art contemporain - languedoc roussillon - juin juillet aoĂťt septembre 2006 - numĂŠro 11
centre chorégraphique national de montpellier languedoc-roussillon
5.6.7/07 . festival montpellier danse 06 31/07&1.2/08 . festival paris quartier d’été 5/08 . impulstanz wien
photo©marc coudrais
2008 vallée de et avec mathilde monnier et katerine
# 11
Jeff Koons, Hanging Heart. 1994-2006. Palazzo Grassi, Venise.
chauffe, marcel ! - interview d’Emmanuel Latreille hors du champ ! - Lozère 2, Lucien Pelen, 2006 la ruse de simone decker - Patrick Perry éric watier -l'inventaire des destructions - entretien avec Jean-Baptiste Farkas la profondeur duchamp - Bertrand Grimault mona, lisa et les autres - Sophie Phéline gilles barbier - Carré d’art à Nîmes c’est tout vu - Marie Reverdy déjà vu - Corinne Rondeau 1986 - 2006 - Le Palazzo Grassi le journal du moi - Laurent Goumarre addenda - à voir donc photo couverture de Fiorenza Menini © offshore 2006 ont collaboré à ce numéro : Jean-Baptiste Farkas, Laurent Goumarre, Bertrand Grimault, Emmanuel Latreille, Patrick Perry, Sophie Phéline, Marie Reverdy, Corinne Rondeau, Éric Watier crédits photographiques : Frédéris Buisson, Marc Domage © ADAGP, Paris 2006 pour Gilles Barbier, Jean-Baptiste Farkas, Frac Languedoc-Roussillon, Laurent Goumarre, Jean Paul Guarino, Florence van Handenhove, Jacqueline Hyde © ADAGP, Paris 2006 pour Bernard Piffaretti, Lucien Pelen, Denis Prisset pour Anita Molinero, André Raffray © ADAGP, Paris 2006. pour le Palazzo Grassi : Graciano Arici, Santi Caleca, DR.
chauffe, marcel ! interview d’emmanuel latreille, directeur du frac languedoc-roussillon
Jean-Paul Guarino : Avant d'évoquer le choix et le contenu de Chauffe, Marcel !, largement déployé cet été sur tout le territoire de la région Languedoc-Roussillon, avez-vous justement pris en considération ce contexte régional ou une certaine situation nationale dans la conception de la manifestation ? Emmanuel Latreille : Cette série d'expositions est en effet une réponse à une demande précise de la collectivité régionale : faire mieux connaître l'art contemporain à un large public. Bien entendu, cela pouvait signifier d'abord sortir les collections du Frac Languedoc-Roussillon qui sont mal connues des publics locaux, mais il y avait davantage m'a-t-il semblé ; une question plus précise encore et qui était en tout cas pour moi plus déterminante : Qu'en est-il de l'art contemporain et en quoi cela peut-il concerner la collectivité ? Or une telle question n'est pas à mon avis valide uniquement au plan régional. Depuis bientôt quinze ans, la France connaît au niveau national ce que l'on appelle une « crise de l'art contemporain » qui touche au sens et à la raison d'être de l'implication des collectivités publiques dans ce domaine artistique. Et les Frac sont évidemment en première ligne. L'art contemporain a ses « partisans » et ses « détracteurs », mais il se dispense trop facilement de réinterroger son propre sens sur le plan social et politique. Il n'y a pas une année où une nouvelle et coûteuse initiative de l'Etat ne prétend s'y atteler pour, finalement, soigneusement éviter le débat de fond. C'est pourquoi, quand il y a une demande de cet ordre, à savoir tenter de faire apparaître les enjeux de l'art contemporain à un grand nombre et expliquer ce dont il s'agit, il est indispensable de ne pas se dérober et d'essayer de suggérer quelques « clés » qui appartiennent à tout le monde d'ailleurs, permettant d'en saisir les enjeux. On ne peut plus jouer sur une position d'autorité comme a pu le faire un certain milieu de l'art un peu trop sur la défensive et s'estimant par principe dans le juste parce que du côté des artistes. J.P.G : Mais alors, pourquoi Duchamp ? E.L. : Je dois avouer que c'était au début la suite d'une réflexion que j'ai menée sur le travail d'un artiste, Pascal Rivet, qui met en jeu des formes de mimétisme dans ses œuvres. J'ai écrit un texte pour le catalogue que le Frac a publié sur lui en 2004 et j'y ai évoqué incidemment le livre de Thomas a Kempis du XVème siècle, L'imitation de Jésus-Christ. Comme Rivet fait des répliques en bois d'objets industriels, notamment des véhicules qu'il remet en situation dans l'espace social, j'ai été amené à parler de Duchamp, du ready-made et du « ready-made réciproque », de ces sortes d'allers-retours possibles entre les réalités extérieures à l'art et l'espace de l'art proprement dit. Les deux aspects se sont condensés dans ce titre, L'imitation de Marcel Duchamp. Quand est venue la demande de la Région, je me suis dit qu'il fallait donner sens à cette intuition d'un lien profond entre l'art contemporain et Marcel Duchamp. D'ailleurs Marcel Duchamp était présent dans la collection du Frac, par deux photographies de Man Ray. La première, celle en Rrose Sélavy pour Eau de Voilette, le montre avec cet air sévère,
fermé, qui lui donne un aspect de moine et pas du tout de minette, probablement à cause de la curieuse coiffe à plumes qu'il a sur la tête. On dirait presque un chef de bande ! La seconde, c'est Tonsure, où il s'est fait faire une étoile filante sur l'arrière du crâne : on retrouve l'idée du berger qui guide son troupeau. Vraiment il y a quelque chose de l'ordre de la figure du Prophète ! Il pouvait être la figure à suivre vers la constitution d'une réflexion sur ce dont sont constituées les œuvres contemporaines, sur comment elles sont faites depuis qu'elles ne sont plus seulement des peintures ou des sculptures, sur la façon dont l'objet et la production mécanisée et industrielle ont bousculé l'espace de la représentation classique. Mais cela pouvait toucher aussi la manière d'envisager des modes de vie, un rapport à la société contemporaine, un rapport au monde et à la collectivité peut-être spécifiques. Comment vit-on, comment prennent formes nos relations intersubjectives, nos représentations du désir, du corps, de l’identité de chacun et de l’illusion à travers l'art depuis Duchamp ? Ces questionnements, présents dans sa vie et ses œuvres, sont essentiels afin de commencer à saisir que l'art contemporain, ce n'est pas que des « œuvres » résumées à des « objets » et au problème de leur légitimité comme œuvres. Donc la recherche d'une filiation littérale de Duchamp dans l'art contemporain n'était pas du tout mon affaire. Je ne m'intéresse pas aux artistes qui ont repris des « signes » duchampiens, ça a été d'ailleurs fait par d'autres. J'ai voulu suivre mon guide plus au fond, mener une sorte d'enquête large sur l'art du présent en me colletant à Duchamp. Mais au départ, c'était une intuition en quelque sorte, qui était liée à l'espèce de situation délicate où j'étais personnellement : face à la demande d'explication que l'on m'adressais, j'ai suivi un type qui m'apparaissait seulement sur deux images et en qui j'ai, à tort ou à raison, placé un peu mon salut ! J.P.G. : Chauffe, Marcel ! Ce titre fait sourire, pour peu que l'on ait de l'humour, mais peut aussi être jugé comme sacrément caricatural et attentatoire à l'image de ce prophète de l'art contemporain... Ce qui me frappe, c'est qu'une grande majorité des acteurs de l'art contemporain (artistes, commissaires d'expositions, critiques...) veulent absolument transmettre l'idée qu'ils saisissent et connaissent tous, et mieux que l'autre, Marcel Duchamp, et que si ce dernier avait un digne héritier ce seraient eux. Toujours est-il que cela risque de vous assurer par avance toutes les critiques les plus contradictoires et paradoxales possibles ! Amusant aussi, non ? E.L. : Evidemment, il y a avec Duchamp cet effet mimétique dont vous parlez ! C'était bien la raison de l'ironie de cette formule d' « imitation de Marcel Duchamp ». Ce que chacun revendique de Marcel Duchamp me frappe aussi depuis de nombreuses années, du côté des « partisans » comme des « adversaires » de l'art contemporain d'ailleurs ; je ne me prive pas, moi aussi, de le citer au travers de phrases fameuses comme « C'est le regardeur qui fait le tableau », ou de mentionner le ready-made dès que j'ai affaire à une installation avec ou sans objets. Mais c'est un Duchamp à l'état gazeux, pour reprendre l'expression d'Yves Michaux sur l'art contemporain. Bien sûr, tout
le monde le cite, s'en réclame à des titres divers, pour des raisons de dandysme, de marginalité ou d'attitude distanciée par rapport à un milieu auquel, d'ailleurs, tout le monde veut appartenir mordicus. Duchamp suscite même cette sorte de « désir mimétique » tel que le pense René Girard, à la fois dans l'envie que suscite celui qui a tout « gagné » sans presque rien faire et dans l'abomination qui est le revers de cette envie. Bref, tout le monde est dans une espèce d'ambiguïté par rapport à Duchamp. Le titre, Chauffe, Marcel ! a remplacé « L'imitation de Marcel Duchamp » en cours d'élaboration du projet. « Chauffe ! Chauffe, Marcel ! », c'est ce que crie Jacques Brel à son accordéoniste, Marcel Azzola, dans une interprétation en public de Vesoul, pour l'inciter à mettre la gomme. J'ai accepté cette modification du titre qui m'a été suggérée par des partenaires du projet parce que L'imitation de Marcel Duchamp pouvait être mal compris. Mon intuition initiale s'était confortée dans l'idée que l'on était entré dans une ère nouvelle de la représentation depuis le ready-made, et que Duchamp s'était le premier attaché à ce qui se passe entre le réel et la représentation qui « colle » à lui pour en explorer toutes les conséquences. Il s'agissait de creuser cela avec des artistes vivants : comment les modes de représentation qui définissent les identités des individus et des réalités dans une société sont différents depuis que l'on est passé de l'espace de représentation « classique » à l'espace tout court, à l'espace réel ? Que se passe t-il quand on est dans la réalité et qu'une chose est une chose mais peut aussi être en tant que telle sa propre représentation ? A la fois « même » et « autre ». De la même manière, en démocratie, on est soi-même et aussi dans une représentation ; on n'est jamais soi-même sans être un peu autre chose et je pense que Duchamp, même s'il a toujours dit refuser la démocratie en art, s'intéresse à ce petit « autre chose » que chaque existant est toujours. On est à la fois un être donné et puis en même temps, Rrose Sélavy, on est un double, on « a » aussi des doubles. On peut dire que l'on est soi-même, un citoyen avec sa puissance propre, et puis on a des représentants, des élus. Que se passe t-il entre ces doubles et la réalité qui font ensemble ce que l'on « est » ? Le double doitil se substituer au réel ? Le réel est-il annulé ou relativisé par le double ? Et s'ils coexistaient pour ainsi dire « essentiellement » ? C'est ce que je pense, et ils sont donc en tension permanente et nécessaire. Une tension qui est notre lot, privé ou public, et qui conduit à ce qu'à de multiples niveaux, ce n'est plus la « valeur des modèles » qui importe mais les « rapports » entre des dimensions imbriquées de la réalité, entre lesquelles ça chauffe parfois ! J.P.G. : Votre projet n'est donc pas thématique mais plus ambitieux : proposer de partager une vision personnelle tout en la recentrant sur le contexte objectif de la création et de l'art contemporain. Mais ne craignez-vous pas que l'on vous reproche d'avoir plaqué une thématique « politique » sur Duchamp et sur l'art contemporain comme d'ailleurs d'avoir plaqué aussi Duchamp sur l'art contemporain de manière trop générale ? E.L. : Ce sont deux risques différents. En ce qui concerne le premier, je suggère seulement que l'exploration des œuvres de Duchamp permet de penser une nouvelle époque, la nôtre, où les rapports entre le réel et le « symbolique » sont très différents de ce qu'ils étaient auparavant, simplement parce que la nature même de l'espace de la représentation a radicalement changé, vers 1912. Pour le second, je n'ai pas fait une exposition de Marcel Duchamp et je ne l'ai pas « plaqué » sur quiconque : simplement j'ai tenté de faire une petite « archéologie » de l'art contemporain et il me semble qu'il fallait aller de ce côté de l'homme à la tonsure pour trouver quelques pépites… Ce n'est tout de même pas un hasard si, dans cette fameuse « crise de l'art contemporain », ceux qui le taxent de « nul » s'en prennent systématiquement au ready-made !
de haut en bas : André Raffray. Le Diptyque de Marcel Duchamp, 2003 Anita Molinero. Sculpture, 2005 Bernard Piffaretti. Sans titre. 1991. collection Frac Bourgogne
Il fallait regarder cela de près, mais du point de vue des œuvres elles-mêmes, dont « Marcel Duchamp » pouvait devenir une sorte d' « interprétant » : cela veut dire que ses œuvres à lui permettent de voir, de plusieurs manières, les œuvres d'artistes vivant aujourd'hui. Cela tient à plusieurs choses : d'abord au fait qu'il a lui-même expérimenté beaucoup de techniques et de médiums, il a à peu près tout fait, de la peinture, de la sculpture, du dessin, des « installations », des répliques et des copies, du graphisme, de l'aménagement intérieur, des photos avec son ami Man, des déguisements, des jeux de mots et de la critique, des ventes et des collections, des échecs, s'est marié huit mois etc. En somme, il a fait, comme dit Pascal, « peu de tout » : c'est, pour le philosophe, une façon d'atteindre à l'universalité. Eh bien, par rapport à la diversité de l'art à laquelle on est confronté aujourd'hui et contre laquelle il n'est pas un jour sans un appel à de nouveaux « critères », ce « peu de tout » pratiqué par un seul est une sacrée occasion de tisser des liens, de rassembler des formes complètement hétérogènes en tachant de les lier par ce fil conducteur d'une pensée large et ouverte, dynamique et distancée, qui ne s'est jamais « auto-limitée » dans l'application à une unique manière de faire, à l'exclusive de toute autre. Pour simplifier, à travers des « rapprochements formels » entre l'évocation des propositions de Duchamp que chacun est invité à aller réviser dans les livres qu'il voudra (je conseille quand même le Francis M. Nauman, L'art à l'ère de la reproduction mécanisée), j'ai visé une unité de pensée et d'être dont le dénommé « Marcel Duchamp » me semble avoir été, pour dire vite, « exemplaire ». Dieu me damne si j'ai fait le moindre tort à sa mémoire, et que le Diable me renvoie au Paradis si j'ai confirmé sa Gloire ! Mais vous voyez que je ne risque ni l'un ni l'autre : car je n'ai pas cru bon d'en faire un « Modèle » (au sens d'une Valeur), juste un « interprétant ». J.P.G : On pourrait dire qu'à travers cette prise en compte de la diversité et du pluralisme, de la recherche de leur raison d'être dans le domaine de la création artistique, vous avez pensé le poids politique de ce projet ? E.L : C'est encore plus grave : il s'est imposé de lui-même ! C'est la faute à Marcel… J.P.G : Lorsque l'on est amené à construire une manifestation « grand public », j'imagine que l'on a en tête à la fois tous les gens qui ne connaissent pas l'art contemporain, bon nombre de néophytes, mais aussi tous les confrères, au sens large, le milieu professionnel auquel on doit envoyer des signes. On dose ? On mélange et on agite, comment cela s'organise-t-il ? E.L. : Il faut essayer avant tout de faire de bonnes expositions. J'entends par là que mon souci est que les ensembles mis en place dans les différents lieux aient autant que possible une vraie cohérence et subtilité intellectuelle, et bien évidemment que celle-ci soit perceptible à travers des qualités formelles différentes auxquelles chacun adhèrera en fonction de ses « goûts » et de son implication personnelle. Tout ce que l'on peut dire avant une exposition s'anéantit devant la difficulté propre de la monstration des œuvres. Je ne me plie pas aux regardeurs extérieurs, ce qui ne veut pas dire que je ne construis pas en fonction de mon sujet, ni que ce sujet ne me permet pas de trouver la logique de rapprochements des œuvres et de tisser des liens : sinon, ce serait
absurde d'avoir un thème ! Et contrairement à ce que vous m'avez dit, je pense bien moi que j'ai fait une exposition « thématique ». Par exemple, à La Panacée à Montpellier, le projet s'est construit autour d'un intitulé, Soigneurs de gravité : le « Manieur ou Soigneur de Gravité » est l'élément manquant du Grand Verre, manque qui marque en quelque sorte l'inachèvement même de la pièce. Cela me paraissait bien, et juste dans mon affaire, de monter une exposition d'œuvres contemporaines à partir de ce « manque » dans Duchamp ! En plus cet élément avait beaucoup de sens dans le fonctionnement de la mécanique poétique du Grand Verre, Jean Suquet l'a bien montré. Mais, pour moi, il pouvait être simplement simplifié comme le principe de relation entre le « haut » et le « bas », la « Mariée » sur son nuage et le champ des célibataires, occupés d'après les notes de Duchamp à un « combat de boxe ». Cette double polarité permettait de prendre en compte d'autres caractéristiques du corpus ; par exemple les suspensions de ready-made, et de s'interroger sur la raison de ces élévations que Duchamp a beaucoup pratiquées. A partir de là, on peut raconter toutes sortes d'histoires, en fonction des pièces que l'on choisit ou dont on dispose. Si l'exposition est bien agencée et que celle que vous avez choisi de raconter tient un peu, n'importe qui peut s'y retrouver, pour peu qu'il cherche un chemin. Mais le sens d'une exposition ne peut pas être fondé sur une volonté d'être plus ou moins accessible, plus facile ou plus difficile en fonction du public auquel elle s'adresserait. Parce que de toutes les façons, c'est le fait même de « représenter quelque chose » qui est difficile aujourd'hui ; les œuvres contemporaines sont difficiles pour nous tous, néophytes ou pas. J.P.G. : Encore une fois, votre projet parvient à un positionnement de fond dans l'ambiance plutôt superficielle et monocorde des modes de monstration actuels. E.L. : Vous me prêtez beaucoup. Je ne réponds pas à autre chose qu'à une demande « pédagogique », et je refuse depuis que j'occupe ce type de fonctions de catégoriser les choses et les histoires dans des reconstitutions de familles. Je déteste les appartenances communautaires, surtout celles auxquelles je suis censé être attaché. J'approuve l'idée d'exposition thématique qui utilise une thématique pour ouvrir et lier librement et lisiblement des œuvres et cela n'est pas contradictoire avec le regard singulier que l'on peut avoir sur chacune d'elles. « L'art est au-delà de la forme » disait Paul Klee ; nous devons vivre les œuvres au-delà de leur forme pour qu'elles dégagent toute leur énergie et leur singularité. Duchamp devient alors le prétexte ou l'occasion de révéler et produire cette énergie. Mais pour revenir à une question précédente, les gens vont-ils saisir les articulations proposées ? Les expositions vont-elles marcher et l'exercice sera t-il ou non réussi ? Je n'en sais rien et, à ce jour, je ne sais pas à quoi elles ressembleront vraiment. Le fait de produire un objet comme une œuvre d'art oblige celui qui vient à sa rencontre à produire à son tour de l'énergie. C'est la même chose pour une exposition : il faut avoir ce regard actif qui associe une chose à une autre dans un jeu de métaphores successives qui s'étend de plus en plus au lieu de se réduire ou de se racornir. Il me semble que Marcel Duchamp nous a appris à parcourir le champ du réel avec jubilation.
Chauffe, Marcel ! 17 juin - 29 octobre. Renseignements au 04 99 74 20 35 - Programme complet sur www.fraclr.org Emmanuel Latreille est directeur du Frac Languedoc-Roussillon et commissaire général de la manifestation.
hors du champ ! lozère 2, lucien pelen, 2006
Hors du champ ! Vallon du Villaret, Bagnols les Bains. 8 juillet - 5 novembre. du 8 juillet au 9 septembre tous les jours de 11h30 Ă 18h et du 9 septembre au 5 novembre le samedi, dimanche et vacances scolaires de 12h Ă 17h. Pep Agut, Lucien Pelen, Philippe Ramette, Till Roeskens, Jean Claude Rugirello.
la ruse de simone decker patrick perry
C'est à l'intérieur du vaisseau unique et de l'abside orientale de la chapelle de la communauté de la Miséricorde que Simone Decker a installé un impressionnant ensemble de sculptures qui porte le titre générique Ghosts. Encadrées, pour l'occasion, par des chapelles dédiées à saint Joseph et saint Vincent, ces onze pièces occupent pratiquement tout l'espace disponible, que l'on est invité à parcourir dans une relative obscurité, toutes baies ouvrant sur l'extérieur ayant été obstruées. L'œuvre n'a cependant pas été créée pour la chapelle ni même pour cette exposition. Pensés et présentés en 2004 au Casino Luxembourg, dans des conditions différentes, les Ghosts ont été acquis depuis peu par le Frac Languedoc-Roussillon. Dans la bonne ville de Luxembourg, donc, Simone Decker a réalisé une douzaine d'empreintes de monuments et sculptures, implantés dans l'espace public, grâce à des bandelettes thermoplastiques utilisées en chirurgie pour réduire les fractures. Les moulages alors obtenus, une fois décollés et retirés de leur matrice, ont été colorés uniformément par du pigment photoluminescent, qui restitue dans l'obscurité la lumière ambiante accumulée. Aisément transportables, moyennant quelques découpages pour les plus volumineux, qui demeurent néanmoins assez légers, les fantômes sont à peine plus épais - de l'épaisseur des bandelettes qui sont devenues leur matériau - que leurs " ascendants " situés sur une place ou dans un jardin public. Déplacés, ils ne sont plus perçus comme des enveloppes, mais comme des réalisations autonomes, dont la structure, le poids, le matériau, ambigus, peuvent troubler le regard et l'analyse. Leurs silhouettes paraissent également assez équivoques. Si elles présentent toutes une couleur identique, dans un genre pastel-acide-pop-fluo peu franc, un revêtement similaire, constitué de stratifications un peu molles, leurs formes générales sont très disparates car issues de sculptures n'ayant que très peu de points communs entre elles - ni l'époque, ni même la qualité - en dehors de leur présence à l'intérieur d'une ville donnée. Certains de ces fantômes moulés laissent rapidement reconnaître un air de parenté. Quelques références, qui leur ont donné naissance, sont vite identifiées par l'amateur d'art moderne et contemporain. Il en est ainsi de certaines drop sculptures, qui, si elles cherchent en général à jouer avec l'espace ou même à s'intégrer dans le paysage, sont posées, à Luxembourg comme ailleurs, sans entretenir de relation particulière avec le site et son histoire. Les formes mises en œuvre par Bernar Venet ou Ulrich Rückriem sautent
ainsi aux yeux parmi les Ghosts (Ghost Bernar, Ghost Ulrich). D'autres se devinent, avec plus ou moins d'assurance : Henry Moore ? L'improbable figure de Churchill ? Plusieurs résistent et laissent perplexe le regard inquisiteur, excepté, peut-être, luxembourgeois d'origine (la vague représentation d'une Grande Duchesse…). Que penser, enfin, de ce qui semble être la duplication fantomatique d'une œuvre de Daniel Buren ayant perdu le principal outil visuel permettant de la désigner avec certitude, remplacé par de fines bandes horizontales monochromes (Ghost Daniel) ? S'il ne s'agit évidemment pas là d'un jeu d'attribution à l'intérieur d'un musée de sculpture comparée, si les Ghosts constituent une œuvre unique et ne sauraient être séparés, on pourra cependant se réjouir d'une appétissante excitation due à l'alternance du point de vue global, sur la totalité de l'œuvre, et d'une vision plus resserrée, tournée vers chaque pièce. Les questions de point de vue et de profondeur du champ optique sont d'ailleurs particulièrement récurrentes dans l'œuvre de Simone Decker. Dans certaines séries photographiques, par exemple, le dispositif de prise de vue suggère que de gigantesques chewing-gums ou de monstrueux glaçons rivalisent par leurs dimensions avec de prestigieux environnements architecturaux de Venise ou d'emblématiques sites parisiens (Chewing in Venice, 1999 ; Glaçons, 1-9, 2001), alors qu'ils n'ont, en réalité, rien des proportions monumentales qu'on leur prête au premier regard. Les jeux sur l'empreinte et les variations autour des questions de l'enveloppe, c'est-à-dire des apparences sensibles, sont également récurrents dans le travail de Simone Decker. Rappelons seulement les Curtain walls présentés au Printemps de septembre 2002 de Toulouse comme d'immenses et fins tissus, sur lesquels étaient imprimées des photographies de plusieurs façades de la ville - de tout style et de toute qualité -, flottants, simplement suspendus dans l'espace. Si l'intérêt de l'artiste pour les notions de surface et de frontalité peut éventuellement être perçu comme un écho aux préoccupations des modernistes historiques, il amène, surtout dans le cas des Ghosts, à poser la question de la citation. Bien sûr, l'œuvre présente quelques similitudes avec certains lieux communs des années 1980. On pourrait évoquer les questionnements sur les notions d'auteur, d'original et de sa représentation, la substitution des signes de la réalité à la réalité elle-même pour parler presque comme Baudrillard, la possibilité même de recourir à (de recycler ?) des fragments d'histoire, multiples et non hiérarchisés ou, pourquoi pas, rappeler que Simone s'appelle Simone et qu'elle est en droit de remettre en cause la représentation, « inscrite dans un ordre et des structures patriarcaux », à partir de la différenciation sexuelle et à travers la citation de maîtres, forcément masculins, par un artiste de l'autre sexe. Pourtant, assurément, les principes de reprise formulés par les Ghosts ne sont pas de véritables appropriations comme on a pu les rencontrer au plus fort des problématiques postmodernes. Le jeu semble ici plus analytique et plus distancié que procédant d'une « critique déconstructive de la représentation », de l'ironie ou du simulacre. Un regard léger, dépourvu de la certitude de ne plus avoir de certitudes, dans un contexte qui n'est plus celui d'il y a 20 ans… Les enjeux se sont déplacés. Et un détail pourrait nous aider à mieux les cerner et y voir plus clair. Dans leur grande majorité, les Ghosts présentent, sur le pourtour de leur partie inférieure, une légère protubérance constituée par quelques bandelettes médicales se prolongeant horizontalement. Ces courtes extensions, de l'aveu même de l'artiste, rappellent les draps tombant des vrais fantômes et traînant délicatement sur le sol. Ces excroissances ont également pour fin d'orienter nos réflexions sur le rapport de la sculpture au monument public. La théorie a clairement montré que, pour que fonctionne la logique traditionnelle du monument en tant que tel, la forme devait établir une relation privilégiée entre la représentation et le site de son implantation, auquel elle répond comme un signe. Nous pourrions renvoyer par exemple à plusieurs textes de Rosalind Krauss qui indique encore que les liens entre ces deux éléments (la représentation et son endroit spécifique) sont en général marqués par la présence d'un socle. « Une très grande sculpture dépourvue de toute relation conceptuelle ostensible avec son site ne constitue pas ce que nous appelons un monument, pas plus qu'une figuration commémorative dépossédée de son lieu. » Autrement dit : si, dans la ville de Luxembourg, la vague figure de la Grande Duchesse peut de toute évidence se nommer un monument sculptural, il en est autrement de la proposition de Bernar Venet ; la figure de Churchill étant, à ce titre, plus ambiguë. On le sait, on a assisté, au cours du XXe siècle, à une crise, à l'effondrement même, de cette logique du monument, niée par le modernisme au profit d'une tentative de garantir l'autonomie absolue et permanente de l'œuvre sculpturale. À travers l'exemple de son ensemble de Tirgu Jiu (1937-1938), Rosalind Krauss envisage « la ruse de Brancusi » vis-à-vis de la question du monument et de la sculpture moderne. Bien que la commande fût initialement destinée à une fonction de commémoration pour un lieu déterminé, la défense de cette petite ville roumaine contre l'invasion allemande durant la Première Guerre mondiale, Constantin Brancusi modifie les règles du jeu et pose des problèmes fondamentaux à la sculpture monumentale et au monument sculptural. En étirant sur plus d'un kilomètre les trois pièces constitutives de l'œuvre, en transposant et délocalisant ici des éléments du plan de Paris (colonne, arc de triomphe…), l'artiste transgresse les raisonnements habituels sur la question. Les petits pans de drap jaune visibles aux pieds des fantômes de Simone Decker pourraient être porteurs de questions similaires mais de résolutions différentes, redéployées dans un contexte actuel qui a déjà assimilé la postmodernité. Ces bandelettes ont enregistré des fragments de sol luxembourgeois et exposent aujourd'hui ces empreintes en France (on peut rappeler ici que Simone Decker est née à Eschsur-Alzette au Luxembourg et que ces moulages de terre rappellent ses propres origines, elles-mêmes délocalisées). Dans le même temps, ces prolongements de matériau redoublent le socle ou le simple support des pièces, lui aussi moulé avec les figures monumentales pour mieux assurer la stabilité et la présence des Ghosts dans leur nouveau site de présentation. Au contraire de leurs pères, tous les fantômes, bien que nomades, sont désormais unifiés par un statut équivalent. Tous sautent aux yeux par leur diffusion interne de lumière alors que, surexposées dans l'espace public, les sculptures qui les ont générés sont pour la plupart devenues invisibles, transparentes ou insignifiantes. En regroupant ses fantômes, Simone Decker nous renvoie à la question de l'acte artistique, de sa perception individuelle et collective. Son geste ne dénonce pas, mais, par le biais de la simplicité et de la légèreté, il prend acte et commente l'arrogante prolifération des signes du monde contemporain. Dans un lieu dont la réalité architecturale est oblitérée par la pénombre, l'artiste crée un autre espace et un autre temps, flottants, conceptuels, dans lesquels l'œuvre semble vivre une existence propre, à la différence de bon nombre de sculptures monumentales placées dans l'espace public, dont la défaite ne semble pas loin d'être consommée.
A guest + a host = a ghost, Simone Decker. 17 juin - 29 octobre. Chapelle de la Miséricorde, rue de la Monnaie, Montpellier. ouvert du mardi au dimanche de 13h à 19h, fermé le 15 août.
éric watier l'inventaire des destructions - entretien avec jean-baptiste farkas Jean-Baptiste Farkas : Comment est né L'inventaire des destructions ? Et quand ? Eric Watier : L'idée de l'inventaire m'est venue instantanément au cours d'une conférence donnée à La Sorbonne lors d'un séminaire d'Anne Mœglin-Delcroix en 1999. Je faisais une présentation générale de ma thèse sur les pratiques artistiques du don. J'ai donc parlé de certains cas exemplaires : Lawrence Weiner, Michael Asher, Fluxus, la revue Potlatch… J'ai conclu la conférence par une lecture de « Donner c'est donner » où j'énumère des dons faits par des artistes. C'est alors qu'un étudiant m'a demandé si les artistes, qui donnaient, détruisaient aussi. La réponse était évidente : il n'y avait qu'à leur poser la question. Jean-Baptiste Farkas : Quel est le principe de L'inventaire des destructions ? Eric Watier : C'était une idée très simple. Tous les artistes détruisent. Cela fait partie du travail. Il suffisait de leur demander pourquoi, où, quand, comment. A côté de ça je récoltais aussi quelques histoires en dépouillant les livres d'histoire de l'art. La question de savoir quoi faire des réponses viendrait toute seule, selon les opportunités. Ce qui était très clair dès le départ c'était qu'il fallait poser les questions, récolter les réponses et les réécrire. Jean-Baptiste Farkas : Quelle place occupe L'inventaire des destructions dans ton œuvre ? Eric Watier : Une place très importante. L'inventaire était pour moi une façon de confondre définitivement mon travail artistique et mon travail de recherche. C'était aussi pour moi l'occasion de vérifier quelque chose à-propos de la question du contenu d'une œuvre. Pour moi l'invention de l'inventaire c'était aussi l'invention d'un contenu. C'est-à-dire, l'invention d'un travail où le contenu pouvait paraître, aux yeux de Monsieur Tout-le-monde, plus important que la forme même du travail ou que son statut. De ce point de vue, ça a plutôt bien marché, puisque des médias non artistiques se sont intéressés au livre. Là où ça m'intéresse beaucoup c'est que la question posée par l'inventaire lui-même c'est justement la question du statut de l'œuvre et de la valeur qu'on veut bien lui accorder ou pas. Jean-Baptiste Farkas : Qu'aurais-tu à dire de l'inventaire (ou plus généralement de l'énumération comme méthode) utilisée comme forme d'art ? Y a-t-il eu des influences à l'origine de ce travail ? Eric Watier : L'influence la plus directe pour moi ce sont les brèves de journaux, celles du Canard Enchaîné par exemple. Ce n'est qu'après ma rencontre avec Christophe Wavelet à l'occasion de Potlatchs/Dérives en juin 2000 que j'ai découvert Les nouvelles en trois lignes de Félix Fénéon. En ce qui concerne l'énumération, la collection, la série, etc. c'est une question complexe. Je travaille beaucoup par addition illimitée d'éléments. Ce que je n'aime pas dans la série c'est l'idée qu'elle puisse avoir une fin. Je trouve ça insupportable. Je préfère penser que mon travail est animé par un principe qui, à la limite, n'a pas besoin de moi pour prospérer. Jean-Baptiste Farkas : Comment peut-on, comme tu l'as fait, se résoudre un jour à concevoir une œuvre (si tu considères L'inventaire des destructions comme telle) à partir de ce qui lui semble être fondamentalement opposé, la destruction ? Eric Watier : Ça me semble tout naturel. Jean-Baptiste Farkas : Vois-tu des liens entre destruction et gratuité ? Eric Watier : Oui, ce lien était posé dès le commencement de l'inventaire. A cause du Potlach. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'au début le projet s'appelait POTLATCHS et que la définition (" Don ou destruction à caractère sacré, constituant un défi de faire un don équivalent, pour le donataire.") figurait sur la carte-réponse utilisée pour l'enquête. Jean-Baptiste Farkas : Faut-il percevoir dans le parti pris de L'inventaire des destructions (qui revient pour moi notamment à révéler la part de destruction forcément inhérente à l'activité créatrice, même si, comme tu le démontres, les destructions ont des origines et des poids toujours différents) l'affirmation d'une position (politique, éthique, morale, intellectuelle…) ? En créant L'inventaire des destructions, avais-tu notamment le souhait de mettre en lumière un tabou ? Eric Watier : Je ne crois pas que ce soit un tabou. C'est un silence. Ce n'est pas un tabou parce qu'aucun artiste n'a refusé d'en parler. Bien au contraire. Par contre c'est un silence parce qu'effectivement on n'en parle jamais, ou presque. En ce qui concerne l'affirmation d'une position, c'est ce qui est revendiqué par le titre POTLATCHS. Ces destructions ne sont pas rien. Elles ont un coût et pas qu'économique. Le potlatch est avant tout un défi. Jean-Baptiste Farkas : Je reproduis ci-dessous les questions (en suivant leur ordre initial) figurant dans la carte-réponse que tu fais circuler afin de recueillir les informations destinées à figurer dans l'Inventaire des destructions : Avez-vous sciemment détruit une partie de votre œuvre ? Où ? Quand ? Comment ? Pourquoi ? Si cette carte était à refaire, ajouterais-tu aujourd'hui d'autres questions ? Eric Watier : Non. Jean-Baptiste Farkas : Quel rôle joue ce sciemment dans la carte-réponse ? L'inventaire ne pourrait-il inclure des actes étourdis ou involontaires ? Eric Watier : L'acte de destruction ne m'intéresse que s'il a une valeur, que si l'auteur de cet acte lui accorde une valeur. Si son geste est volontaire et non fortuit. Lorsqu'un auteur met en pièce quelque chose qu'il a à un moment donné considéré comme un objet de valeur, comme un objet important, son geste lui-même se charge de cette valeur. Ça ne peut pas être un acte gratuit. Par contre ce qui est amusant, en faisant l'inventaire, c'est aussi de déroger parfois à la règle en prenant des histoires qui ne cadrent pas parfaitement avec ce modèle.
IKHÉA©SERVICES N°6, Atelier H.S. Documents, Aperto, 2006. Photo de Jean-Baptiste Farkas
Jean-Baptiste Farkas : Toutes les réponses te satisfont-elles par leur contenu ? Opères-tu un tri ? Eric Watier : En ce qui concerne les cent premières réponses, elles me satisfont toutes. Il n'y a eu aucun tri pour l'inventaire. Les réponses ont été retranscrites au fur et à mesure. Dans la première édition, celle d'Incertain Sens, il y a quatre-vingt-dix-neuf histoires. Le chiffre est évidemment arbitraire. Lorsque Leszek Brogowski m'a demandé de faire le livre, elles étaient déjà presque écrites. Il devait en manquer une ou deux. Faire un livre de cent pages c'était une façon de dire : il y a cent mais il pourrait y en avoir deux cents, trois cents, mille… Jean-Baptiste Farkas : Faut-il que toutes les réponses soient vraies pour prendre place dans l'inventaire ? Eric Watier : Oui. Sinon, quel intérêt ? Jean-Baptiste Farkas : Tu donnes forme, si je ne me trompe, aux données que tu reçois et ne les publie pas telles quelles ? Pourquoi ? Est-ce pour toi la part du travail de l'artiste ? Eric Watier : Donner une forme « artistique » évidente à ce travail était fondamental. C'était une façon de rejouer tout ce qui avait été détruit. Jean-Baptiste Farkas : Comment ta position a-t-elle été perçue notamment auprès des artistes que tu as invité à remplir un bon d'enregistrement ? A-t-elle été parfois jugée comme négative ? Eric Watier : J'ai essayé d'être le plus honnête possible avec tous les artistes contactés. Ça me semblait important. A l'époque de l'inventaire, chaque artiste a reçu, en même temps que la carte-réponse, un texte d'accompagnement décrivant le projet, ainsi que la rédaction des premiers énoncés qui avaient été établis grâce à quelques questions posées à des amis. Ainsi chacun savait à quoi son témoignage allait servir. Je pense que c'est aussi un peu grâce à cette précaution que beaucoup d'artistes ont répondu positivement à la demande. Jean-Baptiste Farkas : As-tu quelque chose à dire sur les personnes suivantes : Joseph A. Schumpeter, Tristan Tzara, Gustav Metzger ? Eric Watier : Non. Jean-Baptiste Farkas : J'ai entendu dire que tu avais réalisé un supplément à L'inventaire des destructions, où tu dresses une liste d'artistes n'ayant détruit aucune oeuvre... est-ce bien vrai ? Eric Watier : Oui, c'est exact. C'est un petit livre de quatre pages (il n'y a eu que quatre réponses) qui s'appelle « Ceux qui ne détruisent pas » et qui a été envoyé gratuitement aux abonnés d'Incertain Sens pour la nouvelle année 2001. La Panacée, Montpellier. Soigneurs de gravité. 17 juin - 29 octobre, du mardi au dimanche de 13h à 19h, fermé le 15 août. Éric Watier avec Luc Andrié, Jean-Marc Andrieu, Arman, Richard Artschwager, Ben, Jean-Baptiste Bruant, Angela Bulloch, Patrice Carré, Denis Castellas, Maurizio Cattelan, Nina Childress, Gérard Collin-Thiébaut, Martin Creed, Daniel Dezeuze, Jonathan Monk, François Morellet, Gabriele Orozco, Philippe Parreno, Christian Robert-Tissot, Michael Ross, Jean-Claude Ruggirello, Patrick Saytour, Alain Séchas, Nedko Solakov, Valentin Souquet, Simon Starling, Jean-Luc Vilmouth, Andy Warhol, Erwin Wurm...
la profondeur duchamp bertrand grimault
Etant donnés
la lampe à arc, anagramme de Marcel tirée par la queue de la comète ; l'optique de précision et la vision stéréoscopique ; le cône de lumière dans l'obscurité et la fumée de cigarette ; la pellicule infra-mince qui frise sur la surface de réception ; le grain de sel et le grain de poivre moulus très fin par Kodak ; that film which is like cooking ; la roue de bicyclette et la bobine réceptrice ; l'anémic cinéma et le cinémaquis (celui de l'artiste qui est allé underground selon la formule de Duchamp en 1961, reprise par Jonas Mekas) ; l'au-delà de l'écran ; la rupture avec l'esprit de grrravité par l'exploitation délibérée de l'absurde ; les exercices de voltige intellectuelle et perceptuelle ; le système Déviant - hilarant et subversif ; les mots mis en boîte et les valises sous les yeux ; les momies en ouate et les oripeaux verbaux ; l'ange de l'analogie et le démon de l'anamorphose ; les histoires de marieur citées par Freud dans Le mot d'esprit et sa relation à l'inconscient ; les lois nuancées d'humour opposées aux lois réputées sérieuses (sur lesquelles on peut jeter indirectement un doute quant à leur valeur absolue) ; l'art subconscient du recouvrement de graffiti ; la chasse à l'arc en grandes surfaces ; les problèmes des équivalences et de la mise en équation de toutes choses ; l'exquis montage et les bris collés ; les déplacements d'R qui parfois rayent les mailles de l'écran ; le kayak, palindrome qui offre une belle symétrie au fil de l'eau mais dont on cherche le rapport avec le kino ; l'Y de ce kayak qui se dit WHY à NY, in the middle of Central Park - pourquoi pas ?
soit LA PROFONDEUR DUCHAMP, films/mots/graphies à retardement et autres rébus visuels proposés en 11 séances par Monoquini Vendredi 12 mai à 19H, Crac, Sète // Jeudi 25 mai à 20H30, Monoquini, Montpellier // Jeudi 1er juin à 20H30, Monoquini, Montpellier // Jeudi 8 juin à 20H30, Salle Rabelais, Montpellier // Jeudi 29 juin à 21H, L.A.C. de Sigean // Mardi 19 septembre à 19H, Carré d'art de Nîmes // Jeudi 5 octobre à 20H30, Monoquini, Montpellier // Mardi 10 octobre à 20H30, Chartreuse de Villeneuve Lez Avignon // Jeudi 19 & vendredi 20 octobre à 20H30, Centre Chorégraphique National de Montpellier // Jeudi 26 octobre à 20H30, Monoquini, Montpellier Avec, dans le désordre d'apparition, des œuvres de John Smith, Guy Sherwin, Martin Arnold, Arakawa / Gins, Stuart Sherman, Anthony McCall, yann beauvais, Tony Morgan, Bertran Berrenger, Peter Tscherkassky, Pierrick Sorin, Matthias Müller, Christoph Girardet, Thomas Draschan & Ulrich Weisner, Peter Greenaway, Maurice Lemaître, Matt Mc Cormick, Chris Gallagher, David Lamelas, Adrian Brunel, Michael Snow, Michel Blazy, Georges Rey, Owen Land (initiallement connu sous le nom de George Landow), Christine Baudillon & François Lagarde, Bobby Lapointe, Robert Ashley, Jan Svankmajer, Christian Jankowski, Michel Aubry, Simona Denicolai & Ivo Provoost, Arthur & Corinne Cantrill, Mara Mattuschka, Butz & Fouque, Fischli & Weiss, Roman Signer, Standish Lawder, Pascal Lièvre, Moucle Blackout, Liisa Lounila, Henry Hills, Ken Jacobs, Robert Breer, Pol Bury... Programme détaillé sur www.monoquini.net
mona, lisa et les autres sophie phéline 09:02, ici. Qu'est-ce qu'elle fout l'autre ? Elle rentre sous la douche, recouche le nourrisson gavé, hurle après ses deux chiens galeux dans le square, court derrière le bus, observe une portée de chatons endormis dans la plate-bande de cannas, tourne la tête à droite à gauche, traverse au feu rouge, déambule en insultant la terre entière son sac vide à la main, embrasse un collègue à la terrasse du café, annexe du Palais de justice, cherche vainement une place pour se garer, verse de l'huile parfumée dans son bain, revient de l'école en faisant mentalement la liste des courses, au musée offre son sourire d'hôtesse de l'air aux adorateurs d'icônes et voudrait leur faire la nique en portant moustache et barbichette, accueille son invité dans le studio d'enregistrement, étale une noisette de crème sur son visage, rêve sa vie, jette un coup d'œil aux dépêches échouées sur son bureau, monte le son pour son émission préférée, répond aux e-mails de son chef de bureau, ferme la porte sur son troisième patient, évalue la qualité des tomates au marché, demande du renfort dans l'arrière boutique de la boulangerie, débranche l'aspirateur, marche sur la plage, essore la serpillière, consulte la liste de ses rendez-vous sans un regard pour le bouquet de roses anciennes épanouies sur le comptoir, plonge dans son livre pour être seule dans le métro, glisse la clef dans la serrure et entre chez elle en baillant, s'étire dans les bras de son amant, se maquille dans le rétroviseur de la voiture, prend son petit déjeuner sous la glycine, enregistre les plaintes de la nuit sur la main courante du commissariat central, fait une pause dans le vestiaire de l'usine, allume un joint sous un arbre pour oublier que seule, dans la rue, aujourd'hui elle a 20 ans, attend que les élèves fassent le silence pour commencer son cours d'histoire, tourne à vide dans son atelier, entame son huitième tour du lac en soufflant, ferme le magazine, serre les dents pour ne pas crier, va et vient sur le quai de la gare, elle se Gil Joseph Wolman, Mannequins séparés. 1981. perd dans sa vie, elle bloque sur les mots, prend rendez-vous chez le coiffeur pour le mois de juin, écoute distraitement les consignes de sécurité et attache sa ceinture en souriant au steward, recompose le numéro du service client d'EDF, elle perd la vue, trie le linge sale, allume une cigarette, s'installe devant la télévision, renonce à se lever, plus jamais, pourquoi ? pour qui ? désire brutalement l'homme qui descend de la moto, pleure sur les draps froissés, empile des assiettes et des couverts, s'excuse pour le dérangement, se met à la fenêtre, soulève le rideau métallique du magasin, ouvre les volets des chambres, branche le fer à repasser, met son interlocuteur en attente et prend une autre communication, pose sa main sur le front du malade et lisse les draps blancs autour du petit corps à bout de souffle, vaporise ses fleurs de lune, rêve à ailleurs, met son placard sans dessous dessus à la recherche de son petit pull noir, pense à l'homme qu'elle aime, débarrasse la table souillée, met le couvert pour les enfants, fait l'inventaire du frigidaire, péremptoire, elle donne des ordres, trépigne face au portail bloqué, comprime son sexe protubérant en rêvant d'être une autre, sort de la poste, jette un coup d'œil dans le miroir avant de rentrer en réunion, met fin au conseil d'administration, revient sur ses pas, sort de l'ascenseur, distribue des tracts pour la manif, esquive le regard lourd des gars qui traînent, jette au panier les feuillets imprimés, écoute les bruits de la rue, se couche après sa nuit de garde, s'interrompt, termine l'inventaire des lieux dans la métaphore du récit, se demande que sont ses amis devenus, évite une merde sur le trottoir, tend un croissant à un gamin, regarde sa montre, calcule : 15h02 là-bas, s'interroge : qu'est-ce qu'elle fout l'autre ? Sophie Phéline est co-commissaire de À propos de mona lisa au Château de Jau avec Sabine Dauré et Emmanuel Latreille.
À propos de mona lisa. Château de Jau, 66600 Cases de Pène. 19 juin - 15 septembre, tous les jours de 11h à 22h. Richard Baquié, Alain Benoît, Pierre Bismuth, Sophie Calle, Vincent Corpet, Gérard Collin-Thiébaut, Jessica Diamond, Eric Dietman, Delphine Gigoux-Martin, Urs Lüthi, Marylène Negro, André Raffray, Gil Joseph Wolman.
gilles barbier carré d’art - nîmes - du 31 mai au 17 septembre
Sans titre (méga maquette), 2006, technique mixte sur papier. Courtesy Galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois, Paris. Photo M. Domage. © ADAGP, Paris 2006
Sans titre (le gâteau), 2006, technique mixte sur papier. Courtesy Galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois, Paris. Photo M. Domage. © ADAGP, Paris 2006
c’est tout vu marie reverdy Ne dit-on pas « Je vais voir une pièce ce soir » ? Qu'y a-t-il à voir ? A regarder ? Qu'est-ce qui fait spectacle ? Artaud affirmait qu' « un théâtre qui soumet la mise en scène et la réalisation, c'est-à-dire tout ce qu'il y a en lui de spécifiquement théâtral, au texte est un théâtre d'idiot, de fou, de grammairien, d'épicier, d'anti-poète et de positiviste, c'est-à-dire d'occidental. » Il y a ainsi une image scénique, une organisation du plateau qui ne saurait se réduire à la visualisation du texte mais qui possède une spécificité qui lui est propre et qui ferait l'essence-même du théâtre. Mais quelle est donc la spécificité de ce médium particulier ? Qu'estce qui le distingue d'une lecture apprise par cœur ? Qu'est-ce qui le distingue d'une narration jouée version cinéma sans caméra, sans gros plan ? Qu'est-ce qui le distingue d'une chorégraphie ? Qu'est-ce qui, dans un dispositif qui reçoit également danse et opéra marque la spécificité du théâtre ? Si le propre de la théâtralité est souvent considéré comme son inscription dans la cité et sa mission politique, ou à travers la mise en bouche/mise en valeur de sa matière littéraire, depuis Artaud, et bien que cette réflexion ait été amorcée avant lui, sa spécificité a définitivement basculé du côté de la scène et de tous les éléments matériels qu'elle convoque. Mais cela ne suffit pas à penser la place de l'image théâtrale puisque d'autres formes d'arts sont également scéniques, mêlant corps, lieu et moment. Ce qui n'a jamais fait défaut au théâtre n'est pas le texte, le décor, le son ou le mouvement mais la présence de l'acteur. Celui-ci n'existe pas forcément par la construction d'un personnage doté de psychologie, il n'existe pas toujours par le mouvement ou par la parole pourtant il manifeste toujours du sens et du sensible. Il est dès lors intéressant d'interroger la signification de la présence, qui n'est jamais pure mais toujours inscrite dans un jeu de relation avec le temps et avec l'espace. La présence de l'acteur est avant tout visuelle et ce n'est qu'à partir de ce moment qu'il y a éventuellement mots, paroles, textes ou mouvements, action signifiante ou désespérée, psychologie, caractère, personnage ou archétype, naturalisme ou symbolisme… La manifestation de la présence de l'être est de l'ordre du phénomène, s’inscrivant dans une visée liant l’intime de la perception avec l’existence concrète de la chose. L’image est un phénomène particulier qui offre au regard du spectateur le passage de l’être au paraître, puisque l'image théâtrale est construite pour lui, dans un lieu donné, à un moment donné. En regardant de plus près, le nom spectacle doté du suffixe « -eur », déterminant celui qui fait l'action, donne le mot « spectateur » ; il faut donc y voir une condition nécessaire. Cela ne veut pas dire que si la salle est vide, le spectacle n'existe pas, ou pire, qu’il puisse être accusé d'être un mauvais spectacle, mais que la création de l'image scénique est toujours pensée sous l'angle du phénomène, anticipant la visée que le spectateur peut avoir de celle-ci, tout simplement car elle est toujours signifiante quand bien même elle serait indicible. Il existe bel et bien deux fonctionnements cognitifs, le premier s'organise en réseau interactif et est de l'ordre de l'image visuelle tandis que le deuxième s'organise sous forme de chaîne (comme la chaîne verbale ou un raisonnement mathématique). La manifestation visuelle ne doit donc pas se penser comme une syntaxe calquée sur le mode du langage formel. Rudolf Arnheim nous explique tout cela avec brio dans son essai La Pensée Visuelle, mais Antonin Artaud y avait déjà pensé avec le principe de pantomime non-pervertie qui ne doit pas, selon lui, représenter des mots mais des idées. Voilà donc le phénomène théâtral : l'apparition d'une image scénique pour un public dans ce large contexte du dispositif et qui revendiquerait sa part purement visuelle. Mais c'est également à l'intérieur de la scène que se joue la notion de phénomène. Nous assistons à la présence d'un acteur qui évolue dans un environnement. Cet environnement peut être fictif, se référer à un ailleurs, ou être dans l'ici et maintenant, se penser lui-même, s'auto-référencer, il peut également être vécu comme familier ou étranger, sécurisant ou dangereux, mais cela ne change rien, l'acteur manifeste sa présence dans un jeu de rapport à cet environnement, questionnant constamment les modalités de l'existence : Comment est-on au monde ? Comment l'appréhendons-nous ? Comment nous construisons-nous par rapport à lui ? L'incontournable de l'image théâtrale est sa notion spatiale. Une scène n'est qu'une scène mais, investie par les comédiens, elle devient signifiante, un ailleurs ou une autre façon d'être présente. Corps, objets, espaces ne prennent sens que les uns par rapport aux autres. Le comédien manipule son monde ou est manipulé par lui. Il se construit et n'existe que par cet environnement autant que l'espace n'existe et ne prend également sens que par la présence du comédien. Nous sommes donc face au phénomène du phénomène qui, par identification ou par distanciation, permet au spectateur un retour réflexif de l'ordre du miroir. L'image visuelle au théâtre est celle de l'incarnation, celle du corps comme véhicule de la connaissance, comme lieu de la perception où se mêlent le monde et l'intime, comme support de la pensée qui précède le langage. Le langage, en tant qu'action d'appropriation et d'interprétation du monde surgit alors comme une nécessité ou ne surgit pas, peu importe, il y aura quand même théâtre et la parole pourra ainsi être interrogée dans sa capacité ou son incapacité à rendre compte de tout ce qui se joue sur le plateau. L'image théâtrale ne doit donc pas illustrer un texte mais toujours être un en-deçà du texte (lorsque texte il y a). Il s'agit donc de remettre les mots à leur place et de les traiter à pied d'égalité avec les autres éléments signifiants présents sur la scène et ainsi d'abolir, comme le désirait déjà, et encore, Artaud, tout rapport hiérarchique. La dramaturgie peut devenir scénique et le créateur ne serait ni écrivain, ni metteur en scène mais « auteur scénique » ou « poète scénique ». Loin d'être remise en question, la notion d'auteur se voit donc déplacée vers l'aspect concret du plateau. Opposer un art du corps, propice à l'expression émotionnelle, à un art du texte, que la maîtrise du mot rendrait apte à élaborer des points de vue tangibles, n'a donc aucun sens. Cette opposition serait la négation même de l'évolution de la pensée et de la recherche menée sur les relations corps/esprit, perception/imagination/intelligence, émotion/connaissance. Comme on l'aura compris par la présence du comédien, il n'y a pas, dans l'image théâtrale, que de la forme. La forme existe nécessairement grâce à la matière et vice versa. Sont donc convoqués sur scène : acteurs en chair et en os, décor en carton pâte ou en béton armée, structure en métal ou en polystyrène, objets en bois ou en PVC. Sont-ils alors présentés ou représentés ? Bien évidemment, tout dépend du rôle qu'on leur assigne.
Catherine Sullivan. The Chittendens, 2005. Installation vidéo. © Galerie Catherine Bastide, Bruxelles
LE PARADOXE DU COMÉDIEN, Les figures de l’acteur. Collection Lambert en Avignon, 8 juillet - 1er octobre 2006. Oeuvres de Pierre Bismuth, Jean Boucher, Brassaï, Charles Coypel, Honoré Daumier, Eugène Delacroix, Douglas Gordon, Roni Horn, Jonathan Horowitz, Michel Journiac, Barbara Kruger, Damon & Paul McCarthy, Adam McEwen, Pierre Mignard, Edward Minazzoli, Yasumasa Morimura, Vik Muniz, Yan Pei-Ming, Adam Pendleton, Elisabeth Peyton, Pablo Picasso, Pierre et Gilles, Mimo Rotella, Antonio Saura, Cindy Sherman, Catherine Sullivan, Sam Taylor-Wood, Kees Van Dongen, Carle Van Loo, Élizabeth Vigée-Lebrun, Andy Warhol...
Représenter (Re - présenter) signifie tenir lieu de et l'acteur tenant lieu de lui-même ici et maintenant serait un performer mais là n'est pas la question. La représentation offre un nouveau regard et peut tenir lieu de multiples façons sous de multiples formes. Bien évidemment, il y a rarement représentation mimétique telle qu'on pourrait la confondre avec la réalité. La question est plutôt de l'ordre de la pertinence des analogies ou de leurs distorsions signifiantes, en tout cas, on assigne un référent réel à ce que l'on voit sur scène. Les éléments en présence sur scène sont soulignés par celle-ci, jouant de toutes les déclinaisons poétiques possibles : illusion, présence brutale… que l'on doit interroger comme sens, car l'art propose avant tout un changement de perception du monde. Le plateau se manifeste en tant que plateau et interroge de fait la notion de représentation : non pas « Pourquoi représenter ? » mais « Qu'est-ce que représenter ? », non pas « Que représenter ? » mais « Comment représenter ? ». On pourrait peut-être alors affiner un peu plus la notion de phénomène théâtral en prenant en compte le principe de représentation puisque celui-ci est intrinsèque au médium théâtre. Le théâtre est un art de l'image intelligente qui rend compte d'un réseau d'éléments qui interagissent entre eux pour offrir sensation, sensibilité et sens. L’image théâtrale montre ce que le mot ne saurait dire. Elle ne raconte pas, elle prend parti. De l'ordre de la représentation, elle ne se substitue pas à ce qu'elle représente, mais montre comment objets et corps s'ouvrent à nous et s'offrent à notre regard. Art de l'espace, le théâtre souligne plus que tout autre art que le sens n'opère jamais hors contexte et que tout n'existe que situé dans un lieu et dans une durée. Le théâtre est riche de toutes ces questions, riches de ses complexités. Il peut se nourrir de beaucoup, à commencer de son histoire, sans rien perdre de sa spécificité. Phénoménologie, sciences cognitives, théories de l'image, modalités de la vision etc. sont autant de sources offrant la possibilité de penser non pas un sujet à traiter mais une conception plus globale du corps, de l'espace, de la représentation qui influence avant tout la forme théâtrale. Le théâtre qui a conscience de lui-même en tant qu'art de la scène doit pouvoir se penser en tant qu'objet et non pas simplement en tant qu'outil. Pour le dire autrement, le théâtre, dans sa forme, doit pouvoir se regarder lui-même. Marie Reverdy est doctorante en Études Théâtrales à l’Université Paul Valéry - Montpellier III.
déjà vu corinne rondeau
pour Marnie
Le cliché vaut pour lui-même et autorise qu'on s'y installe à la fois sans effort sans erreur possible. Le cliché raconte quelque chose d'une histoire qu'on connaît déjà. Il faut alors constater que le cliché - cette image trop rapidement perçue comme image - ne renvoie pas seulement à d'autres images, c'est une image qui raconte une histoire. Le cliché n'est pas simplement affaire de visibilité, il est aussi un arrangement de mots et contient une puissance poétique. Considérons de ce point de vue le récent succès du film d'Ang Lee, Le secret de Brokeback Mountain. Le discours critique et public unanime formulait ce constat : « une histoire d'amour - quelle qu'elle soit - émeut tout le monde » ! Laissons-là l'explication de l'amour qui parle à tout le monde et met tout le monde d'accord pour regarder le film lui-même. Quelque vingt ans dans la vie de deux hommes s'écoulent comme le temps s'écoule dans la vie de tous : une rencontre passionnelle, des retrouvailles, des habitudes et l'impuissance qui va si bien aux passions. Et durant ces années, une vie monotone mais qui est aussi celle des conventions sociales, celle d'un homme, d'un père, d'un travailleur, d'une femme. Deux décennies qui défilent et bouleversent des salles entières de spectateurs. Pourquoi ? Affaire de clichés, disons-nous. Nous reconnaissons cette histoire de passion qui bouleverse la totalité d'une vie - une rencontre suffit parfois à nous faire pleurer, qu'on se rappelle Sur la route de Madison. Sans rien expliquer nous sommes dans ces images : elles nous parlent immédiatement. Doit-on voir dans le fait que le réalisateur a choisi d'exploiter les puissants effets du cliché une faiblesse de point de vue, dans la mesure où la singularité de l'image se dissout dans une réception commune ? Ou bien le cliché, comme puissance poétique, est-il encore une image qui émeut parce qu'elle raconte une histoire à elle seule ? Faiblesse du point de vue ou parti pris de l'histoire au détriment de l'image, le cliché est double et disjonctif : d'une part, il se donne comme une image et rien d'autre ; d'autre part, il se donne comme une image qui affecte parce qu'elle n'est rien qu'une histoire. C'est l'image qui fait apparaître un autre sujet, en l'occurrence une représentation de l'affect et la mise en acmé de la passion et de sa chute. Utiliser le cliché est donc bien une manière de dire qu'il y a une façon de montrer des images et de penser des histoires. Le succès du film tiendrait alors à une certaine utilisation du cliché, qui a force de se répéter libère sa puissance narrative tout en la masquant. Cela nous condamne-t-il à cette idée quelque peu faible et commune selon laquelle tous les films populaires n'ont qu'un public non cinéphile et une stratégie bassement mercantile. Quel autre usage du cliché pourrait-on faire ? Pensons à la scène - devenue célèbre - de La mort aux trousses. Hitchcock y détourne les codes du suspens : plutôt qu'une nuit à l'atmosphère humide, à l'éclairage faible, au mouvement d'une ombre derrière une fenêtre et d'un héros regardant passer une Cadillac dont on attend que surgisse une fin attendue, l'action se déroulera au milieu d'un désert de culture de maïs, au bord d'une route près d'un arrêt de bus en plein soleil pour un rendez-vous qui semble improbable… par les airs. La trouvaille d'Hitchcock prend en compte l'absorption par le spectateur de l'histoire et la lui renvoie : il est au rendezvous. Le cinéaste retourne au spectateur le cliché, il le met sur la crête d'une attente qu'il ne déçoit jamais, à savoir qu'il renvoie à celui qui regarde que quelqu'un joue avec sa perception à partir d'un pré-requis : le cinéaste connaît les ressorts de l'imaginaire du spectateur parce que comme lui la représentation du suspens a été reconnue et assimilée : on re-connaît ce qui marche. Hitchcock manipule le cliché attendu du suspens, c'est-à-dire qu'il va ouvrir les yeux à de nouvelles formes de suspens ce qui conduit à stigmatiser cette scène comme le cliché absolu du suspens lui-même ! Le cliché ici déroule quelque chose pour les images à venir du cinéma et produit la joie du spectateur cinéphile face à une nouveauté qui est un simple écart et qui ne fait pas l'impasse du cliché du film noir, alors que le cliché à l'œuvre dans Le secret de Brokeback Mountain affecte les images subjectives de la passion, du passé et ébranle le spectateur. À deux types d'histoires, deux usages du cliché, deux réceptions distinctes ce qui ne veut pas dire que je ne peux prendre plaisir aux deux, mais signifie précisément que les usages du cliché déterminent des modes de perceptions et de représentations. Dans le cas d'Hitchcock, nous sommes face à ce qu'on appelle une traversée du cliché qui est aussi une manière peut-être utopique de penser qu'on peut toujours en faire quelque chose. Corinne Rondeau est Maître de conférences Esthétique et sciences de l’art au Centre Universitaire de formation et de recherche de Nîmes.
1986 campo san samuele 3231 - venezia
Gianni Agnelli, Président
Gae Aulenti, Architecte
Vélum de l’Atrium
Système d’éclairage
Logo de Pier Luigi Cerri
Atrium
Agencement de salle
Futurisme et Futurismes
Facade
2006 campo san samuele 3231 - venezia
François Pinault, Président
Tadao Ando, Architecte
Vélum de l’Atrium
Système d’éclairage
Atrium, 37th Piece of Work de Carl Andre au sol
Logo de Alasdhair Willis et Made Thought
Where are we going ?
Agencement de salle
Facade, Your wave is de Olafur Eliasson
le journal du moi laurent goumarre
Cette fois, je ne vais pas chercher très loin, juste ce que j'ai vu hier à la télévision, comme on dirait " l'inconvénient du direct ", on prend ce qui nous tombe sous les yeux et on fait avec. Hier donc, la Cérémonie des Molières. Et ça tombe pile pour l'actualité des festivals spectacles vivants d'été. Donc 20e anniversaire des Molières, soit un an après la scénographie Amélie Poulain de Serge Moati, la même qui fit perdre les jeux olympiques à Paris, un manège et des jeunes comme on les aime chez Pascal Sevran, sauf que là ils étaient venus de leurs conservatoires en blouse grise Collège-de-Chavannes, bref du théâtre qui sentait bon le Jean-Pierre Pernaut, je sais ce sont des raccourcis, tout le monde aura compris. Donc cette année, c'était clair, il fallait regagner les Molières et redonner sens au théâtre à la télévision. Et ce fut l'enjeu de l'allocution de Jacques Weber quand il posa en préambule ceci : les gens chez eux qui le regardaient lui et ses collègues ne les connaissaient pas ; pour ces-gens-de-derrière-le-poste, le théâtre était un vieux truc en rouge et or un peu mort qui ne disait plus rien à personne. En stylistique, ça a un nom le discours de Jacques Weber : la prosopopée, ou l'art de faire parler ceux qui n'ont pas la parole, les morts par exemple. Seulement voilà, à la télévision, le mot passe à l'image, et celle qui s'affichait à l'écran était autrement plus éloquente quand soudain la caméra se recule et délivre la preuve irréfutable de ce qui se dit : un homme en cheveux blancs et vaguement smoking, planté au milieu d'une salle en rouge et or, bientôt recouvert par les images d'Edwige Feuillère, Madeleine Renaud & cie. Et on se disait que décidément Lacan avait raison : « Ce n'est pas parce que vous le dites que ce n'est pas vrai ». En présupposant dans le regard des gens la mort du théâtre, l'acteur pensait conjurer le sort, mais la télévision avait eu raison de lui. L'image venait coller à ses mots, sans laisser un quelconque espace de jeu, sans possibilité de distanciation, de mise en perspective ou je ne sais quoi. En stylistique, ça a un nom, je me disais, ou peut-être deux : le performatif, soit un énoncé qui constitue simultanément l'acte auquel il se réfère, ou un repliement tautologique ? Je préférais croire en la première, réservant à d'autres lieux la valeur de la seconde. Bref la télévision signait en direct sa force performative en réduisant toujours l'écart entre le mot et l'image dans une production industrielle de discours. Alors bien sûr que le théâtre n'y avait pas sa place, ni la poésie, pas de littérature, ni de danse, ni de rien. La télévision ne produisait qu'elle-même, telle une machine célibataire, elle fonctionnait à plein régime, célibataire et masturbatoire, déversait ses produits d'abord en elle, puis hors d'elle dans une économie de recyclage à perpétuité. Elle avait su créer son propre cinéma industriel, recyclant ses animateurs dans des " comédies " téléfilmées pour grand écran, s'était tourné du côté du spectacle vivant qu'elle industrialisait avec une livraison de " comédies " musicales jusqu'au best of Béjart de Gérard Louvin pour occuper les Zéniths. La télévision a horreur du vide. En cela elle ne peut être tautologique. La tautologie, c'est autre chose qu'un simple repliement qui voudrait que A = A sans espace ni blanc. La tautologie c'est Gertrud Stein qui écrit qu'« a rose is a rose is a rose », et je me disais que s'il lui avait fallu l'inscrire trois fois, c'était bien la preuve que ce n'était pas si évident, qu'il fallait en passer par la durée : la tautologie est un déploiement en trois temps. Alors je me souvenais du génial Louis Skoreki dans Libération racontant un de ses films fétiches. Il parle de la première moitié du film, puis il en analyse la deuxième moitié, enfin évoque une troisième moitié, et pour ceux qui s'étonneraient, il avance qu'un film n'est beau et vrai que si et seulement si, il compte trois moitiés. Je savais que ces trois moitiés, je ne les trouverais jamais sur mon écran de télévision, parce qu'il était le contraire de cette vitre qu'avait définie un jour la plasticienne Antoinette Ohannessian : « une vitre qui laisse voir autre chose qu'elle-même ». Je m'arrêtais là, sachant que ce n'est pas parce que je l'écrivais que ce n'était pas vrai. Laurent Goumarre est critique d’art, collaborateur à ArtPress, producteur de Chantier sur France Culture, conseiller artistique de Montpellier Danse.
addenda chauffe, marcel !
17 juin - 29 octobre
À propos de mona lisa Château de Jau 19 juin - 15 septembre Musée de Bélesta entrée : 3 euros
Cases de Pène - 66 tous les jours 11h-22h Bélesta - 66 tous les jours 14h-19h
Autres Marcels Musée Pierre André Benoit Alès - 30 17 juin - 11 septembre du mercredi au dimanche 14h-19h Galerie Philippe Pannetier Nîmes - 30 17 juin - 30 septembre tlj sauf dim. et mer. 10h-12h et 14h-18h
spécial Chauffe, Marcel !
gratuit disponible dans tous les lieux d’exposition de la manifestation
Des célibataires broient leur chocolat Duchamp eux-mêmes École supérieure des Beaux-arts Montpellier - 34 130, rue Yehudi Menuhin du mardi au samedi 15h-19h Frac Languedoc-Roussillon Montpellier - 34 4 rue Rambaud du mardi au samedi 15h-19h Galerie du Château d’O Montpellier - 34 Rond-point du Château d’O du mardi au dimanche 14h30 -18h30 Du champ des cirques, Hortense ! Galerie Esca Milhaud - 30 76, route de Nîmes du lundi au samedi 17h-19h et sur rdv Grand-Père Marcel a rétréci les gosses ! Aperto Montpellier - 34 1, rue Etienne Cardaire du mardi au samedi 15h-19h Centre chorégraphique Les Ursulines Montpellier - 34 Boulevard Louis Blanc lundi-vendredi 9h-18h, fermé du 1er au 20 août Iconoscope Montpellier - 34 25 rue du Courreau du mardi au samedi 15h-19h Vasistas galerie Montpellier - 34 37 avenue Bouisson Bertrand du mardi au samedi 15h-19h Hors du champ ! Vallon du Villaret Bagnols les Bains - 48 8 juillet - 5 novembre / jusqu’au 9 sept. tlj 11h30-18h puis le w-end Les fils de Marcel Crac 7 juillet - 29 octobre
Sète - 34 tous les jours sauf mardi 12h30-19h
Lilian Bourgeat La Chartreuse Villeneuve lez Avignon - 30 18 juin - 30 septembre 9h-18h30 et du 1er au 29 octobre 9h30-17h30 Robert Morris L.A.C. Sigean - 11 24 juin - 24 septembre tlj sauf mardi, en juin-juillet-août 15h-19h Soigneurs de gravité Carré Ste Anne Place Ste Anne Chapelle de la Miséricorde Rue de la Monnaie La Panacée 14, rue de l'Ecole de Pharmacie
Montpellier - 34 du mardi au dimanche 13h-19h Montpellier - 34 du mardi au dimanche 13h-19h Montpellier - 34 du mardi au dimanche 13h-19h
Programme complet sur www.fraclr.org et O4 99 74 20 35
offshore est édité par BMédiation 39 avenue Bouisson Bertrand 34090 Montpellier directeur de publication : Emmanuel Berard rédacteur en chef : Jean Paul Guarino dépôt légal : à parution impression : Atelier 6. St Clément de Rivière. 04 67 63 52 00 offshore est publié avec le concours financier du Ministère de la Culture Drac L-R, de la Région Languedoc-Roussillon et de la Ville de Montpellier offshore@wanadoo.fr tél. : 04 67 52 47 37 fax : 04 99 61 17 20