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Port Réunion

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QUEL AVENIR POUR L’YLANG-YLANG DE MAYOTTE ?

Culture autrefois incontournable de l’île de Mayotte, l’ylang-ylang, surnommé « la fleur des fleurs » a aujourd’hui presque disparu du paysage. Depuis 2019, l’entrepreneur Kassim Fidaly cherche à relancer la filière sur un modèle plus durable que celui des concurrents malgaches et comoriens.

Deux fleurs jaunes d’ylang-ylang ornent encore le blason de Mayotte, évoquant la prospérité agricole de l’île. Pourtant, la « fleur des fleurs », exploitée sur plus de 1 000 hectares dans les années 70, n’est, sur l’île aux parfums, guère plus cultivée que dans une perspective agritouristique.

En 2017, lors du dernier recensement effectué par la Direction de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (DAAF) de Mayotte, l’ylang-ylang n’était plus exploité que sur une centaine d’hectares, avec une dynamique à la baisse. « Le modèle économique est très vieillissant. On a de petits producteurs, avec de toutes petites surfaces et des coûts de production beaucoup plus élevés que la concurrence », expose Kassim Fidaly, un porteur de projet qui s’est mis en tête, depuis 2019, de relancer la culture.

Spécialisée dans la transformation de la fleur d’ylang-ylang en cosmétiques réglementés, l’entreprise Neosent répond aux problématiques spécifiques de Mayotte, en ayant notamment recours à l’énergie solaire afin de préserver les ressources locales en bois.
© Kassim Fidaly

UN MODÈLE QUI N’EST PAS DURABLE

Au-delà de ces contraintes économiques, la filière se heurte aussi à un enjeu écologique. Comme ses concurrentes comoriennes et malgaches, la filière mahoraise n’est pas du tout durable. « Pour produire 2 à 2,5 kilos d’huile essentielle, il faut une demi-tonne à une tonne de bois et 40 m3 d’eau, car le procédé de distillation est extrêmement énergivore », résume le fondateur de Néosent, dont le but est justement de mettre en place une unité de production plus résiliente.

La région, en pleine expansion démographique, manque déjà cruellement d’eau, notamment en raison de la multiplication des sécheresses, dont on sait qu’elles s’aggraveront avec le dérèglement climatique. Quant à la déforestation, elle est aussi extrêmement forte dans la région, mettant en péril la très riche biodiversité de ces territoires.

« La culture d’ylang ylang n’explique pas entièrement le recul de la forêt, mais elle y a participé. À Nosy Be [une île au nord-ouest de Madagascar], où nous avons la production familiale, tous les producteurs vont chercher le bois de plus en plus loin pour assurer leurs besoins en énergie. Ce n’est pas viable », confirme Kassim Fidaly, lui-même d’origine malgache.

Aux Comores, la plateforme Global Forest Watch estime que 25 % de la forêt a été défrichée ces 20 dernières années. Quant à Mayotte, si le taux de déforestation actuel (1,2 %) se maintient, la forêt aura carrément disparu en 2070.

Avant Chido, champ d’ylang-ylang (Cananga odorata) à Mayotte, un territoire considéré « comme le terroir d’exception pour la production en particulier des fractions les plus raffinées de l’ylang, ce qui justifie les efforts visant à relancer la filière », rappelle Kassim Fidaly. « Des initiatives d’agritourisme, telles que celles proposées par les partenaires de Neosent (AROmaoré d’Hassani Soulaimana et Le Jardin d’Imany d’Anwar), peuvent aider à maintenir la production tout en favorisant le développement économique local », note-t-il.
© Kassim Fidaly

L’ÉNERGIE SOLAIRE ET LE RECYCLAGE DES EAUX

Alors, comment Mayotte pourrait-elle retrouver la fleur qui a fait sa richesse tout en préservant un écosystème déjà très abîmé ? Si des initiatives un peu plus durables ont été lancées à Nosy Be ou aux Comores, elles sont, de l’avis de Kassim Fidaly, trop peu ambitieuses.

Kassim Fidaly, fondateur passionné de l’entreprise Neosent, s’attelle depuis 2019 à structurer une filière ylang-ylang durable à Mayotte.

« Nous proposons de remplacer le bois par de l’énergie solaire, car c’est une énergie abondante et peu chère, et de recycler les eaux de refroidissement qui, aujourd’hui, sont rejetées dans la nature », annonce l’entrepreneur et auteur d’une thèse en photochimie. Des études de faisabilité, financées par l’Ademe, ont déjà été effectuées et cette distillerie devrait voir le jour courant 2025 sur la commune de Ouangani, au centre de Mayotte.

Pour la production, Kassim Fidaly assure travailler avec des agriculteurs sur la base d’un cahier des charges respectueux de l’environnement. « L’ylangylang est une plante très résistante qui ne nécessite pas d’intrants, donc l’ensemble des cultures peuvent être valorisées en bio. Notre objectif est d’avoir un label écologique et de pouvoir certifier que notre procédé est sobre en carbone », explique-t-il.

Pour la production, Kassim Fidaly assure travailler avec des agriculteurs sur la base d’un cahier des charges respectueux de l’environnement. « L’ylangylang est une plante très résistante qui ne nécessite pas d’intrants, donc l’ensemble des cultures peuvent être valorisées en bio. Notre objectif est d’avoir un label écologique et de pouvoir certifier que notre procédé est sobre en carbone », explique-t-il.

UNE INITIATIVE RECONNUE

La durabilité de la production sera, espère-t-il, un critère pour se démarquer sur le marché, en plus d’une formule un peu particulière, qui mettra en valeur les fractions hautes supérieures de la plante. Si la relance de la filière ne sera pas chose aisée, notamment car il reste à convaincre les producteurs de relancer cette culture alors que, justement, les jeunes Mahorais tendent à s’éloigner des métiers agricoles, le projet de Kassim Fidaly a déjà été reconnu au-delà de Mayotte. Neosent a été lauréat des programmes Mouv’Outremer océan indien 2021 et French Tech Tremplin 2024, et finaliste du concours Innovation Outre-Mer 2024, des initiatives promouvant l’entrepreneuriat.

L’article a été rédigé avant le passage du cyclone tropical intense Chido. Voici des vues de champs d’ylangs et de cocotiers à Mayotte.
© Kassim Fidaly
« Ce 1er janvier, l’heure était au constat des dégâts causés aux ylangueraies. J’ai pris le temps de sillonner les routes de l’île dans les principaux fiefs de l’ylang-ylang, au Pôle d’excellence rurale, à Ouangani, en allant jusqu’aux plantations Guerlain à Combani. Entre Coconi et Kahani, le site de Valarano, avec sa forêt et sa biodiversité unique, a été dévasté. Le Lycée agricole y développe une cocoteraie pour valoriser la filière noix de coco : plus de 90 % de nos cocotiers sont à terre. Je rends visite à Hassani Soulaimana d’AROmaoré qui habite Ouangani. Un ami, qui fait partie de ceux qui ont permis de préserver l’ylang de Mayotte depuis tant d’années. Beaucoup de dégâts, mais on admire la patience et la solidarité qu’ont les agriculteurs pour se relever. À Vahibé puis à Combani, la désolation est encore plus grande. L’eau et le vent se sont déchaînés sur le paysage vert de Mayotte. Je me rends alors aux anciennes plantations Guerlain, 13 hectares d’ylangueraies. La quasi-totalité du site Guerlain semble détruite. Mais les ylangs sont encore là ! Certes, ils ont été malmenés, mais ils sont toujours debout et ils incarnent cet espoir que nous avons de relancer la distillation. »
© Kassim Fidaly
Rédaction : Enzo Dubesset

+ d’info ici : https://neosent.fr/

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