Nouvelles N°2254

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Jeudi 10 mai 2018 - N° 2254 - Hebdomadaire - 15, rue Furtado - 33800 BORDEAUX Prix : 0,80 euro

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QUE RESTE-T-I JEAN LAVIE, INSTITUT D’HISTOIRE SOCIALE D’AQUITAINE

Que reste-t-il des pratiques syndicales ? (extraits) Jean Lavie a fait une intervention riche et documentée sur la façon dont mai 68 a marqué l’évolution des pratiques syndicales. Nous retenons ici ce qui concerne la démocratie, avec de brefs extraits. Avant 67, il n’était pas rare que les mouvements sociaux soient décidés en petit comité, sans consultation des syndiqués. C’est le cas de la grève générale interprofessionnelle du 28 avril 1954. Georges Séguy, dans ses témoignages, aimait caractériser 68 en rappelant qu’il y avait eu 9 millions de grévistes et pas d’appel à la grève générale, les décisions ayant été prises par les salariés dans les entreprises, ce qui explique les dates différentes d’entrées et de sorties de lutte selon les secteurs et les entreprises. On peut sans crainte affirmer que 68 a été un choc démocratique.

L’après 1968 a été caractérisé par la reprise en main politique et l’attitude revancharde des patrons qui n’ont pas été sans effet sur un certain retour aux habitudes antérieures. Il faudra attendre le 40e congrès en 1978 et le 42e en 1985 (de la CGTNDLR) pour engager une mutation profonde mettant vraiment au centre de la démarche le syndiqué, acteur et décideur, le salarié exprimant ses besoins et l’outil syndical pour mener les luttes selon ses choix et décisions. Il reste que faire fonctionner, dans les grands mouvements, la démocratie syndicale et la démocratie ouvrière est une difficulté. Le contexte économique et social, la dureté de la lutte des classes ou les mutations sociétales, rendent encore plus difficile la mise en œuvre de la démocratie au cœur des relations entre syndiqués et entre salariés. C’est pourtant une exigence.

50 ans après mai 68, les « événements » font toujours l’objet de diverses interprétations. Dans le mouvement social, depuis les manifestations contre la loi travail et plus encore ce printemps arrivant, les références voire la nostalgie fleurissent… Comme un modèle à reproduire, une histoire à prolonger ou pour d’autres à liquider… « Rien ne sera plus comme avant. » Ce slogan a marqué les semaines, les mois qui suivirent comme pour dire que, malgré la victoire gaulliste, le maintien du pouvoir patronal et de la hiérarchie universitaire, quelque chose d’irréversible s’était produit. Mais alors, que reste-t-il de mai 68 ? Quelle est l’empreinte dans notre société, quel héritage ? C’est pour y répondre que l’Institut CGT d’Histoire Sociale, en partenariat avec l’Espace Marx en ouverture du festival « La classe ouvrière, c’est pas du cinéma », avait invité plusieurs « témoins », acteurs ou analystes de l’époque. Nous reprenons ici quelques éléments des interventions de Jean Lavie, sur les pratiques syndicales, Lucien Gay sur les acquis sociaux, Maryse Dumas sur les femmes et Vincent Tiberj sur les individus et leur rapport au collectif, à la politique. Claude Mellier, membre de la direction départementale du Parti communiste, nous livre également un témoignage girondin. C. D. et J.J.B

Mai 68 a marqué pour ses slogans, une poésie de rue que l’on retrouve dans les mouvement sociaux actuels et à laquelle fait écho cette banderole de lycéens mobilisés contre la loi ORE qui instaure la sélection à l’université.

Université Tobliac 2018

MARYSE DUMAS, ANCIENNE SECRÉTAIRE CONFÉDÉRALE DE LA CGT

Femmes : un mouvement d’émancipation qui ne cesse de tout bousculer (…) Deux tendances économicosociales, marquent l’entrée massive des femmes dans l’emploi salarié : • l’allongement de la durée des études, avec le recul à 16 ans de l’âge de la scolarité obligatoire, bien sûr, mais aussi l’évolution des besoins de l’économie ; • la progression sensible des emplois du tertiaire dans lesquels les femmes ont toujours eu une place de choix (commerce, banques, santé, éducation, services publics), qui leur permettra d’affirmer leur droit au travail mais créera aussi des ségrégations de genre dans les filières professionnelles et les emplois occupés, sources d’inégalités de salaires et professionnelles durables. (…) Comme partout en France, en Gironde, les entreprises à forte concentration de femmes n’ont pas été en reste dans les grèves et occupations : Saint Joseph où travaillaient 2 000 femmes, Thiery, Tachon, Mauduit, Olibet, Beghin2 • Les Nouvelles 10 mai 2018

Say, Saft, Betts et Blanchard, plus les multiples entreprises du commerce, des banques, des services Publics, du téléphone, des chèques postaux, la liste est longue. En 1968, l’action collective, les grèves, les prises de parole, les occupations se sont menées sur des questions classiques de salaires, de conditions et de durée du travail, de droits et de dignité. Mais en y participant, beaucoup de femmes ont pris conscience d’un vécu commun, de leur force et de leur droit à être considérées et écoutées. Dans bien des cas, leur participation au mouvement a bouleversé non seulement les relations qu’elles avaient dans l’entreprise, avec leur hiérarchie et avec leurs collègues masculins, mais aussi dans la famille et dans le couple. (…) Au moins depuis la Libération, et même avant pour ce qui est de la CGTU, la CGT se bat pour « le droit au travail des femmes » et contre tout

ce qui s’y oppose dans les mesures sociales comme dans les mentalités. Elle s’oppose aux politiques prônant le retour des femmes à la maison, et plus tard au temps partiel. Elle mène des batailles contre la culpabilisation des mères qui travaillent et démontre avec son magazine féminin « Antoinette » à quel point le travail salarié des femmes et leur égalité participent de l’éveil de leurs enfants et d’un mieux-être familial et sociétal. Pourtant, elle se trouve mal à l’aise dans les batailles pour la libération des contraceptifs des années 1960, jusqu’à la loi Neuwirth de 1967, puis plus tard sur l’IVG. Encore faut-il distinguer les positions confédérales ou nationales et l’attitude des militantes dans les entreprises à forte concentration de jeunes femmes. Les militantes de la CGT s’y investissent pour aider les femmes en détresse et pour gagner le droit à des maternités désirées et non plus subies. La CGT est gênée car elle considère


IL DE MAI 68 ? que le rôle d’un syndicat est d’agir sur ce qui concerne le travail, la condition salariale, pas d’intervenir sur les vies privées et le hors travail. Or les femmes ne séparent pas les deux sphères. Elles amènent dans le travail leurs préoccupations et leurs vécus de femmes qui existent en dehors du travail. Des femmes victimes de violences ou de maternités non désirées ont plus de mal que d’autres à « être bien » au travail, cela se répercute sur leurs conditions de travail, voire sur leur carrière. Cela devient donc un problème syndical, encore plus dans les entreprises à forte concentration féminine. La CGT mettra quelques années à bien appréhender cette réalité mais elle y parviendra grâce à ses militantes et à leur implication, grâce aussi à l’évolution du débat sociétal. (…) Ce qui est nouveau aussi, c’est le processus d’individuation (qui n’est pas l’individualisme). Il ne s’oppose pas au collectif mais implique au contraire que le collectif se construise à partir de la reconnaissance des aspirations individuelles. Plus les femmes revendiquent autonomie et égalité plus elles aspirent à cette individuation, condition de leur reconnaissance et cela a des répercussions sur la famille, la société et bien

sûr la CGT et toutes les organisations collectives. (…) Il faudra des renouvellements générationnels pour qu’une meilleure appréhension de ces questions puisse voir le jour : une compréhension des questions du sexisme, des dominations et des libertés individuelles, dont celle de son corps, par la CGT ; une meilleure appréhension des questions liées au travail salarié des femmes, par les associations féministes. Aujourd’hui la CGT se fixe pour objectif la transformation, dans un même processus, des rapports sociaux de sexe et des rapports sociaux de classes. (…) Pour autant, il faudra encore beaucoup de volontarisme pour que les femmes trouvent une place égale dans la CGT. Encore aujourd’hui ce n’est pas gagné ! La parité à tous les niveaux de l’organisation reste un combat exigeant. Il en appelle un deuxième qui est celui d’un partage égal des responsabilités afin de ne pas perpétuer en interne le même partage inégal des tâches et les spécialisations des femmes dans ce qui apparait subalterne ou faisant appel aux qualités innées d’un prétendu éternel féminin. Combat aussi pour

faire reculer le sexisme dans les entreprises et dans la CGT et bien sûr toutes les formes de harcèlement et de violences. (…) Je pense que l’exigence actuelle de prise en compte et de respect des diversités de toutes les diversités a beaucoup à voir avec la marche en avant des femmes qui depuis 1968, a bousculé bien des stéréotypes. (…) Pour terminer je laisse la parole à Christiane ROUANET qui, à l’occasion des 40 ans, disait : « c’était une lutte victorieuse qui propulsa certaines d’entre nous dans des tâches certes au début cantonnées aux commissions féminines ou à la trésorerie mais aussi par la suite dans des responsabilités de premier plan ».

En 68,

35,4 %

des salariés sont des femmes

VINCENT TIBERJ, SOCIOLOGUE, PROFESSEUR ASSOCIÉ À SCIENCES PO BORDEAUX

Mai 68, un moment très particulier qui va marquer les sociétés au-delà de ceux qui l’ont fait (…) Mai 68, c’est des gains importants (augmentations de salaire, des gains en terme de conditions de travail, en terme de conscientisation…), des mobilisations importantes, c’est aussi la conjonction de différentes luttes, de différentes revendications qui ont largement dépassé ce qui se passe à l’usine, ce qui se passe dans le salariat. (…) Si on parle autant de mai 68, c’est parce que derrière, il y a toute une génération de militants, toute une génération d’intellectuels, toutes une génération d’universitaires, toute une génération de responsables politiques qui continuent à rejouer le match. L’intérêt c’est donc aussi de voir ce que ce match signifie du point de vue des individus. Ce point de vue des individus fait d’autant plus sens qu’en sociologie, notamment politique, ces années-là sont considérées comme un moment très particulier qui va marquer les sociétés au-delà de ceux qui l’ont fait. C’est ce qu’on appelle la révolution post matérialiste théorisée par le sociologue américain Ronald Inglehart qui nous explique que le moment 68 s’inscrit dans une période où va basculer le système de normes sur lequel était fondée la société. On passe d’une société matérialiste où ce qui comptait c’était effectivement la sécurité, que ce soit au niveau du salariat, de l’autorité, de la tradition à autre chose. L’expression utilisée par Maryse Dumas est très pertinente,

effectivement, c’est l’individuation. C’est la montée en puissance de l’idée qu’en tant qu’individu on peut s’exprimer, s’épanouir, progresser vers des choses qui nous intéresse. Cette matrice matérialiste, c’est celle qui nous permet de comprendre pourquoi le mouvement féministe devient aussi important, pourquoi les mouvements de libération pour les minorités sexuelles deviennent aussi importants, pourquoi les mouvements anti-racistes émergent et aussi pourquoi les mouvements environnementaux émergent. Tout ça travaille ensemble la société (…) et ces enjeux sont devenus tout aussi importants, tout aussi légitimes. (…) Il est intéressant de voir comment ces individus qui ont fait 68 ou qui étaient jeunes en 68 ont évolué, comment ils diffèrent ou se rapprochent de ceux qui, aujourd’hui, sont dans une situation similaire. En faisant ça, on va parler de mondes qui ne sont pas les mêmes. (…) Il faut rappeler que la conscientisation, l’encadrement, le fait que les syndicats soient présents a une vraie incidence sur la capacité des salariés – et parmi eux, les moins dotés en capital culturel, en diplômes, en capacités d’action – d’être encore des acteurs de leur propre existence de salariés. On passe d’un monde des années 60 où seuls 8 % de la population ont le bac (aujourd’hui c’est plus du tiers de la population française),

où la structure sociale est particulièrement verticale, où les autorités sont celles du prêtre, du policier, du politique, etc., à un monde où toutes ces autorités sont désormais contestées. Cette force de la contestation fait qu’aujourd’hui une société très hiérarchisée, très dépendante et où chaque individu reste à sa place – telle que peuvent la rêver quelques responsables au centre-droit – c’est fini. On est aussi dans un monde où le travail est extrêmement important mais où les conditions d’exercice du travail ne sont plus les mêmes. Dans les années 60, on est en période de plein emploi, le rapport de force est clairement en faveur des salariés. C’est le moment où il y a le moins d’inégalités salariales en France mais aussi en Europe, le chômage est extrêmement peu répandu. Aujourd’hui, l’incidence du chômage, c’est plus de 50 % d’une cohorte née dans les années 70 qui a au moins connu 3 mois de chômage. L’équivalent pour les baby-boomers*, c’est à peine 30 % et sur des carrières beaucoup plus longues. Les « formes atypiques d’emploi » dont parle l’INSEE, c’est-à-dire les non CDI, se sont considérablement multipliées. Tout ça fait que le rapport de force et la capacité des individus à se sentir membre d’un collectif ne sont pas forcément les mêmes. (…) Malgré tout ça, d’abord quand

on regarde les cohortes des babyboomers, ceux qui ont connu 68, et les posts baby-boomers, on se rend compte d’une chose : les babyboomers ont contribué à changer le rapport à la politique, notamment en mettant fin à une culture politique de déférence et qu’on trouve encore particulièrement forte chez les individus nés avant la seconde guerre mondiale. Ces citoyens-là ne se sentaient pas habilités à prendre leur destin en main, à contester les autorités sociales telles qu’elles existaient à l’époque. Les baby-boomers ont contribué à changer ça, notamment en s’emparant de la politique, en se donnant le droit à la critique. Ce droit à la critique, on le retrouve encore aujourd’hui. Les baby-boomers (en tout cas pour la partie la plus à gauche) restent, parmi les cohortes, de celles les plus mobilisées, les plus participantes, notamment quand il s’agit de voter. Ce sont les cohortes qui continuent à le plus s’informer politiquement et maintiennent, quelque part, une attention. En face de ça, on a les post-babyboomers dont on parle en soulignant souvent le fait qu’ils ne sont pas très présents dans les institutions, les partis, les syndicats, dans les urnes. En effet, quand on regarde, dans le temps long, les taux de participation à toutes les élections non présidentielles, c’est assez troublant. Donc on aurait tendance à penser que ces cohortes ne s’intéressent plus, ne s’emparent plus, ne raisonnent plus en terme collectif, en terme politique. C’est plus compliqué que ça. En fait, le rapport à la politique marquant chez ces cohortes nées dans les années 60, 70, 80, les enfants des baby-boomers, c’est une citoyenneté qui, notamment face aux responsables politiques, est marquée du sceau de la défiance, une défiance instruite, informée. Ce rapport de citoyenneté distante s’est construit par l’incapacité des baby-boomers, notamment ceux d’entre-eux qui étaient au pouvoir, de continuer à créer du rêve. C’est donc assez troublant de voir que parmi les post baby-boomers, on voit la perpétuation d’un certain nombre de demandes sociales, de demande d’égalité notamment parmi ceux d’entre eux qui exercent les professions les plus dures. Simplement, ces demandes d’égalité, de protection, de collectif, ne débouchent pas politiquement parce qu’en face, on a des responsables politiques qui n’ont pas tenu les promesses qu’ils devaient tenir. (…) Autre aspect intéressant, les post baby-boomers sont finalement assez présents mais de manière beaucoup moins structurée que les cohortes précédentes. De plus en plus, dans cette logique d’individuation dont parlait Maryse Dumas, ils construisent leurs propres mouvements sociaux. Ils adhèrent, mais pas longtemps. C’est ce qu’on appelle les militants post-it. Ils se mobilisent pour une cause mais vous ne pouvez pas attendre d’eux qu’ils soient des militants militaires qui vont se dévouer corps et âme à leur cause, longtemps. Ils change-

ront de cause, ils se retireront, ils repartiront. (…) Quand il le faut, ils sont capables de se bouger, ils sont capables de se mobiliser. Mais là où on a des cohortes qui vont voter par devoir (…), les post baby-boomers vont, eux, voter lorsqu’ils considèrent qu’il y a de l’enjeu. Du coup, à la présidentielle, ils voteront comme tout le monde, au même niveau. Mais pour les autres élections, ils peuvent être intéressés par la politique, ils n’iront pas car ils considèrent que le vote n’est plus un moyen suffisant pour changer les choses. Ils vont se mobiliser mais autrement. Là, on retrouve un peu la partie libertaire de mai 68. Celle qui fait qu’on se mobilise autour des réseaux associatifs, qu’on se mobilise parce qu’on a un bout de vie qui peut changer. On n’est donc pas dans une génération a-politique, bien au contraire. Mais leur pratique politique va se jouer dans le choix des moyens de transport, dans les modes de consommation, dans le bio, dans ce type de mobilisations (…). Je vais terminer quand même par un phénomène qui est particulièrement inquiétant. Cette capacité d’action, cette capacité de mobilisation, on la trouve essentiellement parmi les diplômés, parmi les urbains, parmi ceux qui ont le plus de capital culturel, (…) ce qui est en train de disparaître du mouvement social, en général, c’est une partie de la jeunesse ou de quarantenaires qui n’ont pas ces ressources. (…) C’est très troublant parce que des manifs, il y en aura et même de plus en plus mais, si on n’y fait pas attention, elles ne représenteront clairement pas l’ensemble de la société. Si vous voulez que mai 68 reste une belle utopie, si vous voulez que chacun participe à ce projet, il faut (…) réfléchir à ça : remobiliser le péri-urbain, remobiliser les banlieues, remobiliser les précaires, etc. Sinon, on aura une partie de la société qui est parfaitement capable de se défendre et des pans de plus en plus importants de la société qui ne sont plus en capacité de se faire entendre car ils ne sont même plus défendus. * Personne nées entre 1945 et 1965, période correspondant à un fort taux de natalité en Europe après la Seconde Guerre mondiale.

Un numéro de notre hebdomadaire affiché par la bibliothèque municipale dans le cadre de son exposition sur mai 68 à Bordeaux.

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QUE RESTE-T-IL DE MAI 68 ? TÉMOIGNAGE DE CLAUDE MELLIER*

LUCIEN GAY, INSTITUT D’HISTOIRE SOCIALE D’AQUITAINE

La jeunesse était déjà mobilisée pour le Vietnam

Les acquis de 68 et leur évolution (extraits)

Les évènements qui se déroulent à Bordeaux au printemps 1968 sont identiques à ceux qui se passent dans la région parisienne ou à Nice. Comme à Nanterre, les étudiants veulent changer leur vécu quotidien dans les facs, les cités universitaires. Mais la contestation ne s’arrête pas là. Des lycéens se sentent concernés sur la transmission des savoirs, sur la politique universitaire ou autre du gouvernement. Le mouvement est traversé par la guerre du Vietnam. Des comités Vietnam naissent dans les universités et les lycées. Les étudiants communistes, la jeunesse communiste, dont « Les jeunes filles de France » (hé oui !), et le Parti communiste organisent des réunion auxquelles participent la CGT et le SNES. Le Mouvement de la Jeunesse communiste avait organisé le 26 novembre 1967 une manifestation pour la paix au Vietnam avec 60 000 jeunes. Donc quand le vent se lève en 1968, il y a déjà une certaine mobilisation des universités, de la jeunesse au travers de cette lutte pour la libération du Vietnam. Néanmoins, dans les facs, des militants de diverses chapelles – trotskystes, maoïstes, anarchistes – s’affrontent, notamment au sein de l’UNEF. De son côté, la droite recrute parfois avec des arguments « frappants ». Dès le 2 mai, le SNESUP et l’Union des étudiants lancent un mot d’ordre de grève de 2 jours pour protester contre la répression des manifestations parisiennes. Dès lors, des AG et meeting vont se succéder. Les étudiants communistes, l’Union des étudiants veulent partir des besoins, ils posent même la question des examens.

Peu à peu, le débat s’élargit : • La situation est-elle révolutionnaire ou non ? • Le pouvoir est-il vacant ? Face aux gauchistes, les étudiants communistes, la jeunesse communiste comme le PCF répondent « gouvernement populaire sur la base d’un programme commun ». Nous sommes de plus en plus présents devant les entreprises pour soutenir les revendications : l’augmentation des salaires, à travail égal, salaire égal. Le mouvement social prend de l’ampleur : SNCF, Air France, Fonction publique, PTT, hospitaliers, banques, l’ORTF, les Dassault, le PAB… Les modalités de la grève varient d’une entreprise à une autre. Déjà, des annonces d’augmentation de 35 % sur le SMIC et même 55 % pour le SMIC agricole sont positives mais ont un impact démobilisateur pour les salariés des TPE. Le PCF et la Jeunesse communiste soutiennent sans réserve les travailleurs, ils insistent sur leur esprit de responsabilité et proposent une solution solidaire d’une union des forces de gauche. Dans la Gironde comme dans tout le pays, le PCF, faute d’avoir pris en compte les radicalisations en cours dans la société, dans la classe ouvrière mais aussi l’importance de l’université, des étudiants – par leur nombre et les débats qui les agitent –, les revendications autogestionnaires, les revendications des femmes par exemple, se retrouve en porte-à-faux. Il campe sur une position prise au sommet : sans union sur un programme, pas de gouvernement de gauche donc pas d’alternative. * Membre de la direction départementale de l’Union des jeunes filles de France en mai 1968

Les Nouvelles de Bordeaux et du Sud-Ouest S.A.S. au capital de 37 000 euros Associés (à parts égales) : L. Chollon, F. Mellier, S. Laborde Directeur de la publication : Frédéric Mellier Abonnement 1 an : 25 euros. Abonnement de soutien : 40 euros Rédaction, composition, impression : S.A.S. Les Nouvelles de Bordeaux et du Sud-Ouest 15, rue Furtado - 33800 BORDEAUX Tél. 05 56 91 45 06 - Fax 05 56 92 61 01 - Annonces légales : annonces@nbso.fr Comptabilité : compta@nbso.fr - Redaction/Proposition d’article : redaction@nbso.fr @nvlbx Les nouvelles de bordeaux nbso.fr Commission paritaire de presse : 0118 C 85932

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liste et la répression policière contre les étudiants ont créé les conditions de la solidarité entre travailleurs et étudiants, notamment avec la grève générale de 24h du 13 mai proposée par la CGT et les grandes manifestations unitaires dans tout le pays. Le 16 mai, les travailleurs des bottes Baudou des Eglisottes occupent l’usine, puis les Contreplaqués de Bègles font de même ; ils donnèrent le signal de départ en Gironde, où sur le seul mois de mai on dénombra 100 000 manifestants à Bordeaux. Des droits significatifs obtenus immédiatement Le conflit de mai-juin 68, n’est pas arrivé dans un ciel calme et serein en Aquitaine

Les luttes et manifestations se multipliaient depuis plus de deux ans ; le conflit Dassault de fin 66-début 67 réclamant la parité des salaires avec la région parisienne était loin d’être le seul. Le coût de la vie ne cessait d’augmenter et les salaires étaient une préoccupation en Gironde, ils subissaient un écart de 30 % de retard par rapport à la région parisienne. Mais les grèves concernaient également l’emploi, les fermetures d’entreprises, les licenciements massifs, dans la métallurgie, la chaussure, le textile, le maritime, l’agro-alimentaire. Entre 1965 et 1967, il y a eu 519 faillites d’entreprises, s’ajoutant aux fermetures d’établissements de grands groupes. À la veille de 68, l’Aquitaine détient le record du chômage. Et dans ce contexte, le Marché Commun conduit au blocage des salaires et à la libéralisation de l’industrie et l’agriculture, alors que les ordonnances contre la SECU de De Gaulle en 67, et les atteintes au droit syndical par la multiplication des lockouts, alourdissent le climat social. Ce développement des luttes dans les entreprises a également été favorisé par l’accord d’unité d’action CGTCFDT signé le 10 janvier 66. En Gironde, le Comité de soutien aux Dassault se transformera en « Comité de défense du droit du travail et du droit syndical », rassemblant syndicats, étudiants, partis politiques de gauche, associations, chrétiens, protestants, jeunesse, personnalités, élus… Des Comités locaux sont constitués dans plusieurs localités avec des manifestations comme à Libourne, aux Eglisottes, Langon, Arcachon, Coutras… La convergence entre le monde de l’entreprise et le mouvement étudiant

Jumelée à la mobilisation des étudiants, cette mobilisation revendicative dans les entreprises a permis l’ampleur des évènements de maijuin 68. Les 10 années de politique anti-ouvrière du gouvernement gaul-

Salaire : suppression des abattements de zones ; SMIG + 37 % ; suppression du SMAG soit + 59 % pour les salariés agricoles ; salaires réels + 10 % à 15 %. RTT : processus vers les 40 heures (je travaillais plus de 50 heures par semaine. Droit syndical : reconnaissance du droit syndical dans l’entreprise, création des sections syndicales et protection des délégués syndicaux. Droits découlant de 68, obtenus par la suite

Conventions collectives de branches. Création d’un SMIC unique pour tous, tenant compte, non seulement de la hausse des prix, mais aussi du bénéfice de la croissance… Mensualisation des salaires. Grille hiérarchique unique de classifications et de rémunérations. Emploi : commissions paritaires nationales et régionales, information et consultation des Comités d’Entreprise en cas de licenciements collectifs. Droit à la formation professionnelle. Les répercussions de 68 sont multiples

Comme on le voit, les répercussions de 68 dans le monde du travail sont énormes, mais elles se font également sentir : Dans la Société avec le mouvement féministe pour arracher l’exigence du droit au travail des femmes et de l’égalité au travail comme dans la vie Dans le syndicalisme également qui ne pouvait plus fonctionner comme avant ; à titre d’exemple, la CGT en Gironde comptait 10 000 nouveaux syndiqués et 180 nouvelles implantations dans les entreprises. L’Union départementale CGT développe alors la démocratie syndicale avec les syndiqués et la démocratie ouvrière avec les travailleurs, en étant au plus prés des salariés dans l’entreprise ainsi que des catégories (les ingénieurs, cadres, techniciens, maîtrise avec l’UGICT…). La métallurgie qui n’avait qu’un syndicat général de Bordeaux, se décentralisera par la créa-

tion de syndicats d’entreprises dans les moyennes et grandes entreprises, et la création de sections syndicales dans toutes les autres avec la création de 5 syndicats locaux et d’une « USTM » rassemblant l’ensemble sur le département. Localement, ce mouvement de décentralisation se traduit par la création de nouvelles Unions Locales interprofessionnelles- (Cité Administrative de Bordeaux, Mérignac, Blanquefort, Bègles…) et faire renaître celles disparues (Bordeaux centre, Bassens-rive droite). C’est la création du Comité Régional Aquitaine CGT en 1969. De 68 à aujourd’hui

Le patronat et le pouvoir politique ont tout fait immédiatement pour reprendre ces acquis ou d’en limiter la portée ; mais le rapport des forces le leur interdit jusqu’au milieu des années 80, même si l’esprit revanchard du patronat s’exerça brutalement dès le début des années 70 par la pratique massive du lock-out (notamment au journal Sud-Ouest, dans la petite fonderie ou je travaillais où l’on a subit, sur trois mois de lutte, un mois et demi de lock-out…), et dans les années 90 avec l’accélération des atteintes aux libertés et licenciements de militants. C’est avec le tournant « de la rigueur » des années Mitterrand, que s’amorce un processus durable de déréglementation, précarisation, chômage de masse et inégalités sociales. Les dérogations au Code du travail se sont succédées puis, la loi Travail et les ordonnances Macron s’attaquent frontalement au Code du travail. Tout est fait, pour précariser, isoler le salarié, individualiser les rapports salarié-patron. Alors, que va-t-il rester de 68 ?

Le monde meilleur que recherchait la jeunesse et les travailleurs de 68, demeure d’actualité aujourd’hui, et plus que jamais. Cette lutte des classes qui crève les yeux 50 ans après 68, interroge y compris dans des milieux éloignés du syndicalisme. Ce sondage Viavoice pour la fondation Gabriel-Péri, paru ces jours-ci, indique que 47 à 56 % des sondés ont des opinions négatives sur le capitalisme et le libéralisme ; 56 % pensent que la lutte des classes est toujours d’actualité ; 26 % des jeunes ont une opinion positive de la pensée de Marx. L’histoire du syndicalisme s’est construite pour que le travailleur ne « reste pas isolé » et pour qu’il se dote, par la négociation de garanties collectives, d’un Code du travail, de Conventions collectives. Il ne peut y avoir ni liberté, ni garantie individuelle, sans garanties collectives !


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