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Guyane

LE MARONI SE MEURT…

Ci-dessus : la pollution bien visible du Maroni. © Arnaud Anselin | PAG

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Le conseil scientifique du Parc Amazonien de Guyane lance un cri d’alarme auprès des autorités publiques sur l’état de santé du Maroni, fleuve frontalier entre la Guyane et le Suriname. Le point avec Pierre-Yves Le Bail, son président, directeur de recherche et chargé de mission-retraité pour l’INRAE.

INTERVIEW

PIERRE-YVES LE BAIL, PRÉSIDENT DU CONSEIL SCIENTIFIQUE DU PARC AMAZONIEN DE GUYANE (PAG)

Pierre-Yves Le Bail

• Quel est l’état de santé du fleuve Maroni ?

- Généralement, pendant la saison des pluies, on constate que l’eau est plus porteuse de sédiments que durant la saison sèche, où elle est plus claire.

Aujourd’hui, ce différentiel n’existe plus. Durant la période sèche, la quantité de sédiments dans l’eau est 10 fois plus élevée que celle que l’on trouve normalement en saison des pluies et cette charge sédimentaire élevée se maintient tout au long de l’année. Les couches de boue qui se déposent ainsi sur les différents substrats du fond du fleuve – roches, sable, plantes aquatiques… – ne sont plus chassées durant les périodes d’eaux claires : il y a donc une asphyxie permanente de toute forme de vie inféodée à ces substrats sur la longueur du fleuve.

• Comment expliquer l’origine de cette pollution ?

- L’origine de ces boues provient des sites d’orpaillage légal et illégal situés sur l’ensemble du bassin versant, de part et d’autre de la frontière, en bordure immédiate du fleuve ou sur les affluents du Maroni. La part des rejets surinamais est majoritaire, car la réglementation environnementale y est quasiment inexistante.

Il faut également noter que l’activité d’orpaillage implique de la déforestation, ce qui aggrave les impacts plus généraux sur la biodiversité.

• Quelles conséquences pour les populations du fleuve et la survie biologique du Maroni ?

- Cette perte de biodiversité au niveau des substrats impacte toute la chaîne alimentaire qui en dépend dont les invertébrés, les poissons jusqu’aux oiseaux, mais aussi leurs possibilités de reproduction.

Les conséquences environnementales, sanitaires, sociales et de sécurité publique sont indissociables. Véritable centre de spéciation, le fleuve Maroni est une richesse patrimoniale. On dénombre pas loin de 350 espèces dont environ la moitié d’espèces endémiques. La dégradation de la santé de cette biodiversité est un des marqueurs de celle des humains. Les populations locales souffrent de cette dégradation des eaux, surtout sur le Haut Maroni. Ainsi l’état désastreux de ses eaux conduit à une extrême précarisation des relations qu’ont les communautés locales avec leur environnement aquatique, que ce soit en termes de ressources alimentaires issues de la pêche ou sur le plan sanitaire et de bien-être.

Les ressources halieutiques représentaient en 2014 plus de 7 000 prises pour trois tonnes de biomasse, actuellement elles déclinent. Certains villages amérindiens ne peuvent plus boire l’eau issue directement ou indirectement de la rivière et se tournent vers l’eau minérale conditionnée en bouteilles en plastique, ce qui accroît la pollution déjà criante sur le fleuve. Aujourd’hui, les populations locales se sentent abandonnées par les autorités françaises dont la mission est de garantir leur sécurité, leur santé, leur bien-être.

Un épais dépôt de sédiments photographié en 2022 sur une berge du Maroni.

© Hadrien Lalagüe

• Quelles solutions urgentes à mettre en place ?

- Depuis 2021, des fonds supplémentaires du ministère de la Transition écologique ont permis au PAG et ses partenaires de renforcer le recours aux moyens héliportés pour organiser des missions de lutte contre l’orpaillage illégal.

Aujourd’hui, même si des moyens ont été mis en œuvre pour diminuer l’orpaillage illégal sur la rive française, une coopération technique et politique entre la France et le Suriname s’impose. Les actions à l’initiative des autorités françaises, via possiblement la communauté européenne, doivent faire pression sur le Suriname qui consacre la plus grande part au monde de sa surface aux activités minières, avec plus de la moitié de celles-ci localisées sur le bassin versant du Maroni.

En France, nous avons des outils juridiques qui obligent l’État à agir en faveur de l’environnement et la santé de ses populations, ce qui n’est pas le cas au Suriname. Malgré tout, cette réglementation n’est pas suffisamment appliquée. Il est urgent de faire de la berge française une zone indemne de pollution, en continuant à lutter de manière renforcée contre l’orpaillage illégal pour le bien-être des populations, mais aussi en faveur de la préservation des affluents du fleuve Maroni, ce qui permettrait de disposer de zones refuges pour la faune, et envisager ainsi dans le futur la recolonisation de l’ensemble du fleuve quand la pollution aura cessé.

Enfin, chaque citoyen peut agir à son niveau, soit en ne s’impliquant pas dans les filières aurifères, soit en refusant d’acheter des bijoux en or qui représentent 50 à 60 % de sa destination afin de participer à une diminution de son cours, et ainsi contraindre les miniers à des comportements plus responsables.

Chantier d’orpaillage illégal situé le long du fleuve, dans le Suriname voisin.

© Hadrien Lalagüe

Rédaction et interview : Sandrine Chopot

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