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Polynésie française

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TAHITI S’ATTAQUE ENFIN À L’IMMENSE PROBLÈME DES PNEUS USÉS

Pour la première fois, une filière de valorisation des pneumatiques a vu le jour sur la côte ouest de Tahiti en 2023, alors que l’immense majorité des pneus usés – au moins 2 800 tonnes par an – terminaient dans la nature, avec effet cumulatif depuis des décennies. Un broyeur les déchiquette afin de produire des chips, sortes de copeaux calibrés aux utilisations diverses.

Sur 2 400 tonnes de pneus importées chaque année en Polynésie française – hors les pneus qui arrivent déjà montés sur les véhicules neufs – seules 400 tonnes au mieux étaient récupérées par Fenua Ma, syndicat chargé du tri en Polynésie française et signifiant « Pays propre ». Qui, au mieux, en réexpédiait une infime quantité vers la Nouvelle-Zélande, mais le plus souvent les stockait en surface, à la suite d’incendies qui ont dissuadé le syndicat de les enfouir dans des casiers. Compétent à Tahiti et Moorea sauf à Faa’a, Fenua Ma est censé recueillir tous les pneus de la filière professionnelle sur cette zone, puisque les vendeurs de pneumatiques ont en principe l’obligation de s’assurer du bon traitement de leurs déchets…

À plusieurs reprises, le syndicat a lancé des appels d’offres restés infructueux pour ces « déchets ultimes ». Classés comme déchets non dangereux, les pneus usés représentent malgré tout un risque pour l’environnement et la santé publique en cas d’incendies (émissions de gaz toxiques) ou de dépôts sauvages (gîtes pour les moustiques). Il est interdit de les enterrer, de les abandonner dans le milieu naturel ou de les brûler.

Les pneus sont déposés sur un tapis roulant qui les emporte vers le broyeur, où ils sont tronçonnés.
© Anne-Charlotte Lehartel

UN NOUVEAU MATÉRIAU DE REMBLAI, À UN PRIX PLUS ABORDABLE

Finalement, la société Enviropol, spécialisée dans le tri, le transfert, l’enfouissement et la valorisation des déchets, a remporté un nouvel appel d’offres lancé par le Pays. Elle a installé, sur le site du Centre d’enfouissement technique (CET) de Paihoro en 2023, une machine d’origine américaine opérationnelle depuis quelques mois.

Les pneus sont déposés par un opérateur sur un tapis roulant qui les emporte vers le broyeur, où ils sont tronçonnés. Les fragments arrivent dans un crible à recirculation : ce qui ne franchit pas le crible repart dans les mâchoires de l’engin. Enviropol obtient au final des éléments calibrés et normés de 10 cm maximum, un matériau qui peut être valorisé, notamment dans des tranchées drainantes, ou alors comme matériau de remblai pour des applications notamment en voirie et réseaux divers (VRD). La question des agrégats devient sensible à Tahiti : les pierres utilisées par les travaux publics sont prélevées dans les vallées, et les concessions sont de plus en plus difficiles à obtenir. Plutôt que d’utiliser du basalte, Enviropol propose à la vente ses chips de pneus à petit prix.

Selon Fenua Ma, l’activité va tourner entre 1 400 et 1 700 tonnes de pneus broyées par an pour deux à trois jours de fonctionnement par semaine, afin d’évacuer peu à peu le stock historique mis de côté depuis 2012. Les pneus usés ne représentent « que » 0,5 % du gisement global des déchets, mais les associations savent qu’il y en partout dans la nature, y compris sous l’eau.

TÉMOIGNAGE

WINIKI SAGE, PRÉSIDENT DE LA FÉDÉRATION DES ASSOCIATIONS DE PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT (FAPE-TE ORA NAHO)

Winiki Sage se réjouit de l’arrivée du broyeur, mais s’inquiète que seul un pneu sur quatre arrive au retraitement.
© Damien Grivois
L’arrivée à Tahiti de ce broyeur est une bonne nouvelle, les pneus usés faisaient partie des dossiers jamais résolus. Des milliers de pneus “disparaissent” dans la nature chaque année, depuis des décennies, rien n’ayant été prévu en matière de recyclage. Lors des opérations de nettoyage du lit des rivières ou des lagons, les associations en récupèrent des quantités incroyables. Le tonnage de pneus collectés par Fenua Ma reste très inférieur à ce qu’il devrait être : il faut impliquer davantage les importateurs. Peut-être faudrat-il envisager un autre broyeur destiné aux autres îles que Tahiti ? Si les chips de pneumatiques broyés représentent une alternative aux agrégats, c’est encore mieux, même si ça ne remplacera pas tout.
Nous pensons qu’il faut cesser les extractions dans les lits des rivières, d’autant que pendant longtemps, les tonnages prélevés n’ont pas été contrôlés. La Fape milite pour l’ouverture de vraies carrières. Et peut-être envisager d’inclure une partie de chips de pneus dans le revêtement des routes, ça renforce, paraît-il, leur résistance, adhérence et confort sonore.
Bien que classés « non dangereux », les vieux pneus abandonnés restent un poison pour l’environnement.
© Alain Petit

SEUL UN PNEU SUR QUATRE RÉCUPÉRÉ PAR FENUA MA

Selon l’Institut de la statistique de la Polynésie française (ISPF), Tahiti importe chaque année près de 150 000 pneus rien que pour les véhicules de tourisme, sans compter les pneus déjà montés sur les voitures neuves, qui totalisent a minima 25 000 pneus par an.

L’article L541-2 du Code de l’environnement national stipule que « tout producteur ou détenteur de déchets est responsable de la gestion de ses déchets jusqu’à leur élimination ou valorisation finale, même lorsque le déchet est transféré à des fins de traitement à un tiers. Tout producteur ou détenteur de déchets s’assure que la personne à qui il les remet est autorisée à les prendre en charge. »

Lors de chaque opération de nettoyage, le même constat : on retrouve des pneus usés partout.
© JMM

Le Pays, adhérent au syndicat Fenua Ma au titre de sa compétence sur les déchets toxiques et spécifiques (piles, batteries, huiles, médicaments, carcasses de voitures, déchets électroniques, fusées de détresse, etc.), a voulu résoudre le problème.

Après une première consultation demeurée infructueuse en 2017 « en raison de réponses financières trop élevées », Fenua Ma a lancé un nouvel appel d’offres remporté par Enviropol. Les pneus usés sont en principe collectés lors de leur remplacement, puis envoyés chez Fenua Ma. En réalité, le syndicat récupère aujourd’hui au mieux 25 % des pneus des seuls véhicules de tourisme.

Rédaction : Damien Grivois
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