoir de gagner nous confortaient dans nos engagements. Égalité des salaires, promotions, indemnisation du congé de maternité, congés pour enfants malades (mais trop peu sur l’avortement, la contraception, le partage des tâches, car l’organisation syndicale s’interrogeait sur l’opportunité ou pas de s’occuper des questions existentialistes) commençaient à prendre forme revendicative portée souvent que par les femmes. Enfin une lutte victorieuse qui propulsa certaines d’entre nous dans des tâches, certes au début cantonnées aux commissions féminines ou à la trésorerie, mais aussi par la suite dans des responsabilités de premier plan ; comme celle de secrétaire général jusqu’alors tenue par des hommes. Les enjeux d’émancipation de l’être humain finissaient toujours par l’emporter sur les ambitions personnelles. La ténacité n’a pas été vaine, aujourd’hui la parité existe à la CGT au niveau national. L’engagement est bien un combat sur nous-même, contre les idées de fatalité, conforté par la confiance dans l’intelligence humaine, par la preuve que les luttes sont utiles et peuvent être victorieuses. Mai et juin 1968 ont ouvert des espaces de solidarités et d’enrichissement entre générations, entre
catégories sociales, entre ouvriers et étudiants. Il ne s’agit pas d’en faire un exemple, d’autant que la suite dans la même année nous montre qu’il faut de nombreux éléments dans les rapports de force pour empêcher les retours en arrière. Ce n’est pas facile et c’est surtout conditionné par le niveau de syndicalisation, la démarche unitaire, les relais politiques… Beaucoup résument 1968 à une bataille sur les questions de libertinage. C’est un peu court ! Les révisionnistes de tous poils veulent surtout laisser penser que notre monde actuel, avec la mondialisation de l’économie, ne « supporterait » pas des luttes nationales de cette importance. Ils veulent tuer l’utopie en enfermant la jeunesse dans la fatalité, le consensus. Le défi a déjà été relevé avec, par exemple, la lutte victorieuse contre le CPE. La jeunesse au travail, propriétaire des repères de l’histoire sociale, aura ses propres sursauts et exigences comme les jeunes de 1968, ils savent que les moyens existent pour passer du rêve à la réalité, tout en continuant de rêver …
* Ancienne secrétaire de l’Institut CGT d’histoire sociale de la Gironde. Témoignage publié dans Aperçus d’Histoire Sociale en Aquitaine, Mai 68 40 ans, 1er trimestre 2008.
Mai 68 arriva
Assemblées générales, prises de parole des leaders syndicaux, interpelés par les jeunes sur la démocratie, les revendications dont le contenu du travail sur lequel les cadres des services ne nous demandaient jamais notre avis. Ce mouvement nous incitait à beaucoup d’audace ! L’occupation de l’entreprise nous rendait acteur de la lutte chaque jour. Dans cette euphorie, l’adhésion à la CGT me sembla naturelle et un outil pour se faire entendre et féminiser les revendications. Pas toujours facile face à des leaders
C'est non loin de la Faculté des lettres que les affrontements se prolongeront le plus longtemps. La place de la Victoire est en proie à une agitation extraordinaire. Des centaines de jeunes gens ont trouvé, dans un chantier de voirie proche, une véritable mine à barricades. Ils « tiennent » devant les C.R.S. C'est un flux et reflux incessant qui ne cessera qu’au petit matin.
Les Nouvelles 4 janvier 2018 • 3
MAI 68 À BORDEAUX À LA SAFT
AGENDA AU MUSÉE D’AQUITAINE
Six semaines de conflits
Que reste-t-il de mai 1968 ?
Photo des grévistes devant l’usine occupée du 20 mai 1968 – Archives IHSA
La SAFT fabrique des accumulateurs et fait partie du groupe ALCATEL (ex CGE en 1968). Elle compte à l’époque 1 050 salariés : 120 professionnels, 300 OS (ouvriers spécialisés) femmes, 400 OS hommes, 40 employées, 160 TDAM (technicien dessinateur ouvrier agent de maîtrise), 30 cadres. En 1968, Robert Brisson était secrétaire de la section syndicale CGT, membre du secrétariat du syndicat des Métaux, membre de la commission des jeunes de l’union départementale et de la fédération, membre de la commission financière de la fédération… Il raconte* la grève qui durera six semaines dans l’entreprise. Nous reprenons ici un extrait de son récit sur les relations avec la direction de la SAFT et l’aboutissement du conflit. « La direction, après quelques jours d’occupation, prétendait, alors que nos AG décidaient de tout, qu’il fallait consulter le personnel sur la poursuite du mouvement. Elle dressa une tente à l’extérieur de l’usine, convoqua le personnel et organisa une consultation : sur une cinquantaine de personnes qui se déplacèrent, la moitié se déclara pour la continuité. Échec total du patron ! Un huissier vint nous voir après la mise en route du chauffage : il dû faire 80 assignations. Nous laissions rentrer la direction ; comme nous contrôlions tout, un copain qui s’occupait du portail fit une fausse manœuvre et coinça la voiture du patron ! Malgré les dégâts, le directeur n’a rien dit ! À la fin du conflit, nous avons remis les clefs de l’usine au sous-directeur. Nous lui avons fait visiter les
bâtiments. Il a remercié le personnel d’avoir bien entretenu les locaux occupés en permanence (cantine et bâtiments sociaux) et d’avoir veillé à la sécurité des biens. Après plusieurs négociations avec la direction, rencontre avec la direction départementale du Travail et de l’Emploi et les syndicats ; malgré quelques avancées, nous avons refusé de reprendre le travail sur les bases qui étaient proposées. Après six semaines, nous avons pris la décision de faire un vote à bulletin secret pour chaque collège. Nous avons expliqué que nous étions les derniers en lutte en France, que nous avions épuisé tous les moyens et que la décision leur appartenait. Avec seulement 35 voix de différence (dont 25 provenant du collège TDAM), la fin de l’occupation fut votée. Un repas au restaurant réunissant tous les occupants clôtura ce conflit, le plus long de notre histoire. Nous avions effectivement obtenu des satisfactions, mais le personnel ne les apprécia pas tout de suite car, si le conflit dura, c’est pour une différence de 2,5 % sur les salaires ; en effet, suite au “constat de Grenelle”, l’UIMM (Union Industrie Métaux) recommanda d’augmenter les salaires de 10,5 %. La SAFT l’appliqua mais elle inclut une augmentation de 2,5 % obtenue en janvier et toujours considérée par nous comme un rattrapage de 1967 ! Outre l’augmentation des salaires sur de nombreux points, nous avions gagné. (…) La CGT est sortie renforcée de ce conflit. Nous avons enregistré plus de cinquante adhésions nouvelles. (…) »
* Aperçus d’Histoire Sociale en Aquitaine, N°88 du 1er trimestre 2008 (Mai 68, 40 ans)
Les Nouvelles de Bordeaux et du Sud-Ouest S.A.S. au capital de 37 000 euros Associés (à parts égales) : L. Chollon, F. Mellier, S. Laborde Directeur de la publication : Frédéric Mellier Abonnement 1 an : 25 euros. Abonnement de soutien : 40 euros Rédaction, composition, impression : S.A.S. Les Nouvelles de Bordeaux et du Sud-Ouest 15, rue Furtado - 33800 BORDEAUX Tél. 05 56 91 45 06 - Fax 05 56 92 61 01 - Annonces légales : annonces@nbso.fr Comptabilité : compta@nbso.fr - Redaction/Proposition d’article : redaction@nbso.fr @nvlbx Les nouvelles de bordeaux nbso.fr Commission paritaire de presse : 0118 C 85932
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Espaces Marx 33 et son groupe « La classe ouvrière, ce n’est pas du cinéma » organisent annuellement une initiative. Cette année, l’Institut d’histoire sociale en Aquitaine y est associé pour un après-midi de réflexion sur le thème : Que reste-t-il de 68 ? Cette demi-journée se déroulera le 29 janvier au Musée d’Aquitaine à Bordeaux. Au programme, est annoncé à ce jour : - Une présentation de l’initiative par Pierre Robin, président de l’IHS 47 - La place et le rôle des femmes, par Maryse Dumas, ancienne secrétaire confédérale de la CGT (15 minutes + débat) - L’évolution de la jeunesse depuis 68, introduction de Vincent Tiberj, professeur à Sciences po Bordeaux
- Les droits acquis en 68 et leurs évolutions depuis, avec les archives des IHS - Les pratiques syndicales, ce qui a évolué à partir de 68, introduction
de Jean Lavie, IHSA. - Synthèse par Michel Pigenet, professeur émérite à Paris 1 et responsable du centre d’histoire sociale du XXe siècle.
La mairie de Bordeaux est régulièrement décorée de drapeaux rouges.
ÉTUDIANTS/OUVRIERS
Côte à côte ou face à face ? Par Pierre Brana et Joëlle Dusseau * Quelle est l’attitude des syndicalistes devant le mouvement étudiant ? Certes, dans certaines entreprises, on peut noter qu’à côté de revendications quantitatives classiques salaires, temps de travail - apparaissent des revendications qualitatives : conditions de travail, respect des salariés, dialogue, démocratie et pouvoir dans l’entreprise. Mais nombreux sont les témoignages, notamment d’ouvriers CGT, recueillis en 1998, qui donnent une image bien éloignée du romantisme révolutionnaire de certains étudiants. Angel Gurréa, secrétaire des dockers CGT, déclare que les rapports ne sont « pas mauvais, mais pas trop fraternels » et explique : « On n’était pas trop sympathisants sur certaines banderoles qui étaient brandies à ce moment-là par les étudiants ». Pierre Marvié, CGT, qui occupe la compagnie des transports de la CUB, raconte, encore abasourdi trente ans après : « Une nuit, un groupe d’étudiants est venu nous proposer de nous aider à faire une barricade devant le dépôt » Les rapports sont qualifiés de « conflictuels » par Jean Dartigues en 1998. « Nous ne nous comprenions pas », dit Christian Laur, alors cheminot de 27 ans qui parle de rapports ouvriers-étudiants « tendus » et de l’influence « gauchiste très forte chez les étudiants ». Il ajoute « c’est vrai qu’on n’aimait pas du tout se faire donner la leçon ». Georges Gili, ajusteur chez Dassault,
CGT, s’il va « voir » les étudiants lors de leurs « assemblées » se dit « extrêmement déçu de la tournure de la discussion ». André Geoffroy, qui a, à l’époque, 42 ans, CGT, est marqué par les événements qu’il juge « insurrectionnels » : « nous avons été contactés à plusieurs reprises par des étudiants qui essayaient de nous forcer la main pour monter des barricades et tout ça … » Quelques rares témoignages recueillis de la CFDT ne sont pas très éloignés. Pierre Delcampo, Dassault, se rappelle « quelques rencontres avec les responsables étudiants, mais ils étaient très radicaux et ne rêvaient que d’en découdre avec les flics ; et en plus, ils avaient à faire à une opposition de droite très structurée . » « Les étudiants participaient souvent ou essayaient de participer aux actions ouvrières », se souvient le permanent CFDT Jean Roy . Le regard sur les manifestations est aussi significatif. Certains, comme Gilbert Dussaud, inspecteur central des PTT, responsable syndical, ne se souviennent pas de manifestations communes étudiants/ouvriers. Pour lui, « gauchistes et anarchistes ont cherché à noyauter le mouvement étudiant ». Un mouvement qui parfois lui fait peur. « Il y en avait, ils montaient sur des engins de travaux publics, ils renversaient les palissades ». Il en est de même pour Guy Joubert, délégué CGT chez Dassault. Pour JeanManuel Duvalès, 46 ans, secrétaire administratif à la Régie municipale du gaz, les rapports avec les étudiants sont « difficiles » : ils « chan-
geaient constamment de leaders. Nous n’avions jamais affaire aux mêmes ». Questionné sur des manifestations communes étudiants/ouvriers, Guy Joubert répond, en contradiction avec les faits : « À part le 13 mai, non », et il ajoute : « Ils étaient interdits d’entreprise par (un mot qu’il a rayé) les occupants plus que par la CGT et malgré l’ambiguïté de la CFDT ». Il qualifie les rapports ouvriers/ étudiants de « difficiles plutôt que mauvais » : « leurs tracts dénonçaient les organisations syndicales, rejetaient les revendications alimentaires, donnaient des leçons de révolution, en un mot, ils agaçaient ». « Il n’y avait pas de manifestations communes » ouvriers/étudiants affirme André Lartirigoyen, qui rappelle « l’hostilité de la CGT à la présence des étudiants dans nos assemblées ». André Geoffroy se rappelle les manifestations, « dans le même cortège », mais « pas sur les mêmes mots d’ordre ». (…) « Nous faisons grève ensemble, mais ce n’est pas la même grève », disait un militant CGT à un militant CFDT . Or, pour Christian Laur, des « éléments de la CFDT (pas tous) auraient facilement entraîné à “l’aventure” ». Il est frappant de noter que dans les souvenirs des ouvriers interrogés trente ans plus tard, il n’est guère de souvenirs des slogans des manifs, alors que les anciens étudiants scandaient encore les slogans de mai.
* Extrait du chapitre 6, mai 68 à Bordeaux, édition La Geste, 2017