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M A G A Z I N E Gernot Wagner, pionnier des double-top La nouvelle génération allemande : • Dennis Tolz • Friederike Linscheid • Adrian Heinzelmann • Stefan Nitschke • Lisa Weinzierl N° 22 - Automne 2023 Édition française
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www.caminoverde.com © OrfeoMagazine Directeur : Alberto Martinez Conception graphique : Hervé Ollitraut-Bernard – Éditrice adjointe : Clémentine Jouffroy Traductrice français-espagnol : Maria Smith-Parmegiani – Traductrice français-anglais : Meegan Davis Site internet : www.orfeomagazine.fr – Contact : orfeo@orfeomagazine.fr
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orfeo Édito
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N°
M A G A Z I N E La demande d’instruments plus puissants par de nombreux guitaristes classiques se produisant dans de grandes salles, jouant de la musique de chambre ou des concertos avec orchestre, a poussé les luthiers à chercher des solutions pour proposer des guitares au volume sonore plus important. En Allemagne dans les années 1990, les recherches des luthiers Matthias Dammann et Gernot Wagner aboutissent à la table d’harmonie laminée avec des fibres de carbone qu’on appelle double-top. Trente ans après, il était intéressant d’interviewer l’un de ses créateurs et de voir les répercussions que cette innovation avait eues sur la jeune génération de luthiers allemands. Trois tendances se dégagent : ceux qui continuent à développer et améliorer le système de double-top comme Dennis Tolz, ceux qui cherchent des solutions tout bois comme Friederike Linscheid et Adrian Heinzelmann, et ceux qui perpétuent la tradition de la guitare espagnole avec des tables massives, comme Stefan Nitschke et Lisa Weinzierl. Bonne lecture. Alberto Martinez
Gernot Wagner, pionnier Dans les années 1990, les recherches de Matthias Dammann et Gernot Wagner aboutissent à la création d’une table d’harmonie laminée avec des fibres de 4
Gernot Wagner dans son atelier de Francfort.
Gernot Wagner et Matthias Dammann chez Maderas Barber en Espagne dans les années 1990.
des double-top carbone que l’on appelle double-top. Nous avons demandé à Gernot Wagner de nous raconter l’évolution que cette technologie a suivie ces trente dernières années. 5
Deux modèles de structure hexagonale : normale et allongée. Parlez-moi de la naissance de votre construction composite. Gernot Wagner – Dans les années 1990, Matthias Dammann et moi-même cherchions à construire des guitares avec plus de volume. Étant donné que la masse vibrante de la table d’harmonie doit être aussi légère que possible et que les cordes ont une masse et une tension relativement faibles pour bouger la table de la guitare, nous avons pensé que la solution consistait à fabriquer des tables d’harmonie aussi rigides mais plus légères. À cette époque, j’expérimentais avec du red cedar extra-léger pour mes tables en bois massif et Matthias faisait des tables d’harmonie lamifiées avec deux couches de bois et de fines bandes de bois entre les deux. J’ai découvert le Nomex dans un catalogue destiné à la construction aéronautique, un matériau alvéolaire très léger en fibre de carbone développé par Du Pont dans les années 1960. Matthias a immédiatement construit une guitare, en gardant sa méthode de laminage mais en remplaçant les bandes de bois par du Nomex. En 1997, j’ai également réalisé ma première double-top avec du carbone en utilisant ce nouveau matériau. Le Nomex semblait idéal pour cet usage car il est très solide et son poids est de 29 kg/m3, c’est-à6
dire dix fois plus léger que le cèdre le plus léger ! De par son excellent rapport résistance/poids : la masse de la table d’harmonie est réduite jusqu’à 40 %, la rigidité nécessaire pour résister à la tension des cordes est conservée, le transfert d’énergie est facilité. Quelle a été l’évolution de vos double-top au cours des vingt dernières années ? G. W. – J’ai aussi fait quelques guitares avec une sorte de mousse appelée Rohacell, utilisée dans l’industrie aérospatiale et automobile mais les résultats n’étaient pas très convaincants : la mousse avait un effet d’amortissement plus élevé que le Nomex et absorbait beaucoup de colle. J’ai fait différentes expériences avec la couche de Nomex elle-même, en changeant la forme et la répartition sur la table. L’un des problèmes que j’ai rencontrés était l’effet d’amortissement de la colle. J’ai fait un test en collant deux morceaux de carton avec différentes colles et je les ai laissés sécher toute la nuit : époxy, polyuréthane, PVA (poly acétate de vinyle) et colle de peau. Le lendemain, j’ai plié les cartons : l’époxy s’est fissurée, le PVA aussi, la colle de peau et le polyuréthane n’ont pas craqué et se sont révélés plus souples que les autres. J’en ai conclu que vous ne pouvez pas
La répartition actuelle du Nomex dans les guitares de Wagner.
“Le Nomex a une flexibilité différente dans le sens de la longueur et de la largeur.”
Gernot Wagner a essayé différentes manières de répartir le Nomex dans les tables d’harmonie de ses guitares.
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utiliser de PVA en raison de sa fragilité et de sa thermoplasticité (il se ramollit avec la chaleur), ni d’époxy en raison de sa fragilité, ni la colle de peau parce qu’elle sèche trop vite. L’utilisation de la colle polyuréthane et le collage sous vide étaient absolument nécessaires. L’étape suivante consistait donc à réduire la quantité de colle. Au début, lorsque la colle était appliquée directement sur le nid d’abeille avec un rouleau, c’était excessif car la colle coulait dans les alvéoles. J’ai donc étalé la colle uniformément avec un rouleau sur un morceau de papier-calque et j’ai soigneusement placé le Nomex sur le papier quelques secondes. La quantité de colle qui s’ajoute finalement au poids de la table n’est que d’environ 4 à 6 g par couche. Le poids total de mes tables avec barrage est d’environ 100 g. Une autre conclusion est que je peux utiliser de l’épicéa ou du cèdre pour la couche extérieure, mais que la meilleure solution pour la couche intérieure est d’utiliser du cèdre parce qu’il est plus léger. Le poids total de mes guitares est d’environ 1,5 kg, mais certains luthiers préparent désormais des couches de bois encore plus fines, de 4 ou 5 mm pour réduire le poids total de la guitare et avoisiner 1 kg. Le Nomex a une flexibilité différente dans le sens de la longueur et de la largeur. Ainsi, vous pouvez soit imiter le caractère anisotrope du bois (plus résistant dans le sens du fil qu’en travers) et l’utiliser de cette façon, soit rigidifier votre table en
Sa fraiseuse CNC (Computer Numerical Control) est d’une aide précieuse pour la préparation des tables.
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Ses contre-éclisses sont larges et composées de plusieurs couches. travers, comme vous pouvez le faire avec votre barrage. Comment réparer une table d’harmonie composite endommagée ? G. W. – Un guitariste espagnol qui jouait sur une de mes guitares a eu un accident typique : un pied de micro a heurté la table d’harmonie. J’ai découpé la partie endommagée et l’ai remplacée par du bois massif. Certains guitaristes ont trouvé les aigus trop courts et un manque de sustain qui rend le vibrato difficile avec les double-top. G. W. – Les aigus ont de toute façon une amplitude plus faible et une durée plus courte que les fréquences basses. Si une seule note est plus courte, cela peut signifier qu’il y a une résonance de la caisse ou un fort couplage (la corde ne dit pas à la
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table d’harmonie ce qu’elle doit faire, mais c’est plutôt l’inverse). Néanmoins, il est difficile d’avoir à la fois plus de volume et plus de sustain. Le meilleur exemple est le banjo : il sonne très fort mais les notes sont courtes. Avec une doubletop, l’auditeur a l’impression d’un sustain plus court mais, en fait, la durée du son est la même, voire plus longue que sur une guitare traditionnelle où le volume initial est plus faible et donne l’impression d’un meilleur sustain. C’est pourquoi j’ai ajouté ces petites pièces aux extrémités de mon barrage, afin d’éliminer les amplitudes extrêmes qui apparaissent assez souvent dans ces zones. Ces petites barrettes augmentent le sustain de la corde de mi aigu, même si cela se fait au détriment du volume. L’ensemble de
Son moule de montage avec les éclisses en place.
Il ajoute des petites pièces aux extrémités du barrage pour augmenter le sustain de la corde de mi aigu. 11
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mon barrage a changé ; maintenant les brins de l’éventail sont presque parallèles aux veines du bois, ce qui favorise la réponse de la table d’harmonie. Un autre détail de ma construction est que je ne mets pas de Nomex sous le chevalet. Je préfère laisser cette zone plus flexible. Comme vous le savez, en général, les luthiers laissent le bord de la table plus fin que le reste. Ce faisant, une plus grande partie de la table est activée, ce qui signifie qu’une masse plus importante doit être mise en mouvement. En laissant les bords plus épais, et donc plus rigides, la masse qui doit être mise en mouvement sera plus petite. Moins de masse, plus de mobilité.
Pour la construction de ses guitares, il utilise beaucoup de machines et d’accessoires réalisés sur mesure.
L’une de ses guitares, avec une rosace d’inspiration Simplicio.
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Dennis avec un « wave guide » dans son atelier de Kiel, au nord de l’Allemagne.
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Dennis Tolz, le successeur Il continue les recherches commencées par Matthias Dammann et Gernot Wagner. Ses guitares sont très légères et leur sonorité est canalisée par un petit tornavoz, baptisé « wave guide ».
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Il a beaucoup étudié et mesuré le comportement de la guitare. Photo et dessin d’une guitare avec les points de mesure. Vous avez appris à faire des guitares d’abord à Newark puis à Markneukirchen, quelle était la différence ? Dennis Tolz – Ce sont des écoles totalement différentes. Vous pouvez aller à Newark sans aucune connaissance préalable de la lutherie, mais pas à Markneukirchen. Là-bas, pour être accepté, vous ne pouvez pas être débutant, vous devez montrer des instruments que vous avez faits, avoir deux ou trois ans d’expérience de travail avec un luthier ou dans une autre école. Pour moi, la combinaison des deux écoles a donc très bien fonctionné. Dans ces deux écoles, nous n’avons pas appris grand-chose sur la fabrication des double-top, mais lorsque j’ai eu l’occasion de jouer sur une guitare de Gernot Wagner, je l’ai vraiment appréciée et je me suis intéressé à ce type de construction. Aujourd’hui, j’utilise une combinaison de techniques de construction : certaines méthodes traditionnelles espagnoles et d’autres modernes,
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par exemple l’utilisation de matériaux composites pour mes tables d’harmonie. Les double-top ont la réputation d’avoir des inconvénients : notes plus courtes, manque de couleurs et de capacité de modulation par rapport à une guitare traditionnelle. Pourquoi s’engager dans cette voie ? D. T. – Mon but est de fabriquer une guitare qui soit suffisamment puissante pour être jouée sur de grandes scènes tout en conservant les qualités d’une guitare de facture traditionnelle. Certaines double-top ont un médium très fort, beaucoup de présence, mais elles manquent d’harmoniques et peuvent sonner de manière un peu agressive. Mais j’ai aussi écouté des double-top fantastiques.
Nomex avec des cellules allongées, disposé dans le sens des fibres du bois.
Les bois de lutherie : une belle palette de couleurs.
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L’intérieur est aussi beau que l’extérieur. Permettez-moi de vous expliquer ma méthode de travail. J’utilise du Nomex avec des cellules allongées, c’est-à-dire plus longues que larges (les cellules normales du Nomex ressemblent à un nid d’abeilles). Le comportement naturel du bois, comme l’épicéa par exemple, est presque dix fois plus rigide dans le sens des fibres qu’en travers, et lorsque vous utilisez un matériau composite, vous modifiez ce rapport. Avec les cellules allongées, lorsque la table est terminée, je suis plus proche du ratio original du bois massif, mais plus léger d’environ 40 g. En variant l’angle des barrettes de l’éventail je peux finir de régler ce rapport. Comme Daniel Friederich, je pense que l’une des mesures importantes pour recréer une guitare est d’obtenir un rapport similaire des flexibilités longitudinale et transversale, ainsi qu’une masse et une rigidité similaires lorsque les tables sont barrées et finies. Mon barrage est réalisé de manière assez traditionnelle avec sept brins en éventail et une barre harmonique inclinée. Je préfère utiliser du Nomex plutôt que du balsa pour mes tables. Pour moi, le Nomex est un matériau très prévisible, le principal problème, c’est la colle. À mon avis, le manque d’harmoniques et de sustain dans certaines guitares double-top est dû à l’effet d’amortissement créé par l’excès de
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Sobriété et finitions parfaites dans cette guitare de 2020.
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colle employé lors du collage des couches. L’un des principaux défis consiste donc à appliquer juste assez de colle entre les couches de la table pour qu’elles ne se décollent pas, tout en utilisant le moins de colle possible. Un autre problème est qu’une table trop légère peut conduire à une impédance plus faible au niveau du chevalet et produire des guitares avec un son assez percussif et un sustain court. Mes double-top sont toujours en cèdre à l’intérieur, car il est plus facile d’en trouver avec une faible densité que pour l’épicéa. Le bois extérieur dépend de ce que le client a commandé. J’essaie toujours de trouver les bois les plus légers, parce qu’ils constituent la masse principale de la table d’harmonie, même si chaque couche n’a qu’un demi-millimètre d’épaisseur.
Pas de filet central dans le joint du fond.
Comment faites-vous le reste de la guitare ? D. T. – La caisse entière est très légère et réactive et fait office de résonateur ; ma guitare complète pèse environ 1,3 kg.
Double bénéfice : élégance et poids réduit.
La tête : une interprétation moderne des formes classiques. 20
La compensation est faite par l’inclinaison du sillet. Je fais des éclisses doublées, de 1,6 mm au total, pour avoir un son plus doux tout en gardant les avantages structurels du laminage. Par exemple, le palissandre brésilien une fois laminé reste vraiment plat et résiste mieux aux fissures. Mes chevalets sont en palissandre indien de faible densité et pèsent environ 16 g. La compensation des cordes au niveau du chevalet se fait en inclinant le sillet plutôt que le chevalet tout entier. Comme il fait partie du barrage et que ce dernier est complètement symétrique, si j’incline le chevalet, je modifie l’ensemble du système. Je ne dis pas que vous ne pouvez pas faire d’excellentes guitares si vous inclinez le chevalet mais, d’un point de vue technique, il est plus logique de n’incliner que l’os.
Mes touches sont en ébène avec de grands inserts en cèdre afin de réduire leur masse. Cela permet d’obtenir un meilleur équilibre entre la masse de la caisse et celle du manche de la guitare. J’ai reçu des conseils de David Russell ; il m’a poussé à travailler beaucoup sur l’amélioration de la jouabilité de mes guitares. J’ai essayé sa guitare Dammann et c’est un instrument fantastique, très facile à jouer. Je suis donc passé à des frettes plus hautes et j’ai modifié la géométrie de mon manche. J’ai déplacé le point bas du creux de la touche vers le sillet, seulement du côté des basses, ce qui m’a permis d’abaisser l’action au niveau du sillet. Par contre, j’ai gardé le côté aigu de la touche assez
Éclisses doublées mais très fines, avec de l’acajou.
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La touche est allégée avec des inserts en cèdre. Système de fixation du manche.
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Barrage fini et « wave guide » en place, la caisse est prête à recevoir le fond. plat ce qui, avec les frettes plus hautes, a amélioré la jouabilité de ma guitare. Quel est le but du petit tornavoz que vous avez baptisé « wave guide » ? D. T. – Avant le wave guide, je n’étais pas satisfait du son de ma sixième corde à vide. La principale résonance de l’air se situait entre le mi et le fa, ce qui se traduisait par une fondamentale assez courte et une corde à vide de mi trop percutante. Pour éviter cela, j’ai voulu déplacer cette résonance vers le ré dièse, car c’est une note moins importante. Pour ce faire, un tornavoz était l’option la plus facile, mais je trouvais que le tornavoz traditionnel en forme de tube réduisait trop l’amplitude du son. J’ai failli abandonner l’idée mais en étudiant la dynamique des fluides, j’ai essayé différentes formes afin de réduire les turbulences et par
conséquent, la perte d’amplitude. Le résultat final est une forme assez complexe qui est visuellement intégrée dans la rosace et qui me permet d’accorder la résonance principale de l’air sur le ré dièse sans perte d’amplitude. Le wave guide devait également être suffisamment petit pour me permettre d’aller à l’intérieur de la guitare avec ma main en cas de réparations ultérieures. Pouvez-vous réparer une table endommagée ? D. T. – Cela dépend. S’il s’agit d’une fissure qui traverse toute la table, je préfère remplacer la table plutôt que de la réparer. Si le dommage ne concerne que la couche externe, je dois pouvoir la réparer.
Le « wave guide » brut de fraisage et une fois fini.
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Bien entendu, ce problème se pose avec les double-top. C’est la raison pour laquelle j’ai changé ma méthode de construction en adoptant un manche boulonné. J’avais l’habitude de construire à la manière espagnole sur une solera, mais le remplacement d’une table cassée était assez compliqué. L’avantage du manche boulonné, c’est que si j’ai une guitare très endommagée, je peux enlever le manche avec la touche et remplacer la table plus facilement. D’après mon expérience, peu importe la méthode de construction que vous utilisez pour l’assemblage tant que toutes les pièces sont bien ajustées les unes avec les autres. De plus, cette méthode me permet d’expérimenter différents manches (types de bois, géométrie) sur la même caisse de guitare.
Les mécaniques de Kris Barnett complètent la modernité de la tête. 24
“J’ai reçu des conseils de David Russell ; il m’a poussé à travailler beaucoup pour améliorer la jouabilité de mes guitares.”
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La Bibliothèque engloutie, œuvre du sculpteur Micha Ullman, dédiée au souvenir des autodafés de livres perpétrés à cet endroit à Berlin en mai 1933.
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Friederike Linscheid et Partenaires dans la vie et à l’atelier, Friederike et Adrian font des guitares avec des tables d’harmonie laminées. Ils utilisent des outils modernes dans leur travail mais sans employer de matériaux composites et en restant exclusivement fidèles au bois. La plupart des machines se trouvent au sous-sol de leur atelier. 28
Adrian Heinzelmann
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Friederike Linscheid Elle a commencé à jouer de la guitare à l’âge de 9 ans et après son diplôme de fin d’études secondaires, elle est entrée à l’école de lutherie de Mittenwald. Aujourd’hui, elle vit et travaille à Berlin. Je connais vos guitares traditionnelles, mais depuis un an, vous fabriquez un nouveau modèle, pourquoi ? Friederike Linscheid – Par curiosité. Je voulais voir si, en faisant des tables d’harmonie laminées, je pouvais gagner en puissance tout en conservant les qualités de mes guitares traditionnelles. J’étais satisfaite de mes guitares, mais comme je cherche toujours à progresser, faire des doubletop représentait un nouveau défi pour moi. 30
La table de son modèle double-top est fraisée à l’aide d’une machine CNC.
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Pour faire la touche surélevée, elle coupe la table d’harmonie au milieu du lobe supérieur et met une cale pour abaisser la partie du côté des cordes aiguës avant de coller le diapason. En 2009, au début de ma vie professionnelle, mon premier contact avec les guitares doubletop a été le travail d’Antonius Müller, mais ma construction d’aujourd’hui est plutôt inspirée par les groove-top d’Adrian. Ma table d’harmonie est une vraie double-top, elle n’a pas de noyau en Nomex ou en balsa, elle est faite avec seulement deux couches de bois. Il y a une couche extérieure légèrement plus épaisse, qui peut être en cèdre ou en épicéa, fraisée avec un motif en forme de cellules à l’aide d’une machine CNC. Cette couche est laminée avec une seconde couche intérieure très fine, toujours en cèdre pour sa légèreté. Le motif est incliné dans un certain angle, pour éviter qu’il soit parallèle aux veines du bois. Cette structure est conçue pour gagner le plus de poids possible, tout en restant très solide et en conservant la même flexibilité longitudinale et transversale qu’une table en bois massif. Si nous ne disposions pas aujourd’hui de ces fraiseuses numériques, il nous serait impossible de réaliser ce type de table. Depuis quelque temps, je fabrique
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donc deux modèles de guitare : le traditionnel, que je développe depuis que j’ai été à Mittenwald, et un autre avec la double-table. À part la table, la construction de mes deux modèles est identique, dans le style espagnol. Ils ont le même barrage, qui est assez traditionnel, avec cinq brins en éventail et une barre sous le chevalet, inspirée de Robert Bouchet, mais plus fine et ondulée. J’aime cette barre car elle me permet de bien contrôler la flexibilité transversale. Je suis assez satisfaite du résultat ; le modèle double-top est un peu plus puissant que le modèle traditionnel, mais il conserve des qualités très proches du modèle traditionnel. D’où vient la forme de vos guitares ? F. L. – Mes guitares sont assez petites ; la forme est un dessin personnel. Je l’avais déjà créée lorsque j’étais à Mittenwald. Comme la table est un peu plus petite que la plupart des guitares
Des éclisses doublées et renforcées avec des barrettes.
Une couche de cèdre et un barrage viennent s’ajouter à la première couche en épicéa (en bas). 33
Le modèle traditionnel et sa rosace avec des petits carrés.
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“J’aime aussi travailler avec des bois européens, comme l’érable.” espagnoles modernes, sa masse est réduite pour favoriser le mouvement. L’objectif est toujours le même : faire une table légère. Je compense la petite plantilla en faisant des éclisses assez profondes, pour garder les basses sombres et la résonance de l’air assez basse, proche du fa. Je fais aussi des éclisses laminées avec de l’acajou à l’intérieur, pour augmenter le sustain, mais elles restent assez fines, environ 2,6 mm au total, (1,6 mm pour le palissandre, 1 mm pour l’acajou) et légères, car j’ajoute souvent des barrettes aux éclisses pour les rendre encore plus rigides. Quels bois utilisez-vous ? F. L. – Toujours dans l’idée de construire une table très légère, j’achète l’épicéa en Suisse, où je trouve la qualité que j’aime. Le cèdre provient de différentes sources. Pour le fond et les éclisses, j’aime le palissandre indien, dont j’apprécie la couleur et la structure, mais j’aime aussi travailler avec d’autres types de palissandre, comme le palissandre de Madagascar ou des bois européens comme l’érable. Pour les manches, j’utilise de l’acajou. Quels sont les autres détails de vos guitares ? F. L. – Je propose mes guitares avec une rosace traditionnelle ou avec un design plus moderne. Pour le modèle traditionnel, je fais une rosace avec des petits carrés en combinant différents bois. La rosace moderne, quant à elle, s’inspire des vieilles guitares allemandes de Markneukirchen, comme celles de Weissgerber : plutôt simple, mais très élégante. La rosace moderne est en fait ma première rosace et j’en ai fait plusieurs versions. 36
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Photos © Bastien Burlot (3)
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Le modèle moderne et sa rosace inspirée des vieilles guitares allemandes de Markneukirchen.
Pour compenser la longueur des cordes, je n’incline pas le chevalet, mais seulement le sillet, comme le fait Adrian. Le cordier du chevalet a une forme inhabituelle, principalement pour des raisons esthétiques, mais cela permet aussi d’obtenir une rigidité plus uniforme. Je fais également deux versions de la tête et j’essaie toujours de créer un ensemble homogène dans l’esthétique de la guitare. Un détail intéressant est la façon dont je fais la touche surélevée : je coupe la table d’harmonie au milieu du lobe supérieur et je mets une cale pour abaisser la partie du côté des aigus. Le résultat est une touche surélevée d’un seul côté, là où c’est nécessaire pour faciliter l’accès aux dernières frettes. En fait, ce que j’essaie de réaliser, c’est un mélange de tradition et de modernité.
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Le barrage en treillis de cèdre est collé sur une première couche fraisée avec des sillons.
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Adrian Heinzelmann Il a appris la lutherie à Mittenwald puis à Markneukirchen. Après avoir suivi un stage avec Gernot Wagner et assisté à des concerts avec des guitares d’Antonius Müller et de Matthias Dammann, il a développé son propre modèle de guitare groove-top. Quelle est votre manière de faire les tables d’harmonie ? Adrian Heinzelmann – Mon interprétation contemporaine des tables d’harmonie en double-top et en lattice est un mélange des deux méthodes. Ma table a une structure rainurée particulière, réalisée avec une fraiseuse CNC. Cette structure est ouverte vers l’intérieur de la guitare et n’est pas fermée avec une deuxième couche comme dans la construction des double-top : au
lieu de ça, je colle un barrage en treillis de cèdre très léger. Les rainures ont pour but d’alléger la table d’harmonie et le barrage lui apporte la rigidité nécessaire. De cette façon, je n’ai qu’une petite surface de collage pour minimiser l’effet d’amortissement de la colle. Je pratique cette construction de table à rainures depuis 2014 et je l’ai développée depuis lors. Mes tables sont beaucoup plus légères qu’une table traditionnelle et, comme je peux contrôler la rigidité en façonnant le barrage, j’ai les mêmes propriétés de flexibilité qu’une table massive. D’autres détails dans votre construction ? A. H. – Le côté des aigus du barrage est légèrement plus fin, parce que j’ai trouvé que l’asymétrie était meilleure pour le son. Le barrage en treillis est également une bonne protection contre les éventuelles fissures de la table. Et, comme la structure est ouverte vers l’intérieur et que tout est en bois, je n’aurai pas de problème pour réparer la guitare si elle a un accident et que la table est endommagée. Elle sera plus facile à réparer qu’une double-top en Nomex. Mes doubles éclisses sont en acajou à l’intérieur. Au début, elles étaient comme celles de Daniel Friederich, de plus ou moins 2 mm de bois chaque couche ; maintenant j’essaie de les affi41
La colle est appliquée au rouleau sur une seule face.
“Le poids de mes guitares diminue : elles approchent maintenant 1,5 kg.” ner à des épaisseurs variant entre 1,2 et 0,8 mm chacune pour obtenir un son plus chaud et plus profond. Après de nombreuses mesures et expériences, j’ai compris que les éclisses avaient une grande influence sur la sonorité. La résonance de l’air de mes guitares se situait autour du sol, elle se situe maintenant entre le fa et le fa dièse. Le poids de mes guitares diminue : elles pesaient environ 1,7 kg et elles approchent maintenant 1,5 kg. Mais cela dépend des bois : même en les affinant, mes fonds en cocobolo par exemple, pèsent 100 g de plus que ceux en palissandre indien. Le son que vous aimez ? A. H. – Lorsque j’étais à Mittenwald, un collectionneur avait apporté trois guitares pour nous donner la possibilité de les étudier et éventuellement d’en faire des copies : une Fleta de 2009, une Friederich récente et une Simplicio de 1931. Pour moi, la Simplicio a été la guitare la plus inspirante ; je l’ai vraiment aimée d’emblée. J’en ai fait une copie avec mes camarades de classe et c’était la première fois que je faisais une rosace. Les mosaïques demandent beaucoup de travail, mais j’aime ça. Je peux dire que ma rosace et ma fileterie sont inspirées de Francisco Simplicio. Sur commande, je fais la touche surélevée, mais visuellement je préfère sans. C’est probablement plus confortable pour le musicien et je ne pense pas que cela change le son. 42
Quels sont les bois avec lesquels vous aimez travailler ? A. H. – Le bois n’est jamais le même, c’est pourquoi j’essaie de choisir des planches très similaires en utilisant des mesures physiques modernes : en enregistrant et en évaluant différents spectres sonores. Cela peut se faire à l’aide d’un marteau à impulsion, d’un microphone de mesure linéaire et d’un logiciel d’analyse de spectre. Je mesure également la densité des planches et je n’utilise que des bois légers. Ces mesures me permettent d’obtenir des informations sur les propriétés acoustiques, la rigidité et l’amortissement, afin de contrôler le son de la guitare. Les fonds sont jointés sans filet central, de sorte qu’ils donnent l’impression d’avoir été faits avec un seul morceau de bois. J’utilise principalement du palissandre indien, mais je propose également d’autres bois sur demande. Le design de la tête est similaire à un modèle de Simplicio qu’il utilisait dans certaines de ses guitares. Je compense la longueur des cordes en inclinant seulement le sillet, pas le chevalet complet. La table peut être en épicéa ou en cèdre, toujours vernie au tampon mais pour la caisse et le manche, je propose également un vernis polyuréthane aux guitaristes professionnels qui utilisent leurs instruments de manière intensive, car il est plus résistant. J’ai l’impression que, du moins dans la construction de mes guitares, il y a des « seuils » : lorsque
Les rainures allègent la table d’harmonie et le barrage en « lattice » lui ajoute la rigidité nécessaire.
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j’ai réduit les éclisses de 4 à 3 mm par exemple, il n’y a pratiquement pas eu de changement, mais lorsque je suis passé à 2 mm, tout a changé et s’est amélioré. J’ai également constaté les mêmes seuils sur d’autres pièces, comme le poids du chevalet. Un dernier détail : avec Friederike Linscheid, ma partenaire de travail et de vie, nous sommes membres du groupe Berlin Luthiers. L’un d’entre eux, Kris Barnett, fabrique les excellentes mécaniques que nous utilisons pour nos guitares.
KRIS BARNETT Après avoir commencé à faire des guitares en 2004 à Atlanta (ÉtatsUnis), Kris Barnett s’est installé avec sa femme à Berlin en 2014. Kris fait partie des Berlin Luthiers, un groupe de luthiers spécialisés dans les guitares classiques de qualité. Mais surtout, en plus de son travail de luthier, il réalise d’excellentes mécaniques pour guitares classiques. Il propose actuellement quatre modèles : Square Plate, Landstorfer, Trinity et Simplicio.
Le fond est jointé sans le filet central pour donner l’impression d’avoir été fait avec une seule planche. 45
« Ma rosace et ma fileterie sont inspirées de Francisco Simplicio. »
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Lui aussi compense la longueur des cordes en inclinant seulement le sillet, pas le chevalet complet.
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Stefan Nitschke, fidèle à la tradition espagnole Il a la double casquette de guitariste et de luthier. Comme guitariste, il a été formé dans les conservatoires d’Osnabrück et de Darmstadt et comme luthier, il a perfectionné son travail avec Gerhard Oldiges. Stefan Nitschke – À l’âge de 11 ans, en écoutant Julian Bream, j’ai décidé que la guitare serait mon instrument et en 2002, je suis rentré au conservatoire d’Osnabrück. Mon professeur, Ulrich Müller, qui avait appris à faire des guitares avec Antonio Marín, m’a non seulement aidé à améliorer mon jeu, mais il m’a aussi encouragé à faire mon premier instrument. J’ai donc fait quelques guitares avec lui, en travaillant très simplement avec quelques outils, la plupart du temps sur la mo49
Collage des barres sur un fond en érable.
Ses premières guitares étaient faites sur la moquette de sa chambre d’étudiant. quette de ma chambre d’étudiant. Les résultats n’étaient pas très satisfaisants mais j’ai aimé ce travail. En 2004, j’ai poursuivi mes études de guitare à l’Akademie für Tonkunst de Darmstadt avec Olaf van Gonnissen. À cette époque, nous avons déménagé à Marburg et comme je continuais à construire des guitares, je les ai montrées à Gerhard Oldiges qui vivait dans la même région. C’était pour moi le premier contact avec un luthier de haut niveau et j’étais fier qu’il accepte de m’aider à améwwliorer ma technique de construction. Je me suis rendu compte plus tard que Gerhard m’avait donné le même enseignement que celui que Romanillos et lui donnaient dans leurs célèbres stages. C’était fantastique ! Donc, comme Gerhard Oldiges, vous avez eu trois influences principales : Torres, Romanillos et Hauser. S. N. – Oui, au début je construisais dans le style Romanillos, selon son plan et avec l’aide et les conseils de Gerhard. Plus tard, je me suis davantage tourné vers le style Hauser.
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En tant que guitariste, j’ai testé toutes les guitares que je pouvais trouver et j’ai cherché ma voie. C’est ainsi que j’ai découvert ma passion pour le son des grands luthiers et des guitares espagnoles. En 2009, j’ai terminé mes études de guitare et j’ai réussi mon examen de sortie. Dans ce milieu, de nombreux guitaristes recherchaient des guitares puissantes. Pour obtenir cette qualité dans mes propres instruments, j’ai fait quelques guitares avec un barrage en treillis en utilisant du bois de balsa et de la fibre de carbone. Cependant, le son qui m’avait fasciné chez les anciens maîtres me manquait. J’ai donc décidé de revenir à la lutherie traditionnelle. Parlez-moi de vos modèles d’aujourd’hui. S. N. – Mon modèle principal, qui s’inspire surtout de Hauser, a une épaisseur de table d’environ 2,9 mm, il est très équilibré avec des basses profondes et des aigus chantants. Le modèle Torres a une table d’harmonie d’environ 1,8 mm d’épaisseur. Il produit un son plus explosif et un peu plus « à l’ancienne ».
Éventail de style Torres, avec sept brins et deux barres en V.
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Comme mes racines se trouvent dans le style Romanillos, en particulier dans l’esthétique et la rosace, j’ai décidé à un moment donné de construire un modèle inspiré de Romanillos. Il y a quelques années, j’ai commencé à construire également un modèle Santos, avec un éventail plus parallèle, sans barres de fermeture et avec une table fine. Santos est intéressant, car lorsque vous voyez les différents barrages qu’il a utilisés avec succès, vous pouvez vous demander : le modèle de barrage est-il si important ? Une chose que j’aime faire, c’est la décoration et les rosaces. C’est un travail qui prend beaucoup de temps mais j’aime assortir les couleurs des filets et des rosaces. Avez-vous un modèle Nitschke ? S. N. – J’ai le sentiment que si je construis un modèle Santos, Hauser ou Torres, le résultat
Son modèle principal est celui inspiré de Hauser.
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Un beau palissandre de Rio découpé en tranches de 3 mm.
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Il aime assortir les bois, les couleurs et les motifs de ses rosaces.
“J’adore le bois. C’est en achetant du bois que je dépense le plus d’argent !” est toujours un Nitschke ! J’essaie de capter leur son, et comme Gerhard Oldiges me l’a dit : « Soyez confiant et fidèle à vos idées et les résultats seront meilleurs. » En tant que luthier, je préfère donc suivre ma voie, assurément celle de la tradition espagnole. J’ai déjà fait environ deux cents guitares, en améliorant toujours de petits éléments pour me rapprocher du son que j’ai en tête. Mon modèle doit avoir l’équilibre et le sustain de Hauser et le son spontané des maîtres espagnols. Ensuite, je dois réfléchir à ce qu’il faut faire pour combiner le meilleur des deux : une table plus fine avec des barrettes plus rigides ? un éventail de sept brins avec des barrettes en V ? Je continue à donner des concerts et à enseigner la guitare à l’université de Giessen, de sorte que la boucle de l’inspiration ne s’arrête jamais. Construisez-vous à la manière espagnole ? S. N. – Oui, tout à fait. Je construis la guitare dans une solera, en commençant par la table
et le manche, et mon barrage est un éventail typique de sept brins. Un détail de ma construction est que je ne sors jamais la guitare de la solera avant que le fond ne soit collé et terminé. Je me sens mieux ainsi. De plus, mes renforts d’éclisse sont larges pour avoir plus de surface de collage et je mets deux petites bandes d’ébène à l’intérieur du manche. Qu’en est-il des bois ? S. N. – J’adore le bois. Ces dernières années, c’est en achetant du bois que j’ai dépensé le plus d’argent. Une fois par an, je me rends en Autriche pour acheter des tables en épicéa. Pour des raisons esthétiques et sonores, j’aime les tables avec des « griffes d’ours » à condition qu’elles ne soient pas trop lourdes et j’ai eu la chance de trouver un stock de vieux épicéas avec ces « griffes d’ours ». Je double les éclisses. Elles ne sont pas épaisses, autour de 2 mm au total pour le modèle Hauser et 1,6 mm pour le Torres. C’est plus rigide mais
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pas plus lourd qu’une éclisse simple, j’obtiens plus de sustain et cela évite les déformations qui peuvent apparaître lors du cintrage du palissandre brésilien. Lorsque j’utilise du palissandre brésilien, je double les éclisses avec un placage de palissandre brésilien ou indien ; lorsque j’utilise de l’érable ondé à l’extérieur, j’utilise également un placage d’érable à l’intérieur. Je ne veux pas que les éclisses soient d’une couleur différente à l’intérieur de la guitare. Un dernier mot ? S. N. – Aujourd’hui, je partage mon temps entre la lutherie et l’enseignement de la guitare, un jour et demi par semaine à l’université de Giessen. Ma motivation pour la lutherie, depuis la sélection des bois jusqu’au vernissage final, est toujours aussi forte. J’aime mon travail.
Son modèle Romanillos est fidèle au grand luthier espagnol.
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Francfort est la capitale financière de l’Allemagne, siège de la Bundesbank et de la Banque centrale européenne.
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Lisa Weinzierl la jeune Elle a appris la lutherie de guitare à Mittenwald, a travaillé en France sur les guitares romantiques et en Angleterre sur des violons, pour finalement
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prodige revenir en Bavière. Son talent et la richesse de sa formation la situent parmi les futures étoiles de la lutherie allemande.
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Ses fonds portent une quatrième barre de renfort. D’où vient votre intérêt pour la lutherie ? Lisa Weinzierl – J’ai grandi dans une famille de musiciens et j’ai toujours été entourée d’instruments de musique. Dans mon enfance, j’ai commencé à jouer de la cithare, un instrument traditionnel bavarois. À 14 ans, j’ai commencé à chercher des cithares anciennes et d’autres instruments en ligne et j’en ai acheté quelques-uns qui avaient besoin de petites réparations. Cela a éveillé ma curiosité pour le métier, l’histoire associée à chaque instrument et la diversité des sons, et c’est ainsi qu’est née ma passion pour la fabrication d’instruments. À l’âge de 16 ans, je me suis inscrite à l’école de lutherie de Mittenwald, où j’ai eu l’occasion d’apprendre le métier depuis le début. Au cours de ces trois années, je me suis passionnée pour les guitares classiques, ce qui m’a orienté dans ce sens. Après mon diplôme, j’ai eu l’occasion de travailler aux côtés de Christopher Schuetz en France où j’ai été initiée au monde des guitares romantiques françaises. À mon retour en Allemagne, j’ai commencé à échanger avec des luthiers reconnus comme Gert Esmyol, Gernot Wagner, Solveig et Andreas Kirschner. Ensuite, j’ai travaillé pendant deux ans 62
chez Siccas Guitars, le marchand basé à Karlsruhe, où j’étais chargée de la réparation et l’entretien de leur stock de guitares. Siccas était le meilleur endroit pour étudier les guitares et j’étais vraiment heureuse parce que j’ai eu l’occasion de voir des instruments faits par les grands maîtres et de nombreux grands luthiers contemporains. Avant d’installer mon atelier en Bavière, j’ai commencé à travailler comme luthier en violon dans la célèbre maison W. E. Hill & Sons à Londres. Là, j’ai eu le privilège d’examiner de près d’extraordinaires instruments à cordes frottées qui ont ensuite influencé mon processus de fabrication de guitares. Et quand avez-vous fabriqué votre première guitare ? L. W. – C’était à Mittenwald, à l’école de lutherie, pour ma mère et pour quelques amis, mais j’ai vraiment commencé à en faire avec mon étiquette à l’intérieur lorsque j’étais chez Siccas. Plus tard, j’ai fabriqué des guitares à Londres et parallèlement ici, en Bavière. En ce moment, je termine la numéro 64. Avez-vous été influencé par d’autres luthiers ? L. W. – Bien sûr. Je ne peux pourtant pas dire que
Le talon sera fini avec un « bouton » rond, comme le font les luthiers de violon. mon inspiration vienne d’un seul luthier. J’aime le travail de nombreux luthiers de renom : Enrique García, Santos Hernández, Daniel Friederich, Fritz Ober… J’aime aussi les échanges que j’aie avec mes
collègues luthiers aujourd’hui. Nous nous rencontrons fréquemment lors de festivals, nous nous parlons au téléphone, nous partageons de précieux conseils et nous échangeons des idées. Mes guitares sont faites selon la méthode traditionnelle espagnole. Mes rosaces sont inspirées de certains luthiers français et espagnols tels que Robert Bouchet et José Luis Romanillos. Le motif de la mosaïque de mes rosaces reste constant, mais j’introduis souvent de subtiles variations de forme, de couleur et de bois pour chaque instrument. Le design de la tête est une variante moderne de celle de Manuel Ramírez. En outre, je monte la tête avec un joint en V dans la tradition allemande. Cela demande plus de travail, mais j’ai l’habitude de le faire. Un détail moins évident est le pied à l’intérieur de la guitare, inspiré d’une Manuel Velázquez de 1955. Travailler avec des luthiers de violon a eu une influence considérable sur mon travail car ils ont une approche différente à la fois de l’esthétique et
Son barrage est un éventail symétrique à sept brins, plus deux barres de fermeture. 63
guitares anciennes, où les fonds sont souvent affaissés au niveau du lobe inférieur, j’ai choisi de coller une quatrième barre à cet endroit. Le poids de mes guitares est d’environ 1,3 à 1,4 kg, seComment est votre barrage ? lon le bois. Dans la fabriL. W. – Après avoir observé de cation des guitares, je nombreuses guitares avec diffépense qu’il faut être rents systèmes de barrage, j’ai très humble et adopté pour une approche traditionLisa dans son atelier de mettre qu’il y a des nelle. Mon barrage est basé sur Irschenberg, en Bavière. choses que l’on ne un éventail symétrique de sept comprend pas. Je ne peux pas toubarrettes avec des barres de fermeture. Parfois, jours expliquer pourquoi je fais cerj’ajoute un petit renfort sous le chevalet ou je crée taines choses. Je suis mon intuition. une asymétrie en modifiant certaines barrettes. La plaque sous la rosace a une épaisseur d’environ Quelques détails modernes ? 1,2 mm au bord de la bouche et se réduit à presque L. W. – Je fais une touche légèrement surien au bord extérieur. Cette forme diminue le risque rélevée parce que je pense que c’est plus de fissures et rigidifie le bord de la rosace. Les confortable pour le musicien. J’ajoute égapeones sont collés très près les uns des autres. lement une vingtième frette. Mes guitares En me basant sur ce que j’ai observé sur certaines
de la sonorité. Un détail que j’ai incorporé dans mes guitares en érable est le « bouton » rond du talon (le capuchon du talon) avec ses beaux chanfreins.
Ses éclisses sont doublées et la tête est d’inspiration Manuel Ramírez. 64
Elle sélectionne personnellement tous les bois qu’elle utilise en voyageant à travers l’Europe.
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Elle introduit souvent de subtiles variations dans le motif des rosaces.
Je vois une influence du violon également dans le choix des bois. L. W. – La qualité du bois est plus élevée en lutherie de violon qu’en guitare. Très souvent, le bois disponible pour les guitares ne serait pas assez bon pour les violoncelles. Lorsque je choisis du bois, je regarde davantage dans le stock de violoncelles. Bien sûr, le prix n’est pas le même… J’ai eu la chance de trouver d’excellents érables. Je sélectionne personnellement tous les bois que j’utilise en voyageant en Autriche, en Italie, en Suisse, en Roumanie ou en Espagne. J’utilise du cèdre ou de l’épicéa pour les tables d’harmonie et j’ajuste l’épaisseur des planches et le barrage en fonction des caractéristiques du bois. Lors de mon passage dans l’atelier de lutherie de Londres, je me suis naturellement orientée vers la fabrication de guitares en érable du fait de la présence constante de ce bois. Le vernissage a une grande importance dans la lutherie de violon. Il faut beaucoup de temps pour préparer le bois avant d’appliquer la première couche de vernis. Ces méthodes donnent au bois une profondeur et une beauté remarquables. J’essaie de combiner cette approche avec le vernis au tampon classique.
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Photos: Max Kirchbauer & Alberto Martinez
sont construites avec des doubles éclisses, un sandwich mince fait avec le même type de bois, érable avec érable, palissandre avec palissandre (ou acajou teinté). Un réglage parfait est primordial, c’est pourquoi je consacre beaucoup de temps à cette étape.
« Je ne peux pas toujours expliquer pourquoi je fais certaines choses. Je suis mon intuition. »
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À quelques kilomètres de l’atelier de Lisa Weinzierl, l’église du village de Wilparting, l’un des plus anciens lieux de culte chrétien de Bavière. 69
Paris, décembre 2023 Site internet : www.orfeomagazine.fr Contact : orfeo@orfeomagazine.fr