Revivre ! l Or Norme #41

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É DI T O

REVIVRE ! Par Patrick Adler, directeur de publication

« N’embêtez pas les humains avec vos idées, votre harcèlement social. Ils veulent simplement vivre, les humains, vivre le temps de vivre, et reproduire la vie pour se sentir vivre ou revivre, et vivre le plus longtemps possible, et même survivre. » E RS / L L O S 0 PPE 20 0 PHILI N FIXE IO PAS S

n 2017, est paru un ouvrage tout entier consacré à l’Érotique et la Politique, permettant notamment de comprendre « pourquoi l’érotique est au cœur du défi platonicien de cohésion de la cité. » (Érotique et Politique chez PlatonÉrôs, genre et sexualité dans la cité platonicienne).

E

Les mois confinés que nous venons de vivre et dont nous espérons enfin nous extraire définitivement, nous ont tous confrontés à ce sentiment étrange d’une distance de plus en plus importante entre le souci de nous-mêmes et des autres, et celui que nous imposent les politiques, les institutions. Alors, si à partir d’aujourd’hui nous cessions enfin de vivre dans le confort anesthésiant d’un sentiment de sécurité illusoire, bercés par le ronronnement de nos habitudes familières et rassurantes ? №41 — Juin 2021 — Revivre !

L’enjeu est de taille : reprendre le pouvoir sur nos vies, sur notre environnement. Un défi autant intime qu’universel. Car il faut prendre conscience que l’Érotique, au sens le plus large, comprend nos désirs les plus profonds, qui peuvent et doivent avoir une incidence sur la Politique. En effet, quel serait le sens d’une société qui ne serait pas capable d’écouter, mais aussi d’ordonner, les aspirations des Hommes qui la composent. La démocratie devrait être l’outil de cette écoute et de la régulation de ces désirs (sinon c’est l’anarchie). À défaut qu’elle n’assume son rôle, le risque est majeur de basculer vers l’ordre sans la prise en compte de nos pulsions de vie. C’est le fascisme, le totalitarisme, la pulsion de mort. Pour l’éviter, quel meilleur rempart que de vivre, revivre, vraiment !

Pour cela, il faut oublier nos peurs (du terrorisme, de la maladie, de l’Autre...) qui prennent ce qu’il y a de meilleur en nous, et nous empêchent souvent d’exprimer librement ce que nous sommes et ce que nous pensons. Et pourtant... nous vivons bien dans une société où l’indocilité, la contestation, le débat, dans le respect des règles de la République, sont toujours possibles. Si nous ne voulons pas regretter un jour de ne pas les avoir utilisés, c’est bien maintenant que nous nous devons de le faire, sans quoi nous serons coupables de notre propre malheur. Revivre alors ? Vivre enfin ! « Aime-la cette vie. Casse-lui la gueule. Bouleverse-toi d’elle. Elle te donnera des ailes. Et tu voleras comme le cormoran argenté. » Richard Bohringer - L’Ultime Conviction du désir (2005). 3


SOMMAIRE 08-13

b Grand entretien avec Étienne Klein

« Globalement, nous les scientifiques, on a foiré… »

S Actualité

J U I N 2021

a Culture

60 Bibliothèques Idéales 66 L’Industrie Magnifique 2021 74 Mounia Raoui Le partage de nos appétits de vie… 80 Musée Unterlinden Yan Pei-Ming 84 Expo Fabienne Isaac, Passion « Prince » 86 ONR Une saison 2021/2022 promise à la création et à l’innovation (↓) 90 Quarante ans de collections Cléone, vivre c’est créer ! 92 Portfolio Paysage mental, l’art de concocter 100 Poésie

38 Solitudes L’amour au temps du covid (←) 42 Fragments Où vont s’évader les artistes cet été ? 48 Après l’ouverture de la Shopping Promenade 54 Police Une institution en crise 102 Hacking Health Camp 106 Octo’pus Planète mer 108 Libre opinion 110 Le parti pris de Thierry Jobard 116 Chronique Moi, Jaja…

E Société c Dossier Les 50 ans du manifeste des 343

14-27

16 Il y a cinquante ans, un coup de tonnerre (↑)  20 Claudine Monteil 24 Témoignages

c 28 Dossier personnes âgées Mais quelle place donnons-nous à nos aînés ?

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122 Parfums Cultivez votre nez ! (↑) 124 Billet de vin Alors, on trinque ? 126 Ambassadeur d’Alsace Denis Leroy 128 Regard Jak Krok’ l’actu 130 Sélection Culture

Q Or Champ 142 Coco Dessinatrice

№41 — Juin 2021 — Revivre !



EN COU VERTU RE Jean-Luc Fournier

Robert Collins/Unsplash

REVIVRE ! NOUS, ON VEUT CONTINUER À DANSER ENCORE… C’était le 8 avril dernier, gare de l’Est à Paris. D’abord, ce sont deux musiciens qui marchent seuls, côte à côte, sous les écrans d’affichage des départs de train. Le son rauque de leurs trombones va imposer le rythme des minutes qui vont suivre. Sur les images, vues et revues des millions de fois depuis, on voit déjà quelques voyageurs (ils ont leurs valises avec eux) qui commencent à se dandiner sur place. Ca balance un petit peu… Et une certaine fébrilité commence à s’emparer de quelques molosses de la police SNCF, un rien désemparés par le caractère à l’évidence bon enfant de la situation… Puis, les chants commencent à enfler sérieusement, bien amplifiés par la réverbération naturelle sous la verrière du grand hall des départs TGV : « Nous on veut, continuer à danser encore… ». Un guitariste, puis deux puis encore d’autres, trois tambours aussi, renforcent l’orchestre. Ils sont déjà une cinquantaine à danser en rythme sur la chorégraphie bien étudiée de ce flash-mob soigneusement répété. Très vite ils sont cent et ça chante à tue-tête : « Nous venons briser le silence. Et quand le soir à la télé monsieur le bon roi a parlé venu annoncer la sentence nous faisons preuve d’irrévérence mais toujours avec élégance. Oh ! non, non, non, non, non, non ! Nous, on veut, continuer à danser encore !… » En rythme, tous dansent et chantent, des enfants dans les bras quelquefois. C’est frais, c’est joyeux et tout ça sous le regard des voyageurs ébahis et des flics qui ont vite et intelligemment renoncé à intervenir. On n’arrête pas la joie et l’allégresse. Seuls ceux qui les ont provoquées peuvent le faire, tranquillou, quand ils le décident. Dix minutes de ce beau charivari et tout le monde se sépare, des étoiles dans des yeux et l’estomac beaucoup moins noué. C’est beau, l’action, même symbolique, même modeste…

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a E N C OU V E RT U R E

Depuis quinze mois, le virus est venu bouleverser la vie de milliards de gens tout autour du globe et il nous a nécessairement rendus modestes. Bon, la remarque vaut pour vous et moi mais pas tout à fait pour tout le monde : suivez mon regard, il y en a quelques-uns, dans les dorures des palais de la République ou dans les studios d’information continue, qui sont effrayants avec leurs certitudes de pacotille et leurs postures de moulins à vent. Etienne Klein, le « philosophe des sciences » les évoque dans le grand entretien de ce numéro, juste après ces lignes… Bien sûr, parce que nous sommes tout simplement humains, si humains…, cet été qui se profile à court horizon, nous l’imaginons libre comme l’air. Comme l’air qui serait débarrassé de cette saloperie… « On reconnaît le bonheur au bruit qu’il fait en partant… » écrivait le magnifique Jacques Prévert. Combien d’entre nous ont-ils si brutalement réalisé le manque vertigineux des petites choses ordinaires ? Une terrasse, seul ou avec l’ami d’une rencontre inopinée. S’y poser, déplier son journal, ouvrir un livre, jeter un coup d’œil sur l’écran du smartphone, ou bavarder jusqu’à plus soif, se dire avec sérieux une foule de phrases inutiles peutêtre, mais chacune dite avec l’amour, l’amitié, la fraternité. Face à face, charnellement… Revivre ! Pouvoir se serrer de nouveau l’un contre l’autre, claquer cette bise chaleureuse, pouvoir le plus tôt possible enfin se passer de ce masque qui émascule nos sourires… Pouvoir se libérer des carcans, nécessaires ou imposés sournoisement, qui ont brisé nos vies depuis ces dix-huit longs mois. Nous avons tant été privés de tout ça, violemment, sournoisement et quelquefois même, injustifiablement. Alors, les retrouver, tranquillement, le déguster… Revivre ! Et longtemps, hein !, pas qu’un été. Très longtemps… a №41 — Juin 2021 — Revivre !



b G R A N D E N T RET IEN Jean-Luc Fournier

Franck Disegni

Étienne Klein « Globalement, nous les scientifiques, on a foiré…  » Étienne Klein, de manière salutaire, a littéralement « crevé l’écran » alors que la pandémie produisait son lot quotidien de bateleurs de foire sur toutes les chaines de l’info en continu et sur les réseaux sociaux. Imperturbablement, ce « philosophe de la science » ne cesse de rappeler l’importance du contexte et de la pédagogie. Il vient de publier Idées de génies chez Flammarion et sera sur le plateau des Bibliothèques idéales fin juin pour aborder ses thèmes de prédilection : la vérité, la notion de causalité, l’importance de la nuance en toute chose. Entretien en avant-première avec l’auteur du Goût du Vrai (Tracts Gallimard)… 8

b G R A N D E N T R E T I E N — Étienne Klein

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Vous n’avez pas cesser d’alerter, ces derniers mois, sur les mauvais tours que nous jouent nos croyances. Dans l’excellent Tracts Gallimard, Le Goût du Vrai, publié il y a un an, vous parliez déjà de ces quatre biais qui contaminent notre liberté de croire et de penser…

« Ce sont quatre biais parmi d’autres mais la force de ces quatre-là est apparue beaucoup plus visible et insistante que dans des périodes plus calmes que celles que nous avons vécues ces dix-huit derniers mois. Il y a d’abord la confiance que nous accordons spontanément à notre bon sens, notion qui est bien sûr très pratique dans la vie courante. En revanche, le bon sens ne permet en aucune manière de critiquer la science avec de solides arguments. La science s’est même construite contre le bon sens et, souvent même, contre l’observation. Le mouvement d’inertie, personne ne l’a jamais vu et pourtant, il est un des principes fondamentaux de la mécanique. Donc, le bon sens, parfait, mais c’est à manier avec prudence. Ensuite, il y a l’ultracrépidarianisme. C’est un mot d’origine anglaise qui n’existe pas pour l’heure en français mais que Le Robert, m’a-t-on dit, va inclure dans sa prochaine édition. C’est vieux comme le monde, ça, c’est Pline l’Ancien qui en a parlé le premier, au milieu du Ier siècle, avec une locution latine, Sutor, ne supra crepidam, qui dit veut dire : Le cordonnier doit s’arrêter au rebord de la chaussure. Ce second 10

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biais, c’est la tendance très répandue à parler avec assurance de sujets que l’on ne connait pas. L’ultracrépidarianisme, c’est donc parler au-delà de la sandale quand on est cordonnier, c’est parler au-delà de ses compétences, ce qui n’est pas une tare. Cette notion, c’est une des conditions de la vie républicaine : vous êtes au bistrot avec vos amis, vous ne parlez heureusement pas que des seuls sujets où vous êtes un spécialiste… La vie sociale se nourrit de ça et c’est très bien, sauf qu’il y a des cas où parler à tort et à travers de sujets sans les connaître peut avoir des effets plus graves notamment en ce qui concerne la science et même carrément très graves quand vous croyez connaitre les réponses à des questions dont personne ne connaît la réponse. Au début de la pandémie étaient invités sur les plateaux télé de vrais experts qui répondaient à beaucoup des questions qui leur étaient posées : « Je ne sais pas, je ne sais pas… ». Ils n’ont plus jamais été invités, ils ont été médiatiquement détrônés par des gens beaucoup plus sûrs d’eux et qui avaient en permanence réponse à tout. Pour le type de questions dont il s’agissait, il en allait quand même de la vie des gens, il ne faut pas l’oublier… Le troisième biais, encore un mot savant, c’est l’ipsédixitisme, « Le maître luimême l’a dit ». C’est l’autorité que nous accordons à quelqu’un et qui nous incline à considérer comme vrai tous ses propos, nous dispensant d’exercer notre esprit critique. C’est la forme «haute » de ce biais. La

forme dégradée, c’est : « Je l’ai entendu à la télé donc, c’est vrai… » Le problème, c’est que toutes les autorités et les thèses cohabitent dans l’espace médiatique moderne et que chacun peut choisir la sienne. Et généralement, on choisit celle qu’on a envie qu’elle soit vraie… Enfin, le quatrième biais, c’est un effet assez classique qu’Aristote avait énoncé. Mais c’est Coluche, plus près de nous, qui l’a le plus popularisé en déclamant : « Pour se rendre compte qu’on est con, il faut devenir intelligent ». L’effet Denis Kruger que j’évoque, ce sont ces gens qui plein d’assurance et d’arrogance, multiplient les « y’a qu’à… », « je ne suis pas médecin mais je pense que.. » etc, etc… On a bien vu qu’à mesure que le temps passe, on apprend des choses, on les discute et au fur et à mesure qu’on gagne en compétence, on se rend compte à quel point on était incompétent au départ. Pour se rendre compte qu’on est incompétent, il faut être compétent… On a vu tout ça à l’œuvre ces derniers mois : aujourd’hui, il n’y a plus aucun politique qui se hasarderait à dire : « Je ne suis pas médecin mais je… » alors qu’au début de la pandémie, il y en avait plein. L’arrogance se retrouve ainsi confinée dans des sites spécialement conçus pour lui prêter main forte, c’est-à-dire les sites complotistes… Depuis que vous êtes apparu sous les feux des médias, vous n’avez jamais rechigné à nommer ce qui vous parait être le mal moderne : l’inculture scientifique… №41 — Juin 2021 — Revivre !


Pour le coup, je vais répondre de façon un peu biaisée. Le domaine de la science est tellement vaste que personne n’a de culture scientifique. Il ne faut pas avoir une conception scolaire de la démocratie : aucun citoyen ne peut être à la fois capable de parler de virologie, d’immunologie, de génétique, de climatologie, du nucléaire, des OGM, etc… Je vis entouré de physiciens : si vous leur demandez ce qu’est un OGM, ce qu’est une cellule-souche et comment l’ARN-Messager agit sur les protéines, aucun ne va être bon, c’est sûr ! Personne n’a de culture scientifique au sens large. Ce qu’on peut essayer de distiller dans l’opinion, c’est le goût d’être mû par la curiosité, d’essayer de comprendre… On aurait très bien pu prendre le temps de faire de la pédagogie à la télévision, d’expliquer ce qu’on entend quand on dit qu’un vaccin est efficace à 95%, d’expliquer ce qu’est une courbe exponentielle, par exemple… Au mois de juillet dernier, j’étais en Allemagne pour passer un moment avec mon fils qui y vit. À la télévision, j’ai suivi une conférence de presse d’Angela Merkel qui, comme vous le savez, a un doctorat de chimie quantique. Avec les mains, sans tableau, elle a expliqué à tous ses compatriotes ce qu’est une exponentielle, même à ceux qui étaient nuls en maths. Nous en France, on nous raconte que c’est une courbe qui croît très vite et on nous la montre, sans même nous expliquer ce qu’il y a en ordonnée. Résultat : pour nous, une exponentielle est une courbe qui croît vertigineusement. On ignore absolument qu’au début, elle n’est pas en forte croissance. Un test qu’on dit efficace à 95%, ça veut dire quoi ? Ce n’est quand même pas difficile à expliquer tout ça, non ?.. Et bien, non, on remplace volontairement ces explications par des joutes de pseudos experts et on attend le clash puisqu’on sait qu’il arrivera inéluctablement puisqu’on connait à l’avance leurs positions. Résultat : les gens ont une opinion qui est complètement décorrélée de leur compétence. Prenez les partisans du vaccin et demandez leur comment ça marche un vaccin : ils ne savent pas. Prenez les antivax, même question : ils ne savent pas. C’est pareil pour le nucléaire, les OGM… Donc, pour revenir à voter question, deux choses m’ont réellement choqué dès le début de la pandémie : pourquoi on ne fait pas de pédagogie comme je viens de vous le dire mais aussi, ce qui se cache derrière ce sondage incroyable paru dans Le Parisien le 5 avril 20210 et qui a été pour moi un électrochoc : à la question « D’après vous, tel médicament est-il efficace contre le coronavirus », 59% des personnes interrogées ont répondu oui, 20% №41 — Juin 2021 — Revivre !

non. Seuls 21% des sondés déclaraient qu’ils ne savaient pas. L’immense majorité, donc, 80%, affirmait savoir ce que personne, je dis bien personne, ne savait encore ! Je l’ai rappelé dès le début du Tract publié par Gallimard : dans cet écrit, j’ai rappelé les bases : la science, ce sont des choses dont on est à peu près sûr, la recherche, ce sont des questions qu’on se pose et dont on ne connaît pas encore les réponses, j’ai expliqué que c’étaient des univers où règne le collectif et que quand on a des résultats, on ne les publie pas sur Tweeter, on en discute entre collègues pour se confronter : des trucs de base, quoi… Je n’ai fait que remettre l’église au centre du village, comme on dit et au vu des réactions que cela a provoqué, j’ai compris que j’avais eu raison de le faire… Dans un tout petit chapitre d’une page qui s’appelle L’avenir de la science dans son livre de 1878, Humain, trop humain, Nietzsche prophétise : « Le goût du vrai va disparaître à mesure qu’il garantira moins de plaisir ». Vous le citez également…

Si j’étais prof en lycée, je le ferais lire à tous mes élèves. En gros, il dit que faire de la science c’est plus intéressant qu’apprendre la science. A l’école, vous apprenez très vite que 1 + 3 = 4. Mais personne ne vous explique ni même ne vous fait sentir l’effort intellectuel incroyable qu’ont fait les premiers hommes qui ont eu non seulement l’idée qu’on pouvait ajouter des choses les

unes aux autres mais aussi qu’on pouvait faire pareil avec des nombres. 1 vache + 3 vaches, ça fait 4 vaches. C’est intéressant... Mais 1 + 3 = 4, c’est infiniment plus fort parce qu’ainsi, vous abstrayez l’idée de l’addition et l’idée de choses. Pour autant que l’on sache, ce sont les Babyloniens qui ont découvert ça, cinq millénaires avant Jésus Christ. Ils avaient un système de numération différente selon qu’ils comptaient par exemple les moutons et les vaches. Un jour, un type a dit : « Mais on s’en fout que ce soit des moutons ou des vaches, ce qui compte, c’est le cas de le dire, c’est le nombre… » Et on a alors abstrait l’idée d’addition et l’idée de choses. Mais aujourd’hui, quand vous apprenez que 1 + 3 = 4, c’est pour vous tout naturel, ce génie-là ne vous transperce absolument pas ! Nietzsche dit que la science, quand on l’apprend, est en concurrence avec la métaphysique, avec l’art et avec la religion qui eux, procurent plus de plaisir. Il prédit donc dans ce texte que le goût pour la science va disparaître au fur et à mesure que la vérité donnera moins de plaisir. Autrement dit, on va se consoler ailleurs que dans la science. On y est ! Aujourd’hui, c’est peut-être moins la métaphysique et la religion, encore que.., mais on voit bien, sur les réseaux sociaux notamment, que toutes les thèses cohabitent. Avant, l’information était rare, elle avait donc de la valeur. Notre cerveau en était avide parce qu’il en manquait tout le temps. Aujourd’hui, c’est le trop-plein et notre cerveau ne sait pas se débrouiller avec

« Prenez les partisans du vaccin et demandez leur comment ça marche un vaccin : ils ne savent pas… » b GRAND ENTRETI EN — Étienne Klein

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« On le voit bien aujourd’hui, il suffisait d’attendre : à la fin, c’est la recherche qui gagne ! » ça, d’autant que les informations qu’il reçoit sont contradictoires entre elles. Du coup, nous allons déclarer vraies les idées que nous aimons. Notre cerveau n’a pas besoin de la vérité, il est même spécialement conformé pour nous apporter un certain confort psychique . Attention, je ne parle pas du tout de bonheur : un dépressif, il va avoir constamment besoin d’alimenter sa dépression, il va se gargariser de mauvaises nouvelles. Regardez le conflit israélo-palestinien qui a redémarré : il y en a qui ne vont même pas enquêté, qui ne vont pas aller voir. Et ils vont dire : oui, il y a des roquettes qui viennent de Gaza, d’autres vont dire tout aussi fort que c’est l’inverse. Bref, on se fout de la vérité. Le réel est sommé de se taire, remplacé qu’il est par les jugements a priori que nous exprimons. Les gens qui ont un avis tranché s’estiment dédouanés d’apprendre et de s’instruire vis-à-vis des sujets sur lesquels ils s’expriment. J’estime que c’est une parade psychologique qu’on a collectivement trouvée pour ne plus avoir besoin de culture scientifique et technique. Vous soulignez également souvent que la science est finalement en danger, de nos jours…

Malheureusement oui. Vous avez bien vu à quel point on la confond avec la recherche quand on parle à quel point elle doute. Non, le doute, c’est la recherche. Vous vous posez des questions, vous n’avez pas les réponses, vous cherchez… Pour autant, il y a des connaissances que vous ne remettez pas en cause : l’atome existe, la terre est ronde… Le fait qu’on mélange les deux provoque ce raccourci : la science, c’est le doute et on voit les experts qui s’engueulent. Du coup, comme ils ne sont pas d’accord, c’est le doute établi et on en vient à penser que la science ne converge jamais. Donc, moi, avec mon simple ressenti, je peux dire ce que je pense de tel ou tel sujet 12

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de controverse… Au début de l’épidémie, on était dans l’angoisse, on avait besoin de réponses rapides, donc les raccourcis se sont entassés. Alors qu’on le voit bien aujourd’hui, il suffisait d’attendre : à la fin, c’est la recherche qui gagne ! On a parlé trop vite : il y une masse de questions auxquelles on aurait dû répondre : « On ne sait pas, on va chercher ». Aujourd’hui, on voit bien à quel point c’est la recherche qui a donné les bonnes réponses à des sujets de controverses qui étaient prématurément l’objet de discussions intempestives sur les médias. Je ne veux pas donner de nom mais regardez le cas de ce personnage incroyable qui s’est retrouvé dans les médias tous les jours, un peu comme Claude Allègre le fut à un moment (cet ex-ministre de l’Education nationale, scientifique lui-même, avait longuement nié l’existence du réchauffement climatique au début des années 2000 – ndlr). Il a parlé à tort et à travers, raconté parfois n’importe quoi, s’est contredit et tout ça sans que cela lui apporte le moindre discrédit. Cette réincarnation de Claude Allègre de se ressemblait à Trump, finalement : le but de qu’il disait n’était pas d’honorer la vérité, mais d’avoir tel ou tel effet sur tel ou tel public. Imaginez un seul instant qu’un tel comportement se généralise chez les politiques : vous voyez quel effet ça pourrait avoir sur la campagne présidentielle à venir… Cependant, ce personnage, comme vous dites, a quand même été grandement conforté à un certain moment par le déplacement en personne du président de la République, dans son propre Institut. Avec tous les médias qui étaient présents…

Je n’ai pas compris cette médiatisation. Qu’il soit allé là et pas à l’Académie de Médecine ou à l’Institut Pasteur, c’était hallucinant. Il y a à mon avis un truc sur lequel on va devoir faire beaucoup de

pédagogie dans les semaines à venir, c’est la différence entre coïncidence, corrélation et causalité. Par exemple, vous êtes vacciné puis vous êtes victime d’une thrombose ? Ça peut être une coïncidence, il y a des gens qui sont victimes d’une thrombose sans s’être fait vacciner. Si ce n’est pas une coïncidence, ça peut être une corrélation : ce n’est pas la vaccination qui crée la thrombose mais il y a chez ces gens une pathologie, par exemple, qui fait que si vous êtes vacciné alors une thrombose peut survenir. Et puis, il y a la causalité : c’est le fait d’être vacciné qui engendre la thrombose. Quand vous confondez corrélation et causalité, ça peut vous amener par exemple à penser que sous prétexte qu’il y a des grenouilles après la pluie, c’est qu’il a plu des grenouilles ! Vous voyez, on a constamment confondu corrélation et causalité. La presse s’en ai fait l’écho sans qu’il y ait de démenti : Si Emmanuel Macron est allé voir ce professeur, c’est parce que son épouse avait une amie qui était malade, qui a pris un médicament et qui a ensuite cessé d’être malade. Donc, le médicament en question l’aurait guérie. C’est absurde et je suis bien placé pour le savoir. J’ai moi-même été victime du Covid, de façon assez dure. Et j’ai guéri sans médicament. Donc cela veut dire qu’à partir du moment où on est victime d’une maladie dont on peut guérir sans médicament, prendre un médicament puis guérir ne prouve pas que c’est effectivement le médicament qui a guéri de la maladie. Basique… Je pense que notre président a fait alors de la politique, voyant que ce personnage était populaire… On reste dans le sujet de la vérité. Après la sortie du film Hold-up en novembre dernier et ses millions de téléchargement qui ont suivi, la science a été quasiment silencieuse de nombreuses semaine ensuite… №41 — Juin 2021 — Revivre !


Moi-même, j’ai mis un peu de temps à réagir, pour une raison très simple : je ne suis pas médecin. Mais il faut dire aussi que les gens, le public globalement, avaient envie d’entendre ça. Le complotisme, sur un plan intellectuel, est valorisant : vous avez l’impression de ne pas être comme la masse des moutons qui croient à la pensée mainstream. Vous, vous avez compris comment marche le système, vous vous narcissisez en vous mettant à l’écart de ce système donc vous avez tout compris. Au lieu de connaître et d’admettre la grande complexité du monde, vous discernez une ou deux causes qui, dès lors qu’on les a identifiées, suffisent à comprendre tout ce qui se passe. C’est pour ça qu’on pense qu’on crée et diffuse un virus pour tuer les vieux, puis qu’on vaccine pour pucer les gens, tout est cohérent, quoi… Quand on est dans un mille-feuilles argumentatif, tout devient possible. Les complotistes inversent la charge de la preuve : vous leur dites mais où avez-vous trouvé la vraie preuve que nous sommes victimes d’un complot, ils vous rétorquent que c’est à vous de prouver qu’il n’y en a pas… Je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous concernant les gens qui ont plébiscité Hold-up : même si nous nous étions fortement exprimés, ça n’aurait rien changé. Le Monde a publié des pages et des pages là-dessus pour montrer que tout était faux mais les gens qui approuvent Hold-up ne lisent pas Le Monde… Dans le temps d’avant, quand vous étiez de gauche, vous ne lisiez pas Le Figaro. Et vice-versa, quand vous étiez de droite, vous ne lisiez pas L’Humanité. Tout simplement, parce que notre cerveau n’aime pas être contredit, alors il cherche des biais de confirmation. Toujours, il veut que la réalité confirme ce

qu’il pense de la réalité. Il n’aime pas la contradiction. Elle lui fait mal…Ca, c’est aussi vieux que l’humanité. En revanche, aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, vous pouvez en quelques clics fabriquer votre chez-soi idéologique car vous avez une communauté idéologique qui, grâce à des algorithmes qui vous ont répéré, vous alimente avec des flots de vidéos, d’articles ou d’argument qui vont tous dans le sens de ce vous pensiez déjà et le renforcent… Du coup, les valeurs défendues par votre communauté numérique vous apparaissent à vous comme plus importantes que celles du contrat social qui devrait nous unir. Pour moi, c’est un très grave danger pour notre République. La société, au lieu d’être structurée en classes sociales qui s’affrontent politiquement, ou économiquement, voit en fait des strates cognitives se superposer sans jamais s’interpénétrer. J’avais identifié le phénomène ces dernières années mais je l’ai vu s’imposer de façon massive ces derniers temps. Ça pose une question de fond pour le scientifique que je suis : comment pourrait-on faire pour que la culture scientifique puisse percoler entre ces différentes strates ? C’est justement la dernière question que je voulais vous poser…

Si vous me l’aviez posée avant la pandémie, je vous aurais répondu très simplement. J’aurais défendu la stratégie que j’avais depuis trente ans mise en œuvre. Chaque discipline scientifique a une histoire, des personnages, une théorie, des expériences et des possibilités qui s’ouvrent grâce à tout ce savoir : donc il faut que j’apprenne tout ça, que je maîtrise

le contexte historique et les questions qui se sont posées à tel ou tel moment, leurs implications philosophiques, enfin tout, quoi… Et une fois avoir fait ce travail, il y avait la possibilité d’en parler à toutes sortes de publics, des lycéens, des étudiants, des élus et tout le grand public. Et c’est là que j’aurais commis une erreur, celle d’avoir l’impression que ça marchait. Parce que les gens lisent vos livres, parce que vous donnez des conférences et que ces mêmes gens y viennent, parce que les questions qu’ils posent vous font vaguement penser qu’ils ont compris, parce que vous donnez des cours et qu’après avoir lu les copies des étudiants, vous voyez que ça va à peu près, parce que vous écrivez des livres et que les courriers reçus des lecteurs vous confortent dans l’idée que votre stratégie fonctionne… C’est un biais colossal dont j’ai découvert l’intensité grâce à la pandémie. Ce que l’on appelle le public, le vrai public, c’est celui qu’on ne voit jamais, qui ne vient pas aux conférences, qui ne lit pas vos livres : et là, vous réalisez que vous ne touchez personne, en fait. C’est grâce à la pandémie que beaucoup de gens m’ont découvert, pas grâce aux très nombreux bouquins que j’avais écrits auparavant. Globalement, nous les scientifiques, on a foiré. Moi, mon domaine de prédilection, ce sont les bouquins et ce n’est pas avec les bouquins qu’on va régler le problème. Sincèrement, il y a une extrême urgence que nous réfléchissions à tout ça. Je ne sais pas trop comment faire, je l’avoue. Peut-être faudra-t-il qu’on investisse certains médias ou la plateau des journaux de 20 h ? » b

Deux heures passées avec Etienne Klein et vous découvrez la belle personnalité du physicien. La pièce où il nous reçoit est un ancien atelier de peintre superbement rénové où les couleurs chaudes dominent, bien mises en valeur par les larges baies vitrées. Une déco exubérante et pas mal d’évocations de Keith Richards, le légendaire guitariste des Stones avec lequel il cultive soigneusement une ressemblance manifeste. A son doigt, une bague qui montre ostensiblement un diable auquel il a volontairement scié les cornes, car « elles s’enroulaient autour des filets de cages de foot quand j’allais récupérer le ballon de son fils ». Et quand on le pousse un peu sur le sujet de l’image de rebelle qu’est devenue depuis longtemps celle du musicien des Stones, Etienne Klein dément : « Non, je ne dirais pas qu’il est un rebelle. C’est un type qui est d’une très grande intégrité intellectuelle, qui est toujours très lucide et qui ne ment jamais. Il est aussi un peu spinoziste sur les bords : après être passé par tant de tunnels dramatiques, il cultive aujourd’hui une très belle joie de vivre. Et moi, je suis fasciné par les gens que la résurrection rend heureux, voilà tout » conclut le « philosophe des sciences ». №41 — Juin 2021 — Revivre !

b GRAND ENTRETI EN — Étienne Klein

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Les 343 courageuses…

Il y a cinquante ans, un coup de tonnerre.


c D O S S I E R ­— L ES 50 AN S DU M ANI FEST E DE S 343 Jean-Luc Fournier

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Il y a cinquante ans, le 5 avril 1971, 343 femmes défiaient la loi en déclarant à la Une du Nouvel Observateur : « Je me suis fait avorter ». Parmi ces audacieuses, Catherine Deneuve, Françoise Fabian, Jeanne Moreau, Françoise Sagan, Marguerite Duras, Delphine Seyrig et une foule d’anonymes dont Claudine Monteil (lire l’entretien page 20). Un demi-siècle plus tard, le combat n’est pas définitivement gagné.


n avait beau parler de libération sexuelle depuis 1967, quatre ans auparavant, et le vote de la loi Neuwirth autorisant la pilule, et surtout depuis 1968 qui vit aussi l’émergence du MLF (Mouvement de la Libération des Femmes). Les femmes du début des années 70 continuaient à faire l’amour avec l’angoisse au ventre : une grossesse non désirée était l’équivalent d’une véritable épée de Damoclès au-dessus de leur tête, cette damnée pilule restant si compliquée à obtenir (il fallait l’autorisation du père ou du mari et la majorité était alors fixée à 21 ans). Ne restaient que le diaphragme ou la méthode Ogino, basée sur les courbes de température (!) c’est-à-dire d’une fiabilité plus que douteuse. L’avortement était illégal, passible de six mois à deux ans d’emprisonnement. Pire même, existait toujours une antique loi de 1920 encore en vigueur, qui réprimait « la provocation à l’avortement et la propagande anti-conceptionnelle » selon les mots implacables de son texte. Malgré tout cet infernal arsenal juridique, entre 800 000 et un million de femmes bravaient chaque année l’interdit et avaient recours à une interruption volontaire de grossesse clandestine. À l’étranger et en toute sécurité pour les plus fortunées, mais, pour une immense majorité d’entre elles, se livrant aux pratiques dangereuses de celles qu’on appelait « les faiseuses d’anges ». 5 000 Françaises décédaient chaque année de septicémies, de perforations utérines ou de brutales et foudroyantes hémorragies après ces

interventions sordides. Le tout sur fond de tollés venant des rangs conservateurs quand un député (pourtant membre de la majorité présidentielle d’alors, les gaullistes) déposait un projet de loi autorisant l’IVG en cas de viol, d’inceste ou de menace directe sur la vie de la mère. Le pape Paul VI publiait une encyclique qui valait excommunication. Rien moins que l’enfer sur terre pour les femmes qui voulaient vivre librement leur sexualité et surtout pour celles qui avaient besoin d’une IVG.

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« Je déclare avoir avorté » C’est ce contexte épouvantable qu’il faut aujourd’hui avoir constamment à l’esprit pour mesurer le coup de tonnerre qui allait résonner dans le ciel français. À l’origine de la secousse, Nicole Muchnik, une journaliste du Nouvel Observateur (qui, avec l’Express, était alors un des deux hebdos les plus lus de la presse française de l’époque). Elle en parle très vite à Anne Zelenski, celle même qui, quelques mois auparavant, avec quelques copines, avaient fleuri la tombe du Soldat inconnu, sous l’Arc de Triomphe avec une banderole restée célèbre : « Il y a plus inconnu que le soldat inconnu : sa femme. » La suite est connue, elle : Simone de Beauvoir et son petit groupe du dimanche après-midi (lire dans les pages suivantes l’interview de la benjamine de ce groupe, Claudine Monteil) s’emparent du sujet. Ces femmes s’inspirent du « Manifeste des 121 », un appel en faveur de l’indépendance de l’Algérie En haut : L’original de l’Appel des 343 dans Le Nouvel Observateur du 5 avril 1971. En dessous : l’Appel des 343 est devenu « l’Appel des 343 salopes » après cette Une de Charlie Hebdo.

« Entre 800 000 et un million de femmes bravaient chaque année l’interdit et avaient recours à une interruption volontaire de grossesse clandestine.  » 16

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paru onze ans plus tôt et signé par des intellectuels et des artistes, dont Françoise Sagan, Marguerite Duras, François Truffaut, Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir… Il s’agira tout d’abord de dénicher la signature de célébrités prêtes à révéler publiquement qu’elles ont avorté. De Beauvoir et sa garde rapprochée, l’actrice Delphine Seyrig, l’avocate Gisèle Halimi, l’auteure Christiane Rochefort ou encore Agnès Varda commencent à battre le rappel. Pour convaincre, elles n’oublient jamais de mentionner que leur célébrité protégera les autres signataires, car toutes, il faut le rappeler, se mettent ainsi horsla-loi. Il ne faudra pas longtemps pour que les signatures prestigieuses s’amoncellent : Catherine Deneuve, Marguerite Duras, Jeanne Moreau, Françoise Fabian, Ariane Mouchkine, Françoise Sagan… De leur côté, Claudine Monteil et quelques autres partent à la récolte des signatures des femmes anonymes (des ouvrières, des vendeuses, des coiffeuses, des enseignantes…). Face aux craintes, elles argumentent (« Vous imaginez un seul instant que la police arrête Simone de Beauvoir ou Gisèle Halimi ? »…). Le nombre de signatures s’arrête à 343 au moment où il faut faire parvenir le texte et la liste aux typographes du Nouvel Observateur. Le 5 avril paraît le texte intégral sous le titre « Un appel de 343 femmes ». C’est Simone de Beauvoir qui a écrit la sobre version finale : « Un million de femmes se font avorter chaque année en France. Elles le font dans des conditions dangereuses en raison de la clandestinité à laquelle elles

sont condamnées, alors que cette opération, pratiquée sous contrôle médical, est des plus simples. On fait le silence sur ces millions de femmes. Je déclare que je suis l’une d’elles. Je déclare avoir avorté. De même que nous réclamons le libre accès aux moyens anticonceptionnels, nous réclamons l’avortement libre. » Le jour même de la parution, Le Monde titre : « Une date. » Sur Radio-Vatican, on entend : « La France est sur le chemin du génocide et du four crématoire ». Des milliers de lettres sont adressées à Simone de Beauvoir. Dont celle-ci, anonyme bien sûr : « Madame Simone de Beauvoir, j’ai lu avec intérêt vos déclarations dans Le Nouvel Observateur, à propos de l’avortement. Il est regrettable cependant que votre mère n’ait pu mettre en pratique de si pertinents conseils. […] Remerciements pour le ou les avortements que vous avez pratiqués et qui nous ont épargné les rejetons issus de votre ventre pourri. » « L’Appel des 343 femmes » est resté célèbre comme celui des « 343 salopes ». On le doit à… Charlie Hebdo qui, une semaine après sa parution, soutient l’initiative en publiant une Une énorme (signée Cabu) avec la question « Qui a engrossé les 343 salopes du Manifeste sur l’avortement ? » Le ministre de la Défense de l’époque, Michel Debré, chantre du natalisme et l’une des plus célèbres cibles des féministes, répond piteusement : « C’était pour la France ! » Bien dans l’air du temps de l’époque, cette Une est aujourd’hui encore contestée par certaines féministes comme Claudine

« C’est une brèche gigantesque et irréversible qui a été ouverte par la publication de l’Appel des 343 femmes. »

Simone Veil a défendu avec opiniâtreté son projet de loi autorisant l’avortement.

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« Nous, les femmes, nous, la moitié de l’humanité, nous nous sommes mises en marche. Je crois que nous n’accepterons plus que se perpétue cette oppression ».

Monteil qui a déploré sa reprise ces dernières semaines, dans le cadre du cinquantième anniversaire de l’Appel. « Pourquoi ne pas s’en tenir au titre original publié par Le Nouvel Observateur » questionne-t-elle…

La digue cède trois ans plus tard… C’est une brèche gigantesque et irréversible qui a été ouverte par la publication de l’Appel des 343 femmes. Deux semaines plus tard, un sondage, toujours dans le même hebdo, révélait que « 55% des Français se disent favorables à l’avortement légal ». Au printemps suivant, à La Mutualité, des femmes ayant avorté se présentent à la tribune des Journées de dénonciation des crimes contre les femmes. Plus tard, encore le procès de Bobigny (celui d’une jeune adolescente ayant avorté après avoir été violée) est transformé par Gisèle Halimi en « procès de l’avortement ». L’indomptable avocate fait se succéder à la barre certaines des célébrités ayant signé l’Appel, rejointes 18

par des intellectuels comme Jean Rostand ou Aimé Césaire… Dans son plaidoyer, Gisèle Halimi prononce ces mots : « Nous, les femmes, nous, la moitié de l’humanité, nous nous sommes mises en marche. Je crois que nous n’accepterons plus que se perpétue cette oppression ». Le 3 février 1973, encore et toujours dans Le Nouvel Observateur, c’est un collectif de 331 médecins qui sous le titre « Des médecins s’accusent », déclarent pratiquer et favoriser des avortements. La digue va céder, inéluctablement. Élu président de la République en 1974, Valéry Giscard d’Estaing confie à sa ministre de la Santé, Simone Veil (47 ans), la mission de rédiger une loi dépénalisant l’IVG. Ce qui sera fait le 29 novembre 1974 à 4h du matin, après des centaines d’heures durant lesquelles la frange la plus réactionnaire des députés accablera la ministre d’insultes et de diatribes absolument monstrueuses. L’avortement est officiellement devenu légal en France au lendemain de la promulgation de la loi Veil, le 17 janvier 1975, venant clore un extraordinaire combat où l’Appel des 343 femmes a joué un rôle déterminant. c

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Aujourd’hui, un droit encore fragile Le 5 avril dernier, date symbolique s’il en est, 343 femmes ont publié un manifeste dans lequel elles ont déclaré « avoir avorté au-delà des délais légaux français ». Parmi elles, les chanteuses Vanessa Paradis ou Yael Nahim, des actrices comme Isabelle Carré ou une ex-ministre comme Najat Vallaud-Belkacem… Car cinquante ans après la loi Veil, le droit à l’avortement n’est toujours pas garanti formellement. Chaque année, dans notre pays, sont réalisés plus de 210 000 avortements et, au cours de sa vie, une femme sur trois a recourt à une interruption volontaire de grossesse. Mais les « déserts médicaux » et la carence de services hospitaliers de proximité de plus en plus nombreux (l’acte de l’IVG y est jugé « peu rentable » [!]) ainsi que le manque flagrant d’information dans certains cas sont autant d’obstacles qui empêchent certaines femmes d’exercer leur droit fondamental à avorter. Conséquence : entre 3 000 et 5 000 Françaises avorteraient encore à l’étranger, là où les délais autorisant l’avortement sont plus longs [22 semaines en Espagne, par exemple]. En février dernier, une proposition de loi portée par l’ex-députée LREM Albane Gaillot visant à renforcer l’accès à l’IVG a fait l’objet d’une obstruction parlementaire insensée à l’Assemblée nationale, après avoir été rejetée par le Sénat. Cinquante ans après, d’un manifeste à l’autre, le droit à l’avortement nécessite toujours un combat sans merci… №41 — Juin 2021 — Revivre !



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D.R.

Claudine Monteil « Ce Manifeste des 343 effaça des siècles d’oppression des femmes… » Claudine Monteil, ancienne diplomate, femme de lettres et historienne, a été une militante féministe dès l’année de ses vingt ans, en 1970 où elle eut la chance de devenir très vite une proche de Simone de Beauvoir. Elle est notamment l’auteure du témoignage sur Les Sœurs Beauvoir (Éd. 1/CalmannLévy) où de nombreux passages se déroulent en Alsace), d’un essai Simone de Beauvoir et les femmes aujourd’hui (Éd. Odile Jacob) et elle vient de publier une biographie sur « Marie Curie et ses filles, trois femmes d’exception » qui est parue le 5 mai dernier aux Éditions Calmann-Lévy.

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Or Norme : Le 5 avril 1971, au moment de la publication du Manifeste des 343, vous aviez déjà pris l’habitude de vous retrouver avec quelques autres chaque dimanche après-midi au domicile de Simone de Beauvoir. Vous étiez et de loin la benjamine de ce groupe…

claudine monteil : « Je suis née dans une famille d’universitaires, – un père mathématicien, une mère chimiste – anciens normaliens, très ouverts sur le monde et qui me parlaient de tout. Entre la France, les États-Unis où nous séjournions à Princeton chaque année, et la Russie dont j’ai appris la langue très jeune, il y avait une constante : l’oppression des femmes. Militante dès 1968 dans les groupes d’étudiants avec Daniel Cohn-Bendit, je me suis retrouvée entourée de machos. Nous les jeunes femmes, n’avions alors qu’un seul droit, celui de nous taire. C’est ainsi que je rejoignis le MLF dès ses débuts, en octobre 1970. Simone de Beauvoir, qui avait entendu parler de mon action auprès des ouvrières par Jean-Paul Sartre, m’invita. Une amitié débuta ce jour-là, et perdura pendant les seize années qui suivirent, jusqu’à sa disparition en 1986. Sa sœur Hélène habitait chez moi quand elle venait à Paris depuis Goxwiller, en Alsace. En tous cas, au niveau associatif, nous avons fait notre boulot. Ça marche ainsi de façon immuable : les associations et les ONG sont là pour mobiliser les collectivités territoriales, elles-mêmes sont là pour

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mobiliser l’Etat et enfin, c’est à l’Etat de négocier avec les autres états membres. C’est aussi basique que ça… (lire le témoignage de Claudine Monteil sur Hélène de Beauvoir dans Or Norme n° 27) En 1971, je suis alors âgée de vingt ans, et je suis aussi la benjamine du groupe, chez Simone de Beauvoir où, avec moins d’une dizaine de femmes, nous allions, pendant plusieurs années, nous réunir le dimanche de 17h à 19h. Ces dimanches après-midi sont restés historiques, le cœur même du mouvement féministe. Face au cimetière Montparnasse, dans son atelier de peintre aux baies immenses, Simone de Beauvoir s’adressait à nous avec vivacité, sans se soucier de sa notoriété. J’étais assise à côté de Gisèle Halimi, face à l’actrice Delphine Seyrig et aux femmes de lettres Christiane Rochefort et Monique Wittig et à quelques femmes du MLF, dont Anne Zelensky, Liliane Kandel, Cathy Bernheim, Maryse Lapergue et Christine Delphy notamment. Ensemble, nous allions, pendant plusieurs mois, préparer la publication du Manifeste. Simone Iff, alors présidente du Planning Familial, se joignait régulièrement à nous. C’est Nicole Muchnik (alors journaliste au Nouvel Observateur – ndlr), qui a eu l’idée du Manifeste. Nous avions une volonté, changer le monde tout de suite, slogan de mai 1968 qui signifiait pour nous changer le monde des femmes immédiatement, sans rêver d’une hypothétique révolution qui ne changerait rien. №41 — Juin 2021 — Revivre !


Simone de Beauvoir était très attentive et écoutait beaucoup, confesse aujourd’hui Nicole Muchnik. Comment ont réagi les autres membres de ce groupe du dimanche après-midi, Gisèle Halimi ou Delphine Seyrig par exemple ?

Une évidence s’imposait, briser le silence sur l’avortement. Ce mot était alors le mot le plus tabou de la langue française. Or nous voulions obliger la société française, chaque famille, à en parler, à regarder le drame en face, avec à l’époque entre 500 000 et 800 000 avortements en France, et 5 000 femmes qui mouraient d’avortement clandestin dans des douleurs affreuses. C’était un vrai cas de santé publique, de dignité humaine et du droit des femmes de disposer de leurs corps. Pour ma part, alors que la pilule était en vente depuis 1967, mais, pour les moins de 21 ans, avec l’autorisation impérative du chef de famille, c’est-à-dire le père, nous voulions aimer et être aimées sans avoir la peur au ventre… A-t-il été difficile de trouver des « célébrités » prêtes à se mettre ainsi hors-la-loi ?

Trouver des personnalités fut moins difficile que prévu. Une vraie solidarité entre femmes s’est établie, comme naturelle. Agnès Varda, Nadine Trintignant, Delphine Seyrig, Françoise Fabian ont ouvert leurs carnets d’adresses. Cela est en soi extraordinaire, car non seulement les actrices risquaient la prison, mais surtout de ne plus avoir de rôles au cinéma. Nous, de notre côté, nous avons réuni des signatures de femmes inconnues, en les faisant signer sur des feuilles de papier quadrillé bien anodines. Nous n’avions pas peur, car nous savions que Gisèle Halimi et Simone de Beauvoir, les deux piliers du MLF, nos piliers, nous soutiendraient en cas d’arrestation. Nous avons signé dans un grand élan, comme allant de soi. Pourtant, les réactions furent très violentes, plusieurs de mes amies perdirent leur emploi, des familles furent brisées, ce fut un tsunami presque aussi violent au sein des familles, №41 — Juin 2021 — Revivre !

comme jadis l’affaire Dreyfus. En même temps, des grands-mères avouèrent en cachette à leurs petites-filles qu’elles aussi, jadis, avaient eu un, deux, trois avortements clandestins. Ce Manifeste effaça des siècles, pour ne pas dire des millénaires, d’oppression des femmes. À partir de quand avez-vous toutes réalisé que le but allait être atteint, qu’une brèche venait de se matérialiser et qui allait conduire trois ans plus tard à la légalisation de l’avortement ?

Après notre participation au procès de Marie-Claire, dit procès de Bobigny, les personnes de nos entourages ont commencé, discrètement, en chuchotant, à nous féliciter pour nos actions. En effet, nous défendions des femmes de milieux défavorisés, et peu à peu les hommes et les femmes déclaraient qu’eux, aussi, avaient connu des cas semblables d’injustice. C’est donc lors de la campagne présidentielle de 1974, où Valéry Giscard d’Estaing fut élu président, que nous avons senti qu’enfin nous pouvions espérer un changement de loi. Cinquante années plus tard, de nombreux freins restreignent encore l’application pleine et entière de ce droit à l’avortement…

Claudine Monteil, chez elle à Paris, exhibe la célèbre Une du Nouvel Observateur du 5 avril 1971.

Oui, et de nombreux pays sont de plus en plus restrictifs sur l’avortement, que ce soit au sein même de l’Union Européenne, avec la Pologne, ou avec d’autres pays qui étaient progressistes pour les droits des femmes, et qui s’allient brusquement avec les plus conservateurs, comme la Russie aux Nations Unies récemment. C’est très inquiétant, et cela montre combien les droits ne sont jamais acquis. Par ailleurs, les lobbys religieux qui s’opposent aux droits des femmes disposent de facilités financières considérables. On est donc en droit de s’inquiéter car les plus conservateurs rognent lentement nos droits, jusqu’au jour où l’on découvrira que les droits des femmes ont disparu. Ma génération n’oublie pas que nous avons connu des jeunes c D OS SI ER — Les 50 ans du manifeste des 343

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femmes en jupe en Afghanistan, et en Iran avant Khomeini et la révolution conservatrice. Les jeunes Iraniennes étaient pleines de vie, d’espoir pour accomplir leurs rêves. Les rêves de ces femmes sont brisés, les conditions de vie sont épouvantables pour les Afghanes, et ce n’est pas près de s’arrêter, puisque les Talibans regagnent chaque jour du terrain. Des petites filles y sont tuées en allant à l’école…  Plus généralement, vous, l’inlassable militante des droits de la femme, comment considérez-vous ce qui se passe depuis quelques années et plus particulièrement cette nouvelle expression très radicale de la lutte pour la libération féminine incarnée par des femmes comme Alice Coffin ou Pauline Harmange, par exemple…

Le scandale de #Metoo représente la même déflagration que celle de la publication du Manifeste des 343, mais cette fois internationale. Je ne pensais pas vivre un tel moment, et je salue le courage de ces femmes qui ont dénoncé les agressions subies, tant elles risquaient et risquent des violences, insultes ou exclusions. Pour autant, la nouvelle expression très radicale de la libération des femmes, anti-hommes, me dépasse. Pour libérer le monde, et donc les femmes, il faut aussi s’appuyer sur les hommes, pères, conjoints, partenaires, 22

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« Oui, Claudine, nous avons gagné, mais temporairement. Il suffira d’une crise économique, politique ou religieuse, pour que les droits des femmes, nos droits soient remis en question. »

Claudine Monteil (à gauche) aux côtés de Simone de Beauvoir au début des années 70.

frères, oncles, etc. Pour ma part, mon compagnon est le plus ardent promoteur des droits des femmes tout comme les hommes jeunes de mon entourage. Ne caricaturons pas tout. Je vois des hommes jeunes être de plus en plus solidaires des femmes. Associons les hommes à cette démarche tout en gardant l’initiative. Et poussons les parents, père et mère, à éduquer les hommes à ne pas devenir des violents et des violeurs. Simone de Beauvoir avait prévenu qu’il faudrait rester vigilante. Le combat ne cessera donc jamais ?

En 1974, lorsque Valéry Giscard d’Estaing, tout juste élu président de la République, promet de libéraliser la loi sur l’avortement, je m’exclame alors, seule, chez Simone de Beauvoir : « Simone, nous avons gagné ! » Elle se raidit, fait la moue et déclare : « Oui, Claudine, nous avons gagné, mais temporairement. Il suffira d’une crise économique, politique ou religieuse, pour que les droits des femmes, nos droits soient remis en question. Claudine, votre vie durant, vous devrez demeurer vigilante. » Je suis heureuse que ce propos tenu à mon attention par Simone de Beauvoir chez elle, et que je raconte dans deux de mes ouvrages, Simone de Beauvoir, Le Mouvement des Femmes, Mémoires d’une Jeune Fille Rebelle et Les Sœurs Beauvoir soit devenu historique. Il est malheureusement d’une criante actualité… » c №41 — Juin 2021 — Revivre !



c D O S SI E R ­— L E S 50 A N S DU MA N IFEST E DE S 343 Amélie Deymier

Nicolas Roses - DR

Témoignages Souvenirs strasbourgeois Roselyne et Liane, alors étudiantes à Strasbourg, se souviennent de cette époque en pleine effervescence dans laquelle la jeunesse post soixante-huitarde rêvait d’une autre société et du manifeste rédigé par Simone de Beauvoir, publié en une du Nouvel Observateur, qui allait marquer un tournant dans l’histoire de la dépénalisation de l’avortement en France…

ntrée en fac en 1968, Roselyne n’a rien oublié de cette période d’effervescence et de libéralisation, y compris sexuelle. Mais « la majorité était à 21 ans. Or la pilule n’était accessible qu’à la majorité et les médecins qui n’avaient pas envie de la prescrire n’y étaient pas obligés. Si tu avais le bon médecin tu pouvais te faire accompagner par tes parents, ta mère en général, qui pouvait dire : j’autorise ma fille à prendre la pilule. Mais c’était assez rare. D’autant plus qu’on ne parlait pas de sexualité avec nos parents ». Et même entre étudiants « ce n’était pas encore une discussion franche et ouverte ». Malgré tout, Roselyne a pu prendre la pilule avant ses 21 ans, et sans être accompagnée par sa mère, grâce à un médecin à Strasbourg qui acceptait de la prescrire aux filles mineures.

E

Le tabou était levé… Pourtant, parmi les camarades de Roselyne, certaines sont tombées enceintes. Une situation particulièrement difficile pour les étudiantes venues étudier à Strasbourg et qui ne connaissaient pas la ville. Par désespoir elles allaient voir des gynécologues au hasard, mais ils ne voulaient pas prendre le risque de pratiquer un geste qui était à l’époque sévèrement pénalisé. Il n’y avait alors que deux solutions : devenir mère à 20 ans, comme certaines camarades de Roselyne, ou « en parler discrètement à la fac » et par le bouche-àoreille trouver le nom du seul gynéco de Strasbourg qui pratiquait des avortements clandestins. « Tu pouvais aller voir ce médecin, tu lui expliquais ta situation et il procédait à l’avortement dans son cabinet ». Un geste payant, mais à un tarif tout à fait raisonnable se souvient Roselyne. « Ensuite 24

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les filles rentraient chez elles. Soit ça se passait bien, l’embryon était expulsé, soit ça se passait mal et elles allaient à l’hôpital. Là elles disaient qu’elles faisaient une fausse couche, mais les médecins n’étaient pas dupes évidemment ». Dans ce climat de non-dit, les femmes se faisaient plus ou moins bien recevoir par les soignants de l’hôpital. « Ce n’était jamais très amical (…) Tu étais hors la loi et ça se sentait ». Alors quand le Manifeste des 343 est paru à la une du Nouvel Observateur le 5 avril 1971 « ce fut comme une espèce de respiration immense. On sentait que ça allait faire évoluer les choses (…) Ce fut un moment très fort, incroyable » raconte Roselyne. La parole s’est tout d’un coup libérée, « tout le monde s’est mis à en parler ». Le sujet jusque-là abordé dans l’intimité devenait possible en société. Le tabou était levé. Roselyne

Liane

« Tu pouvais aller voir ce médecin, tu lui expliquais ta situation et il procédait à l’avortement dans son cabinet. » №41 — Juin 2021 — Revivre !

On s’aidait mutuellement… Un moment historique dont l’écho se fit entendre jusqu’au Brésil où vivait alors Liane : « On en parlait, même avec la dictature militaire. On n’en parlait pas dans la presse, mais entre nous. Ça se savait ». Quand Liane arrive à Strasbourg en 1976 pour poursuivre ses études d’architecture, elle a 22 ans, la loi Veil est passée, l’avortement est dépénalisé, mais les choses ne sont pas pour autant réglées. Très vite, Liane prend contact avec les Latino-Américains exilés à Strasbourg. « On a commencé à faire un travail politique (…) C’était le début du mouvement syndical au Brésil. On était tous plus ou moins militants, hommes et femmes (…) Un jour j’ai trouvé la Librairie des femmes place du marché Gayot et j’y ai acheté Notre corps, nous même (Albin Michel, 1977), la Bible des femmes (…) C’était génial, tout était expliqué par chapitre : le corps, les règles, la contraception ». Une vraie découverte pour Liane qui se rapproche alors des groupes féministes strasbourgeois. À cette époque l’avortement avait beau être dépénalisé il n’était pas remboursé par la sécurité sociale et difficile d’accès : « Il y avait encore beaucoup de femmes qui se faisaient avorter clandestinement parce qu’elles n’avaient pas les moyens ou parce que leur mari n’était pas d’accord ». « Sans compter la clause de conscience exigée c D OS SI ER — Les 50 ans du manifeste des 343

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par certains médecins qui voyaient dans l’avortement un acte de barbarie » rappelle Roselyne. Sensibles à cette situation, Liane et quelques amies décident de créer le Groupe Femmes Santé : « Notre groupe traitait de tout ce qui était relatif au corps et à la santé des femmes », avortement compris. En particulier sa démédicalisation à travers les expériences du MLAC (Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception). Lequel, avant 1975, pratiquait des avortements illégaux selon la méthode Karman (Voir encadré). Une pratique très contestée dans les milieux féministes de l’époque, notamment par celles qui, comme Gisèle Halimi ou Liane, pensaient qu’elle desservait la cause. Parmi les autres actions menées par Le Groupe Femmes Santé, le Self Help : « On ne connaissait pas notre corps (…) Or pour nous la question de l’avortement commençait par une appropriation de son corps ». Le Self Help consistait en des réunions au cours desquelles les femmes découvraient leur intimité, guidée par une médecin invitée pour l’occasion. « On s’installait sur des coussins et chacune mettait son speculum en plastique transparent – acheté par correspondance aux Pays-Bas grâce à un réseau féministe – On regardait comment étaient faites les autres. Tiens, il y a des cols qui sont bien fermés, elle a déjà accouché, le col est plus ouvert, etc. L’idée c’était aussi de se libérer du regard de l’autre. Et si on n’y arrivait pas, on s’aidait mutuellement ».

Des femmes enfin entendues et écoutées… Connaitre son corps pour mieux le comprendre et se le réapproprier. « Là on touche à un grand débat de l’époque, intervient Roselyne. Autour de la pilule, de la libération sexuelle et de l’avortement s’est jouée non seulement la question d’une sexualité qui ne serait pas liée à la reproduction, mais aussi le fait que la femme puisse disposer de son corps, qu’elle puisse décider de ce qui va se passer dans son corps. Ce qui n’était pas tout à fait évident jusque-là ». Pour Roselyne, le débat public qu’a suscité la question de l’avortement, au-delà de sa nécessité tant pour la santé des femmes que pour leur liberté, marque un tournant

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pour le statut de la femme au sein de la société : « Quand ces 343 femmes ont pris la parole, c’était une façon de dire : stop, on arrête de se cacher, maintenant on a voix au chapitre et pas seulement sur l’avortement ». Les choses allaient changer, les femmes allaient enfin être entendues et surtout écoutées. Malgré tout Liane souligne le fait que rien n’est jamais acquis : « L’avortement est toujours interdit au Brésil. Jusque-là il était possible en cas de viol, en cas de problème pour la santé de la femme et en cas de fœtus anencéphalique. Aujourd’hui Bolsonaro a décidé d’enlever le droit à l’avortement en cas de viol en disant “je veux aider les femmes violées”. » Autrement dit, elles gardent l’enfant du viol et reçoivent de l’argent. « On appelle ça la bourse viol (…) ça se passe dans un pays développé, où les mouvements féministes étaient très avancés (…) Quand je suis arrivée en France, un pays où je croyais que la question de l’avortement était résolue, j’ai découvert qu’elle ne l’était pas (…) Qui nous dit qu’après la crise du Covid une politique nataliste ne viendra pas remettre en question le droit à l’avortement ? (…) Les lois ne suffisent pas, on doit toujours aller un peu plus loin, faire évoluer le droit ». Rappelons que même si l’avortement est légal en France depuis 1975, il a fallu attendre 2017 pour que soit reconnu le délit d’entrave à l’IVG. c

Sur la méthode Karman La méthode Karman – du nom du psychologue américain militant pour l’avortement qui l’a développée – est une méthode d’avortement par aspiration inventée en Chine. Elle consiste à vider l’utérus à l’aide d’une canule souple dite de Karman et d’une seringue. On se souvient de la démonstration qui eut lieu chez l’actrice Delphine Seyrig en 1972 en présence d’Harvey Karman, du professeur Pierre Jouannet et des militantes du MLF. Cette méthode a largement contribué à faire baisser le taux de mortalité lié à l’avortement en France dès 1972, soit trois ans avant la dépénalisation de l’IVG.

« Quand ces 343 femmes ont pris la parole, c’était une façon de dire : stop, on arrête de se cacher, maintenant on a voix au chapitre et pas seulement sur l’avortement. »

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c D O S S I E R ­— P ERS ON N ES AGÉES Lisette Gries

Abdesslam Mirdass

Mais quelle place donnons-nous à nos aînés ? Marginalisés de fait dans une société qui gravite autour de la production de valeur marchande, nos aînés se sont vus encore un peu plus dépouillés de leur dignité avec les restrictions liées au Covid. Voici trois portraits pour redonner de l’épaisseur et de la nuance à une génération souvent décrite en des termes génériques. Ils nous livrent leur histoire, et leurs sentiments face à ce chamboulement qu’est la pandémie…



ue faire de nos vieux ? Longtemps limitée à la sphère intime, cette question s’est invitée dans le débat public avec la pandémie de Covid. « On ne considère pas de la même façon les retraités qui font tourner les associations bénévolement ou qui gardent régulièrement leurs petits-enfants, et ceux qui ne peuvent plus avoir cette utilité sociale, remarque Cécile Rosenfelder, ingénieure de recherche en sciences sociales à l’EHESP. Ces derniers sont plutôt vus par l’accumulation de leurs incapacités. On peut questionner la place qu’on leur accorde... Car, en réalité, même les hébergements dédiés ont été pensés davantage pour simplifier le système médico-social que pour offrir des conditions de vie décentes et adaptées aux personnes âgées. » Les résidents d’Ehpad – ou de structures similaires – ont été confinés parfois de manière très stricte, dans leur chambre. Les interdits se sont souvent prolongés au-delà des dates officielles de confinement. « Un peu partout, le principe de sécurité a prévalu sur le respect des libertés. Cependant, les réponses ont varié d’un établissement à l’autre. La loi 2002-2, qui régit l’action dans le domaine médico-social et donc dans les Ehpad, impose de respecter la parole de l’usager. Elle a parfois été bafouée. Mais dans d’autres établissements, les équipes ont innové pour trouver des solutions qui tiennent compte de tous les impératifs », poursuit Cécile Rosenfelder. Premiers concernés, les « vieux » ont vécu ces restrictions différemment selon leur personnalité, leurs habitudes ou leur situation familiale. Nous avons rencontré trois d’entre eux...

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Madeleine Goschescheck « J’avais tout préparé pour qu’il parte bien, mais... » Résidents dans des établissements différents, Madeleine Goschescheck et son époux n’ont pas pu se voir pendant de longs mois. Il est décédé du Covid en décembre, elle poursuit son chemin bon an, mal an, malgré les regrets et le chagrin…

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on chemisier blanc est impeccable, son sourire est des plus charmants, et quand elle met un chapeau pour mieux profiter du soleil printanier, elle a des airs de princesse britannique. Petit bout de femme de 85 ans, Madeleine Goschescheck a gardé de son métier d’institutrice cette joie calme qui donne envie de lui être agréable. Alors qu’elle terminait sa formation à l’École normale de Lyon, à la fin des années 1950, une affichette dans un couloir proposant un stage d’allemand à l’Université de Strasbourg pique sa curiosité. Avec quelques camarades, elle met alors cap sur l’Alsace pour trois semaines, pendant lesquelles une soirée dansante lui fera croiser le chemin de son futur mari, étudiant à l’IECS. « J’ai rencontré la perle rare, sans même la chercher », dit-elle avec la gaieté d’une jeune fille. Fraîchement mariée, elle suit son époux en Algérie, où il effectue son service militaire, avant d’être renvoyée à Lyon « chez Maman » par sécurité. En mars 1961, le couple s’établit à Strasbourg. Madeleine a toujours continué à travailler, même si elle s’est arrêtée trois ans à la naissance de chacun de ses deux fils. « Quand j’ai repris après mon deuxième, en 1972, j’ai fait du télé-enseignement pour les enfants malades. C’était surtout des devoirs à corriger, j’ai beaucoup gratté de papier », s’amuse-t-elle. Ses journées étaient partagées entre son métier et ses garçons, qu’elle appelle «  les gones  », dans un clin d’œil involontaire à ses origines lyonnaises. « Le travail ne m’a pas posé de problème, explique-t-elle, en référence à une époque où concilier vie de famille et vie professionnelle n’allait pas de soi pour les femmes. Mon mari m’aidait beaucoup... J’ai eu un homme merveilleux ! J’ai pu faire tout ce que je voulais sans problème, il n’avait jamais un mot plus haut que l’autre. J’ai eu de la chance. »

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« Il n’avait pas mérité ça » D’abord dans un appartement boulevard de la Marne, puis dans une maison à la Meinau, le couple vit heureux pendant 60 ans. « Et puis sa maladie d’Alzheimer est devenue trop dure à gérer à la maison. J’ai hospitalisé mon mari à Schiltigheim le 17 avril 2019 », se souvient-elle avec précision. Elle vend alors leur pavillon meinauvien et en septembre 2019, elle s’installe dans un petit appartement en rez-de-jardin de la résidence service Les Jardins d’Alsace. « J’avais cherché une maison de retraite à Schiltigheim, mais celle que j’ai visitée m’a №41 — Juin 2021 — Revivre !

fait froid dans le dos. Ici, je me suis trouvée bien. Tous les deux jours, j’allais voir mon mari, je prenais le taxi le matin devant la résidence et le soir je revenais en tram, à temps pour le dîner. » En mars 2020, c’est le confinement qui grippe ce nouveau rythme conjugal. Les mots de Madeleine Goschescheck peinent à contourner l’énorme boule qu’on devine dans sa gorge... « On n’a plus pu voir le papa », souffle-t-elle. Dans l’établissement qui accueillait son mari, les visites restent interdites à l’automne. « On a assez insisté, mais rien à faire, ils n’ont pas voulu... » Ce « on », c’est elle et son deuxième fils, Thierry. L’aîné est décédé dans un accident de la route quand il était jeune. « Quand j’ai eu mon opération du genou, j’étais à la clinique juste en face. Le dernier jour, je suis allée à l’accueil, je leur ai dit “Laissez-moi voir mon mari”, mais ils n’ont pas voulu », déroule-t-elle. À la tristesse se mêle un soupçon de colère. D’autres seraient furieux, mais la rage n’a pas l’air d’être dans sa gamme. « Peu de temps après mon retour de la clinique, je mangeais au restaurant le soir, et l’infirmière est venue me voir pour me dire que mon mari avait attrapé le Covid. » Elle ne le reverra plus, il est décédé le 6 décembre. « J’avais tout préparé pour qu’il parte bien ! Sous-vêtements, chemise, costume, cravate, nouvelle ceinture... Quand j’ai appris comment ils enterraient les gens... Il n’avait pas mérité ça. On s’est retrouvés à l’enterrement devant le cercueil, on n’avait pas pu dire au revoir au papa. » Le chagrin envahit le silence qui suit. Madeleine se laisse volontiers emmener sur d’autres terrains, moins douloureux. Elle évoque sa petite 205, que son mari lui avait offerte. « J’avais pu choisir la couleur, je la voulais blanche. » Elle parle de son grandpère, instituteur libre « qui savait vraiment bien expliquer ». Elle souligne la gentillesse et l’intelligence de la dame qui vient l’aider à domicile. Que peut-on lui souhaiter ? « Que ma jambe remarche bien, que je puisse à nouveau vadrouiller toute seule... J’aimerais aller dans le quartier et jusque place Kléber, regarder les livres. On trouve toujours des choses intéressantes quand on fouille. » Le sourire revient. « J’ai toujours eu le dada des livres, comme mon frère, c’est de famille. Je me suis racheté Le Grand Meaulnes. Je lis beaucoup de romans, des descriptions de nature et de paysages... Il n’y a que les livres policiers que je n’apprécie pas beaucoup. » En attendant que son genou reprenne du service, Madeleine Goschescheck pousse son déambulateur dans les couloirs, avec un mot agréable pour chacun. c

« J’aimerais aller dans le quartier et jusqu’à la place Kléber, regarder les livres. On trouve toujours des choses intéressantes quand on fouille. »

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Simone et Georges Colomb « Nous, les personnes âgées, on empêche les autres de vivre… » Éprouvés par leur vie sociale éteinte, Simone et Georges Colomb peinent à garder de l’espoir. Ils se raccrochent aux petits bonheurs et aux souvenirs heureux.

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venants et élégants, ces deux-là ne font pas leur âge. Georges Colomb annonce fièrement ses 91 ans, son épouse Simone en confesse « cinq de moins ». Ils ont quitté leur maison d’Illkirch en mai 2019 pour s’installer dans un troispièces de la résidence senior Les Jardins d’Alsace, suite à une méchante fracture du bassin de Simone. « On pensait que ce serait convivial, qu’on verrait plein de gens… Eh bien c’est tout raté ! », soupire Simone. Son sourire se lézarde pour laisser la mélancolie poindre dans sa voix. « On savait, avant, qu’on était des personnes âgées, mais là, c’est devenu très dur. Au début de l’épidémie, on voyait que tout était fait pour nous protéger, mais finalement, on se retrouve complètement isolés : on ne voit plus nos amis, ni notre famille. » Pourtant, la résidence leur convient : on n’y mange « pas trop mal », c’est en centre-ville de Strasbourg, leur logement est agréable et le personnel est impliqué. Quand ils ont contracté le variant anglais du Covid, fin janvier, ils se sont trouvés très bien pris en charge par l’équipe. Mais même s’ils passent l’essentiel de leur temps ensemble, ils se sentent seuls depuis que la pandémie a changé les règles du jeu. « Avant, on pouvait trouver des gens pour parler, on pouvait jouer aux cartes ! Maintenant, il n’y a plus rien, et les autres résidents sont maussades. Et on ne peut plus retrouver nos amis au restaurant, tout est fermé », regrette Georges. Avec son accent chantant du Midi, sa belle voix grave et ses yeux espiègles, on l’aurait volontiers imaginé couler sa retraite au bord d’un terrain de pétanque ou autour d’une partie de bridge à l’ombre des pins. « Quand nous avons cessé notre activité, nous avons acheté un appartement à Nice... Nous l’avons toujours ! On y restait de janvier à fin avril, c’était formidable. Nous n’y sommes plus retournés depuis deux ans », songe-t-il. « C’est un crève-cœur », lâche Simone.

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Quand ils étaient un jeune couple, vivre en Alsace ne faisait pas partie de leurs projets. D’abord installés en région parisienne, Georges a fait ses armes comme « représentant, pour plusieurs maisons » et Simone se plaisait comme comptable à la Fiduciaire de France. En 1964, alors qu’elle est en congé maternité, son père meurt brutalement. « Il était boulanger, il avait exercé longtemps à Paris et il était revenu en Alsace, d’où il était originaire, pour rénover un commerce. Maman a très mal supporté son décès, ils étaient très fusionnels... Nous sommes venus provisoirement, et puis finalement, on s’est installés », racontent-ils à deux voix. Georges a poursuivi sa carrière de représentant, notamment pour Allibert (les meubles de salles de bains) et Walrand, une société belge aujourd’hui fermée. Simone a dû batailler davantage pour retrouver un poste à la hauteur de ses ambitions. « À Strasbourg, les femmes avaient moins de possibilités de travailler », se souvient-elle. Elle finit par trouver une place dans une mutuelle dédiée aux commerçants, puis ses grandes compétences la conduisent à la tête d’une caisse de retraite locale. « Pour dire qu’on a fait notre trou... », glisse-t-elle.

« Et puis, ça s’est vidé… » « En 1970, j’ai fait bâtir la maison à Illkirch, très grande, plus de 200 m2 », raconte fièrement Georges. Un garçon y a grandi. « On n’en a fait qu’un, on a trouvé qu’il était bien... Et puis on n’a pas eu le temps d’en avoir d’autres, on a trop travaillé », plaisante-t-il pudiquement. « On m’avait demandé de faire attention, j’avais eu une tuberculose pulmonaire », complète Simone. Deux petits-enfants, aujourd’hui jeunes adultes, ont continué de dessiner l’arbre généalogique. « Dans la maison, on avait nos amis, ma mère, les enfants... » Simone a le regard qui pétille. « Et puis, ça s’est vidé. Mais on a eu une belle vie, on ne peut pas se plaindre ! » Dans leur appartement, Georges joue aux cartes sur l’ordinateur, Simone lit des romans. « Ça passe le temps, ditelle. On pense aux jeunes, pour eux c’est vraiment terrible... Notre petite-fille fait ses études à Lille. L’université est plus ou moins fermée, les stages sont annulés, c’est très dur. Quand je suis démoralisée, je me dis que nous, les personnes âgées, on empêche les autres de vivre. On leur prend les vaccins, on les empêche de se réunir parce qu’ils ont peur de nous 34

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« Avant, on pouvait trouver des gens pour parler, on pouvait jouer aux cartes ! Maintenant, il n’y a plus rien, et les autres résidents sont maussades. » contaminer... » Happée par son vague à l’âme, elle ne semble plus entendre le contrepoint de son mari : « Mais ça, c’est aussi parce qu’on vit vieux. Mes cinq frères et sœurs sont tous morts dans les 70 ou 80 ans... » En écho, Simone se rappelle d’autres périodes difficiles... « On a vécu la guerre quand on était jeunes. Pour ma tuberculose, j’ai déjà vécu un confinement très dur au sanatorium... Mais à chaque fois, on pensait à l’après, il y avait toujours un après. Maintenant, il n’y a plus d’après à attendre, et c’est ça qui me manque. » Georges montre quelques signes de fatigue. Le variant anglais lui a laissé en souvenir un besoin accru de repos. « Mais il ne veut pas reconnaître qu’il a eu le Covid !, s’amuse Simone. Elle conclut l’entrevue en chassant son blues d’un revers de la main : « Regarde, les fleurs sortent, les arbres sont magnifiques... on ne va pas se plaindre. » c №41 — Juin 2021 — Revivre !



Raymond Thomas « C’est un cocon, mais c’est aussi une prison. » Dans sa chambre d’Ehpad, Raymond Thomas a le cafard. Il en veut à ses jambes qui ne le portent plus comme avant, il regrette d’être coupé de la marche du monde. Son esprit, lui, cavale à toute allure, et, tel un boomerang, lui rapporte des bribes des années joyeuses.

aymond Thomas est trop grand pour sa petite chambre. Physi­ quement déjà, sa stature d’ancien sportif accompli se contorsionne un peu pour s’adapter au mobilier. Et puis, cela fait presque 92 ans que sa vie va à 100 à l’heure, qu’il accumule anecdotes et aventures. Alors lui demander de ranger tout ça dans le quotidien d’une maison de retraite, même si elle est confortable et accueillante, forcément, ça coince un peu. « Ici, c’est un lieu très convenable, le personnel est très bien. Ça se sent que les gens travaillent là par conviction. Mais bon, avant j’étais bien chez moi, j’étais bien marié, j’avais un bel appartement... Ce n’est pas la même chose ici. Et puis il n’y a qu’une trentaine de personnes avec qui on peut discuter, la majorité est quand même très malade », explique-t-il.

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Difficile de savoir par quel bout commencer pour raconter sa vie, tant la pelote semble avoir de fils à tirer. Ce sont ses exploits sportifs qui auront gain de cause. Au mur de sa chambre, ses médailles et trophées lui renvoient des images de compétitions heureuses. « Je suis encore champion de France de handball, en division nationale, avec l’équipe de l’ASS (Association sportive de Strasbourg – ndlr) parce que quand on a gagné le titre, c’était la dernière année où la Fédération autorisait le handball à 11..., informe-t-il fièrement. On payait beaucoup de notre poche à l’époque pour les équipements, et quand on se déplaçait à Lille, à Bordeaux ou à Marseille, on voulait les trains de nuit pour ne pas prendre sur nos congés. Ce n’était pas comme les joueurs de foot aujourd’hui ! » Raymond a aussi fait de l’athlétisme, ainsi que du tennis. « J’ai joué jusqu’en 2003 ! » 36

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Mais dans le sport, point de carrière possible. « Je me serais retrouvé sans rien à 34 ans, ça aurait été idiot », expliquet-il. C’est dans le cuir qu’il se fera une place. « J’étais commercial pour Costil Tanneries de France. J’allais à la Semaine du cuir, et là-bas j’ai rencontré le monsieur qui était dans les finances de l’État, sous De Gaulle : Pinay... Il travaillait encore quand il était centenaire. Bon, moi je n’étais pas technicien du cuir. Je participais aux réunions du comité de la mode, deux fois dans l’année, avec les couturiers, mais il y avait aussi les marques de chaussures. On me demandait d’apporter des échantillons de tannage, de coloris, qu’on avait mis au point, pour savoir ce qui allait être retenu. C’était intéressant ! Quand une de vos peaux était retenue, les fabricants de chaussures s’y intéressaient, il fallait tout de suite leur envoyer des échantillonnages pour qu’ils fassent des essais... Ouf ! J’avais du boulot ! » Les souvenirs sont convoqués dans son esprit plus vite que les phrases ne peuvent se former dans sa bouche.

Un livre sur sa vie On ne peut qu’entrevoir la richesse de ce parcours, qui l’a amené à travailler dans le Sud-Ouest, à Limoges et à Bordeaux, et qui l’a envoyé en voyages d’affaires dans les pays soviétiques, à Berlin-Est, en Autriche, en Norvège ou encore en Finlande. Pour garder une trace de tout cela, il a écrit un livre, en 2008. Plus de 200 pages, « écrites en fantaisie », qui déroulent son histoire. « On m’avait proposé de le faire éditer, mais j’aurais dû changer les noms des personnages, etc., et je n’ai pas voulu. » Quelques exemplaires circulent donc parmi ses proches. « C’est №41 — Juin 2021 — Revivre !


« Ici, c’est un lieu très convenable, le personnel est très bien. Ça se sent que les gens travaillent là par conviction. »

quand même assez triste, avec tout ce qu’on a fait, tous les amis qu’on avait, et qui sont tous morts maintenant », commente-t-il en regardant d’anciennes photos de vacances. Père de deux filles, grand-père et même arrière-grand-père, Raymond se sent aujourd’hui un peu coupé de tout ce monde. « Ils sont bien contents de nous flanquer ici », suppose-t-il amèrement. Il est arrivé à l’Ehpad Saint-Joseph en 2018, après le décès de son épouse en 2015. « Elle avait du diabète, j’ai beaucoup travaillé avec elle pour la soigner. On était toujours très occupés, ça ne m’étonne pas qu’elle ait fini par tomber malade... » Par petites touches, son épouse est présente partout dans sa chambre : des photos au mur, des objets sur lesquels elle a peint des motifs, des coupures de presse du temps où elle était reine de beauté. Pudique, il préfère se taire et donner à lire la dernière page de son livre. Son paragraphe de clôture est une belle déclaration d’amour et un hommage à Jacqueline, « épouse parfaite » au « sourire si lumineux, si attachant ». On comprend qu’avec elle, c’est une bonne partie de sa vie d’avant qui est partie. « Et puis l’an dernier, en avril, j’ai eu le Covid. Depuis ce temps-là, je me sens tout le temps fatigué, je n’ai pas retrouvé le goût et l’odorat, j’ai un peu de mal à parler et mes jambes, qui étaient déjà atteintes par une neuropathie, sont encore moins sûres », décrit-il. Les restrictions sanitaires sapent encore un peu plus son moral. « Cet Ehpad est un des meilleurs dans la région, mais en fait, c’est une prison. Je suis dans un cocon ici, mais je m’éloigne trop de la vie courante, estime Raymond Thomas. Malgré mon âge, le Covid ne m’a pas eu, mais finalement... si, quand même. » c №41 — Juin 2021 — Revivre !

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S ACT UA L I T É — S EX IN THE CITY Barbara Romero

Nicolas Roses

s e d u t Soli s p m e t u a r u o L’am D I V O C du


S ACT UA L I TÉ — S OL ITUDES Barbara Romero

Nicolas Roses

Mesures de confinement successives, couvre-feu, lieux de sociabilité fermés… Le COVID redistribue les cartes de nos relations sociales, amoureuses. Les grands vainqueurs de cette pandémie ? Les sites et applications de rencontres. Si l’on est tenté de dire que c’est d’une tristesse absolue, ils représentent malgré tout un véritable espoir pour les personnes seules. Témoignages.

maginez cette pandémie dans les années 80. Sans ordi, sans smartphone. Confiné chez soi, sans personne à qui parler sauf peut-être via le Minitel à cent balles la minute. On se dit alors que l’opportunité d’avoir à dispo des sites de rencontres change la donne. Et offre un espoir à tous ces célibataires privés de sorties culturelles, de moments de convivialité, de soirées dans les bars et restos. Selon une enquête IFOP réalisée pour Facebook en novembre dernier, un Français sur trois est sur un site de rencontres depuis le premier confinement, soit 31% contre 28% en 2018. Trois rencontres sur dix ont eu lieu sur le Net. Et si seuls 17 % des célibataires ont déclaré avoir eu au moins un rapport sexuel avec un nouveau partenaire depuis le premier déconfinement, ce sont les rencontres à travers des appels vidéo qui ont pris le pas dans cette année complètement lunaire. Le côté moins romantique, c’est que 67% des femmes interrogées déclarent rechercher une relation sérieuse, alors que les hommes avouent à 74% vouloir une relation purement sexuelle (plus 5 points par rapport à janvier 2020). Mais pourquoi ne pas la tenter ? Plancul ou naissance d’une véritable histoire, finalement c’est autant quitte ou double dans une rencontre virtuelle que réelle. Le tout restant d’adhérer et de passer le cap, ce qui n’est pas forcément facile. « Tinder couples » ou célibataire, nous sommes allés à la rencontre de

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Strasbourgeois qui ont tenté l’expérience. Et qui nous livrent sans détour à quel point cette pandémie bouleverse les codes amoureux. Stéphanie, 40 ans et Damien, 42 ans. « Un seul rencard, et c’est le coup de foudre ! ». Maman solo depuis peu, Stéphanie passe 48 heures sur Tinder et trouve l’amour véritable. Damien, journaliste de 42 ans, comptait davantage s’amuser après des années en couple. Et puis finalement, Cupidon a fait son œuvre. On est en décembre 2019. « On a juste eu le temps de se faire un voyage fin février et le Covid nous a rattrapés. » Ils ont beau être fous amoureux, Stéphanie et Damien doivent se poser des questions qu’ils n’auraient jamais eues à se poser en temps normal. Stéphanie veut qu’ils se confinent avec leurs filles respectives dans le moulin à eau de son père en Lorraine. « Alors que moi je voyais cela comme un déménagement précipité. Cela me faisait peur. » Stéphanie doute alors des sentiments de Damien. « Le Covid, on se l’est pris très fort, très vite. Il a fallu gérer la rotation de gardes des enfants, les tensions avec les ex-conjoints. Cela n’avait rien à voir avec un début d’histoire normal. Sans loisirs, sans sorties, comment se créer du vécu ? Nous souffrons toujours de ce manque de fondation dans notre histoire. Le premier confinement, on l’a vécu dans une sorte d’urgence vitale. » Avec ce sentiment de transgresser la loi pour rejoindre l’autre. « Heureusement, nous vivions à moins d’un kilomètre, mais je suis assez psychorigide sur les règles à respecter, confie Stéphanie. Un soir, on s’est engueulé, j’ai préféré dormir sur le canapé que de rentrer chez moi. Même pour les engueulades, c’est chiant le Covid ! » Le deuxième confinement, avec école, ils le vivent beaucoup mieux. « Avec des journées en télétravail que l’on a aménagées à notre sauce », sourient-ils complices. Aujourd’hui, ils forment une famille tous les quatre sous le même toit. Quelque chose que le Covid ne changera plus. Maud, 38 ans. « Je sortais d’une relation conflictuelle avec le père de ma fille en novembre 2019. Pour le premier confinement, j’ai filé chez S ACTUAL I TÉ

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« Mes amis me poussent à m’inscrire sur Tinder, mais ce qui me manque le plus, c’est de toucher quelqu’un. » mes parents, mais je ne l’ai pas très bien vécu. J’étais dans la construction de ma société, avec une petite fille qui souffrait de notre séparation, je devais tout gérer à bout de bras. Quand elle est retournée à l’école, j’ai trouvé mon rythme de maman solo. J’ai pu acheter un petit appart avec jardin en septembre. J’étais un peu moins dans le stress. Mais isolée. Et là, un ami me dit : « Tu as besoin d’un bon coup de baise. Inscris-toi sur Tinder ! » Je me suis dit, « Ok, j’ai quatre soirées de libre par mois, sans pouvoir sortir, alors pourquoi pas ! » Les premiers échanges ne fonctionnent pas. « Je suis assez sensitive, j’ai besoin de sentir, d’entendre le son de la voix. Avec les applis, c’est limité. » Finalement, c’est une erreur de manip qui lui fait entendre le son de la voix de Régis. « Ce jour-là, j’en avais tellement plein le dos d’être cloitrée chez moi, je me suis dit qu’il était hors de question que je passe une autre soirée sans ma fille, seule ! » Elle ne pense alors ni virus, ni potentiel psychopathe. La première heure, elle a envie de partir. Puis vient le moment du massage et plus si affinités. « Je ne me voyais en revanche pas rentrer chez moi au risque de croiser la police. Il m’a proposé de dormir chez lui. Le lendemain matin, on ne pouvait plus se quitter. » Maud et Régis sont heureux ensemble depuis six mois. Malgré la gestion compliquée des enfants, des couvre-feux. Le manque de loisirs et de sorties au ciné, au théâtre, au resto. « Cela crée une vie à deux avec des souvenirs communs qui permettent la construction du couple. Cela me manque beaucoup. Nous n’existons pas

non plus pour nos amis respectifs puisque nous ne pouvons nous voir. Notre relation n’est pas virtuelle, mais voir des gens concrétise ton couple. » Nul doute que le 19 mai, on aurait pu croiser Maud et Régis en terrasse, à savourer le quasi-retour à une vie presque normale… Chloë, 31 ans. « Mes amis me poussent à m’inscrire sur Tinder, mais ce qui me manque le plus, c’est de toucher quelqu’un. C’est terrible de dire ça, mais je suis en manque de tendresse, de toucher, même avec mes amis à qui je ne fais plus la bise. » Expatriée à Rennes après dix ans d’une relation passionnée et compliquée, Chloë a réussi à se faire un beau réseau d’amis. Mais pas d’amoureux en vue. Pendant le premier confinement, ses deux colocs

quittent leur appartement. « Mais ça allait, j’ai briqué l’appart, je courais huit kilomètres par jour et je cuisinais pour dix – alors que j’étais seule ! » Mais cette accumulation de confinements, « c’est trop dur. Mes amis sont en couple. C’est très difficile de rencontrer de nouvelles personnes, alors que j’ai le contact facile. J’ai du mal à dépasser le manque de contact sur Tinder, je dois être trop fleur bleue. » Chloë n’a pas peur du virus, « mais je serai plus à l’aise en terrasse avec mes potes. Je vois plus une rencontre possible genre nos regards se croisent et la magie opère. » Ce vide affectif la fait flipper. « J’ai trop envie d’appeler mon ex alors que je sais que je ne l’aime plus. Mais il ne faut pas que je craque, je sais que c’est la solitude qui parle. » La solitude, l’un des maux les plus pernicieux de cette pandémie… S



S ACT UA L I T É — F RAGMEN TS Eleina Angelowski

Tatiana Chevalier - Pauline Pénicaud - OTT - DR

Fragments Où vont s’évader les artistes cet été ? CÉCILE PALUSINSKI, FEMME A PROJETS ET ÉCRIVAIN

Cécile Palusinksi dans la forêt au Costa Rica en février 2021.

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S ACT UA LI T É

« Ne plus avoir qu’une obsession. Aller à sa rencontre… Me dissoudre dans l’eau. Me dissoudre dans le vert. Écouter la forêt muette, le silence presque religieux. Accrocher mon oreille au clapotis des ruisseaux et aux gouttes de pluie glissant sur les feuilles en forme de coupes. Entendre un murmure dans l’air. Entendre un écho. L’écho des kodamas, esprits des arbres, petites créatures de couleur verte ou blanche translucides. Les sentir me frôler, frissonner, les suivre et soudain, face au plus haut sommet de Yakushima, le voir se dresser, là, devant moi, l’arbre au vénérable visage qui me dévisage : le Jômon Sugi. » Ce texte, elle l’écrivait dans son carnet en été 2020, mais elle n’avait pas pu se rendre au Japon physiquement. Ce voyage, elle l’a vécu à travers les yeux de sa fille, ses photos, ses récits… Depuis un an, Cécile Palusinski, pour qui le voyage est plus qu’essentiel, a dû apprendre ce qu’est la contrainte du « sur place », désapprendre la liberté de partir. Elle a pu sentir le monde se rétrécir et coller à sa peau, son corps et son esprit s’engourdir… « Ce n’est que maintenant que je comprends vraiment ce que devaient ressentir ces gens de Gaza

qui avaient enfin réussi à obtenir une autorisation pour se rendre au Liban pour une formation que j’ai animée à Beyrouth en 2019 ». En 2020 Cécile devait se contenter de voyager « sur place » comme le font toute une vie certaines populations sans droit aux visas pour « le monde civilisé » : partir à travers les récits, les livres, ceux des autres et ceux que l’on écrit soi-même. C’est encore mieux quand on arrive à embarquer dans ses voyages des âmes sœurs. Cécile en connaît, au moins deux sur Strasbourg : Elsa et Saba avec lesquelles elle a partagé tant d’aventures de l’esprit. Alors, en 2020 elles se sont livrées à créer en mots et en dessin (ceux de Saba et Elsa) une carte du monde des Arbres : Les Arbres-Mondes. Jean-Paul, un compositeur, les a rejointes créant des magnifiques fonds musicaux pour les voix des comédiens lisant les textes de Cécile… Oui, un livre interactif et numérique, mais enchanté, avec une esthétique colorée et vivante, qui ne se soumet pas aux impératifs de la techno-dépression... Et puis, quelle chance ! En février, trois jours après les annonces des nouvelles mesures de restriction par le président Macron, l’avion de Cécile a réussi à s’envoler, quand même ! Alors qu’elle devait au départ partir en mission pour l’Alliance française du Costa Rica, elle a pu

« La vie est un voyage dans un jardin étrange où fleurissent les tombeaux oubliés de l’enfance... » №41 — Juin 2021 — Revivre !


rejoindre l’appel de la forêt et cette fois-ci vraiment « faire corps avec les animaux, les arbres, les montagnes et les sources d’eau. » Elle a réussi à « rejoindre la forêt du Corcovado, qui s’étend le long de l’océan. Prendre un sentier et s’enfoncer en son cœur. » Là où « chaque arbre est un univers de lianes, de plantes épiphytes, qui abrite singes araignées aux mains noires, saïmiris, singes hurleurs à manteaux », là où les partitions stridentes des cigales, le chant des tangaras et des colibris lui ont rappelé « ces chants sacrés d’appel à la « prière » qui endorment nos esprits ». Cet été pour Cécile sa « parenthèse enchantée » sera la forêt écossaise, si tout va bien. Pour elle, partir, c’est vivre. La sédentarité, c’est un avant-goût de la mort…

SABA NIKNAM, DESSINATRICE INITIÉE La Mort ? Saba en est fascinée ! Non, pas par son aspect morbide, mais par son pouvoir d’initiation. Pour elle, l’aventure ultime est celle qui nous fait voyager de l’autre côté de la réalité, un aller-retour bien sûr… Deux ans avant l’arrivée du covid, Saba avait attrapé « un virus très aléatoire, dont le nom est la paralysie de Bell ». Elle risquait entre autres d’en perdre un œil. C’est alors que son attirance pour Erlik Han (khan), le Dieu de la mort dans les mythologies mongole et turque, lui a permis de tenir bon tout au long des deux mois de convalescence. « En Mongolie, quand vous êtes malade, le chaman doit voyager de l’autre côté de la rivière de la mort pour conclure un accord avec Erlik Han afin de récupérer votre âme malade. Ce que je fis : j’ai apporté́ la lumière du soleil à Erlik Han et lui ai repris mon âme malade… » Comment a-t-elle fait ? C’est son talent de dessinatrice-conteuse qui a opéré la magie. « Je raconte des histoires à travers mes dessins. Je me suis aperçu que le récit a un pouvoir bénéfique ou maléfique », me raconte Saba. « Écoute celui-là ! Il était une fois un adolescent en Mongolie qui voulait quitter la vie parce que tous ses proches étaient morts dans une atroce épidémie. Tarvaa s’appelait-il et son âme courageuse s’envola vers le royaume des esprits où le juge des morts s’étonna de son arrivée précoce. Fasciné par son audace, il demanda à Tarvaa de choisir un don avant de le renvoyer dans le monde des vivants. Tarvaa ne désirait ni richesse, ni gloire, mais le don de raconter aux vivants les histoires du royaume des esprits. Lorsque №41 — Juin 2021 — Revivre !

Saba Niknam Aux mille et un visages…

son âme rejoignit son corps, les corbeaux lui avaient déjà mangé les yeux. Aveugle pour la lumière du jour, Tarvaa avait acquis un soleil intérieur, source de récits, de magie et de sagesse, ramenés des lointains rivages de l’au-delà… » Saba me montre du doigt la coiffe mongole, accrochée au mur de son atelier. « Tu vois, c’est en honneur de Tarvaa, le premier chaman de Mongolie, que ses héritiers ont commencé à fabriquer ces coiffes jonchées des yeux magiques de Tarvaa leur permettant de voir dans l’au-delà. J’en ai fabriqué une, moi aussi. C’est ma façon de voyager pendant la crise du Covid, je fabrique des coiffes du monde entier. J’y rajoute aussi ma touche, inspirée des symboles et des récits mythologiques qui s’y rapportent. Puis, je me mets en scène et je me photographie… » Saba aux mille et un visages ! La chambre-atelier de la jeune artiste strasbourgeoise – une sorte de Frida Kahlo iranienne, ressemble à un livre pop-up au milieu de son appartement quartier gare. Y surgissent tout genre d’objets et d’images insolites, comme ces sirènes qu’elle crée

faisant des recherches sur l’arrivée de la mère des eaux africaines Mami Wata dans l’iconographie perse. « Cet été ? Je suis habituée à voyager dans ma chambre. Pendant mon enfance en Iran, personne ne se posait la question des vacances au large. Je passais plus longtemps dans le parc ou on allait visitait mon grand-père au Nord. C’est tout. Je n’ai donc pas ce souci, très occidental ! » En réalité, si on faisait la carte des voyages de Saba, on s’apercevrait que c’est une sorte de carte des racines de sa famille ou de son peuple : elle a adoré la Mongolie, son voyage le plus exotique qu’elle n’a bien sûr pas réservé auprès d’une agence spécialisée ! Cet été, elle ira peut-être rendre visite à sa sœur en Suède, le pays d’Odin dont les corbeaux messagers Hugin (esprit) et Munin (mémoire) sont depuis des années ses compagnons d’art et de vie… am.com

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ÉRIC KAIJA GUERRIER, TROUBADOUR PHILOSOPHE « Je déteste voyager, et je méprise ces gens qui ne parlent que de leurs voyages, plus ou moins exotiques… Faire le tour du monde pour un euro ou à bord d’un jet privé, qu’importe, c’est tout autant vain et prétentieux ! Vive le Corona avec son potentiel de sobriété qui débarrasse Facebook et l’humanité des photos de bronzés sur fond de plages aux mille cocktails dégueulasses… » Approchant la cinquantaine, Éric Kaija garde un chœur de jeune Werther dans l’écrin de sagesse d’un vieil alchimiste, mordu à l’âme par Maître Eckhart. “Jeune” et “vieux” ne sont d’ailleurs que deux pôles magnétiques attelés au travail à la transformation permanente de son être, aussi fantasque que rigoureux (Éric Kaija, tu m’entends ? Je te vois froncer les sourcils !). Te présenter au public est un défi que seules les grandes plumes strasbourgeoises, comme celle de Serge Hartmann, peuvent relever avec panache ! Il avait qualifié dans les DNA ton septième et dernier album Alsatia Mythica, sortie en 2020, d’OVNI musical où « l’on croise sainte Odile et l’alchimiste Jacques de Lichtenberg…, les Erbwibele, ces lutins au féminin qui aidaient les paysans aux champs, ou encore le mystérieux bestiaire du lac souterrain de la cathédrale qui a fait rêver des générations de Strasbourgeois au fil des siècles.” Enfin, tu es inqualifiable et si peu politiquement correct quand tu me confies tes rêves de voyages estivaux à Strasbourg. Tu oseras faire le tour des terrasses ?! Non, pas pour draguer, l’ascétisme, distu, t’a fait replier les ailes d’Eros en cavale (J’attends de voir ça !), mais pour contempler la douceur de la vie qui s’en va et s’en vient, bouquin à la main te livrant à tes rêves les plus constructifs : « J’imaginerai que je travaille au nouveau plan urbaniste de la ville sous l’autorité du Grand-Duché d’Alsace. À l’ombre d’un châtaignier boulevard de la Marseillaise je ferai la liste de tous les édifices moches à raser, ceux construits après-guerre bien sûr. A commencer par la tour de quatorze étages place de l’Homme de Fer, imaginée en 1955 par Gustave Stoskopf, grand Prix de Rome ! On se restituera ensuite, à la place de la FNAC, l’Hôtel de la Maison Rouge dont la démolition fut décidée en 1973. Je n’avais que deux ans à l’époque, sinon je n’aurais pas permis cet outrage à la beauté et à l’histoire de la Ville au nom d’un temple

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Éric Kaija Guerrier, en costume de sacre de Duc d’Alsace.

de la laideur commerciale ! » Ah Éric, j’admire ta fougue chevaleresque en costume de Guillaume Ier de Prusse dont tu réinstalleras la statue Place de la République ! Fondateur du mouvement Neustadt matters, grand chambellan de la post-cancel culture, tu banniras de Strasbourg le consumérisme pragmatique et meurtrier aux noms de la Beauté, de l’Honneur et de la Mystique Rhénane ! Il n’y a que toi qui peut écrire des chroniques dans la revue au nom d’A’chroniques, préparer un nouveau single avec des musiciens Metal tout en peaufinant ton nouveau livre sur la vie paysanne en Alsace dans les années 30 à partir d’entretiens avec ta propre grand-mère… Tes reportages Facebook avec des photos des coins enchantés de la Neustadt sont un guide de voyage obligatoire pour tous ceux et celles qui prétendront un jour au Pass santé mentale pour le Grand-Duché d’Alsace dont l’hymne sera composé à partir des extraits de la poésie d’Hildegarde Von bingen et le Weepers Circus…

ont errier s aija Gu teformes K ic r les pla ums d’E Les alb les sur toutes streaming. e d ib n t o e p t n is ndés d argeme t être comma h c lé té n e de v u e r es p : Ses livr ite Facebook .kaija.guerrie s ic sur son ebook.com/er c www.fa №41 — Juin 2021 — Revivre !



Grégory Ott.

GRÉGORY OTT, COMPOSITEUR ET PIANISTE JAZZ « Je peux affronter l’été en toute tranquillité parce que je suis déjà vacciné ! Pas avec Pfizer, ni Moderna, ni Astra ou Sputnik d’ailleurs… Je me suis fait vacciner par étapes avec des doses régulières de promesses gouvernementales sur la réouverture prochaine des salles, avec ces fameux stops and go qui ont affolé plus d’une fois mon ascenseur émotionnel. Et me voilà immunisé et serein, prêt à remonter sur scène ou pas…C’est juste que planifier un voyage d’été dans ces circonstances est tout simplement impossible. » Ces derniers temps beaucoup d’artistes ont la sensation de s’être reconvertis en comédiens du film Un jour sans fin : ce classique avec Bill Murray, sorti en 1993, où le personnage principal revit la même journée à répétition. Sa colère et son désespoir se muent petit à petit en résignation, puis chaque « jour » le héros teste une nouvelle manière de mourir se réveillant invariablement dans sa chambre bien vivant, jusqu’à ce que, oh miracle, il parvienne à dépasser complètement son ego et se réveille

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dans le jour d’après où la vie reprend son cours normal. La morale de l’histoire pour les artistes ? Faire comprendre aux « fourmis » qu’ils ont besoin des « cigales » pour sortir de la routine qui tue !? Avouons-le, on aime trop imaginer les artistes du spectacle vivant dans le rôle de la cigale, alors qu’en réalité, l’arrivée des beaux jours inaugure depuis toujours pour eux une période de travail intense aux festivals de l’été. En 2020 c’était même la seule période où ils ont pu se produire en plein air avant la fermeture des salles en octobre. Aujourd’hui, ils se tiennent dans les starting-blocks pour répondre présents à des programmations proposées à la dernière minute avec les moyens du bord ! « Le calendrier de la reprise est à faire, sans aucune assurance que le déconfinement se passera comme prévu », se confie Gregory. « Je suis donc obligé de rester sur place, prêt à rebondir à tout moment pour monter un répertoire, réunir une équipe de musiciens en espérant qu’ils pourront se remotiver et s’accorder en un clin d’œil …improviser en toutes circonstances ! » Avec 40% de baisse de ses revenus, le pianiste, père de famille, ne se livre pas aux

fantasmes d’escapades à la mer ou à la montagne, mais pense plutôt à se refaire une santé financière avant l’automne dont les aléas sont encore difficiles à prévoir : « Les salles, même si elles ouvraient, n’auront pas forcément les mêmes budgets à proposer aux artistes. Et puis, gare aux bouchons en septembre-octobre où tout le monde voudra reprendre en même temps ! » Gregory soupire en se laissant rêver un instant : « Ah, fini le temps de l’insouciance estivale ! Ce temps de nonchalance quotidienne où l’on pouvait décider à l’improviste de sortir avec des copains en terrasse, sans se poser la question des masques ou du nombre de personnes autorisées. Prévoir un voyage c’est encore plus compliqué : mettre à jour son Pass santé, vérifier si le pays en question n’a pas d’autres exigences extravagantes, prévoir mille et un aléas au cas où… » Seule consolation, le voyage en solitaire au bord du piano est toujours autorisé, même sans masque et Pass santé, pour l’instant… S www.g

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S ACT UA L I T É — S HOP P ING P ROMENADE DE VE NDE NHEI M Barbara Romero

Nicolas Roses

Après l’ouverture de la Shopping promenade de Vendenheim Ils n’auront jamais la cathédrale ! Si l’ouverture de la Shopping-promenade de Vendenheim a suscité un vif engouement auprès des consommateurs, Strasbourg entend bien faire valoir ses atouts. Avec cependant de nombreux défis à relever… trasbourg doit-elle trembler face à la nouvelle zone commerciale Nord ? À entendre les « Non mais c’est trop stylé ! » des gamins qui y ont déjà mis les pieds, à en croire la note de 4,3 sur 5 obtenue sur Google après quelques jours d’ouverture et ce même si les commerces non-essentiels y ont été vite fermés, on peut se dire que Strasbourg a intérêt de se bouger. Et vite. Notre centre-ville ne doit pas devenir une sorte de « city food » gavée de burgers, mais bien proposer une offre différente, attractive. Une expérience.

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La bonne nouvelle, c’est qu’il en a tous les atouts. L’autre bonne nouvelle, c’est que le nouvel exécutif strasbourgeois et ceux qui font le commerce à Strasbourg – la CCI, les Vitrines de Strasbourg, l’UMIH – semblent au diapason. Contre toute attente, serait-on tenté de dire. « Il y a une bonne écoute des deux côtés, reconnaît Pierre Bardet, directeur des Vitrines de Strasbourg. Il y a certes des sujets sur lesquels on sait que ce n’est pas la peine d’aller, comme la gratuité de deux heures de stationnement pour laquelle on militait, alors on travaille sur d’autres sujets comme l’accessibilité du centre-ville, la communication, les services aux consommateurs. »

SERVICE DE CONCIERGERIE, CONSIGNES, LIVRAISONS… Car tous s’accordent sur un point : Strasbourg est riche de son patrimoine exceptionnel, de son offre culturelle, de sa piétonisation qui rend le shopping ou la dégustation clairement plus attrayants. Reste qu’il faut bouger les lignes et le faire savoir. « Le premier enjeu pour moi, c’est le commerce physique, celui qui conseille et apporte un service, souligne Joël Steffen, adjoint au commerce. Il faut qu’il survive à la crise COVID et au e-commerce. » Pour les soutenir, la Ville et l’Eurométropole viennent de voter une enveloppe globale de 4 millions d’euros. « Mais le fléchage des mesures d’accompagnement de relance n’est pas terminé, indique-t-il. En novembre 2020, nous avions débloqué 2 millions d’euros pour l’aide aux loyers, mais nous n’avons pas de boule de cristal sur l’évolution de la crise en 2021. » Dans les tuyaux, un service de conciergerie, des consignes, un déploiement de la livraison des courses, une cartographie des toilettes publiques, des aires de jeux, une extension des terrasses, des food-court et des animations. « Le fondement du shopping, c’est l’expérience finale, rappelle le manager de centre-ville, Laurent Maennel. L’idée est de compenser le fait de demander aux gens de se garer plus loin pour profiter d’un centre-ville piétonnier en leur apportant des services pour leur faciliter la vie. » №41 — Juin 2021 — Revivre !


CASH-BACK, TRANSITION DIGITALE, PÉRIMÈTRE DE SAUVEGARDE… Pour la question du parking, les acteurs du commerce planchent aussi à des solutions inventives, comme le précise le président de la CCI, Jean-Luc Heimburger. « Nous réfléchissons à un système de cash-back pertinent afin de fidéliser la clientèle. » En résumé, tu consommes à Strasbourg, on te paye ton parking ou ton entrée au musée. Malin. Autre enjeu de taille : imaginer une Market place recensant les commerçants strasbourgeois et leurs services. « Je souhaite que l’on organise un relais numérique aux commerces physiques pour valoriser la qualité, le conseil, la proximité », insiste Joël Steffen. Un relais numérique déjà engagé par la CCI avec le soutien de la Région Grand Est pour accompagner les boutiques dans leur transition digitale. « Notre objectif est que plus de 50% des acteurs économiques puissent accéder à cette compensation digitale, précise №41 — Juin 2021 — Revivre !

« Nous réfléchissons à un système de cash-back pertinent afin de fidéliser la clientèle. »

Jean-Luc Heimburger. Les plus pessimistes annoncent 20% de fermeture d’ici à l’été, avoir un e-shop permet de compenser une partie de la baisse du chiffre. Par ailleurs, quand on parle de réouverture, il n’y aura plus d’aides, nous devons anticiper… » Mais si l’on a l’impression que Strasbourg se vide de ses commerces, Laurent Maennel et Pierre Bardet préfèrent temporiser. « En 2019, nous avions un taux de vacance de 5%, le plus bas de France, et en 2020, il y a eu moins de liquidations judiciaires, car les entreprises étaient sous perfusion, rappelle Laurent Maennel. C’est à la reprise que nous pourrons observer la situation. » « Je ne crois pas du tout aux prévisions de 20% de fermeture », appuie Pierre Bardet, qui se réjouit du déménagement d’Habitat « dans un coin stratégique place Kléber », de l’arrivée de la boutique Lego aux Halles et de Boulanger à la place d’Habitat. Et même du Black & White burgers à la place de Cartier. « Les locaux étaient vides depuis trois ans, je préfère un resto de qualité à cet endroit qu’un endroit vide », souligne le DG des Vitrines. S ACTUAL I TÉ

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La Shopping-promenade de Vendenheim

Joël Steffen

« Le commerce de centre-ville de Strasbourg doit-il trembler face à la nouvelle zone commercial Nord ? » Qu’en est-il de l’emplacement actuel de la boutique Hermès ? De Wolf Musique ? Du Printemps ? « Pour l’instant on l’ignore, nous sommes mis au courant quand les transactions sont faites », expliquent-ils. Justement, afin d’éviter que tout et n’importe quoi s’installe à Strasbourg, la Ville et son manager de centre-ville travaillent à la création d’un périmètre de sauvegarde, « qui nous permettra d’être au courant avant que la transaction soit faite, voire de préempter », précise Joël Steffen. Dernier sujet de discorde pour tout ce petit

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monde : le prix des loyers commerciaux à Strasbourg. « Nous espérons que cela se tasse avec l’accélération de la vacance et que cela amène les propriétaires à proposer des loyers plus raisonnables pour les louer de manière plus durable », confie Joël Steffen. Reste enfin une priorité : capter les familles avec enfants, avec des animations au moins tous les deux mois, des espaces de jeux… Car pour eux, la Shopping-promenade de Vendenheim avec ses manèges, ses toboggans, et ses barbes à papa, c’est carrément la fête… S №41 — Juin 2021 — Revivre !



S ACT UA L I T É — S HOP P ING P ROMENADE DE VE NDE NHEI M Jean-Luc Fournier

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ville e r t n e c e du c r e m m o Le c reuve

p é ’ l à e On arriv … é t i r é v e d 9,8 M€ injectés dans la « Shopping-promenade » de Vendenheim par l’Eurométropole lors du dernier mandat de la coalition réunie autour de Robert Herrmann : on se souvient que ce vote avait alors encore plus creusé le gigantesque fossé qui fracturait déjà la gauche strasbourgeoise, l’adjoint au Commerce de l’époque, Paul Meyer, vitupérant en vain contre le vote de cette subvention. Une véritable guerre ouverte interne s’en était suivie… Si vous avez aimé les près de dix millions d’euros d’argent public alors votés pour le grand bastringue commercial de la banlieue nord de Strasbourg, vous n’avez certainement pas manqué d’adorer les 15 M€ également injectés dans la foulée par l’Eurométropole plus au sud cette fois, au bénéfice de la rénovation de la zone commerciale de la Vigie. A relire les déclarations des uns et des autres au moment de ces votes, on retrouve les sempiternels arguments en faveur de l’emploi, du pouvoir d’achat, la nécessité d’offrir toutes les opportunités commerciales possibles aux près de 500 000 habitants de la métropole strasbourgeoise. Et pas un seul élu pour rétorquer : « Sans ces rénovations de zones commerciales déjà anciennes, où diable seraient-ils allés ces fanas de la conso à outrance ? A Haguenau, à Sélestat, à Colmar peut-être ? Foutaises… Qui parmi nos élus à la générosité si large a-t-il pris le soin de s’informer sur les grandes tendances du commerce du début de troisième décennie de ce merveilleux XXIème siècle ? Se sont-ils procurés, avant leur vote, cette étude du Coresight Research parue en 2017 aux Etats-Unis qui révélait que 200 des 1 100 malls commerciaux américains avaient fermé lors des dix dernières années. Selon la société Cushman & Wakefield, active dans l’immobilier, la fréquentation de ces grands espaces commerciaux avait baissé de 50% rien qu’entre 2000 et 2013, le cabinet Green Street estimant pour sa part que près de 30% des « malls » américains restant - soit plusieurs centaines - étaient à l’agonie et disparaîtraient « dans un avenir proche ». Plus récemment, il y a un an (juste avant la crise de la Covid aux USA) une nouvelle étude soulignait le feu de paille des réaménagements des centres encore

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ouverts (un peu ce modèle hybride mis en œuvre tout récemment pour la nouvelle zone commerciale de Vendenheim) : après un simple regain de fréquentation après les ré-inaugurations en fanfare, les chiffres avaient continué à plonger… La même tendance sera-t-elle à l’œuvre à Vendenheim ? A suivre… A Strasbourg, on attend désespérément un grand plan de relance pour le commerce de centre-ville, comme le souligne l’enquête de Barbara Romero dans les pages précédentes. Il y a urgence d’autant que personne, à l’heure où ce magazine est bouclé, ne peut encore véritablement mesurer l’impact du cataclysme sanitaire des douze derniers mois durant lesquelles les commerces ont été si peu fréquentés. A l’évidence, il va falloir de l’audace, de l’inventivité, de l’innovation et… beaucoup d’argent public pour que le centre-ville de Strasbourg puisse renouer avec ce qui était de tous temps la traditionnelle attraction de ses commerces. Les près de 25 M€ dépensés les dernières années pour soutenir ces modèles obsolètes de grandes zones commerciales de banlieue auraient à coup sûr été plus utiles en ce sens aujourd’hui… Il va aussi falloir moins de grandes envolées lyriques et plus de pragmatisme car c’est bien du sauvetage du commerce de centre-ville dont il s’agit. Le 18 octobre 2017, commentant les contorsions politiques après le vote de ces subventions, un internaute écrivait sur le site d’un journal en ligne : « Ça sent l’arrangement entre copains et coquins : « Tu la fais mollo sur Vendenheim, je te fais des parkings proches du centre, au Wacken ou sur l’avenue de la Liberté, voire encore plus près du centre, d’acc ? » En clair, le monstre de Vendenheim va contribuer à engorger Strasbourg... Il est pas beau, le modèle de société que ces gens nous proposent : commerce et bagnole ? » Le commentaire était signé Marc Hoffsess, devenu depuis un des poids lourds de la nouvelle majorité municipale strasbourgeoise qu’on sait par ailleurs très peu favorable à la présence de la « bagnole » en ville. Alors, dans quelques années, un Strasbourg sans voiture ?.. Et sans commerce ? S №41 — Juin 2021 — Revivre !



S ACT UA L I T É — P OLICE Jean-Luc Fournier

Franck Disegni - Koshu Kunii/Unsplash - DR

Police Une institution en crise Alsacien d’origine, Christophe Korell vient de « boucler » un parcours de vingt ans dans la police, dont quinze ans de police judiciaire à Asnières, près de Paris, après avoir fait ses premiers pas à l’ex-commissariat central de la Nuée Bleue à Strasbourg. Aujourd’hui détaché au ministère de la Justice, il a publié en avril dernier Police nationale : l’envers du décor, un livre dans lequel il passe au crible une institution qu’il connait intimement de l’intérieur en rencontrant et questionnant des témoins. Il dresse un état des lieux souvent implacable et s’interroge sur la police de demain. Interview…

Dans quel état d’esprit avez-vous quitté la Police pour intégrer récemment les rangs du ministère de la Justice ? Heureux, comblé, ou au contraire malheureux, écœuré avec le sentiment d’en avoir un peu marre de ce quotidien si difficile, à vous lire ? « D’abord, je dois préciser que je ne suis que détaché du ministère de l’Intérieur que je peux à tout moment réintégrer. Non, je n’en avais pas marre mais j’avais vraiment envie de vivre autre chose que le quotidien de la police judiciaire où je travaillais depuis une quinzaine d’années. Une opportunité s’est présentée qui correspondait à mon expérience, je l’ai saisie. J’étais peut-être un peu usé car la PJ est un service très prenant où on peut quelquefois travailler H24 et sept jours sur sept, loin de la régularité des horaires administratifs. Franchement, j’avais le besoin de retrouver ma famille plus souvent, c’est vrai. Mais il me fallait aussi ce recul pour pouvoir apporter une critique constructive concernant la police qui est un sujet très clivant aujourd’hui dans notre société : on l’aime ou on la déteste. Mais la réalité est bien sûr plus subtile que ça… D’où ce livre qui fait déjà beaucoup parler de lui… Oui.  J’ai voulu l’écrire pour qu’on puisse entendre les policiers qui sont tous les jours sur le terrain raconter leur vécu quotidien. Ils sont une vingtaine à le faire dans le livre… J’y parle de la responsabilité écrasante des politiques et depuis longtemps, toutes tendances confondues. Devant la Commission des lois de l’Assemblée nationale, notre actuel ministre de l’Intérieur a même parlé de leurs sept pêchés capitaux vis-à-vis de la Police. Il évoquait la formation, le recrutement, l’évolution des carrières des policiers, le contrôle de la

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Christophe Korell


Police et j’en passe, plein de sujets sur lesquels les politiques ont été défaillants, il ne faut pas avoir peur de dire les choses telles qu’elles sont. Ces défaillances nous ont amené aujourd’hui exactement dans la situation qu’on connait… Puisque vous nous attirez sur ce terrain-là, il serait peut-être également intéressant de se poser la question de ce que pensait ce même Gérald Darmanin en 2008 quand le président d’alors, Nicolas Sarkozy, ex-ministre de l’Intérieur lui-même, entamait un impitoyable programme de coupes sombres au sein des rangs de la Police. Vous citez vousmême les chiffres : sous le seul quinquennat de 2007 à 2012, 6276 postes de policiers -plus 6243 postes de gendarmes- ont été supprimés. Aujourd’hui, nous sommes aux alentours d’un peu plus de 149 000 policiers et on vient à peine de retrouver le niveau de 2007… Il faudrait que vous demandiez directement au ministre ce qu’il en pense. Sincèrement, je ne crois pas qu’il soit allé à l’encontre du projet présidentiel de l’époque, il était dans cette ligne-là comme toute la majorité présidentielle de ces années-là. Et d’ailleurs, pour être franc, j’avais moi-même voté Sarkozy en 2007. Bon, à un certain moment, il faut bien tirer un bilan. Qu’est-ce qui a marché ou non, qu’avons-nous gagné ou perdu ? Les chiffres que vous citez sont éloquents, à cet égard. Et si effectivement on vient tout juste de revenir au même niveau d’effectifs, il est évident qu’entretemps, en quinze ans, la population française a augmenté… Et, dans le même temps, la société a changé aussi. Dans le livre, vous vous demandez noir sur blanc comment, en cinq ans seulement, depuis 2015 et les attentats de Charlie hebdo et du Bataclan, « est-on passé des applaudissements admiratifs à la défiance extrême envers la Police » ? Et vous y répondez aussitôt. « En 2015 » écrivez-vous, « la mission des policiers était la protection de la population face au terrorisme. Aujourd’hui, on a le sentiment qu’ils protègent surtout le pouvoir en gérant la crise sociale que ni les politiques ni les syndicats ne parviennent à endiguer… » Ce sont des mots qu’on entend rarement venant de la bouche d’un policier, ce sont des mots très forts, non ?... Ce que je veux dire, c’est que depuis cinq ans, on a énormément de manifestations

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« Après les manifestations contre la Loi travail, on a brusquement changé de conception du maintien de l’ordre. »

dans les rues. Et si nous avons toutes ces manifestations, c’est bien parce que, de façon, générale, syndicats et politiques ne parviennent pas à s’entendre sur des textes de lois, notamment concernant le niveau de vie des citoyens. Et c’est bien ça qui est à l’origine de cette situation, ça dure maintenant depuis des années et des années, ça ne date pas du quinquennat en cours. Ce que vous évoquez là, ce changement brutal de paradigme depuis six ans, fait irrésistiblement penser à la longue séquence des Gilets jaunes… Pour ce qui me concerne, je remonterais même au mouvement Nuit debouts. Jusque là, nous avions une police de maintien de l’ordre faisant essentiellement appel aux CRS et aux gendarmes mobiles qui agissaient avec une sorte de discernement distancié : tant que ce n’était que des dégâts matériels, on laissait plus ou moins faire parce qu’on sait très bien que si on va au contact de ces personnes, on risque

à coup sûr d’avoir des blessés, des deux côtés. Après les manifestations contre la Loi travail, on a brusquement changé de conception du maintien de l’ordre, peutêtre parce que l’opinion commençait sérieusement à en avoir marre de ces manifestations récurrentes chaque semaine dans toutes les grandes villes du pays. En tout cas, depuis, la Police est incitée à aller beaucoup plus vite et beaucoup plus fréquemment au contact. Je n’ai aucune certitude sur le bien-fondé de cette nouvelle méthode : mais tout ce que je constate, c’est qu’on traduit très rarement en justice les véritables meneurs de ces casseurs, on n’attrape quasiment que ceux qui courent le moins vite… Il y a aussi le cas du comportement de certains de vos collègues qui outrepassent largement les réglements de votre profession et même, la loi. Vous ne pouvez pas nier que ces comportements existent…

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Bien sûr que non, c’est évident. Ce point est très documenté. Ce qui a changé par rapport à deux décennies en arrière, c’est que ces dérapages sont aujourd’hui filmés. Je pense par exemple à une manifestation à Bordeaux où un collègue tire un coup de flash-ball dans le dos d’un pompier qui ne menace en rien l’ordre public, qui n’est qu’un simple manifestant. On doit être très vigilant, il faut absolument punir les collègues auteurs de ces dérapages car c’est de là que découlent toutes les généralisations : on se dit que si les policiers auteurs de ces faits ne sont pas sanctionnés, c’est un véritable blanc-seing que l’on signe en faveur de tous les autres… Pierre Joxe, qui fut un grand ministre de l’Intérieur et qui signe la préface de mon livre, avait écrit un jour un édito dans une revue qui s’appelait Avant-Première : « Derrière chaque bavure policière » écrivait-il, « se cache la responsabilité de l’institution ou du pouvoir politique ». Je trouve cette remarque très juste. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas rechercher la responsabilité individuelle des policiers qui ont fauté. Cela veut dire qu’à un moment donné, il faut surtout se demander qu’est ce qui fait que le policier a été mis dans la situation de commettre cette bavure. Nous parlions tout à l’heure des policiers pas toujours formés pour maintenir l’ordre : comment cela se fait-il qu’un policier de la BAC, qui n’a reçu aucune formation dans le registre du maintien de

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S ACT UA LI T É

« Depuis, la Police est incitée à aller beaucoup plus fréquemment au contact. »

l’ordre, se retrouve dans la situation de tirer voir le nombre de dossiers s’accumuler, avec le LBD ? avec des procédures de plus en plus complexes et techniques et tout cela avec des Autre grave problème que vous abordez effectifs qui diminuaient. Peu à peu, ce frontalement dans votre livre : le mal mal être a fini par gagner toute l’instiution. être des policiers. Un chiffre que vous Depuis le début du présent quiquennat, citez le traduit de manière très brutale : trois ministres de l’Intérieur se sont sucen 2019, 59 suicides ont été comptabi- cédé, tous ont promis de traiter la question lisés dans les rangs policiers. Plus d’un du suicide dans la police. Mais rien n’a été par semaine. Le taux de suicide dans fait et le sujet ne figure même pas à l’ordre la Police nationale est supérieur de du jour du Beauvau de la sécurité. 41% à celui de la population active de notre pays… Enfin, je voudrais vous poser claireLe mal être est un terme qu’on entend ment la question du racisme au sein désormais en permanence dès qu’on de la police. Dans votre livre, vous en parle des policiers. Les métiers de l’inves- parlez ouvertement en évoquant la mort tigation ont tiré la sonnette d’alarme il y de Georges Floyd aux Etats-Unis ou celle a déjà plus de dix ans de cela. C’étaient de Amada Traoré en France. La quesdes policiers qui n’en pouvaient plus de tion est simple : y a-t-il du racisme chez certains de vos collègues ? Je ne l’ai jamais constaté personnellement en situation de police mais oui, c’est certain, ça existe comme dans toute la société mais à la différence près que quand on est fonctionnaire, que ce soit policier, magistrat ou encore enseignant, on n’a pas le droit d’être raciste. C’est là encore à l’institution de faire le ménage et de renvoyer devant les institutions administratives et judiciaires celles et ceux qui ont ces comportements déviants. C’est aussi à chaque niveau hiérarchique de faire remonter les problèmes au lieu de tenter de les enterrer. Mais là encore, nous sommes face aux échecs cumulés des gouvernements successifs. Echec des politiques d’urbanisme, d’intégration mais aussi de la politique d’éducation. Je voudrais répéter quelque chose de fondamental : ce n’est pas la police qui réglera seule les maux de la société. Par définition, elle n’intervient qu’à la fin de parcours, lorsque les conséquences des décisions politiques se révèlent, comme c’est le cas par exemple dans les quartiers populaires… » S №41 — Juin 2021 — Revivre !



a C U LT U RE – B I BL IOTHÈQUES IDÉALE S 2 02 1 Erika Chelly

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BIBLIOTHÈQUES IDÉALES 2021

UN WEEK-END D’EXCEPTION JUSTE AVANT LES VACANCES… Décidée au printemps 2020, la nouvelle formule des Bibliothèques idéales prévoyait un rendez-vous hivernal supplémentaire au mois de janvier dernier qui n’a pu se dérouler en raison de la crise sanitaire. Opiniâtre en diable, François Wolfermann, le programmateur, ne s’en est pas laissé compter et, dès les récentes annonces du déconfinement estival, a réussi l’exploit de bâtir pour les 25, 26 et 27 juin prochain une programmation qui a très fière allure. Toutes les rencontres se dérouleront à l’Opéra national du Rhin, place Broglie. Se retrouver dit joliment le slogan de ce week-end…

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ne précision importante, tout d’abord : ces trois jours de juin ne remplacent évidemment pas le traditionnel et imposant festival littéraire du début septembre que les amoureux des livres et des auteurs retrouveront comme chaque année. Il s’agit donc d’une sorte de rab correspondant au nouveau format de la manifestation comme nous l’expliquons ci-contre, un rattrapage de la session de janvier annulée pour cause de 3ème vague covidienne. Au moment de notre bouclage le 17 mai dernier, un nombre conséquent d’écrivains et d’auteurs avaient confirmé leur venue mais d’autres belles surprises restaient à programmer. Le site www.bibliotheques-ideales.strasbourg.eu actualisera la programmation définitive et les conditions précises d’accès. a

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VENDREDI 25 JUIN 2021

La fabrique des pervers Camille Kouchner, Sophie Chauveau, Catherine Robert Rencontre avec Camille Kouchner, La Familia Grande (Seuil), Sophie Chauveau, La Fabrique des Pervers (Folio/Gallimard) et Catherine Robert, La Caresse du loup (L’Iconoclaste). Leurs livres ont libéré la parole pour des milliers de victimes d’inceste. Mais ce sont aussi de véritables œuvres littéraires qui démontrent la singularité et la force de la littérature. a

Camille Kouchner

Sophie Chauveau

Un bon livre ne donne surtout pas de leçons Frédéric Beigbeder & Olivier Guez

L’Arabe du futur Riad Sattouf Le retour d’un ami des BI, le si talentueux dessinateur Riad Sattouf, qui parlera aussi des Cahiers d’Esther (Ed. Allary). a

Quand la littérature se combine au journalisme Florence Aubenas & Serge July Rencontre avec Florence Aubenas, L’inconnu de la poste (L’Olivier) et Serge July, Dictionnaire amoureux du journalisme (Plon). Est-on écrivain quand on fait son travail de journaliste ? Et à l’inverse, tout écrivain n’a-t-il pas en lui des réflexes de journaliste ? a

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Rencontre avec Frédéric Beigbeder, Bibliothèque de survie (L’Observatoire) et Olivier Guez, Une passion absurde et dévorante (L’Observatoire). Le délire de censure vient de la “cancel culture”. Avec sa bibliothèque de survie, Frédéric Beigbeder signe un guide précieux de lecture en cette période étrange et suspendue ainsi qu’un véritable remède à la morosité. Quant à lui, Olivier Guez fera vibrer son immense passion pour le football à travers des textes admirables de sincérité entrecoupés de photos de joueurs de légende. a

di ndre le ve rnaliste s é amm t, du jou t rogr nt p Clémen influen Fayard) e m ( e o o l l g e a o u u g c É à l’é logiq urs in : H 25 ju gratter erre éco réveille s). à u poil nal de g ino, Les JC Lattè c / Jour mo Puc renade G x et O leil (La o du s

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SAMEDI 26 JUIN 2021

François Sureau & sa libre bibliothèque idéale Rencontre avec l’avocat François Sureau, Ma vie avec Apollinaire (Gallimard) et Vivre sans la liberté (Gallimard). a

Dessiner encore Coco, la dessinatrice de Charlie Hebdo « L’attentat terroriste du 7 janvier 2015 tourne en boucle dans ma tête. La prise d’otage. Les tirs. Le silence… Je ne suis pas morte. Je ne suis pas blessée. Et pourtant quelque chose s’est fracturé. Je vis avec. Avec ce « 7 », lourd à porter, aussi écrasant que mon sentiment d’impuissance face aux deux djihadistes surarmés. Tout fout le camp en moi mais le dessin résiste. Alors je dessine et je dessine encore… ». a

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Maylis de Une grande Kerangal restitue journaliste les voix singulières revisite son passé et troublantes composé Anne Sinclair des femmes Les masques des gestes barrières modifient le son des voix. Maylis de Kerangal restitue leur mystère et leur vérité dans Canoës (Verticales/Gallimard). a

Elle s’était pourtant jurée de ne jamais publier ses Mémoires. « Publier cet ouvrage m’oblige à manger mon chapeau » avoue-t-elle. Passé composé est un livre passionnant… a

Mille tourments, mille contradictions, mais l’écriture poétique Hervé Vilard Rencontre en chansons avec Hervé Vilard, Du lierre dans les arbres (Fayard). Hervé Vilard sera accompagné d’un pianiste pour des chansons de St Germain des Prés. a juin i 26 med e, La a s le id nifesto mée Bast a gram Lauren Scum M lique o r p p c t x e e n d ’e v e a e ,M em , ace Égal encontr .2, préf ya Diallo rature) r T é une re T.1 et t Rokha ette litt out). e Poud Nuits) c ! (Hach (Marab e 1 e 0 m 0 1 , plac ( e à ta la vi pas ste pas e Ne r №41 — Juin 2021 — Revivre !



DIMANCHE 27 JUIN 2021

L’Ecole des Dames Raphaël Enthoven (Lecture) Dans une réécriture réjouissante de L’École des femmes, Raphaël Enthoven s’empare de la comédie de Molière pour disséquer notre rapport au désir, à la vieillesse et à la scène où, à force de se prendre pour son rôle, nul ne sait plus ce qui se joue. a

Édouard Louis transforme sa propre vie en arme

Delphine Horvilleur et son hymne à la vie

(Lecture)

La rabbine, philosophe et conteuse, voix du judaïsme libéral, livre une réflexion sur la mort et sur ce que la conscience de notre vulnérabilité peut apporter à nos vies. Vivre avec nos morts (Grasset). a

L’auteur de Qui a tué mon père et En finir avec Eddy Bellegueule consacre son dernier livre à l’histoire de la métamorphose sociale de sa mère, longtemps exclue par la violence de sa condition féminine et sociale. a

L’école des filles Pascale Hugues Douze petites filles au sourire pétrifié sur une photo de classe en 1968... Cinquante ans plus tard, Pascale Hugues part à la recherche de ses anciennes amies de l’école primaire Ste Madeleine à Strasbourg, des femmes qui se sont battues, pour elles et pour leurs filles. Aujourd’hui, elles sont fières, courageuses et libres. L’école des filles est un livre touchant et un formidable portrait de groupe. a

Grand Entretien Étienne Klein

Brassens et moi Maxime Le Forestier Rencontre en musique avec Maxime Le Forestier, Brassens et moi (Stock) en compagnie d’Arthur Le Forestier, guitariste. a

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Ténor de la vulgarisation scientifique en France à la bibliographie florissante, ce physicien et philosophe des sciences travaille depuis trente ans à rendre accessible et compréhensible au grand public les principes et lois qui régissent notre univers. Depuis le début de la crise sanitaire, il ferraille contre les approximations des pseudos experts des plateaux télé. Un homme à la (très) libre parole… a

mée gram une o r p in nt eth 27 ju eme isab Égal anche avec El e m i n le d ersatio oi-mêm et Alain S conv inesco, i (Seuil) matins d u r o n o ssibles ). R o d me u com u, Les p e (Fayar o Badi politiqu de la №41 — Juin 2021 — Revivre !



a C U LT U RE – L’ IN DUSTRIE MAGN IF IQU E 2 02 1 Alain Ancian

LIM - Alban Hefti - Nicolas Roses - DR

LIM 2021 « ON REVIENT DE LOIN » LIM 2021, c’est la deuxième saison de L’Industrie Magnifique. Cette biennale, inventée et réalisée pour la première fois à Strasbourg en 2018, n’a pu avoir lieu l’an passé, au cœur du premier confinement. Mais cette année, tout a été mis en œuvre pour que cette belle déambulation artistique dans la ville puisse se dérouler et déployer ses trente œuvres d’art, autant de belles surprises sur les vingt sites occupés par la manifestation…

n se souvient bien sûr du succès de la première édition, il y a trois ans : 330 000 visiteurs (certains venus de très loin) avaient plébiscité cette idée originale d’un parcours déambulatoire à ciel ouvert pour découvrir 24 œuvres installées sur les principales places publiques de la capitale européenne et un copieux programme d’animations se déroulant sur une dizaine de jours. 24 entreprises alsaciennes avaient coopéré avec autant d’artistes plasticiens venus du monde entier pour exposer ces monumentales œuvres d’art. Pour Strasbourg, une audience au moins européenne considérable avec ce totem repris par des centaines de médias nationaux et internationaux : le fameux squelette de mammouth exposé place du Château, à l’ombre de la cathédrale. Pas une œuvre d’art en soi, certes, mais son habillage en était une, l’occasion pour nous de rappeler qu’il fut en large partie imaginé et coordonné par le regretté Jean-François Zurawik, cet alsacien de souche et strasbourgeois de cœur alors aux manettes de la Fête des Lumières à Lyon et qui nous a brutalement quittés l’hiver dernier, son charisme, son talent et sa personnalité authentique ne laissant que des regrets parmi ses nombreux amis ici…

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« UN ACTE SYMBOLIQUE DE LIBÉRATION » Michel Bedez, alors président de Passe-Muraille, la société événementielle qu’il avait fondée, fut à la base de la création de l’événement en 2018, après que Dominique Formhals, président d’Aquatic Show, et Vincent Froehlicher, directeur général de l’Adira lui eurent soufflée l’idée de « célébrer l’industrie de notre région ». Jean Hansmaennel qui préside aujourd’hui l’association organisatrice et Jean-François Lanneluc alors directeur du cabinet du maire de Strasbourg et directeur de la communication, formèrent avec eux le quintet qui œuvra avec succès à l’organisation. Jean Hansmaennel

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« ON A FAIT ACTE DE RÉSISTANCE, TOUT LE MONDE EST RESTÉ TRÈS CONCERNÉ PAR LE PROJET. » Michel Bedez

Depuis, Jean Hansmaennel n’a pas ménagé ses efforts pour que l’Industrie Magnifique 2021 ait toutes les chances de se dérouler : « Nous avions déjà beaucoup travaillé dès le lendemain de la première édition » se souvient-il. « Dès la fin mai 2019, un an plus tard donc, le tour de table mécènes/artistes était déjà bouclé, par exemple. Pour nous, c’était l’idéal pour monter en puissance et soigner tous les détails de la deuxième édition, celle de juin 2020. Et puis, comme on sait, tout s’est brusquement arrêté à cause du confinement. Tout reporter d’un an était la seule échappatoire et finalement, ces douze mois supplémentaires nous auront permis d’affiner le concept, de mieux communiquer autour de l’événement. A l’heure où nous nous parlons – début mai dernier – ndlr), les contraintes sanitaires restent encore incertaines notamment en ce qui concerne les expos indoor de la manifestation. C’est encore et toujours la Préfecture qui a toutes les clés de la manifestation… » Au passage, Jean Hansmaennel précise avoir reçu « un excellent accueil de la part de la nouvelle municipalité issue du vote de la mi-2020, un aspect des choses bien sûr essentiel pour une manifestation qui occupe un aussi grand nombre de sites sur l’espace public. « Cette édition 2021 de l’Industrie Magnifique verra la visite de pas mal de représentants de №41 — Juin 2021 — Revivre !

présidents de Région ou de Départements intéressés par un concept qui a vocation à devenir national » ajoute-t-il. « On travaille pour élaborer un cadre national à cette manifestation, c’est même en très bonne voie, j’ai l’appui de l’Etat pour développer le projet et c’est une dimension qui va être beaucoup travaillée dès le lendemain de cette deuxième édition… » De son côté, Michel Bedez souligne l’aspect déterminant de l’idée de base : « ce mariage de façon très naturelle entre les industriels mécènes et les artistes, qu’ils aient déjà une histoire un peu ancienne entre eux ou qu’ils se découvrent mutuellement de façon plus récente, autour de l’opportunité de cette manifestation. En tous cas », poursuit-il, « c’est une vraie création qui doit être au centre de leur rencontre, dans le cadre du mécénat accordé par l’entreprise et, de notre côté, nous veillons à maintenir une certaine exigence en matière artistique ». Et il conclut : « Nous revenons quand même de loin avec le report de l’an passé. On a fait acte de résistance, tout le monde est resté très concerné par le projet. Cette deuxième édition est un acte symbolique de libération et va représenter un signe très fort dans ce sens. Un des objectifs est bien sûr de faire revenir un peu de tourisme à Strasbourg et on espère bien bénéficier d’un important retentissement national… » a a CULT U R E

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a C U LT U RE – L’ IN DUSTRIE MAGN IF IQU E 2 02 1 Véronique Leblanc

Alban Hefti - DR

ARTISTE DOROTA BEDNAREK ET SES MONOLITHES SENSORIELS Il y a en Dorota une force intérieure qu’on sent inaliénable. Ni force ni marée ne l’empêcheront de construire ses dix « Monolithes » de l’espoir inspirés de « 2001, l’Odyssée de l’espace ». C’est comme ça, il suffit de la rencontrer pour s’en persuader...

ls sont déjà deux. Le premier, commandé par la société Legendre, sera exposé Quai des Bateliers dans le cadre de l’Industrie Magnifique avant de rejoindre le siège de l’entreprise. Le deuxième devait être installé devant l’Hôtel Meurice à Paris en novembre mais le confinement l’a renvoyé vers Strasbourg où l’attendait tout un périple. En transit devant la salle de sports Evaé dans un premier temps, accueilli dans le hall de la CCI ensuite, exposé dans le jardin de l’ISEG rue du Dôme actuellement, il prendra ensuite le chemin de la Place de Bordeaux où France 3 Grand Est l’installera sur tous ses plateaux pendant un an.

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Le troisième est en préparation et trouvera sa place, Dorota en est convaincue.

apaisants, ils invitent aussi au toucher des matières : béton pour le premier, métal pour le second et sans doute minéralité LE MONOLITHE pour le troisième. Avec cristaux de sel, métaux, verres… pour scintiller de jour EST UNE PORTE comme de nuit car ils captent l’énergie VERS LE RENOUVEAU solaire. Chacun porte un message, projeté sur « Mon rêve est ma colonne vertébrale » dit le Monolithe I, gravé sur le Monolithe II. Des Dorota. Plus sensible à la poésie de Rilke mots venus du cœur et de la conscience qu’aux théories de Darwin, elle croit aux d’une artiste arrivée de Pologne dans les « moments pour soi » que propose l’art. années 1990 pour étudier à Strasbourg, Introspections indispensables avant un la ville où elle a pu prendre son destin en vivre ensemble plus apaisé. mains « avec son poids et sa beauté ». « Le Monolithe, rappelle-t-elle, apparaît Aussi monumentaux qu’elle est frêle, dans les moments clés de l’humanité. ses monolithes sont multi-sensoriels. Comme une porte vers un renouveau, un Couleurs miroitantes, univers sonores propulseur vers un avenir meilleur ». a №41 — Juin 2021 — Revivre !


Dorota Bednarek

« LE MONOLITHE APPARAÎT DANS LES MOMENTS CLÉS DE L’HUMANITÉ. »

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ARTISTES ET ENTREPRISES LE COUPLÉ GAGNANT UNE SÉLECTION PARMI LES TRENTE ŒUVRES THE CAT Richard Orlinski et Puma Place Broglie Image d’illustration. L’œuvre ne sera révélée qu’au premier jour de la manifestation

L’ENVOL Paul Flickinger et Cabinet Walter Quai des Bateliers

ENTRE KNUST & QUIGNON Odile Liger / Klaus Stöber et Bongard Place du Corbeau

Pour suivre L’INDUSTRIE MAGNIFIQUE sur les réseaux sociaux : #LIndustrieMagnifique #LIM2021 #LIM

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INFORMATIONS PRATIQUES DU 3 AU 13 JUIN 2021 À STRASBOURG

s tous les jours t et tous public F Accès gratui manche du lundi au di oor & Village Cosmos td Ou rs ou F Parc à minuit District : de 8h urne : de 22h à minuit ct no F Éclairage ette, indoor à l’Aub F Expositions 9h à 21h de place Kléber : sées ées sont organi Des visites guid urisme de Strasbourg : To par l’Office de BAUM Hélène ZIEGEL emagnifique.com ri st du in contact@ 06 03 74 14 26

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a C U LT U RE – MOUN IA RAOUI Jean-Luc Fournier

Nicolas Roses

MOUNIA RAOUI « LE PARTAGE DE NOS APPÉTITS DE VIE… » Rencontre le 25 janvier dernier avec une douce tornade immaîtrisable. Entre deux déplacements dans l’hexagone (par obligation professionnelle, autorisations covidiennes bien en poche), la comédienne strasbourgeoise Mounia Raoui se pose face à nous devant un café, dans le cadre intimiste d’un endroit dont nous n’avouerons jamais le nom, même sous la torture. Et très vite, elle parle de tout : son passé, ses combats, ses projets… Une tornade, on vous dit. Un rai de lumière providentiel sous un ciel confiné, sombre comme un lac écossais un soir d’hiver…

’est Serge, un grand ami de Or Norme, qui tient un petit tabacpresse rue du Travail qui a organisé le premier contact en nous tendant un minuscule livre. En couv, la bonne petite bouille d’une enfant (de deux ans ?) avec cette superbe petite étincelle unique qui brille dans les yeux des mômes. Un titre : Le dernier jour où j’étais petite. Et le nom de l’auteure : Mounia Raoui. Sur la 4e de couv, une citation d’Antonin Artaud qui ne peut qu’attirer notre attention : Sur les routes où mon sang m’entraîne, il ne se peut pas qu’un jour, je ne découvre une vérité. La dernière fois qu’on

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l’avait entendue, c’était en 2018 au Festival d’Avignon, dans le Off, avant, quand on se pressait encore comme des fous rue des Teinturiers à la recherche de ce minuscule théâtre où un tract providentiel annonçait « Artaud Passion », à coup sûr une des plus belles pépites offertes depuis des années. Et cette conviction, aujourd’hui : la prétendue folie de l’écrivain marseillais n’était rien à côté de celle de ce monde qui empêche des millions de gens entassés quotidiennement dans les transports en commun d’aller respirer au théâtre une fois de temps en temps. Passons… №41 — Juin 2021 — Revivre !


Et ces mots, toujours sur la 4e de couv : Le dernier jour où j’étais petite est une Quête. L’enfance. Notre Origine et notre Destination. Un Poème Dramatique qui raconte Imagine le réel réinventé.

Je l’ai écrit pour le théâtre et pour la vie. Je l’ai écrit pour sortir de ma condition de chose, De femme, d’ignorante. Je l’ai écrit pour prendre le risque de ne pas mourir. Et inventer ma manière d’être là.

Je l’ai écrit pour sortir de ma condition Je l’ai écrit avec un corps, un cœur de chose, et une main De femme, d’ignorante. Qui battaient de l’aile. Je l’ai écrit avec les dents. Pour étreindre le noir et m’accrocher aux étoiles. №41 — Juin 2021 — Revivre !

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qu’on voyait se marier, dénicher un job, un vrai, pas un truc « qui ne sert à rien ». De quoi faire très peur quand on vient juste de vivre le dernier jour où on a été petite. Alors, pour faire face à ces proches si peu compréhensifs, il a fallu absolument enchaîner les mots qui font rire, qui propulsent, qui chassent la hantise de la précarité, ces mots qui illuminent et font danser, même toute seule un soir de grand froid quand on aurait adoré se blottir dans des bras aimants une fois la porte de l’appart claquée derrière soi. Comme quand on était encore petite et qu’on regardait le monde avec cette bouille d’enfant et la petite étincelle au fond des yeux… Tout cela, Mounia nous le raconte, cet après-midi de janvier, longuement, « parce qu’il faut absolument qu’on comprenne. »

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« JE SUIS NÉE ICI EN 1975, L’ANNÉE INTERNATIONALE DE LA FEMME. ET JE SUIS ALGÉCIENNE, VOILÀ… »

Ce qu’il faut qu’on comprenne, c’est son projet sur lequel elle bataille comme une folle, toutes griffes dehors même si la patte est plus d’une fois de velours. « J’appelle art et culture cet espace dédié au partage de nos appétits de vivre » : elle se rappelle avoir dit ça sur la scène du Maillon, à la fin d’un spectacle en janvier 2020, moins de deux mois avant le premier confinement, juste avant que tout devienne sombre, juste avant que ce jour sans fin nous taraude. Car la nécessité de « garder un cap en soi » l’obsède depuis toujours. Et Mounia se fait porte-voix : « On est au « UN TRUC QUI cœur d’un immense chaos et il est surNE SERT À RIEN » tout politique, quand on y réfléchit un peu Car voyez-vous, avant d’être sérieusement. Moi, je me suis vite demanaujourd’hui cette si belle comédienne, dée comment je pouvais bâtir une réponse Mounia fut une petite fille qui, comme artistique à ça. Voilà comment ce projet toutes les petites filles, a grandi jusqu’à est né : l’idée, c’est de redonner l’envie aux devenir cette adulte qui est devant nous gens de s’exprimer et déjà, de s’écouter et qui se raconte fougueusement dans le les uns les autres. Et parce que je n’ai pas clair-obscur de cette rencontre en jan- peur des mots, surtout quand ils disent vier, au nez et à la barbe des pandores aussi profondément les choses, j’ai appelé mon projet : 1 Chantiers Artistiques de darmaniens. Elle commence par ces mots : « Je suis Réconciliation Nationale. Tu n’oublies pas née ici en 1975, l’année internationale de les majuscules s’il-te-plait parce que du la femme. Et je suis algécienne, voilà… » coup, tu vas comprendre. 1CARNE. Ça te Puis, sans en faire des caisses, elle parle ? » raconte la somme des désespoirs et des Oui, évidemment. Alors, on la titille pour rebuffades qui n’ont pas manqué sur son qu’elle nous en dise plus. Et c’est parti, chemin, et surtout elle jubile quand elle ça bouillonne, ça pulse de toutes parts. Il en arrive avec la rencontre ultime avec est question d’une mobilisation artistique son grand amour : le théâtre. « Ça ne sert et citoyenne sur tout le territoire à partir à rien » lui disait sa famille. Mais elle a d’un petit questionnaire : quel événement refusé de se plonger dans une autre voie considères-tu comme ayant provoqué ta réputée servir à quelque chose et n’a véritable prise de conscience politique, même pas rechigné quand elle a com- de quoi ou de qui te sens-tu l’héritier, pris que la sanction allait être de voya- avec quoi ou avec qui qui dois-tu ger un peu seule pendant longtemps, elle te réconcilier, à quoi aspires-tu ?

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« ALORS J’AI DÛ CHOISIR TOUTE SEULE CE QUE J’ALLAIS FAIRE DANS MA VIE DE GRANDE ET LÀ J’AI COMMENCÉ À FAIRE DES BÊTISES, J’AI COMMENCÉ À FAIRE DU THÉÂTRE. »

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« Tu comprends, ce sont des questions qui brassent à la fois l’intime et le politique et qui interrogent sur la façon dont les deux s’entremêlent dans nos existences. Car je crois que la grande brutalité de ce qui nous est imposé aujourd’hui, c’est de vivre dans un système politique, social et économique qui nous empêche d’avoir accès à nousmême, tout le temps et à chaque instant. Donc, nous ne pouvons pas construire quelque chose ensemble, nous ne pouvons pas nous inscrire dans le collectif, nous ne pouvons pas lutter… Avec ce concept, des équipes artistiques vont aller sur tout le territoire à la rencontre des publics de tous âges et de toutes provenances socio-professionnelles, via des structures sociales ou socio-culturelles, pour partager avec eux sur ces questions-là et parvenir au but fondamental de mon projet : les inviter à inventer eux-mêmes la forme de restitution artistique de leur témoignage. Des poèmes, une expo photos, une vidéo, que sais-je, peu importe… Et mon rêve est qu’outre les restitutions locales, on aille vers d’autres, interrégionales et bien sûr nationales.

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sa directrice Laëtitia Quiéti. Et nous les avons amenés à réaliser les portraits artistiques les uns des autres avec des vidéos et des textes écrits par eux. J’insiste ici sur la grande richesse de cette rencontre et de cette expérience. J’ai pu observer le dynamisme incroyable, l’intelligence humaine et la vitalité qui circulent au sein de l’endroit et de son école de musique et je suis honorée de travailler avec cette équipe. C’est grâce à Khoutir Kechab, directeur du CSC du Neuhof que tout ça existe. C’est un homme exceptionnel qui mène un travail inouï dans une humilité qui force le respect. Il faudrait que Or Norme s’intéresse à lui… » C’est noté. Merci pour ce tuyau, Mounia.

LE RETOUR DE LA SCÈNE

Mais ce n’est pas tout » enchaîne-telle. « Avec Areski Belkacem, compositeur, percussionniste, Bobby Jocky, bassiste, Dondieu Divin, pianiste et Gérard Tempia qui est violoniste, le concert d’un autre projet, Thalia Tchou, trouve son aboutissement dans le Val-de-Marne. C’est un miracle d’avoir pu réunir une telle équipe et d’être allée au bout malgré un contexte général complexe, malgré aussi les difficultés auxquelles j’ai dû faire face en raison de deux subventions qui ne nous ont pas été Bon, je suis consciente, il va falloir avoir accordées et qui amputent le budget préviune énergie de ouf… » dit-elle en riant. sionnel de l’année qui est de 35 000 euros. Cet après-midi-là, dans la tiédeur de cet Mais je garde le cap et je veille encore à endroit clandestin, Mounia nous parlera protéger et le travail, et les équipes. » encore longtemps de son projet, accu- Mounia est aussi mobilisée sur la reprise mulant des tombereaux de détails. Une de tous ses spectacles dont une version évidence : tout y a été pensé, calculé, ima- musicale de Le dernier jour où j’étais petite giné : 1CARNE est incarné par cette boule qu’elle affine à Arcueil, dans la banlieue d’énergie, pardon pour le jeu de mots un parisienne. Un autre de ses spectacles, peu convenu mais on n’avait rien de mieux Les Mômes-Porteurs (créé au Maillon en et de plus juste sous la main… janvier 2020-ndlr) sera repris à la fin de D’un commun accord, on a décidé d’at- l’année à Bagnolet et est dans l’attente tendre un peu pour en parler dans Or d’une date à la Salle Europe de Colmar. Norme. Car il fut bien sûr question de Enfin, Stéphane Littolf, le toujours attenmoyens à dénicher, de partenariats à tif et bienveillant directeur du Diapason signer et parce qu’après l’hiver, il y a un à Vendenheim, l’a invitée à faire une lecprintemps qui finirait bien un jour à bour- ture publique de «Le dernier jour où j’étais geonner de nouveau… petite» le dimanche 27 juin, dans le cadre de ses Estivales et d’un focus qu’il souLe printemps, on y est. Et Mounia a bien haite faire sur trois auteurs de la région. avancé. Le 7 mai dernier, toute enthou- « En attendant, il faut tenir et imaginer siaste, elle nous a confié que « 1CARNE encore que le plus beau reste à venir » a démarré au Neuhof avec une première conclut la douce tornade. « Mais mon session de travail avec les animateurs. Et leit-motiv reste le même : la beauté de pour tout te dire nous allons finaliser… J’ai nos gestes vient de l’impossibilité qui est collaboré avec le cinéaste Patrick Muller la nôtre de nous en tenir à ce qui est. et une équipe de trois animateurs du Même si je ne parviens pas à retrouver centre socio-culturel du Neuhof et trois son nom, l’auteur de cette déclaration est intervenants de l’École de musique dont sans aucun doute un frère pour moi… » a №41 — Juin 2021 — Revivre !



a C U LT U RE – MUS ÉE UN TERL IN DEN À COLM AR Véronique Leblanc

ASC Anne Sansom – André Morin / Yan Pei-Ming, ADAGP, Paris, 2021

MUSÉE UNTERLINDEN YAN PEI-MING, LA PUISSANCE DE LA PEINTURE

Yan Pei Ming en train de peindre Pandémie, dans son atelier de Dijon - 2020

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Pénétrer l’exposition Yan Pei-Ming prévue jusqu’au 6 septembre au musée Unterlinden de Colmar c’est s’immerger non pas dans une rétrospective mais dans une anthologie pour parcourir quatre décennies de grands monochromes d’une puissance incroyable, réunis sous le thème de la filiation et de la transmission. « Né en Chine mais arrivé en France en 1980, Yan Pei-Ming va bien plus loin que les portraits de Mao pour lesquels il est mondialement connu », résume Frédérique Goerig-Hergott, conservateur en chef du musée et commissaire de cette exposition. On ne peut que lui donner raison.

out est parti du « choc physique, émotionnel, visuel » qu’elle a ressenti devant le triptyque monumental créé pour la chapelle de l’Oratoire de Nantes. Trois autoportraits, suspendus dans l’espace abstrait de la toile et rappelant une crucifixion sans toutefois en être une. Des monochromes où le motif jaillit de la matière. Une œuvre non pas religieuse mais spirituelle… « Nous étions en 2012 », précise Frédérique Goerig-Hergott qui à l’époque exposait les Christ en barbelés d’Adel Abdessemed en regard du Retable de Matthias Grünewald. L’œuvre de Yan Pei-Ming - titrée Nom d’un chien ! Un jour parfait- avait elle aussi cette force miroir qui relie art ancien et art contemporain et la conservatrice décida de la présenter dans le cadre d’une exposition d’envergure organisée à Colmar. Restait à prendre le temps qu’il fallait pour convaincre l’artiste de lui ouvrir les portes de son atelier de Dijon… elle y parvint et c’est ensemble qu’ils ont conçu Au nom du père, quasi-rétrospective déployée sur deux niveaux du musée. Plus d’une cinquantaine de tableaux et une douzaine d’œuvres sur papier y retracent quatre décennies d’une carrière entamée à Shangai mais véritablement née aux Beaux-Arts de Dijon.

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« SON VISAGE VA AU-DELÀ DE CE QU’IL REPRÉSENTE POLITIQUEMENT. »

Pourquoi cet intérêt pour le Grand Timonier ? « Pourquoi pas ? » répond l’artiste. « Son visage va au-delà de ce qu’il représente politiquement. Il a accompagné mon enfance et, au final, son image a servi ma propre propagande. » À la recherche « d’un autre Chinois à peindre », Yan Pei-Ming s’est ensuite intéressé au visage de son père qui l’avait rejoint en France. « Un homme discret », dit-il qu’il a imaginé à travers son propre regard de fils à toutes les étapes de l’âge. « Le plus puissant » quand il était enfant, « Le plus égoïste » quand il était adolescent, « Le plus faible » quand il a fallu lui dire adieu… Des portraits de sa mère aussi car « pour avoir un père et un fils, il faut une mère », d’étonnants portraits de Bouddha peints « POUR AVOIR UN PÈRE « pour faire plaisir à sa mère très pieuse » mais détournés de leur fonction votive pour ET UN FILS, IL FAUT symboliser le lien entre Orient et Occident. UNE MÈRE » Mis en regard de ceux de ses parents, les S’y révèle une confrontation perma- portraits de l’artiste lui-même composent nente à la figure humaine inaugurée par un hommage bouleversant où son regard ses séries sur Mao réalisées au milieu des se porte vers ceux dont la rencontre a décidé années 1980. de son existence. №41 — Juin 2021 — Revivre !

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Col rouge, 1987

« CE FAMEUX ARRÊT SUR IMAGE QUE NOUS TRAVERSONS TOUS. » 82

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Visages paysages, échos du temps qui passe suivis de paysages tout courts reprenant cours d’eau et bosquets, cent fois vus mais ici revisités au point de devenir universels.

PANDÉMIE Pandémie clôt le parcours dans une confrontation voulue avec le Retable d’Issenheim. Conçue pour l’exposition et exécutée durant le deuxième confinement, elle prend l’allure d’un sombre terrain vague voué à l’ensevelissement des corps. Seul point de lumière dans ce tableau de

fin des temps, la silhouette de la basilique Saint-Pierre à Rome fait contrepoint à la Jérusalem peinte par Grünewald dans sa « Crucifixion ». L’artiste s’est représenté dans Pandémie, masqué à l’avant-plan, une pelle à la main. « Témoin démuni » de « ce fameux arrêt sur image que nous traversons tous », il s’est voulu « aidant ». L’œuvre, espère-t-il, parlera aux générations futures comme le Retable d’Issenheim nous rappelle le mal des Ardents qui frappa le XIVe siècle. « C’est ça la force de la peinture » dit Yan Pei-Ming. a №41 — Juin 2021 — Revivre !



a C U LT U RE – E X P O Véronique Leblanc

Alban Hefti

FABIENNE ISAAC, PASSION « PRINCE » En 1989, Fabienne Isaac était « plutôt rock et hard rock », fan de Depeche Mode et parisienne pour un temps. Bien loin d’imaginer qu’en allumant la radio un samedi matin désœuvré, elle allait se lancer dans une aventure musicale qui se teinterait de collectionnite aiguë et la mènerait, quelques décennies plus tard, à monter une exposition strasbourgeoise.

e déclic radiophonique fut Batdance de Prince, chanson emblématique de la bande son composée pour le Batman de Tim Burton. Plus qu’une chanson, un hymne à l’homme chauve-souris interprété dans le clip par un Prince au double visage : maquillé pour moitié Joker et pour moitié Batman. Puis ce fut la découverte de l’artiste sur scène lors de la tournée Nude Tour qui permit à Fabienne de le relier à plein de « morceaux déjà entendus et appréciés ». Ce monde était son monde et elle finit par y entraîner Christian son mari, multipliant les voyages pour assister aux concerts, une vingtaine au total dont ceux de Montreux en 2009 et 2013 « juste extraordinaires ». C’est donc en couple qu’ils ont constitué la collection exposée du 4 au 27 juin dans le salon d’honneur de l’ISEG, rue du Dôme.

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S’y retrouvent vinyls, CD, disques d’or certifiés et « disques pirates » restituant des enregistrements effectués en douce lors de concerts ou de répétitions, sans compter une cassette audio rééditant celle qui fit la promo du son créé par Prince en 1994 pour un défilé parisien de Gianni Versace. Rééditée au Japon après la mort du Kid de Minneapolis, elle est d’une extrême rareté.

« PRINCE, THE PURPLE EXPERIENCE » À L’ISEG Quatre guitares aussi dont l’une signée par les musiciens lors d’un concert à Montreux, un billet d’avion au nom de Prince Roger Nelson et même des Nike Air customisées (pointure 38 !). « La collection est la nôtre mais l’idée de l’exposition est de notre ami Daniel Abecassis avec lequel nous avons fondé l’association « La Machine Rock » pour partager le plus largement possible notre passion commune », précise Fabienne. « Sa concrétisation a été permise par Jacques Zucker responsable relations publiques à l’ISEG qui nous a mis en contact avec Eric Hammel, directeur de l’école. Quant à sa réalisation, elle est l’œuvre d’une équipe de six étudiants supervisés par l’indispensable Adrien Ruffier, chargé de communication ». Ces jeunes se sont emparés avec enthousiasme du challenge que représentait l’exposition. Ils ont investi les réseaux sociaux, créé des vidéos, réalisé des interviews, supervisé la réalisation des affiches, kakemonos, tee-shirts et tote bags conçus par le graphiste strasbourgeois Ange Mercuri. Prince, aujourd’hui ils en sont tous « fans. » a : The P cebook Page Fa xperience E Purple

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a C U LT U RE – OPÉRA NATIONA L DU RH I N Benjamin Thomas

Nicolas Roses - DR

OPÉRA NATIONAL DU RHIN UNE SAISON 2021/2022 PROMISE À LA CRÉATION ET À L’INNOVATION

Après des mois de restriction des contacts, l’OnR veut renouer avec la dimension collective de l’opéra comme de la danse et prouver par des gestes ambitieux que ces arts sont accessibles à tous. C’est la première programmation de son directeur général, Alain Perroux, depuis qu’il a pris la tête de l’institution en janvier 2020… onvaincu du caractère fédérateur de la fiction, Alain Perroux nourrit sa saison d’histoires : trois récits d’Andersen connus de tous, deux contes du XXème siècle imaginés par Colette et Lewis Carroll ou encore de grandes figures mythiques que l’on retrouve dans les œuvres populaires que sont West Side Story et Carmen (on retrouvera également la bouillante gitane au cœur du Festival Arsmondo Tsigane, avec un spectacle réunissant L’Amour sorcier de Manuel de Falla et Le Journal d’un disparu de Janacek). Cette profusion de narrations s’accompagne d’un heureux éclectisme des répertoires. C’est ainsi que, de Claudio Monteverdi (L’Orfeo, en version concert), Hans Abrahamsen (La Reine des neiges) en passant par Mozart (Così fan tutte), Verdi et Bizet, la saison 21/22 traverse quatre siècles d’opéras dont elle reflète l’incroyable richesse, du mélodrame au ballet en passant par la comédie musicale.

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Alain Perroux

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Cette diversité se retrouve dans les concerts (dont une Marseillaise participative dans l’orchestration de Berlioz) et les récitals qui permettront aux mélomanes d’entendre de grands interprètes actuels comme la soprano Sabine Devieilhe ou le contreténor Jakub Jozef Orliński, ainsi que l’acteur Lambert Wilson dans des mélodrames romantiques (déclamation accompagnée au piano).

CRÉATIONS… L’innovation, enfin, sera au rendez-vous avec d’importantes créations : celle, mondiale, d’Alice – nouveau ballet d’un des compositeurs majeurs de notre temps, l’Américain Philip Glass -, mais également les trois créations françaises que sont La Reine des Neiges de Hans Abrahamsen, Les Oiseaux de Walter Braunfels et Stiffelio de Verdi. Les créations chorégraphique du directeur du Ballet de l’OnR, Bruno Bouché, sont

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L’OPÉRA NATIONAL DU RHIN CONTINUE DONC D’AFFIRMER SA VOCATION DE MAISON DE PRODUCTION RAYONNANT BIEN AU-DELÀ DE L’ALSACE

toujours des événements très attendus : lors de la saison, il présentera Les Ailes du désir, un ballet qui revisite le chef d’œuvre cinématographique de Wim Wenders. La programmation 2021 / 2022 se veut aussi un voyage à travers l’Europe puisqu’on y découvrira des ouvrages venus de France, d’Allemagne, d’Italie, d’Autriche, du Danemark, de République Tchèque et d’Espagne : l’Opéra national du Rhin continue donc d’affirmer sa vocation de maison de production rayonnant bien au-delà de l’Alsace. Plusieurs autres villes du Grand Est programmeront une version de chambre de L’Enfant et les sortilèges de Ravel sous forme d’opéra nomade qui sera bien sûr également représenté à Strasbourg, Colmar et Mulhouse… Nous reviendrons plus longuement sur les événements et les dates précises de la prochaine saison de l’OnR dans notre numéro de début septembre qui réserve traditionnellement une grande place à la rentrée culturelle dans notre ville et notre région. a №41 — Juin 2021 — Revivre !



a C U LT U RE – QUA RA N TE AN S DE COLLECT IONS Véronique Leblanc

Alban Hefti

QUARANTE ANS DE COLLECTIONS CLÉONE, VIVRE C’EST CRÉER ! Forgée d’imaginaire et tissée de rencontres, la vie de la couturière Cléone ne tient pas dans un CV, avoue-t-elle en riant. Son parcours foisonne mais sans désordre, il s’élance et puis se concentre avec pour seul mot d’ordre l’harmonie. Sa maison de la Petite-Pierre est à son image : unique. lle s’est réfugiée en Alsace du nord après avoir fermé sa belle boutique de la rue des Hallebardes à l’automne dernier. Confinement fit loi mais n’entama en rien son élan. Ses clientes l’ont suivie dans ces « parages d’Alsace » où « le ciel naît aux branches » comme l’écrivait René Char et Cléone y enchaîne désormais les commandes tout en concevant une chatoyante collection dont le thème est le regard. La vie continue mais la vie n’est la vie que si elle se nourrit de projets.

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LE «CLÉONE INSTITUT» Après plus de quarante ans de collections, elle a donc décidé de créer le « Cléone Institut » et de lancer en sep-

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« LES VITRINES ÉTAIENT BELLES, J’AI PRÉPARÉ MA COLLECTION ET J’Y SUIS RESTÉE TRENTE ANS. »

tembre un programme de formation « Grand Couturier ». Toutes les techniques de la mode y seront abordées dans un cursus de deux ans où les étudiants seront suivis en ligne pour être à même, en fin de parcours, de dessiner un modèle, concevoir une collection, façonner un vêtement, créer chapeaux et accessoires et - last but not least - monter leur propre maison de couture. « La mode est un univers transversal, il faut être un couteau suisse », résume Cléone. « Et l’heure de la transmission est venue », ajoute-t-elle en évoquant ses propres débuts dans une école parisienne dirigée par le bras-droit de la mythique Madeleine Vionnet, couturière pionnière de la première moitié du XXe siècle qui inventa le manteau de ville, les jupes en corolles et surtout la coupe en biais. Tout est parti de cette formation hors pair. Des collections présentées à Paris, Tokyo, Londres, Moscou, une boutique Rue François 1er à Paris, une « commande énorme » pour les grands magasins Seibu de Tokyo, des chemises avec « un grand bateau » sélectionnées par le Club Med… et puis un coup de foudre amoureux, la naissance de jumeaux et le départ pour Strasbourg avec son mari alsacien.

« VOUS FAITES QUOI COMME MÉTIER ? » On était en 1978-79. Cléone s’occupait de ses enfants, trouvait les Alsaciennes « mal habillées avec leur robes chemises » et achetait son pain dans une boulangerie de quartier, arborant son allure folle et son inséparable béret. C’est là qu’un matin une cliente l’a abordée №41 — Juin 2021 — Revivre !

avec cette simple question : « Vous faites quoi comme métier ? » L’inconnue s’appelait Thérèse Willer et deviendra conservatrice du musée Ungerer. A l’époque, elle était aux manette de L’Arsenal, fameux restaurant de la Krutenau où elle invita Cléone à venir dessiner une fois par mois. Croquées sur les nappes, bien des clientes furent interloquées par les nouvelles silhouettes qui s’esquissaient avant d’être séduites au point de passer commande… Tomi Ungerer, jamais loin, appelait Cléone « ma gonzesse » et Thérèse portait les créations de sa nouvelle amie. On aurait voulu y être. Rien n’était prévu mais tout se fit, la couturière se remit à l’ouvrage et, sans avoir l’air d’y toucher, sa griffe s’imposa dans la ville. « En 89, j’ai croisé un homme qui m’a dit : « Vous êtes connue, je vais vous installer au 22 rue des Hallebardes », se souvient-elle. « Les vitrines étaient belles, j’ai préparé ma collection et j’y suis restée trente ans. » Aujourd’hui, Cléone « choisit sa vie tous les matins » dans sa maison du bord de la forêt, en mouvement tout comme elle, habitée de tables-souches, de lustres aux nids d’oiseaux, de mille collections, de cent mille créations. Rien n’est figé, une pièce peut changer d’ambiance en un week-end sans perdre son âme. Cléone dessine sur des lais de papier peint plus amples et plus doux au toucher que les carnets de croquis. Elle coupe et coud mais elle peut aussi marteler le métal, créer des meubles ou stuquer un mur. « À chaque fois que je vais dans un musée, confie-t-elle, si je ressens une émotion forte pour une œuvre, je cherche à comprendre comment l’artiste a fait. Tout est ancré dans le geste. » a

leone.fr www.c a CULT U R E

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a CULTURE — P ORTFOLIO

« Paysage mental, l’art de concocter » Sur le travail du photographe Michel Handschumacher, l’un des artistes de Déambulations Créatrices, Maria Cosatto a écrit ces lignes : « Privé de déplacement, comment supplanter le Paysage-Nature ? Dans le Labo-Maison, pas plus de cinq minutes pour la prise d’une photo, pas de logique ni d’obligation, rester sur la manipulation des objets qui t’entouraient et t’interpellaient. L’outillage et l’essai font partie de sa « démarche de chambre » inédite afin de recréer des paysages mentaux. Il joue avec les lignes de force, les lumières et les noirs et blancs qui évoquent la gravure. Un gigantesque zeste de tradition et de modernité, d’intemporel... »

Le Noyer Edition publiera en novembre 2021 l’ouvrage Dans le silence des territoires incertains. Ce livre de Michel Handschumacher sera préfacé par William Irigoyen, journaliste à la chaîne Arte.

Contact : www.michel-handschumacher-photographie.com

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a C U LT U RE – P O ÉS IE Isabelle Baladine Howald

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POÉSIE AVEC ARAGON, RÊVONS D’UN PRINTEMPS ININTERROMPU ! Je suis belle, ô mortels ! comme un rêve de pierre, écrit Baudelaire avouant ainsi la fascination de très longue date de la poésie pour le rêve autant que pour la beauté.

l y a d’abord le rêve nocturne, expression de nos désirs enfouis, si savamment exploré par le grand Freud. Souvenir refoulé, peur de quelque chose, petit événement transformé, le rêve est notre lot à tous. Les peintres ont essayé de le représenter, comme dans le Cauchemar de Füssli avec son monstre assis sur une jeune femme la tête rejetée en arrière, Le songe de Constantin de Piero Della Francesca (vision d’un ange montrant une croix), ou Le Rêve de Picasso, buste offert et belle tête de femme endormie. Mais l’expression la plus courante du rêve, hors psychologie, c’est dans la poésie qu’on la trouve. Les rêves sont la littérature du sommeil écrit Jean Cocteau, c’est dire qu’en dormant, il y a une écriture des événements du jour mais aussi du monde particulier de la nuit, chère aux poètes. Il y aura, au moment du surréalisme, l’écriture automatique, formée elle aussi sur le mode de l’inconscient.

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Et il y a ce que ces êtres dont on ne sait pas d’où ils sortent, les poètes, qui écrivent des merveilles : Amis, ne creusez pas vos chères rêveries ; Ne fouillez pas le sol de vos plaines fleuries ;

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José de Ribera El sueño de Jacob - 1639

Et quand s’offre à vos yeux un océan qui dort, Nagez à la surface ou jouez sur le bord. Car la pensée est sombre ! Une pente insensible Va du monde réel à la sphère invisible ; La spirale est profonde, et quand on y descend, Sans cesse se prolonge et va s’élargissant, Et pour avoir touché quelque énigme fatale, De ce voyage obscur souvent on revient pâle ! №41 — Juin 2021 — Revivre !


C’est de notre Hugo national, bien sûr. J’ai rêvé d’elle et pas elle de moi dit Verlaine dans le chant de l’amour toujours blessé des poètes… Un rêve sans amour est un rêve oublié dit de son côté Eluard, ou Apollinaire : Je rêve de revoir mon ptit Lou pour toujours Ô nuances des frondaisons pendants les matins lourds Creux où joue le jour comme aux cassures d’un velours Ces grand amoureux, car le rêve est souvent lié à l’être aimé, à son absence, aux №41 — Juin 2021 — Revivre !

rêveries qui en découlent… Et il y a enfin le rêve proche de l’utopie, les rêves de révolution, les rêves sont alors plus politiques, comme Yannis Ritsos face à la Grèce des colonels : Le rêve de l’enfant, c’est la paix. Le rêve de la mère, c’est la paix. Les paroles de l’amour sous les arbres c’est la paix. Quand les cicatrices des blessures se ferment sur le visage du monde et que nos morts peuvent se tourner sur le flanc et trouver un sommeil

sans grief en sachant que leur sang n’a pas été répandu en vain, c’est la paix. Ce printemps nous rêvons de terrasses et de liberté, de musées, de cinémas, de tables partagées, nous rêvons d’étreintes sans masques, nous rêvons d’embrasser les joues si douces des enfants, nous rêvons de vivre nos rêves, et avec Aragon écrivant au printemps de quoi rêvais-tu ? Rêvons d’ un printemps ininterrompu ! a

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S ACT UA L I T É — HACK ING HEALTH CAM P Aurélien Montinari

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g n i k c a p H m a C h a t l n i a h c He a M x E s Deu « L’homme est un cosmos en miniature » Taisen Deshimaru. Ingénieur informatique de formation, Sébastien Letélié découvre l’univers médical en 2000 à travers un projet d’informatisation du service des urgences d’un hôpital de Paris. Au plus près des médecins, celui qui avoue être « entré dans ce milieu comme hacker », va développer des outils digitaux innovants qui le pousseront à créer le Hacking Health Camp. Interview.

Sébastien Letélié

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Après ta première expérience de développeur dans le monde médical, tu décides de te lancer à ton compte, peux-tu nous raconter la genèse du Hacking Health Camp ? « Je me suis demandé comment lancer une nouvelle aventure dans la santé. On organisait des événements entre informaticiens, je me suis dit que j’allais y inviter des médecins et leurs équipiers. J’ai envoyé l’invitation en disant : « on va faire un Hackathon, on va prototyper des choses en fonction de vos besoins. » J’étais dans l’association Alsace Digitale, en 2013. Au lancement on pensait être 50, on s’est retrouvés à 200 ! Les années qui ont suivi, à 800. En 2017, j’ai lancé Health Factory, mon entreprise, qui est désormais le support du Hacking Health Camp et qui accompagne les acteurs de la santé dans l’innovation : des laboratoires pharmaceutiques, des assureurs et des établissements de soins. L’événement se déroule en deux parties : une conférence qui réunit environ 200 personnes puis le Hackathon, sur trois jours, avec environ 300 personnes. Chaque année nous avons entre 50 et 70 projets portés par des équipes pluridisciplinaires. C’est l’expérimentation d’un prototype avec les utilisateurs qui permet de comprendre réellement les problématiques. Au Hacking Health Camp, les entrepreneurs ont un feedback tout de suite. Dans le secteur de la santé, ça n’existait pas en France.

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Une ancienne édition du Hacking Health Camp.

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En tant que spécialiste de la santé et du numérique, comment analyses-tu les impacts sociaux, économiques et technologiques de la crise sanitaire ? Ce qui est important dans cette crise, c’est qu’elle accélère quelque chose que personne ne voulait mettre en place mais qui existait déjà : la télémédecine. La santé vise la transformation numérique et les choses évoluent, mais il reste deux domaines qui n’ont pas encore muté : l’éducation et l’administration. Or la santé est liée à ce domaine. J’entends dire « les outils numériques vont s’implanter dans la santé », pourtant, dès la première vague passée, les gens sont revenus à leurs habitudes. On pensait que ça allait permettre à plein d‘applications de se développer, mais non, on doit encore passer par des mises en œuvre complexes. Selon Donna Haraway, « toute idéologie transcendantaliste promettant (...)

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« L’avenir n’est pas que dans la technologie. »

un dépassement de la mort contient en germe une apocalypse qui est son apothéose. » Que penses-tu des promesses transhumanistes ? Si l’Homme est ce qu’il est aujourd’hui, c’est grâce à la technologie avec laquelle on est conçu : la biologie. C’est cela qu’on essaie de refaire. Ce qui nous tue aujourd’hui c’est de rester assis et le sucre que l’on met dans notre café ! L‘homme est conçu pour vivre au moins 100 ans, simplement en mangeant correctement. Il faut que les gens se rendent compte que l’avenir n’est pas que dans la technologie. L’être humain sera surveillé par des capteurs qui lui permettront de prévenir des problèmes de santé, mais il faudra combiner ces bio-indicateurs à nos ressentis, par la méditation. Je ne crois pas que les dérives de la technologie vont nous bouffer notre pouvoir de décision. On n’a jamais vu quelque chose créée par l’Homme supplanter cela… » S №41 — Juin 2021 — Revivre !



S ACT UA L I T É — O CTO’ P US Aurélien Montinari

Alban Hefti

Octo’pus Planète mer

ne ONG strasbourgeoise qui lutte contre la pollution de l’océan, voilà de quoi surprendre à 800 km de la Manche et pourtant… « 80% de la pollution des océans vient des cours d’eau, fleuves, et rivières qui s’y déversent. 100% de la pollution plastique est produite à terre. Plus on est éloigné des littoraux, moins on va être sensibilisé à notre impact sur les océans », résume Lola, habituée des salons et colloques et qui a tôt fait de synthétiser les enjeux et l’urgence de l’action. Basé dans le tiers-lieu de la COOP, Octop’us (“octo” pour ses 8 fondateurs et “us” pour ensemble), prône une approche ludique et déculpabilisante, « l’objectif de l’association est de démontrer que tout un chacun a la possibilité d’agir au quotidien. On propose des solutions participatives, citoyennes et low tech accessibles à tous », revendique Lola.

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VALORISER TOUS LES TYPES DE DÉCHETS Omniprésent et imputrescible, le plastique est l’un des fléaux majeurs du monde contemporain. Fort de ce constat, le projet international Precious Plastic a mis en place un système artisanal de recyclage des matières plastiques à travers de petites unités fédérées en réseau. « Grâce à l’antenne Precious Plastic déployée ici, nous allons pouvoir valoriser le plastique, sensibiliser le grand public à la pollution, créer des objets... Les bénéfices iront au financement d’un récif artificiel au large de l’île de Corfou. » Autre initiative en faveur de la valorisation des déchets, le projet Hairboom, la création de filtres conçus à partir de cheveux et poils. « Pour 1 kg de cheveux, il y a 8 litres d’hydrocarbure qui sont absorbés », explique Lola. Un dispositif très efficace dans le cas de marées noires mais utile également pour la dépollution, la protection des sols et la préservation de la biodiversité, « c’est 100% biodégradable, de quoi rendre l’agriculture plus responsable ! » Dernier projet d’Octop’us, la création d’un outil pédagogique, proposé en milieu scolaire et périscolaire, un jeu qui retrace les différentes étapes du cycle de vie d’un déchet, de quoi « changer les mentalités et permettre aux personnes de s’impliquer tous les jours, avec des gestes simples. » S Lola Ott

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S ACT UA L I T É — VIE P UBL IQUE Clara Jules

Nicolas Roses

Libre opinion Cette rubrique trimestrielle reflète la vie publique de notre ville et de notre région. Ni partisane ni flagorneuse, elle se veut le reflet de l’actualité politique et citoyenne.

Brigitte Klinkert

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QUI SERONT LES GRANDS ÉLUS DU GRAND EST, DE L’ALSACE, ET DE STRASBOURG ? Petite surprise, mais peut-être tsunami demain, les élections régionales ne se dérouleront pas de façon aussi simple que prévu. Certes, la gauche continue de se déchirer, et le cumul des maladresses du porte-étendard des Verts à Strasbourg alimente un peu plus encore les difficultés à trouver un accord entre toutes les composantes. Sauf à renoncer à leurs valeurs démocratiques pour des raisons alimentaires, on voit mal les femmes et hommes politiques du PS accepter de passer sous les fourches caudines des écologistes et de France Insoumise. Nouvelle apparue dans le concert des candidatures, celle de Brigitte Klinkert repose sur l’aptitude à rassembler. Elle qui dans un premier temps n’aspirait sans doute pas

à prendre une tête de liste régionale, a vu son espace s’élargir par les prises de position caricaturales, radicales et droitières de Jean Rottner. Il est vrai que celui-ci partait avec un handicap majeur en Alsace : passé des barricades pour défendre l’Alsace au-devant de la scène pour chanter les louanges du Grand Est une fois qu’il en a été élu président, il incarne la figure du renoncement, voire du traitre, pour de très nombreux alsaciens. Sa politique de multiplication de schémas directeurs qui vise à imposer ses propres critères aux autres collectivités, très au-delà des compétences régaliennes de la Région, a eu le don d’exaspérer de nombreux élus locaux, des Ardennes jusqu’aux Vosges. Et les sondages s’annoncent inquiétants, dans la mesure où ils vont tous dans le sens d’une forte baisse des intentions de vote pour lui, et d’une hausse inversement comparable aux intentions de vote en faveur de Brigitte Klinkert. Il faut dire qu’à l’annonce de sa candidature, elle a engrangé des soutiens venus de partout, et notamment de membres éminents du parti des républicains. Des pressions et des menaces sur les maires qui traduisent un vent de fébrilité C’est sans doute ce qui provoque une telle fébrilité dans les équipes de Jean Rottner, et les amène à faire des fautes dans une campagne qui a commencé depuis bien longtemps pour lui. Outre les arrosages en subvention et la multiplication des affichages de nouvelles politiques à l’occasion des dernières réunions de l’assemblée régionale, il fait feu de tout bois pour occuper la scène médiatique, mais souvent maladroitement. Il préempte le Mont Sainte Odile quand l’archevêque explique les difficultés financières du site, mettant en délicatesse le clergé qui ne veut pas devenir caution de son activisme à quelques semaines des élections ; il fait appeler tous les maires à la suite d’un courrier les appelant à le soutenir dès le premier tour, les menaçant parfois de représailles en termes de subventions régionales… Il prend ainsi l’énorme risque d’illustrer une gouvernance ultra politique, fondée sur l’autoritarisme et la menace plutôt que sur la recherche de consensus… Sans doute est-ce pour cela que les « Républicains » parlent d’une position exigeante à l’égard de Rottner. Pas de blanc-seing, mais une vigilance, voire une surveillance. Il ne faut pas insulter l’avenir ! №41 — Juin 2021 — Revivre !


« Un bien commun pour l’humanité. » Frédéric Biery

Décidément, on est bien loin des grands élus philosophes, qui mesurent la limite de leurs pouvoirs et privilégient le consensus à la certitude. Brigitte Klinkert fait-elle partie de ces grands élus, comme Roland Ries pendant deux mandats, ou Catherine Trautmann, à l’époque où elle était maire, ou encore comme Daniel Hoeffel, qui avait l’intérêt public chevillé au corps et à la conscience, et dont Brigitte Klinkert a été longtemps la collaboratrice ?

CALME PLAT POUR LES ÉLECTIONS DÉPARTEMENTALES Du côté des élections départementales, pas de grandes surprises en perspective. On ne voit pas comment la présidence de Frédéric Bierry pourrait être menacée, à moins que les Républicains ne lui cherchent des complications pour son soutien implicite à Brigitte Klinkert… Mais les Républicains en ont-ils vraiment la marge de manœuvre ? Sans doute que non, sauf à vouloir se transformer en micro-parti dont les principales figures de la droite alsacienne se détourneraient. Avant d’être parfaitement en ligne avec les républicains, la droite alsacienne est d’abord issue du centre. Elle n’aime pas les positions véhémentes, les pressions, le chantage. Et de nombreux ténors de celle-ci n’hésitent pas à dire en privé qu’ils №41 — Juin 2021 — Revivre !

ne se retrouvent pas du tout dans le fonctionnement de leur parti. Seul événement notable dans ces élections : l’absence de tout élu vert de la majorité municipale de Strasbourg. Sans doute un moyen pour les écologistes de ne pas lier les résultats de cette élection à un désaveu de l’équipe municipale, tant la période est difficile pour elle.

PUISQUE NOUS PARLONS DE STRASBOURG… Comme la période est en effet difficile pour l’équipe municipale en ce moment. Tout semble faire débat public dans les prises de position de la Maire, Jeanne Barseghian, et de son exécutif. Capitale européenne de la démocratie, les animaux liminaires et la sauvegarde des rats et des punaises de lit, les 2.5 millions € à la mosquée Eyyub Sultan, le refus d’adopter une motion contre l’antisémitisme… mais quelle mouche a donc piqué les dirigeants politiques de la Ville ? Il est sans doute trop tôt pour dire s’il s’agit de maladresses liées à un amateurisme légitime, dans la mesure où il s’agit d’une nouvelle équipe peu expérimentée, ou si cela révèle une idéologie de fond. Il faudra sans doute attendre un peu pour le dire. Mais durant cette attente… Strasbourg risque de voir son image tellement abîmée,

sa vocation internationale érodée, son attractivité et son rayonnement mis à mal (il est vrai qu’une note a circulé auprès des fonctionnaires municipaux pour leur demander de retirer ces mots « grossiers » de leur vocabulaire)… Il y a certes des tentatives de diversion, mais elles prêtent à sourire. Le conseil municipal du mois de mai se voit ainsi proposer une motion de la majorité qui décrète que le vaccin est « un bien commun pour l’humanité ». Ah bon ? La planète devait sans doute attendre la position du conseil municipal de Strasbourg pour savoir cela…

UNE RELATION TENDUE AUJOURD’HUI ; EXPLOSIVE DEMAIN ? Les sources de tension entre la Ville et l’Eurométropole se multiplient. La fameuse ZFE (Zone à Faible Emission), autrement dit l’interdiction progressive des voitures les plus polluantes dans l’agglomération, fait l’objet de divergences pour les calendriers de mise en œuvre… La VLIO… Et plus globalement, la vision même de l’avenir du territoire. Pia Imbs peut-elle longtemps rester avec des alliés aussi encombrants ? Et si éloignés dans le dessein réservé à un même territoire ? C’est une incertitude supplémentaire qui pèse sur Strasbourg et sa métropole, parmi tant d’autres. S S ACTUAL I TÉ

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S ACT UA L I T É — L E PARTI P RIS DE T HI ERRY JOBARD Thierry Jobard

Nicolas Roses – Soroush Karimi / Unsplash

r o s e m r ? o s N e m r o n s hor Trouver un sujet d’article n’est pas toujours chose aisée et il faut parfois des semaines avant d’arriver à quelque chose de mauvais. Étant de plus pourvu d’une imagination très limitée, je n’étais pas peu fier de ma trouvaille en proposant pour Or Norme un article sur… les normes. out avait commencé l’un de ces matins ensoleillés où l’on se rend, le pas léger et le cœur en joie, à son travail. J’avançais sur le trottoir qui, à quelques mètres devant moi, était à moitié occupé par une fourgonnette de livraison. Un livreur ça livre, c’est normal. Sur la moitié de trottoir restante, deux aveugles avançaient vers moi. Et puis, vite rattrapée, une petite vieille devant moi, avançait d’un train de sénateur. Que d’obstacles sur le chemin d’un honnête travailleur… Et puis j’entendis, juste à ma hauteur quelqu’un parlant bien fort. C’était un homme dans la trentaine, sur son vélo et discutant au téléphone. Au guidon de son engin était attachée la laisse de son chien. Le chien était un SaintBernard. Le tout était sur le trottoir. Je dois dire que dans un premier temps je suis resté interdit. Il semblait évident qu’il y avait bien trop de monde sur ce trottoir. Je précise d’emblée que je n’ai rien contre les livreurs, ni contre les aveugles, ni contre les vieux, et encore moins contre les Saint-Bernard. En revanche, il peut m’arriver d’éprouver une forme d’agacement envers les gougnafiers. Je suggérai alors au dit cycliste, du ton le plus courtois qui se puisse faire, qu’il serait plus judicieux de rouler sur la route,

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« Il y a, dans la négation de sa responsabilité, comme une forme de puérilité » 110

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juste là, à cinquante centimètres à gauche. Que n’avais pas dis-je là ?… Le quidam explosa : « Mais c’est bon quoi ! On en a marre de toutes vos règles, de vos lois, de vos normes ! Laissez-nous vivre bordel ! ». Et oui, le quidam est grossier… À vrai dire, je ne fus pas étonné par sa réaction. J’ai déjà observé à de multiples reprises que nos contemporains ont tendance à réagir avec le même emportement lorsqu’on les prend la main dans le sac ou bien lorsque l’on a l’outrecuidance de leur faire remarquer que leur attitude n’est pas des plus appropriées(1). Il y a là, dans la négation de sa responsabilité, comme une forme de puérilité qui me surprend toujours. Je n’irais pas jusqu’à dire que j’espérais ce genre de comportement mais, toujours le pas léger et toujours le cœur en joie, je me suis dit que l’occasion était trop belle pour ne pas pousser l’expérience plus loin. Avec l’envie de comprendre pourquoi et comment ce qui me semblait à moi une évidence, à savoir que ce cycliste n’avait rien à faire là, n’était pas un constat universel. Me vint à l’esprit cette première phrase du Discours de la méthode de Descartes : « Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée ». Tu parles René… №41 — Juin 2021 — Revivre !


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IL ALLAIT DONC FALLOIR DISCUTER... Je passe sur les arguments faciles que j’aurais eu beau jeu d’avancer : qu’un cycliste n’a pas le droit de rouler sur un trottoir (2), pas plus que de téléphoner à vélo (3) ; que de laisser son chien, même d’une nature placide, attaché à son guidon n’est pas l’idée du siècle. Soit. J’ai de sérieux doutes sur la répartition générale du bon sens mais pour ce qui concerne la mauvaise foi je ne m’inquiète pas, inutile de s’engager dans une impasse. Je suggérai donc qu’il fallait bien qu’il y eut des règles et des normes sinon ça risquait vite de virer au boxon complet. Et je donnais comme exemple le respect des règles de conduite (du genre si le conducteur du gros 4X4 qui vient de passer envoie un sms en roulant et ne te voit pas déboucher ou bien passe au feu orange foncé, le non-respect des règles te paraîtra d’un coup diantrement répréhensible). Ce à quoi mon adversaire répondit en substance qu’il « gérait », autrement dit qu’il ralentissait, contournait, louvoyait, bref s’adaptait. Et surtout que nous étions de plus en plus corsetés par des normes et des règlements qui entravaient par leur inflation constante notre liberté : normes pour construire, normes pour produire, normes pour établir le moindre appel d’offre, le moindre devis, la moindre paperasse. Sans parler de la judiciarisation galopante de notre société qui implique à chaque accident une recherche de responsables et de coupables, un recours automatique aux tribunaux alors que parfois, un bon bourre-pif suffirait à remettre les idées en place. Bref que nous étions en train de nous américaniser en devenant des animaux veules et procéduriers. Certes, il n’a pas tout à fait formulé les choses ainsi mais telle était bien l’idée de fond. Or, même si j’opine au constat général, ce qui m’intéressait c’était avant tout ce qui n’est pas formalisé et qui fait l’objet d’un consensus dans une société. Les lois, comme la plupart des règles sont écrites et officielles, consultables et contraignantes. Fort heureusement notre vie sociale repose sur un certain nombre d’usages, d’habitudes, partagés par tous, ou à peu près, qui, elles, restent du domaine du non-dit et constituent une part de notre culture. Ainsi si vous vous avisez de grappiller des places dans une file d’attente outre-Rhin, vous vous ferez tancer vertement. De ce côté du fleuve, les réactions seront à l’avenant. Il en va de même avec les libertés que

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« Parfois, un bon bourre-pif suffirait à remettre les idées en place. »

prennent certains responsables politiques avec l’argent public chez nous, et qui font l’objet d’une consternation méprisante de la part des démocraties du nord de l’Europe. Ce qui ressortit du vieux problème des rapports entre faits, normes et valeurs. Pour qu’il y ait des normes, il faut qu’il y ait des valeurs partagées et dont l’évidence ne soit pas remise en cause. Qu’un cycliste sur un trottoir soit hors la loi (4) cela passe encore (la preuve tout le monde semble l’accepter), mais qu’il ne reconnaisse pas que c’était à lui de s’écarter plutôt que d’essayer de se faufiler parmi de plus malhabiles que lui c’est autre chose. Il va de soi que c’était par pur égoïsme qu’il entendait poursuivre sa route comme si de rien n’était et qu’il se pensait sans doute disciple de Hume selon qui : « Il n’est pas contraire à la raison de préférer la destruction du monde à une égratignure de mon doigt » (5). Inutile de préciser que si tout le monde obéit à son égoïsme les aveugles ont du souci à se faire. L’une des valeurs fondamentales de nos sociétés est, je le rappelle et bien qu’on puisse pointer de sérieux manquements, la protection des plus fragiles. Les normes sont donc prescriptives. Il y a par exemple des normes de raisonnement qui permettent d’établir une argumentation valide. Dans le cas qui nous

occupe, ce sont surtout des normes pratiques et sociales. S’écarter de ces normes ne fait pas de nous des anormaux en l’occurrence mais peut nous exposer à des sanctions, symboliques ou pas. Et puis les règles, comme des lois, peuvent être arbitraires. Les normes sociales quant à elles sont conventionnelles et inhérentes, elles régulent notre vie commune. Elles nous sont donc à la fois prescrites et constitutives. Et elles se perpétuent par nos pratiques.

NOUS FINIRONS TOUS EN PITANCE DE VERMINE Beaucoup de questions se sont posées au sujet de ces normes. Comment se créentelles ? Préexistent-elles à l’individu ou bien les construit-il ? Sont-elles de pures conventions ou bien répondent-elles à un besoin de la société ? Sachant que les normes varient d’un pays à l’autre, on est amené à penser qu’elles ne sont pas universelles mais particulières. Contrairement aux normes cognitives, qui supposent des contraintes fortes (un résultat doit être juste), les normes sociales laissent une marge de liberté. Elles passent donc souvent inaperçues, elles

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servent à coordonner les actions au sein du corps social. Mais selon une autre interprétation, celle qui postule l’existence d’un agent rationnel, ce sont moins les normes et les valeurs qui guident les actions des individus que les intérêts et les circonstances. En l’espèce, l’intérêt de notre cycliste était de gagner du temps tout en promenant son chien. Mais dans le cadre de cette interprétation, la dimension historique est évacuée, de même que l’éducation qui a inculqué normes et valeurs. Ne subsistent plus que des sujets indépendants, atomes qui se croisent et s‘agrègent en fonction de leurs intérêts du moment. Un peu comme des individus qui se retrouvent sur le Marché, chacun apportant ce qu’il propose et l’échangeant avec un autre, en toute simplicité harmonieuse. La main invisible, vous connaissez cette fable ? Dans le grand livre des Contes à Dormir Debout (CDD) elle est située juste avant la théorie du ruissellement. Quand enfin fût reparti cet impudent cycliste, je me disais en le regardant s’éloigner que nous étions, lui et moi, les deux

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« La main invisible, vous connaissez cette fable ? »

représentants de courants antagonistes et irréconciliables. Lui rapide, labile et affairé ; moi soucieux, prudent et débonnaire. Je reste parfaitement convaincu d’avoir raison. Sans doute que lui aussi. Nos interprétations des normes divergent mais elles ont quand même pour fond les mêmes croyances et les mêmes valeurs. J’ai poursuivi mon chemin, le pas moins léger, en songeant qu’après tout, rouge ou bleu, nous finirons tous en pitance de vermine. S t sa très for couter ace public est ’é d it le fa loi l’esp lon une exemple nt que (1) Par en considéra n. Toujours se es goûts d e lo musiqu xe de son sa que plus on a t é. ne une an sique qui veu lume est élev , y o h v te p u le o la r la de plus ttes et code de de chio le R412-34 du (2) Artic ende de 135€. bourgeois ! s avec am cyclistes stra e 135€. sécu d x e u a ir a is it ou de la Av de forfa boucher le tr n e m A re (3) ois ! a vite le bourge Ah on v us le dis. s stras te s li o c v y aux c moi je u endre a ond avis (4) Sec cela, allez pr anglais. s ès (5) Apr s philosophe le sérieux №41 — Juin 2021 — Revivre !



S ACT UA L I T É — MOI, JA JA… Pink Jaja

Charles Nouar

Moi, Jaja...

, a v e a Greg, M e h c a t s u o M , t i x Pou s e r t u a et les 03h38 du matin. Nuit de dimanche à lundi. Un mois avant parution - parce que corriger, paginer, imprimer, distribuer prend du temps. J’ai promis au faux Corse qu’il aurait ma chronique pour le petit dej. #Pression. « Alors, Jaja, tu nous as prévu quoi pour ta prochaine chronique ? », m’a lancé l’un de mes collègues en conférence de rédaction. Parce que oui, tout pingouin que je suis, je participe désormais aux conférences de rédaction. En amont, Tato m’avait prévenu : « Jaja, tu ne déconnes pas ! Tu prépares tes sujets. Tu ne viens pas sans rien sous l’aile. Compris ? ». Promis ! En somme, ce que m’avait demandé Tato était plutôt simple : poser sur l’écran trois quatre idées de sujets susceptibles d’embarquer l’équipe - fautes d’orthographe comprises, pour ne pas faire trop d’ombre à l’évolution du métier.

LA VIVACITÉ DU LAMANTIN Les sujets : j’en avais préparé quatre : « Un an après : Petit poney rose enfin en selle ? », « La Maison Rouge, nouvelle cible de MeToo ? », « Alain Fontanel : Comment la victoire de Jeanne B. a brisé sa vie

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d’Instagrameur », « Psychologie : Pourquoi les Bleus du Racing ne voient pas la vie en rose ». Long silence, regard insistant de Tato en ma direction à la découverte de mes notes. « Alors Jaja ? », relança le big boss. « En fait, on ne sait pas trop encore », coupa sans ménagement Tato, alors que je m’apprêtais à répondre. Sérieux ?!, fis-je à Tato, outré. « Oui, je crois que c’est mieux », me répondit-il avec la vivacité d’un lamantin. J’eus beau le regarder de mes petits yeux noirs suppliants, rien n’y fit. Tato ne céda pas. Pis, le faux Corse en rajouta une couche : « Et pour les photos, Jaja, essaie cette fois de faire un brin de toilette ! ». Ressentant mon désarroi suite à cette dernière requête, Tato chercha à me réconforter en me promettant qu’à l’occasion de la petite sauterie masquée organisée pour les dix ans du mag, il me serait possible de déguster une coupette de Crémant avec Véro Leblanc, ma bonne fée au sein de la rédaction. Trois semaines plus tard, Tato tint parole. Me re-concentrer, retravailler ma copie, voilà quels furent mes objectifs, la porte de la galerie Aedaen repassée. Mon premier réflexe consista alors à me réinvestir dans le visionnage des chaînes info que j’avais ces derniers temps pris soin de remplacer №41 — Juin 2021 — Revivre !



par Les Marseillais à Dubaï, un programme hautement éducatif associant formation professionnelle, joutes oratoires, et techniques de séduction. Certes, la qualité de l’information n’y était pas plus encouragée que sur CNews ou BFMTV mais à l’attelage Manu-Marine y était préféré celui de Greg et Maeva. Un couple tout autant embarrassant mais bien moins nuisible, à moins qu’ils ne deviennent un jour formateurs au sein de notre futur Institut de Service Public, vrai-faux remplaçant de l’ENA. Vérification faite, les lignes éditoriales de CNews et BFMTV n’avaient guère évolué ces derniers mois. Les mêmes complotistes, populistes et adeptes du Grand Remplacement y officiaient toujours. Passé sur LCI, je nourris quelque espoir d’y trouver une information moins orientée. Mais c’était sans compter l’annonce faite par Philippe Ballard, l’un des présentateurs de la chaîne, qu’il prenait la tête de liste parisienne du RN aux régionales. #Soupire.

L’UNION SACRÉE, MAIS JUSTE ENTRE SOI Sur le plan local, la situation n’était guère plus enviable : l’intérêt journalistique

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des DNA restait immuable et Petit Poney rose se voyait mise au pilori par tous les anciens amis de Millî Görüş. Son courrier, aussi, augmenta, qui lui suggérait, semblet-il, quelques promotions sur certaines essences de bois si elle ne revenait pas à un plus juste positionnement républicain. Heureusement, une fois sa demande de protection fonctionnelle déposée, l’on en revint vite à une forme de concorde politique, date ayant été prise pour une photo de classe jugée opportune dans la stratégie de défense du siège du Parlement à Strasbourg. Dessus, une soixantaine d’élus alsaciens, de gauche comme de droite. L’union sacrée, mais juste entre soi. Nul autre élu français, allemand ou européen. Une photo pour rien ou si peu. Au mieux - ou au pire -, tout un symbole porté par la nouvelle Collectivité européenne d’Alsace, initiatrice du projet. « Quarante ans que nous sommes en dessous de tout », s’est désespéré Tato en découvrant la nouvelle. Quitte à faire nimp’, inviter Jim Bauer à chanter « Tata Yoyo » ou HK à « Danser encore » devant l’hémicycle aurait eu un peu plus de panache. Mais bon : Strasbourg est une ville française. Et en France, quand vous croyez que vous ne pouvez plus creuser, en fait, si, vous pouvez toujours...

« Alain Fontanel : Comment la victoire de Jeanne B. a brisé sa vie d’Instagrameur. »

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« Aussi incroyable que cela puisse paraître, Moustache refit surface : à moitié prix, même ! »

BONS BAISERS DE RUSSIE Heureusement, ma ville d’adoption a, dans ces périodes incertaines, une capacité réelle à décrocher des petites victoires. Pas en foot, bien sûr, mais en matière d’emploi, par exemple, où certains élus se découvrent une vocation en traversant la rue. Pouxit – celui qui s’est fait doubler par Petit Poney Rose dans la dernière ligne droite des municipales -, lui, son truc c’était d’être inspecteur. D’ailleurs, quelque temps en arrière, il s’étaitdéjà affiché en tenue sur sa page Facebook. Ne lui manquait que l’occasion. « Moustache » fut le déclencheur. Moustache, c’est le vélo électrique de Pouxit, « entièrement fabriqué dans les Vosges », dérobé au premier trimestre. Agacé, Pouxit ouvrit donc une enquête sur Internet. Un peu comme Penelope Garcia dans Esprits Criminels, mais juste avec une Box et un PC basic pour matériel. Des jours durant, Pouxit scruta sans relâche

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LeBonCoin. Et bim ! Aussi incroyable que cela puisse paraître, Moustache refit surface : à moitié prix, même ! Avec l’accord de Pouxit, la police prit contact avec l’annonceur. Chauffeur de son état, il les reçut devant une entrée annexe du consulat de Russie, et joignit à la transaction une fausse facture portant le tampon de la Représentation. Moustache identifié par Pouxit, l’homme russe fut interpelé avant de profiter du temps de l’enquête préliminaire pour se réfugier dans son pays d’origine, pour « raisons de santé ». On en regretterait presque que l’épouse de Pouxit ait, au début de la pandémie de Covid-19, quitté son poste de conseillère Santé à l’Elysée pour celui d’ambassadrice de France auprès du Conseil de l’Europe. Cela aurait sans doute pu épargner au receleur de parcourir tant de kilomètres pour être soigné. A défaut, cela nous libèrera-t-il au moins une place en terrasse pour trinquer aux retrouvailles entre Pouxit et Moustache, quand la vie reprendra. S №41 — Juin 2021 — Revivre !



E S O CI É T É — A RÔMES Caroline Paulus

PARFUMS

Jessica Ouellet

Attardez-vous aux détails, capturez l’odeur des fleurs.

CULTIVEZ VOTRE NEZ ! En pleine floraison, le parfum tendre et délicatement poudré du lilas me happe. L’odeur imprimée dans ma mémoire virevolte avec un bouquet de souvenirs. C’est ce qu’on appelle la bibliothèque olfactive, un florilège propre à chacun. Jouons un peu ! Pensez maintenant un fruit très répandu – la banane – sauriez-vous décrire ses arômes ? ne odeur, c’est un ensemble de molécules chimiques volatiles, capté par les récepteurs olfactifs. La star d’Andy Warhol, quant à elle, est majoritairement composée d’acétate isoamyle. Afin d’y accrocher des mots démocratiques, certains imagineront un gâteau. D’autres se remémoreront une collection d’autocollants à gratter. C’est que par manque de vocabulaire, l’émotionnel s’impose. « D’une noblesse [qui] puait du haut jusqu’en bas » (Le Parfum, Patrick Süskind) au mythique N°5, notre perception de l’odorat a radicalement évolué au cours des siècles. L’ultrastimulation de la vue ainsi qu’une meilleure connaissance des aliments comestibles, entre autres, laissent le pif au banc de touche. Entre son caractère jugé primitif, puis nostalgique, le sens de l’odorat peine à exhiber un vocabulaire qui parle.

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E S O CI É T É

ATTARDEZ-VOUS AUX DÉTAILS… Qu’il soit pic, cap ou péninsule, votre nez contribue néanmoins au succès d’un rôti ou d’une tarte au citron. En effet, la sapidité est intimement liée à une saveur et à une odeur. C’est pourquoi la perte de l’odorat (anosmie) est couramment associée à une perte du goût (agueusie). Un duo qui verse une louche d’ennui dans l’assiette des gens atteints. Afin d’imaginer et décrire une odeur, il importe de l’avoir préalablement enregistrée dans sa mémoire. Attardez-vous aux détails ; capturez les effluves de la mer salée, de l’encre fraiche dans un livre neuf, ou d’une framboise, à la fois douce et acidulée. Cultivez votre nez en exerçant un lexique simple, et une gamme d’émotions. Vous serez surpris de constater les petits voyages qui s’y glisseront. Et cette banane ? Elle révèle chez moi un parfum fruité, sucré, légèrement farineux, et végétal. E №41 — Juin 2021 — Revivre !



E S O CI É T É — B IL L ET DE V IN Caroline Paulus

IN V E

TD E L

Jessica Ouellet

ALORS, ON TRINQUE ?

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Le vin est une boisson vivante. Son développement passe par la maturation, le vieillissement, l’apogée, et le déclin. Derrière son caractère anthropomorphique, il accompagne le risotto, la blanquette de veau, et le croque-monsieur, aussi. Au gré de ses envies, le consommateur joue ainsi du tire-bouchon. Puis, il y a ceux qui ne goûteront ni trop tôt ni trop tard : car ils spéculent…

e marché du vin a ses codes, où valsent classements et millésimes. Le premier est brodé par les experts, le deuxième est mené par Dame Nature – accessoirement succédé par un savoir-faire. Par classification, on entend celles qui ont résonné sur le marché mondial, tel que le classement des grands crus Bordelais de 1855 ; une hiérarchisation poussiéreuse, qui continue néanmoins de porter son gage de qualité. Le millésime, quant à lui, impacte la capacité de garde, essentiel pour en faire… un bon placement ! Les bouteilles qui font frétiller les collectionneurs suivent un phénomène où la demande augmente en même temps que le prix (effet de Veblen). C’est qu’à l’instar de la Rolex au poignet, l’Angélus niché dans votre cave ferait de vous un connaisseur.

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UNE BOISSON VIVANTE Revenons-en à la création. Le vin reflète l’amour du vigneron pour son terroir. Découvrir son ouvrage au rang d’élite, c’est flatteur. Mais celui qui fait du vin avec passion le fait aussi pour qu’il soit bu, et partagé dans un tintement de verres – avec une grâce toute relative selon le contexte. Vous comprendrez ainsi que celui qui achète en pariant sur l’ivresse des prix agace l’humain qui pioche sa terre. Le vin est une boisson vivante. Comme prisonnières de l’espace, les variabilités économiques et les tendances évoluent – hâtivement – autour de son étiquette. Les spéculateurs font des affaires, monétisant l’âme de vieux vins au passage. Cette âme, elle se hume et se goûte. Le vin est un bien d’expérience, où l’apogée signe une rencontre à point nommé avec vos papilles. Et à la manière des biens de luxe, le vintage n’est pas éternel. Alors… on trinque ? E

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E S O CI É T É — P ORTRA IT Barbara Romero

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E C A AMBASSADEUR D’ALS

DENIS LEROY, DIRECTEUR DE L’ÉCOMUSÉE D’ALSACE : « ICI, ON SE PIQUE AUX HORMONES D’ALSACE ! » Qui a dit que l’Écomusée était un truc vieillot et poussiéreux ? Dès sa réouverture le 23 juin, place à la nouveauté, avec l’ouverture d’un terrain de jeux sensoriels de deux hectares, l’installation d’une micro-brasserie, et des billets participatifs.

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E S O CI É T É

n prenant les manettes de l’Écomusée d’Alsace il y a deux ans, Denis Leroy ne s’imaginait certainement pas vivre des confinements successifs. Pas de quoi arrêter le directeur prêt à retrousser ses manches pour bichonner et faire vivre ce site assez exceptionnel de 97 hectares, concentré à lui tout seul de ce qui fait l’Alsace. « Nous nous y sommes confinés pendant le premier confinement avec femme et enfant, confie-t-il. On en a profité pour faire des travaux, nettoyer, repeindre. Il est tout beau et on a plein de projets nouveaux ! »

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ALSACE FAN DAY LE 24 JUIN Niché entre forêt et lac, les enfants découvriront dès le 23 juin un espace de jeux de deux hectares éveillant les cinq sens et invitant à communier avec la nature entre jeux d’eau et cueillettes de fruits. « Ce sera un endroit ludique avec un accrobranche accessible à tous, un endroit propice à la redécouverte des sens. L’Écomusée est né sur des terres de sel, il n’y avait rien dans les années 50. Aujourd’hui, c’est un espace de 97 hectares, avec un village de 10 hectares, au milieu d’un écrin de biodiversité. » L’Écomusée reste la preuve vivante, « que quand on gère bien, en bon père de famille, sans pesticides et entièrement à l’huile de coude, la nature repart. » L’Écomusée évolue aussi, en devenant terre d’accueil. « Aujourd’hui, on souhaite mettre en valeur ceux qui savent, ceux qui font, qui partagent nos valeurs, pour qu’ils expriment à l’Écomusée. » Premier invité ? Une micro-brasserie d’Ensisheim qui vient de sortir son premier brassin estampillé « Bière Écomusée d’Alsace ». Une bière à déguster – avec modération – sur les nombreuses aires de pique-nique aménagée dans ce cadre bucolique. Dans le même esprit, Denis Leroy lance des billets participatifs, pour inviter les visiteurs à mettre la main à la pâte. « L’idée, c’est qu’ils puissent vivre le musée et apporter leur pierre à l’édifice. » E №41 — Juin 2021 — Revivre !


Denis Leroy

«QUAND ON GÈRE BIEN, EN BON PÈRE DE FAMILLE, SANS PESTICIDES ET ENTIÈREMENT À L’HUILE DE COUDE, LA NATURE REPART. » uvrir ur déco juin po ir 4 2 le st pris nt en deven salon -vous e e Rendez usée résolum an Day et du e site F c m e r o c c u a s E ls a n r u n de l’A qui se tiend io s a c c o » s à l’ in Elsas « Made vé. u o r tout t lsace, , Ungersheim. sée d’A Écomu du Grosswald Chemin musee.alsace o www.ec

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E S O CI É TÉ

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S ACT UA L I T É — DES S IN DE P RES S E

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K k Ja U T C A ' L

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S ACT UA LI T É

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SPECTACLES FESTIVAL, LIVRES GALERIES, ETC. Petite sélection tout à fait partisane de quelques cadeaux à faire et à se faire (même en juin…), juste façon de ne pas perdre nos très bonnes habitudes culturelles et fuck the virus !

a CULT URE — SÉ LE CT ION La rédaction de Or Norme

Madamicella – Musées de Strasbourg - DR

1KCD RICERCARE

Philippe Mouratoglou Trio rois ans après le très remarqué Univers-Solitude, le nouvel album du trio de Philippe Mouratoglou aux guitares acoustiques avec Bruno Chevillon à la contrebasse et Ramon Lopez à la batterie nous arrive avec dix compositions originales nourries d’influence diverses allant du ricercare, influences une très ancienne forme de musique instrumentale apparue à l’époque de la Renaissance jusqu’à une évocation de The Peacocks, le formidable album studio et Stan Getz, sorti il y a quand même près d’un demi-siècle. C’est forcément un album instrumental brillantissime qu’ont réalisé ces trois musiciens d’une complicité rare. A noter un très beau texte signé Pascal Rozat dans le livret figurant dans le CD, qui permet de mieux souligner la qualité de ce CD qu’on recommande sans réserve… a

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FAR EST

Un premier album de FEU

ien à voir avec l’injonction de tirer. FEU est l’acronyme de Far Est Unlimited, un duo strasbourgeois composé du guitariste et chanteur Stéphane Galeski et du saxophoniste Rémi Psaume. C’est du jazz, incontestablement, mais merveilleusement enrichi de vagues pop, d’ambiances psychadéliques, de boucles et de samples… Entre mondes imaginaires et paysages sonores, on voyage de l’Éthiopie à New York, de l’Algérie à la Californie. « FEU alterne les rythmiques funky, les arabesques sensuelles, les chorus aériens et les hurlements déchirants, et pas une note ne rate sa cible... » écrit très justement Guillaume Kosmicki sur le site du groupe. Sincèrement, cet album est remarquable, un travail de haute volée, un beau coup d’envoi pour Sturm Production qui le co-produit. Far Est Unlimited sera à l’affiche du festival Jazz à la Petite France Trio dont nous parlons dans ces colonnes… u E o l R g RCA rato Deux dates proches pour découvrir FEU : RICE pe Mou e p v i i l le 4 juin au Caveau à Fegersheim et le Phi n fugit Visio € 17 juillet au Festival Jazz à la Petite 14,99 France dont nous parlons dans ces colonnes… a d.eu

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a SÉ LE CT ION

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Osons la fraternité ! Le retour des Sacrées Journées en juin lles vont donner le coup d’envoi du grand retour des événements culturels et c’est évidemment une excellente nouvelle. Du 12 au 20 juin prochain, pas moins de 130 artistes et musiciens venus du monde entier vont envahir les scènes installées dans les lieux de culte les plus divers, temple, église, mosquée, cathédrale, synagogue… pour une 9ème édition de ce festival crée par Jean-Louis Hoffet (lire la chronique sur son autobiographie p. 138) qui se destine à nous faire découvrir, via la musique et la danse, les spiritualités et les cultures de toute la planète. Ici, on fraternise autour du christianisme, de l’islam, du judaïsme, du bouddhisme, de l’hindouisme… Innovation : les Sacrées Journées s’exportent dans le Haut-Rhin pour trois concerts et traversent le Rhin pour une soirée à Kehl. Des entretiens à la librairie Kléber sur des thématiques interreligieuses complètent le programme. Osons la fraternité ! comme nous y invite l’affiche de l’événement. a

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Strasbourg Galeries Tour Faites le tour des galeries strasbourgeoises uite aux différentes annonces et l’annulation de l’édition de mai, Strasbourg Galeries Tour annonce finalement son report et vous donne rendez-vous les 18, 19 et 20 prochains. Après une première édition qui a suscité un grand enthousiasme dans la ville en septembre dernier, Strasbourg Galeries Tour revient pour sa deuxième édition, printanière cette fois. 17 galeries. 17 expositions, 17 regards, et bien plus d’énergie et d’initiatives communes de la part des galeristes pour continuer à faire vivre le secteur de l’art et faire revenir à eux les amateurs d’art contemporain. Strasbourg Galeries Tour a dorénavant vocation à devenir un événement régulier, qui lorsque les conditions le permettront, pourra même évoluer. Une belle vitrine pour ceux qui vivent pour et par la création toute l’année. a our

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Détail des expositions à découvrir sur www.strasbourg-galeries.com et sur leurs réseaux sociaux.

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La première édition de Jazz à la Petite France ar ces temps de disette où depuis plus d’un an, le monde de la culture, considéré en haut lieu comme « non essentiel », s’est figé lors de longs mois mortifères, annoncer la création d’un nouveau festival urbain dédié au jazz est un plaisir inouï. La première édition du festival Jazz à la Petite France se tiendra du 16 au 18 juillet à Strasbourg, place Saint Thomas, dans le quartier Petite France. Le festival Jazz à la Petite France est un événement en plein air et gratuit, accessible à tous les publics. Jazz à la Petite France propose un jazz ouvert sur le monde, déployant des formes et des styles hybrides et métissés, n’oubliant r és su pas ses racines et se projetant dans l’avenir amm , r g o us pr 021 sans entrave. ont u iss let 2 s ser t 18 juil e jazz o ir la e p u e d Jeunes talents, nouveaux groupes ou vo 130) s gro 16, 17 style illet – nze P. s artistes confirmés de Strasbourg et sa O jours, le nt divers , le 17 ju r album e 3 U i a t E m n F e e t région seront mis à l’honneur pour cette prés zz (don r leur pr première, avec une attention particulière du ja nique su chro portée aux femmes musiciennes. a

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Un voyage en Alsace Vladimir Vasak avec Anka Wessang

Le catalogue de l’expo Goethe

’est la réédition bienvenue d’un livre particulier qui regroupe certains des clichés réalisés par Robert Doisneau lors de son retour en Alsace, durant l’été 1945, le premier été de la liberté retrouvée. Deux mois après l’armistice, l’épuration est en cours, les alsaciens règlent leurs comptes. Des villages entiers ont été rayés de la carte et pourtant, le photographe propose une vision où ce contexte politique si lourd est totalement expurgé. Tout se passe comme si Doisneau avait voulu montrer que cette région symbolique était « aussi belle que française » et qu’elle cultivait elle aussi son folklore et un art particulier du bonheur de vivre. Le texte de l’ouvrage, écrit par le journaliste Vladimir Vasak avec le concours de Anka Wessang, directrice du Club de la Presse de Strasbourg se termine par cette simple phrasecouperet : « L’Alsace n’était pas délivrée de ses démons… » a au

e superbe catalogue Goethe à Strasbourg vient de paraître aux Musées de Strasbourg, accompagné de très nombreuses illustrations et de textes approfondis. L’iconographie est de toute beauté. Ce sera la trace d’une exposition qui devait se tenir du 20 novembre 2020 jusqu’au 22 février 2021 à la Galerie Heitz et au Palais des Rohan à Strasbourg. Comme on le sait, rien n’a pu avoir lieu et nous ne la verrons peut-être jamais… Goethe arrive en avril 1770 à Strasbourg. Il vit son premier amour à Sessenheim. Il passe un an ici, une année décisive, L’éveil d’un génie, sous-titre le catalogue. C’est ici qu’il devint lui-même et laissa de côté ses petits poèmes sentimentaux pour les grands poèmes et les grands romans, et le long récit tardif où Strasbourg est évoquée, Poésie et vérité. Ce remarquable catalogue rend hommage à l’auteur des rg sbou ille Souffrances du jeune Werther. a Stra V

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L’Alsace malgré elle

Pasteur et politique

Michel Naudo

Jean-Louis Hoffet

a Collectivité européenne d’Alsace (CEA) a été créée avec les flonflons de circonstance et d’aucuns s’efforcent de la positionner à l’égal de la défunte Région Alsace alors qu’elle n’a dans les faits aucun des pouvoirs dévolus aux autres Régions françaises. De son côté, la Région Grand Est n’a aucun caractère géographique pertinent, aucune cohérence économique notamment, et on ne parle même pas du manque flagrant de synergie historique. Le Grand Est est né sur les décombres d’un référendum alsacien raté en 2013 qui, si le Oui l’avait emporté, aurait garanti le maintien de la Région Alsace dans son périmètre historique. Michel Naudo, qui a passé de nombreuses années au Conseil Économique et social d’Alsace et a participé de près à la campagne référendaire de 2013, brosse un portrait assez juste des circonstances qui ont amené l’Alsace là où elle en est exactement aujourd’hui. On attendait cependant de lui un témoignage circonstancié sur les flagrantes erreurs des partisans du Oui lors de la campagne du référendum de 2013, événement directement à l'origine du sort actuel réservé à notre région. l Attente quelque peu déçue sur ce point, iche lle M e é r l’auteur se cantonnant à une malg ace trop prudente démarche pédae L’Als o Bleu d gogique… a Nau a Nuée

urant toute sa carrière, Jean-Louis Hoffet a conjugué les engagements pastoraux, politiques et culturels : il a été tour à tout journaliste, pasteur de l’Eglise réformée, directeur d’associations qui l’ont mené en Ethiopie, à Genève, à Paris. D’abord élu municipal à Mulhouse puis Munster, il est devenu conseiller régional d’Alsace, puis conseiller alors très proche d’Adrien Zeller. Le dernier tiers du livre est consacré au récit passionnant de douze réalisations qu’il a menées à bien. Du développement de l’Université populaire aux Noélies en passant par Le Mois de l’Autre et le Festival des Sacrée Journées à Strasbourg, toutes illustrent le bel esprit d’ouverture de Jean-Louis Hoffet… Un vrai parcours de vie publié par les Editions La 0 Nuée Bleue dans sa collection ue, 8 litiq et o p t e Figures d’Alsace. a nt teur eme

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Pas ’engag d ans erture offet v d’ou -Louis H leue B Jean a Nuée Ed. L 22 €

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3KLIVRES Le super petit livre des bons mots

La longue nuit de Mr Jour

Hélène Drouard

Collectif

Contre le développement personnel Thierry Jobard

’iconoclaste (et prolifique) auteure strasbourgeoise Hélène Drouard, collectionneuse de traits d’esprit et experte des réparties nous gratifie de cette sélection de 400 bons mots bien mis en pages sur ces livres de mini-format devenus une quasi marque de fabrique chez First Editions. C’est ce qui permet à cette insolente délurée d’affirmer avec un aplomb renversant : « Je vous défie de trouver autant d’esprit au m2 ». Parmi les 320 pages de l’anthologie, la 156 est l’une de nos préférées. « Les hommes sont des femmes comme les autres » nous apprend Groucho Marx. Quant à Oscar Wilde, il affirme : « Si Adam avait été homosexuel, personne ne serait là pour le dire ». Un format idéal pour avoir toujours le livre sur soi : indispensable, au vu de l'époque que nous vivons… a livre etit

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pe r p s Le su ons mot rd a des b ne Drou s Hélè Edition t Firs € 3,99

dité par Gens du Monde, une association qui organise des concours de création et anime des ateliers d’écriture, de photographie, de musique et de lecture à voix haute, ce livre original présente la fine fleur du 13ème concours d’écriture qui s’est clos fin décembre dernier. Parmi ses 272 pages, le texte, brillant, du lauréat 2020 du 1er Grand Prix, un jeune rouennais, Romin Hudak. Son Berceau des limbes est une pure merveille mais il y a d’incroyables pépites à découvrir tout au long du livre, dont ceux de beaucoup de jeunes écrivains. Le tout représente un panorama unique de l’écriture contemporaine… a

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nuit ngue r o l a L r Jou rice de M ctif nour e l l Co pingle à Ed. E 16 €

ous aimez lire « Le parti pris de Thierry Jobard » chaque trimestre dans nos colonnes ? Alors, vous allez adorer le livre que Thierry vient d’écrire. « Contre le développement personnel » décrypte cette mode qui nous enjoint à nous « libérer » de nos croyances qui sont, paraît-il, autant de limites que nous nous fixons plus ou moins consciemment et qui nous empêcheraient de devenir un meilleur individu. Avec son style inimitable (le coup de griffe n’est jamais loin avec ce matou faussement paisible), il démonte noir sur blanc cette idéologie très néolibérale qui se cache derrière ces discours si bienveillants qui ne voudraient que notre bonheur. L’axiome « quand on veut, on peut » ne résiste pas à l’analyse au scalpel de Thierry Jobard qui affirme que « le collectif disparait de l’écran pour ne laisser que des individus responsables de 100% » de ce qui leur arrive. Preuves à l’appui, il dénonce cette supercherie qui colle si bien avec ce vieux monde dont on aimerait tant se nt eme lopp séparer… a déve

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OR CHAM P Par Coco, dessinatrice Philippe Quaisse

« L’attentat du 7 janvier 2015 tourne en boucle dans ma tête. Tout fout le camp en moi mais le dessin résiste… » La dessinatrice de Charlie Hebdo sera aux Bibliothèques idéales samedi 26 juin prochain, avec son livre Dessiner encore (Ed. Les Arènes), le récit graphique bouleversant d’un voyage intérieur, pudique et authentique. Merci à elle d’avoir offert ce dessin à la rubrique Or Champ de notre magazine. a a OR CHAMP

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№41 JUIN 2021 Directeur de la publication  Patrick Adler 1 patrick@adler.fr Directeur de la rédaction Jean-Luc Fournier 2 jlf@ornorme.fr Rédaction Alain Ancian 3 Eleina Angelowski 4 Isabelle Baladine Howald Erika Chelly 6 Amélie Deymier 7 Jean-Luc Fournier 2 Thierry Jobard 8 Véronique Leblanc 9 Aurélien Montinari 10 Charles Nouar 11 Jessica Ouellet 12 Barbara Romero 13 Benjamin Thomas 14 Lisette Gries redaction@ornorme.fr

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Photographie Franck Disegni 15 Sophie Dupressoir 16 Alban Hefti 17 Abdesslam Mirdass 18 Vincent Muller 19 Caroline Paulus 20 Nicolas Rosès 21 Marc Swierkowski 22

Couverture  Photo par Mia Harvey Portraits de l'équipe Illustrations par Paul Lannes www.paul-lannes.com Publicité Valentin Iselin 23 07 67 46 00 90 publicité@ornorme.fr Directrice Projet Lisa Haller 24

Direction Artistique Cercle Studio

Or Norme Strasbourg est une publication éditée par Ornormedias 2 rue de la Nuée Bleue 67000 Strasbourg

Mise en page Izhak Agency

Contact : contact@ornorme.fr

Typographie GT America par Grilli Type Freight Pro par Joshua Darden

Ce numéro de OR NORME a été tiré à 15 000 exemplaires Dépôt légal : à parution N°ISSN : 2272-9461

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Sites web : www.ornorme.fr www.ornormedias.fr №41 — Juin 2021 — Revivre !



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Le Crédit Mutuel, banque coopérative, appartient à ses 8,1 millions de clients-sociétaires.

Crédit photo : Getty Images.

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