Politique l Or Norme #44

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№ 4 4 MA RS 202 2 POLITIQUE

L E M AG A ZI N E D ’ UN AU T R E R EG A R D S U R ST R AS BO U RG b GRANDS ENTRETIENS

S ACTUALITÉ

a CULTURE

c TAB L E RONDE

ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE La mère de toutes les élections, disent-ils… Page 6

MÉTAVERS L’envers du décor de ce nouvel univers. Page 26

OPÉRA NATIONAL DU RHIN L’invitation au voyage du Festival Arsmondo Tsigane Page 76

ATTRACTIVITÉ Strasbourg doit-elle être plus attentive à son attractivité, son rayonnement et son image ? Page 96

POLITIQUE

Présidentielle 2022 Ce qu’ils en pensent : Emmanuel Marcel Jérôme Todd Gauchet Fourquet


a

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É DI T O

POLITIQUE Par Patrick Adler, directeur de publication

«Pour parler de la guerre, il n’y a que des larmes. »

ER N GU E T U N F E S ’ E S B OA , T È O U N P Q U E TA L I I nne H E N R s e b ré s i l i e s Po éte 9 8 5 ) 1 (1 9 01 -

l’heure où nous allions commencer le bouclage de ce numéro 44 d’Or Norme, les troupes Russes pénétraient sur le sol Ukrainien pour le début de leur offensive meurtrière.

À

majeures sur la géopolitique européenne et sur notre vie quotidienne...

Voilà pourquoi, en plus d’un dessin de presse remarquable de JAK que vous retrouverez en page 122, nous avons souNotre magazine, trimestriel, n’a évidem- haité que cette petite mésange au corps ment pas vocation à suivre l’actualité jaune et aux plumes bleues, couleurs de quotidienne, et notre important dossier l’Ukraine, vous accompagne, tout au long consacré à l’élection présidentielle en de votre lecture de notre magazine. France, avec trois grands entretiens exceptionnels que nous ont accordés Emmanuel À travers sa présence, nous manifestons Todd, Marcel Gauchet et Jérôme Fourquet, notre solidarité avec un peuple déjà lourdement éprouvé par cette guerre, toujours était bien sûr déjà bouclé. terrible avec les plus faibles, et qui n’ont Pourtant, nous tenions absolument « que les larmes » pour en parler. à témoigner, à la fois de notre émotion et de notre solidarité avec le Elle se veut être également l’image de notre peuple Ukrainien, mais également de conscience, omniprésente aujourd’hui, la conscience que nous avons que ce mais pour combien de temps, que nous conflit-là, aux frontières Est de notre devions dire et agir au quotidien, pour continent, aura des répercussions refuser la fatalité de subir la loi du plus №44 — Mars 2022 — Politique

RE

fort, du plus tyrannique, du plus fou... Au moment même où je rédige cet éditorial, le président Macron, qui vient de s’entretenir longuement avec Poutine ce 3 mars 2022, déclare que selon lui « le pire est à venir », face à la détermination du dirigeant Russe à faire plier l’Ukraine. Pourtant, aux moments les plus sombres d’une guerre, il faut toujours maintenir notre capacité à percevoir la lueur qui vacille déjà au bout du tunnel : peut-être, sans doute, naît-elle déjà au sein du peuple russe lui-même, conscient, lui aussi, des énormes mensonges de celui qu’il faut bien appeler aujourd’hui son dictateur, et qui ose parler de « dénazification » d’un pays démocratique dont le président est de plus, de confession juive. Les tyrans n’ont pas de limites... nous l’avions peut-être oublié. 3


SOMMAIRE M ARS 202 2

6-25

b Grands entretiens « C’est comme si, dans le paysage politique, tout le monde, à un certain niveau, avait sombré dans le populisme... »

a Culture

Emmanuel Todd (↑) 8 Marcel Gauchet 14 Jérôme Fourquet 20 S Actualités 26 Le réel et son double Métavers : l’envers du décor 34 La crème de la crème Les start-up à suivre en 2022 40 Cours de récré C’est quoi le genre ? 44 RSE L’union fait l’agilité 48 Quartier des deux rives Cap COOP ! 52 Robotrad Traducteur : un métier malmené 54 Farès Nahlawi Écrire son propre scénario de vie

96 Table ronde L’attractivité de Strasbourg 108 Il est 7h... Le Wacken... s’éveille 112 Foot d’ailleurs Bienvenue au Strasbourg Gaels (↓) 114 Chronique Moi, Jaja… On stage 118 Le parti-pris de Thierry Jobard Coachemar 122 Regard Jak Krok’ l’actu

58 Fondation Beyeler Georgia on your mind 62 Atelier de gravure Infinies nuances en noir et blanc 66 Grand écran Le trimestre au cinéma, le vrai 72 Une hormone qui nous veut du bien Ocytocine mon amour 76 Opéra National du Rhin Festival Arsmondo (↑) 80 Arsmondo Tsigane Les photos de Jeannette Grégori 84 Porfolio Jeannette Grégori 132 Sélection Livres, musique 140 Hommage Brice Bauer. Alain Lafont

E Société 124 Fondeurs de cloches Autant d’âmes qui résonnent... (↑) 126 Jouer avec le vin Tous les adultes ont été des enfants 128 Un voyage vers la capitale Deux Africaines, une Anglaise et des Chinois ! 130 Événement Or Norme

Q Or Champ 142 Jean Sibilia Crise COVID-19 optimisme et prudence !

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№44 — Mars 2022 — Politique




c D O S S I E R – ÉL ECTION P RÉSIDENT I ELLE

La mère de toutes les élections, disent-ils… Comment aborder dans Or Norme la question des prochaines élections présidentielles qui va mobiliser le pays d’ici la fin du printemps prochain ? C’est le débat qui a traversé la rédaction ces dernières semaines. Certes, la politique dans sa version « politicienne » – cet adjectif bien utile pour signifier la platitude au ras des pâquerettes qui tranche tant avec « la plus haute des disciplines », comme le pensait Aristote – ne nous a jamais intéressés. Alors, aller recueillir les paroles des représentants locaux des candidats à la présidence de la République avec l’inévitable litanie des catéchismes bien régurgités, non merci… ous avons donc profité de notre proximité avec les grands penseurs et essayistes du pays pour monter trois grands entretiens, un format où chacun d’entre eux a pu s’exprimer en prenant ses aises (loin de la tyrannie du bon mot polémique en deux minutes, le topchrono désormais usuel des plateaux des télés en continu…).

n’afficher aucun militantisme pour tel ou tel candidat en particulier, mais aussi celui de se baser sur des grilles d’analyse qu’ils ont tous pratiquées et re-pratiquées depuis très longtemps, seuls gages de cette crédibilité indispensable pour cet exercice qui consiste à confronter l’état profond d’un pays d’une part, et l’évolution de son opinion d’autre part.

C’est ainsi que nous sommes plutôt fiers d’être parvenus à vous présenter les analyses de l’anthropologue et prospectiviste Emmanuel Todd, du philosophe et historien Marcel Gauchet et du directeur du service « Opinion » de l’IFOP, le plus ancien des instituts de sondage français, Jérôme Fourquet.

Vous le lirez dans les pages qui suivent, tous considèrent avec une stupéfaction plus ou moins avouée à quel point les lignes de force de notre société ont été ébranlées, et sans doute depuis bien plus longtemps que lors du seul repère de l’élection de 2017. Marcel Gauchet le résume ainsi dans son dernier ouvrage La droite et la gauche : histoire et destin (Éd. Gallimard) : « À l’arrivée, le résultat de ces voies qui divergent est une cacophonie dont on ne voit pas comment surmonter la confusion ».

N

Même si une grosse génération les sépare (Marcel Gauchet a 76 ans, Emmanuel Todd, 71 ans et Jérôme Fourquet, 49 ans) tous trois ont comme point commun de

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Même vénérable et en mauvais état, notre système électoral reste pour l’heure solidement campé sur son socle institutionnel reconnu et admis par la quasi-totalité des politiques : l’élection du président de la République au suffrage universel, base et pilier de la V e République voulue par et pour son géniteur, le général de Gaulle. « La mère de toutes les élections », disent-ils à l’unisson… C’est à ce rendez-vous majeur que tous les électeurs sont conviés les 10 et 24 avril prochains. Notre rôle était donc de mettre en lumière le « décor » national dans lequel cette élection va se dérouler et offrir son aboutissement, et dans lequel aussi tous les spectateurs peuvent être des acteurs de premier plan, par un bulletin, si le rendez-vous quinquennal séduit encore. Ou sans, s’il ne séduit plus… c Jean-Luc Fournier c D OS SI ER – Élection présidentielle

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b GR AN D EN T R ET I E N P RÉ SI DE NTI E LLE 2 02 2 Thierry Jobard

Bénédicte Roscot

Emmanuel Todd « C’est comme si, dans le paysage politique, tout le monde, à un certain niveau, avait sombré dans le populisme... » Emmanuel Todd, historien et démographe, a ceci de propre à lui que, quel que soit le sujet abordé, il parvient à apporter un éclairage particulier, différent, pertinent. Mais également déstabilisant. Cela tient en partie à l’échelle qu’il adopte dans sa réflexion, celle de la longue durée, et en partie aussi à son originalité propre. Avant de l’interroger, il nous a fallu nous livrer à un exercice hautement risqué concernant un auteur : relire ses livres plus anciens. Combien de projections, combien de prophéties, si fièrement énoncées par des Grands Auteurs inspirés ne recueillent-elles plus aujourd’hui qu’un sourire condescendant ou un sarcasme ? Ce n’est pas le cas pour Emmanuel Todd. Au contraire, nombre de ses analyses se sont vues vérifiées et confirmées avec le temps. Bien peu peuvent en dire autant, à l’heure où s’accumulent sans fin ces petits essais si vite écrits et si vite oubliés. « Tiens, je devrais faire prophète comme métier ! » déclarera-t-il, avec ce petit sourire en coin qu’il a souvent. Une façon de montrer qu’il ne se prend pas au sérieux ; c’est une forme d’élégance… En pensant à lui nous vient souvent cette phrase de René Char : « Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience ». Alors nous n’avons pas voulu perdre, en retranscrivant cette interview par écrit, le ton qui est le sien et ces idées qui lui viennent en permanence, trait typique de sa conversation. Ni alourdir par des « (Rires) » une conversation qui en fût emplie, à vous de les entendre entre les mots. Quant aux forcenés du premier degré, ils sont charitablement avertis qu’ils ne trouveront ici que miroirs et chausse-trappes… Entretien réalisé le 10 février 2022. №44 — Mars 2022 — Politique

b GRA ND ENTRETI EN — Emmanuel Todd

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Dans Après la démocratie (2008), vous aviez écrit en conclusion du livre : « Le véritable drame, pour la démocratie, ne réside pas tant dans l’opposition de l’élite et de la masse, que dans la lucidité de la masse et l’aveuglement de l’élite ». Constat complété en 2020 dans la lutte des classes en France au XXIe siècle : « Le monde d’en haut est idiot et peu moral ». Alors que nous approchons de l’élection présidentielle, voilà qui incite peu à se déplacer dans les bureaux de vote, non ?

J’évolue désormais vers l’idée que l’élite a pour une part réussi à convertir les masses à son aveuglement, par phénomène de capillarité descendante. J’ai d’ailleurs maintenant un nouveau modèle, développé pas à pas. Partons du début : les élites font l’euro, elles bâtissent des contraintes sur la politique économique de la France qui la rend incapable de protéger son industrie. Au bout de vingt ans de ces erreurs, l’industrie française est en grande partie détruite, ce qu’on a pu constater au moment de la crise du Covid, où l’on a vu tout ce qu’on n’était plus capable de fabriquer. Cette destruction de l’industrie s’accompagne d’une baisse du niveau de vie, les plus fragiles passant en dessous de la ligne de flottaison, par exemple les Gilets Jaunes. Les candidats aux Présidentielles nous parlent d’immigration, d’insécurité… Ils nous parlent de valeurs. Pour moi, dès que quelqu’un parle de valeurs c’est qu’il n’en a pas ou qu’il a quelque chose à cacher. Si tu as des valeurs, tu n’en parles pas, tu les vis. Ils parlent de tout ça alors que les nouvelles du jour ce sont l’inflation, le plus haut déficit commercial que la France ait jamais enregistré, environ 85 milliards d’euros, et des pénuries incessantes sur le papier, le bois, l’alimentation… Tout cela est un produit de la stupidité des élites. Les Français savent qu’ils sont français, les élites françaises ne savent plus qu’elles sont françaises. Elles le sont pourtant, elles font rire dans le monde, donc elles existent. Mais le gros de la population est moins déconnecté de la réalité que les partis politiques. Sa principale préoccupation, c’est le pouvoir d’achat. Mais le pouvoir d’achat c’est la consommation, pas la production. Et tout se passe comme si les gens avaient perdu de vue qu’avant la consommation il y a la production et la transformation de la matière. Comme si les gens ordinaires avaient rejoint les élites dans une forme d’aveuglement. 10

« On peut refuser l’évidence, on peut refuser la guerre économique, mais, à un moment, l’atterrissage sera rude. » Il y a également, selon vous, le rôle fondamental qu’a joué l’euro depuis son instauration…

L’euro était une offensive stratégique contre les milieux populaires. Il s’agissait de transformer les Français, d’en faire des gens disciplinés, des travailleurs, des Allemands, du moins la représentation qu’avaient les élites françaises des Allemands. L’euro était donc un instrument de discipline fait pour obliger l’industrie française à monter en gamme, pour éliminer les canards boiteux par le biais d’une monnaie forte. La monnaie forte on l’a, mais elle a éliminé non seulement les canards boiteux, et encore… mais aussi une bonne partie de canards en pleine santé puisqu’on ne pouvait plus ajuster le coût du travail français par une dévaluation. Mais l’euro a eu un autre effet que la destruction de l’industrie en France, en devenant lui aussi une sorte de grand canard boiteux monétaire. Ce n’est plus une monnaie qui sert la vie économique, mais un malade qu’il faut sauver. C’est tout à fait autre chose. Avant l’euro, les gouvernements français devaient gérer des crises de change, mais cela obligeait à équilibrer les comptes et, surtout, cela rappelait qu’il fallait produire. Produire pour exporter et importer. Libéré de la contrainte de change, on peut creuser le déficit commercial sans que la monnaie bouge, emprunter à des taux négatifs sans s’inquiéter… On continue à

b G R A N D E N T R E T I E N — Emmanuel Todd

vivre dans le rêve. L’euro est devenu un instrument d’indiscipline économique. C’est comme si, et là c’est une mauvaise métaphore qui me vient, en voulant prendre un médicament constipatif on avait pris un laxatif ! Ces mécanismes ont éduqué la population à l’irresponsabilité. D’une certaine manière, l’opposition au système est toujours plus forte dans les milieux populaires. Il y a une forme de… je ne dirais pas de bon sens parce que l’expression « bon sens populaire » implique l’idée d’une simplicité limitée. Je préfère parler de perception directe de la réalité. Il est clair qu’à un certain niveau, trop d’études supérieures, trop de privilèges, déconnectent de la réalité et que la déconnexion de la réalité est derrière, par exemple, le traité de Maastricht. D’ailleurs si on analyse le vote lors de la ratification de ce traité, on voit que les milieux populaires étaient contre. Si eux seuls avaient eu le droit de vote, dans une forme de suffrage censitaire inversé, chose qui n’a jamais excité, mais dont je suis fier d’avoir l’idée à l’instant, la France ne serait pas dans la merde. Et la sagesse populaire aurait sauvé le pays ! №44 — Mars 2022 — Politique


Comment interpréter alors le mouvement des Gilets Jaunes dans cette optique ?

Mais qu’en est-il alors des forces en présence aujourd’hui ?

Ce qui structurait implicitement la vie politique française depuis Maastricht, c’était l’opposition de l’élitisme et du populisme. Mais ce qu’on est en train de vivre dans cette campagne électorale c’est l’effondrement de cette opposition. L’élection de Macron c’était l’apothéose de cette opposition : c’est ce que j’ai établi dans La lutte des classes en France au xxie siècle, le vote RN déterminant le vote Macron comme opposition entre vote des élites contre le vote populaire. Mais comme aujourd’hui tout le monde est de droite en France, avec l’effondrement complémentaire de la gauche dans l’identitaire-sociétal, on ne voit plus d’opposition élitisme-populisme. En fait c’est comme si, dans le paysage politique, tout le monde, à un certain niveau, avait sombré dans le populisme. Je suis de près la composition de l’électorat de Macron. C’est formidable, il a changé d’électorat en cours de mandat. En 2017, il était surreprésenté dans les éduqués supérieurs et sous-représenté dans le monde ouvrier. Maintenant il s’est renforcé chez les vieux, il a progressé parmi les Bac +2 et tourne autour de 20 % chez les ouvriers. C’est très symptomatique de cet effondrement de l’opposition élite/ peuple. Si dans un premier temps l’aveuglement s’est répandu des élites vers le peuple, reste à comprendre comment les élites sont devenues populistes. Commençons par donner une définition du populisme : c’est la revendication impuissante des dominés. Ceci posé, il faut comprendre qu’au vu des rapports de force dans l’Europe et dans le monde, les élites françaises sont désormais dominées. Il y a des débats pour savoir si elles sont dominées par les Allemands, par les Américains, ou par un condominium germano-américain sur la France, thèse à laquelle je me convertis progressivement. À l’échelle mondiale, les élites françaises c’est du populo, une masse de manœuvre pour les vrais dirigeants mondiaux. Nous assistons donc en France à une réconciliation d’un peuple et de ses élites dans le néant, et un néant qui s’exprime, sur le plan politique, par un populisme de droit généralisé. №44 — Mars 2022 — Politique

Nous sommes dans un simple moment. Tout ce que nous vivons actuellement sur le plan idéologique est destiné à mourir assez vite. Nous sommes dans une dernière illusion. Comme si nous étions dans la « Drôle de guerre » en 1939. Une sorte de moment suspendu, durant lequel on se félicite que tout semble ne pas trop mal se passer puisqu’il n’y a pas de combats. C’est une « drôle de guerre » économico-sociale, une sorte d’illusion ancrée dans un déni selon lequel on va pouvoir continuer à consommer sans produire, qu’on va pouvoir continuer à détruire notre industrie, même s’il reste des pôles de résistance avec des industries de pointe, ou l’aéronautique. Mais la hausse des taux d’inflation, qu’on sous-estime, la baisse du niveau de vie, la situation économique générale vont nous conduire à nous crasher sur le mur de la réalité économique. Et là, les Gilets Jaunes on les retrouvera, mais puissance 100. Puisque ce ne seront plus des catégories qui ont besoin de gasoil pas trop cher pour aller bosser, ce sera tout le monde d’un coup. Car on ne peut pas rester en lévitation comme ça très longtemps. On peut refuser l’évidence, on peut refuser la guerre économique, mais, à un moment, l’atterrissage sera rude. Quand j’ai écrit que les Gilets Jaunes ouvraient un nouveau cycle dans l’histoire de France, cela reste absolument vrai. Mais, par exemple, la révolution russe de 1917 a abouti après l’échec de celle de 1905, après une guerre mondiale et un changement de régime. En matière d’histoire des crises, il ne faut pas être trop pressé. Mis à part les principaux intéressés, personne ne semble vraiment se passionner pour les prochaines élections. Il y a pourtant des thématiques essentielles qui mériteraient d’être abordées selon vous…

Sans énergie on ne vit plus. Tout candidat qui est opposé au nucléaire actuellement, quelles que soient ses raisons, peut être considéré comme hors de la réalité. À ce propos, la crise actuelle en Ukraine est également liée à l’existence du gazoduc Nord Stream 2, et donc à l’approvisionnement en gaz de l’Allemagne par la Russie. C’est très intéressant de voir comment ces fondamentaux de survie reviennent dans les discussions. lls mériteraient d’être traités, de même, peut-être que tout ce qui tourne autour des questions d’approvisionnement en nourriture. Vous aviez émis l’hypothèse, encore dans Après la démocratie et dans La lutte des classes en France au XXIe siècle, d’une abolition de la démocratie. Par ailleurs, il apparaît dans certains sondages que, notamment parmi les 20-35 ans, l’attachement au régime démocratique faiblit. Cela vous semble-t-il être une tendance durable ?

Je pense qu’il est déjà assez facile de démontrer que l’Union européenne n’est plus une démocratie. En revanche je dirais que l’Allemagne est une démocratie. Comme l’Allemagne décide, le peuple allemand a Oui, actuellement, on voit des débats toujours le droit de vote si on veut. Cela se focaliser… Ah, je viens d’avoir une idée. lui permet de désigner un Chancelier qui On pourrait inventer une nouvelle idéo- mènera une politique qui a un sens, avec des logie qu’on appellerait le reconstruction- moyens d’action. D’ailleurs, au stade actuel, nisme, en hommage à la déconstruction je suis très content de notre Chancelier… de Derrida… Sauf que lui est plutôt dans Nous, on va élire notre gardien.ne de prison. le concept, moi je suis plus intéressé par Car si le niveau de vie baisse, l’important l’industrie. Mais je n’ai pas son immense c’est la répression. talent conceptuel… On emboîte un peu le Je ne crois pas que celui ou celle qui pas de Montebourg autour de la réindus- sera élu.e fera une différence. L’État est en trialisation de la France. On voit des débats roue libre. Il faudra bientôt chercher le pouautour de l’énergie, des trucs de base. On voir du côté du Ministère de l’Intérieur, en peut faire la liste des candidats qui sont interaction avec les syndicats de police : le pour le nucléaire, ceux-là sont encore dans maintien de l’ordre face à la paupérisation. la réalité. L’énergie est un gros problème. La répression face aux revendications. b GRA ND ENTRETI EN — Emmanuel Todd

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« Les gens ont compris que ces élections étaient des comédies... »

Je vais vous faire une confidence : moi qui suis un intellectuel issu d’un milieu bourgeois, je n’ai jamais aimé ceux de ma classe. Moi je suis du côté de ceux qui se révoltent, c’est comme ça, d’instinct. Mais déjà en Mai 68, j’ai lancé quelques pavés, mal d’ailleurs, mais je n’arrivais pas à prendre au sérieux les gauchistes qui jouaient les petits chefs et expliquaient à tous ce qu’il fallait faire, ce qu’il fallait penser. Mais c’est un sujet qui m’intéresse à nouveau la démocratie, dans une perspective élargie. J’ai évolué, je suis dans une perspective d’affinement des concepts. Affinage c’est pour les fromages c’est ça ? C’est ça oui…

D’abord je crois que pour comprendre ce qui se passe, il faut distinguer la démocratie en tant que forme institutionnelle – suffrage universel, liberté d’expression, indépendance des pouvoirs… – et la démocratie en tant que système de mœurs. Il faut également mesurer l’importance du rôle de la monnaie et de la politique économique dans une démocratie. Si on doit élire des représentants, il faut qu’ils aient la capacité d’agir. Vu que la création monétaire échappe à la République française et que les règlements commerciaux européens interdisent de protéger une industrie nationale, le président de la République n’a pas de capacité d’action économique. La France n’est donc déjà plus une démocratie, dans les faits. 12

Le manque d’intérêt pour la politique en France, notamment avec les taux d’abstention massifs auxquels on peut s’attendre, est, selon les analyses courantes des politologues, un signe de crise de la démocratie, cette démocratie qu’ils croient ou feignent de croire toujours vivante. Or, pour moi, ce manque d’intérêt est un signe de résistance démocratique. Chaque fois que le taux d’abstention est élevé, cela indique qu’il y a toujours un potentiel démocratique dans le pays. Parce que les gens ont compris que ces élections étaient des comédies… Mais cela pourrait tout simplement être de l’indifférence.

On ne sait pas, on ne peut pas parler à la place des gens. En tout état de cause, il faut penser la démocratie dans le cadre national. Du jour où la France a adhéré à l’Union européenne et donc se privait de ces instruments en matière de politique économique et monétaire, elle a peut-être gardé un peuple, mais n’a plus été une nation, ni une démocratie. J’en reviens à la démocratie comme système de mœurs. Depuis longtemps j’associe l’affermissement de la démocratie au développement de l’alphabétisation, et l’affaiblissement de la croyance en l’égalité de tous à l’augmentation des éduqués supérieurs et à la nouvelle stratification éducative. Le problème lié à cette stratification éducative c’est le manque de mentalité démocratique. Ceux qui ont fait des études supérieures semblent penser qu’ils sont supérieurs et vivent entre eux, mais, au-delà de ça il y a une incapacité à se penser comme appartenant à une collectivité. Et ce sera difficile à retrouver… Je suis convaincu pour ma part que la matrice collective c’était la structuration

b G R A N D E N T R E T I EN — Emmanuel Todd

religieuse. Autrement dit, l’idée de la nation démocratique est liée à l’effondrement du catholicisme, du christianisme, qui représentait l’appartenance collective fondamentale. Il avait fallu plus d’un millénaire pour la construire. Le carburant de l’identité collective démocratique, c’était la destruction de l’identité collective chrétienne. Il y a certes un épuisement des ressources d’énergie physiques, mais également un épuisement de nos ressources d’énergie collectives, de nos ressources morales, au sens sportif si on veut. On a utilisé ce que nous avait laissé le christianisme et nous sommes aujourd’hui réduits à une forme d’isolement atomistique. Et il y aussi un autre problème qu’en tant que démographe vous soulignez, celui du vieillissement de la population.

La philosophie politique classique pense un citoyen dont l’âge médian est de 25 à 30 ans. Mais l’âge médian de l’électeur est aujourd’hui supérieur à 50 ans. Nous sommes donc dans un monde où le pouvoir électoral et la production se dissocient. Les « dominants » dans le système démocratique ainsi conçu, sont des gens qui ne №44 — Mars 2022 — Politique


produisent plus, mais des consommateurs. Et je ne vois pas comment sortir de ça. On a là un vrai véritable argument contre le suffrage universel, dont je suis pourtant un partisan absolu, je m’empresse de le préciser. Pour moi l’idée qu’un mec qui a fait des études supérieures vaudrait plus politiquement qu’un mec sans diplôme est abominable. Ce qui a fait la grandeur du décollage occidental, c’est de combiner efficacité économique et égalité politique. Mais l’idée que le vote d’un vieux, comme moi, dont le centre d’intérêt principal dans la vie n’est plus l’avenir de l’Humanité, mais ses bilans sanguins, vaut plus que celui d’un individu productif me pose un vrai problème. Prenons l’exemple du débat sur les retraites. Dans un électorat dominé par les retraités, en tout cas dans l’esprit des gens qui nous gouvernent, ceux-ci sont favorables à une dégradation des conditions de retraite pour ceux qui les suivent et qui sont en train de travailler, mais pas pour eux-mêmes. Alors qu’on devrait être en train de penser à taxer plus lourdement les plus grosses retraites. Autre exemple : ce qu’on a fait aux jeunes, pendant l’épidémie de Covid, où on les a enfermés pour sauver les vieux. Quoique personnellement satisfait d’avoir été sauvé, je trouve ça incroyable qu’on en soit arrivés à une situation où on propose de vacciner les enfants de 5 à 11 ans alors qu’on n’a pas rendu la vaccination obligatoire pour les plus de cinquante ans. Je trouve ça inimaginable ! Dans d’autres pays, comme l’Italie où cette vaccination est obligatoire, on n’a pas l’impression de vivre, comme en France, dans un régime gérontocratique. Mais peut-être est-ce dû chez nous à la puissance paradoxale de la démocratie du bulletin de vote… №44 — Mars 2022 — Politique

D’où l’importance de porter aussi un regard de démographe sur la société…

Oui, les mécanismes démographiques produisent des renversements historiques incroyables. Je parle de cette chose phénoménale qu’est la révolution démographique qui a accompagné et suivi les Trente Glorieuses. L’augmentation de l’espérance de vie, la révolution cardio-vasculaire… Les gens vivent beaucoup plus longtemps, c’est formidable ! Qui oserait dire le contraire ? Sans oublier que les vieux d’aujourd’hui sont en bien meilleure santé que les vieux d’autrefois. Mais c’est la concentration du vote vieux sur Fillon qui a permis l’élection de Macron, c’est amusant. Donc les vieux se sont auto-neutralisés en votant Fillon, fausse manœuvre. Là ils vont voter Pécresse, même si beaucoup de vieux ont rejoint Macron entretemps. La chasse au vote vieux est donc une dimension importante de l’élection présidentielle.

Ça me conduit même, je l’avoue, à avoir des mauvaises pensées. J’imagine un scénario pour l’avenir, mais c’est un fantasme : une dystopie marrante, une façon dont les choses pourraient se produire dans un futur pas totalement délirant. Les vieux n’aiment pas le désordre, ils sont pour l’ordre. Ils ne veulent pas qu’il y ait des mecs dans la rue, que ça s’agite… donc ils veulent de plus en plus de police, de plus en plus d’armée, et là ils commettent l’erreur majeure : tout le pouvoir à la police. Hop, coup d’État ! Et ils ne se rendent pas compte qu’en supprimant les mécanismes démocratiques, ils perdent tout pouvoir. Et ils créent un monde où le pouvoir peut enfin légiférer sans tenir compte des vieux. Ça, c’est la faute stratégique que le troisième âge a devant lui. C’est-à-dire la revendication d’un ordre absolu qui, par un coup d’État, le priverait d’un coup de son pouvoir, sans même qu’il s’en rende compte. Le pouvoir du bulletin de vote bien sûr puisque, dès qu’il s’agit de courir dans la rue, là il n’y a plus personne chez les vieux ! Ça va ? On est bien hors-normes là ? » b

b GRA ND ENTRETI EN — Emmanuel Todd

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b G R A ND EN T R ET IEN PR ÉSI DENTI E LLE 2 02 2 Jean-Luc Fournier

Or Norme

Marcel Gauchet « Cette élection présidentielle a un enjeu incroyablement crucial... » Le 2 février, nous rencontrons Marcel Gauchet dans son bureau parisien des Éditions Gallimard d’où il dirige la collection Le Débat. Dix jours auparavant, le philosophe et historien répondait à nos questions sur la scène des Bibliothèques Idéales de Strasbourg, à propos de ses deux derniers livres : Macron : les leçons d’un échec (Éd. Stock) qui est le tome II de Comprendre le malheur français et La Droite et La Gauche, Histoire et Destin (Éd. Le Débat - Gallimard) où il dissèque l’historique clivage français et réfléchit sur sa pérennité. Le 24 avril prochain, notre pays aura élu son président ou sa présidente de la République, et nous avons pensé que questionner Marcel Gauchet sur l’élection à venir pouvait se révéler passionnant. Nous n’avons pas été déçus… 14

b G R A N D E N T R E T I EN – Marcel Gauchet

№44 — Mars 2022 — Politique



est le genre de bureau qu’on aime forcément : le meuble du même nom est envahi par des piles de livres manifestement reçus d’un peu partout, et la pièce l’est tout autant. Le tout constitue un antre où l’ogre littéraire qui l’occupe est bien le seul à s’y retrouver (et c’est justement ça qui fait tout le charme du lieu). Quand on lui rappelle notre conversation au sortir du plateau des Bibliothèques Idéales (« c’est votre regard décalé de libre penseur qui nous intéresserait pour commenter l’élection présidentielle à venir »), Marcel Gauchet sourit tranquillement et confirme : « Je n’ai pas oublié, on y va, je suis prêt… »

C’

On va partir du postulat qui verrait l’actuel président de la République se présenter pour un second quinquennat, ce qui n’est pas encore le cas au moment où nous nous rencontrons. Sur le récent plateau qui vous a été consacré lors des Bibliothèques Idéales de janvier dernier, vous n’avez pas caché que le quinquennat qui se termine est un échec pour Emmanuel Macron d’une part et que la conjoncture électorale concernant l’élection présidentielle d’avril est tout à fait exceptionnelle…

Elle l’est, assurément, avant tout par son degré de brouillage. Il y en effet une scène officielle et une scène sous-jacente. À première vue, on a une scène politique qui sort totalement de ce qu’était devenu le système d’alternance de la ve République : deux forces bien identifiées et coalisées, de droite et de gauche, encadrées des deux côtés par des forces contestataires plus ou marginales ou plus ou moins importantes. À un peu plus de deux mois de l’élection, la gauche a disparu en tant qu’alternance potentielle, elle est cantonnée au rôle de force marginale. À droite, on a une reconfiguration avec le président sortant qui vient mordre sur l’électorat de la droite républicaine traditionnelle que représente Valérie Pécresse… Vous positionnez donc Emmanuel Macron à droite, sans hésiter…

Oui, il est situable à droite, au niveau de la perception qu’on en a, mais je reviendrai sur les critères précis qui me font penser ça. Pour compléter la scène politique actuelle, on a, chose encore plus inattendue, ces deux candidats d’extrême droite qui sont à peu près à égalité. On va donc vers une élection encore plus turbulente que celle de 2017 qui avait déjà bouleversé les repères 16

canoniques du grand partage français. Seulement voilà, cette scène officielle ne correspond pas, selon moi, à la réalité des identités politiques profondes repérables dans le pays et c’est bien là que quelque chose de nouveau est en train de se produire : un désajustement entre l’offre politique telle qu’elle est et des identités classiques qui structurent toujours les opinions des citoyens, mais ne trouvent plus leur traduction dans le champ politique qui se présente devant les électeurs. L’offre de droite est multiple et contradictoire. Cela se manifeste par l’irruption de Éric Zemmour qui recueille l’assentiment d’une importante frange de l’électorat se situant à la droite de LR, un peu le calque de l’UDR du début de la ve République. Ce que dit Zemmour, beaucoup de gaullistes de 1965 le pensaient et le disaient, mes souvenirs de jeune homme (rires) sont encore assez précis sur ce point. C’est comme la résurgence d’une sensibilité qui avait fini par disparaître du champ traditionnel de la droite des dernières

décennies et qui correspond à quelque chose qui vient de très loin, ce bonapartisme autoritaire typique d’une partie de la droite française qui n’avait donc pas totalement disparu. Alors que Marine Le Pen représente aujourd’hui une mutation totalement inattendue du nationalisme traditionnel, une force qui parle aux électeurs de gauche d’antan. Ce vieux nationalisme très autoritaire trouve en effet aujourd’hui un écho à gauche, notamment dans ce qu’était jadis le vote communiste, même si, à mon avis cela va en fait bien au-delà. Elle parle encore à une partie importante des populations défavorisées ou ouvrières qu’on ne sait plus très bien nommer d’ailleurs, puisque l’industrie a disparu par pans entiers ces dernières décennies. C’est bien cet électorat-là qui, dans le contexte de la mondialisation, est en très forte demande de protection de la part de la nation… Où se situe donc exactement Emmanuel Macron dans ce paysage-là ?

Là, c’est encore plus étonnant. Sa politique est largement conditionnée par les engagements européens de la France au sein d’une construction européenne qui est clairement positionnée et calée sur les idées néo-libérales, sous l’impulsion

« Seulement voilà, la scène officielle ne correspond pas, selon moi, à la réalité des identités politiques dans le pays. »

b G R A N D E N T R E T I EN – Marcel Gauchet

№44 — Mars 2022 — Politique


de l’Allemagne qui est devenue, de fait, la puissance dominante en Europe et dont ces idées sous-tendent sa ligne de conduite en tant que tenante d’une société industrielle entièrement tournée vers l’exportation. Cette politique macronienne relève donc d’une social-démocratie classique qui a été obligée de se convertir au néolibéralisme par la pure logique de la redistribution. Puisque pour redistribuer, il faut produire, c’est-à-dire générer de l’argent pour pouvoir le rendre, la social-démocratie est devenue une force de centre-droit et c’est vrai presque partout en Europe. Valérie Pécresse, elle, incarne cette adhésion totale au néo-libéralisme à l’européenne tout en assumant une attitude plus restrictive en termes de redistribution. Pour être complet, ce qui se passe à gauche est le choc en retour de cette conversion de la social-démocratie à l’économie de marché : une partie de cette gauche ne se reconnait pas dans ces idées-là, et comme il faut trouver de l’argent pour financer la retraite à soixante ans, pour schématiser, du coup, elle devient une gauche morale en renonçant à la praticabilité politique, elle renonce à être une gauche de gouvernement crédible et elle se retrouve donc frappée du soupçon fatal d’irréalisme politique. Elle continue de parler essentiellement à des gens protégés des effets de la mondialisation, le secteur public pour l’essentiel, où on trouve ses derniers bastions. Sa radicalité se trouve traversée par la question écologique qui ajoute une couche de désorientation dans le tableau puisqu’on s’aperçoit chaque jour davantage que la cause écologique présente une considérable variété d’options, entre la décroissance radicale et la recherche d’aménagements vers une transition douce et sociale. Cette gauche-là est complètement fracturée : on en a l’exemple avec la façon dont la campagne de Yannick Jadot, le représentant désigné par le parti écologique se trouve parasitée par son ex-concurrente de la primaire interne qu’est Sandrine Rousseau, partisane d’une politique infiniment plus radicale, qui brouille son message. Là aussi, c’est une autre source d’étonnement… №44 — Mars 2022 — Politique

Maintenant que vous avez brossé à grands traits le paysage politique tel qu’il se présente un peu plus de deux mois avant le premier tour, et si on accepte d’essayer de se projeter dans l’avenir à moyen terme, un simple diagnostic de base de l’état de la société française fait craindre une atmosphère de violence latente qui sert de toile de fond à l’élection présidentielle à venir…

C’est évident, et je me souviens d’ailleurs que nous avions terminé notre rencontre des Bibliothèques Idéales de Strasbourg sur ce constat-là. Il me faut revenir rapidement sur l’élection de Emmanuel Macron il y a cinq ans. Cet homme est le représentant typique de cette oligarchie française associant la technocratie d’état et celle des cadres des grandes sociétés multinationales françaises. Ces deux composantes l’ont beaucoup aidé à conquérir le pouvoir et à l’évidence, il leur doit une part importante de son succès à l’élection de 2017. Mais, on ne peut le réduire seulement à ça. C’est un personnage qui a du talent et de l’intuition : par ses fonctions à l’Élysée, puis au gouvernement depuis 2012, il a pu voir de très près le problème de la gauche, avec le pauvre Hollande héritant du dilemme social-démocrate dont je viens de parler et obligé de passer sous les fourches caudines d’un cadre économique néo-libéral. Hollande s’est retrouvé très exactement au point d’explosion de la contradiction interne de la famille social-démocrate. Tout cela, Emmanuel Macron l’a perçu et analysé et s’est dit que le moment était venu de se débarrasser de la gauche morale au profit de ce qui reste d’une social-démocratie de gouvernement qui, à l’allemande, jouerait alors le jeu de l’économie de marché. Ce projet a bien sûr été fortement appuyé et soutenu par l’establishment, partisan d’une France qui ressemblerait enfin à son environnement européen, une France gouvernée par les idées néo-libérales d’un centre-droit acceptant de passer un compromis minimal avec le centre-gauche. Mais il y a eu autre chose : Macron a perçu ce que j’appelle le malheur français, ce sentiment d’un peuple qui se perçoit, à tort ou à raison, comme étant sur la pente du déclin, du déclassement, et qui ne comprend rien à ce qui lui arrive, un peuple qui vit la globalisation et son européanisation comme contraires à ce que représente le

noyau dur de ses principes politiques et de ses valeurs fondamentales. Le génie de Macron a été de pressentir ce dernier point et de l’intégrer avant tout le monde, alors que cette inquiétude-là était pourtant déjà très présente dans les composantes de la population qui n’étaient pas préservées de la dureté de la vie d’aujourd’hui. Il a réussi à combiner tout cela et il a gagné l’élection, notamment sur une promesse très forte pour combattre ce fameux malheur français : la refondation de l’Europe, c’est-à-dire la capacité de faire bouger ce fameux logiciel néo-libéral. Sur ce point, ce fut l’échec et une énorme désillusion, en à peine quelques mois. Elle est passée pour l’essentiel sous les radars des médias, et sous le mien y compris d’ailleurs. Personne n’a rien vu venir et ce fut l’explosion des Gilets jaunes… Aujourd’hui, Macron a fait une croix sur cet électorat-là, il s’accommode des choses telles qu’elles sont, il est devenu le candidat du statu quo. En revanche, il a gagné un électorat conservateur. Finalement, la crise des Gilets jaunes aura permis de clarifier son appartenance politique. En fait, je pense qu’en pratique, il a les meilleures chances d’être réélu. Du côté des forces de l’establishment qui le soutiennent, on s’est avisé qu’en France, il fallait y aller plutôt doucement : on pense qu’avec Pécresse et ses importantes suppressions de postes de fonctionnaires ou son offensive sur la réforme des retraites, le risque serait grand de se retrouver de nouveau dans une ambiance quasi insurrectionnelle. Sur ce point, Macron leur apparait plus rassurant, somme toute… b GRAND ENTRETI EN – Marcel Gauchet

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Quand on observe la société française à la simple lumière des événements de ces dernières années, on est frappé de la violence qui envahit l’espace public. Et pour en revenir au sujet de l’élection présidentielle prochaine, le président sortant cumule contre lui beaucoup de ressentiment et même parfois de la haine, devenue très palpable depuis la séquence des Gilets jaunes…

Le constat est juste. Cela tient au fait que le processus démocratique ne fonctionne plus correctement. Il est normalement une fabrique d’intégration collective. Même si on est minoritaire et qu’on soutient une position qui ne gagne pas, on se sent néanmoins membre à part entière d’un processus de mise en commun des problèmes et d’un mouvement tendant à les résoudre. C’est une des principales forces de cohésion de notre société, peut-être ne nous en rendons-nous plus tout à fait compte aujourd’hui… Cette chose essentielle, c’est que c’est à travers de la politique que notre société trouve sa cohésion. Quand le processus démocratique ne traduit plus de façon claire les rapports de force qui traversent tous ses acteurs, le danger est là. Nous y sommes : ce jeu de dupes si profondément ressenti par les citoyens, c’est justement ce qui fait que de plus en plus d’entre eux se demandent si cela vaut réellement le coup d’aller voter…

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Lors du plateau des Bibliothèques Idéales à Strasbourg, vous avez fait part de vos doutes sur une potentielle VIe République, en laissant penser que se mettre d’accord sur la suppression de l’élection directe du président de la République serait comme une montagne absolument impossible à gravir…

C’est en fait la contradiction majeure du système où nous sommes. Il y a d’un côté ce sentiment très répandu que quelque chose de fondamental ne fonctionne plus dans notre système institutionnel et, d’un autre côté, le fait que l’élection du président de la République au suffrage universel est considérée par l’immense majorité des citoyens comme le seul moment où ils peuvent se faire entendre. La contradiction est totale : plus les gens sont dégoûtés par ce jeu politique qui ne joue plus le rôle qui lui est attribué dans une démocratie, celui de déterminer des priorités et résoudre peu à peu les problèmes, plus ils se disent : « J’ai cette ultime arme fatale, celle de voter pour un candidat de rupture ». Et c’est là qu’on en vient à se rappeler qu’Emmanuel Macron s’était présenté il y a cinq ans comme la dernière cartouche pouvant activer cette faculté de rupture. Aujourd’hui, cette dernière cartouche a été tirée et il n’y en a plus. C’est cela qu’exprime le désarroi profond que nous observons tous…

b G R A N D E N T R E T I EN – Marcel Gauchet

Ça exprime un avenir plutôt sombre, non ?

Pas forcément. Ce que je vais dire relève clairement de la politique-fiction. Mais on pourrait imaginer que Macron, une fois réélu, prenne conscience que sa réélection n’a été en rien le fruit d’un plébiscite populaire et que le peuple français se retrouve une nouvelle fois dans la position d’avoir élu un président par défaut, tout comme Chirac le fut en 2002. En un mot, va-t-on avoir affaire à quelqu’un qui va s’enivrer d’avoir été élu dans des conditions un peu rocambolesques et qui va se convaincre qu’il est le sauveur universel dont la France avait besoin, une réaction assez habituelle chez les gens de pouvoir soit dit en passant, ou bien, au contraire allons-nous avoir affaire à quelqu’un de très lucide sur la fragilité de sa position et qui va engager une vraie réflexion sur l’évolution des institutions et être prêt à faire l’effort nécessaire pour que nous retrouvions un système politique authentiquement démocratique ? Bien sûr, il serait stupide de dire que nous ne vivons plus aujourd’hui dans une démocratie, mais cette démocratie a perdu beaucoup de sa substance : il faut absolument que nous retrouvions une cohérence collective qui nous donne une direction possible, sinon nous allons nous enfoncer dans un marécage total. Cela dit, hors de cette hypothèse, j’avoue être comme vous très inquiet quant à l’avenir à court terme… №44 — Mars 2022 — Politique


Pour finir, et pour poursuivre dans le sens de cette dernière idée que vous exprimez, est-ce que la sortie de crise du Covid qui se profile, du moins peut-on l’espérer, ne pourrait pas constituer une opportunité pour le président de remettre à plat un grand nombre de choses ? En commençant par abroger d’un coup et sans tergiverser l’ensemble des lois coercitives votées au fil de ces deux années de crise sanitaire, par exemple. En un mot, est-ce qu’on n’arriverait-on pas ainsi à une sorte de moment-clé, qui permettrait de réconcilier quelque peu le pays avec la politique ?

En tout cas, l’opportunité existe, c’est certain. Cette crise a mis en lumière toute une série de constats fondamentaux dont on pourrait effectivement tirer la leçon : la problématique des libertés et la manière de les gérer, par exemple. La question de l’état d’urgence, fût-il sanitaire, c’est tout sauf une question politique mineure. Sur un plan plus général, la question de l’hôpital public et de notre système de santé devrait nous inciter à prendre cette problématique à bras-le-corps. Or, en réalité, on n’a fait que donner un peu plus d’argent aux gens pour avoir la paix. Or, on est là en complet hors sujet : nous sommes face à un problème essentiel qui est posé et que la crise sanitaire a placé en pleine lumière. On n’en est même pas au début d’un diagnostic sur ce sujet-là. Cette crise nous a fait percevoir une dimension très banale qui est au cœur de notre société. Quand j’étais tout jeune à l’école, on nous apprenait qu’il n’y a pas de sots métiers. Aujourd’hui, on a beaucoup plus besoin de chauffeurslivreurs que de traders ! Pour moi, c’est le critère clé : on s’est aperçu que la mesure de l’utilité sociale n’avait rien à voir avec le système de rémunération actuellement en vigueur. Pourquoi une infirmière gagne-telle moins qu’un publicitaire ? La crise sanitaire a permis une sorte de réévaluation de la contribution de chacun à la vie sociale et ce critère-là devrait être au centre de la réflexion sur l’après-crise. C’est là qu’un grand président pourrait renverser la table. Pour de bon ! №44 — Mars 2022 — Politique

« Il faut absolument que nous retrouvions une cohérence collective qui nous donne une direction possible. » À ce stade, une seule question pour conclure. Est-ce que Macron II peut être ce président-là ?

Très sincèrement, avec lui, je n’exclus rien. On a affaire à un personnage très particulier, aussi bien humainement que psychologiquement, un personnage qui est imprévisible et qui a une suffisante estime de lui-même, visiblement, pour ne pas se sentir le moins du monde l’obligé de ses sponsors d’origine, si je peux m’exprimer ainsi. Il peut très bien les envoyer paître, en considérant qu’au fond il ne leur doit rien. Que tout ce qu’il fait il ne le doit qu’à luimême, point. Cette élection parait triviale à l’heure où on en parle, voire lamentable à beaucoup d’égards avec une campagne pitoyable, mais elle a un enjeu incroyablement crucial… » b b GRAND ENTRETI EN – Marcel Gauchet

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b G RA N D EN T R ET IEN PR ÉS IDENTI E LLE 2 02 2 Jean-Luc Fournier

Or Norme

Jérôme Fourquet « Un nouveau séisme au soir du second tour ? À ce stade, on ne sait pas... » Mais au juste, quel est donc ce pays qui s’apprête à voter les 10 et 24 avril prochains ? Dans son bureau à Paris convergent des flots de données statistiques qui dessinent le visage de la France de 2022 : rencontre avec Jérôme Fourquet, directeur du département Opinion à l’IFOP. Cet expert en géographie électorale et fin analyste politique, déjà auteur du passionnant L’Archipel français (Éd. du Seuil) en 2019 vient de copublier La France sous nos yeux avec le renfort du journaliste Jean-Laurent Cassely. Brassant économie, paysages et nouveaux modes de vie, Jérôme Fourquet analyse comme personne ces mutations profondes qui expliquent tant de choses sur notre pays profond… №44 — Mars 2022 — Politique

b GRA ND ENTRETI EN – Jérôme Fourquet

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asser un long moment sans trop de contraintes de temps avec Jérôme Fourquet, c’est à coup sûr voyager au cœur de cette France que nous croyons connaître, mais dont une bonne part continue à nous dérouter. C’est cette même France qui s’affiche d’ailleurs dans son dos lorsqu’il est assis à son bureau du siège du plus ancien des instituts de sondage français. La carte est très dépouillée, mais peu importe, celui qui nous la commente est un vrai expert de notre pays. Il lit comme personne à travers les données et sait attirer notre attention sur « les plates-formes logistiques d’Amazon, la poussée démographique en direction de la façade atlantique, la multiplication des parcs de loisirs et des centres commerciaux, les influences culturelles américaines, les émissions de Stéphane Plaza, les livreurs de sushis, les itinéraires des go fast, les stages de jeûne dans la Drôme, la premiumisation des stations de ski, le recours accru aux coachs, les Églises évangéliques ou bien encore les boulangeries de rond-point »… Le gros pavé de presque 500 pages que constitue le livre de Jérôme Fourquet contient des clés vitales pour appréhender cette France qui s’apprête à voter lors de l’événement majeur de son système électoral. C’est leur traduction politique que nous commentons dans cet entretien, elle va largement conditionner le résultat de l’élection présidentielle d’avril prochain…

P

À deux mois du premier tour des Présidentielles (nous nous rencontrons ce lundi 7 février), à quelle France avonsnous affaire ? Dans quel contexte les électeurs s’apprêtent-ils à aller glisser leur bulletin dans l’urne, du moins pour ceux qui vont se déplacer ?

Cette élection va se dérouler dans une société que j’ai en effet qualifiée d’archipellisée, c’est à dire extrêmement fragmentée. D’ailleurs, à l’heure où on se parle, les intentions de vote dessinent ce paysage très éparpillé… En outre, il est en profonde recomposition et très loin d’être stabilisé. Si je voulais utiliser une métaphore géologique, je dirais que nous avions constaté pas mal de signes avant-coureurs depuis longtemps, autant de secousses qui annonçaient en fait le bigbang de 2017, ce vrai choc sismique majeur que fut la victoire de Emmanuel Macron après la disqualification de François Fillon, l’effondrement du Parti Socialiste et la qualification pour le deuxième tour d’une Le Pen, ce nom réapparu 22

au second tour pour la deuxième fois en quinze ans. En fait, on assiste aujourd’hui sur le plan politique et électoral à une mise en conformité un peu tardive et à tâtons du paysage électoral avec la réalité sociale, économique et géographique du pays qui s’est considérablement modifiée lors des dernières décennies. À son tour, face un long décalage dans le temps, la sphère politique a fini par entrer en ébullition elle aussi… Un des moments-clés de l’avènement de la société française d’aujourd’hui, vous l’illustrez très judicieusement dans votre livre, se passe en 1992 : en l’espace d’à peine deux mois, la citadelle ouvrière de Renault-Billancourt ferme ses portes et Disneyworld Paris ouvre les siennes à Marne-la-Vallée…

Voilà. Et la même année, c’est le référendum de Maastricht – c’est du 51-49, le oui l’emporte donc de justesse – et, un peu plus tard, en 2005, c’est le non au projet de constitution européenne qui l’emporte, ce qui nous permet, avec Emmanuel Todd qui, je crois, figure aussi dans vos colonnes, de voir émerger une carte politique entièrement nouvelle et inédite qui ne correspond plus du tout au vieux cadastre traditionnel de la France de gauche et de la France de droite. Mais on a eu tendance un peu vite à la mettre sous la pile, en quelque sorte, car ensuite, à chaque fois, l’ordonnancement gauche/droite a repris ses droits en tant que loi d’airain intangible de notre vie politique. Voilà pour les secousses qui ont précédé le big-bang de 2017 et l’élection de Macron dont je parlais tout à l’heure. Maintenant, bien malin serait celui qui pourrait pronostiquer ce qui va se passer en saison 2, mais j’adhère assez à l’expression d’Édouard Philippe qui en tant que Premier ministre a eu la charge d’aller quêter quelques soutiens de centre-doit avant les élections européennes : « La poutre travaille encore » avait-il dit. Qu’allons-nous avoir sous nos yeux au soir du second tour ? Un nouveau séisme ou la poursuite de la transformation engagée il y a cinq ans ? À ce stade, on ne sait pas…

b G R A N D E N T R E T I EN – Jérôme Fourquet

Sur un autre plan, lors des Présidentielles 2017, il y a eu douze millions d’électeurs qui se sont abstenus, soit presque un quart des inscrits. La tendance est clairement à une progression importante des rangs de ceux qui n’iront pas voter. À travers le prisme de cette France fragmentée que vous décrivez, de quoi cette très forte abstention est-elle le nom ?

Scrutin après scrutin, depuis trente ou quarante ans, on constate cette progression de l’abstention. En 2017, il y a eu plus de 50 % d’abstentionnistes aux Législatives qui ont suivi l’élection présidentielle. 50 % ! Pour les députés qui font les lois !! Et cette abstention a atteint les deux tiers des électeurs pour les récentes élections régionales. Quand nous sondons l’opinion sur ce sujet, la première réponse qui fuse est : ça ne sert à rien d’aller voter ! Quand on creuse un peu, on tombe sur l’idée très ancrée chez beaucoup de nos concitoyens : quelle que soit la couleur des vainqueurs, notre vie quotidienne ne changera pas ou ne sera que très, très peu modifiée. Souvent, on entend : on a eu la gauche, on a eu la droite et rien n’a changé. En 2017, les électeurs ont essayé autre chose : et la gauche et la droite. Manifestement, la promesse macronienne d’une révolution démocratique et citoyenne a laissé sur leur faim pas mal de nos concitoyens. Pour beaucoup de gens, cette ultime tentative n’a eu un résultat que tout à fait marginal sur l’amélioration de leur vie quotidienne. Avant 2017, les Français avaient vécu une quasi-alternance parfaite entre la gauche et la droite et l’insuccès des politiques menées avait été sanctionné par la montée constante de l’abstention. Aujourd’hui, ils traduisent leur sentiment par ces mots : « De toute façon, tout est décidé à Bruxelles et quand il ne s’agit pas de décisions politiques, ce sont les multinationales qui tirent les ficelles et font la loi. » Et je ne parle pas ici de ceux qui ont versé dans le complotisme… Non, les électeurs pensent que nos élus n’ont plus les №44 — Mars 2022 — Politique


manettes en main et que leurs marges de manœuvre n’existent plus. Dans ces conditions, à quoi bon se déplacer ? Voilà le ressort principal qui explique cette abstention. Il y en a un deuxième qui permet notamment d’expliquer pourquoi l’abstention est si forte parmi les nouvelles générations : le caractère quasi ritualisé et sacré du vote perd en consistance dans les jeunes générations en tant que pilier d’une sorte de religion républicaine. Ça va de pair, à mon avis, avec un autre effondrement, celui de la pratique religieuse catholique. Tout cela se passait le même jour, le dimanche. Nous sommes nombreux à nous souvenir de la première fois où, enfant, nous nous sommes rendus au bureau électoral, avec nos parents puis plus tard, de la première fois où nous avons glissé notre tout premier bulletin dans l’urne. On a entendu alors pour la première fois notre nom puis « a voté ! ». De mon point de vue, cette culture républicaine vieillit : elle s’étiole et pire, elle se corrode et se délite au fur et à mesure du renouvellement des générations. On ne va plus ni à l’église ni au bureau de vote… Pour autant, est-ce la preuve d’un désintérêt total pour la chose publique de la part des jeunes générations ? Pas forcément : les jeunes manifestent, ils pétitionnent via les réseaux sociaux où ils participent aussi à nombre de forums, de tchats et ils consultent des publications qui traitent de l’actualité politique. Mais pour eux, le caractère absolument central et sacré du passage à l’isoloir a perdu de son sens. À ce sujet, la mise sur pied d’un vote électronique sur plusieurs jours comme on le voit dans de plus en plus de pays pourrait peut-être inverser la tendance, non ?

« À son tour, face un long décalage dans le temps, la sphère politique a fini par entrer en ébullition elle aussi... » réponse technique à un problème qui, selon moi, est infiniment plus profond. Face à l’idée que gauche et droite c’est pareil ou la conviction qu’aujourd’hui ma voix ne pèse pas grand-chose, ce type de solution technique ne renversera pas seule la tendance de fond… Vous citiez il y a quelques minutes les plus de 50 % d’abstention aux Législatives de 2017. Comment pourrait-il en être autrement quand on constate l’extrême verticalisation du pouvoir autour du président et le peu de considération dans lequel a été tenue la représentation nationale à l’Assemblée, devenue une simple chambre d’enregistrement ? Encore pire qu’à l’époque des godillots, comme on surnommait les députés de la majorité gaulliste à la fin des années soixante…

Cette solution pourrait sans doute En ce qui concerne les Législatives, vous être bonne à prendre, mais il faudrait des garde-fous pour se prémunir d’éventuelles avez tout à fait raison. Dans un environnemanipulations. Mais oui, pourquoi pas… ment où l’abstention progresse inexoraCependant, ce ne serait qu’une simple blement jusqu’à atteindre des sommets №44 — Mars 2022 — Politique

b GRA ND ENTRETI EN – Jérôme Fourquet

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stratosphériques comme lors des dernières Régionales, l’élection présidentielle était jusqu’à présent une élection qui semblait préservée quelque peu du phénomène. Et on comprend bien pourquoi : personnellement, j’ai appelé ça le syndrome « Allez me chercher le patron ! » On a quand même tous bien ancré dans nos têtes la conviction que l’élection présidentielle constitue l’élection-reine. Ce syndrome a encore été amplifié sous le quinquennat qui se termine et pour deux raisons : la première tient à la façon de gouverner de Emmanuel Macron, une façon très « jupitérienne » pour reprendre ses propres termes. La deuxième est le contexte, notamment sanitaire avec la crise Covid qui, en France a été gérée de façon extrêmement centralisée. Je ne rappellerai que quelques exemples parmi les plus emblématiques : à la fin du premier confinement, les maires bretons voulaient rouvrir leur plage, mais cela nécessitait l’autorisation de Paris ! Et je vous fais grâce des allocutions présidentielles lors des sorties des confinements et des manchettes de la presse : « 68 millions de personnes suspendues aux lèvres du président ». Autre anecdote presque incroyable : à Roland-Garros, en juin dernier, la demifinale Nadal-Djokovic dure très longtemps et on réalise qu’elle ne pourra pas se jouer

jusqu’au bout, avec le couvre-feu fixé à 23 heures. Il va falloir l’accord des autorités les plus élevées. La direction du tournoi va donc appeler la ministre des Sports, qui va en référer à Matignon qui demandera l’accord de l’Élysée… Les électeurs ont très bien compris que tout se décide là-haut. Alors, ils se déplacent encore pour l’élection présidentielle. Mais pour les Législatives, ils se disent : « On a déjà fait le boulot le mois dernier, on vient d’élire le boss. Inutile de se déplacer… ». Eux aussi ont donc constaté l’affaiblissement des pouvoirs de l’Assemblée nationale. Il y a deux raisons à cela : la large victoire du camp macroniste qui avait opté, du fait d’un historique inexistant, pour des candidats tout à fait novices pour les Législatives et, la deuxième raison, celle-ci tout à fait réglementaire, est l’entrée en vigueur concomitante de la loi sur le non-cumul des mandats. On s’est donc retrouvé avec une majorité macroniste quelque peu hors-sol avec très peu d’expérience politique et, en ce qui concerne l’Assemblée tout entière – opposants compris – plus aucun député n’étant également maires. Résultat : l’activité de l’Assemblée nationale s’est vite apparentée à une simple chambre d’enregistrement, renforçant le sentiment que le seul vrai pouvoir était à l’Élysée et pas ailleurs !

La recomposition du paysage politique français n’est sans doute pas terminée. Si Valérie Pécresse ne figure pas au second tout le 24 avril prochain, comme les sondages le laissent penser à l’heure où nous nous rencontrons, c’est LR qui explose immédiatement et qui rejoint le PS en enfer, non ?

Oui. Et j’en reviens à l’expression de Édouard Philippe « La poutre travaille encore… » : la déflagration majeure de 2017, c’est l’élection de Macron et l’effondrement de Fillon, mais aussi celui du PS, avec Hollande qui ne se représente pas et les 6 % de Benoît Hamon. Après les Législatives, seule une trentaine de députés PS siègent à l’Assemblée. Il y en a encore une centaine pour LR. Donc, pour ces deux piliers qui structuraient la vie politique française depuis des décennies, l’un a été complètement dynamité et l’autre s’est mis à survivre cahin-caha. Ce qui se joue aujourd’hui c’est bien le dynamitage total de ce deuxième pilier. Si Pécresse est éliminée dès le premier tour, l’onde de choc va en effet être considérable, LR sera passé à la centrifugeuse avec une aile modérée qui n’aura plus qu’à rallier la majorité macronienne ou post-macronienne avec Édouard Philippe. Beaucoup de barons de l’aile droite actuelle de LR s’en iront explorer les

« Pour les deux piliers qui structuraient la vie politique française depuis des décennies, l’un a été complètement dynamité et l’autre s’est mis à survivre cahin-caha. » 24

b G R A N D E N T R E T I EN – Jérôme Fourquet

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terres de la recomposition des droites. C’est cette séquence qui va de toute façon s’ouvrir, quelle que soit l’issue du scrutin, puisque Marine Le Pen a déjà annoncé qu’elle quitterait la vie politique. Tout ce qui se passe aujourd’hui autour de Éric Zemmour, notamment les ralliements de cadres venus du Rassemblement national et dans une moindre mesure de LR, illustre leur volonté de peser dans la recomposition politique en cours. Alors oui, si Pécresse n’est pas au second tout, LR subira le sort de l’olive. Déjà pressée à froid en 2017, elle va repasser au moulin une seconde fois. Il n’en restera rien… Dans cette campagne, il semblerait qu’on reprenne conscience, soudainement, des ravages de la désindustrialisation, une thématique dont les conséquences sont particulièrement mises en lumière dans vos livres…

Oui, c’est une forme de remise à l’agenda, je dirais. Il y a deux explications à cela : ce phénomène de désindustrialisation a été si violent et d’une ampleur si totale qu’on a quelque part touché le fond de la piscine et que la société civile a fini par se rendre vraiment compte de l’ampleur du désastre. La deuxième explication de cette prise de conscience a sans doute été soulignée avec encore plus d’acuité par les suites de la crise Covid, quand on a réalisé brutalement qu’on ne produisait plus le moindre masque et, encore pire, que plus un gramme de paracétamol n’était produit en France. La crise sanitaire a mis en lumière ces révélateurs, de façon flagrante et impitoyable. Nos enquêtes l’ont vite montré : la thématique de la réindustrialisation n’a cessé d’être de plus en plus citée et les politiques ont donc fini par s’en emparer… Quant à la pertinence des décisions qui seront prises à court terme, c’est une autre question, que nous étudierons bien sûr…

dimension à mon avis beaucoup plus idéologique : c’est sa volonté de faire enfin advenir ce fameux Nouveau Monde politique qui serait désormais entièrement structuré par l’affrontement entre ce que les macronistes appellent les progressistes, d’un côté, et les nationalistes de l’autre. Autrement dit, comme cela s’est déjà traduit à propos de la crise Covid, le parti de la raison versus le parti des complotistes ou des gens peu au clair sur ces questions sanitaires. Ce qui est sous-jacent, c’est cette volonté de faire advenir ce nouveau clivage en lieu et place du vieux clivage gauche/droite qui a explosé. Nous, le camp de la raison, proeuropéenne, réformiste et gestionnaire qui a vocation à agréger les gens de bonne volonté du centre-gauche au centre-droit, face aux radicaux, aux dingos et aux extrémistes. Pour moi, il y a bel et bien cette volonté d’installer un nouvel ordre politique national. Ce qui nous ramène à ma réponse à votre première question, où en est-on ? Pour les analystes, il y a une chose qui est très frappante : la déconnexion complète, depuis ce quinquennat, entre les élections nationales et les élections locales. Historiquement, un parti, la gauche ou la droite, remportait la Présidentielle et les Législatives et, en général, on pouvait être sûr que tous les scrutins intermédiaires qui se dérouleraient

sous cette mandature-là seraient défavorables au plan local au parti vainqueur au plan national. Depuis 2017, nous avons eu le duopole Macron/Le Pen à la Présidentielle qu’on a retrouvé deux ans plus tard aux Européennes avec leurs deux partis qui ont fini largement en tête, mais, parallèlement, les élections municipales, départementales et régionales qui ont été remportées, certes avec une très forte abstention, par la gauche ou la droite traditionnelles, comme une survivance de l’Ancien Monde. On n’est plus dans la théorie des cycles intermédiaires, on est sur deux niveaux bien distincts : une résistance de l’Ancien Monde, sur ses bastions locaux, mais qui n’imprime plus au niveau national. À l’inverse, on a des partis qui dominent le nouveau paysage politique au plan national, mais qui n’ont pas encore la capacité à s’enraciner au plan local ou régional. À partir de là, deux scénarios sont envisageables en avril : soit on a une qualification de Valérie Pécresse au second tour avec sa victoire finale éventuelle et on connaîtra alors un retour vers le clivage traditionnel, soit Macron est reconduit et la recomposition politique s’accélérera, avec un important changement du côté de ce qu’on appelle encore aujourd’hui la gauche, un magistère réel du parti écolo sur ce qui restera du PS… b

Dernière question qui nous ramène clairement à votre analyse du jeu politique actuel. Le président sortant a sciemment décidé d’être clivant, comme le montre sa sortie sur le fait « d’emmerder », ce sont ses termes, les non-vaccinés. Ce clivage, n’est-ce pas une façon pour lui de choisir clairement son adversaire du second tour ?

C’est tout à fait ça. Il y a une dimension très tactique qui est évidente : si on a affaire à un candidat d’extrême-droite au second tour, ce sera électoralement pour lui la configuration la plus confortable, car même si ça marchera sûrement moins bien que par le passé, le phénomène du front républicain jouera son rôle. Mais il y a une seconde №44 — Mars 2022 — Politique

b GRA ND ENTRETI EN – Jérôme Fourquet

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S ACTUALI TÉ — FU T U R DÉ SI RABLE ? Aurélien Montinari

JoeySee - DR

l e é r e L e l b u o et son d : s r e v a t é M l’envers r o c é d du « Tout ce qui était directement vécu s’est éloigné dans une représentation. » Guy Debord

Thomas Heckel, directeur artistique à The Mill №44 — Mars 2022 — Politique

Le 28 octobre dernier, Mark Zuckerberg, PDG de Facebook a annoncé le changement de nom de son entreprise désormais rebaptisée Meta. Sorte de renaissance pour le réseau social qui reste, lui, Facebook, mais qui évolue vers une forme totalement virtuelle : le métavers. Retour sur cette annonce, les technologies sous-jacentes et les enjeux sociaux et environnementaux de ce nouvel univers avec Thomas Heckel, strasbourgeois d’origine et directeur artistique à The Mill, société britannique spécialisée dans les effets spéciaux. S ACTUA L I TÉ

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© Bantam Book

© Le LIvre de Poche

« L’entrepreneur américain évoque un futur tout droit sorti d’un roman de science-fiction où la réalité disparaît au profit d’une sorte d’hyperréalité. »

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Couverture US de 1964 de Simulacron-3 par Daniel F. Galouye, aux éditions Bantam Book. Roman américain de science-fiction publié en France en 1968 et dans lequel Le Simulacron-3 est une machine permettant de simuler l’existence d’un monde afin de l’étudier, et qui questionne in fine de la réalité du monde.

Couverture française du Samouraï Virtuel aux Éditions Le Livre de Poche. Le Samouraï Virtuel (Snow Crash dans sa version originale) est un roman américain de science-fiction écrit par Neil Stephenson en 1992 qui se déroule dans un univers cyberpunk. Cette dystopie est l’une des premières à faire mention du métavers, concept inventé par son auteur.

es dernières décennies, la technologie a donné le pouvoir aux gens de se connecter et de s’exprimer plus naturellement. Quand j’ai commencé Facebook, nous tapions des textes sur les sites Internet. Quand nous avons été dotés de téléphones avec des appareils photo, Internet est devenu plus visuel et mobile. (…) Nous sommes passés d’ordinateurs de bureau au Web, puis au mobile ; des textes aux photos, puis aux vidéos. (…) La prochaine plateforme sera plus immersive – un Internet vivant et incarné, où vous vivrez l’expérience, sans vous contenter de seulement la regarder. Nous appelons ça le métavers, et cela concerne chaque produit que nous fabriquons ». On n’est jamais mieux servi que par soi-même, et c’est donc sur sa propre page Facebook que Mark Zuckerberg a dévoilé le nouvel objectif de l’entreprise qu’il a créée il y a maintenant 18 ans. Dans une sorte de prophétie auto-réalisatrice teintée de mégalomanie (le développement du métavers a tout de même coûté la bagatelle de 10 milliards de dollars, pour la seule année 2021), l’entrepreneur américain évoque un futur tout droit sorti d’un roman de science-fiction où la réalité disparaît au profit d’une sorte d’hyperréalité. « Se

sentir réellement présent aux côtés d’une autre personne est le rêve ultime de la technologie des réseaux sociaux. (…) Dans le métavers, vous serez capable de faire presque tout ce que vous imaginez : être entouré des amis et de la famille, travailler, apprendre, jouer, acheter, créer (...) Vous serez capables de vous téléporter instantanément, sous forme d’hologramme, à votre bureau, sans vous déplacer. Vous pourrez assister à un concert avec des amis, ou faire irruption dans le salon de vos parents pour prendre de leurs nouvelles ». Tout un programme auquel il semblerait d’ailleurs que l’on n’ait d’autre choix que de souscrire, mais dont le jeune démiurge omet d’évoquer les origines et les implications…

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MÉTA-DISCOURS Si Mark Zuckerberg annonce l’existence de sa « plateforme informatique du futur » sans complexe, cette dernière fait cependant appel à des concepts et des technologies élaborés, parfois même obscurs pour les non initiés… Le mot lui-même, « métavers », (de l’anglais metaverse, contraction de meta universe, c’est-à-dire méta-univers) fait référence à un monde fictif, constitué d’espaces

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Capture écran Matrix © Warner Bros (1999)

Affiche promotionnelle © Metropolitan Filmexport (1992)

Affiche française du film Le Cobaye (The Lawnmower Man en anglais). Il s’agit d’un film américain de science-fiction sorti en 1992 et réalisé par Brett Leonard, dans lequel, grâce à une expérience scientifique basée sur la réalité virtuelle, un simple d’esprit se voit doté de pouvoirs spéciaux et d’une super intelligence.

Capture d’écran du film Matrix (1999) réalisé par Lilly Wachowski et Lana Wachowski. Film australo-américain de science-fiction qui dépeint un futur dystopique dans lequel la réalité du monde perçue est une simulation virtuelle controlée par des machines.

virtuels, persistants et partagés, accessibles via des interactions en 3D (trois dimensions). Le fonctionnement du métavers repose sur deux technologies : la réalité augmentée (AR pour Augmented Reality en anglais) et la réalité virtuelle (VR pour Virtual Reality). Là où la réalité virtuelle simule un environnement en trois dimensions à l’aide d’un ordinateur, la réalité augmentée, elle, superpose à la réalité sa représentation numérique actualisée en temps réel. « Ce que propose Facebook depuis sa création, c’est un support, en l’occurrence un réseau. Dans le projet de métavers, ce réseau est adapté en 3D, rien de plus », résume Thomas Heckel. Pour évoluer dans le métavers, il faut s’équiper d’un casque qui immerge totalement le regard de l’utilisateur dans un décor en 3D. Des contrôleurs permettent enfin de « saisir » des objets et il existe même déjà des systèmes de tapis roulants recréant l’effet de déplacement. À travers un avatar numérique, vous avez ainsi la possibilité d’interagir dans un univers 100 % virtuel. L’ubiquité à portée de clic ! Si ces technologies servent ici une nouvelle forme de réseau social, elles existent cependant depuis longtemps, dans d’autres domaines et dans

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la région ! Ainsi, Europa-Park a développé en 2002 une société de création cinématographique et de jeux vidéo nommée MackMedia qui a inventé la marque Coastiality, une technologie de réalité virtuelle à bord de montagnes russes rendant l’expérience encore plus immersive.

FUTUR ANTÉRIEUR Expérience virtuelle interactive, le métavers ne date pas d’hier et n’est sûrement pas l’apanage de Mark Zuckerberg. En réalité, il faut remonter en 1964 pour trouver la première définition de ce concept développé par l’écrivain de sciencefiction Daniel Francis Galouye dans son roman Simulacron 3. Le mot « métavers », lui, apparaîtra presque 30 ans plus tard, sous la plume de l’auteur cyberpunk Neal Stephenson, dans son livre Le Samouraï virtuel, paru en 1992. Le cinéma s’emparera aisément de cette représentation cyberdelic (fusion de technologie cybernétique et culture psychédélique) avec des films comme Le Cobaye (toujours en 1992), Matrix (1999) ou plus récemment Ready Player One (adaptation du roman de Ernest Cline). L’univers vidéoludique développera ses propres métavers à travers la création de jeux comme Second Life (2003), №44 — Mars 2022 — Politique


Capture écran Ready Player One © Warner Bros (2018)

Capture d’écran du film Ready Player One réalisé par Steven Spielberg en 2018. Le film est une dystopie dans laquelle un monde virtuel conçu comme un jeu vidéo est devenu au fil du temps une vraie société virtuelle dont toute l’humanité, par ailleurs en proie à différentes crises, se sert comme d’une échappatoire.

rapidement suivi d’autres plateformes comme World of Warcraft, Minecraft, Fortnite, Decentraland, Roblox ou Animal Crossing. Car la définition du métavers colle parfaitement aux jeux vidéo massivement multi-joueurs disposant de mondes persistants. Si l’on ajoute également les artistes utilisant les technologies du métavers dans leur processus créatif (à l’instar de Anna Zhilyaeva et ses « peintures sculptées »), on comprend vite qu’il n’y a pas un, mais plusieurs métavers, n’en déplaise à Monsieur Zuckerberg…

CRYPTOMONNAIE ET NFT, DU MERCANTILISME DANS LE MÉTAVERS Après Internet et les réseaux sociaux, le métavers sera donc la nouvelle façon d’exister, de communiquer, de s’amuser, d’interagir et de consommer, réunissant en un seul et même espace toutes les fonctions classiques du numérique, l’immersion en plus. Évidemment, toutes les grandes entreprises lorgnent déjà sur leur part du gâteau et ont prévu, tout comme Facebook (pardon, Meta), d’ouvrir leur propre métavers, et tout le gratin du GAFAM d’annoncer №44 — Mars 2022 — Politique

la création de leur propre casque et du monde qui va avec, de Apple à Microsoft en passant par Sony et même Disney. Par ici la monnaie. Car si le réseau social Facebook est connu pour son fameux slogan « c’est gratuit et ça le restera toujours », on parle avec le métavers de toutes autres possibilités, dont celle, notamment, de consommer des objets et services 100 % virtuels grâce aux cryptomonnaies et aux NFT. Une cryptomonnaie (ou cryptoactif, cryptodevise, monnaie cryptographique ou encore cybermonnaie) est une monnaie numérique ne nécessitant aucune banque centrale, utilisable au moyen d’un réseau informatique décentralisé. Ce type de monnaie numérique utilise des technologies de cryptographie reposant sur le principe dit de blockchain, un mode de stockage et de transmission de données sous forme de blocs liés les uns aux autres et protégés contre toute modification. Un NFT (NonFungible Token en anglais soit « jeton non fongible ») est une sorte de certificat attestant d’être l’unique propriétaire d’un fichier numérique (morceau de code, image, GIF, vidéo, objet ou encore personnage de jeu vidéo). Sa sécurisation est elle aussi assurée par le système de blockchain. NFT et cryptomonnaie ouvrent ainsi les métavers à une économie de marché

« Après Internet et les réseaux sociaux, le métavers sera donc la nouvelle façon d’exister, de communiquer, de s’amuser, d’interagir et de consommer. »

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Capture d’écran du jeu vidéo Fornite. Développé par Epic Games depuis 2017, il s’agit d’une plateforme virtuelle dans laquelle les joueurs peuvent combattre, construire leur environnement ou participer à divers événements, tels que des concerts virtuels, comme ceux de la chanteuse Ariana Grande qui ont eu lieu pendant 3 jours en environnement virtuel et accessible à tous.

Capture écran Fortnite © Epic Games

Précurseur dans le domaine du métavers, Second Life est un monde virtuel inventé par Linden Lab sorti en 2003 et dans lequel chaque utilisateur peut concevoir le contenu de l’univers : vêtements, bâtiments, objets, etc., et acquérir des parcelles de terrain en utilisant une monnaie virtuelle.

LE RÉEL ET SON DOUBLE

Capture écran Second Life © Linden Lab

World of Warcraft est un jeu de rôle en ligne massivement multijoueur développé par Blizzard Entertainement depuis 2001. Il est toujours aujourd’hui le plus populaire et immersif des jeux se déroulant dans un univers virtuel.

Image promotionnelle World of Warcraft © Blizzard Entertainement

Capture d’écran du jeu vidéo Animal Crossing, développé par Nintendo à partir de 2001 et qui propose une simulation de vie dans laquelle le joueur emménage dans un village habité par des animaux anthropomorphes.

Image promotionnelle Animal Crossing © Nintendo

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permettant par exemple à des joueurs d’un jeu de tir d’acquérir de nouveaux équipements, armes et tenues, de quoi aiguiser l’appétit des grandes marques qui ont su percevoir le potentiel des métavers en termes de débouchés, et Balenciaga de proposer des versions virtuelles de ses tenues aux joueurs de l’univers Fortnite. Comme le souligne Thomas Heckel, « les gens se connectent dans l’intention de créer un avatar. Le monde, qu’il soit de fantasy ou de science-fiction, importe peu, l’idée est de se projeter dans un personnage qui doit pouvoir être différent chaque jour. » La marque de vêtements de sport Nike a d’ailleurs annoncé l’acquisition de l’entreprise RTFKT, un studio de design numérique produisant des baskets et d’autres accessoires pouvant être portés dans différents environnements en ligne. La révolution virtuelle est en marche et le commerce de détail a de beaux jours devant lui…

Rendez-vous professionnels, jeux vidéo, sport, concerts, shopping, rencontres privées, les métavers ont pour objectif de virtualiser tous les aspects de la vie quotidienne et de les réunir en un même endroit, ce qui n’est pas sans soulever de nombreuses questions. Politiques, éthiques, sociaux ou environnementaux, les métavers auront des impacts non négligeables sur nos vies et ce, que l’on soit connecté ou non ! « Toutes les grandes marques et entreprises vont développer leur propre métavers, et c’est là où ça va devenir très bancal... Internet aujourd’hui est libre. Quand on se connecte, on ouvre un navigateur, et on lance l’adresse sur laquelle on souhaite aller. Mais à l’avenir, sur la plateforme de Facebook, leur métavers va gérer tout ce que vous cherchez, avec ses publicités, ses favoris, même chose si vous vous connectez au métavers de Microsoft ou d’Apple… Le problème est le même qu’avec toutes les technologies : au niveau des lois et des outils de contrôle, les gouvernements sont toujours en retard. Ce sont les GAFAM qui vont créer les plateformes de métavers et décider de leur fonctionnement. Ce sont donc des sociétés privées qui vont déterminer les lois. » explique Thomas Heckel. Dépassés, les №44 — Mars 2022 — Politique


pouvoirs publics le sont d’ailleurs déjà par l’appétit énergétique du numérique. Si l’on en croit le journaliste Guillaume Pitron, spécialiste en géopolitique citant un rapport de Greenpeace, « pour réaliser des actions aussi impalpables qu’envoyer un courriel sur Gmail, un message sur WhatsApp, une émoticône sur Facebook, une vidéo sur TikTok ou des photos de chatons sur Snapchat, nous avons donc édifié, selon Greenpeace, une infrastructure qui, bientôt, sera probablement la chose la plus vaste construite par l’espèce humaine ». « Les métavers devraient d’ailleurs accélérer ce processus » selon Thomas Heckel : « l’impact va être très fort, notamment au niveau des serveurs qui vont devoir tourner 24h/24. Sur l’espace de stockage également, car il va falloir stocker toutes ces données produites par tous ces mondes, et faire en sorte que cela tourne en continu. Il faudra donc de la puissance, de l’espace aussi, et trouver des lieux pour stocker ces serveurs. Ensuite, il va falloir les alimenter, les refroidir, etc. Des actions qui demandent des ressources colossales en eau et en électricité. » À titre indicatif, le plus grand centre de données de la planète se situe en Chine, dans la ville de Langfang, près de Pékin, et mesure l’équivalent de 110 terrains de foot. Quand le virtuel devient soudain bien réel… À peine né, le concept de métavers semble déjà être un non-progrès portant les germes d’une catastrophe à venir, sans même évoquer les retombées psychologiques et sociales de ces réseaux sociaux toujours plus immersifs. « La dopamine est le neurotransmetteur de l’apprentissage par renforcement positif ou récompenses. Dans le cas des réseaux sociaux, être “liké”, avoir un nouvel ami… sont autant de récompenses très rapides, qui renforcent l’attrait pour cette activité qui devient de plus en plus automatique. » analyse Mathieu Anheim, neurologue au CHU de Strasbourg. Un constat glaçant lorsque l’on imagine le potentiel de ces mondes virtuels au sein desquels on pourra se réinventer et prendre le risque d’y rester enfermé, tout comme le personnage du livre de Pat Cadigan, Les Synthérétiques : « Je n’arrive pas à me rappeler ce que ça fait d’avoir un corps. Il avait envie de hurler, mais hurler avec quoi ? » S №44 — Mars 2022 — Politique

« À peine né, le concept de métavers semble déjà être un non-progrès portant les germes d’une catastrophe à venir. »

COMMENTAIRE En conférence de rédaction, Aurélien Montinari nous avait promis un texte très complet – et lisible ! – sur le nouvel univers annoncé en fanfare par le maître du monde californien. Mission accomplie, cher Aurélien, même le diplodocus à la soixantaine finissante que je suis a tout compris. Je te laisserai le soin, dans les quelques numéros à venir, de continuer à décrypter les évolutions et développements de ce machin que nous concocte celui que je ne parviens toujours pas à me représenter autrement qu’en geek prépubère un rien pervers et totalement inadapté à toute autre réalité du monde que celle qui est déjà la sienne : pété de tunes par la grâce d’une puissance publique impuissante et passive, exerçant une domination orwellienne sans faille sur des milliards de zombies casqués en 3D, cryptomonétisés et abrutis, cernés de tous côtés par des Hanouna virtuels qui leur colleraient des nouilles bouillantes via des capteurs installés dans leur slibard, à la moindre velléité de décrocher du Metamachin pour jeter un coup d’œil sur la vraie vie… J’ai un petit-fils de neuf ans, fan de jeux sur tablette, iPhone ou console Switch comme tous les mômes de son âge sauf qu’il a une maman qui se rappelle qu’au début des années 90, je lui avais dit : pas de PlayStation chez nous. Ici, on discute, on communique, on se parle… Aujourd’hui, elle me dit que bien sûr, elle avait fait la grimace à l’époque, mais qu’au fond, c’était une bonne attitude. Et elle fait quotidiennement gaffe à ce que son fils lève souvent les yeux vers le ciel ou continue à s’éclater hebdomadairement à la remarquable école de théâtre qu’il fréquente… Alors, cher Aurélien, continue à m’expliquer le Metatruc qui s’annonce, juste pour que je sois bien au jus des pièges sournois qu’il va immanquablement contenir. Pour que je puisse expliquer à mon petit bout qui va grandir trop vite qu’il faut se méfier comme la peste des vieux prépubères d’outre-Atlantique qui veulent le trépaner et le ruiner en achats de jetons non fongibles, qui sont vraiment les derniers trucs à la con dont il aura besoin dans le monde épatant qui vient… Jean-Luc Fournier

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S ACT UA L I T É — ENGAGEMEN T Marine Dumény

DR – Marine Dumény

La crème de la crème Les start-up à suivre en 2022 Les « entreprises à impact » sont, à l’international, celles qui se portent le mieux. La stratégie RSE, plus discrète en France, offre sur le long terme de meilleures chances de développement. C’est ce que révèle une enquête pour la Harvard Business Revue, menée en 2018 et reconduite fin 2021. Strasbourg l’Européenne a bien reçu le message. Ses jeunes pousses les plus prometteuses portent l’engagement dans leur ADN.

ans une société qui s’urbanise, la gestion des déchets est une des premières questions des collectivités et de ses habitants. Lancée il y a deux ans, Green Phoenix a su séduire la presse locale avec sa collecte de sapins en janvier 2022. Leur concept : le compostage. Leur plus : l’économie circulaire et leur vélo cargo. Pour un abonnement à tarification solidaire (de 5, 7 ou 10 €), vous pouvez venir verser votre seau de compost dans un de leur point de collecte ou sur les marchés strasbourgeois. William Gourdin, le PDG et ses quatre acolytes se chargent de pédaler (avec assistance électrique, puisqu’ils transportent tout de même 600 litres dans leur remorque) pour amener vos biodéchets dans leur entrepôt. Ceux-ci y sont pris en charge par Lingenheld Environnement pour méthanisation afin de produire du gaz de ville. Le compost est valorisé auprès des exploitants agricoles partenaires. De l’ultra-local qui cherche désormais à s’essaimer. La méthanisation est le fer de lance d’Arkéale. Clément Carrato, son fondateur et dirigeant, la veut inscrite dans le

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Green Phœnix

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paysage urbain et via la collecte des biodéchets à vélo cargo. La « BioCapsule » de cette solution est un réacteur enterré à haut rendement (lowtech). Actuellement en test à l’échelle 1/20e à la Meinau, le réacteur est un condensé de technologie, particulièrement adapté pour les villes de plus de 8 000 habitants. Des discussions sont en cours avec l’Eurométropole, avec un argument économique de poids : pour 600 tonnes de biodéchets traités par an, la microméthanisation revient à 80 € la tonne (soit deux fois moins que l’enfouissement ou l’incinération, selon les chiffres de l’ADEME). Clément Carrato et son équipe prévoient la commercialisation et l’industrialisation de leur « BioCapsule » fin 2024.

LA TECHNOLOGIE AU SERVICE DE DEMAIN « Et si vous sauviez 1 milliard d’abeilles ? », propose Tech4Gaia. Farid Maniani, président et cofondateur, a créé avec son équipe des ruches connectées. L’IRCAD a d’ailleurs installé une des premières « Noehmi », du nom du

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« Et si vous sauviez 1 milliard d’abeilles ? » dispositif, sur son toit, en 2021. Dans ce projet se sont engagés l’INSA, l’ECAM, ICube, Centrale Supélec, d’autres laboratoires de recherche et des entreprises, intéressés par les données environnementales. Conçue pour un maillage territorial au profit de l’amélioration des pratiques agricoles, « Noehmi » est en open data. Si quelques-unes de ces données ne sont pas accessibles au grand public, c’est qu’il ne s’agit pas de sanctionner, mais d’éduquer. De quoi plaire à la FDSEA : 500 unités doivent être déployées pour avril sur l’Alsace. Deux chercheurs qui veulent rendre leur voix, leur identité, leurs émotions, aux patients atteints, par exemple, de cancer des cordes vocales : bienvenue dans les bureaux de CandyVoice. Ici, des mathématiques et trois logiciels différents pour l’imitation vocale, détection de celle-ci, et la transformation vocale avec un filtre du bruit. Jean-Luc Crebouw et Malgosia Iwanow développent de nombreux projets, comme l’application de leurs logiciels dans les télétransmissions, la cybersécurité, les centres d’appels ou encore dans la détection des

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Tech4Gaia

Deep Fakes (notamment les imitations de voix de personnalités publiques). Cette dernière sera disponible pour toutes les grandes chaînes d’informations dans quelques semaines.

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Le graphène, matériau record de conductivité thermique, objet d’un Prix Nobel de Physique en 2010, est sous les feux de la rampe depuis, mais extrêmement coûteux à produire. Blackleaf, start-up montée par Yannick Lafue, Housseinou Ba et Cuong Pham-Huu, obtient par un procédé de synthèse inédit et respectueux de l’environnement de réduire drastiquement ce coût. Et de multiplier la production. En partenariat avec le CNRS, dont sont issus les deux derniers fondateurs, l’entreprise développe de nouvelles utilisations (chauffage, dissipation thermique, revêtement anticorrosion, dissipation des ondes, etc.). Cette année, ils installent leur unité de production rue Boussingault et annonceront bientôt un gros contrat.

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Espace Européen de l’entreprise - Bâtiment MIKADO - Schiltigheim


Sébastien Pelka, récemment sur les plateaux de BFM TV, a fondé Direct Market en 2018. Basée en Alsace, l’entreprise a débuté son œuvre sur l’Île-de-France pour des questions de densité urbaine. La plateforme, véritable intermédiaire complet, permet de mettre en relation les agriculteurs et la grande distribution, tout en assurant une totale transparence au consommateur quant aux prix, grâce à des étiquettes. Très attaché à sa région, le CEO ne jure que par l’emploi local et l’intérêt de la simplification logistique. Son arrivée dans le Grand Est et en Alsace coïncide avec un gros recrutement à venir. Il se positionne en soutien des commerçants locaux, de l’engagement de projets de résilience alimentaire et d’alimentations territoriaux.

LA CULTURE TOUJOURS PLUS ACCESSIBLE L’Atelier Pandore, déjà évoqué dans les pages d’Or Norme et connu pour son conteneur à œuvre d’arts itinérant, a sortie début février son beta test d’une toute nouvelle application de guidage du public dans l’espace urbain, par le bot « Camille ». Le premier parcours de visite est celui de la Place du Château, en partenariat avec le 5e Lieu. D’autres sont à venir avec une

« La plateforme (...) permet de mettre en relation les agriculteurs et la grande distribution. »

immersion à base de reconstitution 3D d’objets ou de bâtiments. Mi-février, l’Eurométropole a communiqué dans le cadre du Pacte pour une économie locale durable, sur son nouveau dispositif START-RSE (Soutien aux Transitions Responsables du Territoire – Responsabilité Sociétale des Entreprises). De quoi inciter un peu plus les entreprises et futures microentreprises du territoire à s’investir dans cette démarche. S

Direct Market, Sébastien Pelka

Atelier Pandore, Anatole Boule

ILS SONT AUSSI À SUIVRE

Bilobay surfe sur la mouvance de la conscience écologique jusque dans le domaine de la publicité. Jean Dagré, patron d’une des plus grosses agences de communication strasbourgeoise, s’est lancé dans le calcul : grâce à son site, un bilan carbone en temps réel est possible. Avec des conseils à la clef pour réduire le coût écologique d’une campagne de pub de 15 à 40 %. La demande ne faiblissant pas, la prochaine étape consiste en une ouverture à l’international.

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Woodlight travaille sur la bioluminescence des plantes pour l’éclairage urbain. Les Dr Rose-Marie et Ghislain Auclair travaillent sur leur premier prototype. Les possibilités seront multiples : balisage des voies piétonnes et cyclables, éclairage des enseignes et vitrines, décoration… AirCampus, l’application qui permet aux jeunes de bénéficier d’offres et de cashback fait sa propre publicité. Clément Sornin-Kasbi, Dimitri Roth et Lionel Sadoun font évoluer leur start-up

fine-tech cette année en élargissant leur base d’inscrits bancaires, et développent un aspect-conseil pour optimiser la gestion des ressources financières des jeunes de 15 à 25 ans. Knot, ses trottinettes électriques et Arthur Keller, fêtent leur année de présence à Strasbourg en passant à vingt bornes sur l’Eurométropole. L’occasion également de proposer un abonnement à 40 euros par mois illimité (offre entreprise à 20 € par mois) pour les usagers.

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Cours de récré C’est quoi le genre ? Depuis 2020, la municipalité strasbourgeoise a entamé une végétalisation des cours d’école et une refonte de l’espace pour en faire des cours « non-genrées ». Exit les terrains de foot, place à plus de végétaux, des potagers, pour un partage de l’espace « apaisé ». La volonté : initier un nouveau rapport garçon-fille dès le plus jeune âge pour encourager l’égalité. Mesure justifiée ou excessive ? 40

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Le récent forum de Bioéthique à Strasbourg a abordé la question du genre

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S ACT UA L I T É — ÉGA L ITÉ Barbara Romero

Nicolas Roses

oins de béton, plus de vert dans les cours d’école. Jusque-là, l’initiative est ultra positive, notamment pour offrir des îlots de fraîcheur à nos petits écoliers strasbourgeois en cas de fortes chaleurs. Mais de là à supprimer des terrains de foot à une époque où les fédérations de football enregistrent toujours plus de filles ? Entendons-nous bien : la question de la nécessaire égalité fille-garçon est essentielle à nos yeux. Mais à hauteur d’enfants, comment perçoivent-ils cela ? « Dans mon école, ceux qui aiment jouer au foot jouent au foot, les autres jouent à autre chose », nous lâche un petit garçon de 8 ans. Et les filles ? « Ben oui, les filles qui aiment jouer jouent aussi ! » Bonne nouvelle, le petit gars ne se pose pas la question d’avec qui il joue. Ma question lui a d’ailleurs paru assez bizarre. Les adultes, de fait, ont souvent des questions bizarres… « Est-ce que les enfants de primaire ont ces réflexions ? Consciemment, non, reconnaît Hülliya Turan, adjointe à l’éducation et à l’enfance. La société n’a pas la volonté de dire “on veut dominer les femmes”. Mais la manière dont la société est organisée induit cette réalité. Les enfants se construisent à partir des repères qu’on leur donne. L’objectif n’est pas de faire une omerta contre le foot ni de créer une ségrégation entre filles et garçons. Mais le sujet est la manière dont ils s’approprient l’espace. »

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SUPPRIMER UN TERRAIN DE FOOT, C’EST DAVANTAGE FAVORISER LE JEU MIXTE ? Mettre le terrain de foot ou de basket au milieu de la cour ne serait donc pas inclusif et reléguerait les filles sur les bords de la cour. Ce qui peut déranger dans le principe, №44 — Mars 2022 — Politique

c’est que de fait on oppose fille et garçon, alors que finalement, il y a des garçons qui n’aiment pas les jeux de ballons et de l’autre des filles qui en raffolent. Supprimer un terrain impliquera-t-il qu’ils joueront davantage ensemble ? « Avoir des espaces dégenrés n’est pas de dire on interdit, mais de savoir comment on s’approprie l’espace différemment. Avoir un espace central pour les activités sportives, parfois des cages de but, induit que ce sont essentiellement les garçons qui occupent le centre et les filles les abords. Très jeunes, ces comportements entraînent un rapport filles/garçons en résonnance avec notre société à domination patriarcale. » Dans l’une des cours du centre-ville déjà réhabilitée, les avis des parents sont plus partagés : « Nous avons tiqué à la rentrée quand on a vu que le terrain était enlevé, raconte une maman d’un garçon en CE1. Dans l’absolu, ils peuvent jouer sous le préau ou au gymnase durant le périscolaire. Mais cela me semble assez dingue d’avoir ce type de réflexion ! On n’élève pas nos enfants comme cela aujourd’hui. Et les copeaux de bois qui traînent partout, les bancs en grès des Vosges ultra dangereux, je ne suis pas certaine que cela a été pensé par des parents ! ». Et si l’on prenait le problème par l’autre bout justement, en ne faisant pas de distinction de genre ? Un boulot à faire dès le plus jeune âge. « Quand le bébé naît, les connexions entre les neurones sont seulement ébauchées, elles se fabriquent en fonction de l’interaction avec l’environnement social, familial, culturel, qui va contribuer à façonner notre cerveau », rappelait ainsi Catherine Vidal, neurobiologiste à l’Institut Pasteur lors d’une conférence consacrée au genre dans le cadre du Forum de bioéthique début février. C’est ce que l’on appelle la plasticité cérébrale et cela continue à l’âge adulte, ce qui signifie que rien n’est figé dans notre cerveau. » Et ça, c’est plutôt une bonne nouvelle.

« L’objectif n’est pas de faire une omerta contre le foot, ni de créer une ségrégation entre filles et garçons. Mais le sujet est la manière dont ils s’approprient l’espace. »

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« Quand ce que j’aime ne correspond pas à la norme, est-ce moi le problème ? » Joy Fleutot

Catherine Vidal regrette néanmoins que les adultes participent à sexualiser les habits, la déco, les jeux. Des stéréotypes qui ont la vie dure, mais que souhaite casser Joy Fleutot, créatrice en décembre 2019 d’une boutique non genrée à Strasbourg, Joy & Beauty. « Il y a encore tant de choses à déconstruire : mettre les gens dans des cases ne laisse pas de place à l’individu, rappelle-t-elle. On peut avoir n’importe quel sexe sensible ou pas, avec du leadership ou pas. Quand ce que j’aime ne correspond pas à la norme, est-ce moi le problème ? » Si elle a une clientèle forcément plus open sur les poupées pour les garçons et les voitures pour les filles, elle

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sent que le chemin est encore long. « Je fais comme si je ne connaissais pas les stéréotypes et je laisse parler ma clientèle, sourit-elle. C’est en parlant qu’ils se rendent compte de l’absurdité de ce qu’ils disent. » Une maman se souvient avoir acheté un legging zébré à son fils quand il avait deux ans. Une simple photo Insta a suscité pas mal de réactions sur son look. L’une de ses amies a coupé court en écrivant : style canon, n’en déplaise aux cons. Nos enfants doivent en effet vraiment penser que l’on est con parfois. Souvent. Parce que finalement qui transmet l’idée que le garçon doit être balaise et la fille sensible ? Certainement pas eux. S

DES EMOJIS « HOMME ENCEINT » Dans sa dernière mise à jour, Apple a intégré des emojis « Homme enceint » au motif d’être plus inclusif. Sur le coup, on s’est demandé d’où cela sortait. Ne peut-on pas laisser à la femme cette particularité d’être la seule à pouvoir enfanter ? En réalité, un transgenre de femme à homme, qui conserve ses appareils de reproduction, peut tout à fait tomber « enceint », en suspendant son traitement hormonal. C’est rare, mais cela existe. Si l’on soutient à 1000 % le combat transgenre et les souffrances qui peuvent en découler, cet emoji nous fait plus penser à un gros coup de com’ qu’à une politique inclusive.

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Avec la Caisse d’Epargne Grand Est Europe, demain se construit aujourd’hui.

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S ACT UA L I T É — REP EN S ER L E TRAVAI L Aurélien Montinari

Alban Hefti

RSE L’union fait la force À l’heure où les organisations publiques et privées connaissent un profond bouleversement au travers du télétravail et des politiques de RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises), de nouvelles approches sont nécessaires pour repenser le vivre et le travailler ensemble, c’est là que l’équipe d’experts Utiles intervient.

est sous l’égide de l’agence strasbourgeoise de conseil en stratégie de communication Vuxe (anciennement VEGAS-DELUXE), qu’est né Utiles. Regroupant trois consultants, cette équipe accompagne les entreprises et les collectivités dans leurs évolutions sociétales, numériques et environnementales. Emmanuel Hoff, Emmanuel Guichaoua et Francis Blanrue pensent que « si notre époque change radicalement, il ne faut pas juste changer ce que l’on fait, mais la façon dont on le fait et, surtout, la façon dont on conçoit ce que l’on fait. »

C’

FAIRE MIEUX ENSEMBLE Travaillant aussi bien à l’échelle locale, que nationale ou internationale, ces trois consultants interviennent lors d’ateliers participatifs au sein même des structures. « Nous avons travaillé pour une communauté de communes en Lorraine. Ils souhaitaient mettre en place une

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opération en rapport avec l’écologie. Nous avons donc communiqué sur les enjeux environnementaux et économiques sur leur territoire via de l’affichage, des relations presse, via leur site Internet, leur page Facebook… Ensuite nous avons animé des ateliers avec à la fois des citoyens, des représentants d’associations, mais aussi des entreprises, la CCI et même des élus, des agents des collectivités en lien avec ces sujets. Nous avons défini ensemble le plan d’action et ses étapes, par exemple la création d’un kit zéro déchet, qui allait être distribué gratuitement aux citoyens afin de les aider à agir », explique Francis Blanrue. Car c’est là que se situe la force d’Utiles, dans sa capacité à aborder des problématiques à travers des prismes innovants et en fédérant toutes les parties. Comme le résume Emmanuel Guichaoua, « au lieu de se cantonner à une stratégie de communication et d’espérer que les gens suivent, nous cocréons avec les publics eux-mêmes la manière

« Si notre époque change radicalement, il ne faut pas juste changer ce que l’on fait, mais la façon dont on le fait (...) »

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Francis Blanrue, Emmanuel Guichaoua et Emmanuel Hoff (de gauche à droite)

dont ils ont envie de changer et comment, et à quelle hauteur, ils peuvent le faire. C’est vraiment cette démarche collective qui est intéressante. »

LE « MONDE D’APRÈS » Plus que jamais, la mission d’Utiles auprès des collectivités et entreprises s’avère nécessaire. La pandémie et son corollaire du télétravail ont poussé les structures à repenser leurs techniques de management et à accélérer leur transition digitale, avec cependant une réelle difficulté à appréhender le long terme. Ainsi, pour Emmanuel Hoff, « une des conséquences de la crise est que l’on s’est rendu compte que l’avenir n’existe plus et qu’il n’y a plus

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que des lendemains. Le futur a été effacé au profit de l’instant. Notre rôle est justement d’aider les entreprises à prendre conscience que l’on peut reparler de vision ou d’envie, et ce malgré une navigation à vue. Il est toujours possible de faire les bons choix, aussi bien en termes de management ou de commercialisation, qu’en termes de stratégies de développement. Comment on se reparle ? Comment est-ce que l’on prend conscience des uns et des autres pour avancer ensemble ? C’est ça, en réalité, la plus grosse transformation ! La crise n’a rien créé, elle a juste accéléré le fait qu’il faut que l’on retrouve le sens du collectif. » Utiles, porte bien son nom, au pluriel, évidemment, car c’est ensemble que l’on va plus loin. S

« L’avenir n’existe plus, il n’y a plus que des lendemains… »

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KS promotion UN SAVOIR-FAIRE UNIQUE, DU FONCIER À L’AMÉNAGEMENT Depuis plus de 15 ans, KS promotion intervient dans le montage d’opérations immobilières, leur promotion et leur aménagement. Ces projets se développent notamment dans la région du Grand-Est et plus particulièrement dans le département du Bas-Rhin. De la recherche foncière à la commercialisation des projets, nous avons développé un savoir-faire unique dans quatre secteurs clés pour les investisseurs privés comme institutionnels : les parcs d’activités tertiaires, les bâtiments de bureaux, les ensembles de logements et les immeubles de services (l’hôtellerie, l’immobilier de santé et les résidences senior). kspromotion.fr


! p o o C p s a e C d r e i t r a u Q s e v i R x u De

Entre la crise sanitaire et l’élection de la nouvelle municipalité, la reconversion tant attendue du site de la COOP a pris quelques retards. Mais ce nouveau quartier prend forme avec l’arrivée de ses premiers habitants au printemps 2022. Dernière incertitude encore : qui gèrera la tant attendue Cave à vins ?

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S ACT UA L I T É — RECON VERSION Barbara Romero

Nicolas Roses

in janvier, la Ville et l’Eurométropole de Strasbourg ont annoncé injecter 44,7 millions d’euros supplémentaires dans le quartier des DeuxRives qui court du Neudorf au Port-du-Rhin. « Il s’agit ici de pallier les déficits constatés » reproche l’exécutif strasbourgeois (pour mémoire, aucune crèche publique ou aucun espace socioculturel et périscolaire n’étaient financés et programmés pour 10 000 habitants initialement prévus dans l’ancien planguide !). Cela concrétise l’ambition d’une ville pour tous et toutes, avec des services, espaces et équipements publics accessibles à proximité, à pied ou à vélo. » Un positionnement que Alain Fontanel prend avec le sourire : « Robert Herrmann et l’Eurométropole ne voulaient pas financer les Deux-Rives, rappelle-t-il. Pia Imbs et la nouvelle majorité injectent 45 millions d’euros, c’est sûr qu’avec de l’argent, on fait plus que sans ! C’est utile d’avoir des

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équipements publics… Après, 45 millions d’euros, c’est un autre débat en ce qui concerne l’équilibre budgétaire… »

CONSERVER AU MAXIMUM LE BÂTI, POUVOIR HABITER, TRAVAILLER, SE DIVERTIR… Le site de la COOP est le moins retouché de l’ensemble des Deux-Rives. La volonté de la nouvelle majorité : la création d’une microcrèche, et surtout d’une salle polyvalente dont l’aménagement et les usages font l’objet d’une concertation avec les habitants. « L’idée est de proposer un lieu ressource et fédérateur en complément du Centre Socioculturel du Port-duRhin, précise Floriane Camadro, cheffe de projet de la COOP. Un lien avec le quartier de la COOP, jamais habité, et ceux des

Deux-Rives et du Port-du-Rhin. » À noter aussi, la création d’un centre d’accueil des demandeurs d’asile (CADA). Des apports vus d’un bon œil par Alain Fontanel, porteur de projet quand il était Premier adjoint. « Les modifications sont marginales sur ce site, l’esprit du projet tel qu’il était pensé, à savoir faire revivre une friche abandonnée, redonner le sens historique de ce site avec sa dimension franco-allemande et l’esprit solidaire et coopératif de la COOP est maintenu, se réjouit-il. Compléter, apporter des modifications au fil de l’eau dans un projet au long cours, qui s’inscrit dans une histoire très longue, est naturel. » Comme tout bon journaliste, on espérait un peu plus de débats, mais la COOP semble faire compromis, une fois n’est pas coutume ! Pour mémoire, la SPL des Deux-Rives a racheté la COOP en 2015. À l’origine, la municipalité de Roland Ries souhaitait y construire une nouvelle Laiterie, pour finalement abandonner le projet en 2016. Trop

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Christophe Lasvigne

cher. Le projet phare : la reconversion de la Cave à vins et la salle d’embouteillage, un espace de 11 000 m2, absolument dingue avec sa magistrale verrière. Sur les rangs pour réinvestir les salles des cuves depuis l’origine, Christophe Lasvigne, créateur du Théâtre du vin, a eu un véritable coup de cœur pour le lieu. « Une fois que tu as vu le truc, tu ne peux l’oublier, c’est absolument magique, avec cette beauté brute, son côté industriel, presque futuriste des années 80 ! » Un chai à Strasbourg, ça aurait en effet de la gueule. Seulement voilà, la municipalité en place a lancé un nouvel appel à projets. « Je n’étais pas au courant, confie Christophe Lasvigne. Je leur ai confirmé en décembre que j’étais toujours chaud pour le projet, ils m’ont annoncé une mise en activité en septembre 2023. » Au programme, un chai urbain avec les raisins de vignerons à assembler sur place. « Ils voient le projet d’un bon œil, mais m’ont demandé d’être plus inclusif ! Il s’agit de m’ouvrir à tout type de population, car la consommation de vin ne concerne pas tout le monde. Je planche dessus, en organisant par exemple des visites pour les écoles, en créant un vrai lieu de convivialité. »

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Reste toutefois une incertitude : quid du Food Court annoncé ? « Franck Meunier ne s’est pas retiré, confirme Floriane Camadro. Mais nous n’avons pas encore de visibilité sur les preneurs et les activités qui s’y développeront. Cela devrait se décanter dans les mois à venir. » Selon Christophe Lavisgne, une fermeture tardive du Food Court serait désormais exclue. Ce qui de fait redistribuera les cartes pour un investissement important en période incertaine et difficile pour la restauration depuis deux ans. Affaire à suivre donc.

UNE NOUVELLE HISTOIRE À ÉCRIRE Pour le reste, la COOP - dont la SPL-Deux Rives et l’architecte Alexandre Chemetoff ont souhaité conserver au maximum les bâtiments emblématiques et l’esprit industriel - jouira à terme d’une mixité d’usages. Les musées de Strasbourg y ont déjà investi le bâtiment de l’Union sociale pour y stocker leurs fonds, la Virgule regroupe des ateliers d’artistes et artisans dans un esprit frais et résolument contemporain. Dans le bâtiment de l’administration, on retrouvera le KaléidosCOOP, un tiers-lieu

transfrontalier pour l’insertion par l’emploi qui devrait ouvrir en septembre. Y cohabiteront des espaces de coworking, des bureaux, la Maison de l’emploi, Le Café culture souhaité mixte et vivant avec une magnifique verrière, et la Vitrine sociale et solidaire qui regroupera une quinzaine de structures locales comme Emmaüs ou les Jardins de la Montagne-Verte. « On veut créer un quartier où l’on peut habiter de manière qualitative, travailler, se divertir », détaille la cheffe de projet. À venir aussi un parking en silo dont les travaux viennent de démarrer, La Sérigraphie – dont les travaux démarreront en 2023 - un mix entre lofts industriels en autopromotion, bureaux, cafés, terrasses, microcrèche franco-allemande, et une « Winery urbaine » portée par Igor Monge, œnologue créateur du vin strasbourgeois « Niderwind ». La nouvelle COOP, ce sont aussi 550 logements, dont 32 % de logements abordables, avec l’arrivée des premiers habitants ce printemps. Une nouvelle histoire est à écrire S

n projet e naître le tier-coop.f r n o c r u Po ar www.qu détail : №44 — Mars 2022 — Politique


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PREMIER SUR LA Région


S ACT UA L I T É – MÉTIER MENACÉ Lisette Gries

Nicolas Roses

Robotrad Traducteur : un métier malmené Les textes et autres contenus ne connaissent plus de frontières : on n’a jamais autant eu besoin de traduction dans nos vies ! Pourtant, la profession cherche sa voie d’avenir, menacée notamment par le développement de la traduction automatique. Le sujet est loin d’être anecdotique : sommes-nous prêts à lire des textes de moindre qualité ? Margarete Flöter-Durr

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anvier 2021, Capitol Hill à Washington. Amanda Gorman, une jeune poétesse noire américaine, lit l’une de ses œuvres lors de l’investiture de Joe Biden à la présidence des États-Unis. Le succès est immédiat, et plusieurs maisons d’édition dans le monde souhaitent publier son poème, intitulé The Hill We Climb. Aux Pays-Bas, le choix d’une traductrice blanche suscite les protestations d’une activiste noire. La polémique se répète en Catalogne, où un homme blanc avait été désigné, et fait des vagues dans l’ensemble du monde littéraire européen. L’argument principal des militants repose sur l’idée qu’il faudrait avoir vécu une expérience semblable à celle d’Amanda Gorman pour bien traduire l’espoir contenu dans ses vers. 30 septembre 2021, Strasbourg. À l’occasion de la Journée internationale de la traduction, l’Université organise pendant deux jours le colloque interdisciplinaire « Robotrad : Vers une robotique du traduire ». Universitaires et professionnels échangent sur les enjeux pour leur métier de l’irruption des logiciels de traduction. Les avis sont partagés au sein même du milieu professionnel sur l’intérêt de ces solutions dites « intelligentes ». Ces deux événements balisent les défis qui se posent à la profession. Entre les revendications identitaires et

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la concurrence de systèmes automatisés toujours plus performants, les traducteurs ont-ils un avenir ?

LE CHOIX DES MOTS Si elle a fait un peu de bruit médiatique, en s’inscrivant dans un débat public plus large sur la représentativité, la polémique sur les traducteurs d’Amanda Gorman a fait long feu. « C’est essentiellement la traduction littéraire et politique qui est concernée par ce sujet. Le questionnement n’est pas inintéressant » estime Rozenn Guennou, traductrice professionnelle anglais – espagnol - italien – français. « Certes, la traduction consiste à se mettre le plus possible dans la peau de l’auteur, mais il faut accepter que lorsqu’on travaille, on ne peut pas se départir de notre subjectivité. Il me semble intéressant d’interroger ce prisme, sans pour autant tirer en tirer des conclusions générales. » À l’inverse, le rôle des logiciels de traduction, peut-être moins à même de créer le buzz, a des conséquences très concrètes pour tous les professionnels du secteur. Deux types de technologies existent : les mémoires de traduction et les systèmes de traduction automatique. Les premières sont des bases de données linguistiques dans lesquelles le traducteur enregistre des segments de texte et leur traduction dans une autre langue. Ces segments stockés peuvent être réutilisés ultérieurement. Les systèmes de traduction automatiques sont des logiciels ou des applications en ligne qui traduisent eux-mêmes le texte qu’on leur soumet : il s’agit par exemple de Google Translate ou de DeepL, dont il existe une version payante. « La machine effectue des choix statistiques pour traduire : elle choisira pour chaque

« Aucune machine ne remplacera la qualité de travail proposée par un professionnel. » Margarete Flöter-Durr №44 — Mars 2022 — Politique

terme son équivalent le plus couramment utilisé, explique Rozenn Guennou. Ces moteurs sont enrichis par les bases de données, mais se corrigent aussi euxmêmes au fur et à mesure qu’ils traitent un segment, grâce à l’intelligence artificielle. » Ces logiciels, DeepL en particulier, proposent un rendu satisfaisant, notamment pour des combinaisons de langues courantes (français-allemand, par exemple).

CORRECT, MAIS PAS PRÉCIS « Aucune machine ne remplacera la qualité de travail proposée par un professionnel, qui peut comprendre le contexte et les nuances dans l’usage des mots, souligne cependant Margarete Flöter-Durr, traductrice diplômée allemand-russe-français et docteur en études germaniques. C’est problématique, par exemple, quand les institutions européennes se servent des outils de traduction automatique pour proposer une traduction des textes à peu près correcte grammaticalement, mais pas précise, en polonais ou en serbo-croate par exemple. Les citoyens de ces pays n’ont pas accès à des écrits d’aussi bonne qualité que les francophones ou les germanophones… » Dans les domaines de la justice, de l’industrie, des technologies ou encore des sciences, ces approximations peuvent également être préjudiciables. « Avec ces solutions de traduction automatique, les professionnels sont amenés à exercer

une nouvelle activité : la post-édition ou la révision. Il s’agit de relire ce qu’a produit la machine et de le comparer avec le texte d’origine pour corriger d’éventuelles erreurs », ajoute-t-elle. Une activité moins créative que la traduction, et qui n’a pas les mêmes critères d’exigence.

UN MARCHÉ SCINDÉ « Davantage que les systèmes informatisés, c’est la difficulté à faire comprendre au public l’importance d’une traduction de qualité qui nous menace », affirment l’une et l’autre. Outre l’avenir de leur profession, elles pointent aussi un autre risque : l’appauvrissement de la langue. « On observe un figement des discours. Le traitement automatique des langues repose sur une approche purement statistique, qui va à l’encontre de ce qu’est une langue vivante », note Margarete Flöter-Durr. L’avenir du métier de traducteur repose finalement sur le maintien d’un niveau d’exigence élevé quant à la précision des textes dans certains domaines. « Le marché se scinde, entre de la traduction low-cost et des productions plus qualitatives », remarque Rozenn Guennou. « Cela pourrait déboucher sur une nécessité de se spécialiser, or les formations adaptées restent peu courantes. De plus, reprendre des études peut être coûteux », met pourtant en garde Margarete Flöter-Durr, moins confiante que sa consœur, et inquiète d’une paupérisation du métier. S S ACTUA L I TÉ

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S ACT UA L I T É — MASTER EN DROIT EUROPEEN, SCIENCES-P O ET… REFUGIÉ Véronique Leblanc

Nicolas Rosès

Farès Nahlawi « Je veux écrire mon propre scénario de vie. » Même pondération et même détermination. Six ans après notre première rencontre en 2015 (lire Or Norme N°19 de décembre 2015), Farès Nahlawi semble ne pas avoir changé et pourtant, que de de chemin parcouru…

Farès Nahlawi, aujourd’hui diplômé d’un master en droit européen et droits de l’homme obtenu avec mention et suivi d’une admission à Sciences Po Strasbourg.

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l’époque, ce jeune Syrien arrivait d’Istanbul où il s’était réfugié après le déclenchement de la guerre. Il avait suivi le chemin des migrants et demandeurs d’asile : la traversée en dinghy suivie d’un accostage sur l’île de Lesbos, la périlleuse route des Balkans ensuite et l’arrivée à Vienne. De là il a pris le train pour Strasbourg simplement parce qu’à l’aéroport d’Athènes, il avait croisé Isabelle, l’une de nos concitoyennes. Elle lui avait donné son numéro de téléphone « si jamais » et elle a tenu promesse lorsqu’il l’a appelée d’Autriche. Et ce choix de Strasbourg Farès ne l’a jamais regretté… L’accueil d’Isabelle lui a permis de prendre son envol dans une France dont il rêvait pour la poursuite de ses études de droit entamées à Damas et poursuivies en Turquie. « Strasbourg a été en 2015 la première université à s’ouvrir aux demandeurs d’asile », rappelle-t-il. « J’ai pu m’y inscrire dès que j’ai obtenu ce statut en novembre ». Doté d’un solide bagage en langues (anglais et turc), il avait fait deux ans de français en Syrie, mais ne se sentait pas assez à l’aise pour démêler les arcanes du vocabulaire juridique, il a opté pour une première année en « langues et interculturalité » qu’il a validée sans problème, mais en sentant « qu’il pouvait en faire plus ». Désormais à l’aise en français, il s’est orienté en « Langues étrangères appliquées » (anglais, italien, allemand) ce qui lui a permis de se

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dans l’âme, ils sont simplement influencés par les discours envahissants ». Il dit aussi « ne pas reconnaître dans la campagne présidentielle » la France qu’il côtoie. « Les gens manquent d’infos et se contentent de ce qu’on leur sert en permanence », répète-t-il en se souvenant de sa propre expérience lorsqu’il est arrivé à Strasbourg. « J’avais peur des Juifs parce que j’avais été bercé dans un antisémitisme violent dès mon enfance. Voir une synagogue me faisait frissonner… Et puis j’ai fait la connaissance d’un Juif qui est devenu mon ami, j’ai beaucoup lu et j’ai adhéré à la Ligue contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA) ce qui, pour moi, était une manière d’aller à l’encontre de tout ce qu’on m’avait mis dans la tête ».

Farès Nahlawi, est également adhérent de la Ligue contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA)

familiariser avec le système universitaire français et d’obtenir un logement étudiant. C’est aussi à cette époque que lui fut délivré un permis de séjour de dix ans qui lui a ouvert la possibilité de se construire beaucoup plus sereinement un avenir conforme à ses rêves. Après cette année validée avec mention, Farès a franchi le pas. « Enfin le droit ! ».

« UNE BOURSE EST UN VRAI ENCOURAGEMENT » À l’écouter on réalise combien il avait été frustrant pour lui « d’abandonner quelque chose qui avait été commencé ». Reprendre cette formation initiale fut un défi, car la charge de travail était énorme, mais il dit avoir eu « beaucoup moins peur » après la réussite « sans rattrapage » de la première année. À la fin de sa deuxième année réussie sans encombre elle aussi, il a reçu du ministère des Affaires étrangères une bourse de trois ans qui lui a permis de prendre un appartement. Fondée sur « une candidature motivée », celle-ci est le résultat d’une stricte sélection. « En être bénéficiaire a été un vrai encouragement », dit-il. « Voir que l’on croit en vous est très gratifiant ». La réussite de cette troisième année – menée parallèlement à une licence en littérature et civilisation arabes – fut complétée par un master en droit européen et droits de l’homme obtenu avec mention et suivi d’une admission à

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Sciences Po Strasbourg. Fin février, il a entamé un stage à la commission « migrations » de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe qu’il espère compléter, à l’automne, par un autre qui se déroulera à Bruxelles dans les services de la Commission européenne. D’ici là, il devrait avoir obtenu la nationalité française demandée en novembre 2020 et pour laquelle il a passé avec succès l’entretien obligatoire.

« JE NE RECONNAIS PAS LA FRANCE DANS LA CAMPAGNE PRÉSIDENTIELLE » À dérouler le fil de cette success-story, on se dit que tout s’est passé à merveille pour ce jeune homme brillant et déterminé, ce qu’il confirme. « J’ai comblé mes ambitions académiques, dit-il. Je le dois à l’université de Strasbourg et à la ville elle-même où j’ai pu rencontrer des gens de tous horizons sans qu’on me demande : tu viens d’où ? » Cette ouverture, il l’attribue à une certaine ambiance cosmopolite. « Il faut des rencontres pour casser les clichés, les phobies », observe-t-il en regrettant que les médias répercutent surtout des discours xénophobes qui frappent essentiellement « les personnes qui ne croisent que rarement des étrangers ». « Lorsque je quitte Strasbourg, les gens sont gentils avec moi, mais ils me voient comme une exception : “toi c’est pas pareil !”. Ils ne sont pas extrémistes

LES MOTS DÉMOCRATIE, LIBERTÉ, DIGNITÉ, ICI JE LES VOIS EN COULEURS Un déclic qui en a entraîné d’autres. « J’ai tout remis en question », raconte Farès, heureux d’avoir pu se confronter à « des points de vue différents ». « D’être ici m’a donné ma liberté humaine, ma dignité, le droit de m’exprimer. J’y pense tous les jours parce que je sais ce que ça veut dire au quotidien. Je connais l’importance des mots “démocratie”, “dignité”, “liberté”, “État de droit”, “droits humains”. Ici, je les vois “en couleurs”. Le droit d’être soi-même n’a pas de prix quand on a vécu dans une société patriarcale, sexiste, homophobe, antisémite où le religieux ne mène qu’à un conservatisme sans fondement ». Désormais, Farès veut « être l’auteur de son propre scénario de vie » et ne pas être « un acteur de seconde zone dans un film qu’il n’aurait pas écrit ». Il sait que la guerre et l’exil sont des injustices qu’il a dû affronter, mais il refuse de devenir « une victime qui ne fait rien d’autre que mobiliser les sentiments ». « L’aide, souligne-t-il, il faut savoir la demander, mais on se doit d’en faire quelque chose. Il faut avancer et refuser de se duper soi-même ». Ce destin qu’il veut écrire, Farès le voit dans la diplomatie – nationale ou européenne – en gardant « la dimension droits de l’homme » de son cursus. Pour le construire, il étudie et se nourrit de rencontres, de films, de livres… Les Identités meurtrières d’Amin Maalouf, L’Étranger de Camus l’ont beaucoup marqué. Tout comme Le Deuil et la mélancolie de Freud l’aide à dépasser cette enfance en Syrie qu’il ne peut, à l’évidence, rayer d’un trait de plume… S №44 — Mars 2022 — Politique


S O L U T I O N S

T E R R E

C U I T E

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M U R - T O I T U R E - F A Ç A D E

La Terre demande toute notre attention -15%

NEUTRALITÉ

CARBONE 2050

D’ÉMISSIONS CARBONE

2023

La Terre demande toute notre attention, est l’engagement de chacun d’entre nous à être, chaque jour, totalement impliqué à atteindre nos objectifs, ambitieux et passionnants, éthiques et pragmatiques, pour l’environnement. Au programme : neutralité carbone en 2050, recyclabilité et réutilisation à 100% de tous nos nouveaux produits et préservation de la biodiversité dans tous nos sites. Parce que notre engagement doit être durable, nous avons créé notre programme d’actions collaboratives « Tous engagés pour la Terre ». wienerberger.fr


FONDATION BEYELER GEORGIA ON OUR MIND Ci-dessus : Oriental Poppies, 1927

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a C U LT U R E – EX P OS ITION Jean-Luc Fournier Georgia O’Keeffe Museum / 2021, ProLitteris, Zurich – Board of Trustees, National Gallery of Art, Washington – Courtesy of the Georgia O’Keeffe Museum – Rich Sanders, Des Moines

Il avait fallu attendre trente-cinq ans après la mort de Georgia O’Keeffe pour qu’une rétrospective d’envergure soit dédiée à Paris à cette icône absolue du modernisme américain du tout début du siècle dernier. Ce fut l’automne dernier, à Beaubourg avec une centaine d’œuvres venues du monde entier. La Fondation Beyeler a su rebondir sur l’événement, et présente à son tour 85 œuvres de Georgia O’Keeffe, venues essentiellement des musées américains d’où elles sortent si rarement. La rétrospective bâloise est réellement somptueuse et à ne rater sous aucun prétexte… Jack in the Pulpit, 1930

«

n prend rarement le temps de voir vraiment une fleur. Je l’ai peinte assez grande pour que d’autres voient ce que je vois… » Cette citation de 1926 colle parfaitement à l’œuvre de cette peintre devenue très vite la figure emblématique de l’art moderne américain. À cette époque, Georgia O’Keeffe n’a pas encore la quarantaine. Elle se souvient bien sûr de son enfance et de sa jeunesse, vécues essentiellement dans la campagne américaine, elle qui a grandi sur la ferme laitière de ses parents au cœur du Midwest américain, dans le Wisconsin. Repérée très vite comme possédant un don artistique indubitable, elle deviendra assistante puis ensuite enseignante en art d’abord à Charlottesville en Virginie, puis à Canyon, au Texas. D’ailleurs, l’expo de Beyeler n’oublie pas de présenter fusains et aquarelles de ses premiers travaux.

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Mais c’est en venant vivre à New York que sa carrière et sa vie vont prendre un tournant décisif… Georgia O’Keeffe s’installe à New York en 1918 et devient vite membre à part entière d’un petit cercle d’artistes fédérés par Alfred Stieglitz, photographe, galeriste et promoteur éminent de l’art moderne américain. Dans sa galerie, le véritable cœur battant de l’art new-yorkais de l’époque, Stieglitz présente aussi souvent que possible l’avant-garde européenne, mais encourage également la jeune création artistique américaine, à qui il offre une vitrine qui leur permet de recueillir le soutien de nombreux mécènes parmi ses amis. C’est à cette organisation que Georgia O’Keeffe doit son émergence précoce et sa belle carrière qui s’ensuit. Sa relation sentimentale avec Joseph Stieglitz (qui deviendra plus tard son mari) renfor-

cera bien sûr l’incontournabilité de son œuvre lors de ces années où l’art américain émerge vraiment et ose se démarquer de son homologue européen qui, alors, fait pourtant feu de tous bois.

LA PEINTRE DES VAGINS C’est donc un superbe voyage à travers les œuvres exubérantes de cette peintre mythique que la Fondation Beyeler nous propose jusqu’en mai prochain. L’Histoire de l’Art a retenu de Georgia O’Keeffe ses fleurs géantes, leurs orgies de pétales envoûtants et leurs pistils gorgés de sensualité. Bien souvent, avant Beaubourg à l’automne dernier et maintenant Bâle, on ne les avait admirées que sur la plate surface des pages des livres d’art, en raison de la rareté de leurs présentations en Europe (elles ne quittent que rarement a CULTU R E

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« AUJOURD’HUI, L’ŒUVRE DE GEORGIA O’KEEFFE HYPNOTISE PLUS QUE JAMAIS PAR LA SENSUALITÉ, LA LUMIÈRE ET LES COULEURS DE SES TOILES RÉELLEMENT FASCINANTES » Abstraction Alexius, 1928

les quelques musées américains où elles sont accrochées, et encore plus rarement les collections privées). Le choc n’en est que plus grand : si vous allez à Bâle, vous serez vous aussi ébahi par cette étrange sensation d’être littéralement aspiré par la béance du cœur de ces fleurs qui s’exposent enfin sous vos yeux. Il faut sans doute faire un grand effort d’imagination pour comprendre ce même choc ressenti dans les années vingt par une critique qui a été loin, de prime abord, d’applaudir les expos initiales de Georgia O’Keeffe. En 1923, lors de la toute première expo, la révolution freudienne était déjà en cours et la pudibonderie américaine sévissait déjà aussi. La plupart des critiques se sont offusqués devant ce qu’ils imaginaient être l’exposition très crue du désir féminin et la provocation par l’exhibition d’images érotiques qu’ils jugeaient quasi indécentes. La peintre leur répliquera sèchement via la presse en les raillant et en suggérant qu’ils projetaient sur ses toiles leurs propres obsessions secrètes.

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Sans plus s’en soucier, elle poursuivra inlassablement son exploration du mystère des fleurs… Il faudra cependant attendre bien des décennies pour que disparaisse l’expression se voulant dégradante de « la peintre des vagins », longtemps accolée à l’œuvre de cette peintre d’exception.

UNE PEINTRE RARE Aujourd’hui, l’œuvre de Georgia O’Keeffe hypnotise plus que jamais par la sensualité, la lumière et les couleurs de ses toiles réellement fascinantes. Comme toujours chez Beyeler, les rétrospectives n’oublient aucune facette des artistes présentés. Ainsi, on découvre aussi la nature et les paysages du Nouveau-Mexique que Georgia O’Keeffe a découvert en 1929 et où elle s’est mise à séjourner régulièrement pendant des années avant de s’y installer définitivement après la mort de Stieglitz en 1946. Ces œuvres-là respirent tout autant la lumière et les couleurs et surtout confirment la coexistence étroite de la figuration

et de l’abstraction qui aura marqué l’ensemble du travail de O’Keeffe. C’est donc une peintre rare (Le Centre Pompidou ne possède ainsi qu’une seule œuvre de l’artiste !…) qui se voit superbement présentée par la Fondation Beyeler dont c’est, cette année, le 25e anniversaire. Pour fêter dignement cet événement, deux autres expos sont d’ores et déjà annoncées, Mondrian à partir du 5 juin prochain et, au début de l’automne, l’exposition la plus complète à ce jour d’œuvres de la collection de la Fondation, accompagnée d’une riche programmation. a

FONDATION BEYELER Baselstrasse 101 – Riehen / Bâle Riehen est une petite commune limitrophe de Bâle facilement accessible en tram (20 mn) depuis la gare ferroviaire SBB de Bâle. Lignes 1 + 8 Horaires d’ouverture Du lundi au dimanche de 10h à 18h – le mercredi jusqu’à 20h Ouvert tous les jours de l’année, y compris jours fériés №44 — Mars 2022 — Politique


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a C U LT U RE – G RAVURE Eleina Angelowski

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ATELIER DE GRAVURE IMAGO INFINIES NUANCES EN NOIR ET BLANC Les odeurs de l’huile de lin et de la térébenthine réveillent le nez dès que l’on pousse la porte de l’atelier. Un air de sérénité et de concentration plane sur l’espace d’une centaine de mètres carrés, bordé par des larges plans de travail. Ici et là la lumière d’ensemble est accentuée par des éclairages localisés, créant la sensation de confort et de chaleur au cœur de la grisaille hivernale.

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n thé, un café ? » propose le taille-doucier Alban Dreyssé, artiste aquafortiste dont la présence auprès des élèves se fait discrète, mais efficace. Cet après-midi, il aide Adélie, en deuxième année aux Arts déco de Strasbourg et Emma, étudiante en Arts plastiques à l’Université de Strasbourg, à finaliser leurs matrices. Bientôt ce sera « l’heure de la vérité ». On retient son souffle faisant tourner la presse qui fait apparaître enfin le dessin – l’estampe… « Vas-y doucement et sans à-coups !... La gravure n’est pas pour des gens pressés », explique Alban arborant un sourire malicieux au coin des lèvres. « Chaque étape demande une attention particulière. On commence par faire un croquis du projet, puis on prépare la plaque en cuivre ou en zinc. Elle doit être parfaitement polie afin que le fond s’imprime blanc. Seulement ensuite on creusera les traits dans le métal pour que l’encre se dépose dans les tailles après en avoir induit la plaque entière, puis l’avoir essuyée soigneusement, plusieurs fois, à l’aide de chiffons spéciaux. C’est la technique de la pointe sèche et de l’eau-forte dont le trait, vif et nerveux, a fait ses preuves dans les chefs-d’œuvre d’un Albrecht Dürer ou d’un Rembrandt. »

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RÉPÉTER LES MÊMES GESTES QUE LES GRANDS MAÎTRES DEPUIS LA RENAISSANCE… » Alban s’est initié à la gravure d’abord à Paris il y a une dizaine d’années, puis s’est formé sur le tas en travaillant directement avec des artistes et des éditeurs d’art. « J’y ai appris plus que je n’aurai pu en apprendre dans une école, il faut dire que les ateliers de gravure se font de plus en plus rares dans les académies d’art en France » Mais s’il est tant passionné par la taille douce, c’est aussi parce qu’il a l’impression de partager une aventure artistique dont les techniques et les outils n’ont presque pas évolué depuis le XVe siècle. « Répéter les mêmes gestes que les grands maîtres depuis la Renaissance, cela a quelque №44 — Mars 2022 — Politique


chose de magique ! Comme de fonder un atelier en terre rhénane – une région qui a compté des artistes très renommés tel que Hans Baldung ou Martin Schongauer qui faisait partie de la guilde des orfèvres dont la taille douce tire son origine… » Né à Colmar vers 1450, ce dernier était admiré par Michel-Ange, tandis que ses gravures sur bois et sur cuivre étaient célèbres dans toute l’Europe. Se consacrer à la gravure qui allie art et artisanat est donc pour Alban une manière de faire perdurer la tradition, d’où les portraits des grands maîtres sur les murs de l’atelier. On y remarque aussi celui de Mary Cassatt, peintre et graveuse du XIXe siècle : « J’aime beaucoup les aquatintes de Cassatt. À l’atelier, on utilise beaucoup cette technique, tout comme celle de l’eauforte créant mille nuances de gris à l’aide d’un mordant qui attaque la plaque à des degrés différents en fonction du temps de trempage. Aujourd’hui, on se sert moins de l’acide nitrique, l’aquae fortis des alchi№44 — Mars 2022 — Politique

mistes qui abîme les poumons. On utilise plutôt le perchlorure de fer ou du sulfate de cuivre qui sont beaucoup moins toxiques. S’y rajoutent aussi des techniques comme le mezzo tinto, le lavis ou la gravure en taille d’épargne... » Afficher le portrait et les œuvres de Mary Cassat est aussi un hommage à la féminisation croissante de la pratique ces dernières décennies : « La plupart de mes élèves, des artistes en résidence ou ceux qui viennent imprimer leurs matrices chez moi sont des femmes, alors que pendant des siècles la gravure et l’imprimerie étaient essentiellement des métiers masculins », confirme Alban. « C’est probablement parce que ce médium exige une patience et un sens du détail que l’on a davantage su préserver que vous ! », plaisante Ninon, diplômée des Arts Déco de Strasbourg. Après ses deux mois de résidence artistique à l’atelier, elle continue à y venir pour travailler en bonne compagnie. « On forme une sorte de micro-société où amateurs et

« LA GRAVURE N’EST PAS POUR DES GENS PRESSÉS. CHAQUE ÉTAPE DEMANDE UNE ATTENTION PARTICULIÈRE. »

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professionnels se sentent chez eux. À l’atelier on vient pour la gravure, mais aussi pour partager des idées et une chaleur humaine qui a tant manqué ces derniers temps. »

UN ÉTONNANT ENGOUEMENT

« L’ACCIDENT SE TRANSFORME EN DÉCOUVERTE CRÉANT TOUT LE CHARME DU RENDU FINAL. »

L’atelier Imago a ouvert ses portes dans ses nouveaux locaux en plein covid, en mai 2020 ! Pourtant, les cours du soir, les stages et les pratiques ont acquis une popularité qui permet à Alban de faire tourner la boutique tout en vendant ses estampes, principalement sur les réseaux sociaux ou lors des expositions temporaires. « Je remarque que la gravure attire de plus en plus de jeunes. Ils viennent mettre les mains à la pâte, parfois après avoir terminé des études de graphisme où tout se fait par ordinateur. » Étonnant engouement pour un art qui bouscule le rapport au temps à l’heure du tout numérique et de l’impression 3D ! « C’est bien le charme de la gravure» , insiste Alban, « on y apprend la lenteur, mais on ne sent pas les heures passer. Le rapport direct entre la main et la matière pousse la porte vers une autre dimension où la sensualité de l’encre et des gestes rend plus dense notre présence au monde, sans oublier qu’à tout moment le résultat pourrait surprendre. L’accident se transforme en découverte créant tout le charme du rendu final. On est obligé à tous les coups de transformer l’erreur parce que la matière est noble et chère. Il n’est pas question d’effacer et de tout recommencer. C’est une tension permanente entre la parfaite maîtrise du médium et le laissez-faire, une danse où l’on se laisse guider par l’infini du possible. À l’ordinateur, tout est calculé, prévu et figé d’avance. Voilà pourquoi les artistes reviennent vers cette technique ancestrale, parfois pour y travailler même dans le domaine de l’abstraction. » En partant, on comprend qu’Alban ne compte pas s’arrêter là. L’atelier emménagera dans des locaux plus grands et mieux adaptés en avril 2022 avec deux autres associées et la mise place de nouvelles techniques comme la lithographie et la reliure. À la fois artisan tailledoucier, artiste, professeur, mais aussi éditeur d’art, Alban Dreyssé croit en l’avenir de la gravure parce qu’il en est franchement amoureux. a ago.net atelierim Imagoartprint _estampes : k o o b e c r_imago Fa : @atelie m a r g a Inst

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a C ULT U R E – G RA N D ÉCRA N

E R T S , E A M I R INÉM … T LE U C RAI A V E L C’est une nouvelle rubrique que vous trouverez désormais régulièrement dans Or Norme. Son intitulé dit tout : « GRAND ÉCRAN ». Parce que nous sommes des amoureux du cinéma, nous allons essayer de vous dire à quel point il est important de revenir dans nos salles, devant nos grands écrans. Si, comme on peut l’espérer, cette damnée crise sanitaire régresse et qu’une vie culturelle plus intense renaît vraiment, il est vital que nos salles de cinéma retrouvent très vite leur fréquentation d’avant-Covid, il est vital qu’on ressente de nouveau ce besoin de sortir, se poser devant une image et un son à nuls autres pareils et vivre des émotions au diapason de nos voisins d’un soir ou d’un après-midi. C’est au cinéma qu’un film se découvre et se fixe dans notre mémoire. Ce n’est que plus tard, dans son canapé, qu’il se revoit à sa guise, au fil d’une envie subite… Chaque trimestre dans ces pages, on vous dira l’essentiel de ce qui nous attend dans les salles pour les deux ou trois mois à venir. Et, parce que nous sommes décidés à (très) bien faire les choses, il y a aura d’autres très belles surprises dans la rubrique « GRAND ÉCRAN ». Allez, on retourne au cinéma !

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Kingsley présente la nouvelle PUMA CA Pro Classic dans toute sa splendeur minimaliste.

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UNE VRAIE ENVIE DE VOIR…

À PARTIR DU 2 MARS

THE BATMAN De Matt Reeves

ROBUSTE De Constance Meyer

Avec R. Pattinson, P. Dano, C. Farrell

Avec G. Depardieu, D. Lukumuena, L. Mortier

orsqu’un tueur s’en prend à l’élite de Gotham par une série de machinations sadiques, une piste d’indices cryptiques envoie Bruce Wayne alias Batman sur une enquête dans la pègre, où il rencontre des personnages tels que Selina Kyle, alias Catwoman, Oswald Cobblepot, alias le Pingouin, Carmine Falcone et Edward Nashton, alias l’Homme-Mystère.

orsque son bras droit et seul compagnon doit s’absenter pendant plusieurs semaines, Georges, star de cinéma vieillissante, se voit attribuer une remplaçante, Aïssa. Entre l’acteur désabusé et la jeune agente de sécurité, un lien unique va se nouer…

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... parce qu’un Depardieu, qu’il nous énerve ou pas, ça ne se rate pas…

... parce qu’on ne lâche pas une série comme ça…

À PARTIR DU 9 MARS

À PARTIR DU 16 MARS

À PARTIR DU 23 MARS

GOLIATH De Frédéric Tellier

NOTRE DAME BRÛLE De Jean-Jacques Annaud

LA BRIGADE De Louis-Julien Petit

Avec G. Lellouche, P. Niney, E. Bercot

Avec O. Diolo, S. Labarthe, J-P. Bordes

Avec A. Lamy, F. Cluzet, C. Neuwirth

rance, professeure de sport le jour, ouvrière la nuit, milite activement contre l’usage des pesticides. Patrick, obscur et solitaire avocat parisien, est spécialiste en droit environnemental. Mathias, lobbyiste brillant et homme pressé, défend les intérêts d’un géant de l’agrochimie…

e long métrage de Jean-Jacques Annaud, reconstitue heure par heure l’invraisemblable réalité des évènements du 15 avril 2019 lorsque la cathédrale subissait le plus important sinistre de son histoire. Et comment des femmes et des hommes vont mettre leurs vies en péril dans un sauvetage rocambolesque et héroïque.

epuis toute petite, Cathy rêve de diriger son propre restaurant. Mais à quarante ans, rien ne s’est passé comme prévu et elle se retrouve contrainte d’accepter un poste de cantinière dans un foyer pour jeunes migrants. Son rêve semble encore s’éloigner… ou pas ?

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... parce que la distribution et le sujet excitent… ... parce que Jean-Jacques Annaud est un des rares réalisateurs français qui sait filmer en XXL.

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... parce que Louis-Julien Petit avait réalisé Les Invisibles en 2019 et que c’était un sacré bon film !

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À PARTIR DU 30 MARS

EN CORPS De Cédric Klapisch Avec M. Barbeau, H. Shechter, D. Podalydès lise, 26 ans est une grande danseuse classique. Elle se blesse pendant un spectacle et apprend qu’elle ne pourra plus danser. Dès lors sa vie va être bouleversée, Élise va devoir apprendre à se réparer… Entre Paris et la Bretagne, au gré des rencontres et des expériences, des déceptions et des espoirs, Élise va se rapprocher d’une compagnie de danse contemporaine. Cette nouvelle façon de danser va lui permettre de retrouver un nouvel élan et aussi une nouvelle façon de vivre.

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... parce qu’un film de Cédric Klapisch, c’est comme un Almodovar, faut l’avoir vu…

À PARTIR DU 27 AVRIL

À PARTIR DU 6 AVRIL

EN MÊME TEMPS De Gustave Kervern, Benoît Delépine Avec V. Macaigne, J. Cohen, I. Hair la veille d’un vote pour entériner la construction d’un parc de loisirs à la place d’une forêt primaire, un maire de droite décomplexée essaye de corrompre son confrère écologiste. Mais ils se font piéger par un groupe de jeunes activistes féministes qui réussit à les coller ensemble. Une folle nuit commence alors pour les deux…

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... parce qu’à quatre jours du premier tour de la Présidentielle, faut quand même oser sortir un film pareil… (et puis, Cohen et Macaigne, ça arrache bien, non ?..)

Avec M. Smith, I. Staunton, D. West e réalisateur primé Julian Fellowes présente le film événement Downton Abbey II : Une Nouvelle Ère. Le retour très attendu du phénomène mondial réunit les acteurs favoris de la série pour un grand voyage dans le sud de la France afin de découvrir le mystère de la villa dont vient d’hériter la comtesse douairière.

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... parce que la curiosité de découvrir la version grand écran d’une série à succès…

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LA REVANCHE DES CREVETTES PAILLETÉES De Cédric Le Gallo, Maxime Govare Avec N. Gob, A. Lenoir, B. El Atreby lors qu’elles sont en route pour les Gay Games de Tokyo, les Crevettes Pailletées ratent leur correspondance et se retrouvent coincées au fin fond de la Russie, dans une région particulièrement homophobe…

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... parce que ce film est annoncé comme très déjanté…

EN MAI…

LES PASSAGERS DE LA NUIT De Mikhaël Hers

HOMMES AU BORD DE LA CRISE DE NERFS De Audrey Dana

Avec C. Gainsbourg, E. Béart, N. Abita

Avec T. Lhermitte, R. Bedia, F-X. Demaison

aris, années 80. Élisabeth vient d’être quittée par son mari et doit assurer le quotidien de ses deux adolescents, Matthias et Judith. Elle trouve un emploi dans une émission de radio de nuit, où elle fait la connaissance de Talulah, jeune fille désœuvrée qu’elle prend sous son aile.

ept hommes, de 17 à 70 ans, que tout oppose, sinon d’être au bord de la crise de nerfs, se retrouvent embarqués dans une thérapie de groupe en pleine nature sauvage. Ce stage mystérieux, « exclusivement réservé aux hommes », est censé faire des miracles. Première surprise à leur arrivée : le coach est une femme !

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DOWNTOWN ABBEY II : UNE NOUVELLE ÈRE De Simon Curtis

À PARTIR DU 13 AVRIL

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CŒURS VAILLANTS De Mona Achache Avec C. Cottin, S. Arlaud, œurs Vaillants retrace l’odyssée de 6 enfants juifs cachés pendant la guerre, partis trouver refuge là où personne ne pense à aller les chercher… dans le château et le parc du domaine de Chambord, au milieu des œuvres d’art cachées du Louvre. À cœur vaillant rien d’impossible…

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Merci à Laurence Algret et aux équipes de UGC Strasbourg

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Le voyage se poursuit... La nouvelle carte signée Maud David-Aracil. Des produits locaux sublimés par des saveurs méditerranéennes. Une adresse à découvrir pour vos dîners, à redécouvrir pour vos déjeuners.

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BOMA Strasbourg


a C U LT U RE — S CIENCE Véronique Leblanc

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UNE HORMONE QUI NOUS VEUT DU BIEN

« OCYTOCINE MON AMOUR » Prenez une exposition sur l’amour, un chercheur en innovation thérapeutique strasbourgeois, une journaliste parisienne devenue éditrice scientifique, un brin de persuasion de la seconde pour convaincre le premier. Comptez sur le hasard et la nécessité et vous obtiendrez un livre passionnant paru l’automne dernier : Ocytocine mon amour.

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e titre fait référence à Hiroshima mon amour, précise l’auteur, Marcel Hibert. Qui ajoute aussitôt : « La bombe atomique est une arme de destruction massive, l’ocytocine est une arme de reconstruction massive ». C’est en découvrant l’exposition De l’amour qui s’est tenue au Palais de la Découverte de Paris en 2020 que l’éditrice Olivia Recasens a craqué pour cette molécule connue depuis les années 1950 pour favoriser les contractions lors de l’accouchement et la lactation, mais dont le potentiel n’est apparu que bien plus tard, lors d’un congrès organisé à Montréal en 1997. Lui-même spécialiste de l’ocytocine, Marcel Hibert y a assisté à la présentation d’une expérience fondée sur l’observation de deux types de campagnols américains, ceux des prairies monogames et parents attentionnés et ceux des montagnes volages, peu soucieux de leur progéniture. Seule différence entre eux : le taux de deux hormones dont l’ocytocine. « Il a suffi d’inhiber celle-ci chez les premiers et d’en injecter aux seconds pour inverser les comportements », raconte Marcel Hibert. Pour ce passionné du vivant, spécialisé dans les mécanismes moléculaires de l’amour, ces nouvelles perspectives

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« LA BOMBE ATOMIQUE EST UNE ARME DE DESTRUCTION MASSIVE, L’OCYTOCINE EST UNE ARME DE RECONSTRUCTION MASSIVE. »

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« DERRIÈRE TOUT SENTIMENT, IL Y A UN COCKTAIL COMPLEXE ET INEXPLICABLE OÙ ELLE JOUE UN RÔLE DE LIANT. »

Marcel Hibert

représentaient un magnifique « fil à tirer » qu’il évoquait en vidéo dans le cadre de l’exposition parisienne. S’il avoue avoir hésité lorsque l’éditrice l’a contacté pour faire un livre de toutes ces découvertes, le désormais auteur reconnaît avoir pris « un énorme plaisir » à écrire ce récit aussi exigeant que tendre et drôle. « Se posait la question de la vulgarisation qui impose tant la simplification d’une démarche scientifique que la mise en garde contre les dérives », raconte-t-il, « j’ai demandé dix jours de réflexion et puis je me suis lancé en commençant par la lecture la plus exhaustive possible de tout ce qui a été publié ».

UNE HORMONE QUI NE NOUS VEUT QUE DU BIEN Ses propres recherches thérapeutiques sur l’ocytocine ont commencé en 2003, après six années d’hésitation. « Présente chez tous les êtres vivants sexués – de l’homme au ver de terre –, l’ocytocine est source d’empathie, de confiance, d’attachement. Si l’on agit sur les capteurs, le risque d’une manipulation des personnalités existe, il faut en

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prendre la mesure et c’est ce que nous avons fait, notamment en consultant des philosophes. » Mais cette molécule ouvre aussi de nombreuses perspectives en matière de lutte contre la douleur, la dépression, l’anxiété sociale, l’anorexie, les tocs… Elle peut aussi favoriser les sevrages (drogues et alcools), retarder le vieillissement et surtout aider au traitement de l’autisme. Véritable couteau suisse de la nature qui en use pour lier au plaisir tout ce qui est nécessaire à la survie de l’espèce, l’ocytocine est difficile à administrer autrement que par spray nasal et donc difficilement dosable, tempère cependant Marcel Hibert, « elle est instable et relativement grosse. Administrée par voie orale, elle finit dans l’intestin et par voie sanguine elle est détruite par le foie ». Pour y pallier, il fallait trouver « une molécule qui la mime, qui soit “petite”, stable, capable d’atteindre le cerveau et brevetable ». Tâche à laquelle lui et son équipe se sont attelés envers et contre les échecs et les découragements. Avec à la clé : la découverte de LIT-001 suivie de LIT-002 dont le profil sera affiné et décliné pendant au moins un an avant

d’être proposé à l’industrie pharmaceutique pour traiter les symptômes primaires de l’autisme. Si elle est nécessaire à la formation et à la pérennité d’un couple, l’ocytocine n’a rien d’une molécule du coup de foudre. « Derrière tout sentiment, il y a un cocktail complexe et inexplicable où elle joue un rôle de liant », résume Marcel Hibert. Mais une chose est certaine à ses yeux : « L’ocytocine est une hormone qui nous veut du bien ! » a

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OPÉRA NATIONAL DU RHIN

L’INVITATION AU VOYAGE DU FESTIVAL ARSMONDO TSIGANE « Interdisciplinarité et ouverture sur le monde. » Ce sont les tout premiers mots prononcés par Alain Perroux, le directeur de l’Opéra national du Rhin lors de la présentation de l’édition 2022 de Arsmondo, ce festival voulu passionnément et créé il y cinq ans déjà par la regrettée Eva Kleinitz, la directrice d’alors, qui nous a quittés bien trop tôt au printemps 2019… 76

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a C U LT U R E – F ESTIVAL ARS MOND O Jean-Luc Fournier

Jeannette Grégori – Sébastien Pelletier-Pacholski – Or Norme – DR

près le Japon (sublime première édition de Arsmondo en 2018) puis l’Argentine (2019), l’Inde, malheureusement occultée par le surgissement de la crise sanitaire en 2020 et le Liban, sous format numérique l’an passé, Arsmondo renoue avec sa formule initiale, un formidable florilège de rencontres interculturelles de très haut niveau à partir du 11 mars prochain.

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Dans sa présentation à la presse le 16 février dernier, Alain Perroux a insisté sur l’évolution de Arsmondo, « une ouverture à des cultures transnationales qui ne s’arrêtent pas à un pays ou une région du monde, mais en habitent plusieurs ». Dans cette optique, le choix de la culture tsigane s’imposait donc comme une évidence. Qu’on les nomme tsiganes, romanichels, gitans… ne sont-ils pas tous avant tout des Gens du Voyage, ces nomades originaires du Penjab au nord de l’Inde et qui ont irrigué les pays de l’Est de l’Europe jusqu’à la péninsule ibérique, via la France et bien sûr l’Alsace ?

UNE PROGRAMMATION EXCITANTE Au total, ce sont donc plus de trente événements dans onze lieux strasbourgeois et alsaciens qui, associant une douzaine

de partenaires, vont se dérouler du 11 mars au 3 avril prochain.

« UNE OUVERTURE À DES CULTURES TRANSNATIONALES QUI NE S’ARRÊTENT PAS À UN PAYS OU UNE RÉGION DU MONDE, MAIS EN HABITENT PLUSIEURS »

Deux œuvres du début du XXe siècle, réunies dans un même événement par le metteur en scène américain Daniel Fish, composent le spectacle lyrique et chorégraphique-phare de cette édition de Arsmondo : L’Amour sorcier (Manuel de Falla – 1915) et Journal d’un disparu (du compositeur tchèque Leoš Janáček – 1921). L’Amour sorcier est une « gitanerie » musicale en seize tableaux et Journal d’un disparu est un cycle de 22 mélodies composées à partir de 22 poèmes anonymes attribués à Josef Kalda, un poète et écrivain tchèque qui les avait publiés en 1916 dans un quotidien local. Alain Perroux Côté Concerts, à noter un récital flamenco avec l’incontournable chanteuse espagnole Rocío Márquez, véritable icône du flamenco contemporain. En 2020 elle fut la première artiste espagnole à remporter une Victoire de la musique (catégorie album de musiques du monde) pour son cinquième et dernier album Visto en el Jueves. Ne ratez pas A traves del Humo, Papusza le 1er avril à la Cité de la Musique et de la Danse. C’est un spectacle musical très éclectique créé et interprété par Bogumila Delimata, accompagnée par la guitariste

Camille de Fréminville et Alain Perroux lors de la conférence de presse du festival. №44 — Mars 2022 — Politique

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ARSMONDO PROPOSE UN FORMIDABLE FLORILÈGE DE RENCONTRES INTERCULTURELLES DE TRÈS HAUT NIVEAU. Cristo Osorio. Jeannette Grégori (voir ci-dessous) qui a soufflé ce spectacle (et pas mal d’autres intervenants du festival) aux oreilles de Camille de Fréminville, la cheville ouvrière de la programmation de Arsmondo, dit le plus grand bien de ce duo. À noter également Les Heures Lyriques, mobilisant le Chœur et l’Opéra Studio de l’OnR et deux concerts de jazz manouche sur la scène de l’Opéra. « Faire entrer le jazz manouche à l’Opéra, ce n’est pas rien quand même » relevait Benoît Van Kote, un des deux co-directeurs de l’Espace Django du Neuhof auprès de qui Camille de Fréminville, la coordinatrice de Arsmondo, a su trouver une oreille attentive pour cette transition des meilleurs musiciens manouche du Polygone à la Place Broglie. Il y aura aussi un beau programme de Conférences sur les enjeux et problématiques auxquels sont confrontées les communautés tsiganes d’aujourd’hui, des Rencontres, notamment celles avec le dessinateur de BD Kkrist Mirror et le poète et circassien Alexandre Romanès... Dès l’origine, Eva Kleinitz avait tenu à associer le cinéma à la programmation de Arsmondo. Ce sera toujours le cas lors du festival Arsmondo Tsigane où des films de Carlos Saura, Emir Kusturica et du légendaire Tony Gatlif, entre autres, seront programmés à l’Odyssée. Enfin, mais nous en parlons bien plus longuement dans les pages suivantes, la photographe strasbourgeoise Jeannette Grégori présentera le travail qu’elle exerce avec talent et respect au plus près de l’intimité des gens du voyage depuis plus de dix ans. Son exposition au Lieu d’Europe ne sera à rater sous aucun prétexte. a on grammati de la pro able sur le b m e s L’en nsult u ur est co mise à jo nationaldurhin.e ra e www.op

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Au-dessus A traves del Humo, Papusza À droite : Rocio Márquez

MAIS QUI EST LA JEUNE FILLE SUR L’AFFICHE ? C’est une image de Jeannette Grégori qui a été choisie pour l’affiche du Festival Arsmondo Tsigane. Mais qui est donc cette jeune fille au si beau visage ? « C’est Maria. » répond Jeannette Grégori. « Je l’appelle aussi la Fille du Vent. J’ai capté son beau visage lors d’une édition du pèlerinage annuel des gitans aux Saintes-Maries-de-la-Mer, chaque fin du mois de mai où elle était seule avec sa maman. Je trouve que son visage est iconique. J’ai obtenu bien sûr sa permission pour utiliser cette image, elle sait qu’elle est désormais le visage d’un festival » sourit la photographe. №44 — Mars 2022 — Politique


La boutique officielle se déplace

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FESTIVAL ARSMONDO TSIGANE NOURRIES D’AILLEURS, AVIDES D’AILLEURS, LES PHOTOS DE JEANNETTE GREGORI SONT EXPOSÉES AU LIEU D’EUROPE Nane chavem nane bacht, ce proverbe rom signifie : « Pas de bonheur sans enfant ». Jeannette Gregori le cite volontiers quand elle retrace le travail photographique qu’elle mène depuis une douzaine d’années auprès des communautés roms, tsiganes, manouches. Pour la photographe strasbourgeoise, il exprime un élan vital fondateur, celui-là même qu’elle veut capter : vif, tendre, espiègle, rêveur ou frondeur. Indestructible. Elle ne capte aucun portrait, aucun moment par effraction. Tout naît d’une confiance partagée et jamais trahie… 80

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« J’AVAIS BESOIN QUE TOUS CEUX QUE JE PHOTOGRAPHIAIS SOIENT FIERS DE CE QUE JE TRADUISAIS D’EUX. » Jeannette Gregori

en évoquant « presque une paralysie » à l’idée de voir son projet se transformer en « un album de famille avec un supplément d’émotion ou de tension poignante ».

L’AUTRE AVEC UN GRAND A

lus d’une centaine de ses photographies sont présentées au Lieu d’Europe dans le cadre du Festival Arsmondo Tsigane. La Licra Bas-Rhin s’est associée à cette exposition tant il est vrai que les communautés rencontrées par Jeannette Grégori sont celles qui subissent le plus de discriminations en Europe. Une réalité contre laquelle elle lutte, bien sûr, par l’authentique humanité de ses images. « Le hasard a tout déclenché en 2008, l’actualité m’a rattrapée », résume Jeannette lorsqu’elle évoque les prémisses de son projet. Le hasard a pris la forme d’une rencontre avec une communauté de manouches évangéliques croisée lors d’une promenade à Hœnheim. Ils lui ont

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Son travail sur les événements de la « Roma Pride » à Paris en 2012-2013 et sur la lutte pour la reconnaissance du génocide des Roms l’ont aidée à dépasser ces doutes. Tout comme ses voyages en Pologne au sein de l’atelier « Jaw Dikkh » (« Viens voir ! ») fondé par la plasticienne Malgorzata Mirga l’avait aidée à se sentir « légitime ». Elle y a travaillé avec des artistes roms, au contact de la très précaire communauté de Szaflary. « J’ai beaucoup appris de ces expériences, je me suis énormément remise en question et j’ai réalisé combien compdonné leur accord pour qu’elle revienne tait pour moi la présence de l’Autre avec avec son appareil, ce qu’elle n’a pas un grand “A”. Plus encore que de la reconmanqué de faire. naissance de mes pairs, j’avais besoin que Deux ans plus tard, la France organisait tous ceux que je photographiais soient fiers les premières expulsions de Roms et cela a de ce que je traduisais d’eux, de leurs traconsolidé son engagement artistique pour ditions, de leurs valeurs, de leur solidarité la reconnaissance de leur dignité. et surtout de leur joie de vivre ». Avec, omniprésente, la promesse faite À Strasbourg en 2016, Jeannette est à un pasteur évangélique de ne jamais ensuite revenue vers les Manouches du dégrader leur image ni biaiser les informa- Polygone, six mois avant que leurs maitions sur leurs conditions de vie. « C’est en sons soient détruites dans le cadre d’un tenant cet engagement que j’ai pu me faire plan de relogement municipal. accepter sur les terrains d’Alsace, de Paris Sept ans après ces premiers clichés et du sud de la France pour construire mon sur le terrain strasbourgeois, elle a retrouvé travail », souligne la photographe. ces familles qui avaient été les premières Trouver sa voie en évitant les écueils à investir le quartier dans les années 1970. du « pittoresque » et de « la précarité » n’a Subsistaient « des souvenirs précieusetoutefois pas été simple reconnaît-elle ment conservés, des fragments de vie de a CULT U R E

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« LEUR NIVEAU DE VIE S’ÉTAIT AMÉLIORÉ, MAIS CES FAMILLES AUX TRADITIONS NOMADES AVAIENT LE SENTIMENT D’AVOIR PERDU LE DROIT DE VIVRE AU GRAND AIR »

Manifestions autour des Roms, Tsiganes et Manouches proposées par la Licra BasRhin dans le cadre du Festival Arsmondo « Cultures tsiganes » de l’Opéra du Rhin Exposition « Les Chemins de vie des Tsiganes », du 15 mars au 3 avril, au Lieu d’Europe, de mardi au dimanche de 10 h à 18 h

l’Ancien Monde, le respect des anciens, l’indulgence des parents envers leurs enfants, le recueillement au pied de la Vierge dans une chapelle érigée dans un coin de nature… », mais – au-delà d’une forme de soulagement d’accéder à plus de confort, palpable surtout chez les plus jeunes – se confirmait un ressentiment face au bouleversement qui leur avait été imposé. Émergeaient aussi des angoisses de solitude… « Leur niveau de vie s’était amélioré, constate Jeannette, mais ces familles aux traditions nomades avaient le sentiment d’avoir perdu le droit de vivre au grand air. Beaucoup auraient préféré un assainissement du quartier et la préservation de leur cadre de vie plutôt qu’un plan de relogement. »

UNE « POÉTIQUE DE LA PRÉSENCE » L’exposition retrace ces « Chemins de vie » immortalisés depuis 2009, en Alsace, mais aussi à Besançon, en région Île-deFrance, à Agde, en Pologne, en République

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tchèque ou aux Saintes-Maries-de-laMer, au plus près de la foi des Tsiganes. Certaines photographies ont été prises au Cirque Romanès. D’autres immortalisent des figures emblématiques telles que Manitas de Plata, Louise Pisla Helmstetter ou Raymond Gurême… Beaucoup disent la tendresse familiale. Toutes sont en noir et blanc. Pourquoi ce choix ? « Il s’est imposé. Sans doute parce que j’ai toujours gardé en tête le travail des extraordinaires photographes américaines que sont Dorothea Lange et Mary Ellen Mark, par exemple. » Jeannette a en effet vécu aux ÉtatsUnis où elle a pris des cours de photographie avant de revenir aux Arts Déco de Strasbourg. Nourries d’ailleurs, avides d’ailleurs, ses photographies vibrent d’une « poétique de la présence » définie dans la préface d’un ouvrage sur son travail qui paraîtra à la fin de cette année. Ces mots sont ceux de l’écrivaine Annie Lulu. On ne saurait trouver mieux pour définir le travail de Jeannette Gregori. a

Le 15 mars, à 19 h, après le vernissage, Jeannette Gregori et l’historienne Claire Auzias débattront de la question de la représentation des Roms au-delà des préjugés. Le 16 mars à 18 h 30, toujours au Lieu d’Europe, « Mercredi du Conseil de l’Europe » avec Ana Oprisa responsable du programme ROMACT Le 13 mars à 15h, à l’auditorium de Musée d’art moderne et contemporain, projection-débat du documentaire La Place consacré par l’Alsacienne Marie Dumora à l’expulsion des gens du voyage d’un lieu que Colmar leur avait octroyé à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. En présence de la réalisatrice. Ainsi que des rencontres avec l’auteur de bandes dessinées Kkrist Mirror qui se tiendront à la médiathèque de Bischwiller le 1er avril (14h et 16h) Krisst Mirror sera également présent à la BNU le 2 avril. №44 — Mars 2022 — Politique


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JEANNETTE GREGORI SUR LES CHEMINS DE VIE DES TSIGANES www.jeannettegregori.com

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S ACT UA L I T É — TA BL E RON DE Table-ronde animée par Jean-Luc Fournier

Nicolas Roses

Table ronde L’attractivité de Strasbourg en débat Cette table ronde sur l’attractivité de Strasbourg (et de l’Alsace) est la première d’une longue série où notre rédaction essaiera de réunir les acteurs publics et privés qui, dans tous les domaines, rythment la vie de Strasbourg et sa métropole. Politiques publiques, initiatives privées, débats et controverses, projets… rien ne sera oublié et tout sera traité sous un seul angle : le développement et le mieux vivre dans une ville que nous aimons et voulons encore plus belle, dynamique et innovante. Pour cette première, le sujet de l’attractivité s’est imposé et, à l’évidence, 90 minutes n’ont pas suffi pour en faire le tour. Mais il y aura d’autres rendez-vous… LES PARTICIPANTS: Christophe Caillaud-Joos, directeur de Strasbourg Events Jean-Luc Heimburger, président de la CCI Alsace Eurométropole Philippe Kirn, commerçant (Kirn & Carrefour City) Ninon Kopff, commerçante (Maison Rose & Rouge) Alexandre Roth, président de SGR Hôtels (Hôtel des Princes, Villa d’Est, Arok Hôtel et Mercure rue du Maire Kuss) Joël Steffen, Adjoint à la maire de Strasbourg, en charge du Commerce, de l’Artisanat et du Tourisme Stéphane Wernert, restaurateur (Il Girasole, Café de l’Opéra)

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Compte tenu de ses multiples statuts, une des plus importantes capitales régionales du pays et, de plus, capitale européenne, ce privilège hérité de l’Histoire du continent avec la présence du Parlement européen, Strasbourg se doit peut-être d’être encore plus attentive que d’autres à son attractivité, son rayonnement et son image de marque. Notre ville est en effet bien plus que d’autres observée, elle a un rang à tenir qui va bien au-delà des frontières nationales. Si on voulait provoquer, on pourrait évoquer un sentiment qui court depuis au moins deux décennies et qui inclut d’ailleurs l’Alsace dans son ensemble : notre ville, et au-delà notre région, ne se seraient-elles pas quelque peu endormies, comme trop repues, trop installées dans un sentiment de prospérité en trompe-l’œil ? Pour résumer, aujourd’hui la concurrence est devenue rude et il faut se battre. Alors, sommes-nous bien équipés et en ordre de marche pour ce combat-là ? Christophe Caillaud-Joos : Je veux bien inaugurer le cycle des réponses. Personnellement, je viens d’arriver à Strasbourg. Mon métier, je l’exerce depuis №44 — Mars 2022 — Politique

« Notre ville, et au-delà notre région, ne se seraient-elles pas quelque peu endormies, comme trop repues ? » Jean-Luc Fournier

Réunis autour de Jean-Luc Fournier, directeur de la rédaction de Or Norme (de dos), de gauche à droite : Joël Steffen, Ninon Kopf, Christophe Caillaud-Joos, Philippe Kirn, Stéphane Wernert, Jean-Luc Heimburger et Alexandre Roth.

longtemps et Strasbourg a toujours été considérée comme une référence de tout premier plan sur le marché principal sur lequel je travaille : le tourisme d’affaires. Quand on parlait de Strasbourg, on se disait que dans cette ville, des choses intéressantes voyaient le jour et étaient créées et mises en œuvre par de grands professionnels. Bref, Strasbourg renvoyait l’image d’une ville qui se bougeait. Mais, et nous l’avons constaté depuis une dizaine d’années, ce constat a perdu de sa superbe… Est-ce que cela apparait dans les chiffres, les statistiques ? Christophe Caillaud-Joos : Oui, très nettement. Par exemple au niveau du chiffre d’affaires que nous réalisons au niveau de Strasbourg Events qui n’est pas à la hauteur d’une destination aussi recherchée S ACTUA L I TÉ

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« Strasbourg renvoyait l’image d’une ville qui se bougeait. Mais, et nous l’avons constaté depuis une dizaine d’années, ce constat a perdu de sa superbe… » Christophe Caillaud-Joos

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que l’est Strasbourg. Très honnêtement, c’est une des raisons qui m’ont fait choisir ce poste. Alors bon, je ne saurais vraiment pas dire si nous sommes trop repus ou non, pour reprendre les arguments de votre question… Mais en tout cas, sur notre marché, les congrès, les grands salons, les grandes réunions ou conventions, on voit très peu Strasbourg en réponse aux grands appels d’offres… Alexandre Roth : En termes de grands événements à Strasbourg, nous avons évidemment les Marchés de Noël et les sessions parlementaires européennes, même si ces dernières ne sont plus, et de loin, ce qu’elles ont pu être, puisque leur fréquence a bien diminué et pas seulement depuis la crise sanitaire. J’ai un élément de comparaison que je connais bien. Pour avoir vécu à Lille, je peux dire que nous sommes là sur l’exemple d’une ville beaucoup plus dynamique et qui se bouge infiniment plus alors que pourtant, elle-même et sa région ne sont pas forcément plus riches que Strasbourg et l’Alsace. Les Hauts-deFrance ne sont pas la région la plus riche de France. La région est par ailleurs frontalière de la Belgique. Ici, l’Allemagne est autrement plus dynamique, il me semble… Honnêtement, ça ne bouge pas à

Strasbourg et j’ai le même sentiment pour l’Alsace. Je précise que je parle du seul créneau du professionnel et de l’événementiel. Sincèrement, il est évident que nous ne pouvons pas capitaliser sérieusement sur une foire au mois de septembre et un salon égast tous les deux ans. Cela ne représente rien au niveau de la fréquentation de mes hôtels. On espère tous que l’ouverture prochaine du Parc des Expositions va faire évoluer les choses, mais nous savons tous que pour que ça réagisse, pour recréer une dynamique et faire revenir de grands congrès dans notre ville, il faut se bouger bien en amont. En tout cas, depuis quatorze ans que j’exerce mon métier d’hôtelier ici, on m’a toujours servi la même soupe en me disant : notre problème, c’est le Parlement européen. Avec cette réflexion : comment voulez-vous qu’on puisse organiser des salons ou des événements d’envergure si on ne connait pas les dates des sessions parlementaires bien à l’avance ? Il nous fallait attendre le mois de juin de chaque année pour avoir les dates de l’année suivante. On savait bien qu’à l’époque, durant les journées parlementaires, il n’y avait pas un taxi ou une chambre d’hôtel de libres sur la ville et que beaucoup de restaurants étaient blindés. Donc, ne connaissant pas longtemps à

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Mars | Mai Les spectacles

L’autre saison

Je vous écoute

Colosse

CRÉATION AU TNS

SPECTACLE DE L’ÉCOLE DU TNS

Mathilde Delahaye * 3 | 10 mars

Marion Stenton | Antoine Hespel 17 | 19 mars

Les Frères Karamazov

Troupe Avenir #6

Fédor Dostoïevski | Sylvain Creuzevault 11 | 19 mars

Spectacle d’après Changer : méthode Édouard Louis | Jérémy Lirola, Laure Werckmann 22 | 23 avril | 20 h | Salle Koltès

mauvaise debbie tucker green | Sébastien Derrey 23 | 31 mars

Faust / FaustIn and Out

La Seconde Surprise de l’amour

Sallinger

Bajazet, en considérant Le Théâtre et la peste Jean Racine, Antonin Artaud | Frank Castorf 6 | 10 avril

Bernard-Marie Koltès | Mathilde Waeber 2 SPECTACLES DE L’ÉCOLE DU TNS

26 | 30 avril | Espace Grüber

Visites guidées du TNS 14 | 15 mai

CRÉATION AU TNS

Prix des lycéen·ne·s Bernard-Marie Koltès

Julie de Lespinasse | Christine Letailleur * 25 avril | 5 mai

Cérémonie de clôture Mer 25 mai | Salle Koltès

Julie de Lespinasse

Les Serpents Marie NDiaye * | Jacques Vincey 27 avril | 5 mai

Mont Vérité Pascal Rambert * 17 | 25 mai

* Artistes associé·e·s au TNS

TNS Théâtre National de Strasbourg 03 88 24 88 24 | tns.fr | #tns2122

Les Frères Karamazov © Simon Gosselin

Marivaux | Alain Françon 24 mars | 1er avril

Goethe, Elfriede Jelinek | Ivan Márquez


« Je pense qu’ici, nous avons beaucoup de qualités, mais que nous ne savons pas les mettre en avant. » Jean-Luc Heimburger

l’avance les semaines de disponibilité, on ne pouvait pas organiser de grands événements ou de grands salons… Christophe Caillaud-Joos : C’est toujours le cas aujourd’hui. Par exemple, j’ai actuellement le problème d’un congrès en 2023 et je suis en train de faire le forcing au niveau du Parlement européen pour obtenir les dates de l’an prochain. Ce qui me contraint de prendre le risque de bloquer des espaces, car il est hors de question d’avoir à passer à côté de cette opportunité. Notre seul choix est donc de prendre ce risque… Continuons le tour de table entamé sur le problème de l’attractivité, si vous le voulez bien… Jean-Luc Heimburger : Je ne sais pas si c’est l’attractivité en général qui s’est effondrée. Je pense qu’ici, nous avons beaucoup de qualités, mais que nous ne savons pas les mettre en avant. Je l’ai dit plusieurs fois et publiquement, nous autres Alsaciens, nous ne savons pas frimer. Ce qui fait qu’on a une université avec plein de Prix Nobel et on n’en parle pas assez. On a sur notre territoire une école de l’espace qui a une notoriété mondiale et on n’en parle jamais. On a des centres biomédicaux, on a la Med Tech

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et on n’en parle pas beaucoup. On a ici la mise en œuvre des principales technologies médicales grâce à des professeurs en pointe au niveau mondial et on n’en parle pas. Ça s’explique sans doute par le poids de l’Histoire de l’Alsace : l’Alsacien est plutôt du genre « Pour vivre heureux, vivons cachés ». Nous avons clairement un problème de communication : on a les éléments d’attractivité, mais on ne les vend pas assez bien. Un autre élément d’attractivité, et je suis bien placé pour en parler, c’est l’aéroport. Malgré la grosse claque constituée par l’arrivée du TGV, on a pu compenser un peu avec le trafic qu’il a apporté, mais l’effondrement de Air France nous a vraiment nui. C’est compliqué de faire venir les gens à Strasbourg par avion et ça joue aussi, comme on le sait, sur les institutions européennes. On a fait un gros boulot sur les low-cost mais ça n’a jamais suffi. Et sincèrement, sur ce sujet, on n’a pas vraiment de solutions, on n’a pas vraiment de compagnies suffisamment importantes pour pouvoir compenser… Et puis, il y a l’animation de notre centre-ville, à Strasbourg. Je le constate depuis plusieurs années, c’est un secteur dans lequel il y a un effondrement évident. Je suis vraiment désolé de le dire,

mais nous avons aujourd’hui une association de commerçants qui nécessiterait un nouveau dynamisme, il n’y a plus que les Marchés de Noël et la Fête des Vendanges qui sont encore organisés, le reste a disparu… Quand nous avons une animation de centre-ville prise en main par des gens inventifs qui investissent pour qu’au moins une fois par mois on puisse faire la fête dans les rues de la ville, cela fait venir beaucoup de gens et c’est alors qu’on redevient visible… Alexandre Roth, je reviens à ce quasi-constat de faillite que vous évoquiez, en matière de créations d’événements susceptibles de créer de l’activité en faveur de ces véritables forces vives locales que sont les secteurs de l’hôtellerie et de la restauration ainsi que les commerces de centre-ville. Pour des établissements comme ceux que vous gérez, ça se traduit comment, concrètement ? Alexandre Roth : En dehors de certaines périodes d’ailleurs de moins en moins fréquentes, nos taux d’occupation et nos prix moyens sont en chute libre. Tout à l’heure, je parlais de Lille. J’y étais encore il y a peu et je peux établir un comparatif sur, par exemple, un hôtel standard quatre étoiles comme la Villa d’Est par exemple, №44 — Mars 2022 — Politique


pas forcément hyper bien placé : à Lille, à une période pas spécialement chargée, j’ai payé 170 € pour une nuit. À période comparable, quand je vends la chambre 110 € à la Villa d’Est, je suis heureux… L’écart est conséquent, non ? Christophe Caillaud-Joos : Malgré toutes ces considérations, je me permets d’insister. Strasbourg est une des plus belles destinations européennes en matière de tourisme d’affaires que je connaisse. La ville est magnifique et je sais que cette expérience-là est très recherchée par les congressistes. Vous avez cité tous les pôles d’excellence qui sont ici, mais qui le sait ? Très peu, en fait. Quand je suis arrivé ici, j’ai été halluciné par le Palais de la Musique et des Congrès où je travaille désormais, c’est sincèrement un des plus beaux que j’ai jamais vu en Europe et d’ailleurs, au passage, je me demande bien pourquoi il n’a pas été inauguré après sa réfection… Ninon Kopff : Je voudrais revenir sur la question que vous nous posiez au départ. Avant d’ouvrir mon commerce qui propose d’associer les fleurs, ma spécialité, et le vin, celle de mon mari, j’ai travaillé longtemps dans l’hôtellerie, au service commercial de l’hôtel Hilton de Strasbourg. J’étais donc №44 — Mars 2022 — Politique

tout près du PMC, de l’ancien parc Expo et c’était une succession d’événements assez dense, il y a une grosse dizaine d’années de cela. Sincèrement, il n’y a plus tout cela aujourd’hui. Il y a incontestablement un vrai déclin et je le ressens aussi au niveau de ma boutique. Nous sommes localisés en plein cœur du quartier des ambassades et consulats ainsi que des institutions européennes : et bien, lors de périodes de sessions, il n’y a plus grand monde qui vient acheter des fleurs. Certes, il y a eu le Covid, l’absence de sessions au Parlement européen, il faut bien sûr tout replacer dans ce contexte. Mais je ressens malgré tout qu’il y a un vrai manque d’événements dans notre ville…

« Honnêtement, ça ne bouge pas à Strasbourg et j’ai le même sentiment pour l’Alsace. Je précise que je parle du seul créneau du professionnel et de l’événementiel. » Alexandre Roth

Philippe Kirn : J’adhère à ce que j’entends, le manque d’événements et même selon moi, le manque de pertinence de ce qui est encore réalisé. J’adhère aussi au constat de notre savoir-faire local et des qualités qui nous sont reconnues à Strasbourg et en Alsace, aussi. Mais sincèrement, je pense que nous ne sommes plus adaptés au monde d’aujourd’hui. Ce monde d’aujourd’hui, il tourne beaucoup plus vite et il crée d’autres attentes. En vrac, je dirais qu’il y a clairement un vrai problème de gouvernance dans notre écosystème local. Grosso S ACTUA L I TÉ

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« Je ressens malgré tout qu’il y a un vrai manque d’événements dans notre ville… » Ninon Kopff

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modo, on a des élus qui ont fait de la politique leur métier, même si les postes qu’ils occupent ne sont pas de tout repos, car ils se font quand même bien taper sur le dos, et de l’autre côté, il y a tout le secteur privé qui hurle à chaque fois qu’il y a un pavé de travers devant son commerce. Je pense qu’il ne faut pas oublier d’intégrer quelques paramètres importants : il faudrait beaucoup plus de stabilité et de coopération entre le public et le privé, ce qui permettrait de travailler sur des plans à long terme, cinq ou dix ans au moins, avec l’intégration des citoyens et des usagers dans les réflexions communes permettant de co-construire la ville de demain. La mission de la municipalité n’est plus du tout de décider dans son coin après un semblant de concertation. Elle doit fixer une direction, stimuler la participation en se reposant sur les acteurs du privé, les investisseurs locaux, les habitants et tous les gens qui fréquentent la ville, même ceux qui viennent de bien plus loin. On a aussi besoin des avis des gens qui viennent de la périphérie strasbourgeoise par exemple, plutôt que de les inciter à aller au Shopping Promenade de Vendenheim, à grands coups de millions d’euros. La politique nous conduit à des situations ubuesques : ici, en ville,

on interdit la voiture, très bien, on peut comprendre, mais plus loin, on n’hésite pas à détruire des terres agricoles pour construire de la voirie ! En fait, je pense que le politique doit accepter de lâcher une partie de son pouvoir pour qu’il soit dispatché vers les acteurs privés et les usagers de la ville. Il faut repenser la démocratie locale… Stéphane Wernert : J’aime bien ce qu’exprime Philippe et la fougue qui est la sienne. Il se présente comme commerçant de proximité et livre ensuite une pertinente analyse macro-économique. En fait, c’est ce type de discours que devraient tenir ceux qui sont en charge de la politique de la ville et de son attractivité. Ça montre bien que ceux qui sont sur le terrain ont des notions très concrètes de ce qu’il faudrait faire pour que ça fonctionne, sans attendre que ça vienne de plus haut. Je voudrais poser une question très simple : aujourd’hui, qui fixe les objectifs en matière d’attractivité ? Les élus, à mon sens, doivent avoir une vision qui ensuite, s’impose aux milieux économiques et à tous les acteurs. On peut être force de proposition, certes, mais ensuite, je renvoie la balle aux décideurs. Au fait, veut-on vraiment une attractivité pour Strasbourg ?

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« On a aussi besoin des avis des gens qui viennent de la périphérie strasbourgeoise par exemple, plutôt que de les inciter à aller au Shopping Promenade de Vendenheim, à grands coups de millions d’euros. » Philippe Kirn

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la campagne, pour manger des tartes flambées… Voilà pourquoi je rejoins ce que dit Stéphane. À un moment donné, il va falloir se décider : on fait quoi ? Où veut-on aller ? Veut-on faire du haut de gamme ou veut-on faire de la masse, devenir comme Lourdes où il n’y a que des bus qui viennent avec Alexandre Roth : Je suis d’accord avec ce un prix moyen au ras des pâquerettes ? qui vient d’être dit. Mais il faut bien définir les catégories de besoin. Par exemple, Joël Steffen, vous avez écouté avec de quelle restauration avions-nous besoin beaucoup d’attention tout ce qui vient prioritairement ? Aujourd’hui, on n’a plus de se dire. Partagez-vous ces constats ? de restaurants deux ou trois étoiles à Et que répondez-vous sur le point capiStrasbourg alors qu’on est quand même tal de la gouvernance ? censé être une des capitales majeures de Joël Steffen : Sur les constats, je voudrais la gastronomie ! Au niveau national, tout le souligner que nous sommes arrivés en monde enviait nos Jung ou Westermann… pleine crise sanitaire, cette crise qui a mis Côté hôtellerie, que nous reste-t-il en à terre une très grande partie de l’économatière de grands et beaux établisse- mie de proximité ainsi que le tourisme. On ments ? Le Sofitel disparait. Pas loin, la dit souvent que les crises sont des opporville voulait un cinq étoiles sur le site de tunités pour se réinventer, mais dans un l’ancien commissariat de police : après premier temps, elles sont surtout révélabien des épisodes, le Léonor est un quatre trices de ce qui n’allait pas avant qu’elles étoiles… Certes, on ne sera jamais une des- se produisent. À Strasbourg, la fermetination « Palaces », mais en matière d’hô- ture du Printemps en est malheureusetellerie haut de gamme, on est clairement ment un exemple parfait. La crise a fait tirés vers le bas. Du côté de la restaura- son travail d’écrémage et c’est évidemment tion, les grands groupes se déploient, mais violent. Les crises mettent clairement à qu’est devenue la winstub traditionnelle l’épreuve la solidité des objets et structures telle qu’on l’aime ? Où vais-je emmener des qu’elle touche. Je crois qu’on peut dire qu’à amis qui viendraient de loin pour me voir ? À Strasbourg, l’objet touché, c’est-à-dire la Qu’on nous le dise, qu’on fixe des objectifs et on fera tout pour les atteindre. On sait s’adapter, on sait s’organiser, car on est sur le terrain, mais on a besoin d’impulsion et de positionnements clairs pour savoir où aller…

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« L’image que donne notre territoire est très puissante, que ce soit Strasbourg en tant que ville, mais l’Alsace a également cette même image de marque. » Joël Steffen

ville et sa dynamique économique, est un objet malgré tout extrêmement solide. Un indice de cette solidité : le taux de vacances des commerces était entre 4 et 5 % avant la crise, il n’est que de 7 % aujourd’hui, deux ans après. Bien sûr, des échéances comme les remboursements de prêts sont encore devant nous, mais quand même, je crois qu’on a des bases extrêmement solides. L’image que donne notre territoire est très puissante, que ce soit Strasbourg en tant que ville, mais l’Alsace a également cette même image de marque, vous en avez parlé, tant au niveau national qu’on niveau européen. La collectivité a beaucoup investi dans ce domaine et je le dis d’autant plus volontiers que je n’y suis pour rien, ni moi ni l’équipe que je représente puisque nous n’étions pas aux manettes quand ce fut fait. Maintenant, sur le plan du tourisme d’affaires dont vous avez parlé, oui, il y a un vaste boulot consistant à créer de la dynamique qui n’a pas été fait et on constate les difficultés qui en résultent, c’est en effet particulièrement visible dans le secteur hôtelier où on est clairement dans un phénomène de suroffre…

Joël Steffen : On est complètement attelé à cette tâche, en termes d’actualité. On a tenu compte de tout ce qui avait été diagnostiqué par l’équipe précédente, cette volonté de sortir des 5C, cigognes, cathédrale, choucroute… etc., sans oublier le P du Parlement européen et de s’appuyer plus largement sur l’ensemble des richesses qu’offrent notre ville et sa région. L’idéal serait qu’on bénéficie d’un Office regroupant le tourisme, les congrès et idéalement le commerce qui ne fasse pas la différence entre un visiteur de la périphérie et un autre, qui vient de loin, voire même de très loin et qui soit en mesure de transposer dans notre accueil au quotidien toutes les qualités que vous décrivez depuis le début de cette table ronde. Les élus ont des objectifs et ils décident d’un certain nombre de choses selon leur propre lecture, qui se fabrique avec un mélange entre l’écoute des citoyens et une recherche de l’intérêt général qui intègre les opinions des acteurs économiques. Mais évidemment, leurs opinions ne peuvent pas être les seuls ingrédients d’une décision… La question est donc bien de décider ensemble ce qui est bien ou non pour notre territoire…

Et sur la question de la gouvernance, cette thématique qui a été particulièrement Jean-Luc Heimburger : J’ai le souvenir développée, quelle est votre position ? de ces instances qui ont fonctionné par №44 — Mars 2022 — Politique

le passé, Eco 2020 puis Eco 2030, de ces stratégies dont nous avons décidé, préparer l’arrivée du TGV par exemple ou la création de la marque Strasbourg l’Europtimiste… Mais j’ai aussi le souvenir des suites : entre le moment où la stratégie était décidée et le début de sa réalisation, la politique s’en mêlait et les blocages apparaissaient, et c’est toujours le cas aujourd’hui : « ah oui, on aimerait bien, mais on ne peut pas, il faudrait ci ou ça, ça ne va pas… Quand on fera table rase de tout ça, comme Philippe l’a très bien dit, quand on fera enfin table rase de cette fichue politique qui devrait être au service de tout le monde, comme vient de le dire Joël, alors je crois qu’on réussira. Beaucoup de politiques pensent qu’ils vont se mettre plein de gens à dos s’ils osent se positionner fortement, mais c’est exactement le contraire. Pour les décisions importantes sur les sujets dont nous discutons ici, tout le monde serait à l’unisson : la CCI, la Chambre des Métiers, le Palais des Congrès, les hôteliers, les restaurateurs, tout le monde… En revanche, petite parenthèse très amicale, les politiques doivent être clairs, ne pas essayer d’imposer des décisions non discutées en prétendant le contraire. Il leur faut accepter que la véritable co-construction, ce n’est pas forcement faire plaisir aux uns ou S ACTUA L I TÉ

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« Les élus, à mon sens, doivent avoir une vision qui ensuite, s’impose aux milieux économiques et à tous les acteurs. » Stéphane Wernert

autres ou se faire plaisir à soi-même, c’est accepter à un certain moment de renoncer à faire comme on aimerait ou comme on voudrait. C’est ensemble qu’il faut bâtir une stratégie et ensuite s’y tenir. Ça marche ainsi partout, dans les associations, dans les entreprises… Christophe Caillaud-Joos : J’insiste aussi sur la cohérence des messages qu’on émet. Et sur le fait de pousser le concept jusqu’au bout, en motivant absolument tous les acteurs, petits ou grands. À Vienne, la capitale autrichienne qui est une des plus grandes destinations de congrès au monde, c’est le cas. Quand vous arrivez à l’aéroport, vous êtes accueilli par un énorme message en 4X3, « Bienvenue au congrès des médecins obstétriciens », idem dans les hôtels logeant les congressistes… Le tourisme d’affaires y est très lié avec le tourisme et tous les autres acteurs, tout le monde soutient la même image, les commerçants, la presse, tout le monde. Philippe Kirn : La gouvernance, ce n’est pas que définir vers où nous allons, c’est aussi de décider comment on va y aller, par quelles étapes. Alors oui, serrons-nous les coudes, travaillons ensemble et décidons ensemble ce que sera cette ville demain.

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Mais ça suppose de travailler sur le moyen et sur le long terme, au-delà des alternances politiques, au-delà d’intérêts corporatifs ou autres. Il faut que ces décisions englobent un intérêt collectif supérieur qui doit être bâti grâce à de nouvelles façons de travailler ensemble, avec beaucoup de démocratie dans les prises de décisions. Il faut sortir de la situation d’aujourd’hui où tout est devenu ingouvernable depuis une ou deux décennies comme le montrent toutes ces hérésies au niveau de l’Office du tourisme et de tant d’autres acteurs… S

NOTE DE LA RÉDACTION La place nous manque dans ces colonnes pour poursuivre le compte-rendu de cette table ronde qui s’est révélée beaucoup plus riche et animée que prévue. D’autres thématiques ont été explorées (le commerce en tout premier lieu, l’insécurité au centre-ville, l’attractivité de Strasbourg et sa métropole en matière d’arrivées de nouvelles entreprises, entre autres…). Ce qui nous confirme et nous encourage dans notre idée d’organiser ce type de rencontres pour les relater dans chacun de nos futurs numéros. №44 — Mars 2022 — Politique


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S ACT UA L I T É – HABITUS Benjamin Thomas

Marc Swierkowski

C’est à essayer

Il est sept heures… Le Wacken... s’éveille… Deux catégories d’humains s’opposent. Les nageurs et les autres. Tous les matins, à quelques minutes de l’ouverture, une foule silencieuse se presse devant l’entrée de la piscine du Wacken. Toujours les mêmes, ou presque, ils préfèrent nager dans l’obscurité de la nuit. Dans un contre-la-montre perdu d’avance face au soleil et à une nouvelle journée qui s’annonce, ils alignent les longueurs pour une bonne raison. La leur. Il est 7 h. Le Wacken s’éveille…

FLORENCE, 53 ANS

MICHEL, 62 ANS

FRANK, 57 ANS

RESPONSABLE

TRAVAILLE DANS UNE COMPAGNIE D’ASSURANCE

FISCALISTE

La piscine est devenue une habitude entre copines. Je viens toujours avant le travail. Je bosse pas loin. Après, tout va trop vite. Le travail, les gens dans l’eau… De temps à autre, des nageurs s’engueulent et s’insultent. Certains sont de vrais bourrins et touchent les autres en nageant. C’est marrant ! Ça met un peu d’ambiance. La piscine du Wacken, à l’ouverture, c’est à essayer. Enfin… s’il y a plus de monde après, ça va pas aller !!! S

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Quand il fait encore nuit, le bassin est seulement éclairé sous l’eau. On nage plus ou moins dans le noir. C’est très agréable. Mon réveil sonne plus tôt à trois reprises chaque semaine pour venir au Wacken. J’ai toujours du mal à me lever. Mais une fois dans l’eau, tout va pour le mieux ! S

La natation, c’est presque aussi bon que le sexe. Au programme : 2 km en 40 mn et une douche froide. Après tout ça, je suis requinqué ! Nager, le matin, à l’air frais, c’est ma seule possibilité. Je ne sais jamais quand je finis. Et soyons honnête, quand vous êtes dans une piscine, l’odeur du chlore n’est jamais agréable. Alors qu’ici, on est dans la nature. Enfin, si on peut parler de nature à Strasbourg… S

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S ACT UA L I T É – HABITUS

SÉVERINE, 51 ANS

LÉA, 27 ANS

MARC, 60 ANS

ACHETEUSE

ARCHITECTE

RESPONSABLE TECHNIQUE

Je prépare le Marathon des Sables (une course à pied dans le Sahara de 250 km à parcourir en 7 jours – ndlr). J-85 ce matin. Le compte à rebours est lancé. Entre mes cinq séances de course à pied hebdomadaires, je viens ici pour relâcher les muscles. L’hiver, à la piscine, on voit la ville se réveiller. J’adore. Et quand j’étais petite, mes parents m’emmenaient déjà au Wacken. C’est un peu ma madeleine de Proust à moi… S

Je suis très très matinale. C’est assez naturel de venir tôt. En hiver, la brume donne un aspect très visuel au bassin. Et surtout, dans l’eau, je ne pense pas. S

À mon âge, j’ai mal aux articulations. Des traumatismes de vieux, quoi… Et la piscine reste un sport praticable. Débarquer à 7h, tous les matins, devient vite une routine. Mon corps est réglé. Y’a pas trop de monde encore à cette heure-ci. On est presque toujours les mêmes. Des fois, des intrus se fraient un chemin. Mais c’est rare. Et je ne viens jamais après l’ouverture. Ce n’est pas pareil. Parce qu’après une journée de travail, c’est plus difficile. S

CATHERINE, 41 ANS, COMMERCIALE

CHRISTIAN, 61 ANS TECHNICIEN La piscine du Wacken s’avère être sur le chemin du boulot. Au début, je ne nageais qu’une fois par semaine. Sept ans plus tard, je viens tous les jours. Je suis sur mon nuage pendant une heure. Mais je suis vite rattrapé par le stress du boulot. Dernièrement, le travail me prenait trop de temps. À un moment, la piscine a commencé à me manquer. Comme pendant le confinement. Heureusement, Le Wacken a été la première piscine à rouvrir. On était tous là, les habitués, à 7h le jour de la réouverture. S

Je viens au Wacken depuis des années. Pas un matin ne passe sans que je ne vienne ici. Je suis une nageuse très très matinale. Même avant, quand je ne bossais pas, je venais tous les matins histoire de bien commencer la journée. Et BERTRAND, 54 ANS si, par malheur, la piscine est fermée, je tue quelqu’un ! S FONCTIONNAIRE DES FINANCES

ARIELLE ET DORIS 62 ANS ET 66 ANS

Je travaille beaucoup, avec de longues amplitudes horaires. À un moment donné, le corps ne suit plus. Des problèmes de dos, de ménisque et de genou m’ont amené à la natation. J’y ai découvert la solitude et la liberté. La nuit conjuguée au froid offre un sentiment assez extraordinaire. En plus, l’atmosphère du Wacken se révèle particulière. À l’extérieur, en face du Parlement… Et normalement, on ne parle pas… ! S

COPINES RETRAITÉES C’est du pur bien-être la piscine. Pour nous, retraitées, c’est important aussi de garder ce lien social. On commence nos journées ici et on retrouve les habitués. On vient ensemble depuis 2017. On s’est abonnées. Et pour rien au monde on ne changerait notre créneau. S

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S ACT UA L I T É – SP ORT Benjamin Thomas

Marc Swierkowski

Foot d’ailleurs Bienvenue au Strasbourg Gaels Depuis 2019, une joyeuse bande se donne rendez-vous chaque semaine sur les terrains de football situés devant le Parlement européen. Réunis pour taper la balle, seuls les avertis comprennent. Bienvenue au Strasbourg Gaels, le club de football gaélique local.

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«

as de dribble. Juste des solos et à la fin, passe du mauvais pied. » explique Sébastien à des joueuses et joueurs en short pour certains, en maillot à manches courtes pour les plus fous, sous une météo digne de l’Irlande. Ici, les entraînements sont mixtes et bilingues. Le ballon rond, tout en cuir avec les traces de coutures, date d’un autre siècle. Plus proche de celui avec lequel jouait Raymond Kopa que de celui de Zinédine Zidane. En France, les parties se déroulent sur un terrain de football classique. On tire aussi au but. Mais on peut aussi marquer des points en drop, façon rugby. Et surtout, on joue au pied et à la main. « C’est un sport accessible où tu retrouves un autre sport déjà pratiqué. » explique Maël Dancette, un des fondateurs du club. « Si tu n’es pas doué avec une partie de ton corps, tu compenses avec une autre. » ajoute cet ancien basketteur. « Les règles sont très simples comparés au rugby. Déjà, le hors-jeu n’existe pas. » commente Florian

P

Vaujany, le trésorier de la Fédération des Sports Gaéliques et manager de la team France au football gaélique. « Ce sport demeure attractif et hyper dynamique. Si t’aimes courir et les contacts, ce sport est pour toi ! » termine-t-il.

DE 8 À 29 LICENCIÉS Maël découvre le football gaélique à Paris en 2013 ou en 2014. La date exacte reste floue. Après quelques années passées au Paris Gaels GAA, il décide de s’installer à Strasbourg avec sa compagne. Problème ! La capitale européenne ne possède pas d’équipe malgré de multiples tentatives d’amener cette discipline en terres alsaciennes. Alors, Maël freine son départ de Paris. Entre-temps, il se rapproche de la représentation irlandaise auprès du Conseil de l’Europe. Sensible à sa demande, il reçoit un listing où figurent les membres de la communauté irlandaise. Le néo-strasbourgeois demande un terrain №44 — Mars 2022 — Politique


à la mairie. « Allez vous entraîner avec le football australien. » lui répond-on. Les dénominations se ressemblent mais les deux sports n’ont pas grand-chose en commun. Qu’importe. Après quelques initiations et la création d’un noyau dur de motivés – comme Mathieu qui depuis Saint-Louis traverse l’Alsace deux fois par semaine pour s’adonner à sa passion – il rencontre les dirigeants des deux plus gros clubs omnisports de l’Eurométropole : l’ASPTT et le SUC. Un accord avec Strasbourg Université Club plus tard, le Strasbourg Gaels naît. Au départ, 8 licenciés adhèrent à la nouvelle structure. Aujourd’hui, le club compte 29 membres et avec le retour des compétitions, le nombre ne devrait que s’accroître.

NOUVEAUX ADHÉRENTS Pour le club, composé en grande majorité d’expatriés, fidéliser des adhérents reste le problème premier de ce sport n°1 en Irlande. « Une dizaine de personnes sont №44 — Mars 2022 — Politique

présentes depuis le début. Après, ce sont des Erasmus. Ça permet d’apporter des regards nouveaux. Mais l’équipe féminine en souffre parce que trop dépendante des expatriés. » insiste Maël. Avec ses 800 licenciés, la Fédération des Sports Gaéliques préfère fidéliser plutôt que perdre son âme. « On n’a pas tous la même vision du développement. Il faut garder cette identité irlandaise. Chaque année, 5 % à 10 % de nouveaux adhérents nous rejoignent. On va rapidement atteindre notre plafond de verre. » explique Florian Vaujany. Selon le team manager de l’équipe de France, le salut viendra des jeunes. « Pour le moment, on n’arrive pas à leur offrir de compétition. Pour les tenir, c’est compliqué. Parce que le plus dur, c’est de recruter, pas des enfants. » Dernière action et l’entraînement touche déjà à sa fin. 135 ans après la création des règles modernes du football gaélique, les joueurs de Strasbourg Gaels perpétuent une tradition qui n’a jamais paru aussi moderne. S

« Chaque année, 5 % à 10 % de nouveaux adhérents nous rejoignent. » Maël Dancette

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S ACT UA L I T É – MOI JA JA Pink Jaja

Charles Nouar

Moi Jaja... . . . » e g a t S n «O s e r t â é h t x u e d e r t en L’Ukraine me poursuit. Quelques semaines en arrière, Tonton Alexander a appelé Tato : « Ça te dirait de me rejoindre sur le “Rallye Monte-Carlo Historique” ? ». « Le quoi ? », fit Tato, qui en quelques décennies d’existence a développé autant de compétences en mécanique automobile qu’en matière de compréhension féminine. « Je suis en charge de la communication des équipes ukrainiennes. Tu viens ? Ça nous permettra de parler de projets futurs ». Un grand incontournable chez les humains : se faire un resto, boire un verre ou se barrer au soleil en plein hiver, ils appellent ça du « networking ». Un terme un peu flou qui permet de donner l’illusion qu’ils sont à fond dans le développement de leur job tout en n’en foutant pas une rame. J’en serais presque jaloux de ne pas avoir déposé le concept...

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à, j’ai choppé le smartphone de Tato, me suis mis en visio, et ai balancé à Tonton Alexander : « Mais grave ! On vient ! ». Tato, n’avait pas encore eu le temps de comprendre de quoi il en retournait que je nous avais déjà réservé plage, transat et autres attentions upper class +. Tonton Alexander m’avait promis, lui, de me présenter à une charmante journaliste TV ukrainienne. Jaja et Tonton 1 – Tato 0.

L

GUINNESS, LICORNE ET METEOR Là où les choses se sont gâtées, c’est quand Tonton Christophe est venu prendre une bière à la maison. Au début, tout se passait bien : j’enfilais paisiblement Guinness et Licorne. Lui, en bon puriste, des Meteor. Et puis, en bon professeur d’art dramatique qu’il est aussi, lui est venue cette idée après quelques verres. « Tu crois que je pourrais t’emprunter quelques photos de Jaja ? », a-t-il fait à Tato. « Oui, pourquoi ? ». « En fait, je dois monter une pièce avec une classe d’art dramatique du Conservatoire de Mulhouse. L’idée serait de leur faire écrire des textes à partir de photos de Jaja et qu’ils les mettent ensuite en scène. T’en penses quoi ? ». « Genre, une pièce sur moi ? », les ai-je coupés. « C’est ça ! », fit Tonton Christophe. Sans trop comprendre pourquoi, ni comment, Tato s’est entendu dire « banco ! », au motif que tout cela lui semblait tellement improbable qu’un tel projet ne pouvait être ignoré. Moi, je me remémorais alors une chanson que m’avait №44 — Mars 2022 — Politique


fait découvrir un autre Tonton, aux origines arméniennes – Tonton Stephen –, et me mettais à chantonner : « Je me voyais déjà... ». Moi, Jaja... On stage. C’est d’ailleurs le nom qu’on a fini, Tato et moi, par suggérer au moment du lancement de la campagne de com’ de ma pièce. La première répétition me sembla un peu étrange. Des filles – beaucoup –, un mec – le seul – et une histoire qui n’était pas vraiment la mienne, hormis les premières lignes que Tato et moi avions rédigées pour donner le ton du personnage central : Moi. Mais plus étonnant encore étaient ces ateliers corporels et vocaux que mes comédien.ne.s s’évertuaient à faire passer pour de l’art. À peu de choses près, un remake de Gorilles dans la brume, où les acteurs velus s’initieraient à la technique du Pranayama – une forme de « maîtrise du souffle » qui aiderait, selon l’une des définitions consacrées, « à dynamiser ou apaiser le corps et l’esprit ». Le tout sur fond de musique Punk Rock.

BOOBS, ALCOOL ET LIBERTÉ Mais les textes, bien que... très diversifiés, tenaient la route. Parfois nimp, parfois sombre, mais ça fonctionnait. Principal trait de caractère retenu par les gamins – ils avaient entre 15 et 18 ans –, mon penchant pour l’alcool, la liberté et les boobs. Des traits de caractère parfaitement assumés de mon côté, un peu moins de celui de Tato. Seul aspect décevant de ce qui pour Tato ressemblait à une vaste escroquerie artistique – un avis que je n’ai jamais partagé et que je soupçonne emprunt d’une certaine jalousie de sa part – la pièce ne se jouerait ni à Broadway, ni à la Scala de Milan, pas plus qu’à la Comédie Française ou même au TNS, mais à... Mulhouse, charmante petite ville anciennement industrielle du Haut-Rhin, où l’aspiration des plus jeunes est de la quitter aussi vite que possible. Un peu notre Rolex locale : si, à 20 ans, tu n’as pas quitté Mulhouse, tu as raté ta vie !

MANA MANA, GREMLIN RESCAPÉ D’UN FOUR À MICRO-ONDES On en a pas mal discuté avec Tato, qui semblait moins sévère que moi sur la joie de vivre qui régnait aux abords de la Tour de l’Europe – sorte de bâtiment au rayonnement local aussi puissant que peut l’être №44 — Mars 2022 — Politique

le Parlement européen de Strasbourg pour les Bruxellois, mais sans eurosceptiques et autres technocrates pour en ternir son image. Non, comme me l’a expliqué un jour de représentation Christian, un bistrotier du Marché du Canal Couvert de Mulhouse, les débats houleux ne risquent pas de voir le jour dans la ville de cette tour tridimensionnelle inclinée tout à la fois vers la France, l’Allemagne et la Suisse. Ici, m’a-t-il confié, « la même clique d’élus tient la ville depuis vingt ans », sans grande opposition, et ne cesse de participer à sa paupérisation. Ceci, hors, peut-être, la petite vitrine du centre-ville où des lignes de tram sans grande desserte extérieure se croisent autour d’un circuit piétonnier relooké. Je ne sais pas si Christian a raison, mais Mana Mana, son fils hirsute, digne d’un Gremlin rescapé d’un four à micro-ondes, qu’il m’a présenté via son smartphone alors que Tato et moi reprenions des forces autour d’un Jambon-Beurre, ne semblait pas refléter un état d’esprit des plus sereins à l’idée de finir ses jours dans sa ville d’adoption. Mais bon. Passons. Sur la forme, les répétions s’enchaînaient depuis décembre et nous, avec Tato, naviguions du bas vers le haut du Rhin, histoire que je puisse a minima contrôler mon image et apporter ma patte à la scénographie. Ces allées et venues m’auront permis de découvrir plusieurs aspects séduisants de Mulhouse : un arrêt de tram en plein cœur du hall de gare, où... aucun tram ne circule ; un Palais du Bonheur... laissé à l’abandon ; des tests PCR négatifs irrecevables un soir de Première alors qu’un simple test antigénique, pourtant bien moins fiable, aurait permis à l’une des comédiennes de ne pas devoir passer son tour et de ne pas se faire remplacer à la volée par l’une de ses camarades, réduite à jouer sa partie texte en main.

Jaja On stage

Jaja en répétition

« SHOULD I STAY OR SHOULD I GO »

« L’idée serait de leur faire écrire des Mais pour en revenir à ma pièce, ce que je n’avais initialement pas compris est qu’il textes à partir de me faudrait également jouer aux côtés de photos de Jaja et Max, Ninon, Élise, Emma, Ilona, Guluzar, Léna et Lina. Un imprévu qui me permit qu’ils les mettent néanmoins d’afficher tout mon talent sur scène, en plus de quelques photos ensuite en scène. de moi en compagnie de Zemmour, T’en penses quoi ? » Trump ou d’un Python. À peu de chose S ACTUA L I TÉ

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près : une ode à la joie adolescente pour Boomers extasy-és, que ne manqua d’ailleurs pas de relever Jean-Baptiste, oncle de l’une des comédiennes, dans un poème qu’il m’écrivit à l’issue de la troisième représentation. Parce que, forts de notre succès, nous passâmes d’une à deux, puis à trois représentations. Moi Jaja... On stage explosait les audiences ! Le public en redemandait et les dates s’enchaînaient. Cela aurait dû me ravir – et je l’étais, ravi – mais bouscula aussi un point d’agenda qui me tenait à cœur : ma présence au « Rallye Monte-Carlo Historique », qui débutait deux jours avant la dernière. Quand j’appris la nouvelle, et un peu à l’image de Should I stay or should I go, cette chanson des Clash sur laquelle nous dansions sur scène, mon cœur balança : -2 °C de chaleur mulhousienne ou 20 °C de plage ensoleillée avec ma promise. Entre le Haut-Rhin et des bas de reins, je finis contre toute attente par choisir la première option – sous la pression, néanmoins, de Tonton Christophe et de Ninon, première comédienne à s’être blottie dans mes ailes, en décembre. Un signe de narcissisme selon Tato, dû à une trop longue exposition aux projecteurs, mais qui évita accessoirement de mettre l’ensemble de l’équipe dans l’embarras. La chose était actée : mon Ukrainienne attendrait que mon public me libère. Alors que Tato découvrait un climat Valentinois bien plus rugueux qu’espéré, de mon côté, je remontais sur scène et rejouais chaque partition avec une assurance de plus en plus affirmée, tel Kowalski dans Madagascar ou Captain dans Mr Popper et ses pingouins. Un peu comme Élise, autre artiste talentueuse qui, à sans doute trop avoir visionné Bullit avec Steve Mc Queen, s’encastra dans le mur pare-feu de la salle, alors qu’en pleine représentation elle se ruait vers l’une de mes photos projetée sur un placo de faible qualité. Un moment de grâce qui collait finalement bien avec ce besoin d’évasion qui parcourait la jeunesse mulhousienne. Un peu moins avec les recommandations de la commission sécurité de la Ville. Arrivé – sans moi – à Monte-Carlo, Tato eu une merveilleuse idée : à défaut d’avoir pu honorer sa promesse de m’embarquer avec lui, me faire vivre le Rallye en visio. C’est là que nous avons pris des clichés ensemble : de nuit, sur la ligne d’arrivée. Toutes les équipes ukrainiennes n’étaient parvenues à la franchir, mais les trois quarts si, ce qui ne manqua pas d’enthousiasmer Tonton Alexander qui, de

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« Un jour, Vladimir Poutine décide de visiter une école pour discuter avec des enfants… »

ce que j’en ai compris, avait dû faire face à un nombre incalculable de galères, la course durant. Ma promise, elle, participa au shooting photo, sans que je ne puisse la serrer entre mes petites ailes. Mais le cœur y était. Un peu comme en ce moment, où rentrée en Ukraine, d’autres tracas ne manquent sans doute pas de l’occuper.

La team Jaja à Mulhouse

OÙ DIABLE EST PASSÉ SASHA ? Tonton Stephen m’a d’ailleurs envoyé cette petite blague pour me remonter le moral, en attendant de pouvoir la rencontrer de visu... un jour prochain. Une blague, pas tout à fait drôle, mais qui, d’une certaine manière, témoigne d’un autre théâtre, celui d’origine de Mama, aussi, et de ce qu’il pourrait s’y passer, puisque les vents contraires viennent de se déchaîner : « Un jour, Vladimir Poutine décide de visiter une école pour discuter avec des enfants. Il leur explique à quel point la Russie est une nation puissante et qu’il souhaite le meilleur pour son peuple. À la fin de son exposé, il autorise quelques questions. Le petit Sacha lève la main et dit : “J’ai deux questions. Pourquoi les Russes ontils pris la Crimée et pourquoi envoyonsnous des troupes en Ukraine ? ». Poutine répond : “Très bonnes questions”. Mais au moment où il s’apprête à répondre, la cloche sonne et les enfants partent en récréation. Quand ils reviennent, ils s’assoient et il reste un peu de temps pour d’autres questions. Une élève, Misha, lève alors la main et dit à Poutine : “J’ai quatre questions. Pourquoi les Russes ont-ils envahi la Crimée, pourquoi envoyonsnous des troupes en Ukraine, pourquoi la cloche a-t-elle sonné 30 minutes plus tôt et où diable est passé Sasha ? ». #Pensées. S №44 — Mars 2022 — Politique


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DR

r a m e Coach Ne nous le cachons pas, le capitalisme a mauvaise presse. On l’accuse de tous les maux : exploitation des hommes et des milieux, destruction de l’environnement, avilissement de tous les rapports humains par l’argent. Et pourquoi pas le réchauffement climatique ? Fort heureusement, une solution a été trouvée. Elle est belle, elle est noble, elle consiste à réconcilier capitalisme et humanisme.

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e n’était pourtant pas si compliqué. D’ailleurs on approchait déjà de la résolution du problème lorsque l’on s’est avisé que les employés étaient des ressources humaines. Car là est le salut : placer l’humain au centre. Et il se trouve que c’est exactement le sens d’un métier en plein essor : le coaching. Et il ne s’agit pas là d’un effet de mode. Disons-le tout net : le coaching c’est l’avenir. Vous trouverez un coach pour tout : un coach scolaire, un coach parental, un coach de couple, un coach de carrière, un coach post-burnout, un coach de vie (également dénommé accompagnateur de vie ou facilitateur ou tout autre terme si plaisamment connoté). Ne manque plus en somme qu’un coach de mort et la boucle sera bouclée. Nous retrouverions les enseignements de l’antique ars moriendi, et nous ouvririons les veines dans des bains parfumés en écoutant Tristan und Isolde 1. À chaque étape de la vie, nous serions ainsi coachés. Et, voyez comme la vie est bien faite, la population de coach ne cesse de s’agrandir, prête à répondre à nos besoins. Aux besoins de ceux qui ne sont pas dans le besoin, s’entend. Que de coachs, que de coachs… On soulève une pierre il en sort trois, c’en est une véritable invasion. Mais qu’est-ce que le coaching ? La réponse n’est pas si aisée. D’ailleurs certains coachs eux-mêmes seraient bien en peine d’en donner une définition valide. Mais je me suis renseigné. Selon la Société Française de Coaching, fondée en 1996, « le coaching professionnel est l’accompagnement de personnes ou d’équipes pour le développement de leurs potentiels et de leurs savoirfaire dans le cadre d’objectifs professionnels » 2. Sir John Whitmore, grand ponte du coaching écrit lui : « Le but du coaching est de libérer le potentiel des gens pour maximiser leur niveau de performance » 3.

C

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Ceux qui ont l’odorat affiné auront reconnu l’odeur des principes de développement personnel, à savoir la croyance en une ressource entravée en chacun de nous qu’il s’agit de libérer afin de pouvoir l’exploiter et ainsi se réaliser soi-même, amen. C’est toute une conception de l’humain sur laquelle repose le coaching.

LA DS, LE GIGOT DU DIMANCHE ET LES INTÉRIEURS LOUIS XIII, C’EST FINI ! Comme beaucoup de choses bonnes pour la santé, le coaching nous vient des ÉtatsUnis. Le monde de l’entreprise adore les termes anglo-américains, ça fait cool et flou à la fois. Les choses commencent en France avec Mai 68, et une génération de jeunes gens qui rejettent le capitalisme à la papa. La DS, le gigot du dimanche et les intérieurs Louis XIII, c’est fini ! Il faut mettre l’imagination au pouvoir. Peu après, Lacan, interrompu par quelques agités lors d’un séminaire à Vincennes aura ce mot : « Ce à quoi vous aspirez comme révolutionnaires, c’est à un maître. Vous l’aurez ». Il leur parlait déjà depuis leur avenir. Je ne reviendrai pas sur la couillonnade que représenta cette ruse de la raison consistant à intégrer la critique du système pour le rendre d’autant plus performant. 4 Cela tient du chef d’œuvre. Fini l’exploitation, vive l’expression (de soi) ; fini la lutte des classes, vive la lutte pour les places. Et le chacun pour sa gueule. Voilà comment on enrôle et désamorce une contreculture prônant la libération des individus. Plusieurs facteurs ont concouru à cela. Tout d’abord une psychologisation des rapports sociaux et professionnels. La psychanalyse y a contribué et les termes de complexe, fantasme ou refoulement sont entrés dans le vocabulaire courant. À cela s’ajoute l’idée, aujourd’hui à ce point ancrée qu’elle en devient inaperçue, que №44 — Mars 2022 — Politique

notre histoire personnelle, en particulier notre enfance, nous façonne et que notre vie psychique est en grande partie indue. On peut ajouter à cela la désaffiliation dès longtemps entamée vis-à-vis de l’Église, de la famille traditionnelle, des partis, des syndicats… et qui accrédite l’idée selon laquelle l’individu est seul maître de son destin. Cette idée s’est amplement épanouie dans le monde professionnel dans lequel les parcours sont de plus en plus personnalisés (avec par exemple les entretiens individuels d’évaluation) et les réussites, comme les échecs, imputables au seul salarié. Ce sont donc ces mêmes salariés qu’on adressera aux coachs afin de rester utiles aux yeux des employeurs. À la fois par leurs compétences et par leur savoir-être, susdite notion aux contours plus qu’incertains, mais qui empiète largement sur la subjectivité du salarié.

« Car qu’est-ce qu’un coach sinon quelqu’un qui veut vous apprendre comment travailler tout en ne connaissant pas votre métier ? »

INTRODUIRE LES PRÉCEPTES DU DÉVELOPPEMENT PERSONNEL DANS L’ENTREPRISE Aux États-Unis, dans les années 1980, les cabinets de conseil ont intégré les enseignements des thérapies humanistes des années 1940-60, du « mouvement du potentiel humain » (avec la fameuse pyramide de Maslow), de la PNL (Programmation Neuro-Linguistique) ou de la Gestalt-thérapie. Ce sont ces méthodes qui vont être importées en France dans les années 1970 par les psychothérapeutes du Centre de développement du potentiel humain (CDPH) 5. Et c’est là que l’on trouve les premiers coachs français qui s’appuieront, et s’appuient encore, sur ces théories. Ils sont fils de dirigeants, de cadres, d’ingénieurs, mais arrivent sur le marché du travail au mauvais moment, soit quand la crise S ACTUA L I TÉ

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pétrolière sonne le glas du plein emploi. Nombre d’entre eux, soit en n’achevant pas leurs études de psychologie soit dans la crainte d’un déclassement social par rapport à leurs pères, se détournent de la psychothérapie pour s’orienter vers le conseil en management. Et introduisent ainsi dans l’entreprise les préceptes du développement personnel : « Bénéficiant de la revalorisation symbolique de l’entreprise dans la société des années 1980, ces acteurs prennent alors leur revanche sur leur sentiment de déclassement, grâce à une position qui leur permet de tenir ensemble expression d’une critique artiste et réussite économique » 6. Pour autant, la justification même de leur présence dans l’entreprise ne coule pas de source. Car qu’est-ce qu’un coach sinon quelqu’un qui veut vous apprendre comment travailler tout en ne connaissant pas votre métier ? C’est la question que se sont posée les chefs d’entreprises et les managers en voyant arriver d’un œil circonspect les premiers coachs. Ni experts, ni consultants, ni quoi que ce soit de connu alors, le coaching risque également de faire passer celui qui y a recourt pour un professionnel défaillant. D’autres craintes se font jour comme la peur d’être manipulés pour les salariés, ou bien de mélanger les sphères professionnelle et privée, ou bien encore celle d’une trop grande proximité entre coach et coaché pour l’entreprise. On a fait du progrès depuis… Les premiers coachs joueront alors une partition inédite, mais appelée à un brillant avenir, celle du mystère, de l’aura, du charisme. Le coach est un homme, ou une femme, qui a en moyenne 51 ans et cultive l’image d’un être de grande expérience, voire de sagesse (tant qu’à faire, ce qui d’ailleurs permet d’exclure les plus jeunes de la concurrence). Et qui prononce, le regard portant au loin : « On ne devient pas coach, on est fait pour cela… » 7. Hé ouais, ça rigole pas. Parce que le coaching, c’est un art. Ça voudrait bien être une science, mais vraiment ça, ça ne prend pas. Ce n’est pourtant pas faute de se servir de moult outils : la grille RPBDC, le modèle GROW, la grille OSBD, les deux cercles, les cinq carrés. Ne manquent plus que les trois petits cochons.

réaliser en le révélant à lui-même, de renforcer son employabilité et à l’entreprise de compter dans ses rangs des employés épanouis. C’est une relation gagnant-gagnant-gagnant. On n’avait pas vu ça depuis la multiplication des pains du petit Jésus. Bien entendu, la terre est peuplée de malfaisants et autres affabulateurs jaloux qui vont récriminant. Les ingrats… Jamais on n’aura autant poussé l’amour du travail. Avant on était des gagne-petit, on se contentait d’être bon. Maintenant il faut viser l’excellence ! Laquelle ? On ne sait pas, mais c’est pas grave. Avant il fallait être un manager maintenant il faut devenir un leader ! Avant on avait des idées, maintenant on a une vision ! Comme Bernadette Soubirous dans la grotte. La plupart du temps cependant, c’est moins le salarié que la boîte qui décide de la démarche et qui reste, in fine, le client, donc le payeur. Mais c’est bien le salarié qui doit s’autodiscipliner, se surveiller, se conformer à l’image de lui qu’on lui impose. Bref d’entretenir une « hygiène psychique » permanente au service de son entreprise. D’ailleurs a-t-il le choix ? Peut-on refuser de se faire coacher ? Au moins montre-t-on qu’on joue encore le jeu. On sauve la face parce qu’on ne reste pas inactif en période de crise. Et l’organisation gère ainsi la frustration de ceux qui n’auront pas les carrières les plus brillantes. Car tout doit être exploité, pardon, tout doit être une opportunité. La fatigue, le doute, l’angoisse, oui, à condition de rebondir, d’être agile et résilient. Exploite-toi toi-même, petite entreprise que tu es. Sinon tu n’es qu’une pauvre merde. Inadaptée et inadaptable. Je ne crois pas que les psychologues du travail me démentiront sur ce point.

1. « Attention, on entaille les veines dans le sens de la longueur, c’est plus efficace ! », nous rappellerait charitablement le coach de mort. Mais, à une époque où triomphe la novlangue aseptisée, la formule peut sembler un poil abrupte. Coach de délivrance, ça sonne mieux non ? 2. www.sfcoach.org/coaching-pro consulté le 02/02/2022. Je souligne l’adjectif professionnel, on a affaire ici à des gens sérieux et toujours plus ou moins en quête de reconnaissance. 3. Le guide du coaching au service de la performance, Sir John Whitmore, Maxima, 5e édition 4. Voir là-dessus, incontournable, Le nouvel esprit du capitalisme, de Boltanski et Chiapello 5. Je m’appuie ici sur l’excellent livre de Scarlett Salman : Aux bons soins du capitalisme, le coaching en entreprise, qui vient de paraître aux Presses de Sciences Po 6. ibid. P. 54 7. Pierre Blanc-Sahnou 8. n, L’art de coacher, Interéditions p.6

Et le plus drôle dans tout cela, c’est qu’on se croit libre en consentant gaiement à ce qu’on attend de nous. Des caves quoi. C’est étrange, ça me fait penser à un jeune gars qui s’appelait Étienne. Étienne de la Boétie. Vous connaissez ? S

« Parce que le coaching, c’est un art. Ça voudrait EXPLOITE-TOI TOI-MÊME, bien être une science, PETITE ENTREPRISE QUE TU ES mais vraiment ça, ça ne prend pas. »

Mais tout cela au service d’une noble cause. Remettre l’humain au centre… Le coach permet à la fois au salarié de se

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S ACT UA LI T É

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S ACT UA L I T É — REGA RD

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S ACT UA LI T É

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E S O CI É T É – SAVOIR- FA IRE S ÉCUL AI RE Caroline Paulus

T A N T D’ÂMES QUI

NEN N O S T…

Jessica Ouellet

FONDEUR DE CLOCHE

À toute volée, les cloches des églises chantent leurs bénédictions, leurs joies et leurs tristesses. Issues d’un savoir-faire séculaire, elles naissent artisanalement dans le sable avant d’être baptisées, puis bénies. Dans un pays extrêmement structuré autour des études, il n’existe néanmoins pas de formation initiale spécifique pour le métier de fondeur de cloche. Forgeron, potier, sculpteur, ébéniste, serrurier, mécanicien, électricien… Tous contribuent à façonner l’énergie de nos clochers. Parfois compagnons du devoir, ils fricotent aussi avec l’alpinisme urbain. Les gestes sont précis, répétés, artistiques…

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Julien Calcatera

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u sein du quartier Strasbourg Koenigshoffen, l’agitation commerciale de la route des Romains accueille un lieu qui semble figé dans le temps. C’est que derrière les portes de l’atelier, quelques ouvriers perpétuent la tradition campanaire – en d’autres mots, la tradition des cloches. Aujourd’hui, seules trois fonderies françaises poursuivent cette noble quête.

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Tout en cheminant dans l’atelier, le gérant de la Société André Voegelé, Julien Calcatera, présente les étapes de fabrication avec une douce sérénité. À chaque cloche correspond une note, déterminée par différentes proportions. Issue de bronze – un méticuleux assemblage de cuivre et d’étain – chaque cloche est initialement composée de trois moules façonnés à la main. Ces derniers s’empilent sans se coller. La partie centrale est ensuite retirée – dévoilant une empreinte creuse – puis la matrice finale est enfouie dans une fosse de sable en amont de la coulée. Entre la fabrication du moule et le fébrile moment où la matière entre en fusion, une petite saison peut défiler.

LA ZEHNERGLOCK ET DIX-NEUF AUTRES…

Pour le plaisir de l’ouïe, prenez le temps d’écouter l’identité sonore des clochers environnants. Quasimodo affirmerait qu’« aujourd’hui est un bon jour pour essayer » (Le Bossu de Notre-Dame). La régression des offices et des cultes affaiblit la compréhension de ce moyen de communication de masse. Malgré cela, leurs tonalités sont toutes autant d’âmes qui résonnent. Entre le temps liturgique et civil, la société Voegelé continue donc à faire carillonner nos clochers. Et leur glas n’est pas près de sonner. E №44 — Mars 2022 — Politique

À TOUTE V O L

À quelque trois kilomètres de l’atelier, la Cathédrale éveille l’une de ses voix toutes les demi-heures. Particulièrement attachée à cet édifice, l’entreprise strasbourgeoise est fière d’assurer de temps à autre l’entretien de ses puissantes élocutions. Cette étape est importante pour la stabilité, la sécurité, et le respect du patrimoine. C’est qu’elles ont quelque chose d’intemporel, les cloches. Depuis leur beffroi, elles peuvent crier leurs cinq cents bougies avec l’énergie du premier jour. N’en demandez pas tant aux autres objets utilisés quotidiennement. Pour fêter ses mille ans, la Grande Dame accueillait en 2014 quatre nouvelles cloches – elle portait alors son nombre de 16 à 20 – coulées par l’atelier-fonderie Voegelé. La consécration du projet, déroulé sur plusieurs mois et encadré par le campanologue de l’archevêché, fut un moment de grande émotion. Les nouvelles arrivantes furent installées dans la tour Klotz, aussi appelée tour octogonale. Elles accompagnent notamment les baptêmes, mariages et décès des paroissiens. Parmi la famille de bronze qui surplombe la place, on entend la populaire Zehnerglock (fonderie Matthieu Edel), qui perpétue une coutume strasbourgeoise depuis 1786. Le tintement de 22h encourageait, entre autres, à couvrir le feu afin d’éviter les risques d’incendie.

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E S O CI É T É – J E U Jessica Ouellet

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Caroline Paulus

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« TOUTES LES GRANDES PERSONNES ONT D’ABORD ÉTÉ DES ENFANTS… » Les amoureux du vin peuvent développer leurs acquis avec des jeux ludiques spécialement conçus

De sa petite enfance, on garde d’heureux souvenirs de jeux autour de la nourriture. Entre les bouchées de neige fraîche et les colliers de macaronis, on se passionnait aussi pour les gâteaux en pâte à modeler. On a finalement mis ses petits ustensiles de côté pour faire la popote avec sa mère. C’est que la pâte à modeler Play-doh® est moins délicieuse que la cuisine en taille adulte. Au fil du temps, les connaissances grappillées auront permis de découvrir les livres de Maïté avec un peu moins d’appréhension. Pour les jeux autour du vin, c’est la même histoire… 126

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e jus de raisins fermenté s’enorgueillit d’un lot de connaissances, et ces dernières jettent souvent un froid sur l’ambition de ceux qui aiment jouer du tire-bouchon. Par des lectures, des dégustations, et des voyages, les sommeliers restent à l’affût des nouveautés. Dans le confort de leur chez eux, les amoureux du vin peuvent, eux aussi, développer leurs acquis. Coup d’œil sur quelques jeux vous permettant de bien boire. Du jus de raisin fermenté émane son lot de parfums enivrants. Une odeur, c’est une molécule chimique volatile, qui est ensuite captée par les récepteurs olfactifs. Mais pour être apte à reconnaître – disons – le muguet, il importe de l’avoir au préalable enregistré dans sa mémoire. C’est ce qu’on appelle aussi la bibliothèque personnelle d’arômes. Le livre-écrin Le Nez du Vin dévoile une magnifique collection permettant de développer son acuité olfactive. Le grand modèle contient 54 fioles numérotées qui valsent entre notes fruitées, florales, végétales, animales, et grillées. Un véritable terrain de jeu pour amateurs et professionnels ! Avis aux plus déterminés : les grandes inspirations sont inutiles. Laissez-vous porter par votre intuition et vos souvenirs. Si le flair se fatigue, reniflez votre avant-bras afin de désaturer vos récepteurs olfactifs..

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À DÉCOUVRIR VERRE À LA MAIN Dans un format tout aussi ludique, mais néanmoins plus pratique, Le Quiz Larousse du vin permet de peaufiner vos connaissances vitivinicoles. Les 200 fiches questions-réponses abordent des thématiques telles que les étapes de la vinification, les vins de France et du monde, les cépages... Et ce n’est pas si facile ! À découvrir entre amis, et verre à la main. À l’instar de la bibliothèque d’arômes, la diversification des dégustations permet de mieux capter la beauté d’un vin. Encore faut-il arriver à en parler. Dans cet esprit, Le Portrait du Vin en Alsace dégrossit le vocabulaire sans prise de tête. Ce jeu de société édité, conçu et dessiné par Francine Mantel – une Alsacienne d’adoption – propose de décrire votre verre comme un individu. Les différentes cartes, illustrées dans un style BD, sont toutes autant de clins d’œil aux vins de la région. Nul besoin de poésie ; dégustez, et trouvez les mots qui correspondent à votre ressenti. Puis, discutez et comparez avec les autres participants. Parce qu’apprendre à se faire confiance en équipe, c’est parfois rassurant. Révélés par une campagne Ulule, les premiers jeux ont été distribués fin d’année 2021. Une belle initiative ! Une meilleure connaissance du vin permet de l’apprécier au mieux. Sans préjugé et avec un brin d’humour, amusez-vous avec des jeux spécialement conçus. Ceux-ci réchaufferont votre soif d’apprendre les secrets de la dive bouteille. Parce qu’au final, « toutes les grandes personnes ont d’abord été des enfants » (Le Petit Prince, Antoine de Saint-Exupéry). Et puis, c’est un peu comme jouer à la dînette, mais en taille adulte. Et sans collier de pâtes. E №44 — Mars 2022 — Politique


Riesling d’Alsace. Elégant et terriblement unique. *

Tant de personnalité (s) * La diversité des sols du vignoble alsacien, unique au monde, rend le Riesling d’Alsace absolument unique

L’A B U S D’A LCO O L E S T DA N G E R E U X P O U R L A S A N T É, À CO N S O M M E R AV E C M O D É R AT I O N


E S O CI É T É – VOYAGE Isabelle Baladine Howald

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UN VOYAGE E L A T I P A C A L VERS

DEUX AFRICAINES, UNE ANGLAISE ET DES CHINOIS ! Le moment que j’aime le plus quand je voyage en train de Strasbourg à Paris, c’est celui où les premiers contreforts des Vosges apparaissent quand le train passe entre les grès roses de part et d’autre du rail. On quitte l’Alsace, on entre dans cet entre-deux, dans la suite du Grand Est qui n’évoque pas grand-chose, il faut bien le dire, faute de recul historique peutêtre, puis vers l’île-de-France…

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raversons un peu différemment : du Bas-Rhin, ce fleuve mythique et littéraire qui descend ensuite vers le Nord, on passe à la Meurthe-et-Moselle, la première rivière étant l’affluent de la seconde et aussi sous-affluent du Rhin. Ce sont les régions douces qui commencent avant les paysages blonds de la Champagne, puis la verte Marne qui se perd vite vers les premières banlieues de Paris. De 4h30 de durée du voyage, on est passé à 2h30 puis 1h50, à peine le temps d’un film sur un iPad. C’est rapide et agréable (sauf quand on voit la vitesse monter à 300 km, là on se remet soudain à croire en Dieu…), difficile d’avoir de la nostalgie. Pourtant, je me souviens d’un voyage de retour de Paris vers Strasbourg où je m’étais endormie après un séjour en amoureux. Un contrôleur m’a réveillée à Nancy, où le train s’arrêtait. Je m’étais trompée de ligne… Je me suis retrouvée à 6 h du matin grelottant sur un quai désert ! Pourtant, c’est ce qu’on appelle un bon souvenir ! Cela n’arriverait plus aujourd’hui, je n’irai pas jusqu’à dire que je le regrette, mais l’aventure devient difficile à vivre sur un trajet devenu aussi bref ! Que peut-on faire du coup, hormis observer la faune humaine de son compartiment, qui mérite certes beau-

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coup d’attention. Dommage que maintenant les visages baissés soient à peu près tous éclairés par la lumière bleue des écrans. Quelques lecteurs de livres toutefois. On croise peu de regards, hors des selfies narcissiques que se font quelques visages féminins dans la pose prisée ces temps-ci, œil de biche de côté et bouche en cul de poule.

ON PRENAIT UN GROS ROMAN, ON DORMAIT, ON RÊVAIT… On ne voyage plus comme le raconte Blaise Cendrars dans La prose du transsibérien où le vers suit le rythme haletant des roues du train. De Strasbourg à Paris aujourd’hui le train glisse littéralement. Louons le temps présent. Ce que nous avons toutefois un peu oublié, il me semble, c’est cette notion du temps « perdu », on ne faisait rien, on voyageait, on ne rentabilisait pas en lisant des mails du travail, on prenait un gros roman, on dormait, on rêvait, l’œil ailleurs par la vitre. C’est le corps qui se reposait, l’esprit qui vaquait. Un temps de veille. Le temps de l’imaginaire surtout. Rien de virtuel proposé par des algorithmes, mais son propre univers qui se déployait à l‘infini. Forme d’un nuage qui change, différents bleus de montagnes qui apparaissent, cela favorise la rêverie, et le souvenir. Un voyage où l’on se souvient d‘un autre voyage, un voyage où l’on rencontre une adorable vieille dame anglaise lectrice de Virginia Woolf, un voyage à deux pour quelque fête secrète, un voyage pour fuir ou pour se fuir. « À nous deux, Paris » ! S’exclame Lucien de Rubempré le héros de Balzac dans les Illusions perdues en arrivant dans la capitale. Quand on arrive de Strasbourg, on arrive non seulement de province, mais presque de l’étranger ! Paris ville aux toits gris clair, Strasbourg, ville plus rose que Toulouse. Accent lent de l’Alsace (du BasRhin, celui du Haut-Rhin étant encore différent, comme nous savons tous ici !), accent gouailleur de Paris. Mais durant le voyage, accents et langues se mêlent. Lors de mon dernier voyage en décembre, un tout petit enfant au teint clair pleurait beaucoup. Près de moi, deux femmes africaines ont bercé deux bébés tout noir durant tout le temps, on ne les a pas entendus, elles étaient souveraines, magnifiques et tellement calmes. J’ai adoré les regarder. Tant de choses vues et entendues nourrissent, même en un temps court, pour peu qu’on veuille bien les voir et les entendre au lieu de rester entre ses oreillettes. Le moment plus mémorable d’un de mes voyages fréquents entre Strasbourg et Paris a été il y a deux ans, №44 — Mars 2022 — Politique

au début de la pandémie, sachant qu’elle avait démarré de Wuhan en Chine, quand je suis arrivée masquée dans un compartiment, rempli, mais vraiment rempli de… chinois !!! Tous rieurs et très en forme, ils n’ont cessé de circuler entre les sièges, d’ouvrir et fermer les portes, d’aller aux toilettes où du coup je n’ai pas mis les pieds ! Pauvres chinois, ils allaient juste voir la Ville Lumière, ni plus ni moins que moi ! Pass sanitaire, bientôt vaccinal sur l’élan de mon téléphone, je passe la Zoll (douane) de la SNCF, souriante et patiente ; je compte les voitures puis les places, je monte en haut du compartiment ou je reste au rez-de-chaussée, j’essaie de voir à peu près ma valise d’où je suis, le chef de bord nous annonçant sur la musique de « Amicalement vôtre », c’est authentique – si vous vous souvenez de Lord Brett Sinclair dit Sa Majesté et de Dany Wilde le nouveau riche – qu’il y a beaucoup de vols et qu’il faut surveiller son bagage. Bon. Évidemment, je vais oublier. Avec moi, ma bouteille d’eau, du chocolat, des petits gâteaux, de quoi tenir un siège.

ET, TOUJOURS, UN LIVRE… Voyage dans le voyage, le livre est inséparable de moi, c’est un prolongement de ma main. J’ai trouvé peu de traces d’un voyage en train Strasbourg-Paris dans mes archives littéraires. Les voyages avaient lieu vers l’Italie (Stendhal, Goethe, Montaigne, Freud), vers l’Orient (Pierre Loti, Flaubert, mais aussi Rilke). Strasbourg dont on se souvient qu’elle signifie la ville des routes, donc la ville des passages, a certes vu passer Hölderlin vers Bordeaux, à pied. De plus, un voyage en train est bien moins romantique, peu de dangers ou de grandes surprises. Mais la pluie battante sur les vitres d’un train à grande vitesse, poussant de grosses gouttes d’eau tremblantes vers le bas, c’est pour moi une vraie géographie. Mais voyager avec un enfant qui crayonne, goûte, s’endort sur vos genoux avec votre manteau sur lui, c’est une expérience merveilleuse. Mais décliner la proposition d’un contrôleur de vous retrouver dans je ne sais quel compartiment vide, c’est de la diplomatie ! Et croiser deux Africaines épanouies, plein de Chinois qui rigolent, et accueillir en gare de Strasbourg un mythe de la littérature italienne, Claudio Magris venant de Paris, sa vieille serviette en cuir toute usée et ses chaussettes un peu tirebouchonnées, ça, c’est inoubliable. Les voyages forment l’humanité. E E S O CIÉ TÉ

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CLUB DES PARTENAIRES OR NORME

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E S O CI É T É

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Alban Hefti

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E S O CI É T É — É VÉN EMEN T OR NORM E

Le 9 février dernier chez AEDAEN PLACE, le Club des Partenaires Or Norme a fêté ses retrouvailles autour d’Olivier Levy et Michel Ruimy, qui sont venus partager l’analyse de Levy Capital sur les marchés en 2022 : des marchés financiers à l’immobilier, des matières premières aux crypto-monnaies. Beaucoup d’informations passionnantes et surtout une belle convivialité enfin retrouvée après des mois de disette en événements !

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SPECTACLES FESTIVAL, LIVRES GALERIES, ETC. Petite sélection tout à fait partisane de quelques cadeaux à faire et à se faire (même en mars…), juste façon de ne pas perdre nos très bonnes habitudes culturelles !

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a SÉ LE CT ION

a CULT URE — SÉLE CT ION Véronique Leblanc – Aurélien Montinari – Benjamin Thomas – Jean-Luc Fournier Sabine Trensz - Alain Lhéritier - DR

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Le 3e Salon de photographie de Strasbourg utour de la présence du célébrissime Reza, invité d’honneur du 3 e Salon de photographie de Strasbourg, les quatorze photographes présents (dont quelques locaux de grand talent comme Jeannette Grégori dont nous parlons abondamment dans ce numéro, Sabine Trensz, Yvon Buchmann, Julien Kam, …) peuvent être qualifiés de reporters, d’aventuriers, d’explorateurs et/ ou de voyageurs. Ils ont en commun d’être des témoins du monde tel qu’il se présente encore aujourd’hui. Que les images aient été faites au seuil de notre porte ou dans les contrées les plus éloignées, elles sont toutes porteuses de sens et d’émotions. Elles nous racontent la Terre et l’empreinte que l’homme y a imprimé. À un moment où nous sommes acculés à des

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défis sans précédents, les photographies qu’ils et elles nous rapportent éclairent notre regard et notre conscience. Ces photographies mettent en lumière notre époque sous des angles différents de ceux qui nous sont généralement montrés au quotidien. Pierre Zeller et ses équipes sont vraiment à féliciter chaleureusement pour ce festival dont la programmation emprunte de qualité et ambitieuse devrait rencontrer le succès public qu’elle mérite. a B.T. ace te Pl ubet ril ’A l e alle d s au 3 av de S r Gran du 31 ma , s é rois bourg, hie.f r C d r Rega r à Stras hotograp e Kléb salondep . www

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2KLIVRES Aux alentours Mickaël Labbé

près avoir dénoncé ce qu’il nomme « l’architecture du mépris », dispositifs anti-SDF, aires de jeux grillagées et autres malls dans son livre Reprendre place, le philosophe strasbourgeois Mickaël Labbé interroge désormais notre rapport à la ville, la nature et nos voisins « non-humains ». Véritable apologie du quotidien, notre jeune maître de conférences partage avec nous ses trajets journaliers et questions existentielles sur fond de pandémie et réchauffement climatique. Avec Mickaël Labbé, une balade à vélo devient ainsi l’occasion de réfléchir à l’anthropocène, la gentrification, la crise migratoire voire même le sens de la vie ! Ce spécialiste d’architecture, d’art et d’esthétique pose un regard à la fois malicieux, sensible et lucide sur nos douces contradictions de citadins, partagés entre consumérisme et désir de retour à la terre. C’est tour à tour l’universitaire, le papa, le citoyen, le cycliste ou encore le récent jardinier qui nous donne à lire ses impressions sur Strasbourg et sa périphérie, ses lieux, ses espaces, ses gens et animaux avec qui Mickaël Labbé entre en interaction, parfois fasciné, parfois en colère, parfois inquiet… Aux alentours est un livre parfaitement intelligent, sincère, érudit, mais sans être professoral, une ode à l’harmonie cachée et à la beauté du vivre ensemble, dans une période qui manque cruellement de cohésion sociale. a r A.M. ue su

aleriste confirmé de la place strasbourgeoise, Bertrand Alain-Marie Gillig se révèle écrivain sans pour autant renoncer, dans ce premier roman, à sa passion pour l’art et l’histoire. Le récit démarre dans le Paris racorni de 1941, au fil des rues de la butte Montmartre où vit Anatole, fils de bonne famille rêveur et passionné d’art. Au gré d’une visite du musée Gustave Moreau, celui-ci croise le professeur Costa qui deviendra son inoubliable professeur de dessin. Mais ce mentor est juif, réalise Anatole lors de la rafle du Vel d’Hiv… Il le protégera. Le roman prend alors des tours de polar fusant de la guerre et l’après-guerre à nos jours pandémiques, rebondissant en Argentine, par-delà l’océan, explorant le monde de l’art dans ses arcanes les plus spéculatifs avec une obsession : retrouver deux toiles de Cézanne que Costa aurait, peut-être, possédées avant de les confier à Anatole. Deux vues de la Montagne SainteVictoire – Mont Venturi en provençal – quintessence de la reproduction de la nature aux yeux du vieux maître qui leur attachait aussi une valeur sentimentale confinant au sacré. Terminé durant le premier confinement, ce roman ne manque ni de tension dramatique ni d’incarnation. C’est une histoire de loyauté où l’on croise également le peintre Bernard Buffet de son apprentissage à la consécration qu’il connut dans les années 1950. C’est surtout une formidable histoire de l’art et d’amour de l’art. Passion plus éternelle que l’appât du gain. a q olog i ot, 16 € c V.L. é d ay ar ig,

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2KLIVRES Le plateau de pierre grise Olivier Claudon

Traversée Rivka Nadel

ournaliste aux DNA, Olivier Claudon avait publié il y a deux ans le très original Et la ville sera vide qui entremêlait formidablement Histoire et enquête policière, reconstituant cette période du milieu du siècle dernier où Strasbourg connut cet épisode dramatique de l’évacuation. Notre confrère publie un deuxième roman tout aussi passionnant. De plus, il aura eu le nez fin puisqu’il met en scène une journaliste qui enquête sur le scandale des Ehpad devenus la cash machine de groupes financiers sans scrupule, privilégiant la seule rentabilité de leurs investisseurs, sans le moindre souci des personnes âgées résidentes. Mais il sera aussi vite question du projet de création d’un énorme parc éolien, d’une ZAD qui se constitue pour lutter contre le projet, de ce fossé qui se creuse entre la France des grandes métropoles et le reste du pays. Bien vite, la journaliste héroïne du livre se verra confrontée à la redoutable 'Ndrangheta, cette mafia calabraise tentaculaire…De courses-poursuites en disparitions sur fond constant de menaces imprévisibles, farci de sources très actuelles, le roman de Olivier Claudon se dévore littéralement. Belle réussite. Bravo ! a J-L.F.

ne lycéenne entre en première littéraire au lycée Henry IV. Cette année-là elles ne sont encore que quelques-unes en classe, car l’établissement ne s’ouvre que peu à peu aux filles. Cette histoire est celle d’une adolescente rêveuse et littéraire tombée dans l’un des temples du savoir et qui, dans un premier temps, bénéficie de la force de l’admiration pour un lieu mythique aux yeux de tout enfant ayant une sensibilité esthétique. Mais après le bac, les classes d’hypokhâgne et de khâgne deviennent pour elle un éteignoir. Classes d’élite, classes de formatage, la jeune femme met un moment à le réaliser et à s’en éloigner, puis se détourne et se lance dans une traversée, une recherche autre et absolue vers l’inconnu de soi, le judaïsme. Au fil des livres, elle va rencontrer Le Livre… C’est le premier roman de Rivka Nadel, qui vit à Strasbourg. a B.T. adel,

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2KLIVRES Penser la perception Jean Daive

Forêt des mots Odile Massé

es éditions de l’Atelier Contemporain publient le troisième volume de cet étonnant triptyque de Jean Daive, consacré à l’image. Le premier livre posait le constat : ce que je regarde n’est pas ce que je vois. Le second : l’image n’est plus à regarder, mais à lire et l’écriture n’est plus à lire, mais fait l’image. Penser la perception aborde la question du film, de la photo et de l’écriture à travers de formidables entretiens que l’auteur a menés avec des gens comme Jean-Luc Godard, Gerog Baselitz, Chantal Akerman, Nathalie Sarraute, Gisèle Freund, Marguerite Duras, Niki de Saint-Phalle, Jean Tinguely, Joris Ivens, entre autres. Dans les années 80 sur France Culture, Jean Daive, fut celui qui anima Les Nuits Magnétiques, une des plus innovantes émissions jamais crées par le service. Un ouvrage unique et passionnant. a aive, B.T. an D

e titre annonce l’allégorie sur laquelle se développe le livre, mais l’auteure se garde bien d’en donner la clef. Ce qui est clair, c’est que la forêt en question, qui ressemble à celle des contes, est la scène d’ambiguïtés insolubles dont la présence à la fois patente et diffuse, comme celle d’une futaie noyée dans le brouillard, donne lieu à des espoirs sans nom comme aux plus vives inquiétudes. Les voix turbulentes et grotesques, puériles et touchantes de la partie dialoguée déploient des efforts ubuesques pour réduire le risque de devoir penser par elles-mêmes, se poser des questions et laisser place à l’« autre », à l’équivoque des mots avec lesquels pourtant elles jouent… Odile Massé, comédienne, auteure et poétesse, a fait son entrée en littérature il y a quarante ans et publie ici son quatrième ouvrage à l’Atelier Contemporain. Il est parsemé des splendides dessins épurés du peintre et dessinateur toulousain Paul de Pignol. Le tout est réuni dans un très bel objet éditorial… a B.T.

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LE 26 MARS PROCHAIN, PINEL S’INVITE AU PETIT-DÉJEUNER C’est annoncé, le dispositif Pinel va perdre beaucoup de son intérêt dans les deux années à venir. C’est pourquoi nous vous invitons à profiter dès maintenant de tous ses avantages en termes de défiscalisation afin de vous construire un patrimoine solide. Nexity vous offre un large choix de projets pour investir près de chez vous et dans toute la France. Soit autant d’excellentes raisons de choisir Nexity pour investir avec le dispositif Pinel et de nous rendre visite le 26 mars prochain à l’heure du petit-déjeuner.

Nos experts Nexity seront à votre disposition le 26 mars pour vous renseigner sur le dispositif PINEL.

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Nicolas Roses – Alban Hefti – DR

ÉCOUTE, ILS SONT VIVANTS… Se connaissaient-ils ? Brice Bauer et Alain Lafont s’étaient-ils déjà parlé ? Nul ne sait, peut-être… Aujourd’hui que tous deux ne sont plus, celles et ceux, nombreux, qui les connaissaient seront certainement d’accord pour penser que ces deux-là s’étaient sûrement trouvés ici, sur cette terre… Ils sont partis, mais ne sont pas loin. Si on tend bien l’oreille, les murs du fronton de la cathédrale résonnent encore des notes graciles et somptueuses de Brice, son violoncelliste inspiré. Et, pas loin de là, aux alentours du Tire-Bouchon peut-être, l’accent chantant et le rire d’Alain s’entrechoquent toujours avec le tintement cristallin des verres de l’amitié… Il en va ainsi de ceux qui laissent une trace d’autant plus forte qu’elle est empreinte de modestie et de tant de talent. Toi le passant qui traverse l’espace de pierraille millénaire, tends l’oreille. Écoute, ils sont vivants…

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OR CHAMP Par Jean Sibilia, Doyen de la faculté Vice-président de l’Université de Strasbourg, Président du C4S (Comité Science Santé et Société de Strasbourg)

LA CRISE COVID-19 OPTIMISME ET PRUDENCE ! ette pandémie virale était attendue, mais ses impacts sanitaires, sociaux et économiques n’avaient pas été prévus. Nous n’étions pas prêts à l’affronter, ni individuellement ni collectivement. Une forme d’arrogance technophile, mais aussi les pandémies avortées à SarsCov2 en 2002 et à Mers-Cov en 2012 nous ont fait penser que « rien ne pouvait arriver ».

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Nous avons beaucoup appris sur ce nouveau virus Sars-Cov2, mais aussi sur les fragilités de notre monde… Nous avions peut-être oublié, depuis la Seconde Guerre mondiale, ce que peut être un séisme planétaire, terrible par ses conséquences, mais magnifique par l’élan altruiste qu’il génère. Cette crise a révélé notre incroyable capacité à réagir et à créer des organisations, des chaînes de solidarités, des traitements et des vaccins dans des moments particulièrement difficiles. Il faut continuer à s’émerveiller de ce que l’Homo sapiens est capable de faire, avec résilience, dans un élan collectif qui fait notre force. Comme en temps de guerre « le courage, l’humour et la gentillesse des gens ordinaires sont stupéfiants » comme l’écrivait une journaliste américaine qui découvrait le quotidien de Londres, dévasté par les bombes nazies (PANTERDOWNES, London War Notes 193945, Strauss et Giroud, 1971). L’adversité révèle la solidarité, la

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générosité et le meilleur de chacun, mais elle exerce aussi une pression pesante qui mène parfois à une détresse psychosociale chez les plus fragiles. Nous avons ainsi pu observer l’impact de cette pandémie chez les enfants, les gens isolés et chez ceux en situation de précarité. Nous avons maintenant la responsabilité de comprendre cela ensemble pour faire grandir nos sociétés et notre monde si singulier. Certains vont tenter, par une épreuve de force, de nous faire croire que la seule issue est autocratique, en réanimant le mythe destructeur du « petit père » qui protège les peuples. Retrouvons notre esprit de résistance, cher à tant de grands hommes, forts de nos valeurs humanistes, mais sans déni et sans faiblesse. Refusons la manipulation et l’infantilisation pour construire le monde que nous serons fiers de léguer à nos enfants. Tout cela est un des messages de cette pandémie qui sonne un peu comme une alerte universelle. De façon plus concrète, nous avons aussi découvert ou redécouvert la grande fragilité de notre système de santé qui ne s’est pas construit pour répondre à une crise de cette ampleur. Nous avions oublié, au moins en partie, l’importance d’une vision « santé publique » qui doit faire de la prévention et du bien-être une priorité. Nous avions oublié l’importance d’une production souveraine et de la force d’une solidarité internationale qui devrait

être un des éléments-clés de l’identité de notre Europe. Nous avions peutêtre aussi sous-estimé l’importance de la responsabilisation et de la créativité des acteurs de la santé, mais aussi de tous ceux qui, dans les grands moments d’incertitude, ont montré tant d’altruisme… et ils ont été nombreux ! L’épidémie à Sars-Cov2 va maintenant régresser progressivement au moins pour quelques mois dans les pays qui ont été « traversés » par la dernière vague omicron. L’intensité de cette vague, marquée par une contagiosité virale sans précédent, n’a pas eu de conséquences graves dans notre population largement protégée par la vaccination. Le destin nous a souri car l’on peut aisément imaginer les conséquences qu’aurait pu avoir en début d’épidémie un Sars-Cov2 aussi contagieux que omicron est aussi agressif que delta dans des populations de tout âge démunies d’immunité. L’acquisition d’une immunité collective liée aux variants successifs et à une large couverture vaccinale incite à un sérieux optimisme. Cela doit nous laisser espérer rapidement une réduction voire une levée des mesures de protection et de distanciation physique. Nous aspirons tous à en être libérés, tout en reconnaissant qu’elles ont été indispensables dans l’expression d’une formidable générosité collective qui a certainement permis d’épargner des vies et des drames familiaux. Soyons fiers et heureux de cela ! №44 — Mars 2022 — Politique


« L’ÊTRE HUMAIN DEVIENDRA MEILLEUR LORSQUE VOUS LUI AUREZ MONTRÉ QUI IL EST » Anton Tchekhov, écrivain, médecin (1860–1904) La pandémie va peut-être se transformer en endémie. Le virus continuera à exister de façon sporadique avec une périodicité certainement différente de la grippe, mais que l’on ne connaît pas encore. Cette transformation endémique qui s’amorce en Europe n’est pas acquise dans certains pays, notamment ceux qui se sont protégés (par des stratégies zéro Covid) et ceux qui n’ont pas pu bénéficier d’une vaccination de la population. Le virus va donc continuer à circuler, surtout lors du prochain hiver de l’hémisphère sud et peut-être resurgir sous la forme d’un nouveau variant qui pourrait échapper à l’immunité acquise dans l’hémisphère nord. L’humilité élémentaire, que nous a apprise cette crise, justifie d’évoquer cette hypothèse même si l’on a aussi conscience que les possibilités de mutation de ce virus ne sont pas infinies. Nous nous approchons certainement de la fin de l’épidémie, mais sans connaître formellement le scénario de l’épilogue. Quoi qu’il en soit tout ce que nous avons appris, grâce à une recherche incroyablement créative, doit donc donner confiance dans une science bienveillante. Nous sortirons de ce moment terrible, certainement transformés, forts d’une nouvelle capacité de résilience, conscients que nous devons construire un monde respectueux d’un environnement si précieux et imprégné d’altruisme et de solidarité. a №44 — Mars 2022 — Politique

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Couverture Cercle Studio Portraits de l'équipe Illustrations par Paul Lannes www.paul-lannes.com

MARS 2022 Directeur de la publication Patrick Adler 1 patrick@adler.fr Directeur de la rédaction Jean-Luc Fournier 2 jlf@ornorme.fr Rédaction Alain Ancian 3 Eleina Angelowski 4 Isabelle Baladine Howald Erika Chelly 6 Marine Dumeny Jean-Luc Fournier 2 Thierry Jobard 7 Véronique Leblanc 8 Aurélien Montinari 9 Charles Nouar 10 Jessica Ouellet 11 Barbara Romero 12 Benjamin Thomas 13 redaction@ornorme.fr

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Photographie Franck Disegni 14 Sophie Dupressoir 15 Alban Hefti 16 Abdesslam Mirdass 17 Vincent Muller 18 Caroline Paulus 19 Nicolas Rosès 20 Marc Swierkowski 21 Direction artistique et mise en page Cercle Studio Typographie GT America par Grilli Type Freight Pro par Joshua Darden Impression Imprimé en CE

Publicité Valentin Iselin 22 07 67 46 00 90 publicité@ornorme.fr Directrice Projet Lisa Haller 23

Or Norme Strasbourg est une publication éditée par Ornormedias 2 rue de la Nuée Bleue 67000 Strasbourg Contact : contact@ornorme.fr Ce numéro de OR NORME a été tiré à 15 000 exemplaires Dépôt légal : à parution N°ISSN : 2272-9461 Site web : www.ornorme.fr №44 — Mars 2022 — Politique


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