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Guyane
« PLUS ON SE DÉCONNECTE DE LA NATURE, MOINS ON A ENVIE DE LA PROTÉGER ! »
Ethnobotaniste, maître de conférences au Muséum national d’Histoire naturelle, directrice durant 15 ans de son antenne en Guyane et aussi présidente de l’association GADEPAM, Marie Fleury nous éclaire sur l’importance des relations entre l’Homme et le milieu naturel en Guyane.
INTERVIEW
MARIE FLEURY, ETHNOBOTANISTE ET MAÎTRE DE CONFÉRENCES AU MNHN
• Les connaissances héritées de la tradition en Guyane se perdent. Vous confirmez ?
- Il y a effectivement une grande érosion des savoirs, pas seulement en ce qui concerne les plantes médicinales, mais aussi de manière plus générale au niveau des connaissances sur la nature.
Au cours des années de collège et de lycée, période charnière où les jeunes pourraient apprendre les techniques traditionnelles avec leurs aînés, ils partent en ville pour étudier. De retour dans leurs communautés, ils s’intéressent plus souvent aux loisirs occidentaux. Or, plus on est déconnecté de la nature et moins on a envie de la protéger !
• Justement, l’association GADEPAM s’est fixé pour mission la valorisation des savoir-faire traditionnels en Guyane ?
- Tout à fait. Créée en 2002, l’association GADEPAM a pour objectif la conservation d’un patrimoine culturel et immatériel lié à la nature.
Plusieurs actions y sont développées : un circuit de commercialisation via notre boutique à Cayenne basé sur les principes du commerce équitable ; un volet étude sur les connaissances des plantes et de leurs usages ; un volet transmission avec la mise en place d’ateliers de vannerie, poterie, ciel-de-case, gravure sur calebasse, etc. à destination du grand public, mais également au sein même des communautés. Dans ces ateliers de perlerie et poterie, notamment, participent des femmes qui ont envie de se former à des techniques artisanales parfois en voie de disparition.
IL Y A UNE GRANDE ÉROSION DES SAVOIRS EN CE QUI CONCERNE LES PLANTES MÉDICINALES, MAIS AUSSI DE MANIÈRE PLUS GÉNÉRALE AU NIVEAU DES CONNAISSANCES SUR LA NATURE
• Un mot sur votre nouveau livre Arts traditionnels wayana-apalai. Vous y défendez l’idée d’un « label wayana-apalai » ?
- La sortie du livre est prévue en septembre 2024. Je travaille en concertation avec les artisans wayana et apalai du Haut-Maroni pour mettre en lumière leurs savoir-faire artisanaux sur la période 2000 à 2024.
L’objectif, c’est aussi en effet de créer un label wayana-apalai pour offrir une protection juridique à leurs productions artistiques, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Beaucoup se plaignent de voir leurs motifs traditionnels copiés, plagiés et reproduits pour être destinés à la vente sans leur consentement et sans compensation financière.
• Quelles sont les priorités à atteindre, selon vous en Guyane, en matière de préservation de l’environnement ?
- Il faut éradiquer l’orpaillage illégal qui menace la forêt tropicale humide dont la destruction est irréversible. Il y a aussi urgence à protéger les connaissances associées. La forêt constitue une ressource de développement pour les populations autochtones et leur survit en dépend.
LE DJAPANA, « THÉ DE L’AMAZONIE »
La Guyane compte plusieurs centaines de plantes médicinales réputées pour leurs vertus thérapeutiques. Parmi elles, le djapana (Ayapana triplinervis) est inscrit à la Pharmacopée française. « Cette plante originaire de Guyane, utilisée par les Amérindiens, a la particularité d’avoir beaucoup voyagé. Aux Antilles-Guyanes, elle est utilisée en décoction ou infusion pour traiter une variété de maux : fièvre, rhume, toux, problèmes digestifs, nausée, pleurésie, douleurs menstruelles, inflammations, morsures de serpent… À la Réunion, elle a été adoptée dans la pharmacopée locale et on l’utilise parfois dans l’alimentation, dans les sorbets, par exemple », nous informe Marie Fleury.