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art contemporain - languedoc roussillon - fĂŠvrier mars avril mai 2005 - numĂŠro 7



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loïc raguénès, sans titre - Emmanuel Latreille iconoscope - voyages immobiles patrick van caeckenbergh - Carré d’Art à Nîmes mark geffriaud / michaël viala / julien crépieux - Patrick Perry mark geffriaud - sans titre michaël viala - Spots, La Défense, vidéo, 2003, durée 1’ michaël viala - R0261, R0226 mark geffriaud et julien crépieux - Exemple julien crépieux - Les écrits fantômes publiquement - Alain Béhar le journal du moi - Laurent Goumarre addenda - à voir donc

offshore est édité par BMédiation 39 avenue Bouisson Bertrand 34090 Montpellier contact : bmediation@yahoo.fr avec l’aide du Ministère de la Culture \ Drac L-R, la Région Languedoc-RoussillonSeptimanie et la Ville de Montpellier directeur de publication : Emmanuel Berard rédacteur en chef : Jean Paul Guarino secrétaire de rédaction : Esther Knapp dépôt légal : à parution impression : Atelier 6. St Clément de Rivière. 04 67 63 52 00

photo couverture de Brice Bourdet © offshore 2005 remerciements à Stanislas Lehrer ont collaboré à ce numéro : Alain Béhar, Julien Crépieux, Mark Geffriaud, Laurent Goumarre, Emmanuel Latreille, Patrick Perry, Michaël Viala crédits photographiques : Julien Crépieux, Carré d’Art de Nîmes, Frac Languedoc Roussillon, Jean Paul Guarino, Marc Geffriaud, Michaël Viala

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loïc raguénès, sans titre

collection Frac Languedoc Roussillon

emmanuel latreille

« Mais nous n'avons pas encore éclairé le mystère incantatoire de cette blancheur, ni appris pour quelle raison elle frappe si puissamment l'âme ; et ce qui est plus étrange et encore plus rempli de présages, pourquoi elle est à la fois le symbole le plus significatif des choses spirituelles, le vrai voile du Dieu chrétien, et en même temps l'agent qui rend plus intense l'horreur des choses qui épouvantent l'homme. Est-ce à cause de sa qualité indéfinissable qui fait sortir de l'ombre les immensités sans vie de l'univers et nous anéantit traîtreusement par la pensée de notre vanité quand nous regardons les blanches profondeurs de la Voie lactée ? Est-ce parce que le blanc est moins une couleur qu'une absence de couleurs en même temps qu'il est le profond mélange de toutes ? Est-ce cela qui donne son sens au vide muet d'un vaste paysage de neige ? Cette chose sans couleur, ou colorée par l'absence de Dieu, qui nous fait reculer d'effroi. Et si nous considérons une autre théorie de ceux qui ont philosophé sur la nature, nous voyons que toutes les autres couleurs de la terre ne sont que de subtiles illusions, aussi bien les douces teintes du couchant ou du feuillage des bois, que le velours doré des ailes de papillons et des joues des jeunes filles. Oui, rien de tout cela ne fait partie intégrante des choses, c'est un simple enduit, et toute la divine nature est simplement peinte, comme la grue dont le chatoyant plumage ne couvre que le charnier intérieur. Plus encore : l'enduit mystérieux qui donne toutes ces couleurs, c'est le grand principe de la lumière, et il est à jamais blanc, sans couleur. Si la lumière frappait directement la matière des choses, elle donnerait sa blancheur vide à tout, à la tulipe comme à la rose. »

Il n'en va pas de même pour les points colorés qui, eux, indiquent toujours « quelque chose » de visible, y compris lorsqu'ils participent à la description du fond autour de l'objet (ciel ou même simple fond environnant), puisque l'on peut considérer alors qu'ils traduisent l'air ou la densité de l'atmosphère qui entourent le sujet. Les points colorés constituent par conséquent une certaine condition « négative » de l'apparition de quelque chose dans la lumière : ils évoquent en quelque sorte la nécessaire existence d'un voile de particules, ce que nous avons appelé « atmosphère », avec lequel les choses entretiennent une relation de continuité : se trouve suggérée l'évidence qu'il n'y a pas de rupture entre les choses et le milieu lumineux, lui-même doté d'une certaine densité, où elles sont immergées. La lumière qui permet de faire apparaître les choses, ne peut jamais se donner comme absolue et dégagée de toute relation à des particules de matière, même lorsqu'il s'agit de représenter un ciel : il y a une perception de la lumière parce qu'il y a un voilage atmosphérique qui permet de reconnaître des choses dans cette lumière.

Herman Melville, Moby Dick

Les images de Loïc Raguénès sont imprimées, dessinées ou peintes au moyen d'une trame mécanique, orthogonale (appelée « euclidienne ») constituée de points plus ou moins ronds et plus ou moins gros sur différents supports toujours blancs. Traitées selon un principe de monochromie rigoureux, chacune a ainsi sa coloration particulière, unique, précisément choisie. La première chose que l'on doit remarquer, concernant cette trame de « points ronds », est que, pour traduire avec elle une image en deux tons (le blanc et la couleur choisie), il est en fait nécessaire d'utiliser deux séries de points, les ronds colorés pour le sujet représenté et les blancs pour la plus ou moins grande luminosité qui permet de le faire apparaître au moyen des contrastes de valeurs. C'est pourquoi les points colorés ou blancs ne sont pas toujours exactement ronds, ils se mêlent ou s'emboîtent par séries pour réaliser le dessin et la description lumineuse du sujet : si bien que le blanc constitue le fond sur lequel le sujet se détache, ou alors permet de représenter le sujet lui-même que l'image donne à voir, en jouant avec les points colorés qui en signifient les ombres. Le blanc, dans les œuvres de Raguénès, n'est donc pas à considérer comme un fond « neutre », il est la lumière même qui permet de rendre visible des choses qui, en quelque sorte, en émergent.

Aussi : dans une image empruntée à un manuel de photographie des années 70, on voit deux enfants (une petite fille et un petit garçon), réalisant une prise de vue. Le garçon photographie la fillette ; il tient l'appareil de la main droite et tend la gauche vers son modèle pour tester la luminosité qu'offre le projecteur allumé à côté de lui. Dans cette image, la source lumineuse (l'ampoule du projecteur) est devenue un gros « point blanc », c'est-à-dire qu'il n'y a pas de différence de valeur entre lui et le reste de l'image qui indique la lumière qui baigne la scène mais qui constitue aussi le support du tableau, le socle de l'image. On pourrait ainsi considérer que ce rond blanc plus gros que les autres, condense la vérité de la lumière en tant que telle, une vérité « première » dégagée, dans sa fonction de source identique à la virginité initiale du support, de toute relation à la description contingente d'un objet quelconque : or cela ne serait pas tout à fait exact, puisqu'il est très évident que ce rond blanc, en réserve, représente aussi l'ampoule du projecteur (ou le rond


du projecteur lui-même), soit une actualisation particulière et locale de la lumière. Cette dernière n'est donc jamais une abstraction, une entité « extérieure » aux choses, une réalité séparée des conditions matérielles de sa manifestation. Autrement dit, il n'y a jamais d'un côté la lumière et de l'autre, des choses éclairées par elle : au contraire, un lien doit toujours être supposé entre la lumière et la densité du réel, que ce lien soit visible ou non. Et, si la lumière est bien elle-même une réalité effective, c'est ce lien étrange et mystérieux des choses dans la lumière que nous invite à éprouver le travail de Loïc Raguénès. On se souvient de la définition que Poussin donnait de la peinture : « Une imitation faite avec des lignes et couleurs en quelque superficie de tout ce qui se voit dessous le soleil ». Or, « dessous le soleil » ou « dans la lumière d'un projecteur », cela fait-il une grande différence ? Pas énorme. Pour les « lignes », celles qui résultent du procédé des points de trame sont systématiques (des cercles), simplement modulées par le dessin schématisé de chaque objet : on peut même dire qu'il n'y a pas de lignes propres à chaque forme des choses, mais qu'elles décrivent comme leur « frange », telle que la lumière en indique les limites tout en les liant entre elles, ou à l'air qui les environne. On peut considérer que les lignes décrivent ici le frémissement optique de choses vues dans une lumière trop forte, qui les « désintègre » pour les associer à un même continuum vibratoire. De son coté, la couleur (monochromie et non plus « les couleurs » du peintre classique), conforte encore cet aspect : toujours très claire, elle n'offre jamais d'opposition forte avec le blanc ; on se trouve ainsi très loin du procédé qui consiste à faire apparaître une figure par un effet de « contraste clair-obscur ». La couleur, unique toujours, vive souvent, accentue l'effet d'intense mise en lumière globale du sujet représenté. Si elle semble là pour « donner consistance » à des choses visibles, elle contribue à sa façon à les fondre dans un bain lumineux dont elle constitue comme le moyen second : la monochromie participe donc finalement à ce même but rempli par le blanc, qui vise à éliminer tout délimitation rigoureuse entre les figures représentées dans l'image. Et, si l'on suit l'intuition de Melville, on peut considérer que la couleur apparaît bien, dans les œuvres de Loïc Raguénès, comme un accident de la lumière sur les choses, en quelque sorte du blanc un peu sali, un « enduit », le nom impur et dégradé de la lumière même. Dans l'histoire classique de la peinture, le problème de la « nondélimitation » des figures représentées a un nom bien connu. Lorsqu'il invente le sfumato, Léonard de Vinci entend bien restituer la réalité des choses à la vérité de leur appartenance à un environnement, à un monde dans lequel la « discontinuité » des formes que propose le dessin classique n'est qu'un artifice qu'il faut récuser. Si l'on y est d'ailleurs attentif, le Maître utilise bien alors, au niveau de la couleur, des formules proches de celle de la monochromie : le visage de La Joconde n'est-il pas une unique surface jaune, juste modulée pour pouvoir être identifiée comme une figure elle aussi en mouvement (d'où le vieux problème de l'interprétation de son fameux sourire) ? André Chastel dit que le sfumato léonardesque « contredit, par l'effacement du contour, le découpage net du dessin et produit, plutôt qu'une évidence formelle, un état diffus d'émergence. »1 Toutefois, il permet aussi de faire surgir les figures d'une pénombre destinée à en affirmer la « profondeur », c'est-à-dire le volume. Pour le dire comme E.H Gombrich, « un contour enveloppé, des couleurs adoucies permettent aux formes de se perdre les unes dans les autres et laissent quelque chose à l'imagination. »2 Dans des œuvres comme celles de Loïc Raguénès, on assiste à quelque chose comme un sfumato poussé à l'extrême, dans un monde où les choses représentées ne sont plus éclairées, mais véritablement « pulvérisées » par et dans la lumière : il n'y a plus de différence de nature, mais uniquement de degré, entre les

objets et la lumière. Les choses que l'on voit ne sont plus des « corps » solides dont l'artiste restitue l'apparition singulière « dessous le soleil », mais des éclats plus ou moins intenses, des particules aussi vives que ces petits points ronds qui permettent de les figurer et qui en proposent comme la métaphore structurelle : plus nombreux, ils signalent un état plus compact de la matière, moins nombreux, un état plus fluide ou une moindre concentration atomique, le passage de l'un à l'autre étant affaire de simple gradation.

De plus, et comme avec le sfumato, on trouve dans ces œuvres l'évocation d'une dimension de la réalité qui ne se voit pas, elles réservent à leur tour, comme le dit Gombrich, « quelque chose à l'imagination ». Léonard et toute la tradition qui a suivi son enseignement, ont pensé la peinture comme cosa mentale, c'est-à-dire comme un moyen de donner à voir la réalité autant dans son apparence sensible que dans ce qui échappe au sens du visible, dans ce que l'on peut saisir intellectuellement d'elle (cette intelligence pouvant être réalisée intuitivement par l'art). Il s'agit de rendre compte alors des principes qui l'animent, autant que de se délecter des apparences qu'elle offre immédiatement, et de construire analogiquement dans l'art les relations réelles qui guident notre perception du monde. Ainsi, que nous indique véritablement cette main gauche du jeune photographe du tableau de Loïc Raguénès, main que l'apprenti artiste avance pour offrir une surface au faisceau du projecteur et mesurer la luminosité dirigée vers son modèle méditatif et opérer les réglages de la prise de vue ? Tout ébloui qu'il est, le spectateur ne voit justement pas l'autre côté de cette main, celle qui est pourtant de toute évidence bien davantage éclairée, paradoxe qui confirme du même coup la difficulté de la représentation à rendre intégralement l'obscure profondeur des choses. Cette main, mise à plat à la surface du tableau, incarne l'ultime aspect de la définition de la peinture selon Poussin, son « en quelque superficie ». Et c'est enfin pourquoi, à la manière encore de certaines peintures classiques, la profondeur purement virtuelle de la scène a été « latéralisée » : par son dispositif même, le tableau fait de la figure du jeune garçon prenant la fillette en photo, le substitut, pivoté à 90°, du regard du spectateur confronté au mystère du point blanc qui lui fait face, à ce qu'il lui montre et lui cache à la fois, et qui, au beau milieu du tableau, est offert (annoncé ?) par la main ouverte verticalement et placée à la croisée de deux lignes de regards perpendiculaires.3 André Chastel, 1960, cité par Daniel Arasse, L'ambition de Vermeer, édition Adam Biro, Paris, 2001, p.161. E.H Gombrich, Histoire de l'art, Edition Phaidon, Paris, 2001, p. 300. 3 Cf. Daniel Arasse, op.cit., voir pages 73-75 La leçon de musique de Vermeer. 1

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patrick van caeckenbergh carré d’art à nîmes

À chacune de ses expositions, Patrick Van Caeckenbergh fait un livre. À l’image de l’encyclopédie reçue dans son enfance, et rachetée maintes fois pour réaliser justement son livre à lui, Patrick Van Caeckenbergh consigne l’histoire de son esprit depuis l’origine et la poursuit à chaque fois un peu plus loin, mêlant dans ses collages images de référence et reproduction de ses œuvres. En copiste respectueux, Van Caeckenbergh transcrit les textes essentiels : Lévi-Strauss, Conrad Lorenz, Valéry… dans un ouvrage qui résume la suite du temps. Dans le déroulé du livre, chaque page ne mène pas seulement à la suivante mais par de multiples trappes et portes construit une constellation. Comme ces « naïfs » de la littérature qu’il affectionne, Bouvard et Pécuchet, l’Idiot de Dostoïevski, Monsieur Teste, animal domestique, sans bouger, les pantoufles au pied, il fait le voyage essentiel de la vie et de la connaissance.


mark geffriaud / michaël viala / julien crépieux patrick perry Au même titre qu'une approche géographique, locale par exemple, la notion de jeune artiste est ridicule et souvent dénuée de sens. Pour autant, si les œuvres présentées sur les pages qui suivent nous apparaissent bonnes, excitantes surtout, c'est en partie — en partie seulement — pour leur positionnement et les relations qu'elles entretiennent avec l'histoire de l'art assez récent dans un contexte actuel. Que le lecteur se rassure, la perception historiciste ne saurait être comprise comme un argument justificatif, des œuvres ou d'un effet de génération, mais, simplement, comme une très rassurante lecture possible, qui ne suffit sans doute pas, d'ailleurs, à rendre cohérente la proximité de ces images et de ces textes. Dès lors, apparaît-il utile de signaler que Michaël Viala, Julien Crépieux et Mark Geffriaud sont fraîchement issus, respectivement, de l'École des Beaux-Arts de Nîmes, pour le premier, de celle de Montpellier pour les deux autres ? Les enjeux du travail de Michaël Viala se situent explicitement dans le prolongement des expériences minimalistes historiques. Simplicité, littéralité, aspects géométriques et modulaires peuvent caractériser les œuvres en volume d'échelle humaine à l'origine de ce travail, qui suscitent ainsi chez le spectateur des réactions, physiques et intellectuelles, touchant à l'expérience directe de leur perception dans l'espace réel. La forme et la mise en place de ces pièces peuvent rappeler qu'elles furent parfois pensées en référence aux structures modulables utilisées pour la pratique du skate-board. Sans qu'il ne s'agisse de répliques ou de véritables transpositions, c'est presque innocemment qu'elles génèrent ainsi des interrogations sur les notions de circulation, de parcours, mais aussi sur leur éventuelle fonctionnalité ou praticabilité. Les dessins (R0261-R0226) et les images (Spots, La Défense) présentés ici, extraits de bandes vidéo, poursuivent par d'autres voies l'exploration des relations avec l'espace, public et urbain désormais. Le spectateur est invité à observer des éléments architecturaux et urbanistiques, choisis par l'artiste en fonction des possibilités qu'ils offrent aux skateurs, ponctuant un cheminement, une excursion, dans une ville ou un lieu précis et identifiés. La confrontation n'est plus alors vécue directement, comme une expérience spatiale et temporelle, mais transmise, c'est-à-dire documentée, par l'appareil d'enregistrement numérique. La temporalité de type théâtral dénoncée en son temps par Michael Fried (1967) à propos de l'art minimal "littéraliste" laisse donc place à une expérience plus instantanée, et plus strictement visuelle, qui correspond à une situation qui n'inclut pas nécessairement le spectateur. Vous ne serez pas amenés à bouger, amis lecteurs. Les points de vue sur ces spots — praticables, mais a priori non pratiqués, encore, par vous — sont ceux d'un usager particulièrement attentif et lucide de l'environnement urbain. Ils nous sont imposés, mais documentent et analysent de manière très complète des fragments de la cité parmi les plus banals, qui, initialement, ne sont pas prévus pour codifier l'espace. Les deux images traitées avec un logiciel de dessin vectoriel, qui élimine au maximum tout contexte et tout détail pouvant enraciner cette construction dans un flot de vécu et de subjectivité, ne doivent, à notre avis, pas être vues non plus dans une perspective comparatiste. Leur autonomie témoigne d'une forte tension entre deux éclairages : la relation qu'entretient l'élément décrit avec la ville et la saisie d'une forme sculpturale isolée, une préoccupation de type documentaire et la mise en valeur d'éléments familiers, le plus souvent collectifs, que chacun peut s'approprier, esthétiquement ou fonctionnellement. Grâce à ses obstacles, la ville deviendrait donc praticable, et poétique ? « Alors qu’actuellement la méthode la plus usitée consiste à placer un fragment de la réalité dans l’espace artistique, créant une sorte de muséologie de la réalité, je voudrais employer la méthode inverse.

Ainsi, me servant d’un procédé conceptuel, je tente de projeter quelque chose hors de l’espace artistique, dans la « réalité », dans une mise en rapport sans intermédiaire entre l’œuvre et le réel. Concurremment, ce que je place dans l’espace d’exposition serait toujours une fiction — une réutilisation d’une fiction de la vie réelle, comme dans un film. Il s’agit toujours d’instaurer une certaine perplexité en maintenant l’ambiguïté quant au statut de l’objet proposé. » Ce court texte de Julien Crépieux est proposé à l'appui de celui écrit plus loin, qui, quant à lui, est présenté comme œuvre. L'artiste, jeune, donc, revendique une attitude post-conceptuelle et travaille, entre autres, autour de la question du fictionnalisme, un terme cher à un certain Philippe Thomas, artiste lui aussi, dont le nom plusieurs fois évoqué est l'un des centres du récit qui suit. Avec une précision et une efficacité redoutable — redoutable car, en effet, le lecteur devrait ressentir ce que l'on peut appeler une certaine perplexité — Julien Crépieux procède à un approfondissement, une mise en abyme, des interrogations développées par le susdit Philippe Thomas, Guillaume Bijl ou Paul Devautour à partir des années 1980. Toutefois, alors que les pratiques fictionnalistes pionnières cherchaient à désigner, sinon à démonter, les mécanismes et les codes opératoires spécifiques du système artistique, en particulier en remettant radicalement en cause le statut d'auteur ou la notion d'originalité dans un contexte postmoderne, on semble se trouver désormais délesté de ces problématiques liées aux définitions de l'art et, peut-être même, de leur subversivité. Les références précises à Jorge Luis Borges témoignent d'un positionnement sur des relations extérieures au monde de l'art traditionnel, à travers lesquelles l'artiste met en place et diffuse des situations ambiguës et troublantes. Le texte nous apprend sans doute peu de choses sur les limites de l'art, mais il dit beaucoup, en revanche, sur ce que peut être aujourd'hui l'expérience artistique. L'histoire de l'art cherche, et semble trouver, encore, des personnages. Les collaborations de Julien Crépieux et de Mark Geffriaud, ici un vidéogramme — plan fixe sur une place publique sur laquelle des acteurs effectuent des parcours cycliques au sein de réels passants — semblent surajouter, encore, une dose de fiction et surtout de doute au réel, c'est-à-dire, ici, à une situation, confondante de banalité. Ci-contre, le travail de Mark Geffriaud dissimule indices, preuves et certitudes sur la temporalité du récit comme sur ce que l’on peut voir derrière celui-ci, peut-être sur son existence même. Il écrit par ailleurs : « La certitude que vous êtes en train de lire des mots, que vous comprenez le français, que vous vous apprêtez à relever la tête comme le plongeur en apnée et à vous adapter au contexte, un magazine à la main, cette joyeuse certitude est comme la promesse de ne vouloir absolument rien dire. »








ESSE

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modeste qu’il se refusait de tomber dans « la vanité d’écrire une seule ligne » et se contenter de republier les chefs-d’œuvre de la littérature en apposant son nom sur la couverture ; Loomis dont chaque livre se résumait à son titre (Ours, Boîte à outils, Lune) ; Ramon Bonavera qui écrivit 1211 pages sur les objets occupant l’angle nord-nord-ouest de son bureau ; ou encore le sculpteur Garay qui exposait l’espace circulant entre ses moulages… autant d’œuvres qui ne sont plus à écrire, plus à réaliser, puisque déjà conçues. Dans la préface du recueil Le Jardin aux sentiers qui bifurquent, Borges parle du « délire laborieux et appauvrissant [qui consiste à] composer de vaste livres, de développer en cinq cents pages une idée que l’on peut trés bien exposer oralement en quelques minutes. Mieux vaut feindre que ces livres existent déjà, et en offrir un résumé, un commentaire1». Parmi les nombreuses anticipations plus ou moins verigineuses du couple Borges/Casares, l’une d’entre elles nous intéresse d’autant plus que nous n’en avons qu’une connaissance rapportée. Selon Arsène Spiller2, on aurait retrouvé chez Jorge Luis Borges, peu après sa mort, une enveloppe contenant le manuscrit d’un des Nouveaux Contes de Bustos Domecq qui ne figure pas dans la publication définitive du recueil pour des raisons restées obscures. Accompagnant ce texte, un brouillon, vraisemblablement écrit de la main d’Adolfo Bioy Casares et adressé à l’éditeur, donne une instruction de dernière minute visant à supprimer le conte du recueil. En 1986, année de la mort de Borges, un certain Philippe Thomas aurait acquis, pour une somme d’argent considérable et sans la moindre opposition de la part de Casares, le manuscrit et les droits de cette fable dont il ne nous a pas été offert de connaître davantage que le titre, Blow Up. Si l’on en croit les propos de l’auteur des Anonymes, le conte rapporterait l’histoire d’un artiste dont le travail aurait consisté en l’élaboration d’une vaste mise en scène à l’échelle de sa vie, l’objectif étant que sa fiction finisse par s’inscrire véri-

1. JORGE LUIS BORGES, Le Jardin aux sentiers qui bifurquent [1956], Paris, Gallimard, Collection Folio, 1983, p.9. 2. Ibid., p. 57.


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LES ECRITS FANTÔMES

tablement dans la réalité du monde de l’art et de son (h)Histoire. La première étape de ce projet colossal aurait été la création d’une entreprise, son activité consistant en la production d’œuvres d’art dont la particularité tenait au fait que l’acquéreur y apposait sa signature. Cette procédure sans précédent s’inspirait de celle, commune dans la fiction littéraire, qui consiste, pour le romancier, à prêter des propos et même des pensées (ou, pourquoi pas, des œuvres entières) à ses personnages (Nabokov, Pessoa…). Cet artiste à la figure double — victime absolue (il aurait perdu jusqu’à son nom) et simultanément le maître quasi-absolu du complot qu’il a fomenté — devient l’organisateur tout-puissant de sa disparition1. Au bout d’un certain temps, les œuvres, ainsi que la signature de leur propriétaire, intègrent les collections des plus grands musées, entrent dans l’histoire de l’art. Ce travail de mise en scène ne se serait pas limité aux activités de l’entreprise. En effet, à la suite d’une conférence donnée dans un amphithéâtre, les spectateurs pouvaient acheter un livret dans lequel ils découvraient le scénario de la « pièce » qu’ils venaient de voir, contenant les propos (mot pour mot) de la conférence ainsi que certaines didascalies du type : Après avoir prononcé tel mot, l’artiste toussote, s’éponge le front ; ou encore, Après telle phrase prononcée, une personne dans l’assemblée pose telle question, une autre sort… transformant tous les spectateurs de la salle en acteurs potentiels. Cet artiste fabuleux aurait réussi à faire sortir la fiction du texte — une fiction qui échapperait au cadre même où on l’attend généralement (livre, écran au cinéma…). Cette fable, écrite à quatre mains, soulevait l’idée selon laquelle derrière toute œuvre il y a un coordinateur central, un metteur en scène qui invente le lecteur autant qu’il le dirige dans son rôle d’acteur. Reste qu’on ne connaît toujours pas les motivations de cet inconnu, Philippe Thomas, le jour où il compromis à jamais pour nous la lecture de cette fantastique performance littéraire signée Bustos Do-

1. Nous reviendrons sur ce point au chapitre 8. Arsène Spiller offre une analyse comparée entre la fiction de Bustos Domecq et la conception de la disparition de l’auteur chez Roland Barthes, Ibid., p. 131-136.


STÉPHANE LE DROUMAGUET / SÉBASTIEN VONIER 03 mars - 23 avril

Galerie Vasistas 37 avenue Bouisson Bertrand 34090 Montpellier www.vasistas.org Ministère de la Culture \ DRAC - Région Languedoc Roussillon\Septimanie - Département de l’Hérault - Ville de Montpellier


publiquement, il vaudrait mieux pas alain béhar Alain Béhar, auteur, metteur en scène, scénographe, produit une écriture théâtrale où des éclats de sens impriment fugitivement leurs traces. Son approche scénique envisage le plateau comme le lieu privilégié où s’éprouve, pour les acteurs et les spectateurs, l’écart entre une écriture et une parole. Fables, personnages, figures, actions… apparaissent et disparaissent - tension et glissement entre plusieurs registres de parole - structurant le fil tendu de la représentation. Une échappée à toute valeur culturelle pétrifiante, du « haut » et du « bas », du centre comme des marges. Il y a dedans comme dehors une guerre insensée. En gros du centre pour annexer les tours et des tours pour dégonfler le centre. Quoi que le centre annexe dedans les tours se refont un peu plus loin. On y perd son temps, c'est sûr, à moins qu'on vienne justement pour le perdre, en particulier. L'ensemble, on en vient, on y va, on n'y est jamais. Quoi que le tour dégonfle ça se recentre aussitôt. Il faut refaire d'autres intervalles à mesure qu'on les comble, sinon on se trompe de joie avec le comblement. Sinon, c'est bouché, à force, non ? Du centre, on dit avec condescendance des tours qu'ils sont asymétriques à bon compte mais qu'ils expirent vite. Des tours, on dit du centre qu'il n'y en a pas, que le centre indiqué partout trompe l'œil, n'aspire que la racaille légale et la mort confondue, qu'il est inepte et corrompu. Les tours en soi comme hors de soi sont très excessifs et ne mesurent pas forcément. Le centre ne mesure pas non plus mais par prudence s'en remet sans excès à quelques anciennes grilles de lectures populaires retraduites et mieux présentées. Pierre se lève et dit : Excusez-moi, quoi qu'elles nous fondent ou soient fondées, il y a forcément quelque chose d'inimaginable qu'on perd chacun dans le réalisme des révoltes logiques et l'avancement de la statistique éprouvée. C'est où ? Il se rassoit, désolé d'avoir interrompu. Au centre, la présentation fait sens, expose la valeur et varie au gré des investisseurs : « Tu donnes, tu donnes, qu'est-ce que tu prends ? » Autour aussi, mais en plus dégradé : 1 - Pourquoi y a t'il encore de l'art plutôt que rien, qu'est-ce que c'est, qu'est-ce que ça n'est pas ? 2 - Qu'est-ce qu'on laisse ou perd dans les répertoires quand on nous répertorie ? 3 - Est-ce qu'il n'y a d'avenir libre que dans la nostalgie d'anciennes libertés gagnées sur un temps révolu ? On s'inspire d'ailleurs souvent - comme un clin d'œil piquant - des dégradations du tour, qu'on adouci un peu de repères identitaires pour se présenter au centre - il faut garder un petit côté canaille - ça fonctionne en général assez bien, le petit peuple du centre se nourrissant autant de présentations cadrées que de grands fantasmes plus ou moins refoulés sur la vie supposée plus libres des tours où l'on se consume de présentations fracturées et de fantasmes plus ou moins refoulés sur la vie supposée plus confortable du centre. Paul se lève et dit : Mais jouir d'un Rien qui s'offre indirectement et se refuse ou même seulement dans l'art du plaisir à l'improviste, de moins en moins ? Je ne comprends pas la question. À contretemps du temps qui va, pas à rebours. Il se rassoit, désolé d'avoir interrompu. Jacques se lève et dit : J'ai du désir quand ça ne me bombarde pas de tout ce sens fermé supposant mon plaisir à m'y retrouver, qui montre comme il (se) donne. Quand ça ouvre s'échappe et m'échappe avec, m'augmente. Je ne vois pas en quoi ce qui me dépasse m'exclurait. Sinon je regarde la télé, pour ce qui est d'avoir déjà compris et parfois m'avachir franchement dans la fonction d'avachissement. Je vais tenter sans partir

vraiment de m'absenter devant vous. Vous êtes autour vous êtes du centre ? Situez vous qu'on sache, dans quel monde vis-tu mon pauvre ami ? Presque le même, apparaissant, qui devient. De part et d'autre, à part pour quelques faux radicaux d'accord entre eux, réformateurs et contestataires plus ou moins représentatifs, l'insatisfaction avance et se refoule. Toute plainte est complétée complètement d'un raisonnement qui la contient et la psychanalyse. Je ne sais plus quoi en faire, de mon insatisfaction qui ne revendique rien, tellement ça râle d'habitude à force d'équilibre logique dans la négociation et tout vaut tant, dit Paul. Il faut passer sa colère ailleurs. Pour entretenir à la fois et contenir cette insatisfaction on laisse vivre au centre comme autour et pour justifier toutes sortes de mesures consommables - la cause l'effet l'œuf la poule, travail famille championnat de France (…) à seule fin de maintenir le nombre sous pression - l'idée invérifiable que ce serait mieux chez l'autre, satisfaisant. De part et d'autre on s'y soupçonne et s'en défend. De part et d'autre des hommes seuls à l'air important (archi-professionnels au centre, autodidactes géniaux du tour) prennent les affaires en main, parlent de « peuple » avec des mots qui puent, disent « Nous » tout le temps quand ils s'adressent à propos des autres, transforment en « eux » le moindre « je » contradictoire et énoncent des possibilités d'action qui n'ont jamais lieu. Il ne doit rien se passer, il ne se passe rien, c'est bien connu : le geste en usage et l'usage en fonction, ensuite ça fonctionne. Pas de promesse, juste des commentaires commentés. Il y a (comme en chacun) une forme de police sympa qui semble y veiller pour le bien de tous (surtout ne pas risquer l'excès d'un débordement, la joie est mauvaise conseillère) et décourage habilement ceux qui s'en écartent d'une simplification ou d'un engagement opportuniste. Il s'en trouve toujours un dans la Ratatine pour aller monnayer son avantage avec la direction du « plus-grand-nombre ». Qui négocie (pas d'autres choix) avec le pire et se laisse communiquer la moindre cachette ingouvernable par son dénominateur le plus petit. Autour on cite à tour de bras, machin a dit, machin dit que, c'est comme pour machin. Il semble qu'on n'ait autour à sa disposition qu'un petit bagage (mais pointu) de langage commun


référencé déjà cité et dont on fait le comptage statistique en temps réel. Pierre se lève : Il faut un tiers fictif pour qu'on s'entende, vous êtes beaucoup trop vrais pour qu'on y croit, regardez-vous, je crois encore en l'usage d'une autre provenance du même sens pour comprendre, les injonctions du réel me blessent. On en vient presque aux mains. Au centre, ça se braille l'ego - « s'en sortir » ils disent, de quoi ? - et s'arrache les tripes de plus en plus héroïquement, autour à force d'inversion lamentée on n'entend plus rien ni personne. Autour comme au centre la moindre tentative iconoclaste de séparation est empêchée au cas où par une expertise, débattue, condamnée par un vote à main levée. Comme il y a égalité entre les votants, c'est départagé (toujours dans le même sens) par le fils applaudi de quelqu'un d'important ou un bazar mécanique avec des boules sous contrôle d'huissiers. Régulièrement et seulement quand c'est le bon moment (on entend souvent dans des haut-parleurs planqués un peu partout « c'est pas le bon moment », « trop tôt », « trop tard », « maintenant »…) un représentant des ayants droits de Machin (pour commémorer la joie, il dit) organise quand ça l'arrange une révolte en surface pour passer les nerfs du « Nous » qui parle de « tout casser sinon ». Rien ne se casse, mais on dépose ici et là des choses cassées autour d'un jeune vieillard qui s'accroche à son fauteuil : je suis venu bien avant pour vaincre, il dit, j'ai déjà vaincu souvenez-vous, je reste. Tellement coupable au fond - sans trop savoir de quoi - qu'il tue plus ou moins symboliquement qui le sait ou l'a su. Les autres ont bon dos. Pour brouiller les attaques de plus en plus sournoises et élaborées du tour, le centre multiplie les intermédiaires représentatifs, c'est son truc. Quand il y a litige ou encombrement entre ceci cela, qu'on peut y supposer une offensive, au moindre risque d'avenir pour dire vite on nomme un nom passé dans l'intervalle et ça se tasse, en général. Sinon du premier coup, le second, ou le suivant. On nomme un autre intermédiaire, encore un autre s'il faut entre les précédents et ainsi de suite. En général - sans généraliser - quand il n'y a plus de place entre les intervalles, on s'y arrange un compromis entre intermédiaires et ça s'apaise sans faire de vague. Le passé gagne du terrain à mesure du temps stagnant et l'emporte, comme on vivrait dans des ruines neuves au futur antérieur. Alors on se souvient d'avance. Chacun (sa pancarte « hors de moi » autour du cou) converge au moindre mal, s'assemble et s'apaise à la cérémonie commémorative. Hors de nous, hors de nous, hurle le chef de chœur une photo de lui à la main. Autonomes, hétéronomes de tous les « petits pays dans ce pays-ci dans l'autre » enragez-vous comme un seul contre l'ennemi séparé - je sais qui - n'importe. Pas de poème de l'action visible, il faut tout ramener dedans. Ceux qui déclarent les guerres sont toujours encore là pour signer l'armistice. La bataille n'a plus lieu, la mort et l'amalgame, ça sert à ça. Chacun comme l'autre n'importe au bistrot (venez) avec la ferveur plus ou moins sincère et efficace de sa petite histoire dans la grande. Chacun son râlement d'Homme blessé ailleurs ou de prochain comme l'ancien poissonpilote représentatif qu'il vient râler là (viens) dans l'en-commun statistique et déprimé, réconcilié autour du moindre cadavre, si on veut. Tu verras, tu verras, ça y est c'est vu. Des noms, des noms, qui tourne autour du pot ? Qui a le pot ? hurle un jeune au fond qui vous emmerde quoi qu'il en soit. Tout ça c'est bien joli, mais je fais quoi pour vaincre à mon tour comme papa ? Quel est mon rôle, il dit ? On te le demande, quel est ton rôle ? À toi de voir, à ton avis ? Rien de visible à vaincre, c'est pas obtenir, c'est pas ça, beaucoup plus, qu'on passe son temps à définir, toujours - plus ou moins - en porte-à-faux avec ce qui nous autorise. C'est ce jeu dans l'exercice de son relatif libre-arbitre, son exemplarité parfois et aussi sa limite. Ça bute au réel, dit une femme lasse assise Karl Marx à la main sur un nain de cirque déjà presqu'endormie à qui on ne la fait pas. Qu'est-ce que vous

fabriquez ? Tu passes la butée, t'es cuit. Elle gifle son nain, on ne comprend pas pourquoi. Je sais. Le centre possède à lui seul plus des 2/3 des noms propres - ça fait beaucoup, mais il en reste encore - et la fonction vieillit. Baby boom tout ça, la fin de l'histoire Glenn Miller et l'immédiate après-guerre, plus de poème possible, ça arrange tout le monde. (…) Il y a par ailleurs une opération joyeuse lancée ces jours-ci par le tour pour convaincre le centre d'arrêter chaque jour férié du souvenir (souvenez-vous mieux, on a très peu de temps) la machine à brosser les plus poilus dans le sens du poil et de libérer dans le commun sans contrepartie un certain nombre de jolis mots pris par la publicité dont il est propriétaire, mais qui ne rapportent plus. Qui ne disent plus d'utile que ce qu'on leur a fait dire sans parler de Rosa Luxemburg ou du Boléro de Ravel. C'est donnant-donnant. Qui donne d'abord ? On déplie 3 audits et des cartes schématiques, des courbes de panels et graphiques, c'est beau à voir, des études stratégiques par le bureau d'untel vérifiées plutôt deux fois qu'une par machin, ce genre de choses. Il faut reprendre « orange » et « illimité » à France Telecom. Paul se lève et dit : s'il vous plaît, taisez-nous, dans ton programme commun, qu'on puisse encore l'envisager. Où qu'on en soit dans ce jeu à priori sans victoire que l'on a choisi de jouer, quelque chose manque et manquera encore, on s'y perd toujours. Solidaire presque chaque fois des perdants d'ici et d'ailleurs, toutes sortes, mais je ne suis pas non plus pour que le perdant gagne. C'est tout un problème. Des amis se brouillent, on expose des preuves d'amour, pas le temps, pas de poème. Rebelles de tous calibres dans la vraie vie engagez-vous, on a soupé des symboles, laissez vos armes paradoxales, ces temps-ci on recrute tous azimuts, le centre (comme autour) a besoin de vos convictions et représentativités pour faire monter sa sauce définitive. (…). On ne peut presque plus rien faire si on ne veut rien devoir à des imbéciles, dit un type déguisé en dragon la tête sous le bras à sa pause déjeuner. Ailleurs c'est mieux, mais là ? La séquence du spectateur, l'école du spectateur, il faut faire plaisir au client. C'est en fin de compte assez homogène autour comme au centre mais l'uniforme varie. Plein de chefs contradictoires et désorganisés dont quelques nihilistes d'un côté, un seul souvent annihilé de l'autre apaisant d'organigrammes et démocratie sans cesse recadrée les contradictions. On dit quoi qu'il en soit de part et d'autres que les contradictions c'est bien mais qu'on ne peut plus en discuter, que l'autre est borné voire pathétique. C'est déjà pensé. Bon an mal an chacun campe sur ses positions, et on en resterait là s'il n'y avait pas chaque printemps fictif quelques va-et-vient. Rien ne se comprend plus de l'art où qu'il soit si on oublie qu'il parle aussi dans la contingence - quelle qu'elle soit - contre son abaissement conjoncturel. On y partage parfois des solutions imaginaires et c'est largement suffisant. Sinon, il y a bien des lieux, mais ça n'a plus lieu. Et ça ressasse entre soi d'anciens griefs identifiés. Quelque chose pour rien, ça n'est pas n'importe quoi. C'est le propre de l'art et son propos, l'expérience entre l'offre et la demande, l'émergence. Je suis Pierre-Paul-Jacques-né-le, je suis dans le bazar. Il y a quelque chose souvent de l'histoire dans l'art qui se libère, un iconoclasme de sa propre norme, que j'aime aller chercher, prendre (pas improvisé mais ouvrant les conditions pour l'autre comme pour soi de l'improviste, c'est ça qu'on fabrique) que le théâtre le plus souvent me donne comme résolu d'emblée, péremptoire, condamné à ressasser ses origines à reculons. Pourquoi ? Parce que ça parle ? Pourquoi parce que ça parle ? Autour, au centre. Moitié ça se peut, moitié ça ne se peut pas, exactement. Il y a les deux parts, il faut en préserver l'écart, sinon on ne sait plus ni de quoi ni depuis quoi on parle et s'adresse. Ça se trouve forcément dans des marges, mais mobiles. Comme il y a de la marge entre regarder (même alentour) ou s'endormir librement sous un arbre libre et se recueillir au pied de l'arbre de la liberté.


ailleurs, en bretagne...

les conseils de Chantal atterrir à Rennes, aller saluer Christophe Viart à la Galerie Art & Essai à l’Université Rennes 2 : Un art de lecteurs / 16 mars - 15 avril / œuvres de David Bunn, Claude Closky, Rodney Graham, Raymond Hains…(commissariat de Yann Sérandour) prendre le thé dans l’atelier de Jocelyn Cottencin puis dîner simplement au restaurant L’Appart’ au 67 boulevard de la Tour d’Auvergne. Le lendemain, direction Les Côtes d’Armor pour profiter de l’accueil de Didier Lamandé à la Galerie du Dourven à Tédrez - Locquemeau : Laurent Sfar / 12 février - 10 avril. Quelques kilomètres plus loin, déjeuner au Grand Hôtel des Bains, rue de l’Église à Locquirec puis continuer vers Quimper et Le Quartier : Aires de migrations / Raymonde April, Michèle Waquant / 29 janvier - 27 mars. Et voilà déjà Brest où l’on prendra des nouvelles de Rémy Fenzy à l’École tout prés du Musée des Beaux-Arts : François Dufrêne, rétrospective / 4 mars - 6 juin. Le lendemain, retour par le Morbihan avec un arrêt à Bignan au Domaine de Kerguéhennec : B.A.-BA. (œuvres de la collection du Frac Bretagne). Le mieux sera de dormir à Rennes et de repartir le lendemain de Nantes après avoir déjeuner au Lieu Unique. Une journée supplémentaire à Rennes aurait permis de visiter quelques ateliers comme celui de Yann Sérandour ou de Sébastien Vonier, de passer bien évidemment à La Criée, de ne pas hésiter à faire le détour par Le Bon Accueil, avant d’aller passer la soirée au TNB. Bon, d’accord, comptons 4 jours ! Claude Closky . My sister at the library in her Thursday jeans, 2000. Courtesy of Claude Closky - Galerie Jennifer Flay

G.R.A.Ph

Atelier Neitzert

Centre Méditerranéen de l’Image

lieu d’art actuel

CHÂTEAU DE MALVES 11600 MALVES EN MINERVOIS

HAMEAU DE CASTELBOUZE 34360 ST CHINIAN tel·fax 04 67 38 04 29 www.jorgneitzert.com

04 68 77 53 91 04 68 71 65 26

EXPO : MAI 2005

L’ERRANCE...


le journal du moi laurent goumarre

… et aussi le silence. Je n'ai jamais entendu personne élever la voix, dans cet hôtel — personne... Les conversations se déroulaient à vide, comme si les phrases ne signifiaient rien, ne devaient rien signifier, de toute manière. Et la phrase commencée restait tout à coup en suspens, comme figée par le gel. Mais pour reprendre ensuite, sans doute, au même point, ou ailleurs. Ça n'avait pas d'importance. C'étaient toujours les mêmes conversations qui revenaient, les mêmes voix absentes. Les serviteurs étaient muets. Les jeux étaient silencieux, naturellement. C'était un lieu de repos, on n'y traitait aucune affaire, on n'y tramait pas de complot, on n'y parlait jamais de quoi que ce fût qui pût éveiller les passions. Il y avait partout des écriteaux : taisez-vous,taisez-vous. Souvenez-vous… C'était le soir, le dernier sans doute. Il faisait presque nuit. * Souvenez-vous… C'était l'année dernière à la télévision.

Ça se passe à Culture et Dépendances, chez FranzOlivier Giesbert, avec Nicolas Rey sur le Service Public, pour rendre Service à Roger Hanin qui sort un livre de sa poche, qu'on n'a pas lu. Patrick Besson, non plus, ne l'a pas lu, ce qu'il déclare mais qu'on ne l'empêchera pas de penser et dire que le livre n'est pas écrit, mais qu'après tout le bien qui vient d'en être dit, ce livre il va le lire. Ou presque, car Roger Hanin qui n'aime pas l'injustice - des années de Navarro ne sont pas sans séquelles -, Roger Hanin déclare que non, qu'il s'y oppose dans une de ces phrases pour lesquelles on donnerait toute la recherche et le temps perdu : « Mais je vous l'interdis ! ». Le comédien-écrivain (plus de six romans à son actif, quand même !), lance un « Mais je vous l'interdis ! » au critique-écrivain. Tout ce qui touche au statut du livre à la télévision vient de se jouer à cet instant : l'émission bascule vers le jeu de rôles. Dans un cadre thérapeutique, les rôles sont inversés pour dénouer une situation, névrotique, psychotique ou simplement anxiogène ; et de la gêne le plateau de Culture et Dépendances n'en manque pas. Dans un jeu de rôles, madame joue monsieur, l'ado joue ses parents, l'alcoolique sa famille débordée, et inversement. Alors subrepticement, Cuisine et Dépendances devient le lieu télévisuel emblématique d'un jeu de dupes, celui du carnaval Hanin/Besson, où chacun comprend que

toutes les places sont bonnes à prendre, que plus rien n'a de valeur. C'est la confusion sur le plateau, Patrick Besson rebondit sur ce « je vous l'interdis », en appelle à la censure, ne regarde pas son interlocuteur, s'adresse à la caméra, aux gens du plateau, à la France, avec un détachement qu'il sait des plus élégants, il écrit au Figaro magazine, l'élégance il connaît Patrick Besson ; avoir l'air élégant sur un plateau, c'est ne pas regarder son interlocuteur, pour ne pas avoir l'air de lui donner la réplique, avec un léger détachement, une pointe d'amusement, très Sacha Guitry, très Luchini sans l'hystérie si c'est encore possible, mais pour Besson apprenti comédien, c'est possible. Ce soir à Culture et Dépendances, Besson ose non pas le grand monologue, mais l'aparté, ce truc un peu au Théâtre ce soir , l'aparté que l'amant de boulevard fait au public, un commentaire destiné à mettre en valeur son jeu, tirer le public à soi, mettre les rieurs de son côté. Se voir interdit de lire le roman de Roger Hanin de la bouche même de son auteur/justicier devient dans la langue de Besson, un acte qui nous rappellerait les pages les plus sombres de l'histoire de l'humanité, des ouvrages brûlés devant les universités, la fatwa lancée contre Les Versets Sataniques. Ça devient tout ça, mais avec un léger détachement, car c'est exagéré, bien sûr, on exagère, ce soir c'est pour rire, on est entre gens qui savent rire, Besson qui joue la comédie, c'est tellement drôle. Ou presque. Car Roger Hanin privé de son jeu de comédien endosse alors la panoplie vacante du critique, et poursuit son discours sur ce qu'est un livre, ce qu'est son roman. Il laisse le énième degré à son partenaire histrionique, il reste premier degré, il en est touchant, se bat contre les moulins à vent des conversations de salon, pour mieux perdre. Il est vrai qu'il perd Roger Hanin. Face à Besson comédien, Navarro le critique paie de sa personne, devant le public du plateau, devant Franz-Olivier Giesbert qui vient de se payer le Beauf. De la gêne, oui il y en eut ce soir là, de l’anxiogène aussi. Alors faudra-t-il parler de Nicolas Rey ? On en parle ? Non on « se l'interdit » !

* L'année dernière à Marienbad, Alain Robbe-Grillet, Les Éditions de Minuit.

Laurent Goumarre est critique d’art, collaborateur à ArtPress , producteur de Chantier - France Culture, conseiller artistique de Montpellier Danse


addenda congénies - 30 Artelinea TOUT LES SÉPARE (et pourtant) Une résidence-exposition avec Grégory Biondi, Marianne Daquet, Stéphane Le Droumaguet, Guillaume Le Moine, Yannick Papalhau, Adeline Pichat mars - avril 18 mars : rendez-vous public 7 avril : vernissage 8 avenue de la Malle Poste contact : 04 66 80 23 95 montpellier - 34 « MIX » - 48 Heures Aperto 1 rue Etienne Cardaire Broad Way 06:06 am /Project Singe renseignements au 04 67 72 57 41 fin février Carré Ste Anne Biennale des jeunes créateurs 2 rue Philippy d’Europe et de la Méditerranée - Naples05 tlj sauf lundi de 13h à 18h Sélection française tél : 04 67 60 82 11 28 janvier - 20 mars

Sonorités / concert-poésie n°6 Bande Annonce Marc Touitou (guitare) & Manuel Joseph (texte/voix) vendredi 15 avril à 21H, Le Baloard, Montpellier tous les renseignements : tel 04 67 64 81 53 et www.a-ba.org Iconoscope 25 rue du Courreau tél : 06 20 36 57 47

Jean-François Fourtou 5 mars - 30 avril

Galerie Vasistas Stéphane Le Droumaguet / 37 avenue Bouisson Bertrand Sébastien Vonier du mercredi au samedi de 15h à 18h30 3 mars - 23 avril

Centre chorégraphique national de Montpellier Languedoc Roussillon - Les Ursulines jeudi 10 février à 20h30, Studio Bagouet : hors séries #26 Claudia Diaz mardi 5 avril à 20h30, Studio Bagouet : hors séries #27 Loïc Touzé / Fabienne Compet mardi 31 mai à 20h30, Atelier- Les Ursulines : hors séries #28 Chiara Gallerani, Pascale Paoli, Pascal Queneau, Caty Olive Les Ursulines, boulevard Louis Blanc tél : 04 67 60 06 70 accueil@mathildemonnier.com www.mathildemonnier.com Frac Languedoc-Roussillon Fonds régional d’art contemporain 4 rue Rambaud du mardi au samedi, de 14h à 18h

Loïc Raguénès 5 mars - 23 avril Gabriele Di Matteo 6 mai - 18 juin

nîmes - 30 Carré d’Art Musée d’art contemporain tlj sauf lundi de 10h à 18h tél : 04 66 76 35 70

Patrick Van Caeckenbergh 27 janvier - 17 avril

perpignan - 66 École supérieure d’art autour du thème de l’Islam 3 rue Foch textes et publications d’artistes et d’étudiants tél : 04 68 66 31 84 avril 2005

coordination et promotion de l’art contemporain en languedoc-roussillon l’actualité sur le net : www.cd5.org

5 rue bayard 34000 montpellier tél - fax : 04 67 99 57 42 mail : contact@cd5.org


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Offerte en 2001 aux artistes de pays maurin et la spesa, qui n’avaient vraiment pas besoin d’ajouter une activité à la somme de leurs efforts quotidiens pour devenir des artistes connus et reconnus, artelinea s’est vue adoptée comme on adopte un chat ou mieux un nouveau chemin familier (de traverse), pour continuer à brasser des idées des rapports à l’art des modes des organisations des possibilités nouvelles pour dire encore au monde que l’art contemporain c’est bien. L’association a maintenant sa maison dans le village, avec sa petite cour, son pied de vigne vierge et son portail vert. La comparaison avec une maison ordinaire s’arrête là. La restauration minimale des murs, l’écho des pièces vides, la possibilité d’y exister sans être vu tout en entendant les bruits de la vie autour, … tout cela emmène ailleurs. Artelinea a toujours de l’art sur le feu ! Prochainement : mars-avril - TOUT LES SÉPARE (et pourtant) Une résidence-exposition de printemps avec Grégory Biondi Marianne Daquet, Stéphane Le Droumaguet, Guillaume Le Moine, Yannick Papalhau, Adeline Pichat.

Depuis plus de dix ans, l'association bande annonce a pour vocation de promouvoir la création audiovisuelle contemporaine et de défendre une idée forte, plurielle, différente, de l'art de l'image en mouvement. Que cela s'accomplisse dans le cadre du dispositif " un été au ciné/cinéville ", de la coordination régionale du pôle d'éducation artistique à l'image, ou lors d'événements et programmations de cinéma expérimental, d'art vidéo et de films d'artistes (tels que Amer America I, les soirées au monoquini, le Cycle Electroscape) il nous apparaît plus que jamais primordial de défricher tous les chemins de l'image pour en déchiffrer les codes et langages et en découvrir les saveurs hors normes.

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