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Port Réunion
INTERVIEW DU DIRECTEUR GÉNÉRAL DU GRAND PORT MARITIME DE LA RÉUNION (GPMDLR)
À l’aune du futur projet stratégique du GPMDLR 2024-2028, Éric Legrigeois, son directeur général et président du directoire, nous livre son regard sur les ambitions, les principales réalisations et les perspectives de développement de Port Réunion.
INTERVIEW
ÉRIC LEGRIGEOIS, DIRECTEUR GÉNÉRAL ET PRÉSIDENT DU DIRECTOIRE DU GRAND PORT MARITIME DE LA RÉUNION (GPMDLR) OU PORT RÉUNION
• Un nouveau Projet stratégique devrait être approuvé en novembre 2024 par le conseil de surveillance du GPMDLR. Quel bilan faites-vous du Projet stratégique 2019-2023 ?
- J’occupe mes fonctions actuelles depuis un peu plus de cinq ans, ce qui correspond quasiment à la durée de la feuille de route quinquennale du Grand Port qu’est notre « Projet stratégique ». Celui-ci est organisé autour de deux ambitions : d’une part le « Port rayonnant » et d’autre part le « Port responsable », dans lequel la notion d’environnement est très présente.
UN PORT RAYONNANT
- Un port, c’est avant tout une interface avec l’extérieur, surtout pour une île. Le « Port rayonnant » fait partie de notre cœur de métier, avec plusieurs enjeux : densifier la connectivité maritime, promouvoir l’économie bleue, attirer la croisière, impulser des actions de coopération régionale, innover dans la transition numérique.
UNE MEILLEURE CONNECTIVITÉ MARITIME
- Pour stimuler son économie, l’île doit être desservie par de nombreuses lignes maritimes mais, pour justifier certains investissements, le seul trafic domestique ne suffit pas. Cependant, vouloir attirer des flux de marchandises non destinés à La Réunion, c’est entrer en concurrence avec d’autres ports. Cette activité s’appelle le « transbordement ».
Concrètement, il s’agit de conteneurs débarqués depuis un bateau venant par exemple d’Europe et stationnant quelques jours sur les terre-pleins avant d’être réembarqués vers un port de la zone à Madagascar, à Mayotte, en Afrique du Sud, au Mozambique ou au Kenya. Pour être attractif et concurrentiel dans un contexte où les coûts salariaux à La Réunion sont très supérieurs à ceux des ports avoisinants, nos installations doivent être performantes.
C’est pourquoi, dans la continuité des actions engagées par mes prédécesseurs, la modernisation du terminal à conteneurs s’est poursuivie. Deux portiques ont été remplacés et notre capacité à brancher des conteneurs réfrigérés – les « reefer » – a augmenté de plus de 30 %. Ces investissements permettent de manutentionner plus rapidement les grands navires et d’assurer des escales de plus de 2 000 mouvements en moins de trois jours. Cette qualité de service bénéficie aussi aux flux import-export de La Réunion.
UN PORT OUVERT EN PERMANENCE
- L’attractivité, c’est aussi garantir la fiabilité des accès. Ainsi, pendant la crise Covid, Port Réunion a été le seul port de l’océan Indien acceptant les relèves d’équipage. En 2020, 18 000 marins en ont profité ! Certains étaient en mer depuis 9 voire 12 mois. Ils ont pu enfin débarquer, rejoindre le hub de Roissy puis leurs pays d’origine.
Cette implication des équipes du port, combinée à celle des agents maritimes et des autres professions portuaires mobilisées, et avec l’appui des services de l’État, a été extrêmement bien perçue par les compagnies maritimes.
Des représentants d’ambassades sont même venus nous remercier et aujourd’hui encore, nous avons des retours positifs de cette période.
LE DÉVELOPPEMENT DE L’ÉCONOMIE BLEUE
- Port Réunion contribue à plus d’un titre à l’économie bleue mais, pendant mon mandat, l’opération majeure a consisté à acquérir un dock flottant permettant de mettre à sec quasiment tous les bateaux basés à La Réunion.
L’enjeu est de structurer la filière de réparation navale avec à la clé une centaine de nouveaux emplois. L’essor de cette activité permettra de créer à La Réunion une valeur ajoutée de plusieurs millions d’euros qui aujourd’hui bénéficie à Maurice.
L’ENJEU DE LA CROISIÈRE
- La crise Covid a donné un coup d’arrêt à la croisière. Les effets ont été perceptibles pendant deux saisons.
Malgré tout, les aménagements se sont poursuivis, anticipant le redémarrage observé depuis la fin 2023. Cette reprise d’activité s’accompagne d’exigences plus fortes en sûreté portuaire dans le contexte de la vigilance attentat. L’audit national de 2023 a confirmé que les conditions d’accueil respectaient les directives européennes et les codes internationaux.
DES MOYENS DE DRAGAGE RÉNOVÉS
- L’ambition de « Port rayonnant » se décline aussi au port Ouest, car les chargeurs demandent de pouvoir accueillir des bateaux de plus en plus gros. Cela se traduit par des besoins de dragage accrus.
Afin de gagner là aussi en performance, plusieurs investissements ont été engagés pour équiper les marins et les grutiers du port. Le chaland servant à recueillir les sédiments a été entièrement rénové en 2021 et la grue assurant le dragage du chenal a été remplacée début 2024.
UNE COOPÉRATION RÉGIONALE PLUS ÉTROITE
- Nous échangeons davantage avec nos partenaires régionaux, dont notamment certains adhérents de l’Association des ports des îles de l’océan Indien (APIOI) comme par exemple à Madagascar et aux Seychelles, et d’autres partenaires de la Port Management Association of Eastern and Southern Africa (PMAESA) au Mozambique, en Tanzanie, au Kenya…
Parmi les thématiques abordées, on peut citer les échanges de bonnes pratiques, la mutualisation de certaines formations, ou encore la construction d’une approche coordonnée de la croisière.
UN PORT RESPONSABLE
- La seconde ambition de « Port responsable » repose sur des orientations liées à la transition énergétique, à l’environnement et, en interne, à la qualité des conditions de vie au travail. L’enjeu est aussi de consolider le lien entre le port et les acteurs du territoire, dont les collectivités.
AGIR POUR LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE
- Dans le domaine de la transition énergétique, en tant qu’établissement public de plus de 250 salariés, nous devons respecter deux obligations réglementaires :
réaliser périodiquement des audits énergétiques et des bilans sur les émissions de gaz à effet de serre (BEGES). Ces diagnostics se déclinent ensuite en fiches actions. Le plan d’actions issu de l’audit énergétique a pour objectif, à périmètre constant, de réduire de 30 à 40 % notre consommation énergétique. S’agissant de la réduction des EGES, elle passe par le remplacement du fréon par de l’ammoniac ou du gaz carbonique dans les silos à glace et les entrepôts frigorifiques.
De manière plus innovante, nous collaborons avec le cabinet Efficacity dans le cadre du Contrat de transition écologique du Territoire de l’Ouest, pour concevoir des « smart grids ». Il s’agit de produire de l’énergie renouvelable, en l’occurrence via des panneaux photovoltaïques, pour la valoriser en autoconsommation de sorte qu’on ait moins besoin de l’électricité du réseau, notamment en heures de pointe.
L’idée est que l’électricité des panneaux solaires serve à produire du froid dans la journée, de telle sorte que pendant l’heure de pointe du soir, l’inertie de la chambre froide permette de s’effacer sur le réseau. C’est ainsi du gagnant-gagnant : d’une part le port économise en termes de consommation et d’abonnement, d’autre part EDF retarde la mobilisation de moyens de production coûteux. C’est donc aussi très positif à l’échelle de La Réunion.
Annuellement, le Grand Port a besoin d’environ 14 gigawatt-heures, ce qui est très substantiel. Alléger cette consommation électrique grâce aux énergies renouvelables est donc financièrement avantageux. En plus, recourir à l’autoconsommation est intéressant pour EDF, car injecter dans le réseau électrique réunionnais beaucoup d’énergies intermittentes complique sa régulation, du fait que nous sommes situés en zone non interconnectée (ZNI).
Nous poursuivrons, dans le cadre d’un partenariat pluriannuel avec EDF, la recherche dans nos différents métiers des opportunités en termes de maîtrise de l’énergie. Port Réunion étant l’exploitant des portiques, des terminaux céréalier, sucrier, bitumier, etc. plusieurs opérations sont programmées. Elles nous permettront de bénéficier d’aides à la maîtrise de l’énergie, un dispositif propre à l’outre-mer. Par exemple, nos nouveaux portiques et nos chambres froides ayant une efficacité énergétique très bonne, les primes ont été importantes.
CONTRIBUER À PROTÉGER L'ENVIRONNEMENT
- L’activité portuaire peut engendrer des nuisances et des atteintes à l’environnement. Pour les anticiper et les éviter autant que possible, des actions sont menées, depuis la création du Grand Port Maritime, pour préserver la biodiversité et les milieux terrestre et marin. Elles sont regroupées au sein du Schéma Directeur du Patrimoine Naturel (SDPN).
À titre d’exemple, la qualité de l’air sur le port et ses abords a été mesurée dans le cadre d’une convention avec Atmo Réunion qui intervient en tiers de confiance. Les résultats sont accessibles à tous, en toute transparence. À date, les mesures restent très en deçà des seuils réglementaires de pollution.
Autre thématique, les émissions sonores ont été analysées par un expert acousticien et son rapport a été restitué aux élus et associations de riverains. Cela a conduit à une première action au port Ouest. Les mesures ont en effet détecté que le Marion Dufresne, navire ravitailleur et océanographique des TAAF, était plus bruyant que les autres bateaux en escale. Alertée, l’administration des TAAF a identifié l’origine d’un des bruits émergeants. Il s’agissait du carénage de l’évacuation des fumées du groupe électrogène du navire. Sa modification a déjà réduit le bruit. L’étape suivante que l’on va réaliser avec les TAAF sera le branchement à quai du navire, évitant ainsi le recours au groupe électrogène.
En termes de biodiversité, le principal point de vigilance concerne la lutte contre les espèces exotiques envahissantes (EEE). Un dispositif existe déjà : le protocole « ver blanc » destiné à éviter une contamination croisée entre deux espèces de hanneton ravageur des cannes à La Réunion et à Maurice. Le GPM suit également la dispersion progressive de l’agame du colon à La Réunion. Avec la DEAL, la détection précoce des corbeaux est aussi un enjeu pour éviter que leur prolifération n’affecte certaines cultures.
Malgré ces efforts, le risque est élevé. Il reste « des trous dans la raquette » car il est extrêmement difficile de concevoir des modes opératoires d’inspection ciblée de conteneurs à risque sans ralentir les opérations de livraison. Le constat partagé est que même si le Grand Port a un rôle à jouer, chaque maillon de la chaîne logistique doit aussi s’impliquer.
L’enjeu des prochaines années sera d’arriver à sensibiliser suffisamment les importateurs pour que lorsqu’ils ouvrent des conteneurs en provenance de zones sensibles comme le Sud-Est asiatique ou Madagascar, des processus de contrôle soient mis en place pour détecter les espèces invasives.
LE LIEN ENTRE LE PORT ET LE TERRITOIRE
- Les liens du port avec le territoire sont déjà nombreux, mais il faut continuer dans cette voie. Pour ne citer que deux exemples, nous allons poursuivre avec le Conseil départemental le partenariat « 1 million d’Arbres », qui a permis de replanter des espèces endémiques adaptées à notre zone littorale. Par ailleurs, avec plusieurs partenaires, nous travaillons au projet de « Port Center ». L’objectif est de créer un lieu donnant accès à l’histoire portuaire et valorisant l’action des TAAF, tout en offrant des opportunités d’expression à des artistes.
• Quelles sont les perspectives ouvertes par le futur Projet stratégique 2024-2028 ?
- Cette feuille de route s’inscrira dans la continuité de la précédente et respectera les objectifs de la Stratégie nationale biodiversité 2030. Cela nous sera d’autant plus facile que nous les avons déjà atteints en 2024 ! Mais il faudra faire mieux. Enfin, aux deux ambitions précédentes de « Port rayonnant » et de « Port responsable » s’ajoutera celle de « Port ancré à son territoire ». À travers elle, le Grand Port entend démontrer qu’il est possible de concilier les contraintes liées à l’exploitation avec l’envie légitime des Réunionnais de profiter d’un espace portuaire spectaculaire. »