Orfeo magazine n°23 - Édition française - Printemps 2024

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La guitare au Río de la Plata : ses origines et ses luthiers

Uruguay

• Ariel Ameijenda

Argentine

• Alexis Parducci

• Diego Contestí

• Mateo Crespi

N° 23 - Printemps 2024

Édition française

N°23 orfeo

Format du livre :

22,5 x 30 cm (2 kg) 216 pages couleur

Plan d’une Friederich en taille réelle

Français et Anglais

Prix : 90 € (France) hors envoi

2 © OrfeoMagazine
: Alberto Martinez
graphique : Hervé Ollitraut-Bernard – Éditrice adjointe : Clémentine Jouffroy
français-espagnol : Maria Smith-Parmegiani – Traductrice français-anglais : Meegan Davis Site internet : www.orfeomagazine.fr – Contact : orfeo@orfeomagazine.fr www.caminoverde.com orfeo Pour commander votre exemplaire, cliquez sur le livre Le livre sur Daniel Friederich est disponible !
Directeur
Conception
Traductrice

Depuis mon enfance à Montevideo où j’ai appris les premiers accords pour jouer zambas et milongas , j’ai toujours eu une guitare à portée de mains. Je ne suis pas une exception, la guitare en Uruguay comme en Argentine, est l’instrument le plus populaire, présent dans toutes les maisons.

Plus tard, au cours de ma vie de photographe en Europe, le hasard a fait que je sois entré un jour de 2009 dans l’atelier du luthier Fritz Ober à Munich. La fascination fut immédiate ! L’envie de rencontrer d’autres luthiers, de montrer leur merveilleux travail et de créer Orfeo Magazine est née ce jour-là.

C’est donc avec une certaine émotion que je suis retourné cette année au Río de la Plata pour interviewer des luthiers. Je connais leurs problèmes d’approvisionnement en bois et en outillage, les difficultés administratives et les importations aléatoires. Envers et contre tout, ces luthiers passionnés, de très bon niveau, suivent une véritable vocation. On pourrait penser que l’influence de l’Uruguay dans l’histoire de la guitare du Río de la Plata est en rapport avec sa taille : le pays est seize fois plus petit que l’Argentine et a quatorze fois moins d’habitants…

Et pourtant…

Alberto Martinez

Édito orfeo N°23
MAGAZINE
Alberto en Uruguay dans les années 1960.

La guitare au Río de

Notre voyage pour aller voir les luthiers d’Argentine et d’Uruguay.

Le Río de la Plata, littéralement « rivière de l’argent », marque la frontière entre l’Argentine et l’Uruguay. Il baigne les deux ports principaux : Buenos Aires à l’ouest et Montevideo à l’est, et constitue un estuaire commun aux fleuves Paraná et Uruguay, d’une largeur de plus de deux cents kilomètres à son embouchure sur l’Atlantique. Vers la fin du xixe siècle, ses deux rives furent le berceau du tango.

L’histoire de la guitare dans le Río de la Plata commence avec la découverte du « Nouveau Monde » par Christophe Colomb en 1492 et les voyages d’Amerigo Vespucci. Dans le planisphère publié par le cartographe Martin Waldseemüller en 1507, le premier à décrire l’existence du nouveau continent, celui-ci est nommé Amérique en son honneur.

La guitare est d’abord arrivée en Amérique avec les conquistadors espagnols et plus tard avec les jésuites au Río de la Plata.

Les missions jésuites ont commencé à Córdoba en 1589 et à

partir de 1607, elles se sont étendues dans des territoires qui font aujourd’hui partie de l’Argentine, de la Bolivie, du Brésil, du Chili, du Paraguay et de l’Uruguay. Le père supérieur ordonnait aux fondateurs d’enseigner la doctrine chrétienne, la lecture et le chant aux autochtones. Les Guaranis (peuple natif sud-américain) furent très réceptifs à la musique.

Ruines de la mission jésuite de San Ignacio (Argentine).

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Diego Contestí Buenos Aires
ARGENTINA URUGUAY
Mar del Plata
Piriápolis Rosario Mateo
Crespi Alexis Parducci
Ariel
Ameijenda

la Plata

guitare, inséparable compagne des gauchos du Río de la Plata.

Ils formèrent très rapidement des groupes musicaux, des chorales, et des artisans commencèrent à fabriquer des instruments dans les ateliers des missions. Ces artisans se sont inspirés des différentes formes des guitares anciennes apportées par les colons espagnols et c’est ainsi que sont nés le cuatro, le tiple et le charango (qui héritèrent de l’accordage des guitares baroques avec les cordes graves au centre).

Au fil du temps, la vihuela devint moins populaire et laissa place à la guitare, qui a progressivement augmenté le nombre de ses cordes jusqu’à six et l’instrument tel que nous le connaissons aujourd’hui devint ainsi le compagnon inséparable du gaucho (paysan).

Le missionnaire jésuite italien, musicien et compositeur Domenico Zipoli (1688-1726), arriva à Buenos Aires en 1717. Ses compositions musicales et liturgiques contribuèrent à adapter le baroque européen aux goûts musicaux des populations locales. Ces mélodies, qu’elles soient issues de danses ou de chants, complétées d’éléments aborigènes et africains, ont créé sur place les bases du folklore musical. C’est ainsi que sont nés des rythmes tels que la zamba, la chacarera, le malambo…

Au milieu du xixe siècle, la guitare conquit la ville avec un rythme d’influence africaine appelé « tango » et devint l’instrument le plus populaire pour l’accompagnement musical.

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© Centro de Fotografia de Montevideo
La

La guitare en Argentine

En Argentine, du gaucho au patron, tout le monde jouait de la guitare, contrairement à l’Espagne où elle était simplement un instrument populaire.
Les classes supérieures du Río de la Plata ont aussi étudié la guitare.

Antonio Jiménez

Manjón s’installe à Buenos Aires au début du xxe siècle.

À titre d’exemple, nous pouvons citer José de San Martín, le général et homme d’État argentin qui, avec Simón Bolívar, Bernardo O’Higgins et José Artigas, fut l’un des héros des mouvements d’indépendance sud-américains. Il est très probable que pendant son exil en France, il ait pris des cours de guitare avec le maestro Fernando Sor. Au tout début du xx e siècle, Antonio Jiménez Manjón et Domingo Prat s’installent à Buenos Aires et établissent les bases de l’enseignement avec leurs méthodes de guitare. Plus tard, Miguel Llobet, Emilio Pujol, Agustín Barrios, Andrés Segovia et de nombreux autres guitaristes importants sont venus donner des concerts et des cours en Argentine.

IMMIGRANTS ET VISITEURS IMPORTANTS

• Francisco Nuñez immigre en Argentine en 1858. C’est le luthier qui créera la plus grande fabrique de guitares de son époque (voir p. 10).

• Antonio Jiménez Manjón, guitariste et compositeur aveugle, voyage en Amérique en 1893, visite Buenos Aires, se rend au Chili, en Amérique centrale et revient dans la capitale argentine pour s’y installer définitivement. Il fonde un conservatoire, subventionné à une certaine époque par le gouvernement argentin, et donne de nombreux concerts avec sa guitare à onze cordes que Domingo Prat décrit comme « des démonstrations permanentes d’art ».

• Domingo Prat s’installe à Buenos Aires en 1907. Il révolutionne l’enseignement de la guitare avec sa méthode et réalise de nombreuses transcriptions de chansons populaires.

En plus de son énorme influence sur le développement de la guitare en Argentine, Prat est à l’origine du succès des guitares d’Enrique García et de son successeur Francisco Simplicio.

• Miguel Llobet est venu en Argentine en 1910 invité par Domingo Prat. Il y a donné ses premiers concerts en tant que soliste en dehors de son pays et a enregistré plus tard avec María Luisa Anido.

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• José Ramírez Galarreta (José Ramírez II) a appris la lutherie à Madrid dans l’atelier de son père José Ramírez I mais il était également guitariste. En 1904, il se rend à Buenos Aires pour une tournée de deux ans en Amérique du Sud. La tournée devient de plus en plus longue et ces deux années se transforment en presque vingt ans ! Une fois dispersée la rondalla avec laquelle il voyage, il décide de rester à Buenos Aires. C’est là qu’il rencontre Blanca, qui deviendra sa femme et avec laquelle ils auront deux fils : José (plus tard connu sous le nom de José Ramírez III) et Alfredo.

En 1923, il apprend la nouvelle de la mort de son père et décide de rentrer à Madrid avec sa famille. Deux ans plus tard, il reprend le célèbre magasin de guitares de la Calle Concepción Jerónima.

• Andrés Segovia est venu plusieurs fois à Buenos Aires à partir de 1920 et a vécu à Montevideo du milieu des années 1930 au milieu des années 1940 avec sa femme pianiste, l’ancienne enfant prodige Paquita Madriguera. Avec l’arrivée de Segovia, le répertoire espagnol et européen s’est beaucoup développé (voir l’article sur l’Uruguay p. 26).

LA MUSIQUE FOLKLORIQUE

À partir de 1960, la présence

De gauche à droite : Miguel Llobet, Emilio Pujol, Juan Carlos Anido avec sa fille María Luisa Anido et Domingo Prat en 1919.

de la guitare à la radio et à la télévision devient très fréquente. Parmi les d’artistes locaux de musique folklorique, on peut citer :

Atahualpa Yupanqui , poète, écrivain, guitariste, compositeur et interprète, est considéré comme le plus grand représentant du folklore argentin.

Il laisse derrière lui une œuvre poétique et musicale considérable de près de mille cinq cents compositions, dont certaines sont devenues de véritables standards du folklore argentin.

Eduardo Falú , guitariste, compositeur et interprète, est l’autre figure essentielle de la musique populaire dans son pays. Il est l’auteur de deux cents compositions, dont les célèbres Tonada del viejo amor et Zamba de la candelaria

Cacho Tirao, guitariste virtuose, très présent à la télévision, était réputé pour ses mélanges de tangos, de musiques folkloriques et populaires.

Il convient également de mentionner les « payadores », des gauchos qui à l’instar des troubadours d’Europe, parcouraient de grandes distances avec leurs guitares, improvisant en rimes sur différents thèmes d’actualité, politiques ou philosophiques.

Atahualpa Yupanqui, grand représentant de la musique folklorique argentine.

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célèbre Café Tortoni de Buenos Aires propose toujours des spectacles de tango.

LE TANGO

Né dans les quartiers populaires de Buenos Aires, le tango, musique pleine de mélancolie, danse sensuelle et romantique, était celle des pauvres et des perdants.

La guitare était toujours présente dans le tango, notamment pour accompagner le chanteur. Trois exemples majeurs : le guitariste Roberto Grela, le chanteur Carlos Gardel (voir p. 14) et le compositeur Astor Piazzolla.

Piazzolla n’était pas guitariste, mais bandonéoniste. Il est devenu une référence dans la composition de tango. À ce titre, il a inspiré toute une génération de guitaristes classiques. Il commença ses études de composition avec le célèbre Alberto Ginastera et les poursuivit ensuite à Paris avec Nadia Boulanger. Au tango dansé, Piazzolla ajouta des éléments formels extérieurs d’où naîtra le « Tango nuevo », un tango instrumental.

« El Escuadrón de Guitarras » : 12 à 15 guitaristes, réunis et dirigés par Abel Fleury en 1938.

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Le

LA GUITARE CLASSIQUE

Parmi les compositeurs, on peut citer : Abel Fleury (1903-1958), compositeur et guitariste dont les compositions les plus connues sont : Estilo pampeano et Milongueo del Ayer Alberto Ginastera (1916-1983), l’un des plus illustres compositeurs latino-américains du xx e siècle. Il laisse des œuvres de grande envergure (opéras, symphonies, cantates, concertos), de la musique de chambre, des partitions pour piano et quatre recueils de chants. Jorge Cardoso (1949), compositeur, guitariste et professeur de guitare au Real Conservatorio Superior de Música de Madrid . Il a composé plus de quatre cents œuvres pour guitare seule, pour duos (deux guitares, guitare et violon, guitare et clavecin, guitare et flûte, guitare et violoncelle), pour trios de guitares, pour quatuors (quatre guitares et quatuor à cordes), pour quintettes (guitare et cordes, guitare et vents), et douze concertos pour guitare et orchestre, pour orchestre de guitares, ainsi que de nombreuses chansons.

Sans oublier des compositeurs et guitaristes comme Máximo Diego Pujol, Adri á n Politi, entre autres.

Parmi les guitaristes:

María Luisa Anido (1907-1996), guitariste et pédagogue, formée par Miguel Llobet. Elle était considérée comme la grande dame de la guitare latine. Elle a eu comme élèves Graciela Pomponio et Jorge Martínez Zárate, célèbre duo qui, à leur tour ont formé toute une génération de brillants guitaristes argentins : Roberto Aussel, Ernesto Bitetti, Horacio Ceballos, Eduardo Frasson, Hugo Geller, Miguel Ángel Girollet, Walter Enrique Heinze, Eduardo Isaac, Jorge Labanca, Ra ú l Maldonado, Pablo Márquez, Enrique N ú ñez, Osvaldo Parisi…

Ndlr – Un grand merci à Lucas de Antoni qui nous a beaucoup appris sur l’histoire de la guitare en Argentine et nous a permis de photographier des instruments historiques de sa collection.

“L’ÉCOLE

DU RÍO DE LA PLATA”

par Roberto Aussel

C’est le nom donné à l’école moderne de guitare, née des deux côtés du Río de la Plata dans les années 1960. Il s’agissait d’une nouvelle esthétique de la guitare et d’une nouvelle façon d’aborder son étude grâce au travail de Jorge Martínez Zárate en Argentine et d’Abel Carlevaro en Uruguay.

Les points importants à noter sont les suivants :

• La posture de l’instrument par rapport au corps, c’est-à-dire que la position de la guitare s’adapte à notre corps et non le corps à la guitare.

• Un souci permanent dans le placement de la main gauche sur le manche de la guitare, afin d’éviter les bruits parasites que l’on ressent en passant d’une position à l’autre.

• La grande diversité des touchers, entre dynamique et couleur, émanant de la main droite grâce à la pratique fréquente d’un jeu plus aérien, c’est-à-dire en pincé, tout en alternant avec le jeu en buté, celui qui dominait dans la deuxième partie du xxe siècle.

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Miguel Ángel Girollet et Graciela Pomponio, Jorge Martínez Zárate et Horacio Ceballos.

Antigua Casa Nuñez

En 1858, Francisco Nuñez quitte l’Espagne pour Buenos Aires où il apprend la lutherie avec Salvador Ramírez.

Dès 1870, il fonde l’entreprise Fábrica de Guitarras

Francisco Nuñez y Cía.

En 1894, il se rend en Europe pour acheter des machines modernes qui lui permettront de fabriquer des guitares à grande échelle. En quelques années, l’entreprise de Francisco Nuñez réussit à se distinguer comme une usine importante, obtenant des médailles d’or et des diplômes d’honneur lors de foires internationales. Sa production de quarante mille guitares par an dépasse celle des constructeurs de Valencia en Espagne.

Le tango, et notamment le chanteur Carlos Gardel, participent à son succès avec les célèbres guitares ornées de la rosace étoilée.

Francisco Nuñez meurt en 1919. Sa veuve et son neveu reprennent l’entreprise. En 1925, le nom de l’entreprise est changé en Antigua Casa Nuñez et après un incendie dans l’usine en 1926, celleci s’établit définitivement en 1929 à son adresse actuelle : Sarmiento 1573, Buenos Aires. Parmi ses créations, on peut citer : les premières guitares à double fond, les guitares avec caisse en aluminium

La partie historique du magasin avec les portraits d’Atahualpa Yupanqui, de Cacho Tirao et différents

modèles de guitares étoilées.

Installée à la même adresse depuis 1929.

et celles en pâte de bakélite, toutes des constructions révolutionnaires pour l’époque.

Antigua Casa Nuñez a continué à s’adapter aux différentes générations, aux différents moments de l’histoire, pour rester la fabrique de guitares la plus importante et la plus emblématique du pays, reconnue aux niveaux national et international.

UN MARCHÉ HAUT DE GAMME

Romero y Fernández, Romero y Agromayor, Celestino Fernández, étaient d’autres magasins de guitares importants, qui importaient des guitares espagnoles de haute qualité comme celles d’Enrique García, de Francisco Simplicio, de Domingo Esteso et de Santos Hernández, ce qui reflète le niveau économique des amateurs et des professionnels du Río de la Plata dans la première moitié du xx e siècle.

La vieille étiquette avec les médailles gagnées depuis sa fondation en 1870.

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Quarante mille guitares sortaient chaque année de sa maison. Francisco Nuñez n’en construisait lui-même que quelquesunes. Cette guitare de 1910 est l’une de ses plus belles œuvres, réalisée en commémoration du 100e anniversaire de la Révolution argentine (25 mai 1810).

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La guitare de Carlos Gardel

Cette guitare, à la rosace étoilée caractéristique, fait partie intégrante de l’image de Carlos Gardel, chanteur, compositeur et acteur de cinéma argentin (1890-1935), représentant le plus connu de l’histoire du tango.

Il est frappant de constater que, tout au long de sa vie artistique, Gardel s’est fait accompagner exclusivement par des guitaristes et se produisait avec une guitare décorée d’une étoile de nacre autour de la bouche.

La première acquisition de deux guitares de ce modèle remonte à 1911 ou 1912, au moment de la création du duo avec le guitariste et chanteur uruguayen José Razzano : tous deux apparaissent en photos avec les guitares à la rosace étoilée.

ment quand il se produit dans les films

Cuesta abajo et El tango en Broadway (1934), ainsi que El día que me quieras (1935).

Ce modèle de guitare a été principalement fabriqué par Casa Nuñez et vendu dans des magasins de musique sous différentes étiquettes. On sait aussi que Gardel a possédé tout au long de sa carrière non pas une, mais plusieurs guitares du même modèle.

En septembre 1925, après douze ans de travail scénique commun, une lésion au larynx conduit Razzano à s’arrêter de chanter et à s’occuper de la partie administrative des spectacles de Gardel.

Sur les photos de Gardel comme chanteur soliste, toujours accompagné de guitaristes, il tient la guitare à la rosace en forme d’étoile, comme faisant partie de son image, ce qu’il fait égale -

Carlos Gardel est mort le 24 juin 1935 à Medellín, en Colombie, dans un accident d’avion et sa guitare s’est perdue avec lui. Sa sœur jumelle, celle utilisée par José Razzano et portant une étiquette du magasin de musique Breyer Hermanos (mais certainement fabriquée par Casa Nuñez) est celle qui se trouve aujourd’hui au musée Vicente López y Planes de la SADAIC (Sociedad Argentina de Autores y Compositores) et que l’on peut voir dans ces pages.

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Le duo José Razzano et Carlos Gardel.

Ce modèle de guitare avec la rosace étoilée existe en plusieurs versions et avec des étiquettes différentes.

Tout au long de sa carrière, Carlos Gardel a possédé plusieurs guitares du même modèle.

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Cette guitare est celle de José Razzano, la sœur jumelle de celle de Carlos Gardel.
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Guitare inspirée de la FE 08 de 1958 d’Antonio de Torres.

Les luthiers argentins

Comme

exemples de luthiers

argentins, en plus de Francisco Nuñez, nous avons choisi six autres luthiers représentatifs de cette activité au xx e siècle : Galán, Carzoglio, Viudes, Yacopi, Estrada et García.

Rafael Galán Rodríguez

Espagnol né à Malaga, il était avec son frère Juan, fils et disciple du luthier Juan Galán Caro, originaire lui aussi de Malaga, formé dans le métier par Antonio Lorca (père).

En 1906, les frères Galán quittent l’Espagne pour s’installer à Buenos Aires, témoins du renouveau de la guitare qui a lieu en Argentine à partir de 1908. Les étiquettes de Rafael indiquaient : « Rafael Galán » lorsqu’il s’agissait de guitares fabriquées par lui et plus tard, « Galán-Velasco » lorsqu’il s’est associé au luthier José Velasco.

Luigi Carzoglio

Italien né dans la province de Gênes en 1874, ce luthier est arrivé en Argentine en 1898. Ses instruments étaient très appréciés, non seulement à Buenos Aires mais aussi en Italie.

Domingo Prat, dans son Diccionario de guitarristas , écrit : « Les guitares de concert construites par Carzoglio sont des modèles de bonne facture… Il est aujourd’hui la fierté de l’industrie

de Rafael Galán de 1928 « En hommage à la célèbre artiste María Luisa Anido ».

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Guitare

Il imprimait fièrement sur ses étiquettes : Discipulo de Manuel Ramírez.

argentine, car ses guitares n’ont rien à envier aux meilleures que le grand Torres nous a léguées. »

Antonio Emilio Pascual Viudes

Espagnol né à Alicante en 1883, il est issu d’une famille de luthiers. Très jeune, il est envoyé à Madrid pour apprendre la lutherie auprès de son oncle Valentín Viudes. Il y rencontre Santos Hernández, apprenti comme lui. Il travaille ensuite dans l’atelier de José Ramírez, puis dans celui de Manuel Ramírez. Dans ces deux ateliers, il rencontre et fabrique des guitares avec Julián Gómez Ramírez, Enrique García, Domingo Esteso, Modesto Borreguero, Rafael Casana et Santos Hernández. En 1909, après son mariage, il émigre à Buenos Aires. Il a toujours fabriqué des guitares dans la tradition d’Antonio de Torres. Sur ses étiquettes, il signait Antonio Emilio Pascual, en ajoutant : « Disciple de Manuel Ramírez ».

José Yacopi

Ses guitares avaient un barrage inversé de sept brins, ouvert du tasseau vers la bouche.

Il est né au Pays basque où la famille vivait après un premier séjour en Argentine. De là, ils ont déménagé en France, puis sont retournés en Espagne. Jeune homme, il est guitariste et étudie avec plusieurs professeurs, dont Emilio Pujol. Parallèlement, il apprend le métier de luthier avec son père, Gamaliel Yacopi.

En 1949, à cause des guerres et de la rareté du travail en Espagne, la famille décide de rentrer en Argentine et s’installe à San Fernando. C’est

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“Faire une guitare n’est pas très difficile, la chose difficile est de mettre une âme

à

l’intérieur !”

Francisco Estrada Gómez

là que José commence à gagner sa vie en enseignant et en fabriquant des guitares.

L’une des caractéristiques de ses guitares est le barrage de la table d’harmonie créé en 1947 avec son père, avec un éventail inversé à sept brins, qui s’ouvre du tasseau vers la bouche.

L’atelier se développe avec l’aide de son fils Fernando et arrive à produire environ trois cents guitares par an. La plupart sont des guitares d’étude, fabriquées par des artisans sous leur contrôle, tandis que les guitares de concert passent entre ses mains ou celles de son fils.

Francisco Estrada Gómez

Luthier argentin, chercheur infatigable et auteur d’une répartition personnelle des frettes, il commence la lutherie en 1953, sans autres conseils que ceux de son père menuisier. Ses premières guitares ont été fortement influencées par celles d’Enrique García et de Francisco Simplicio, avec une tête sculptée et un éventail asymétrique à six barrettes.

L’une de ses principales préoccupations a toujours été la justesse de la guitare. Ne se contentant pas de la façon traditionnelle de répartir les frettes, ni de l’idée de compenser la longueur des cordes par la seule position du chevalet, il calcula les espaces entre les frettes d’une manière différente. Il pensait que l’espacement des

frettes devait tenir compte de la variation de la longueur des cordes causée par la pression des doigts de la main gauche du guitariste.

Joaquín García Fernández

Fils d’immigrés espagnols, il est né en 1929 à Santa Cruz, en Argentine. Deux ans plus tard, sa famille retourne en Espagne et à l’âge de 13 ans, il commence l’apprentissage de l’ébénisterie.

En 1949, il quitte l’Espagne pour l’Argentine où il commence à travailler chez un fabricant de guitares. Voyant ses compétences dans le travail du bois, les luthiers de l’entreprise l’encouragent à apprendre le métier et en 1952, il construit sa première guitare.

En 1974, il décide de retourner en Espagne et trouve du travail chez le fabricant de guitares Raimundo. Il ouvre finalement son propre atelier en 1982, d’abord à Torremolinos et ensuite à Malaga. Il fait un modèle à double fond et doubles éclisses dans le but d’isoler l’instrument du guitariste et d’obtenir une meilleure résonance.

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Le modèle à double fond et doubles éclisses de Joaquín García.

L’influence de Francisco Simplicio est visible dans les premières guitares de Francisco Estrada Gómez. Ici, un modèle de 1969.

L’ESTANCIA DE LA GUITARRA

Au milieu des plaines de la province de Córdoba (Argentine), un bosquet d’arbres forme une impressionnante guitare d’environ un kilomètre de long. C’est Graciela, la femme de Pedro Ureta, le propriétaire de l’estancia, qui a eu l’idée de concevoir une guitare avec des arbres, qui ne serait visible que du ciel. Graciela est malheureusement décédée d’une rupture d’anévrisme, mais Pedro a pu réaliser le rêve de sa

femme avec l’aide de ses quatre enfants. La construction a commencé à la fin des années 1970 avec la plantation de sept mille arbres d’une hauteur comprise entre quinze et vingt-cinq centimètres. Des cyprès californiens de couleur vert foncé dessinent le contour de la guitare, des eucalyptus bleutés constituent les cordes et des pins représentent le chevalet et l’étoile qui forme la rosace de la guitare.

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L’âge d’or de la guitare

L’un des traits les plus distinctifs de l’activité

culturelle uruguayenne au cours de la dernière

partie du xx e siècle a été le niveau très élevé atteint par l’art de la guitare en tant qu’instrument soliste. À

tel

point, que ses représentants les plus remarquables ont atteint une grande renommée internationale.

La figure la plus représentative de notre art de la guitare, Abel Carlevaro, a révolutionné la technique et la pédagogie de l’instrument, devenant ainsi une référence incontournable pour plusieurs générations de guitaristes d’origines différentes.

Un peu d’histoire

Cette réalité, qui a atteint son apogée dans le dernier tiers du siècle, n’est pas née par génération spontanée, mais repose sur un mélange de circonstances qui ont conduit à ce processus évolutif. Le Río de la Plata était déjà devenu, depuis la fin du xix e siècle, un lieu attractif pour les guitaristes venant d’Espagne. Les plus connus étaient Gaspar Sagreras, Carlos García Tolsa et surtout Antonio Jiménez Manjón. Ces musiciens interagissaient avec les guitaristes qu’ils rencontraient ici, donnant, mais aussi recevant, des éléments musicaux et techniques. À partir de 1912, le Paraguayen Agustín Barrios est devenu un visiteur fréquent. Le milieu de la guitare

Paquita

Madriguera et Andrés Segovia ont vécu une dizaine d’années à Montevideo.

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en Uruguay

La guitariste et pédagogue Olga Pierri.

qui s’était développé ici a stimulé et en même temps aidé Barrios à peaufiner sa technique et à donner plus d’essor à ses compositions. La protection et l’amitié que lui offrirent Martín Borda Pagola, Luis Pasquet et Eduardo Fabini, ont été primordiales en ce sens.

Segovia à Montevideo

Au début du xx e siècle, plusieurs successeurs de Francisco Tárrega commencent à arriver à Montevideo : Josefina Robledo, Miguel Llobet, Emilio Pujol. Le plus important, Andrés Segovia, s’est produit ici pour la première fois en 1920, revenant plus tard en 1921, puis en 1928 et en 1937, pour y rester plusieurs années, après avoir épousé la pianiste espagnole Paquita Madriguera. La présence de Segovia à Montevideo a donné une impulsion très spéciale, principalement guitaristique, à la vie musicale de la ville et de là, à tout le pays.

Carlevaro, le pédagogue

La même année, en 1937, Abel Carlevaro reçoit ses premières leçons de Segovia alors qu’il avait commencé à se produire officiellement en public en 1936, dans des salles de concert et aussi à la radio, et se distinguait déjà comme l’un des guitaristes les plus importants de l’époque. Viennent ensuite sa relation avec le grand compositeur brésilien Heitor Villa-Lobos,

Agustín Barrios et le manuscrit de sa composition, inspirée de la cathédrale de Montevideo.

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Concertiste et compositeur, Carlevaro, a formé une génération de brillants guitaristes.

des tournées au Brésil, un voyage de trois ans en Europe, puis une période de réclusion à Montevideo, où il passe près de vingt ans à donner une forme structurée à ses découvertes dans la technique de l’instrument. C’est également au cours de cette période, de 1951 au milieu des années 1970, qu’il a consolidé (par ses cours et ses publications) son statut de pédagogue novateur et commencé à attirer l’attention des étudiants en Uruguay et à l’étranger. D’autres grands professeurs ont également laissé leur empreinte pendant cette période : Atilio Rapat, Olga Pierri (tante d’Álvaro Pierri), Lola Gonella de Ayestarán parmi les plus connus.

Succès internationaux

À la même époque, d’autres guitaristes uruguayens ont également triomphé à l’étranger : Julio Martínez Oyanguren aux États-Unis, Isaías Savio au Brésil, et dans la seconde moitié du siècle, deux disciples renommés d’Atilio Rapat se sont installés avec succès en Europe : Oscar Cáceres et Antonio Pereira Arias, ainsi que Betho Davezac et plus tard Jorge Oraison, un disciple de Lola Gonella de Ayestarán.

À partir des années 1970, et pendant les presque trente ans qu’a duré l’étape la plus importante de la carrière internationale de Carlevaro en tant

Abel Carlevaro et la guitare de son invention, construite par Manuel Contreras au début et par Eberhard Kreul ensuite.

que concertiste, compositeur et pédagogue, plusieurs de ses disciples uruguayens ont brillé sur les scènes de différentes parties du monde : Baltazar Benítez, Eduardo Fernández, Álvaro Pierri, José Fernández Bardesio, Juan Carlos Amestoy, César Amaro, ainsi que – dans le domaine de la musique populaire – Daniel Viglietti, Eduardo Larbanois, et d’autres guitaristes de très haut niveau. Mais les disciples directs de Carlevaro ne sont pas les seuls guitaristes uruguayens à connaître le succès à l’étranger. Les noms d’Eduardo Baranzano, Álvaro Córdoba, Ruben Seroussi, Leonardo Palacios, Ricardo Barceló, Sergio Fernández Cabrera (pour n’en citer que quelques-uns), sont la preuve de l’importance et de la transcendance internationale que l’art de la guitare en Uruguay a atteintes dans le dernier tiers du fertile xx e siècle.

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par Guzmán Trinidad

Les premières guitares uruguayennes

Le musicologue uruguayen Lauro Ayestarán

affirme dans son ouvrage La música en el Uruguay (1953) que «

le métier de luthier était exercé dans

notre pays au moins depuis le xvii e siècle ».

On sait que « dans les missions jésuites, au nord du territoire, se distinguaient des luthiers, des fabricants de guitares et même des facteurs d’orgues. »

Cependant, le premier témoignage retrouvé date

de 1841 : une annonce dans la presse de Montevideo informant que Agustín Caminal (fabricant de pianos et de guitares) a fermé son atelier de la Calle de San Juan parce qu’il était absent du pays. On connaît également un autre pionnier de la lutherie, Sebastian Fulquet qui fonda la Guitarrería Española à Montevideo en 1859, produisant un grand nombre d’instruments jusqu’en 1891. Comme exemples de la lutherie uruguayenne, nous avons choisi trois luthiers représentatifs de cette activité au xx e siècle : Vittone, Pereira Velazco et Santurión.

Pedro Vittone (1871-1940)

C’était un bon guitariste et un excellent constructeur de guitares. Il a également enseigné la guitare en suivant l’école de Dionisio Aguado. Parmi ses élèves se trouvaient Abel Carlevaro (dès l’âge de 7 ans) et son frère Agustín.

L’une des premières guitares qu’Abel Carlevaro ait possédées était une guitare de Vittone fabriquée en 1936. C’est avec elle qu’il a enregistré les Variaciones sobre Folías de España y Fuga de Manuel Ponce en 1958.

Sebastian Fulquet était en activité à Montevideo entre 1859 et 1891.

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Antonio Pereira Velazco

Né en 1900, ce luthier a atteint un niveau international. Dès son plus jeune âge, il suit une formation de menuisier et se spécialise ensuite dans l’ébénisterie. Vers 1938, il se lie d’amitié avec le célèbre guitariste espagnol Andrés Segovia, qui vivait en Uruguay, lorsqu’il répare sa guitare Hauser. Segovia lui a également permis d’étudier sa Manuel Ramírez, qu’il a ensuite utilisée comme base pour ses constructions.

Juan Carlos Santurión Martínez

Musicien et luthier, il est né en 1913. Il a étudié la guitare avec le maestro Atilio Rapat, participé à des récitals et à des concerts et fait une tournée en Amérique du Sud. En 1950, il se rend en Espagne pour se perfectionner, comme guitariste avec Emilio Pujol et comme luthier avec Ignacio Fleta.

Professeur du premier cours de lutherie à la Universidad del Trabajo del Uruguay (Université du travail), il a formé depuis 1955, des générations d’excellents artisans pour la construction de guitares classiques.

Guitare de Pedro Vittone avec laquelle Carlevaro enregistra Folías de España y Fuga de Manuel Ponce.

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Pour ses guitares, Antonio Pereira Velazco s’inspirait de la Manuel Ramírez d’Andrés Segovia.

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Juan Carlos Santurión Martínez se perfectionna comme guitariste avec Emilio Pujol et comme luthier avec Ignacio Fleta.

Située sur la rive gauche du Río de la Plata face à Buenos Aires. Colonia del Sacramento est la plus vieille ville d’Uruguay.

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Ariel Ameijenda, luthier,

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musicien et compositeur

Ariel Ameijenda est né à Montevideo et a appris son métier auprès de son père, le luthier Manuel Ameijenda.

Son père avait été élève de Juan Carlos Santurión qui avait étudié la lutherie dans l’atelier d’Ignacio Fleta à Barcelone au début des années 1950 !

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D’où vient votre relation avec la musique ?

Ariel Ameijenda – Ma mère était pianiste, mon père chantait, jouait de la guitare et était luthier. Ma mère l’aidait également à poncer et à vernir les guitares. J’ai donc grandi dans un atelier de lutherie, en jouant avec le bois et en écoutant les clients qui venaient essayer les guitares.

Mon père m’avait appris le métier et je l’aidais pour les réparations, mais à l’âge de 17 ans, je n’avais pas de vocation précise. Comme je voulais voir les anciennes civilisations d’Amérique, je suis parti en voyage avec un ami au Pérou pour voir le Machu Picchu. Lorsque nous sommes arrivés à Cuzco, en passant devant un restaurant, j’ai entendu une musique indienne qui m’a fasciné. C’était un disque de Ravi Shankar et ça a été pour moi comme une illumination. À mon retour à Montevideo, je me

suis inscrit à l’école de musicologie. J’y ai appris l’organologie, la composition, l’harmonie, l’acoustique, l’histoire de la musique… et j’ai fabriqué un sitar.

Lorsque j’ai terminé mes études, j’ai commencé à mettre de l’argent de côté pour me rendre en Inde. J’ai pu y aller trois fois et y rester quatre mois à chaque voyage. J’y ai étudié la musique savante, le sitar avec Saeed Zafar Khan, j’ai visité des ateliers de lutherie et j’ai pratiqué le yoga avec des yogis qui étaient aussi des musiciens.

J’ai également rencontré Swami Nada Brahmananda, un yogi de l’Himalaya âgé de plus de 90 ans, qui s’était réalisé à travers la musique et qui, en deux heures inoubliables, m’a appris bien plus que l’université, en particulier sur les relations entre rythme et mélodie, espace et temps, forme et couleur.

Les éclisses sont jointes au talon avec des coins.

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Delia et Manuel Ameijenda, les parents d’Ariel.

Il colle les contre-éclisses continues dans un moule à part.

Ce que j’aime en Inde, c’est qu’ils considèrent la musique comme une forme de langage supérieur au langage verbal, comme un moyen d’atteindre un autre état de conscience. Ils m’ont également expliqué qu’ils considéraient la musique comme une chose vivante, qui naît, s’épanouit et meurt.

C’est ça que je reproche généralement aux guitares en carbone ! Lorsque le son fondamental s’éteint, les sons restants sont dissonants. En revanche, sur une guitare de type Torres, lorsque le son s’éteint, les harmoniques mourantes sont toujours en harmonie avec la fondamentale. La beauté du son est là. C’est précisément ce que perdent les guitares qui cherchent à augmenter le volume.

Au retour de mon troisième voyage, j’ai composé de la musique pour des pièces de théâtre, jouant en direct avec des instruments de différents pays : sitar et sarod indiens, kalimba africain, saz turc, berimbao brésilien, etc. Ces compositions m’ont valu plusieurs prix.

En 2001, mon père est tombé malade et il est décédé. J’ai senti que je devais reprendre ce qu’il

Barrage inspiré de la guitare SE 81 de Torres.

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Son modèle personnel, avec des éclisses et fond en palissandre.

laissait. J’ai donc abandonné mon activité de musicien et de compositeur pour me consacrer entièrement à la lutherie. J’aime travailler avec mes mains, dans le silence de l’atelier, travailler avec des choses concrètes et sentir que je fais des choses pour les autres.

Comment sont vos guitares ?

A. A. – Il y a plus de vingt ans, lorsque j’ai réparé plusieurs guitares de grands maîtres espagnols, je suis tombé amoureux de leur son. Je me suis alors rendu compte que le son que j’aimais venait de Torres, de Manuel Ramírez et de leurs successeurs. J’aimais aussi les guitares d’Ignacio Fleta des années 1950, avant qu’il n’agrandisse son gabarit et ne change de barrage en 1958.

Nous sommes tous d’accord pour dire que la table est très importante, mais je suis de plus en plus conscient de l’importance des éclisses, du dos et du manche. Tous les éléments de la guitare ont une fonction acoustique.

La table fonctionne comme une membrane, mais il faut tenir compte du fait que le bois a des veines et qu’il n’a pas la même flexibilité longitudinale et transversale. L’éventail est donc nécessaire pour homogénéiser cette différence.

L’un des barrages que j’utilise et que j’ai copié d’une Fleta de 1952, comporte sept brins. Ces brins ne convergent pas tous au même point, le troisième et le cinquième

Les sillets en ébène apportent une certaine élégance.

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Son modèle inspiré de la guitare de Torres SE 81.

Son modèle avec la table en cèdre et une tête d’inspiration Torres.

Le sillet du chevalet est taillé pour compenser la longueur des cordes.

convergent un peu plus haut. J’utilise également un barrage à cinq brins inspiré de la Torres SE 81, que je réplique souvent.

Lors de la construction, je place au départ les éclisses dans un moule et je colle les contreéclisses (avec les entailles vers l’intérieur). Ensuite, après avoir collé la table et le manche à part, je les pose sur la solera, puis j’ajoute les éclisses avec les contre-éclisses déjà collées et finalement je colle le fond. L’ensemble est plus ferme, le collage est plus solide et tout est plus facile. Je n’utilise pas de peones. Je suis sûr que Torres a procédé de cette manière sur de nombreuses guitares, en particulier dans la deuxième époque.

Lorsque j’ai commencé à suivre Torres, j’ai d’abord diminué l’épaisseur de la table et maintenant, lorsque je fais des répliques, je diminue aussi l’épaisseur des éclisses à 1,2 mm. Je pense que les courbes des éclisses suffisent à leur donner de la rigidité, malgré les épaisseurs réduites. La voûte renforce la table et me permet de l’affiner ; lorsqu’elle est en épicéa, je descends à 1,3 mm en périphérie et à 2,3 mm au centre.

La tête que j’ai conçue est plus étroite en haut, de façon que les cordes centrales, la troisième et la quatrième, aillent droit vers le sillet, avec

La tête est conçue pour optimiser l’alignement des cordes.

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Les éclisses sont en acacia noir et le fond est une combinaison d’acacia noir et de palissandre.

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Dans son bureau, Ariel est entouré d’instruments anciens.

le moins d’angle possible. En tant que musicien, je recherche la dynamique et l’équilibre plutôt que le volume, je veux que la guitare chante !

Quels bois préférez-vous ?

A. A. – Pour les tables, j’aime les deux bois.

J’utilise généralement de l’épicéa lorsque je fais une réplique inspirée de la Torres SE 81 de 1886.

Je pense que l’épicéa donne le meilleur de luimême dans ce type de construction, avec des épaisseurs fines.

Avec le cèdre, c’est différent ; je suis plutôt intuitif et, en travaillant avec des épaisseurs plus importantes que l’épicéa, je pense avoir obtenu un son cristallin que j’aime beaucoup.

J’aime aussi l ’ alerce 1 pour les tables, mais son utilisation pose des problèmes. C’est un bois magnifique, incroyable, difficile à travailler, mais

1 Alerce (Fitzroya cupressoides). Il s’agit d’un grand arbre connu sous le nom d’alerce dans ses pays d’origine : l’Argentine et le Chili. Il appartient à la famille des cupressacées, la plus grande famille de conifères. C’est une espèce qui peut vivre plusieurs milliers d’années et atteindre une hauteur de cinquante mètres. Son bois est léger (500 kg/m3) et de couleur rougeâtre ; il était très apprécié pour la fabrication de tuiles dans le sud du Chili. Le danger d’extinction a conduit les gouvernements chilien et argentin à déclarer cette espèce monument naturel. Sa dénomination en français est le cyprès de Patagonie.

son commerce est interdit. Je ne l’utilise que si je suis sûr qu’il a été coupé bien avant l’interdiction. Comme c’est un bois plus lourd que le cèdre et l’épicéa, je suis obligé de le travailler avec des épaisseurs très fines, et malgré cela, le son reste assez métallique. C’est un bois qui n’a pas de juste milieu ; les musiciens qui l’essaient l’adorent ou le détestent, en tombent amoureux ou le rejettent.

Mon père l’aimait beaucoup. Il existe également des guitares avec la table en alerce fabriquées par Casa Nuñez à Buenos Aires.

L’alerce et le palissandre brésilien posent un problème éthique : nous devons être conscients qu’ils ont été surexploités et que nous ne devons pas encourager le commerce illégal. Si nous voulons continuer à utiliser ces bois, nous devons nous assurer qu’ils ont été coupés avant l’interdiction.

Pour les éclisses et le fond, j’aime le palissandre et l’érable. Sur les conseils de mon père, j’ai commencé à utiliser l’acacia noir ( Acacia melanoxylon ), un bois local qui constitue une bonne alternative au palissandre.

Chaque bois nécessite un travail différent et je cherche à ce que chacun exprime le meilleur de lui-même.

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« En tant que musicien, je recherche la dynamique et l’équilibre plutôt que le volume, je veux que la guitare chante ! »

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La station balnéaire Punta del Este est à quelques kilomètres de l’atelier d’Ariel Ameijenda.

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Alexis Parducci, lauréat

Alexis Parducci vit à Mar del Plata, en Argentine, où il travaille comme luthier et organise des cours pour transmettre les connaissances acquises en Espagne

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à Grenade en 2022

aux jeunes luthiers de son pays. Alexis Parducci a remporté le Concurso Internacional de Construcción de Guitarras Antonio Marín Montero à Grenade en 2022.

Où avez-vous appris la lutherie ?

Alexis Parducci – Tout a commencé à l’âge de 14 ans, lorsque je suis allé avec mon père dans l’atelier de Ruben Arnero, un luthier de Mar del Plata, pour faire réparer la guitare de mon grand-père. J’aimais déjà l’artisanat, mais cet atelier m’a ébloui. Comme ce luthier donnait des cours à l’école locale des arts et métiers, je me suis inscrit et j’ai commencé à fabriquer des guitares avec lui, parallèlement à mes études.

Alexis contrôle la voûte qu’il donnera au fond de la guitare.

À l’âge de 18 ans, n’ayant pas une vocation universitaire très claire, j’ai pris une année sabbatique et je suis parti à Tenerife (Espagne). Comme beaucoup d’Argentins, je suis un descendant d’immigrés italiens, ce qui m’a permis d’obtenir un passeport italien et de travailler en Europe. À Tenerife, j’ai travaillé pendant un certain temps mais je n’avais aucun contact avec des luthiers ; je suis alors allé à Malaga où je savais qu’il y avait une école de lutherie. J’ai pu m’inscrire et j’ai suivi des cours pendant deux ans. Les cours s’arrêtaient à 15 heures et je travaillais ensuite comme serveur jusqu’à minuit !

Au bout de quatre ans, je suis rentré en Argentine en pensant m’installer comme luthier, mais je me suis vite rendu compte que je n’étais pas assez qualifié. Je suis donc retourné à Malaga pour me perfectionner dans la lutherie du quatuor auprès de José Ángel Chacón et j’y suis resté cinq ans. J’ai ensuite travaillé avec Víctor Quintanilla, un collègue de l’école de lutherie, avec l’idée de développer une gui tare personnelle. Nous

Il prépare les éclisses à part pour travailler plus confortablement.

avons étudié beaucoup de guitares de Grenade, fait beaucoup d’expériences et nous avons testé les gabarits, les éventails, etc. Finalement, j’ai été attiré par la tradition des Torres, Santos, Barbero…

Et vous suivez toujours cette voie ?

A. P. – Oui, mon éventail est similaire à celui de Barbero, avec cinq barrettes presque parallèles et deux autres inclinées sur les bords. Je pense que l’idée venait de Santos. C’est un éventail qui a très peu de résistance dans le sens transversal, ce qui laisse beaucoup d’élasticité à la table. J’ai une méthode personnelle pour coller la barre qui passe sous le chevalet. J’abaisse le taux d’humidité du bois à 35 %, de sorte que lorsque je le colle et qu’il revient aux 45 ou 50 % que j’ai dans l’atelier, il se dilate et la table se voûte naturellement. Ainsi, j’augmente ainsi sa résistance, ce qui me permet d’utiliser

Les contre-éclisses sont stratifiées et les éclisses comportent de petites colonnes de renfort.

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La guitare et le maté (boisson traditionnelle) : deux icônes du Río de la Plata.

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Avec son collègue Víctor Quintanilla, il a testé beaucoup de gabarits.

Sa façon de construire est classique, grenadine, et son gabarit est également inspiré de Torres.

une barre fine, de 2 mm, et de ne pas alourdir l’éventail.

Quels sont les bois que vous aimez travailler ?

A. P. – Pour les tables, j’aime l’épicéa léger et élastique, dont le grain n’est pas trop serré. En fonction de la dureté de la table, je peux en réduire l’épaisseur, varier l’inclinaison des brins ou la hauteur des barres.

Mais en même temps, j’ai compris qu’il y a une connaissance que nous avons tous, l’intuition, avec laquelle on tend inconsciemment à prendre des décisions pour résoudre des situations imprévues. Le bois étant un matériau hétérogène, cela nous amène à avoir une appréciation particulière de chaque partie de la guitare. Pour les éclisses et le fond, j’aime tous les palissandres, mais aussi certains bois locaux. Le chevalet est toujours en palissandre de Rio. Lorsque je le sculpte, j’es-

saie d’imiter l’aspect des vieux chevalets. Ma façon de construire est classique, espagnole, grenadine, style Torres, et la forme du gabarit est également inspirée du style Torres. Construction classique, mais avec quelques variantes : tout d’abord, je place les éclisses dans un moule, ce qui me permet de coller les contre-éclisses de la table et du fond plus confortablement. Les contre-éclisses sont stratifiées et les éclisses comportent de petites colonnes qui, avec leur faible masse leur donnent plus de résistance, plus de puissance et montent la fréquence de résonance de la caisse. Les colonnes sont triangulaires afin d’avoir le maximum de résistance avec le minimum de poids. Pour coller les contreéclisses, j’utilise des pinces artisanales, dont l’ou ver ture et la surface de contact corres -

Ses rosaces sont élégantes et austères à la fois.

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Quand le bois est beau, il ne met pas de filet central sur le fond.

Une magnifique réalisation avec du bois de platane (Platanus x acerifolia).

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Un barrage inspiré de Marcelo Barbero.

Les décorations sont préparées dans un gabarit pour faciliter le collage ultérieur.

Tous les collages sont faits à la colle animale.

pondent exactement à la forme de l’éclisse. La force peut être ajustée avec les élastiques. Quand le bois est beau, je ne mets pas de filet central sur le fond.

Quant à l’esthétique de mes guitares, j’essaie qu’elle soit à la fois élégante et austère. Je n’aime pas les guitares surchargées d’ornements. La guitare doit être aussi belle à l’intérieur qu’à l’extérieur. Je ne crois pas à la modernité. Je pense que c’est une erreur de vouloir réinventer la guitare. Je ne veux pas de guitares en lattice ou à double table, ce ne sont pas des guitares, c’est autre chose. Je ne veux pas de colles époxy, de polyuréthane ou de carbone dans mon atelier. Le commerce a inventé beaucoup de choses dont nous n’avons pas besoin. La structure du bois est incroyablement complexe, et en tirer une belle sonorité relève d’une alchimie très délicate.

Il faut sentir le bois et le traiter avec amour. Lorsque je travaille le bois, je suis très concentré, comme si je dialoguais, et si des imprévus ou des petits accidents surviennent, je les respecte. J’aime à penser que je ne suis qu’un outil de plus dans l’atelier. Nous contrôlons notre force en permanence, l’attention est portée sur la pointe du ciseau. La science ne peut pas nous aider beaucoup. Une guitare fabriquée en usine ne pourra jamais rivaliser avec celles des luthiers car il y a une part de ressenti et d’intuition inatteignable par la technique. Cet artisanat est une forme de résistance au monde dans lequel nous vivons.

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« J’utilise des pinces artisanales pour coller les contre-éclisses. Leur ouverture et leur surface de contact correspondent exactement. »

Sur le fleuve Paraná, le pont qui relie les villes de Rosario et Victoria.
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Diego Contestí, à la recherche

Diego Contestí vit à Rosario, grande ville de la province de Santa Fe, située sur la rive occidentale du fleuve Paraná, à

recherche de l’équilibre

quelque 300 kilomètres de Buenos Aires. L’exportation de céréales fait de ce port l’un des plus importants du pays.

Avez-vous toujours vécu à Rosario ?

Diego Contestí – Je suis né ici, dans la province de Santa Fe, mais ma famille a ensuite déménagé à Buenos Aires. Quand j’étais jeune, j’aimais beaucoup la musique andine et j’avais commencé à construire des quenas 1, mais un jour mon père m’a offert un magnifique charango , fabriqué par un luthier de la région de Córdoba. Cet instrument m’a fasciné, je n’arrivais pas à croire qu’il avait été fabriqué par une personne. À partir de ce moment-là, j’ai commencé à chercher un luthier qui pourrait m’enseigner le métier et je suis entré en contact avec Oscar Trezzini qui enseignait à l’époque à Buenos Aires. Je suis resté avec lui pendant deux ans, puis j’ai continué seul, en essayant de me perfectionner en autodidacte.

Quelles autres influences avez-vous eues ?

D. C. – Je n’ai pas eu l’occasion de voir beaucoup de guitares de grands luthiers. Celles que j’ai vues de luthiers argentins ne m’ont pas beaucoup plu, à l’exception des guitares d’Oscar que j’ai trouvées merveilleuses. Mes premières guitares étaient un peu hybrides,

1 La quena est un instrument à vent semblable à une flûte. C’est l’un des instruments les plus anciens du continent américain. Il est surtout répandu dans la région de la cordillère des Andes.

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« Je construis les guitares comme les luthiers de violons, avec la caisse séparée du manche ».

« J’ai ajouté une barre de renfort devant celle du chevalet pour éviter que la table ne s’enfonce vers la rosace. »

d’apparence classique, mais avec un son un peu flamenco, assez percussif, avec une attaque très claire et un sustain modéré. J’étais assez satisfait de mes guitares, jusqu’à ce que je voie et entende une guitare de Dominique Field qu’un des disciples d’Eduardo Isaac possédait. Je l’ai eue à l’atelier pour faire de petits réglages ; la qualité de la lutherie et la beauté du son m’ont beaucoup impressionné.

À partir de ce moment-là, j’ai commencé à copier les guitares de Field, avec la barre inclinée et l’éventail à cinq brins. Elles sonnaient très bien, mais j’ai essayé de comprendre pourquoi et j’ai alors décidé de fabriquer une guitare avec un fond amovible, ce qui m’a permis d’essayer différents barrages et différentes épaisseurs.

Le grand changement s’est produit un jour où j’essayais une guitare dont la première corde était nouée laissant quelques centimètres en appui sur la table. Elle sonnait bien, mais lorsque j’ai coupé l’excédent de la corde, le son a changé un peu, subtilement, mais cela a attiré mon attention. J’ai compris qu’en enlevant ou en ajoutant du poids dans certaines parties, on pouvait intervenir sur le son, même une fois la guitare terminée. Cela m’a ouvert un monde de possibilités. C’est comme si je ne savais faire des maths qu’avec des nombres entiers et qu’à partir de ce moment, j’apprenais à utiliser des décimales. Cela m’a permis d’ajuster subtilement le son, de l’affiner. Vous avez un son

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dans la tête et tant que vous ne l’avez pas obtenu, vous n’êtes pas satisfait.

Votre barrage a-t-il changé ?

D. C. – Ayant fabriqué et réparé beaucoup de guitares, je pense que le type de barrage n’est pas tellement important. En revanche, l’équilibre entre la flexibilité de la table et le poids du chevalet me paraît fondamental.

Avec l’expérience, mon barrage a évolué et j’ai ajouté une barre transversale, c’est-à-dire que j’ai la barre qui passe sous le chevalet et une autre devant pour empêcher la table de s’enfoncer vers la rosace. Dans la guitare moderne, il est admis que le fond et les éclisses doivent être assez rigides pour augmenter la projection du son. Pour les éclisses, j’ai adopté la solution de Field qui consiste à les renforcer avec de petites colonnes, car cela ajoute moins de poids que faire des éclisses doubles.

Quels sont les autres détails ?

D. C. – Pour faire le manche, je coupe le bois au milieu dans le sens de la longueur, et je colle les deux moitiés en les inversant. J’ai vu cela sur un

« tiple »2 colombien.

2 Le tiple est une guitare à quatre chœurs de trois cordes (douze au total), dérivée de la vihuela espagnole, qui s’est développée en Amérique du Sud, principalement en Colombie.

Détails d’une guitare en caroubier (prosopis alba), avec table en cèdre, sillet en ébène et rosace simple.

Tout bois a un grain et une certaine flexibilité ; le fait de procéder ainsi me semble équilibrer les forces et augmenter la solidité.

Je construis comme les luthiers de violons, avec la caisse séparée du manche. Mes chevalets sont légers, entre 14 et 15 grammes. Le sillet du chevalet peut être en os ou en ébène ; l’os produit un son plus cristallin. Autre détail, je vernis la guitare au tampon.

Quels sont les bois que vous aimez ?

D. C. – Ici, nous n’avons pas toujours accès à d’excellents matériaux ; nous achetons ce qui est disponible.

Parmi les bois locaux, j’utilise le caroubier ( Prosopis alba ), le lapacho ( Tabebuia spp), Ipé en français) et aussi le guayubira ( Patagonula americana ) qui était le bois préféré des Guaranis pour fabriquer les arcs et les flèches. Pour les tables, j’aime les deux bois : le cèdre et l’épicéa.

La pandémie a empêché les clients de venir chercher les guitares une fois terminées. Plusieurs guitares sont restées dans l’atelier pendant de nombreux mois et j’ai eu l’occasion de voir comment elles évoluaient.

Le cèdre sonne tout de suite, dès le départ, et ne change pas beaucoup avec le temps. L’épicéa, a besoin de plus de temps, vieillit très bien et acquiert quelque chose de spécial que la main du luthier ne peut lui donner.

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Maisons colorées du quartier de La Boca, l’une des attractions touristiques majeures de Buenos Aires autour de deux thèmes : le football et le tango.

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Mateo Crespi, de

la musique à la lutherie

Mateo Crespi a étudié la guitare dès l’enfance et a obtenu son diplôme à l’Instituto Municipal de Música de Avellaneda (Buenos Aires) où il enseigne toujours. Profitant de ses connaissances de guitariste et de professeur, il s’est intéressé à la fabrication de guitares et a ouvert son atelier en 1999.

Cent trente-huit guitares sont nées à ce jour dans son atelier de Buenos Aires.

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Entre les couches de la table, il place des tiges de balsa en diagonale.

Ses guitares ont la touche surélevée et, sur demande, une ouïe latérale.

Crespi fabrique ses propres mécaniques.

Quelles sont les guitares que vous aimez ?

Mateo Crespi – Ma vision de la guitare est celle d’un musicien qui passe de nombreuses heures à jouer, donc ce qui m’intéresse c’est la dynamique de l’instrument, sa sensibilité, le confort des mains, la richesse des couleurs, la projection du son… La guitare a beaucoup progressé ces dernières années, c’est aujourd’hui un instrument différent. Parmi les guitares que j’ai pu essayer, j’ai beaucoup aimé les guitares allemandes avec double table, et notamment celles de Toni Müller.

À quoi ressemblent vos guitares ?

M. C. – Je fabrique des guitares à double table en utilisant uniquement du bois, et la combinaison que j’aime le plus est de faire la table avec de l’épicéa à l’extérieur et du cèdre à l’intérieur. Au milieu, je place des tiges de balsa très fines, en diagonale. Les épaisseurs sont d’environ 0,8 mm + 0,4 mm + 0,8 mm. Je fabrique ainsi une table solide mais légère pour que la guitare ait un bon volume et une bonne projection.

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Mateo

« Je pratique une lutherie moderne : double table, éclisses laminées, chevalet à douze trous… »

La gomme-laque est appliquée en fines couches au pistolet.

En général, je peux dire que je pratique une lutherie moderne : double table, éclisses laminées, touche surélevée, chevalet à douze trous…

Je prépare les manches avec une machine CNC.

Je fabrique la caisse à part, notamment pour faciliter le travail de fileterie, et j’utilise de la colle chaude, du vinyle ou de l’époxy, en fonction des pièces à coller.

De plus, j’applique la gomme-laque au pistolet en dix ou douze couches très fines que je ponce à l’eau. J’utilise les outils d’aujourd’hui. Stradivarius ponçait avec de la peau de requin, ce qui équivaudrait aujourd’hui à du papier de verre grain 220. Alors, dois-je poncer avec de la peau de requin ? Non, j’achète du papier de verre grain 220 !

Le détail le plus personnel de ma construction est peut-être la façon

dont je joins le manche à la caisse. En plus de coller le manche avec la table et les éclisses, j’ajoute une vis en bois pour fixer le talon au renfort intérieur qui relie les éclisses.

Le problème en Argentine, c’est que nous n’avons pas d’importation de machines, nous devons les fabriquer nous-mêmes ou les demander à un ami mécanicien.

J’avais l’habitude de jouer en public, mais la lutherie m’a conquis. En vingt ans de travail, j’ai fabriqué cent trente-huit guitares. Lorsque vous entrez dans l’atelier d’un luthier, c’est tellement excitant que vous ne pouvez plus en sortir !

Il emploie une vis en bois pour fixer le manche à la caisse.

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Les éclisses sont doublées à l’intérieur avec du cyprès argentin.

Le manche et le talon sont construits séparément et collés à la caisse.

Paris, juin 2024

Site internet : www.orfeomagazine.fr

Contact : orfeo@orfeomagazine.fr

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