orfeo 13
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m a g a z i n e Spécial Italie Gabriele Lodi Enrico Bottelli Paolo Coriani Mimmo Peruffo La forêt du Val di Fiemme N° 13 - Printemps 2019 Édition française
actuellement en vente sur notre site, 3 livres dédiés à la lutherie de guitare classique Pour commander votre exemplaire cliquez sur le livre de votre choix
“34 Guitares classiques en taille réelle” Un livre unique !
34 guitares hors du commun construites entre 1856 et 2008 par les plus grands luthiers, d’Antonio de Torres à Daniel Friederich, chacune imprimée en grandeur nature pour pouvoir les examiner dans leurs moindres détails.
Format du livre : 44 x 28 x 5 cm (4 kg). Format des cahiers dépliés : 102 cm x 42 cm. Prix : 190 € (hors frais de port).
“Orfeo 1-5”
“Orfeo 6-10”
Le livre des nos 1 à 5 d’Orfeo Magazine
Le livre des nos 6 à 10 d’Orfeo Magazine
320 pages couleur Format : 24 x 30 cm Prix : 90 € (hors frais de port)
352 pages couleur Format : 24 x 30 cm Prix : 90 € (hors frais de port)
© OrfeoMagazine Directeur : Alberto Martinez Conception graphique : Hervé Ollitraut-Bernard Éditrice adjointe : Clémentine Jouffroy Traductrice français-espagnol : Maria Smith-Parmegiani Traductrice français-anglais : Meegan Davis Site internet : www.orfeomagazine.fr Contact : orfeo@orfeomagazine.fr
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orfeo Édito
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m a g a z i n e Dans le numéro 6 d’Orfeo, j’avais promis de retourner en Italie pour continuer à vous présenter ses remarquables luthiers. C’est chose faite avec la visite des ateliers de Gabriele Lodi, Enrico Bottelli et Paolo Coriani. En Vénétie, la région des maisons palladiennes, se trouve Mimmo Peruffo, l’un des rares fabricants de cordes en boyau, ces cordes qui faisaient chanter les instruments avant l’invention du nylon, des cordes fragiles mais qui génèrent un son magique. Et plus au nord, près du massif des Dolomites et de la frontière autrichienne, le Val di Fiemme, une forêt exceptionnelle d’épicéas, attire les luthiers italiens depuis Stradivari et ses collègues de Crémone jusqu’à nos jours, forêt meurtrie en octobre 2018 par une tornade d’une violence inhabituelle. Bonne lecture. Alberto Martinez
Gabriele Lodi, Ă la rech
cherche de l’équilibre
Gabriele Lodi a une double réputation internationale : comme luthier et comme restaurateur de guitares historiques. Il travaille avec son père Maurizio, fondateur dans les années soixante-dix de la « Liuteria Lodi » avec son frère Leandro.
“La guitare, telle que je la conçois est une structure où toutes les parties sont harmonisées.” Quel est le son que vous cherchez ? Gabriele Lodi – J’ai toujours cherché à reproduire ce son élégant qui vient des guitares de Torres, avec une résonance profonde et une grande richesse polyphonique. Mais depuis longtemps, mes recherches se sont aussi orientées vers autre chose que le seul son : l’harmonie des tensions entre la corde et la structure. J’étudie la participation de chaque élément de la guitare : comment la caisse reflète le son, l’importance du manche, la réactivité de la table d’harmonie, mais je suis particulièrement sensible à l’harmonie des tensions. Quand on trouve cette harmonie, le son est magnifique, c’est magique ! J’aime quand la guitare produit un beau son sans qu’on entende son mécanisme de production. On le trouve surtout dans les guitares anciennes, de construction légère, où tout l’instrument participe à créer sa voix, ce mouvement d’air, proche de la voix humaine. Certaines guitares modernes, très rigides, fabriquent le son toutes seules au lieu de laisser ce rôle à l’interprète. Le résultat est que l’on manque de nuances et que l’on entend la même matrice sonore dans toutes les notes. Je n’aime pas les guitares qui ont un timbre propre très présent, elles ne laissent pas de place au musicien pour s’exprimer, pour transmettre son idée de la musique. La guitare, telle que je la conçois est une structure où toutes les parties sont harmonisées ; tout
Son modèle personnel est inspirÊ des guitares de Robert Bouchet.
La guitare, telle qu’il la conçoit est une structure dont toutes les parties sont harmonisées.
“La guitare doit être un instrument pour interpréter un répertoire qui existe depuis quatre cents ans.”
doit participer, pas seulement la table. Chaque élément, avec ses caractéristiques propres, doit remplir sa fonction : le manche doit être stable, le fond doit bien refléter le son produit par les cordes et la table, et tous les éléments doivent être en harmonie les uns avec les autres. J’ai appris cela en étudiant les guitares de Torres : l’homogénéité. Quelle est l’importance des bois dans votre quête d’homogénéité ? G. L. – Il faut savoir comment utiliser chaque essence de bois. Il y a beaucoup de bois excellents, mais il faut choisir les mieux adaptés à la guitare que vous allez construire. On ne travaille pas de la même manière un épicéa italien du Val di Fiemme qui est léger, et un épicéa de Bavière qui est plus lourd. Il y a toujours un rapport élas-
Il aime les guitares anciennes, de construction légère, où tout l’instrument participe à sa voix.
ticité/légèreté à réussir. La table d’harmonie est une membrane, le critère d’élasticité est donc fondamental, mais si la construction n’est pas suffisamment rigide, la table risque de se déformer rapidement. Les constructions de type « lattice » ou « double top » vont-elles dans la bonne direction ? G. L. – Oui, Smallman et Dammann ont raison théoriquement mais c’est l’ap plication de leurs idées que je n’approuve pas. Je pense Un coin d’atelier qui sent bon la colle chaude.
que chaque guitare doit avoir son identité, sa voix, son caractère. La guitare a trouvé une identité avec Torres, une identité qui est liée à un répertoire. Les Smallman et les Dammann sonnent fort et elles ont beaucoup de sustain mais elles ne sont liées à aucun répertoire ; elles sont faites pour donner plus de confort au guitariste. L’objectif n’est pas de faire de la musique mais de gagner des concours. Pour moi, la guitare doit être un instrument pour interpréter un répertoire qui existe depuis quatre cents ans. Pensez-vous que les guitares changent beaucoup avec le temps ? G. L. – Oui beaucoup, surtout l’épicéa qui est directement sous la ten-
“Pour les tables, j’aime l’épicéa et, bien évidemment, c’est l’épicéa italien du Val di Fiemme que je connais le mieux.” sion des cordes. Au début il a un son un peu serré, mais au bout de quelques mois il s’adapte à cette tension, se libère, et garde cette nouvelle élasticité très longtemps. Le bois et les colles de nos guitares évoluent en permanence et on peut penser que ce « vieillissement » varie selon la vie de l’instrument. Les bois d’une guitare qui est jouée en permanence vont se modifier et toute la structure devra s’adapter à cette activité. Quels bois préférez-vous ? G. L. – Pour les tables, j’aime l’épicéa et, bien évidemment, c’est l’épicéa italien du Val di Fiemme que je connais le mieux. Pour la caisse, tous les bois traditionnels me plaisent : le palissandre, l’érable et le cyprès. Il y a des différences de sonorité, mais c’est toujours beau. Le cyprès me plaît beaucoup ; l’érable des Balkans a un son noble et représente la tradition du violon et le palissandre, surtout le brésilien avec sa sonorité dense, profonde, sérieuse, est l’essence même de la guitare classique. C’est peut-être le palissandre indien qui a le moins de personnalité, mais il se travaille bien et donne d’excellents résultats. Mes guitares sont toutes un peu différentes, toujours adaptées aux types de bois que j’utilise. Les changements sont très subtils mais je cherche à optimiser le matériel que j’ai dans les mains, davantage guidé par le toucher que par la vue. Les gui-
Un modèle « historique » d’inspiration Torres.
Gabarits de guitares Hauser et Torres restaurées par Gabriele.
Les barrages sont collés dans une cabine de construction « maison ».
tares sont toujours finies avec un vernis au tampon.
Torres mais modifié en fonction des cordes en nylon. Le nylon tire plus fort que le boyau et il est nécessaire de renforcer certaines zones de la table, mais je ne voulais pas ajouter un renfort de chevalet comme l’a fait Hauser : je préfère le son des guitares espagnoles, construites sans cet ajout. J’ai aussi augmenté l’épaisseur de la table à certains endroits.
J’ai l’impression que vous revenez toujours à Torres… G. L. – Oui, pour mon travail je cherche à comprendre les grands luthiers. J’essaie de faire comme Hauser, de prendre Torres comme point de départ, de faire évoluer ses idées pour les adapter à notre époque et arriver à faire « ma » guitare. Aujourd’hui, les guitaristes ont besoin d’un instrument capable de résister aux voyages en avion, aux changements de climat, chose qu’une Torres ne supporterait pas. Mais abandonner Torres est difficile… Ces dernières années, j’ai restauré beaucoup de Torres et j’ai compris que c’était lui le plus grand luthier ! Quelles sont les caractéristiques de vos guitares ? G. L. – La construction de mes guitares est légère et mon barrage est similaire à celui de
Combien de modèles faites-vous ? G. L. – Je fais le modèle « historique » et le mien. Le modèle « historique » est d’inspiration Torres, García ou Santos Hernández. Il s’agit de guitares inspirées de celles que j’ai eues dans l’atelier mais ce ne sont pas des copies exactes, le son est très difficile à copier. Je travaille avec mon père, il fait les découpes, les collages, et je fais la table, le manche, la rosace et les ajustages. C’est lui qui termine avec le vernis au tampon. Mon modèle personnel est plutôt d’inspiration Bou-
Les guitares sont toujours finies avec un vernis au tampon.
chet. Mon point de départ est l’école de Paris, de Lacote à Bouchet. Le son français me plaît beaucoup, il a une grande personnalité. Pour renforcer la table, Bouchet a repris l’idée de la barre sous le chevalet qui venait de Lacote, à la différence de Hauser qui a mis une plaque fine dans toute cette zone. Je pense que la solution de Bouchet est meilleure : ajouter le renfort sous le sillet du chevalet, seulement là où il est utile. Mais, en travaillant, j’ai compris que je devais alléger cette barre pour augmenter l’élasticité de la table et conserver cette caractéristique essentielle de la guitare espagnole. Pour moi, le son espagnol est celui du barrage en éventail, sans aucun renfort sous le chevalet. Mais, l’arrivée du nylon a augmenté la pression sur le chevalet et modifié définitivement le son espagnol. Après Torres, l’alternative des luthiers est donc de suivre Hauser ou Bouchet. Il n’y a pas d’autre solution.
Photos (2) : © Galerie des Luthiers, Lyon (France).
Deux modèles « historiques » : inspiration García (en haut), inspiration Torres (à droite).
L’atelier Lodi se trouve à Carpi, ville située à quelques kilomètres au nord de Modène.
Enrico Bottelli, l’amoureux des rosaces Il commence comme guitariste en jouant de la guitare acoustique avec des cordes en acier mais très vite, il se passionne pour la lutherie et prend des cours avec Carlo Raspagni à Milan puis avec Ervin Somogyl et Richard Schneider aux États-Unis. Ses goûts évoluent et il est de plus en plus attiré par la guitare classique. Deux stages avec José Luis Romanillos à Cordoue le décident définitivement à être luthier.
Bottelli dans son atelier de Voghera, en Lombardie.
La contagieuse passion de José Romanillos pour la guitare classique lui a fait abandonner la construction des guitares acoustiques. Comment a commencé votre vie de luthier ? Enrico Bottelli – J’ai toujours aimé la guitare. Adolescent, j’ai appris à jouer de la guitare acoustique et j’ai même envisagé de devenir professionnel mais comme je n’avais pas le caractère d’une rock star, je me suis inscrit dans l’école de lutherie de Carlo Raspagni près de Milan où j’ai appris les bases du métier. En 1982 j’étais à Berkeley (Californie) pour trois mois étudiant la construction des guitares acoustiques avec Ervin Somogyil et, en 1988, j’étais apprenti chez Richard Schneider, qui construisait des guitares classiques selon le design de Michael Kasha. Je me suis alors intéressé de plus en plus à la guitare classique et des collègues italiens m’ont parlé des cours de Romanillos. J’ai assisté à ses cours en 1994 et 1995 à Cordoue. La passion de José Romanillos pour la guitare classique était contagieuse et, à partir de là, j’ai abandonné complètement la construction des guitares acoustiques pour me consacrer exclusivement aux guitares classiques. En 1999, j’ai pu restaurer une Hauser de 1952
qui m’a énormément plu et j’en ai profité pour en faire deux copies. J’ai fait des rosaces différentes mais le reste de la construction était identique et le résultat très satisfaisant. Avez-vous continué à faire des copies de Hauser ? E. B. – Depuis j’ai évolué et, tout en essayant de conserver les caractéristiques musicales de Hauser, j’ai cherché à faire une guitare avec une table d’harmonie un peu plus legère, plus flexible et plus réactive. C’était d’une part pour satisfaire la demande des guitaristes et d’autre part parce que je cherchais à faire l’instrument idéal, moderne, profond, ouvert et sensible. On peut dire que mon vrai point de départ en lutherie est la guitare espagnole, surtout grâce à Romanillos : des guitares vivantes, de construction légère. Durant mes premières années de luthier, je faisais des guitares comme Romanillos m’avait appris à les faire, comme la guitare de Julian Bream de 1973 avec son barrage Construction intérieure de son modèle Hauser.
Il colle un renfort dans la partie haute de la table, à l’intérieur, pour éviter les fentes autour de la touche.
PrĂŠparation des filets sur un moule.
Machine Ă cintrer les ĂŠclisses suivant un gabarit Hauser.
Enrico Bottelli emploie presque exclusivement de l’épicéa pour les tables de ses guitares.
Pour moi, la guitare doit bien sonner mais aussi être belle, presque un objet d’art.
Stock de cedro pour faire les manches et les têtes.
“J’ai trouvé mon chemin en partant de Hauser mais en allant vers une construction plus légère.” typique et ses deux barrettes de chaque côté de la bouche. L’exposition « La chitarra di liuteria » (Vicence, 1997) a eu une influence importante de même que la rencontre avec Stefano Grondona et les guitares historiques, particulièrement celles de Torres. Ces guitares historiques m’ont beaucoup impressionné. Aujourd’hui, je suis surtout influencé par Hauser et Torres. Le son des Hauser est parfaitement équilibré, élégant, cristallin ; pour moi, c’est le son de la guitare classique du xxe siècle. Mais le son des Torres est celui que j’aime le plus, il a quelque chose de magique, qui va directement au cœur. C’est un instrument peut-être moins parfait que les Hauser, moins équilibré, mais… il est émouvant ! Je trouve très difficile de faire des copies de Torres, de retrouver « ce son ». L’autre problème, pour nous luthiers, est qu’il y a très peu de guitaristes qui comprennent vraiment ces instruments et qui savent en jouer. La demande pour ce type de guitare est donc faible. J’ai trouvé mon chemin en partant de Hauser mais en allant vers une construction plus légère, dans la direction de Torres et les guitares espagnoles, avec des bois moins épais et un épicéa plus léger.
L’épicéa allemand de Hauser a beaucoup de résine, il est lourd et les tables sont assez épaisses. Ces guitares ont besoin de plusieurs années pour « s’ouvrir ». J’ai cherché à raccourcir ce temps et faire des guitares qui « mûrissent » plus rapidement, qui révèlent un beau timbre très classique, rond, doux, profond, en moins de temps. Aujourd’hui, la demande des jeunes guitaristes, comme ceux qui participent aux concours, va vers des guitares qui ont un son explosif, faciles à jouer, qui demandent moins d’effort à la main droite. C’est dommage, parce que ces jeunes ne cherchent plus les nuances. Heureusement, quand ils avancent dans leur carrière, qu’ils deviennent plus mûrs, ils commencent à chercher un son de qualité et ils évoluent vers des guitares avec plus des variations de timbre, plus de couleurs. Quels sont vos bois préférés ? E. B. – Pour les tables, j’ai essayé les épicéas allemands de Bavière, les italiens du Val di Fiemme et les suisses et français du Jura. Je n’accorde pas beaucoup d’importance au fait que les veines soient serrées ou pas, je m’intéresse d’avantage à la rigidité et au poids ; l’épicéa que je préfère est
“Ma construction est typiquement espagnole, sur une « solera » et avec des éclisses qui rentrent dans le talon.” rigide, pèse autour de 400-430 kg au m3. J’emploie uniquement de l’épicéa pour mes tables ; je ne trouve pas dans le red cedar les qualités sonores que j’aime. Pour le fond et les éclisses, le bois que je préfère est le palissandre brésilien, aussi bien du point de vue esthétique que sonore. Les règles CITES nous ont compliqué énormément la vie. Maintenant, on passe beaucoup de temps à faire des papiers. Quand je pense que je peux faire dix à douze guitares par an, la consommation de bois de toute ma vie est ridicule. Il devrait avoir une dérogation pour ces petites quantités de bois. J’aime aussi le palissandre de Madagascar, le ziricote, l’érable et le citronnier. J’ai moins d’expérience avec le cyprès. J’aime les bois qui sont beaux. Pour moi, la guitare doit bien sonner mais aussi être belle, presque un objet d’art. Quelles sont les caractéristiques de votre construction ? E. B. – Je travaille surtout le poids du bois, pour construire le moins lourd possible. Je cherche à faire une table légère mais solide, avec un barrage flexible : moins de bois et plus de flexibilité. J’ai aussi fait plusieurs expériences avec la courbure de la table : des tables complètement plates ou bombées. Les tables plates sont plus flexibles et il est plus facile d’obtenir des basses profondes. Je fais surtout des intruments sur mesure. J’aime satisfaire mon client et, si possible, lui construire la guitare de ses rêves. J’ai plaisir à rencontrer le musicien, parler avec lui, l’écouter jouer. Je peux changer le son, le faire plus sombre ou plus clair en modifiant certains paramètres, selon que le guitariste joue avec peu ou
beaucoup d’ongles. J’aime aussi discuter avec lui de l’aspect esthétique, de la décoration, des bois. Ce n’est pas dans mon caractère de faire trois ou quatre guitares et de donner à choisir au client celle qui lui plaît, je préfère travailler sur mesure. Sinon, ma construction est typiquement espagnole, sur une « solera » et avec des éclisses qui rentrent dans le talon. Quelquefois, je colle les têtes avec des joints en V comme Hauser, ce qui me permet de donner moins d’inclinaison aux têtes, autour de 8 ou 9°. Je trouve que du point de vue esthétique, c’est
Modèle Torres « Art Guitar » en bois de citronnier et une décoration très raffinée.
Voici Black River, une autre de ces merveilles qu’il appelle « Art Guitars ».
La Black River vue de face avec sa magnifique rosace.
Palissandre du Brésil et ébène noir et blanc du Laos.
« Faire des rosaces est ma passion, si ça ne tenait qu’à moi, je ferais plus de guitares comme la Black River. »
plus beau et en même temps, j’ai l’impression que cela a une influence sur le son, le rendant plus doux. Proposez-vous plusieurs modèles ? E. B. – Je fais plusieurs modèles : « concert », « special » (similaire au modèle concert mais avec des rosaces plus élaborées, des beaux bois exotiques et mécaniques haut de gamme), une réplique Hauser 1952 et une Torres inspirée d’une guitare grand gabarit de sa “seconde époque”. Je fais aussi des pièces uniques, une ou deux par an, que j’appelle « art guitars ». J’adore faire les mosaïques, mélanger des bois, faire des dégradés en combinant le poirier, l’acajou, le padouk, l’amarante, le palissandre indien, le wengué et l’ébène, tous dans leurs couleurs naturelles. Faire des rosaces c’est ma passion, si ça ne tenait qu’à moi je ferai plus de guitares comme la « Black River ». J’aime faire des guitares uniques !
Val di Fiemme, “Il Bosco che suona”
Il y a des forêts dans le nord-est de l’Italie, près de la ville de Trento et du massif des Dolomites, qui fournissent du bois pour les tables d’harmonie des instruments à cordes depuis longtemps. La légende dit que Stradivari et les autres grands luthiers de Crémone y venaient pour choisir l’épicéa de leurs futurs violons. Mais l’histoire de ces forêts commence bien avant…
Le panneau à l’entrée de la forêt signale les arbres personnalisés.
“Pour être utilisés comme bois de résonance, les épicéas doivent grandir bien droits, pendant au moins deux cents ans.” La ville de Venise est construite sur une lagune : une étendue d’eau salée peu profonde qui communique avec la mer. Ses maisons sont bâties sur cent dix-sept îles s’appuyant sur des pieux en bois de trois à quatre mètres de long qui s’enfoncent dans la terre pour créer des fondations solides. Les millions de ces pieux de bois sur lesquels s’appuie la ville entière proviennent des forêts proches, celles des Dolomites essentiellement. Les forêts des Dolomites ont aussi fourni le bois pour construire les bateaux de l’armada vénitienne qui va dominer la Méditerranée pendant des siècles, victorieuse de la bataille de Lépante (1571) contre la marine ottomane. Bois de résonance Parmi les forêts des Dolomites, il y en a qui nous intéressent particulièrement : ce sont les grandes
forêts d’épicéas, cultivées depuis l’origine de la lutherie pour obtenir des tables d’harmonie destinées à la construction d’instruments à cordes. Tous les arbres ne serviront pas pour faire les tables des instruments du quatuor, des guitares ou des pianos : peut-être seulement un ou deux sur mille ! Pour être utilisés comme bois de résonance, les épicéas doivent grandir bien droits, pendant au moins deux cents ans, à certaines altitudes et dans un calme absolu, ce qui fait dire de manière poétique aux gardes forestiers que « La musique naît du silence ». Le bois du Val di Fiemme Une forêt particulière, située au Val di Fiemme, est composée d’épicéas exceptionnels. Les sculptures en bois sont omniprésentes dans la vallée.
Le Val di Fiemme est l’une des forêts qui se trouvent près du massif des Dolomites.
L’épicéa du Val di Fiemme possède d’excellentes qualités de résonance, de légèreté et d’élasticité pour faire des tables d’harmonie.
Certains arbres secs ont été sculptés avec des violons ou des symboles héraldiques.
La légende dit que Stradivari et les autres grands luthiers de Crémone y venaient pour choisir l’épicéa de leurs futurs violons et violoncelles. L’épicéa du Val di Fiemme possède d’excellentes qualités de résonance, de légèreté et d’élasticité pour faire des tables d’harmonie. La forêt s’étend d’est en ouest à une altitude proche de 1 400 mètres. Les hivers sont rudes et les étés courts (la période de croissance), ce qui donne des tables assez légères avec des veines uniformes, très serrées, et très peu de résine. La sélection des arbres se fait à la fin de l’automne (octobre à novembre), à la lune décroissante, au moment où les troncs ont le moins de
sève. Les arbres coupés sont stockés à proximité durant les mois d’hiver et ensuite transportés à la scierie pour être découpés « sur quartier » (coupe en sections radiales). Les quartiers sont ensuite stockés pour leur séchage pendant quatre à cinq ans avant d’être commercialisés. Ils sont entre-temps examinés, choisis et classifiés en catégories selon leurs qualités (aspect, régularité des veines, sonorité). Des arbres avec noms Une manifestation unique, « Le Son des Dolomites » a lieu en été au Val di Fiemme, où des musiciens de renommée internationale viennent donner un concert au milieu des arbres. En clô-
Philharmonic: © visitfiemme.it foto F. Modica
Les violoncellistes de la Philharmonie de Berlin en plein concert au milieu des épicéas.
« Le Son des Dolomites » a lieu en été au Val di Fiemme, où des musiciens de renommée internationale viennent donner un concert au milieu des arbres.
Les troncs d’arbres sélectionnés sont marqués « R » comme résonance !
La coupe radiale traditionnelle de la lutherie.
La majorité du bois part vers l’industrie du bâtiment.
Show-room de Ciresa, avec différentes utilisations de l’épicéa.
L’ année dernière, une terrible tempête a détruit des centaines d’arbres du Val di Fiemme et des forêts environnantes. ture, la Magnifica Comunità di Fiemme, gestionnaire de la forêt depuis des centaines d’années, donne le nom du musicien à un arbre qu’il a choisi. C’est ainsi que plusieurs arbres de cette forêt portent des noms célèbres : Uto Ughi, Daniel Hope, Uri Caine, Ivry Gitlis et celui de la prestigieuse Philharmonie de Berlin (2017). La cérémonie se termine avec un morceau joué par l’artiste et dédié à son arbre. La tempête d’octobre 2018 L’année dernière, une terrible tempête a détruit des centaines d’arbres du Val di Fiemme et des forêts environnantes. Des vents de 180 km/h ont déraciné de magnifiques arbres de résonance vieux de 150 à 200 ans. On estime que cette tempête (qui a également occasionné l’inondation de Venise) a abattu près 14 000 arbres dans le nord-est de l’Italie. Les conséquences négatives sont multiples mais le plus urgent est de mettre à l’abri tous les troncs qui sont tombés avant l’été. À partir du mois de juin et avec l’arrivée des journées chaudes, si les arbres restent à terre dans la forêt, ils seront attaqués par les insectes, les champignons et les moisissures, les rendant impropres à leur utilisation en lutherie. Une course contre la montre a commencé…
Le stock des tables chez Ciresa, entreprise spĂŠcialisĂŠe dans le commerce du bois de rĂŠsonance.
Paolo Coriani, de la vielle à roue à la guitare Il a commencé sa vie professionnelle en construisant des vielles à roue et des guitares acoustiques avec cordes en acier, avant de tomber amoureux du son des guitares de Torres et de Manuel Ramírez.
Paolo Coriani dans son atelier de Modène.
Les vielles à roue étaient des instruments assez populaires en France et en Italie.
“Je faisais partie d’un groupe musical qui jouait de la musique traditionnelle italienne.” Chez qui avez-vous appris la lutherie ? Paolo Coriani – J’ai appris la lutherie chez Masetti à Modène, d’abord comme apprenti de 1975 à 1980, et comme employé de l’atelier de 1981 à 1984. Chez Masetti, on faisait des instruments dans la tradition typiquement italienne, dans le style de Mozzani et Guadagnini, suivant des canons de construction anciens, ignorant les instruments des autres luthiers européens contemporains. On construisait des vielles à roue, des guitares et d’autres instruments à cordes pincées. Les guitares étaient surtout en érable, on en faisait très peu en palissandre. En 1985, j’ouvre mon propre atelier pour fabriquer principalement des vielles à roue et des guitares acoustiques avec cordes en acier, dans le style des guitares américaines des années 30 et 40, l’âge d’or de la lutherie « Steel strings ». Occasionnellement, je faisais quelques guitares dans le style de Kohno et de Ramírez III. Parallèlement, je faisais partie d’un groupe musical qui jouait de la musique traditionnelle italienne. Les vielles à roue étaient des instruments assez populaires en France et le fait de les fabriquer et de les jouer m’y a fait voyager fréquemment. Dans l’un de mes voyages à Paris, un ami m’a proposé de rencontrer Christian Aubin, un guitariste et
luthier français qui avait une guitare d’Antonio de Torres et là… ça a été un choc, une sonorité pour moi inconnue et d’une incroyable beauté ! À partir de là, j’ai commencé à m’intéresser de près aux guitares espagnoles des grands maîtres du xixe et xxe siècles. En 1993, j’ai assisté aux cours de José Romanillos pour approfondir mes connaissances sur la construction des guitares à la manière espagnole. C’est là que j’ai rencontré Tobias Braun, Gerhard Oldiges, Mark Peirelink et tant d’autres collègues. Romanillos m’a toujours impressionné par sa connaissance de la guitare, il avait des réponses à toutes nos questions. Ensuite, j’ai continué à étudier, surtout les guitares de l’atelier Manuel Ramírez, qui représentent pour moi la synthèse du travail de Torres. J’ai dit l’atelier, parce que nous ne pouvons pas oublier les autres luthiers qui étaient avec lui, tous extraordinaires. Mon but est de « recréer » les caractéristiques sonores des guitares de ces grands luthiers, ces guitares qui ont marqué profondément la création musicale du xxe siècle. Manuel Ramírez est toujours votre source d’inspiration ? P. C. – Oui, j’aime ce son, même si je pense que
L’une de ses dernières guitares au verni encore frais.
Un barrage très espagnol sans renfort sous le chevalet.
Mélange de différents érables dans cette guitare en cours de finition.
Derniers coups de rabot pour terminer le barrage. Fond en palissandre du BrĂŠsil et citronnier.
Des gabarits anciens et modernes se côtoient dans l’atelier de Coriani.
“J’ai aimé l’idée de faire comme Hauser et prendre les guitares de Manuel Ramírez comme point de départ.” ses guitares ont des limites, qu’elles sont encore presque des instruments de tradition populaire plus que des instruments modernes. J’ai aimé l’idée de faire comme Hauser et prendre les guitares de Manuel Ramírez comme point de départ. J’ai aussi eu l’occasion de réparer et d’étudier des guitares de Hauser, de Santos, d’Esteso, et à chaque fois, j’ai aimé leur son. Mais, je n’ai pas envie de faire de copies des guitares anciennes, de copier leur forme ou leur décoration, ce que je cherche c’est plutôt de me rapprocher de leur sonorité. J’ai eu la chance de voir et d’entendre la « Leona » de Torres, qui est l’une de plus belles guitares au monde, avec un son incroyablement beau et moderne. Pour moi, c’est ça le son de la guitare. Au xxe siècle il y a eu deux événements qui ont profondément changé la manière de faire des luthiers espagnols : la guerre civile et ensuite, l’avènement
du nylon. Plus tard, j’ai commencé à m’intéresser au travail de Daniel Friederich et son approche scientifique. Cela m’a aidé à évoluer vers une lutherie plus réfléchie, plus contrôlée. C’est important de bien comprendre ce qu’on fait pour pouvoir progresser. Toutes les mesures de flexibilité, de poids et autres m’ont servi à mieux comprendre mon travail. Combien de modèles faites-vous ? P. C. – Je fais un modèle de concert inspiré de García et de Simplicio, mais qui est en évolution permanente. J’en fais deux autres : un modèle inspiré d’une Hauser 1952 et un modèle d’inspiration Torres. Je ne fais de copies que des guitares que j’ai eues dans l’atelier et que j’aie eu le temps d’étudier et de mesurer, y compris la vitesse de transmission du son dans le bois. Pour Torres, par exemple, j’en ai restauré plusieurs : la
“Pour les tables j’aime l’épicéa, surtout celui qu’on trouve au Val di Fiemme.” luthiers espagnols qui étaient formés dans les ateliers et recevaient une formation pratique. De plus, ils commençaient à sentir l’odeur du bois et avaient les copeaux sous les pieds à 10 ou 12 ans !
Paolo Coriani restaure également des instruments anciens. FE 19 de 1864, « La Suprema » et la SE 43 de 1883 qui se trouve aujourd’hui au Musée de la musique de Paris. J’ai remarqué une chose étonnante dans ces guitares dont j’ai souvent discuté avec Andrea Tacchi : quand on tape avec les doigts sur la table d’une guitare construite de manière absolument symétrique, avec les mêmes épaisseurs et le même barrage, elle ne sonne pas de la même manière côté grave et côté aigu. Nous avons remarqué ce phénomène dans toutes les guitares qui ont un beau son ; c’est difficile à comprendre. Chaque luthier a sa manière de faire ; García par exemple, obtient une certaine asymétrie plutôt par la différence de masse que par la flexibilité. Simplicio en revanche, travaille davantage l’angle des brins du barrage : les graves et les aigus ont des angles différents. Il me semble que plus l’angle est ouvert, plus il obtient d’harmoniques ; plus il est parallèle, plus on entend la note fondamentale et le son est plus spontané avec moins de sustain. Dans ma génération, nous avons eu une formation un peu théorique, par les livres, à différence des
Vers quels bois vont vos préférences ? P. C. – Pour les tables, j’aime l’épicéa, surtout celui qu’on trouve au Val di Fiemme et un peu plus au nord, à la frontière avec l’Autriche, dans le Tyrol. J’ai essayé le red cedar, mais les résultats ne me plaisent pas. J’ai entendu des Fleta et des Friederich extraordinaires, mais je ne suis pas satisfait des résultats que j’obtiens avec ce bois. Le red cedar ne donne pas le son de la Leona ! Pour le fond et les éclisses ma préférence va au palissandre brésilien. Pour moi, ce palissandre, avec ses couleurs et son timbre profond, est le bois qui donne le meilleur son de la guitare espagnole. Le cyprès, l’érable et le citronnier donnent aussi de bons résultats et j’ai la chance d’avoir suffisamment de ces très beaux bois pour le restant de ma vie. Le cocobolo, le ziricote, l’ébène de Macassar ou le palissandre de Madagascar sont beaux mais trop lourds pour ma manière de faire. Êtes-vous tenté par la construction « double top » ou « lattice » ? P. C. – Non, je ne changerai pas, je suis ma route. Je sais que mes guitares ne plaisent pas à tout le monde mais, finalement, j’en fais dix par an et je les vends toutes.
Mimmo Peruffo, le maîtr Il est le fondateur d’Aquila Corde et l’un de rares fabricants des cordes en boyau.
re des cordes L’utilisation des cordes en boyau est une pratique très ancienne mais depuis l’avènement du nylon, les fabricants de telles cordes sont de moins en moins nombreux. Entretien avec Mimmo Peruffo, l’homme passionné qui dirige Aquila Corde et cherche depuis longtemps à apporter des solutions pour les instruments anciens à cordes, les luths et les guitares en particulier.
Le tressage des cordes graves se fait manuellement.
“Quand le professeur m’a vu arriver avec la guitare faite par mon grand-père, il m’a conseillé d’en acheter une autre.” Comment êtes-vous venu à faire des cordes en boyau ? Mimmo Peruffo – J’avais un grand-père qui jouait de la mandoline et de la guitare dans un groupe de musique et un jour, quand j’avais 18 ou 20 ans, je lui ai demandé de m’apprendre à jouer la guitare. Il m’a donné une guitare qu’il avait faite et il m’a appris les bases suivant la méthode de Carulli. Un an plus tard, je me suis inscrit dans une école de musique à Vicence. Quand le professeur m’a vu arriver avec la guitare faite par mon grandpère, il m’a conseillé d’en acheter une autre. Je suis allé dans une boutique mais les vendeurs, voyant que la somme d’argent dont je disposais n’était pas suffisante pour m’acheter le moindre instrument, se sont moqués de moi. Vexé, j’ai décidé de m’en faire une. Mon grand-père m’a expliqué comment faire, mais à la manière italienne, et je voulais une guitare de type espagnol. Comme la tapisserie de Pénélope, je défaisais la nuit tout ce que j’avais fait avec lui dans la journée pour le refaire comme je le voulais ! J’ai finalement construit ma guitare et mon professeur l’a trouvée acceptable. En voyant ça, un
ami m’a demandé de lui en faire une. Et comme elle était meilleure que la mienne, j’ai décidé de m’en fabriquer une autre, puis encore une pour un autre ami… Voilà le début de mon histoire avec la guitare ; celle avec le boyau commence le jour où mon professeur arrive avec un luth. Je tombe immédiatement amoureux du son du luth et je commence à prendre des cours du soir à Vérone. Je me lance dans la construction d’un luth et une fois fini, l’histoire recommence : un ami me demande d’en faire un autre pour lui… Ce sont vos débuts dans la lutherie, mais les cordes ? M. P. – J’y arrive… Entre-temps, dans une réunion avec des facteurs de luth, comme j’avais fini mes études de chimie, on me demande d’essayer de fabriquer des cordes avec des boyaux d’agneau et ils me confient les recherches de Ricardo Brané, un architecte et luthier amateur argentin décédé. Je commence à faire des expériences avec l’idée de donner plus de poids et moins de diamètre aux cordes en boyau. Je me passionne pour le sujet et dans les dix années qui ont suivi, j’ai lu énormément de livres et fait des centaines
« Un miracle arrive car ce matériau va renaître avec une sonorité inimitable. »
“À partir de 1997, je commence à chercher une matière plastique qui aurait la sonorité du boyau mais qui serait moins chère à produire.” d’expériences. J’étais tellement passionné que j’entendais le son des cordes en boyau jusque dans mon sommeil. Une autre rencontre a été déterminante : celle du luthiste Jakob Lindberg, avec lequel j’ai longtemps collaboré. À partir de 1997, je commence aussi à chercher une matière plastique qui aurait la sonorité du boyau mais qui serait moins chère à produire et plus durable. En visitant une usine de matières plastiques, je vois un morceau de plastique qui me paraît intéressant et j’apprends qu’il s’agit d’un plastique utilisé pour le balai « Pippo », un balai ordinaire, très populaire en Italie. À partir de là, j’ai perfectionné cette matière, en travaillant son élasticité, son poids, etc., et le « Nylgut » (boyau de nylon) est né.
Avec le nylon en quelques minutes, on fabrique des milliers de cordes.
Le Nylgut sonne-t-il comme le boyau ? M. P. – Non, mais il en est proche, il coûte moins cher et les cordes durent beaucoup plus longtemps. La fabrication des cordes en boyau nécessite deux semaines de travail mais avec le nylon, en quelques minutes, on fabrique des milliers de cordes. Le nylon a permis la démocratisation de la guitare classique mais pour moi, le son du boyau reste extraordinaire, unique. Je suis fasciné par le boyau. Il ne faut pas ou-
C’est au guitariste de trouver les cordes adaptées à son jeu.
“J’invente des pigments musicaux que je mets à disposition des guitaristes-peintres.” blier que la matière première provient d’un animal mort. Le sacrifice de l’agneau est un symbole fort dans notre culture : sa mort constitue le sacrifice parfait et ultime pour le rachat des péchés. De cet animal, nous travaillons avec une partie laide, en décomposition. Et un miracle arrive car ce matériau va renaître avec une sonorité inimitable. Pouvez-vous m’expliquer les différents types de cordes en Nylgut ? M. P. – Durant mes vingt années de recherche, j’ai eu comme objectif de proposer le plus de couleurs possible aux guitaristes, d’élargir leur palette musicale. Je suis comme un inventeur de pigments musicaux que je mets à disposition des guitaristes-peintres. J’ai commencé par proposer des solutions à tous les musiciens qui jouaient des guitares et des luths des xviii e et xix e siècles et ensuite, avec le Nylgut, aux guitaristes qui jouaient avec des instruments de la première partie du xxe siècle. Pour les aider à choisir dans ma gamme de cordes Aquila en Nylgut, je dirais qu’il y en a trois sortes : Perla pour le musicien qui aime les sonorités chaleureuses, sensibles, avec beaucoup de vibrato ; Rubino, Alchemia ou Zaffiro pour ceux qui aiment les cordes en carbone, brillantes avec une attaque
rapide ; Alabastro, Ambra ou Cristallo pour ceux qui ont une sensibilité médiane. Lesquelles choisir pour une Torres ou une Santos Hernández ? M. P. – Je ne peux pas vous dire quelles cordes vous conviennent. C’est plus facile de vous dire celles qui, à mon avis, ne conviennent pas : pour une guitare née avec des cordes en boyau, on ne peut pas mettre des cordes en carbone ni l’Aquila Rubino. Ce serait comme monter des phares à LED sur une moto vintage. Si vous montez des cordes en nylon, c’est déjà acceptable mais, étant donné que ces guitares ont une résonance assez basse, vous risquez d’avoir des problèmes avec la corde de sol. J’essaierais l’Alabastro… Et quelle tension ? M. P. – Je ne peux pas connaître la quantité de sucre que vous aimez dans le cappuccino ! Je conseille de choisir une tension moyenne, de monter les cordes et quand elles sont stabilisées, les accorder un demi-ton plus haut et sentir la différence, puis un demi-ton plus bas et sentir la différence. C’est vous qui avez la réponse : plus tendues ou moins tendues ? En faisant cela, vous pouvez trouver le jeu de cordes parfait pour vous et votre instrument. Plus de sucre ou moins de sucre ?
Pour moi, le son du boyau reste extraordinaire, unique.
La fabrication des cordes en boyau nĂŠcessite deux semaines de travail.
À Vicence, près de l’usine Aquila Corde, on peut visiter les magnifiques villas conçues par l’architecte Andrea Palladio. Ici, la villa Rotonda, construite entre 1566 et 1571.
Paris, mai 2019 Site internet : www.orfeomagazine.fr Contact : orfeo@orfeomagazine.fr