Nouvelles N° 2287

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Jeudi 27 décembre 2018 - N° 2287 - Hebdomadaire - 15, rue Furtado - 33800 BORDEAUX Prix : 0,80 euro

LA

REVANCHE REVANCHE

DES

PASTÈQUES PASTÈQUES


BORDEA Pour les deux numéros « spéciaux », du 27 décembre 2018 et du 3 janvier 2019, nous avons le plaisir de vous présenter les nouvelles écrites par deux camarades qui ont participé au concours organisé par Bordeaux 2050 et Rue89 Bordeaux, via le site www.rue89bordeaux.com, sur le thème : Bordeaux ou la métropole bordelaise en 2050. Nous les remercions d’avoir accepté d’être publiés ici. Cette semaine vous pouvez lire La revanche des Pastèques de Servane Crussière et la semaine prochaine, Le désir de Mansour de Vincent Bordas. Les illustrations sont réalisées par Denis Hervouet, graphiste/maquettiste des Nouvelles de Bordeaux et du Sud-Ouest. Bonne lecture et bonnes fêtes de fin d’année ! NOUVELLE

La revanche des pastèques I) Mathis Fin septembre 2050, Mathis termine sa journée à la centrale nucléaire de Blaye. La nouvelle centrale, neuve, hyper sécurisée, propre. Il est destructeur de déchets d’uranium. Il est 16h, il éteint le tableau de bord, attrape son sac à dos avec, à l’intérieur, le petit nounours pour Khader, son tout premier petit fils. Sa fille, encore très jeune, 20 ans le mois prochain, vient de donner naissance à l’enfant de l’amour, de la paix retrouvée, de l’enthousiasme. Son amoureux Léon est auprès d’elle. Le choix du prénom Khader ressemble à un acte militant. De nombreux enfants, depuis deux ans, environ naissent avec des prénoms maghrébins alors que leurs parents ne le sont pas. C’est pour ne pas oublier l’horreur. C’est pour s’assurer que désormais les noms, les couleurs de peau, les religions seront tellement mixés qu’il n’y aura plus jamais de place pour le racisme. Khader Lemercier-Duboin, ça claque avait dit Nina. Arrivé sur le parking extérieur, Mathis met ses lunettes de soleil et avance vers sa voiture électrique. Pas de clim à l’intérieur mais de petits ventilateurs puissants qui rafraichissent un peu. Il est fier de son métier, c’est certainement la plus grand découverte de ces dernières années, la destruction de l’uranium 238. C’est un prix Nobel de physique qui avait inventé le dispositif dans les années 15 ou 20, mais juste après l’obtention de son prix s’était trouvé interdit de poursuivre ses travaux. Le parti du peuple éclairé (le PPE) qui venait d’accéder au pouvoir démocratiquement décidait alors de l’arrêt des subventions pour la recherche scientifique. Pourtant l’idée est ingénieuse : en trente minutes on détruit une tonne de déchets radioactifs. Plus de crainte donc pour la terre, nos ruisseaux ou nappes phréatiques. Avec un rayon laser très

précis, on parvient à se débarrasser des déchets plus vite qu’on ne les produit. De cette façon, tous les engins motorisés ont disparu des villes et des routes, à la place roulent en silence des véhicules électriques de toute sorte. L’air est respirable et même dans les centre-villes on entend à nouveau les oiseaux ou le bruissement des feuilles des arbres. Ces cons de fachos avaient réussi l’exploit de s’engueuler avec les pays producteurs de pétrole. La guerre avait éclaté à différents endroits du Moyen Orient. Et puis, il fallait redevenir français forts et autonomes. Donc les clubs de foot français ne devaient plus appartenir au Qatar ou quelconque État musulman et il n’était plus question de dépendre de ces puissances pétrolières. Du coup, le parti des illuminés s’est rappelé qu’un physicien français (ça tombait bien) avait mené des travaux sur la destruction des déchets atomiques. Tout pouvait redevenir électrique et sans risque, ils devenaient écolos, se préoccupaient de la santé du peuple. Plus d’émission de gaz à effet de serre, donc l’air devint à nouveau sain et si le monde entier les avait suivis, cela eût pu permettre de ralentir le réchauffement de la planète… Mathis a connu les années de l’horreur, de pauvreté, de violence. Quand il avait été embauché pour ce métier, il y a quatorze ans maintenant, il se demandait à quoi il contribuait exactement. Tout le monde se demandait ce que ce gouvernement prévoyait, pour s’intéresser tellement au nucléaire, il avait peut-être été un collabo lui-même. Depuis 49, cette idée continue de l’épouvanter malgré la liberté retrouvée, un an et demi déjà, et pourtant le traumatisme est toujours là… Bref, oublions tout ça se dit-il, direction la maternité CHU de Pellegrin. II) Pam Rue du soleil, Pam s’énerve :

2 • Les Nouvelles 27 décembre 2018

- J’en peux plus Yvan, on peut pas continuer à vivre comme ça, à se cacher dans une cave, à craindre d’être arrêtés à tout moment. - Qu’est-ce que tu proposes, lance Yvan avec un regard bleu glaçant. Hmmm ? Réponds ! C’est quoi ton idée ? Te rendre ? Qu’on aille tous les trois se livrer à la police de ce gouvernement gauchiste-communiste-hippie-écolos-mon-cul, aboiet-il en postillonnant sur le visage de Pam qui reste impassible, tellement habituée aux colères de son amant. Il reprend encore plus fort et exaspéré : - Ces sous-merdes qui n’ont jamais rien compris à l’ordre, à la race pure ! Qui font des gosses avec tous les bougnoules qu’ils croisent depuis des décennies sans se rendre compte qu’ils exterminent notre race. Arrrgh ! Il tape violemment de son poing la lourde table en bois, puis toujours emmené dans sa hargne, se dresse vers le soupirail juste audessus de sa tête et au niveau des pieds des passants qui ont comme seul sujet de société de savoir s’il vaut mieux manger hallal ou du quinoa… putain, ça non. Impossible ! Il empoigne Pam par le devant de sa tunique : - Je me rends pas, je me remets pas entre les mains de ces sous hommes. Puis il la lâche, attrape une bière et une clope, et trop énervé pour s’asseoir, fume debout adossé au mur. Pendant, ce temps-là, Rodolphe n’a pas bougé de son fauteuil miteux bien que confortable. Il ne veut pas se rendre non plus, mais il sait que c’est foutu qu’ils se feront arrêter un jour ou l’autre et Pam a raison c’est éreintant de se grimer, de changer d’apparence tout le temps, de se camoufler pour éviter d’être repéré et dénoncé. Et tout ça pourquoi ? Un semblant de liberté, coincés dans les quartiers Saint-Michel et SaintPierre dans un sous-sol meublé d’une table, de deux matelas et d’un

frigo… et un gros paquet de tracts du parti communiste-écolo comme une sauvegarde au cas où des flics, des voisins ou quiconque entrerait. Calmement, Pam reprend la parole : - J’y ai bien réfléchi, dit-elle en s’adressant à ses deux comparses. D’un ton clair et déterminé elle expose son plan. Je me rends, en prétendant que vous m’avez laissée tomber en emportant le peu de fric que nous avions. Ce sera crédible. Je leur donne notre dernier squatt de la rue de la Fusterie et surtout je leur dis que nous devions nous enfuir grâce à un contact, une bagnole, un chauffeur pouvant passer tous les contrôles de police, destination l’Espagne. Comme ça, non seulement ils penseront que vous n’êtes déjà plus à Bordeaux et lèveront surement les barrages mais en plus ils chercheront du côté de l’Espagne alors que vous allez peut-être pouvoir enfin rejoindre les nôtres en Italie. Ça se tente, ça peut vous sauver, moi j’en peux plus et je me dis que je ne serai pas si mal lotie, ils sont pour les droits de l’homme, j’aurai à manger, à boire, un procès où je pourrai bien faire semblant de me repentir. Dans vingt ans, je suis dehors… Les larmes coulent sur son visage si joli. - Malgré tout, on y a cru, on a vécu vingt ans de force et de pouvoir, mais maintenant on a perdu… Et moi j’ai plus la niaque… J’abandonne. Elle fond en larmes dans ses mains, pendant qu’un éclair de fureur passe dans le regard dur et froid d’Yvan. En une seconde son visage change d’apparence pour se trouver doux et presque beau. Il serre Pam dans ses bras puissants, l’embrasse sur la joue et doucement va s’asseoir sur une chaise, installant tendrement Pam sur ses genoux. - Ok ok, je comprends… respire, chuchote-t-il en dégageant le visage de la jeune femme de ses longs cheveux bruns. Faut bien réfléchir à ton idée… Rodolphe ! Prépare un monaco à Pam, hein Pam ? un monaco bien frais comme t’aimes. Elle sourit et pose la tête sur l’épaule d’Yvan. Rodolphe prépare le breuvage sans les regarder. Yvan saisit son glock toujours à la ceinture dans son dos et en une fraction de seconde tue Pam d’une balle dans la tête. Rodolphe sursaute à la détonation et lâche le sirop de grenadine qui coule lentement sur la table. Livide, il contient sa voix : - T’es fou, tu l’as tuée ! - Ta gueule ! Elle allait nous donner, elle était en train de flancher, tu comprends ? Ils en auraient fait qu’une bouchée pour la faire parler… Alors, tu fermes ta gueule, tu nettoies un peu tout l’bordel-là et on ira jeter l’corps à la Garonne cette nuit. Yvan, tendu, crispé mais inflexible s’affuble du chapeau de paille, du petit bermuda de beaufbobo-gauchiste et sort discrètement avec un plan en tête.

III) Camille Vrrrrreefffiitt, font les patins électriques de Camille. La toute dernière nouveauté à la mode. Comme des chaussons à semelle métallique avec un système de coussins d’air. Très simple d’utilisation, sans aucun apprentissage particulier, il suffit de les enfiler, par-dessus les chaussures, de mettre le contact, le coussin d’air s’enclenche et nous surélève de dix centimètre environ. Ensuite, on avance le pied comme pour se mettre à marcher normalement et là, grâce à différents capteurs et propulseurs à faisceau bi-convexe, les patins démarrent. En restant juste debout sans bouger les jambes, on garde une vitesse de 6 ou 7 km/h sur plusieurs centaines de mètres. Après quoi il faut à nouveau avancer un pied et c’est reparti tranquillement sans encombres. Évidemment les plus jeunes exploitent le système à fond car en « patinant » de plus en plus vite, ils prennent de la vitesse jusqu’à 25 km/h sans se fatiguer plus que lors d’une marche bien cadencée. Idéal pour tous les déplacements en ville et sur n’importe quel revêtement, le tout se recharge comme une tablette ou un smartphone. Bref, Camille avance à vive allure sur les quais, rive gauche, reboisée pour faire le plus d’ombre possible et de fraicheur. Elle est heureuse, elle termine ses études de droit social et citoyen, c’est ainsi que l’on a rebaptisé le code civil et le code du travail désormais fusionnés. Aujourd’hui, le monde du travail n’appartient plus aux patrons mais à nous tous, comme nos mobiliers urbains, nos transports en commun, nos parcs etc. C’est donc les mêmes règles partout qui s’appliquent pour assurer les droits et responsabilités de tous. Le grand patronat qui s’est enrichi en exploitant, violentant tant de salariés durant les trente honteuses (à peine 27 en réalité de 2022 à 2049 mais c’est en référence aux trente glorieuses du siècle précédent) a été discrédité en même temps que le gouvernement PPE s’est trouvé renversé. Les citoyens ont repris le pouvoir, les travailleurs deviennent les copropriétaires de l’outil de travail et de son organisation. Tout se met en place lentement mais de nombreuses idées fourmillent maintenant avec la liberté. Elle a 25 ans, elle est militante dans le parti communiste-écologiste qui est en passe de gagner les élections municipales qui se tiennent en décembre 2050 car tous les calendriers ont été bousculés. En passant devant le miroir d’eau, elle croise Antoine, un camarade. - Hey, salut Antoine ça va ? - Oui. Tu vas à l’AG je suppose, lui sourit-il ? - Ouais, tu sais j’étais aux Quinconces, on distribuait le tract pour les municipales avec le slogan à la fin : « Rejoignez-nous et inventez la suite !». Et toi tu viens ? - Nan, ce soir je reste avec les enfants. C’est madame qui vous


UX 2050

rejoindra en sortant du boulot. À bientôt Camille et passe le bonjour aux pastèques ! Ils se saluent d’un signe amical. Camille repart à toute vitesse. Les pastèques c’est le nom donné à cette coalition rouges/ verts, comme une pastèque. C’est né pendant cette résistance contre le PPE. C’est devenu une telle évidence que lutter contre les gros industriels qui polluent, c’est lutter contre les propriétaires des terres, des moyens de production et des capitaux. Il s’agit donc toujours de lutte des classes… toujours. Et on ne peut gagner qu’en collectif, en masse. La preuve, ils avaient bien réussi à renverser ce PPE, xénophobe, homophobe, inculte et ayant cette pointe de haine en particulier pour les musulmans. Ils n’étaient pas les seuls en France. On avait bien vu au début des années 2000 s’installer progressivement les extrêmes droites un peu partout, Autriche, Pays Bas, Hongrie puis, l’air de rien, Trump aux USA c’était un peu ça aussi… Et puis l’Italie et puis le Brésil. La suite on la connait, une espèce d’engouement est né dans le monde entier, nous ne pouvions pas y échapper d’autant que les gouvernements dits libéraux en France comme ailleurs donnaient raison à ces idées là aussi, à l’époque. Soudain, alors qu’elle s’arrête sur le trottoir pour traverser la voie du tram, elle reconnait Yvan s’approchant de l’arrêt Sainte-Croix, direction Bègles. Les deux trams se croisent et arrivent en même temps, gênant Camille pour passer et pour voir. Mais c’est lui, cette ordure de facho, elle en est certaine malgré son accoutrement bermuda/ chapeau de paille… pas son style du tout mais justement. Elle a reconnu sa démarche, son allure générale. Les trams redémarrent… plus personne aux arrêts. Donc il est monté dedans. Bon, elle appelle la police tout en continuant son trajet, ça ne servira peut-être à rien. Mais il faut essayer quand même. Lentement, elle remonte la rue Peyronnet au moment où le commissariat décroche : - Bonjour, je voudrais signaler avoir

vu Yvan Le Guennec monter dans le tram C à Sainte-Croix direction Lycée Vaclav Havel. - Y a combien de temps Madame ? - Deux minutes, juste le temps de vous appeler. Je pense que le tram est maintenant entre Tauzia et la Gare. - C’est très précis. Veuillez patienter quelques minutes s’il vous plait. La bande des trois « capos » comme on les appelait pendant l’Horreur, est tellement recherchée qu’un dispositif très efficace est en place. L’agent de police prévient tout de suite le conducteur du tram pour lui demander de s’arrêter comme s’il y avait un incident technique. Ensuite, il prévient les policiers les plus proches de la gare pour suivre le plus discrètement possible l’individu soigneusement décrit par la jeune femme. Pendant ce tempslà, Camille continue de « glisser », rue Malbec, pour tourner à gauche ensuite dans la rue Furtado où se trouve toujours la fédération du parti communiste devenue maintenant l’un des QG des pastèques. Sous les grandes toiles blanches tendues entre les toits des immeubles, la température est bien plus supportable que dans les endroits encore non protégés ou revégétalisés. On a eu jusqu’à 48°C pendant plusieurs jours cet été. Ce dispositif permet aux murs des maisons comme aux trottoirs ou aux rues de ne pas être « cognés » par le soleil, et de ce fait d’éviter que le sol soit brûlant, et le soir au coucher du soleil nous ne ressentons plus comme avant toute la chaleur qui remontait du sol, entrait dans les appartements rendant l’air lourd et suffoquant. L’agent de police reprend la communication, note les coordonnées de Camille et lui demande de passer au commissariat dès aujourd’hui pour signer sa déposition. Un peu en retard, Camille entre dans la grande salle de réunion du rez-de chaussée, l’AG vient juste de commencer. - Pardon de vous interrompre mais je ne peux pas rester longtemps, je dois aller au commissariat… Je viens

de voir Yvan, grimé avec une longue barbe noire, pantacourt et chapeau de paille. - Ah oui !? Rien à voir avec leurs fringues strictes, noires et leurs cheveux plein de gel, visage glabre etc. Mais t’es sûre que c’est lui ? demande Maëlle, la secrétaire de section. - Oui oui, ma main au feu, assure Camille. On les a tellement guettés et vus arpenter notre quartier… On le sait tous, on les reconnaitrait entre mille ! Pourvu qu’on l’attrape. Le procès ! C’est le procès qui compte ! Que tout soit dit et inscrit… pour toujours. C’est la justice, pas la vengeance mais le sens des actes, des mots et de ce que l’humain en fait… - Pour que ça n’existe plus jamais surtout, l’interrompt Marc, jeune camarade de 18 ans. - Plus jamais, comme on le disait en 45… Enfin en 1945, rappelle Nathalie camarade de 76 ans. - Ok, ok. Attendez, parlez pas tous en même temps les copains ! Juste avant de reprendre nos échanges, Camille, comment ça s’est passé la distribution des tracts aux Quinconces ? demande Maëlle. - Super bien. Les gens sont contents, l’emploi qui reprend, toutes les initiatives d’espaces verts, de potagers bio partagés un peu partout dans la ville, les transports en commun gratuits, et nos prévisions de crèches, classes supplémentaires, les reconstructions d’hôpitaux et de centres de soin… Le slogan leur plait, de venir inventer la suite avec nous et aussi l’acte symbolique de planter une fleur, ou un petit arbre à chaque QG du PPE qui a été démoli. Ils retrouvent enfin du pouvoir, en quelque sorte une autonomie de proposer, d’agir et non plus répondre à des consignes… Et sinon pour finir, on s’est marré parce que Fatima qui a toujours beaucoup d’humour, disait : « votez pour nous, on est sûrs de gagner…Cette année, Juppé se présente pas ! » Éclats de rire dans l’assemblée, Camille fait un bisou de la main à tout le monde et part au commissariat.

IV) Justice 2h30 du matin, toute la police disponible est postée partout dans Saint-Mich’, Saint-Pierre, Stalingrad… Yvan a été suivi pendant la journée. Leur repaire de la rue du soleil est maintenant connu. Mais ils ne l’ont vu que tout seul. Or, tout le monde pense que Pam et Rodolphe ne sont pas loin. Ils ont sûrement une activité la nuit, l’ordre est donné de les pister jusqu’à 7h du mat. Après quoi, on arrêtera au moins Yvan. Deux ombres sortent. - Rodolphe ! se réjouit intérieurement Pierre, jeune policier d’une trentaine d’années. On a bien fait de patienter, pense-t-il, ils vont nous conduire quelque part. Les deux hommes montent aussitôt dans une voiture garée le long du trottoir de la rue de la Rousselle. Pierre sur ses patins part dans le sens inverse pour ne pas être repéré et décrire par radio à ses collègues la voiture et la direction. Le véhicule est suivi à la trace. Il tourne rue Buhan, puis cours Victor Hugo, file tout droit sur le pont de pierre, tourne à droite le long des quais et stoppe trois cent mètres plus loin. Les deux criminels en descendent, ouvrent le coffre, en sortent un objet très volumineux et sûrement très lourd puisqu’ils le portent à deux. Enroulé dans le tapis, le corps mort de Pam oblige les hommes à quelques derniers efforts pour s’en débarrasser. Rodolphe en sait quelque chose pour l’avoir hissé tout seul dans l’après-midi en allant le cacher dans la voiture. Ils arrivent près d’un ancien ponton, enjambent le petit muret et descendent avec précaution la berge terreuse et pentue, jusqu’à avoir les pieds dans l’eau jusqu’aux genoux. Là, ils lancent le corps avec le plus de force possible. Rodolphe n’a pas le temps de se retourner pour demander la suite du plan que déjà Yvan colle son pistolet sur sa nuque et appuie sur la détente. En poussant son ancien ami dans l’eau, O Terrivel (« le terrible » en portugais car à une époque il était de bon ton de se donner un surnom

brésilien) trébuche et tombe dans l’eau. Il est trempé et vexé : - Ils m’auront fait chier jusqu’au bout, ne peut-il s’empêcher de proférer. Mais c’est bien fini maintenant, ils me ralentissaient ces deux couilles molles. Y a moi, y a que moi ! Je suis seul à valoriser notre race, à la représenter. Je vais pouvoir m’en sortir maintenant. Y a que seul qu’on s’en sort, dans un groupe on est englué, on disparait… Pris dans ses pensées, il passe par-dessus le parapet et n’a pas remarqué les policiers. Dès qu’il les aperçoit il attrape son flingue mais il est tout de suite appréhendé par deux flics qui lui sautent dessus. Un coup de feu part quand même et arrache une oreille d’Yvan qui crie de douleur. - T’inquiète pas ! Il te reste l’autre pour entendre ton procès, répondre de tes crimes, sur le banc des accusés. On n’échappe pas à la justice, connard. Tu vas avoir tout le temps d’y repenser dans ta cellule, nargue un policier en le menottant. V) Naissance Le lendemain, Mathis ne travaille pas, il sort de la maternité où il a passé tout l’après-midi avec sa fille et le petit Khader. Entre câlins, bisous, photos, ils ont parlé de l’actualité et des futures élections. Ils ont passé quelques heures agréables et pleines d’espoir. Alors, il met sa casquette, et décide de marcher un peu jusqu’à la barrière d’Ornano, il profite ainsi des arbres, de leurs jolies couleurs du début d’autonome, de ce parfum caractéristique d’humus, de cette douceur végétale qu’auparavant on allait chercher à la campagne tant l’air des villes était vicié. Oui, mon petit-fils, pense-t-il, a bien de la chance d’arriver dans une société apaisée où il vivra sans inquiétude et construira un monde magnifique… À cet instant, ses yeux se portent sur un morceau de papier qui volette sur le trottoir. C’est un bout de tract déchiré, il reconnait la pastèque coupée en deux, rouge dedans, verte autour et la fin du slogan : « … inventez la suite ! »

Les Nouvelles 27 décembre 2018 • 3


2018 RÉTROSPECTIVE

Le box-office de l’année À l’heure de jeter un œil dans le rétro de l’année 2018 en Macronie, nous avons choisi de le faire en mode cinéma, avec les récompenses qui vont avec. L’occasion d’un point de vue décalé, entièrement subjectif et non exhaustif, que chacune et chacun pourra d’ailleurs revoir à sa façon. Scénario. Dans la lignée de la COP 21 et de l’accord de Paris, cela parait évident, la lutte contre le réchauffement climatique doit passer, entre autres, par le développement des transports en commun, avec en tête le transport ferré. Erreur de casting en France, car c’est une réforme rétrograde de la SNCF qui est mise en oeuvre. Les cheminots contre-attaquent, avec le scénario de l’année : une grève originale de deux jours sur cinq d’avril jusqu’au début de l’été. Pas de « happy end » néanmoins. Pendant ce temps-là, Macron est primé dans l’entre-soi des leaders libéraux « champion de la planète ». Comme un air de commedia dell’arte… Court métrage. La palme revient pour l’année 2018 à Nicolas Hulot, démissionnaire à la rentrée après seize mois seulement au gouvernement. L’ancien ministre de la Transition écologique trouve encore néanmoins une place, par exemple en vedette américaine dans « L’émission politique » en pleine séquence « gilets jaunes ». Dans le faux débat « fin du mois contre fin du monde », il dit tout de même « qu’une économie basée sur une croissance infinie dans un monde fini » n’est pas viable. Second rôle. Les compagnies pétrolières ne sont pas à l’affiche des différents épisodes « gilets jaunes ». Elles ne font ni la Une des médias

dominants ni le miel des soi-disants « experts » télévisuels. Pourtant, avec leurs dix milliards de profits annuels, elles devraient prendre toute leur place quand on parle de taxer les énergies fossiles. Le PCF propose donc de leur donner à l’avenir un des premiers rôles dans ce dossier. Parmi les propositions communistes pour le pouvoir d’achat et le financement de la transition écologique, la taxation de ces profits abondants figure en bonne place. Mention également, puisqu’on parle de la place de la bagnole et de son coût, aux très discrètes sociétés concessionnaires d’autoroutes, qui comme le soulignait L’Humanité fin novembre, ont dégagé 4,7 milliards de dividendes en 2016. Décors. Débat cornélien à l’heure de la rédaction du palmarès : fallaitil créer une catégorie « figurants » spécialement pour eux ? Finalement, on laisse les député-e-s LREM à leur place, en plantes vertes dans le décor solennel de l’Assemblée nationale. Cette année encore, ils ont bien tenu leur rôle dans la version macroniste de « Merci patron » et dans celui, toujours en haut de l’affiche depuis le début de la législature : « En marche à l’ombre ». Costumes. On s’en doute, après les costards de François Fillon l’an passé, c’est le gilet jaune qui remporte cette catégorie en 2018. Principalement porté en bord de rond-point en semaine et sur les avenues des grandes villes le samedi, il a même déteint sur les manifestants des marches pour le climat, puisqu’on parle de gilets verts pour les désigner. Mais la couleur dominante de l’année ne doit pas en faire oublier d’autres, rouge principalement, quand il s’agit de se mobiliser

pour le pouvoir d’achat, l’emploi ou les services publics. Dialogues. En Macronie, le nom de cette catégorie est sans doute mal choisi. On pense donc à quelques phrases cultes. « Je traverse la rue et je vous en trouve » ou « le pognon de dingue », bien sûr, mais on retiendra plutôt celle de la ministre de la Défense, Florence Parly, qui n’a sans doute pas eu le succès qu’elle mérite. À propos des ventes d’armes à l’Arabie saoudite et de leur utilisation au Yémen, la ministre a donc osé : « À ma connaissance, les armes qui ont été vendues récemment ne sont pas utilisées contre les populations civiles ». Encore une fois, les enjeux du capital rendent aveugles (ou font juste fermer les yeux). Rappelons que la France, avec son Rafale, est désormais sur le funeste podium mondial des marchands d’armes ! Espoir. C’est la catégorie qui per-

met de citer un jeune « talent » de la vision jupitérienne du pouvoir, avant qu’elle ne soit satellisée en fin d’année : Alexandre Benalla. Très fort pour aller en mettre, en toute illégalité, à des manifestants, moins bon en revanche lors des auditions devant les parlementaires… Devant les images de flics bastonnant des lycéens ou des smicards noyés par le gasoil, Benalla doit être amer : là-aussi, c’était un rôle pour lui, celui d’aller « castaner » du manifestant. Toujours à l’affiche. Dans le système capitaliste, le scenario est bien rôdé, avec des situations de plus en plus alambiquées et une efficacité toujours aussi redoutable : « Pognon break », pourrait-on appeler les différents épisodes démontrant la complexité et la perversité de ces mécanismes (Panama Papers, Paradise Papers, Foot leaks, etc). Dans le scénario, on trouve toujours une certaine pointe d’exotisme qui pour

le moment a fait défaut à des pays comme le Luxembourg ou l’Irlande pour apparaître à l’affiche officielle des paradis fiscaux. Les parlementaires PCF, avec une proposition de loi, ont pourtant élaboré un synopsis solide pour changer le cours du film. Au final, n’oublions pas, la note est plus salée qu’un pot de pop-corn : 80 milliards d’évasion fiscale à l’échelle du pays, 1 000 milliards à l’échelle de l’Europe. Dans la catégorie « gros sous », mention spéciale à Carlos Ghosn et ses aventures japonaises, qui pourraient inspirer un remake à la française : « il faut faire sauter le verrou de Bercy ». Et si en 2019, on choisissait les actrices, les acteurs et surtout le scénario ? Olivier Escots

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4 • Les Nouvelles 27 décembre 2018

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Jeanne RM, médecin généraliste de milieu urbain et attachée au service de gynécologie de son agglomération, découvre à 36 ans les consultations d’interruptions de grossesse au moment de l’application de la loi Aubry de 2001 (décret du 28.11.2004).

« …j’ai été happé par la force de votre texte que j’ai dévoré de la première à la dernière page. » Sylvan Missonnier professeur de psychologie clinique à l’université de Paris Ouest « … Toutes ces histoires dessinent en toile de fond quelque chose de maternel et de ses méandres, ses ambivalences, ses douleurs, tristesses, forces et faiblesses. Cet ensemble d’émotions, de pensées, de ressentis qui nous traversent à la lecture, vous nous les transmettez merveilleusement bien. » Sophie Marinopoulos psychologue cliniicienne, psychanalyste, faculté de Nantes « …Dans cette période où les bien-pensants s’acharnent à remettre en cause l’avortement, cet ouvrage est bien venu et d’une grande valeur. » Marie-Jeanne Aragnouet puéricultrice, cadre des crèches collectives départementales de Seine-Saint-Denis.

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- Carnets d’une faiseuse d’anges Jeanne RM

Philosophie, sociologie, psychanalyse, marxisme, communisme, sont quelques-uns des investissements intellectuels et des champs explorés par Jean-Paul Abribat, universitaire et intellectuel engagé, tout au long de sa vie. Le titre de cet ouvrage résume bien la problématique qu’il a travaillée et qu’il travaille tout au long de ces échanges extrêmement riches. Il explore un des grands questionnements de nos sociétés modernes, profondément mis à mal par la logique capitaliste : comment faire société avec une multitude d’individus aux histoires singulières sans nier la réalité concrète de chacune de ces histoires dans la grande histoire commune de l’humanité ? Pas si simple... Et si Marx et Freud avaient à voir, en passant, avec Lacan, Lénine, Bourdieu, Engels, Mao, Lainé, Roger, Weber, Hegel, Durkheim, Montaigne, Spinoza, Proudhon, Mendès France, Leroi-Gourhan, Staline, Touraine, Leys, Debord, Balandier, Foucault, Althusser, Badiou, Luxembourg, Bakounine, Trotski, Furet, Lükacs, Mury, Onfray, Sartre, Camus, Castoriadis, Deleuze, Guattari, Barthes, Lévi-Strauss, Labica, Dubet, Gürvitch, Flottes, Henri Chassaing, Maurice-David Matisson, Pierre Geismann, Roger Navarri… Evocations, anecdotes, débats, cheminements, recherches, confrontations… « Il ne suffit pas de revisiter, il s’agit d’inventer aujourd’hui et ce n’est pas facile… ! »

Crédit photo couverture © C-P Productions Crédit couverture Denis Hervouet ISBN : 979-10-90652-06-4 Éditions des Nouvelles de Bordeaux et du Sud-Ouest www.nbso.fr

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Entretiens avec Jean-Paul Abribat Réalisés et mis en forme par André Paillaugue et Jean-Claude Gillet

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« Sa décision est prise, elle renonce à un rêve, elle le met entre parenthèses. Elle est triste et calme. Elle a troqué sa petite jupe contre un pantalon sans forme. L’avortement s’annonce difficile ; la décision de tête est prise mais celle du cœur lui est opposée. La raison contre l’affectif. Elle a mal très rapidement. Aucun comprimé ne l’apaise. Elle résiste à toute tentative de discussion. Les heures passent, tendues, crispées. »

49 jours - Carnets d’une faiseuse d’anges -Jeanne RM

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Entretiens avec Jean-Paul Abribat Réalisés et mis en forme par André Paillaugue et Jean-Claude Gillet


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