Jeudi 2 août 2018 - N° 2266 - Hebdomadaire - 15, rue Furtado - 33800 BORDEAUX Prix : 0,80 euro
s n a 0 0 2 a y Il l r a K t i a s s i na r u e t u a , x r a M e t s e f i n a M u d i t r a P du e t s i n u m m o c
QUELLE ACTUALITÉ DE ANNIVERSAIRE
Marx : « c’est de toi qu’il s’agit dans cette histoire » Dans Le Capital, œuvre énorme et immense, Karl Marx multiplie les exemples et les citations liées au développement du capitalisme anglais triomphant. Dès la préface, pensant à ses compatriotes allemands, il les met en garde contre les apparences, et leur dit : « c’est de toi qu’il s’agit dans cette histoire »… Deux cents ans après sa naissance, sans la moindre hésitation, nous pouvons dire autour de nous de son oeuvre, de sa pensée, de ses appels à l’intelligence, à l’action, à l’union : « mais c’est de toi, de nous, de vous qu’il s’agit ! » La terre, damnée par un capitalisme prédateur qui ravage ce qu’il reste de sols cultivables autour de nous, Les « damnés de la terre », dont l’exploitation s’élargit à l’ensemble de la planète, Les 99 % d’humains victimes, consentantes ou non, de ce système décrit et décrypté par Marx, Tout, toutes et tous témoignent bon gré mal gré de l’actualité de Marx et de ses analyses. Dans sa capacité à s’attaquer aux rouages d’un capitalisme naissant, déjà triomphant et destructeur, en empruntant avec humour et efficacité aux défenseurs satisfaits et cyniques du système, Karl Marx nous montre la voie. Mais le marxisme, devenu foi ou dogme, devient impuissant ou lui-même destructeur… Pas question d’ignorer le progrès des sciences, les récents développements monstrueux et potentiellement révolutionnaires du capitalisme. Ce système surfe de crise en crise, élargissant dans l’espace et dans les technologies, dans les systèmes d’exploitation et dans les nouvelles formes de « management », dans la financiarisation mondialisée, les moyens d’extorquer la plus-value, de repousser la baisse tendancielle du taux de profit. Pas question d’ignorer non plus les mouvements répétés « à l’assaut du ciel », et les échecs retentissants avec les lendemains qui déchantent. Mais pas de concessions aux aigrefins du capitalisme et aux charlatans vantant la fin de l’histoire… C’est ici et maintenant que Marx peut nous être précieux et utile. Nous pouvons nous emparer de son oeuvre comme d’un levier pour transformer le réel, comme d’une invitation ferme, et joyeuse, à avancer, à bousculer l’ordre établi, les « idées dominantes de la classe dominante ». Rien de tel, pour la naissance d’idées neuves, que l’innovation des actions. Organisons la fréquentation assidue de « l’énorme, l’irrésistible génie d’un philosophe allemand d’à peine trente ans, rompu à la dialectique, nourri d’économie politique, et qui s ‘apprête à changer le monde ! » (Pierre Bergounioux - Carnet de Notes, tome 4 - 01/02/2011) Nous n’avons rien à attendre du troupeau des « brebis de réformes » qui accompagnent les tentatives du capitalisme financier et de ses promoteurs politiques. La « jeunesse du monde » et la genèse d’un monde nouveau, à inventer sur les ruines et les expériences de l’ancien, est du côté des héritiers de Marx, qu’ils en soient conscients (c’est toujours mieux !) ou non, en poussant à une démocratie novatrice, « toujours recommencée ». Vincent Taconet, Vice-président d’Espace Marx Gironde
Karl Marx, une pensée vivante en commun « communisme » compris comme communauté de classe, les classes exploitées, vaporisées par la division internationale ou l’organisation hiérarchique du travail, séparées en rivalités de positions ou en nationalités d’autant plus abstraites que leur fantasme est excité par les forces politiques les plus régressives restant encore, douloureusement, à la peine quant à se saisir de leurs propres unité et intérêt. La question se pose en France particulièrement, face à l’accentuation de l’entreprise de démolition des conquêtes sociales issues notamment du Front populaire et du Conseil national de la Résistance, ainsi que des biens publics, orchestrée actuellement.
Né à Trêves le 5 mai 1818, l’auteur, avec Engels, du Manifeste communiste, publié à la veille de la révolution de février 1848, est l’objet d’un bouillonnement intellectuel, à l’occasion du 200e anniversaire de sa naissance. Deux cents ans après la naissance de Karl Marx, le 5 mai 1818, les dizaines d’initiatives prises à cette occasion partout dans le monde témoignent en faveur de la vitalité de la pensée du théoricien et du militant communiste. Depuis Pékin, où est organisé, en cette fin de semaine (NDLR- fin avril), le deuxième Congrès mondial du marxisme, jusqu’à Berlin, dans le cadre du colloque Marx 200 de la Fondation Rosa-Luxemburg, en passant par Paris avec la série de débats programmée par le comité Marx 2018, à la fin du mois de mai, sans oublier les rencontres de Londres, Manchester, Dublin, Cape Town en Afrique du Sud, Tokyo ou encore Buôn Ma Thuôt au Vietnam, c’est à l’épanouissement d’une vague, non pas de cent fleurs, mais de milliers d’autres encore, en
Une vague, donc, et un « coup de jeune » de Marx – voir le hors-série de l’Humanité – entendus depuis le huitième sous-sol des banques luxembourgeoises ou autres chasses gardées de l’oligarchie capitaliste mondiale, comme en témoigne, ironiquement à cet égard, le déplacement de Jean-Claude Juncker, ce jour même, à Trêves, pour la réouverture de la Maison de Karl Marx. (…) C’est un paradoxe en effet que ce soit la bourgeoisie qui, le mieux aujourd’hui, a réalisé le projet d’une « internationale », pratique et théorique, au travers d’institutions telles que la Banque mondiale, l’OMC, l’Otan ou le FMI, ou encore le
Jérôme Skalski, l’Humanité du 4/05/2018
YVON QUINIOU, PHILOSOPHE ET AUTEUR
Démocratie à tous les étages L’idée que Marx, et plus largement le marxisme, est hostile à la démocratie est malheureusement omniprésente dans l’opinion publique, y compris chez les spécialistes de la politique. Cela tient à l’image que le système soviétique a donné de lui-même au XXe siècle (mais aussi la Chine) et au fait qu’on l’a identifié à tort au projet de Marx. Or, c’est là une grave erreur. Il faut savoir que, quand Marx, dans Sur la question juive, qui est la base intellectuelle de ces attaques,
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une « internationale » intellectuelle inédite que donne lieu l’anniversaire du révolutionnaire allemand. Elle fait suite aux initiatives organisées à New York, Los Angeles, Toronto, Moscou, Mexico, Rio de Janeiro, Montevideo, Johannesburg, Maputo et La Havane – pour ne citer que les plus importantes –, dans le contexte du 150e anniversaire du Capital et du 100e anniversaire de la révolution d’octobre en 2017.
Quoi de plus urgent, pourtant, qu’un renversement du mode d’organisation sociale fondé sur la mise en œuvre des principes de coopération et de solidarité, alors que le développement capitaliste manifeste au plus haut point sa tendance nihiliste et destructrice ? Quoi de plus décisif aujourd’hui que cette prise de conscience et cette décision d’agir face à la ruine et au déluge définitifs de l’humanité programmés par des classes dominantes incapables de soutenir le mouvement de son progrès, mieux, impliquant sa régression définitive dans la barbarie au nom de leur volonté de puissance, de domination et de jouissance ? « “Après moi, le déluge !” Telle est la devise de tout capitaliste et de toute nation capitaliste », écrit Karl Marx dans le Capital. Polémiste, souvent intransigeant et querelleur dans le champ théorique, Marx eut cependant toujours le souci de faire valoir le mot d’ordre conclusif du Manifeste communiste contre toute tentation sectaire dans le mouvement révolutionnaire. Agir en commun. Une idée qui n’a pas pris une ride.
critique la démocratie politique, ce n’est pas pour la récuser. Il en montre seulement les limites : elles concernent la liberté et l’égalité qu’elle proclame mais qui n’affectent pas les hommes réels dans la société. Dire qu’elle est formelle ne signifie donc pas qu’elle est irréelle ou constitue une mystification dont on pourrait se passer. Elle est seulement conçue comme partielle et, tout autant, comme générant l’illusion d’une démocratie complète, hors du seul champ politique. C’est dire qu’il a déjà en vue une société où la démocratie s’étendrait aux sphères sociale et économiques pour
devenir totale, mais sans sacrifier la première. D’ailleurs, on le voit en faire l’apologie à son niveau propre : « Elle est un pas en avant nécessaire » et « elle constitue un grand progrès », dit-il. Il n’a jamais changé de position sur ce point et, dans le Manifeste du Parti communiste, il définit clairement le mouvement révolutionnaire comme celui « de » l’immense majorité, laquelle en est donc le sujet actif. Il en arrive à cette étonnante définition du communisme, qui renverse l’ordre de la causalité auquel on pourrait s’attendre de la part d’un théoricien matérialiste de l’histoire, pour qui la
LA PENSÉE DE MARX ? vie collective conditionne la vie individuelle : c’est « une association où le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous » ! C’est cette inspiration qui l’amènera, par exemple, à soutenir la Commune de Paris avec toutes ses conquêtes démocratiques. « Libre développement de chacun » : c’est aussi un objectif essentiel du communisme, un effet de celui-ci, et cette dimension émancipatrice est elle aussi occultée. Car, l’auteur du Capital n’est pas qu’un analyste et un critique, féroce autant que profond, de l’économie capitaliste en elle-même. Il a aussi en vue les effets aliénants de celle-ci sur la vie
individuelle, dans et hors du travail, empêchant les exploités d’actualiser leurs potentialités, spécialement intellectuelles, les mutilant et leur interdisant d’accéder à cette culture sans laquelle, aurait dit Gramsci, on ne peut « participer activement à l’ histoire du monde ». Cette situation anthropologique désastreuse d’« aliénation » contribue donc aussi à vider d’une part de sa substance la dite démocratie, malgré toutes les conquêtes du mouvement ouvrier depuis le XIXe siècle et en raison du retour en force actuel du libéralisme le plus dur. Or, à ce niveau précis, il y a un facteur d’aliénation qu’on sous-estime et dont Marx (avec
Engels) s’est soucié, c’est le poids de l’idéologie au service du capitalisme sur les consciences. Elle empêche les hommes d’appréhender lucidement leur situation et les enfonce intellectuellement dans leur aliénation sociohistorique. C’est dire aussi que c’est en développant l’esprit critique qui sommeille en chacun et en favorisant l’accès de tous à l’intelligence théorique que l’on rendra vraiment vivante la démocratie, c’est-à-dire la liberté concrète des individus dans tous ses aspects. Dans l’Humanité hors-série « Marx, le coup de jeune »
« Ce que nous sommes, nous le sommes grâce à lui… »
Après avoir longtemps hésité sur la manière, il m’est apparu que la seule était d’entamer cette trop brève contribution en reprenant les mots que celui qui en fut le plus proche, Friedrich Engels, adressa à Wilhelm Liebknecht le soir-même de sa mort. Karl Marx : deux syllabes, qui résonnent comme deux coups de feu – qu’il ne tira jamais ! – comme sur des barricades du XIXe siècle sans doute, mais aussi et bien davantage – et n’en déplaise à tous ceux qui, à la suite de Michel Foucault par exemple, l’ont voulu cantonner dans son temps – lors des révolutions du XXe siècle. Deux syllabes qui désignent, autrement dit, celui qui fut tout à la fois et savant et révolutionnaire (Georges Cogniot). Karl Marx, c’est le nom du jeune philosophe « hégélien de gauche », héritier des Lumières et qui découvre les contradictions du progressisme bourgeois à l’occasion de son enquête sur les procès pour vol de bois, qui démonte les mécanismes de l’aliénation. C’est le nom du militant communiste, pour qui le très long exil londonien (18491883 !) sera un observatoire de choix de la société bourgeoise industrielle en continuelle expansion. Celle qu’il ne s’agit pas simplement de dénoncer, avec férocité, avec ironie parfois, mais à coup sûr sans barguigner, pour ce qu’elle fait aux hommes, et
aux prolétaires en particulier – et ce serait là raison bien amplement nécessaire. Serait-ce suffisant, pour autant, de s’attacher, durant plus de trente ans à remettre sans cesse sur le métier – en témoignent les milliers de pages préparatoires à la publication du livre I du Capital, les scrupules à publier en l’état les livres suivants – à la critique de l’économie politique bourgeoise, légitimation idéologique de la domination de classe, voire à l’édification d’une « économie politique de la lutte ouvrière » (Stathis Kouvélakis) ? À ce point, au cœur de l’analyse, on le sait, la relation entre travail et valeur – l’extraction/extorsion de plus-value (ou de survaleur comme l’on dit plus fréquemment aujourd’hui) – qu’il est impossible d’évoquer ici. On sait combien il fut le premier à reconnaître et à enseigner systématiquement comment la théorie économique peut être convertie en analyse historique et comment l’exposé historique peut être converti en histoire raisonnée (Pierre Vilar). Le nom aussi d’un militant communiste qui rédige – avec Engels qu’il ne faut pas oublier – un Manifeste pour un parti encore dans les limbes et qui n’aura de cesse d’intervenir – des textes sur les situations concrètes en France, ou ailleurs, en passant par ses controverses avec d’autres composantes du mouvement ouvrier au sein de l’Association internationale des travailleurs –, répétant à l’envi
que l’on ne saurait induire de la constatation du caractère nécessaire des contradictions du capitalisme, le dépassement de ce dernier par de paisibles métamorphoses. Pour ne prendre ici qu’un exemple, l’histoire des heurs (l’amélioration des conditions de vie) puis des malheurs de la social-démocratie européenne durant la deuxième moitié du XXe siècle me paraît en témoigner. Prisonnière – dans le meilleur des cas ! – d’une interprétation curieusement à la fois et trop morale et trop économiciste de certains des textes de Marx, elle fut incapable d’élaborer ne serait-ce qu’une riposte théorique et politique à l’offensive idéologique (le monétarisme) et politique d’un capitalisme qui cherchait, lui, à surmonter l’une de ces crises que Marx avait données, de longue date, comme nécessaire à son propre développement. Elle s’en fut ensuite littéralement à la dérive, ballotée d’un post-modernisme à l’autre, jusqu’à la gueule de bois de 2018, crevant d’avoir oublié l’avertissement sartrien que le marxisme est, aujourd’hui comme en 1960 (en 1917 ou en 1871) un « horizon indépassable » pour quiconque aspire à une transformation sociale et économique véritable.
MARX, ENGELS, #METOO, #BALANCETONPORC :
Et si les femmes étaient les initiatrices de la révolution ? Associer le mouvement de libération de la parole des femmes face aux violences des hommes – issu des réseaux sociaux et, donc, profondément ancré dans notre siècle – et des théoriciens de la révolution ayant vécu au XIX e siècle, peut paraître étrange, à première vue. Et pourtant, le patriarcat, à l’origine de la domination des hommes sur les femmes, n’est qu’une des incarnations du capitalisme. La preuve en est les 100 femmes qui, dans une tribune publiée dans le Monde en janvier, ont dénoncé le « puritanisme » apparu après l’affaire Weinstein. Leur argumentaire était clairement celui d’une classe bourgeoise dominante qui se désolidarise de la dénonciation du système patriarcal faite par ces mouvements de libération des femmes. Car dénoncer la domination issue du patriarcat, c’est dénoncer la domination issue du capitalisme. Karl Marx et Friedrich Engels, ne s’y sont pas trompés : dès le « Manifeste communiste », ils ont argumenté sur la manière dont la classe dominante opprime les femmes, en les reléguant au rang de « citoyennes de deuxième classe » dans la société, et au sein de la famille : « Pour le bourgeois, sa femme n’est autre chose qu’un instrument de production. (…) Il ne soupçonne pas qu’il s’agit précisément (pour les communistes) d’arracher la femme à son rôle actuel de simple instrument de production. » Les thèses du livre d’Engels, « L’origine de la famille, de la propriété et de l’État », furent pionnières, dans ce domaine à son époque, en tant que
contribution à la compréhension de l’oppression des femmes. Une de ses formules, désormais célèbre, et d’une incroyable modernité, résume parfaitement ces propos : « Dans la famille, l’ homme est le bourgeois ; la femme joue le rôle du prolétariat. » La domination de l’homme sur la femme est la première manifestation du système capitaliste, y compris dans les systèmes qui prétendent s’en affranchir. Dans une société d’opprimé-e-s, la femme l’est doublement : une première fois par son sexe, une seconde fois par la classe à laquelle elle appartient. Lorsque des mouvements, tels que #metoo ou #balancetonporc, arrivent à renverser le système patriarcal, par la seule force de la solidarité entre opprimées, la classe dominante se sent menacée. Et elle a raison : avec ces mouvements, les femmes ont démontré que renverser la classe dominante est possible. Les communistes se devaient d’être actrices et acteurs du mouvement féministe. En effet, comment peuton prétendre libérer la société pour la rendre égalitaire si on accepte que la moitié de l’humanité reste sous la domination de l’autre ? C’est le sens du combat des communistes qui, depuis près d’un siècle, a rejoint et est même, parfois, allé au devant des féministes. Inspiré-e-s, notamment, par les thèses de Marx et Engels, elles-ils ont depuis longtemps compris que la révolution serait féministe ou ne serait pas ! M.C. Gonzalez Animatrice de la Commission « droits des femmes » du PCF33
En arrière-plan de gauche à droite, Engels et Marx, et ses filles Jenny, Eleonora et Laura (de gauche à droite). Ria Novosti/Sputnik
Alexandre Fernandez, professeur d’histoire contemporaine, Université Bordeaux-Montaigne Les Nouvelles 2 août 2018 • 3
QUELLE ACTUALITÉ DE LA PENSÉE DE MARX ? POUR COMPRENDRE
Forces productives et luttes de classes
Les forces productives : c’est, les moyens de production (outils, machines, système de machines), le système technique global, l’ensemble des hommes qui les utilisent, ainsi que les savoirs indispensables au travail. Rapport de l’homme à la nature, la production est toujours et en même temps sociale, rapport des hommes entre eux. Là se dessine le rapport de classe de la société capitaliste. On considère deux types de forces productives : les forces productives matérielles et les sociales. Les forces productives matérielles sont les outils, les machines, les usines, les systèmes techniques, la terre, les instruments agricoles, les savoirs faire, les connaissances techniques et scientifiques… Les forces productives sociales représentent la force productive humaine. Elle est indispensable à la mise en mouvement des forces productives matérielles et sans elle, rien
ne se passe, elle s’est complexifiée au fil de l’histoire et aujourd’hui, il y faut ajouter l’organisation de la société, l’organisation du travail, les rapports de production. Les rapports de production désignent donc le type de rapports que des hommes établissent entre eux lorsqu’ils produisent. Forces productives et rapports de production ne peuvent jamais exister indépendamment les uns des autres. Ils forment un tout en relation dialectique. Il ne saurait y avoir production sans forces productives, mais la mise en œuvre des forces productives se fait dans un cadre de rapports sociaux eux-mêmes déterminés par le niveau des forces productives. Telle est la dialectique de l’Histoire. La lutte des classes
Là se noue le conflit de classes. Il y a d’un côté les forces productives matérielles et de l’autre la force productive humaine. Les forces productives matérielles ne peuvent être activées in fine sans intervention de
Les Nouvelles de Bordeaux et du Sud-Ouest S.A.S. au capital de 37 000 euros Associés (à parts égales) : L. Chollon, F. Mellier, S. Laborde Directeur de la publication : Frédéric Mellier Abonnement 1 an : 25 euros. Abonnement de soutien : 40 euros Rédaction, composition, impression : S.A.S. Les Nouvelles de Bordeaux et du Sud-Ouest 15, rue Furtado - 33800 BORDEAUX Tél. 05 56 91 45 06 - Fax 05 56 92 61 01 - Annonces légales : annonces@nbso.fr Comptabilité : compta@nbso.fr - Redaction/Proposition d’article : redaction@nbso.fr @nvlbx Les nouvelles de bordeaux nbso.fr Commission paritaire de presse : 0118 C 85932
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la force productive humaine. C’est la propriété différenciée qui marque le conflit de classe. La force productive humaine est inséparable de son substrat matériel, le corps humain, chaque individu est propriétaire de sa propre force productive individuelle qui n’est qu’une parcelle de la force productive humaine générale ; l’organisation, y compris sociale, elle-même est une force productive. Il n’en est pas de même des forces productives matérielles qui peuvent être différenciées de la force productive humaine, et l’enjeu en est alors le contrôle. Ce qui objective la division en classe, c’est la propriété des forces productives matérielles (La propriété c’est le pouvoir !). Il s’est agi dans un premier temps d’un contrôle à la fois technique et économique, basé sur le savoir faire. L’artisanat, qu’il soit de type manufacturier ou agricole nécessite à la fois propriété ou gestion des moyens de production (force productive matérielle) et savoir faire, voire force physique. C’était l’époque des corporations, des compagnons, le contrôle était aussi le contrôle des savoirs faire qui se transmettaient de façon à garder un pouvoir. Le rapport de classe se fonde donc entre celui (ceux, la classe) qui détient, possède en système capitaliste, les forces productives matérielles (travail mort) et la classe de ceux qui possèdent la force de travail humaine, les humains (travail vivant), qui seuls peuvent mettre en œuvre les forces productives matérielles. Le rapport de propriété est en soi une aliénation, à la fois du propriétaire des moyens de production et de celui qui les actionne et qui n’en est pas propriétaire. Ils sont interdépendants mais le prolétaire qui ne dépend que de la valorisation de sa force de travail pour vivre est dans un rapport défavorable individuellement. Il est par contre dans un rapport qui peut s’avérer favorable collectivement, s’il agit en classe consciente. Ivan Lavallée, professeur émérite et président du Conseil de Rédaction de Progressiste
Marx et la Science politique Pour Karl Marx, le pouvoir politique constitue une instance de régulation des antagonismes socio-économiques permettant le maintien d’une domination de classe. Il n’existe plus d’école marxiste à proprement parler en Science politique. Néanmoins, des idées développées par K. Marx sont présentes dans la discipline, et cela même au sein d’écoles prenant explicitement leurs distances avec le marxisme. Ainsi, une partie de la science politique américaine classique met au jour la détermination des structures politiques par les faits économiques. C’est notamment le cas de Seymour M. Lipset (Political Man. The Social Bases of politics, 1960), politiste américain libéral et lecteur de K. Marx faisant preuve d’une forme de marxisme orthodoxe anticommuniste. S. M. Lipset insiste sur la corrélation entre indices de richesse (PIB par habitant, équipements domestiques, degrés d’industrialisation et d’urbanisation, etc.) et existence d’un régime démocratique. Pour lui, le développement économique permet celui de la « lutte des classes » et donc la participation et l’intégration politiques des masses laborieuses qui s’éloignent alors des partis communistes et envisagent différemment un processus révolutionnaire qui pourrait menacer un mode de vie devenu relativement confortable. S. M. Lipset considère que la lutte électorale à laquelle se livrent les partis politiques constitue « une transposition démocratique de la lutte des classes », cela tout en reconnaissant que les soutiens dont peuvent bénéficier les organisations partisanes varient également en fonction des appartenances ethniques, générationnelles ou sexuelles. Les développements de cette approche permettent de considérer le rôle du système politique dans la régulation des conflits de classe ainsi que la politisation des enjeux non directement liés aux oppositions entre classes sociales,
questions écologiques, questions sexuelles, questions ethno-raciales, etc. Le sociologue français Pierre Bourdieu a développé un travail visant à se démarquer du strict déterminisme économique d’un marxisme mécaniste et à mieux considérer les phénomènes culturels. Au sein de la science politique française, les travaux inspirés par son œuvre vont permettre de répondre à une problématique marxiste (Daniel Gaxie, Les professionnels de la politique, 1973), celle de l’« autonomie relative » des phénomènes politiques. Il s’agit alors d’étudier le processus de différenciation du « champ » des activités politiques. Cela passe par exemple par la description des propriétés sociales, des intérêts et des savoirs propres aux professionnels de la politique. Ces travaux retrouvent néanmoins la question du déterminisme économique des structures politiques. Ainsi, la succession du général de Gaulle à la tête de la présidence de la République s’est accompagnée d’une imposition des connaissances en politique économique comme compétence exigée du personnel politique concourant pour la magistrature suprême (Delphine Dulong, Moderniser la politique, 1997). Alors que le champ politique s’est autonomisé des structures sociales – il ne suffit plus d’être un notable local pour se lancer en politique, il faut encore être adoubé par un parti politique et investir dans un apprentissage des savoirs et savoir-faire liés à l’exercice du métier politique –, les professionnels de la politique sont plus que jamais sommés de devoir donner leurs réponses aux questions posés par le développement du capitalisme contemporain (croissance, chômage, commerce international, pauvreté, etc.). Clément Arambourou, docteur en Science politique, chercheur associé au Centre Emile Durkheim