Un monde brutal et écervelé a besoin d’humanité Enseignant mais aussi poète et auteur d'essais1, Olivier Barbarant se fonde sur sa pratique de lecteur engagé. Rappelant que les écrivains du groupe dit de l’Abbaye (Vildrac, Duhamel, Jules Romains, Pierre-Jean Jouve…) finiront tous par écrire dans L’Humanité, René Ballet, dans sa présentation d’un livre déjà ancien (Grandes Plumes dans l’Humanité, Messidor, 1990), se demandait pourquoi. « Quel est leur point commun ? Sans doute la recherche de formes inédites pour rendre compte de réalités nouvelles. Sauver la culture en l’actualisant. » Sauver la culture en l’actualisant… Programme admirable, dont le journal d’aujourd’hui ne paraît pas démériter, et qui ne se limite pas aux pages dites culturelles. L’Humanité fournit une mise en perspective de l’actualité, tant sociale, économique, politique, qu’artistique. Dans un univers précipité, qui n’offre guère le temps de la réflexion, où ce qu’on appelle « information » demeure le plus souvent un tas de brèves informes et tronquées, de faits privés de sens, L’Humanité prend le temps de l’analyse, de la remontée vers les causes. Déclaration de principe, répondra-t-on ? Prenons quelques exemples avec l’édition du vendredi 24 mai, et de L’Humanité Dimanche de la même semaine. Essentiel dans une société d’amnésie, l’anniversaire du 25 mai 1913 (page 22) permet de rafraîchir ses connaissances. On se souvient bien des images – le lyrisme de Jaurès, la main levée, la barbe au vent – et des pages d'Aragon sur le discours du Pré-Saint-Gervais… Mais le contexte ? L’importance aujourd’hui ? Il est rare qu’un journal aide à réviser, sans didactisme, ses cours d’histoire et, surtout, d’histoire du mouvement ouvrier. Par le bruit de fond des radios, les notules des gratuits qui traînent dans les trains, que l’on feuillette négligemment, j’avais appris qu’il y avait une grève dans le métro lillois. Il m’a fallu la page 11 de L’Huma Dimanche pour en connaître les motifs et la conclusion, le brouhaha médiatique se contentant de la traditionnelle « gêne pour les usagers ». Même chose pour le conflit social en Bolivie (page 23), ou pour les prélèvements d’ADN que l’on prétend imposer à des syndicalistes (page 6). Ailleurs, les luttes
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sociales sont traitées avec une superficialité unanime, incontestablement orientée. Pour ces pages aussi, comme pour les débats et les éclairages politiques, L’Humanité est irremplaçable. La diversité de la presse reste un leurre si des titres, nombreux, en se copiant les uns les autres, répercutent la même antienne en cultivant de vagues nuances pour donner l’impression de divergences. La réticence qu’on m’objecte quelquefois en me voyant lire un journal dit d’opinion prêterait à sourire : on sait qu’un journal de « référence » c’est un journal qui n’avoue pas son opinion, laquelle se trouve refléter la pensée dominante. Non, je ne lis pas L’Humanité pour me conforter dans des certitudes. Si je n’approuve pas tous les articles, le journal toujours me donne à penser.
«L'Humanité connaît désormais le sort de la poésie, du cinéma exigeant, de tout ce qui n'a pas abdiqué l'ambition d'éclairer les hommes»
Pour entendre cet air différent, encore faut-il y accéder. Pigeon voyageur, je ne suis pas abonné à L’Humanité, qui m’attendrait autrement à l’une des mes adresses. Au kiosque du métro Bonne-Nouvelle, où je le prends la moitié du temps, L’Humanité est disponible, mais derrière le vendeur, non sur les présentoirs extérieurs où trônent d’autres titres. Dans les gares, le nombre d’exemplaires est si réduit qu’il faut passer le premier pour être sûr d’avoir le sien. Dans les hôtels, il est rare de le trouver, entre les régionaux et la presse dite économique. Le wagon-bar des TGV, d’après mon expérience, ignore son existence, quand il est aisé de s’y alimenter en magazines arborant inlassablement en une le palmarès des hôpitaux ou le prix de l’immobilier… Il existe ainsi une forme nouvelle de censure par évaporation dans les canaux de distribution. De ce point de vue, L’Humanité connaît désormais le sort de la poésie, du cinéma exigeant, de tout ce qui n’a pas abdiqué l’ambition d’éclairer
les hommes. Rappeler aux marchands qu’ils ratent des ventes, faute de commandes suffisantes, est devenu pour moi un jeu et une forme de micromilitantisme quotidien. Un monde brutal et écervelé a besoin du journal fondé par Jean Jaurès, et du programme même de son titre : besoin d’humanité. Un monde sans L’Humanité, ce serait le triomphe de ce que mon ami Jean-Baptiste Para, l’autre jour, désignait à juste titre comme « un totalitarisme à l’état gazeux ».
Olivier Barbarant
*L'Humanité du 27 mai 2013 1. Olivier Barbarant a dirigé la publication des œuvres poétiques d’Aragon dans la collection de La Pléiade (deux tomes, 2007). Un texte de Jack Ralite et un texte d'Olivier Barbarant, lus par les auteurs dans la cour de la maison Jean Vilar en Avignon le 14 juillet 2012, accompagnant des poèmes que lut Dominique Blanc, ont fait l'objet d'un petit ouvrage, Aragon d'hier à aujourd'hui, avec une préface de Pierre Laurent, publié par les éditions Arcane 17 à la fin de l'année dernière (60 p., 7 €).
Tendresse
Déprovincialiser les langues de France Le Forom des langues montre l’importance des langues et cultures régionales qui forgent la civilisation française. Dimanche 26 mai, la place du Capitole résonne copieusement des mots et des musiques des langues – une centaine – parlées à Toulouse. Le 21e Forom des langues du monde ouvre ce jour-là l’espace aux associations culturelles et aux locuteurs de ces langues. Les organisateurs (le Carrefour culturel Arnaud-Bernard et son président, Claude Sicre) ont saisi l'occasion de poser avec détermination la problématique des langues régionales, c’est-à-dire des langues de France. Question d’autant plus fondée que, le 20 mars, le président de la République a estimé, alors qu’il s’y était engagé comme candidat, que la ratification par la France de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires n’était pas constitutionnellement possible. Aurélie Filippetti, ministre de la Culture, s’est alors adressée à un comité consultatif pour la promotion des langues régionales et de la pluralité linguistique interne, pour lui demander « de formuler des recommandations visant à valoriser cette pluralité linguistique ». Une proposition du Forom des langues de Toulouse (1), élaborée dès 1997, a été en ce sens présentée, fin avril, à ce comité consultatif, qui lui aurait réservé un accueil positif. Il s’agit de la proposition de généralisation à tous les Français d’une éducation qui montre l’apport des langues et cultures régionales à la langue, à la culture et à la civilisation françaises. Elles ont forgé l’identité française. Jusqu’à maintenant, l’enseignement de ces langues n’est possible que dans l’aire régionale où on les parle. « Il faut déprovincialiser les esprits », a insisté Claude Sicre. « C’est le rôle de la République d’éduquer à cette histoire, c’est-à-dire d’apporter à tous des lumières sur cette question et de ne pas laisser régner les obscurantismes, aussi bien ceux de l’unitarisme centraliste que ceux portés par des mythologies régionalistes et nationalitaires. » Lors du débat, plusieurs intervenants ont critiqué la décision de François Hollande de repousser la ratification de la Charte européenne pour des motifs constitutionnels. « Une ratification aurait revêtu une portée symbolique majeure. » Xavier North, délégué général à la langue française et aux langues de France, représentant la ministre de la Culture, a assuré que la volonté du ministère était de valoriser le statut des langues régionales. « Les langues régionales sont des langues de France. La reconnaissance du multilinguisme va peu à peu avancer dans les textes législatifs. » Participant au débat du Forom, Alain Hayot, délégué national à la culture pour le PCF et le Front de gauche, a réaffirmé son soutien à la ratification de la Charte européenne. La prise en compte des langues de France oblige à revoir la conception de la République. « Le pluralisme culturel ne met nullement en cause le caractère indivisible de la République. » Il a souligné le besoin d’une VIe République qui fait du pluralisme politique et culturel un enjeu fondamental. « Les langues de France sont notre bien commun, chacune mérite le soutien de la République. » Alain Hayot s’est vivement inquiété de la disparition, dans l’acte III de la décentralisation, des mots culture, langue, arts. Il a alerté sur la réduction de 5 % du budget national de la culture, une première dans l’histoire de la République. Alain Raynal 1 - www.arnaud-bernard.net
Souffrance plâtre 2
Félix 1
Tango 2
Maternité pietra serena 1
Matières à passion
Anne Konlein Balazard, après une carrière scientifique, a retrouvé ses rêves d’enfant : créer, façonner les matières en laissant libre cours à son imaginaire pour transmettre ses émotions. Son désir de partager avec son public, de lui transmettre son goût pour la forme simple mais évocatrice, l’a amenée à travailler des matières variées : bois, pierre (marbre, stéatite, albâtre…), terre, bronze, tissu. Deux sculpteurs sont à l'origine de sa passion, ils donnent deux orientations à son travail : Camille Claudel pour la force des sentiments et Constantin Brancusi pour la recherche de la perfection et de la simplicité dans la forme. Son travail se développe à partir de deux démarches complémentaires, l’une intuitive, en se laissant guider par les formes et défauts de la matière, l’autre conceptuelle, en traduisant dans une matière une idée de forme dessinée ou modelée. De plus, elle ressent une grande attirance pour les textures, les volumes, les veines et les couleurs, la douceur des courbes et elle souhaite susciter le désir du toucher et le plaisir des caresses. Cependant sa recherche ne se limite pas à ses activités artistiques, elle développe aussi ses émotions dans ses engagements, particulièrement au sein d’une association de solidarité internationale, l’Association African Solidarité, qui s’occupe au Burkina Faso des populations victimes du VIH Sida. [annek-online.blogspot.com]
Torse 1
L’Ormée 3