ornorme OR NORME STRASBOURG N°11 DÉCEMBRE 2013
L’information autrement
Art et culture
VIENNE
AU PRINTEMPS : L’évènement JR !
UNE BOUFFÉE D’ART
et GisÈle Vienne • Jean No • Samuel Lévy • Alain Moussay • Jean-Baptiste Mersiol • Véronique Duflot • Christophe Fleurov MichÆl Lonsdale • Vladimir Spoutnik • Hélène Péquignet ...
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OURS
Édito « L’art et rien que l’art, nous avons l’art afin de ne pas mourir de la vérité » : il nous semble que cette citation de Nietzsche s’applique assez bien aux temps qui courent. En cette fin d’année 2013, les festivités de noël à Strasbourg parviennent à peine à nous faire oublier la dureté et l’incertitude des temps. On sait que cette crise n’en est pas une. Une crise, c’est quelque chose de plus ou moins long mais passager. Un phénomène qui a un début, un paroxysme et une fin. Ensuite, les niveaux antérieurs retrouvés, on pense à autre chose…
© JR - Triptyque
OR NORME STRASBOURG N°11 EST ÉDITÉ PAR MÉDIAPRESSE STRASBOURG 12, rue de Bouxwiller - 67000 Strasbourg CONTACT : jlf@mediapresse-strasbourg.fr DIRECTEUR DE LA PUBLICATION : Jean-Luc Fournier DIRECTEUR DE LA RÉDACTION : Jean-Luc Fournier - jlf@mediapresse-strasbourg.fr RÉDACTION : Alain Ancian - Erika Chelly - Jean-Luc Fournier Véronique Leblanc - Charles Nouar - Benjamin Thomas MAQUETTE ET MISE EN PAGE : Juleye juleye.graphicdesigner@gmail.com IMPRESSION : AZ IMPRIMERIE - Mulhouse contact@azimprimerie.fr DISTRIBUTION : Impact Media Pub info@impactmediapub.com PUBLICITÉ : Au support TIRAGE : 15 000 exemplaires Tous déposés dans les lieux de passage de l’agglomération ( liste des points de dépôt sur demande ). Dépôt légal : décembre 2013. ISSN : en cours. Retrouvez notre actualité sur Facebook : www.facebook.com/magazine.ornorme.strasbourg
Non, c’est bien plus grave qu’une crise, c’est un changement de monde. Lourd, pesant, générateur d’angoisses et de malheurs, sans doute d’espoirs aussi... Mais ceux-là, on a bien du mal à les discerner dans la morosité ambiante. Pour beaucoup, la situation ressemble à celle qui prévalait dans les années trente : souhaitons qu’ils se trompent… Quelles valeurs ancestrales faut-il donc mobiliser pour passer ce cap inquiétant ? Sur quoi pouvons-nous nous appuyer ? L’Art et la Culture sont peut-être parmi ces valeurs-là. L’Art et la Culture peuvent peut-être fournir des réponses… C’est pourquoi nous avons voulu vous offrir une belle galerie pour notre traditionnel numéro Art et Culture de décembre : artistes en devenir ou plus confirmés, coups de cœur de la rédaction, nouveau lieu de musique à Strasbourg, escapade à Vienne… et on en passe. Nous sommes particulièrement fiers d’avoir interviewé Michæl Lonsdale. Pour les plus jeunes de nos lecteurs, ce comédien est Frère Luc, dans « Des hommes et des Dieux », un des films dont le cinéma français peut être très fier et qui a reçu un fantastique accueil de la part du public. S’il nous rappelle quelques rencontres marquantes de sa carrière, cet immense acteur insiste aussi, à la fin de l’entretien qu’il nous a accordé, sur son travail d’aujourd’hui. Un travail emprunt de l’amour pour celui qui souffre… Car Michæl Lonsdale est aussi un homme de foi. Et peu importe si cette fois est chrétienne. Elle pourrait être musulmane ou bouddhiste, nous l’aurions accueillie dans nos colonnes de la même façon. La foi est un grand mystère pour beaucoup mais quand elle est pratiquée comme cet homme le fait, elle est juste admirable. Pour certains, la foi peut aussi apporter des réponses… Nous souhaitons que vous dégustiez ce numéro avec la même passion que nous avons mise à le fabriquer pour vous. Bonne lecture. Et restez Or Norme… JEAN-LUC FOURNIER
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Sommaire N°11 - DÉCEMBRE 2013
4 RENCONTRE AVEC MICHÆL LONSDALE
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ART ET CULTURE L’AMI GERMAIN - UN NOUVEAU LIEU POUR LE JAZZ À STRASBOURG - HÉLÈNE PÉQUIGNET
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GISÈLE VIENNE
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JEAN-NO
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SAMUEL LÉVY VÉRONIQUE DUFLOT - JR - VLADIMIR SPOUTNIK LES ACTUELLES
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JEAN-BAPTISTE MERSIOL
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ALAIN MOUSSAY
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CHRISTOPHE FLEUROV
VIENNE UNE BOUFFÉE D’ART
RALLYE DE FRANCE ALSACE C’EST TOUTE UNE ÉQUIPE
80 PORTFOLIO : HURLUBERLUE 4
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Michæl
Lonsdale « Mon métier de comédien et la foi m’ont libéré de ma prison intérieure... »
Il nous attend, paisible, au fond d’une brasserie parisienne, entre l’arrière du Dôme des Invalides et l’église SaintFrançois Xavier, tout près de son domicile. Et il ne faut pas longtemps avant que ses yeux clairs pétillent à l’idée de nous parler de sa foi, de son métier et de nombre de souvenirs qui jalonnent la carrière de comédien prolixe (plus de 300 films). Rencontre avec l’extraordinaire interprète de Frère Luc dans le superbe « Des hommes et des Dieux » et qui n’a de cesse de revendiquer sa Foi en l’Esprit-Saint, en l’amour et au pardon...
Entretien réalisé par JEAN-LUC FOURNIER
OR NORME : Strasbourg vous attend ce 10 décembre à la Librairie Kléber où vous allez parler de votre livre “Et ma bouche dira ta louange”, un livre qui révèle vos plus belles prières. Et comme toujours, votre public sera là, en nombre...
Michael Lonsdale : « Ah ! Strasbourg... J’ai un souvenir très drôle, vécu dans votre ville. J’avais été invité à la cathédrale pour parler du tournage du film “Des hommes et des Dieux”. Avant la soirée, je m’étais entretenu longtemps avec l’Archevêque et je me souviens bien qu’il s’était longuement renseigné sur la prononciation de mon prénom. Je lui avais dit qu’il se prononçait à l’américaine... Je me souviens de mon émotion quand je suis entré avec lui dans la cathédrale. 1 200 personnes étaient là, 200 autres n’avaient pu y pénétrer pour raison de sécurité. C’était très impressionnant. Il devait être très ému lui aussi car il m’a présenté en tant que Michael... Jackson, dans un lapsus tout à fait innattendu qui a déclenché un véritable tsunami de rires parmi le public. J’ai rebondi aussitôt en disant dans un grand sourire : “On fera une petite prière pour lui !” Cela a permis de créer d’emblée une très belle ambiance pour cette soirée dont je me souviens tout particulièrement... O.N. : Dans la préface de votre livre de prières, vous dites à quel point vous sentez Dieu proche de vous, au quotidien. Comment cette foi sans concession est-elle née ?
M.L : Mon premier souvenir remonte à l’âge de sept ans où je vivais en Angleterre, avec mes parents. Un livre est tombé sous mes yeux d’enfant : “The life of Jesus”. L’illustration de la couverture a dû me plaire car j’ai pensé que ce Monsieur qui parlait aux enfants était bien sympathique... A l’âge de six mois, la famille a déménagé au Maroc où nous sommes restés dix ans. Nous étions en 1939, pour nous c’était en quelque sorte notre fuite en Egypte (sourire). Un ami de mes parents, un certain Moitessier, qui avait été aviateur, possédait des petites statuettes dans le couloir de son appartement et toutes sortes de figurines religieuses. Et je l’ai entendu dire qu’il voulait se débarrasser de ces “bondieuseries”. Je ne savais bien sûr pas 4
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Des hommes et des Dieux - 2010
ce que voulait dire ce mot. Mais j’ai immédiatement répliqué : “Non, c’est sacré !” Je ne savais pas trop non plus ce que “sacré” voulait dire mais toujours est-il qu’il m’a donné ses figurines. J’avais donc mon premier petit coin de prières avec Sainte-Thérèse de Lisieux, Saint-François d’Assise, ... J’ai aussi le souvenir d’un antiquaire musulman de Fes qui, un soir, s’est mis à parler de Dieu. J’avais dixonze ans et je comprenais. Ce qu’il a dit m’a impressionné. D’autres souvenirs aussi, comme celui d’une amie à Maman qui m’emmenait à la messe chaque dimanche : le parfum de l’encens, la musique... Mais je restais un peu naïf : je me suis longtemps demandé qui était ce Monsieur à qui on disait toujours “Alleluyah !” et où devait aller ce M. Luyah !.. Plus tard, de retour à Paris, je fréquentais l’office chaque dimanche. Et un jour, je me suis levé spontanément pour prononcer quelques mots sur la parole. Je ne me souviens plus quoi exactement, mais ces mots ont été marquants pour beaucoup, on me l’a dit ensuite. Par petites touches, j’ai compris que je voulais devenir comédien car j’adorais le cinéma. J’ai beaucoup fréquenté l’Atelier d’Art Sacré, l’ancien atelier de Delacroix, place Furstenberg. J’ai assisté là à nombre de conférences. Je me posais beaucoup de questions sur la foi et l’art. Le Père Couturier, qui s’occupait de la revue “L’Art Sacré”, un admirable prêtre et érudit, m’a entendu formuler ma quête de quelque chose de vrai, de beau, de pur. Il m’a simplement répondu : “C’est Dieu !”. Et il m’a amené jusqu’au baptême, j’avais alors 22 ans... Je ne comprenais pas tous ses mots de théologien. Cependant, de longues balades au bras de ma marraine, une personne aveugle, très joyeuse et qui riait beaucoup m’ont permis pendant des heures et des heures de me faire raconter la vie du Christ. Une vraie bénédiction que les paroles de cette femme. J’en ai été bien nourri... Puis j’ai continué ma vie de chrétien tout en enchaînant les rôles. Quand j’ai eu 40 ans, j’ai vécu une année très sombre et qui m’a beaucoup meurtri : ma mère, ma marraine, mon oncle ont disparu en quelques mois. Ma douleur devant ces pertes a été terrible. J’avais si mal, j’étais vraiment au ras des paquerettes. Souvent, dans mes prières, je disais : “Seigneur, sauve moi, je n’en peux plus...” Einstein disait : “Le hasard, c’est quand Dieu se manifeste incognito...” Et bien, la réponse à mes prières a été plutôt rapide. Je me suis confié à mon parrain qui m’a indiqué un rassemblement de personnes qui participaient à des groupes de prières. Je me souviens les avoir rencontrées à l’église 6
Saint-François Xavier, tout près d’ici. Elles se sont mises à chanter d’une façon quasi surnaturelle. Ça m’a fait respirer un grand coup... Une jeune femme a pris la parole en expliquant le sens de la prière, ce qui nous fait alors nous sentir mieux. J’ai découvert ainsi l’Esprit-Saint. Plus tard, ces personnes m’ont entraîné à Paray-le-Monial, sous l’impulsion d’un jeune séminariste qui nous parlait d’une semaine de rencontre avec l’art, la musique, la poésie. J’ai vraiment découvert là les gens de la communauté d’Emmanuel, gentils, accueillants, très ouverts sur tout. Ça m’a sauvé ! Plus tard, ce même séminariste a fondé le groupe de prières Magnificat, ouvert aux artistes... O.N. : Ceux qui ont vu le film “India Song” de Marguerite Duras se souviennent immanquablement de vos hurlements interminables... Vous étiez très loin d’être complexé en tournant ce film...
M.L : Et encore... Ce que vous ne savez pas, c’est que cette scène a d’abord été jouée à la radio, avant le cinéma. On a passé tout un après-midi à hurler sans arrêt dans les couloirs de la Maison de la Radio ! On était en plein psychodrame... O.N. : Cette même Marguerite Duras qui disait : “Je ne crois pas en Dieu mais j’en parle tout le temps”...
M.L : Elle avait une prédisposition à l’amour tellement forte. Comme Piaf, par exemple. Il y a des êtres humains qui ne trouve jamais l’amour tant il le cherche désespérément... Yann Andréa a véritablement sauvé Marguerite Duras. J’avais avec elle une complicité de tous les instants, on riait de tout, comme des gosses. Elle me laissait très libre pour jouer. J’entrais dans son monde si facilement...
O.N. : Au sein de cette profession de comédien, de ce milieu ou l’égo est à son comble et où la superficialité est souvent la règle, on imagine que la foi n’est pas particulièrement répandue...
M.L : Détrompez-vous ! Les croyants sont beaucoup plus nombreux que vous ne l’imaginez. Le Père Couturier disait que les artistes sont les témoins de l’invisible. Beaucoup de comédiens sont très croyants : Claude Rich, par exemple. Ou encore Michel Serrault qui avait la foi, je peux en témoigner. Isabelle Huppert, également. Mais peu en parle, c’est vrai... Tous les comédiens aspirent au beau, à l’exceptionnel, au merveilleux... Là, on n’est pas si loin de Dieu. Etre comédien, c’est continuer de jouer comme lorsqu’on était enfant. Et moi, j’ai été un enfant irréductiblement joueur. Mon métier de comédien et la foi m’ont libéré de ma prison intérieure. Notamment le théâtre. Je me souviens d’une de mes professeurs qui m’a sorti de mon inhibition et de ma timidité naturelles et m’a bousculé en me faisant faire quinze fois la tirade de Cyrano, à chaque fois de plus en plus fort... J’ai su me préserver de la célébrité, de l’argent, de tout ça. C’est l’exposition à la foule qui fabrique les idoles. Quand Gérard Philippe jouait au TNP, il était obligé de s’enfuir par une porte dérobée à cause d’une trentaine de gamins surexcitées qui l’attendait à la sortie... O.N. : Ça nous amène directement au succès incroyable qu’a rencontré le film “Des hommes et des Dieux” qui vous a valu le César du meilleur second rôle. Catégorie d’ailleurs absurde pour ce film dont le scénario ne présente pratiquement que des premiers rôles, selon nous...
M.L : Vous savez, nous avons tous été stupéfaits par le succès de ce film. Rendez vous compte : nous avons même eu droit à un supplément de cachet (rire) ! Le film a fait plus de 3 200 000 entrées durant sa carrière dans les salles ! C’est effectivement considérable... (ndlr : le DVD s’est vendu à plus de 100 000 exemplaires dès sa première semaine dans les bacs). O.N. : Sans flagornerie aucune, vous êtes littéralement stupéfiant dans le rôle de Frère Luc. A tel point que l’on peut se demander comment vous êtes parvenu à “habiter” le rôle à ce point...
M.L : Je pense que j’ai compris et ai tenu à faire resurgir le côté facétieux de cet homme et la liberté totale qui était la sienne. Luc n’était pas prêtre, il était un frère convers, c’est à dire qu’il ne s’occupait que des travaux dans le monastère. Il lisait aussi bien Le Canard enchaîné que l’Equipe ou encore Nietzsche ! Il était cet homme-là. Le réalisateur, Xavier Beauvois a également tout compris du personnage. Il m’a demandé d’improviser la scène où je parle de l’amour avec la jeune Algérienne. “Elle te posera simplement des questions” m’a-t-il dit. Cette scène a été tournée en plan-séquence. Deux prises ont suffi... Je ne pense pas avoir trahi la pensée de Luc. Ainsi, à la question de la jeune fille qui voulait savoir si j’avais déjà été
amoureux, j’ai répondu spontanément : oui, deux fois, mais un jour, un amour encore plus grand a surgi... O.N. : Évidemment, et parmi tous les thèmes que ce film aborde, il y a, au centre, celui du sacrifice...
M.L : Oui et le film montre bien l’hésitation qui a été celle de ces hommes : rester ou partir, alors qu’ils savaient tous très bien qu’un danger mortel les cernait. Puis, l’un d’entre eux a dit : “Je n’ai rien d’autre à faire que de m’occuper d’eux”, en parlant des Algériens alentour. Je crois bien que leur décision dépasse de très loin leur seule foi, la seule religion... C’est un acte d’amour envers l’être humain.
Des hommes et des Dieux - 2010
Les artistes sont les témoins de l'invisible
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O.N. : Parlons justement de cette notion de base : l’amour entre les êtres humains. Autour de nous, ici et maintenant, on a quelquefois bien du mal à le discerner cet amour-là...
M.L : Il y a cependant beaucoup de gens dans les monastères. Ils sont sans doute très discrets mais les monastères sont plein de gens qui souhaitent faire une retraite, l’été. Regardez aussi tous ces gens de plus en plus nombreux sur les chemins de Compostelle... En fait, ce qui est insupportable, c’est l’intégrisme. D’où qu’il vienne. Les catholiques intégristes ordonnent leurs propres évèques, ils sont arc-boutés sur une lointaine tradition. Et pourtant, ils oublient une chose : le Christ a toujours tout bousculé dans sa vie ! la vie consiste en permanence à faire face à de nouveaux problèmes et donc à bouger les choses ! O.N. : Alors, j’imagine que la récente élection du pape François a dû vous ravir...
M.L : Oui, je me suis immensément réjoui de son arrivée à la tête de l’Eglise. D’emblée, cet homme est avec les gens. Jean-Paul II, avant lui, avait su prendre ce chemin-là. Son successeur, Benoît XVI était trop orthodoxe et aussi trop âgé pour avoir l’audace nécessaire. Le pape François a une très bonne connaissance des gens modestes et il ne s’est pas trompé en révoquant cet évèque allemand qui vivait dans un luxe ostentatoire. Ce pape commence à faire bouger les choses, doucement car il connaît bien les arcanes conservatrices de la Curie. Je suis pour ma part complètement persuadé qu’il va rester très ferme sur cette voie-là. L’Eglise est faite d’hommes, elle ne peut que bouger, à mon sens. Mais je pense qu’on est gâté avec François : regardez, il n’a pas hésité à se rendre à Lampedusa, un endroit de grand malheur pour la condition humaine. Le pape François est manifestement un homme de terrain... Vous savez, je vais sur mes 83 ans et je reste persuadé que le plus grand défi pour l’humanité est de comprendre qu’il faut sans cesse, en permanence, aider les petits et les pauvres. A l’image du Christ : il fallait qu’il descende au plus bas, au plus fort de la souffrance humaine, pour être tout simplement crédible... O.N. : Une dernière question, relative à votre métier d’acteur. Vous n’avez cessé de jouer, au cinéma, au théâtre... vous avez côtoyé les plus grands réalisateurs ou metteurs en scène depuis quasiment 70 ans. Quels sont les projets qui vous motivent encore ?
M.L : Je reste très actif en allant témoigner de ma foi un peu partout, là où on me le demande. Et puis, je fais des concerts avec des musiciens qui n’ont actuellement pas de travail. Je prépare par exemple “Le cantique des cantiques” avec eux. On l’a joué une fois, dans la salle des pas perdus de la Gare Saint-Lazare. Les clodos étaient bien sûr là. A la fin du premier mouvement, il y a un grand silence. Et là, on a entendu distinctement un clodo s’écrier : “Et merde ! Qu’est-ce que c’est beau !” On va se produire sur la place du Centre Pompidou et aussi dans le métro, à la station Mirosmenil. Ces musiciens-là sont chouettes, vous savez...”
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Le Christ a toujours tout bousculé dans sa vie !
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L’ami
GERMAIN Texte Véronique LEBLANC
Son cabaret, le Barabli - parapluie en dialecte - est devenu l’emblème de l’authenticité alsacienne de 1946 à 1992. Parti en politique dans un défi « à la Coluche », il a été adjoint à la culture de Strasbourg entre 1957 et 1989 et reste une des personnalités locales les plus présentes dans la mémoire collective. Honneur à Germain Muller à l’approche des 20 ans de sa disparition. 10
Christian Hahn raconte Germain Muller Animateur-producteur pour la télévision mais aussi comédien, chanteur et metteur en scène, Christian Hahn est un homme de spectacle nourri dès le berceau de la verve du Barabli. Il se souvient de Germain Muller qui fut « essentiel dans sa vie ». « La revue du Barabli était chaque année LA sortie rituelle de mes parents », raconte Christian Hahn en évoquant son enfance à Soultz-sous-Forêts. Et lorsqu’en 1966, les disques des spectacles de Germain Muller arrivent dans la maison familiale pour Noël, il se met à les écouter en boucle au point qu’en 1972, quand il décide de monter un spectacle avec une bande copains, c’est toute cette matière mémorisée au fil du temps qui s’impose à lui. Il va monter son Barabli à lui. Et là, surprise, Germain Muller vient les voir en compagnie de son épouse Dinah Faust. De cette rencontre naîtra un engagement deux ans plus tard, lorsque sera filmée l’adaptation télévisuelle de la pièce « Enfin, redde m’r nim devun » qui raconte l’histoire d’une famille alsacienne du début de la guerre jusqu’à la Noël 1944.
« Une phrase - une minute de silence - une phrase » « Charles, un des personnages, avait 15 ans et j’en avais 17, je faisais l’affaire », se souvient Christian Hahn qui a menacé ses parents de quitter la maison pour obtenir l’autorisation de participer à l’aventure. Lui est restée en mémoire sa première visite dans l’appartement de Germain Muller installé chez sa mère, rue Ehrmann à Strasbourg. « Il dictait ses textes à une secrétaire dans le séjour, j’étais dans le salon et je les voyais par la porte vitrée. Le rythme était extrêmement régulier : une phrase - une minute de silence - une phrase et ainsi de suite jusqu’à ce qu’il réalise que j’étais là. Aussi chaleureux qu’il pouvait être redoutable et impatient en répétition, ce grand amateur de gadgets m’a alors donné... trois calculettes pour m’occuper en l’attendant. » Ensuite ils ont lu ensemble les parties de texte qui concernaient le comédien en herbe qu’il était. « Un moment bouleversant ». Les répétitions ont suivi avec Dinah, Christiane Charel qui jouait la soeur de Charles et le mythique Robert Breysach, « comique » de la troupe du Barabli, très connu dans les années 50-60 pour ses « Désiré Sketches ». « Il avait pour lui le talent, le travail et cette dimension supplémentaire qui faisait que dès qu’il entrait en scène les gens étaient sous le charme... Dans la vie par contre c’était un personnage très taciturne. »
Radio et télévision « Placé sous l’aile de Germain, j’ai été vite intégré dans cette équipe de gens parfois âgés », poursuit Christian Hahn qui se souvient aussi de la « pression énorme » entourant un tournage où il fallait filmer toutes les scènes d’une traite et les recommencer dès le début si quelqu’un se trompait, car les frais de montage étaient trop coûteux. Une fois le film mis en boîte, Christian Hahn est reparti « monter ses spectacles avec ses amis en refusant d’intégrer la troupe du Barabli ». « Dans la légèreté des années 70 on était un peu inconscients... » commente-t-il aujourd’hui. Ce n’est qu’en 1980, lorsque la pièce est reprise pour la scène qu’il obtempère avant de reprendre la clé des champs et de revenir en 1986 pour remplacer un comédien à trois semaines de la première. Entretemps, cependant, précise-til, « j’avais beaucoup travaillé avec Germain et sa femme à la radio où j’avais été engagé comme présentateur français-alsacien-allemand. Je mettais notamment en ondes l’émission de Dinah et j’allais chez eux tous les mois. » Autre aventure commune qui réclamait-elle des réunions hebdomadaires, la télévision où furent diffusés en 1982 et 1983, deux feuilletons écrits par Germain Muller. On tournait toute la journée du samedi, une série le matin, l’autre l’après-midi en dégageant le studio le temps des infos de la mi-journée. « Germain était extraordinairement efficace. Il savait trancher. Pour
moi ça a été très formateur de l’observer. » Parallèlement, Germain Muller écrivait une grande émission trimestrielle pour la télé le dimanche soir, « D’Mehlkischt », sorte de café théâtre dont le nom faisait allusion au bistrot dans lequel se réunissaient les artistes du début du siècle. « S’y retrouvaient des talents très divers et des personnalités alsaciennes dans un joyeux mélange relié par des saynètes écrites spécialement et des sketches du Barabli, raconte Christian Hahn. J’y jouais le « patron » du lieu qui gérait tout avec sa compagne et son beau-frère. Tout était scénarisé à l’américaine dans ce show rappelant les soirées de Carpentier sur la Une. 40 % de part d’audience le dimanche soir à 20 h 30 ! Cela m’a permis de toucher le grand public en une ou deux saisons ».
Le regard d’un gamin qui retrouve un trésor perdu De ces années-là, Christian garde le souvenir du couple explosif Germain Muller-Dinah Faust, de l’exigence de celle-ci avec laquelle il a gardé des contacts et lorsque l’on évoque le décès de son maître en théâtre, le 10 octobre 1994, il se souvient que « Germain avait très mal vécu son échec aux municipales de 1989. Il ne voulait plus se représenter car il avait déjà eu une attaque mais un sondage commandé par Marcel Rudlof l’a désigné comme « figure la plus populaire à Strasbourg » alors il a finalement accepté ». L’échec est apparu comme un revers personnel à cet homme qui siégeait au Conseil municipal depuis 1957 sous l’égide de Pierre Pfimlin. « C’est dans ces années-là qu’on s’est le plus vus lui et moi ainsi que Cathy Bernacker, autre figure du Barabli. Tout ça l’a beaucoup atteint... Au soir de sa vie, il aimait qu’on lui remémore ses sketches et son regard ressemblait alors à celui d’un gamin qui retrouve un trésor perdu. »
Un vrai auteur dramatique Germain Muller a été essentiel dans la vie de Christian Hahn, « de façon directe et indirecte ». « D’avoir si vite connu ses textes, de me les être appropriés m’a permis de comprendre comment fonctionnait son écriture. C’était un vrai auteur dramatique. » Aujourd’hui dit-il, l’esprit satirique du Barabli se retrouve dans les spectacles des Scouts mais ils ne sont pas ancrés dans la défense de l’alsacien consubstantielle au travail de Germain Muller. Quant à La Choucrouterie, elle est « assez proche » de l’esprit de son grand aîné mais « ce n’est pas la même machine ». Le Barabli comptait 38 comédiens professionnels et chacune de ses revues était jouée au moins 85 fois dans une salle de 490 places. « À Mulhouse, Colmar, on remplissait les théâtres municipaux pendant une semaine », se souvient Christian Hahn.
Germain Muller tel un lord dans les souvenirs de Simone Morgenthaler Journaliste et écrivain, Simone Morgenthaler a rencontré Germain Muller à l’époque où, poussé par Harry Lapp, il écrivait une nouvelle revue. Il avait cependant fait ses adieux à la scène en 1988, à l’issue des représentations de celle du Bimillénaire, « Strossburi un ke En ». « J’ai rencontré Germain Muller le 11 décembre 1991, raconte Simone Morgenthaler dans son livre de souvenirs « Ces années-là »
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paru aux Éditions de « La Nuée bleue ». Il nous a reçu en « veste coin de feu », comme un lord en son appartement très cosy. Il disait qu’il avait écrit durant la nuit et qu’il était plutôt content, le sketch lui semblait bon... ». Ce sketch sera joué par Cathy Bernecker, Yvette Stahl et Jean-Pierre Schlagg. Celui-ci campait un chef de gare éberlué d’accueillir sur le quai deux Parisiennes échouées là pour découvrir « Strasbourg, capitale de Noël » et fonctionna à merveille. « Le public se tenait le ventre, raconte Simone, pendant que Jean-Pierre Shlagg répétait : « Mensch sin dis Katze » (bon sang, quelles nanas canons !) ». Heureux d’écrire à nouveau, Germain Muller était souriant, il donnait l’impression de sortir de convalescence et au moment où Simone a pris congé, il lui a dit « Mache eso widdersch » (continuez ainsi). « C’était doux d’avoir son assentiment », se souvient-elle. La revue, intitulée « Amer de Seidel », eut un grand succès. Ce fut la dernière. Un malaise frappa Germain sur scène, le soir du 5 février 1992 à Colmar. La saison se termina sans lui. Il mourut le 15 octobre 1994.
Une Année Germain Muller Pour commémorer l’auteur dramatique, acteur et homme politique qui aurait eu 90 ans le 13 juillet 2013, la Ville de Strasbourg a lancé une année Germain Muller qui s’achèvera en octobre prochain, date des 20 ans de sa disparition. Un comité artistique rassemble autour de Dinah Faust, présidente d’honneur, Patrice Muller, fils de Dinah et Germain, Daniel Payot, adjoint au maire en charge de la culture, Jean-Pierre Schlagg et Christian Hahn qui firent partie de la troupe du Barabli, Roger Siffer de la Choucrouterie ainsi que Lionel Heinrich, spécialiste de l’oeuvre et Marie-Louise Schneider, ancienne conservatrice du Musée Alsacien. Trois axes soustendront cette commémoration : le spectacle vivant en lien avec divers partenaires dont l’association « Le Cactus » qui mobilise les troupes amateurs en Alsace ; les arts visuels et numériques par le biais d’un parcours visuel et sonore qui devrait faire vivre l’esprit de Germain Muller dans tout l’espace urbain, tram compris ; l’histoire et la politique grâce à un colloque mais aussi par le biais d’expositions et de projections de films en lien avec les musées, les archives municipales et France 3.
Heureuse toute nouvelle grand-mère de jumeaux - Fanni et Marci - nés à Budapest, Simone Morgenthaler poursuit sa vie d'écrivain et finalise un projet qui éclora au printemps prochain. Elle en parlera au moment de la parution de l'ouvrage... Pour l'heure, elle savoure l'édition de son livre « Au Jardin de ma mère » chez une éditrice berlinoise, Brigitte Ebersbach. « Im Garten meiner Mutter» est diffusé en Allemagne, en Autriche ainsi qu'en Suisse alémanique et l'auteur se dit « bouleversée de vivre la diffusion de ce texte d'amour pour sa mère au delà de l'Alsace. » Alsace où vient de revenir sa fille artiste Lucille Uhlrich installée désormais dans la maison de sa grand-mère à Hagen. Cette jeune femme à laquelle Or Norme avait consacré un article dans son édition de l'été dernier vient d'être contactée par une galerie newyorkaise et devrait bientôt exposer outre-Atlantique.
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COMMENTAIRE Cette Alsace qu’on aime Cette année de commémo Germain Muller fut pour la rédaction de Or Norme Strasbourg une superbe occasion de se remémorer les souvenirs des acteurs encore vivants du Barabli et de retrouver ici ou là la verve de Germain Muller et son sens aigu de la dérision. Souvent, nous avons pensé que Germain Muller aurait fait un carton avec ce XXIème siècle délirant dont nous sommes aujourd’hui les acteurs. La remarque vaut aussi pour Coluche et Desproges que la grande faucheuse a emportés bien trop tôt et qui nous manquent tant. Tous nous auraient sans doute rendus l’époque moins insupportable. En outre, ils auraient lutté comme des déments contre les diktats d’aujourd’hui, en tout premier lieu contre ce politiquement correct qui cadenasse le rire et la dérision, bien plus efficacement que la pire des censures. On les imagine se délectant des turpitudes des « maîtres à penser » de 2013 et leurs petits marquis aux ordres… On les imagine brocardant les égos gigantesques de ceux qui n’ont trouvé que les Facebook et autres Tweeter pour exister coûte que coûte ou les éléments de langage dont nous abreuvent les services de com les plus divers. Oui, on les imagine bien débusquant systématiquement toutes les impostures… Il y a maintenant plusieurs décennies de cela, le cabaret alsacien de Germain Muller ne laissait rien passer. Le public local, pourtant réputé si conservateur, s’en délectait et le bouche-à-oreille était de loin le plan de com le plus efficace pour drainer les foules. C’était du talent et encore du talent… Cette Alsace qui sait si bien se moquer d’elle-même, c’est l’Alsace qu’on aime. La tradition se perpétue du côté de la Krut avec Roger Siffer et de Schiltigheim avec la revue des Scouts. C’est parfait les amis, ne changez rien ! Jean-Luc Fournier
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Texte Charles NOUAR Photos Mathieu Schoenahl
enfin un lieu dédié au jazz
à Strasbourg ?
Un festival installé sur la scène internationale, une déclinaison berlinoise et bientôt une péniche-club amarrée à la Cité de la Danse et de la Musique, Jazzdor n’en finit plus de grandir et de séduire, pour la plus grande satisfaction des amateurs du genre. 14
« En juin dernier à Berlin nous avons vécu un évènement musical unique avec le duo de Joëlle Léandre et Vincent Courtois », confie Philippe Ochem, directeur de Jazzdor. « Vous savez, ce genre de moment où on ne sait plus qui joue et qui écoute, un moment suspendu en dehors du temps. On aurait pu presque voler tellement la musique circulait naturellement, transperçait chacun jusqu’à laisser inerte et rassasié et que de retour chez soi la musique reste en tête, berce, accompagne la nuit à venir. Ce genre de moment ne se produit pas à chaque fois, ce serait trop. Mais il se produit souvent ». Ce « souvent », Ochem ne cesse de le construire et de le mettre en musique année après année. 28 ans déjà que Jazzdor joue une étonnante partition depuis Strasbourg, cette ville qui, depuis la fermeture de ses clubs de jazz comme feu le Funambule, peinerait à conserver trace de ce genre musical s’il n’y avait eu
Jazzdor et, parallèlement, les programmations jazz de Pôle Sud et du Cheval Blanc. Combien de fois d’ailleurs, les amateurs du genre ne se sont-ils pas tournés - par défaut – vers la Suisse ou l’Allemagne en attendant des jours meilleurs en matière de clubs dédiés.
Philippe Ochem
Des projets En chiffres, près de 6000 spectateurs cette année, rien que sur l’édition locale. « Rien que », car Jazzdor, s’il a su faire le lien avec Offenbourg s’est également exporté jusqu’à Berlin depuis 2007 où celui-ci propose une plate-forme unique pour le jazz français et de nombreuses créations francoallemandes. Une exigence artistique essentielle pour Ochem, se refusant à n’accompagner que des artistes mondialement établis. Entre autres projets d'Or, donc, le Big Nowhere, coproduit avec Pôle Sud, du clarinettiste Jeanlouis Marchand et du slameur d’Art District Eli Finberg. Mais aussi celui de la saxophoniste Alexandra Grimal ou ce prometteur octet fédéré par la flûtiste new yorkaise Nicole Mitchell et le joueur de Kora Ballaké Sissoko, construit entre Paris, Strasbourg et Chicago, aux côtés notamment de la Fondation Royaumont, du Quai Branly et de la Filature de Mulhouse, et dont le résultat sera présenté à Strasbourg début 2015.
Enfin un lieu dédié au jazz à Strasbourg ? Mais le plus grand projet à venir, est sans doute ce nouveau lieu qu’espère voir ouvrir Ochem à l’horizon 2016-2017 sur les bords des Fronts de Neudorf : un « véritable » club de jazz, cette fois, sur une péniche amarrée aux quais de la Cité de la Musique et de la Danse. Un « lieu convivial », ou se produiront tout au long de l’année des artistes labellisés Jazzdor et qui servira aussi de laboratoire musical et de lieu de résidence artistique. Un projet à la hauteur de cette philosophie portée par le directeur de Jazzdor: « ni radicales ni consensuelles, les musiques que nous faisons entendre sont vivantes et engagées ». De quoi conforter un peu plus Strasbourg dans son identité « jazzistique » et de « montrer que la ville que nous aimons est l’une des capitales européennes du jazz au quotidien ». Un point qui n’a d’ailleurs pas manqué d'échapper au ministère de la Culture qui a cette année même attribué à Jazzdor, le label SMAc (scène de musiques actuelles) Jazz à vocation internationale. 15
Texte Véronique LEBLANC
Hélène Péquignet au quotidien des partitions Toujours violoniste, Hélène Péquignet joue « de son côté » dans différentes formations, notamment au sein de Vol'Ut à Obernai, mais au quotidien, elle est bibliothécaire à l'Orchestre philarmonique de Strasbourg. Son royaume est celui des partitions sans lesquelles aucun concert ne pourrait voir le jour. Art de l'instant par excellence, la musique semble naître des instruments, libérée par le talent des musiciens. On sait les longues heures de répétition que réclame le concert - même si on les oublie pour ne plus être qu'écoute - mais on ne pense jamais que ces partitions sur lesquelles tout se fonde font elles aussi l'objet de soins et de préparation. Bibliothécaire à l'Orchestre philarmonique de Strasbourg (OPS) depuis trois ans et demi, Hélène Péquignet vit au quotidien avec ces feuillets à nuls autres pareils, couverts de notes de musique et de ces annotations qu'il lui revient d'ajouter à chaque concert et pour chaque famille d'instruments.
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Hélène Péquignet
Au coeur de la musique « en train de se mettre en place » Diplômée de Conservatoire, elle a enseigné le violon dans plusieurs écoles de musique alsaciennes avant d'apprendre que Steve Détaille alors bibliothécaire mais aujourd'hui régisseur général de l'OPS avait besoin d'être secondé. Leur bonne entente lui a permis de se former à ce métier si particulier pendant trois-quatre ans avant d'être engagée à ce poste. Aujourd'hui elle ne regrette rien. « Je vis au coeur de l'excellent orchestre qui me fascinait lorsque j'étais étudiante, dit-elle, mon travail lui est essentiel et puis, mon bureau étant attenant à la salle de répétition, j'entends presque en permanence la musique en train de se mettre en place et c'est magnifique. » Et justement, en quoi consiste son travail ? « Il s'agit tout d'abord de trouver les partitions de chaque concert en contactant les différents éditeurs, de les vérifier et ensuite d'y reporter les réglages spécifiques que réclame le chef d'orchestre. » C'est ainsi qu'elle note les coups d'archet - tirés ou poussés - pour les instruments à cordes ou d'autres indications spécifiques à tel ou tel autre instrument.
La « bonne fée des musiciens » ? Hélène doit être là lors de répétitions pour trouver illico une solution « en cas de problème » comme lorsqu'un clarinettiste s'est un jour retrouvé sans la dernière page de sa partition. « Cela a été réglé dans la demi heure, l'éditeur m'a envoyé un scan » raconte-t-elle en évoquant par ailleurs « la grande solidarité entre bibliothèques d'orchestre » nécessaire lorsqu'il faut dénicher l'éditeur qui possède certaines pièces très peu jouées. Quant aux chefs d'orchestre, elle reconnaît que certains l'impressionnent surtout à cause de la réputation d'exigence qui les précède mais elle « touche du bois », jusqu'à présent tout s'est toujours bien passé. Est-elle la « bonne fée des musiciens » ? « Ça je ne sais pas, mais pourquoi pas ! J'essaie en tout cas d'être la plus réactive possible, de leur préparer les partitions dans les temps afin qu'ils puissent travailler bien à l'avance et de reporter les réglages de répétition le plus rapidement possible. »
Magie intacte des concerts Tous sont passionnés et c'est ce qui fait aussi qu'elle ne regrette pas d'avoir changé de métier même si certaines périodes sont « difficiles » quand on est seule pour tout gérer. « Le concert de Nouvel an est très lourd, précise-t-elle notamment, parce qu'il rassemble beaucoup d'extraits. » La magie d'un concert reste-t-elle intacte lorsque l'on a mis autant d'efforts à en accompagner la genèse ? « Bien sûr, répond Hélène. Lorsqu'il s'agit d'une oeuvre que je ne connais pas, je ne la découvre vraiment que lors du concert même si j'en ai entendu bien des bribes... Et lorsqu'il s'agit d'une oeuvre connue, le miracle est aussi au rendez-vous. Parfois c'est le chef d'orchestre qui sublime une pièce, parfois c'est un soliste extraordinaire qui me fait redécouvrir un concert entendu maintes et maintes fois. À chaque fois j'oublie le travail ». 17
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Incandescente
Gisèle Vienne
Texte Véronique LEBLANC
Plasticienne de la scène à la lisière de différentes pratiques, la chorégraphe franco-autrichienne Gisèle Vienne occupe une place unique dans le spectacle vivant. Elle revient à Strasbourg avec « The Pyre », spectacle des confins sur lequel plane une ambiance de thriller psychologique. À ne pas manquer.
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Chorégraphe/metteur en scène, marionnettiste et plasticienne, Gisèle Vienne est une artiste foisonnante dont la renommée n'a pas attendu le nombre des années pour s'imposer. De Strasbourg, cette jeune femme de 37 ans vante « le dynamisme des structures (TJP, Maillon et Pôle Sud notamment, salles qui l'ont accueillie pour un « Focus » la saison dernière) ainsi que la grande pertinence artistique ». « Ma compagnie va devenir strasbourgeoise, c'est dire si mon rapport avec cette ville est excellent! » Excellent au point d'y revenir dès le début de 2014 puisque les 16 et 17 janvier, Le Maillon, en partenariat avec Pôle Sud, présentera son nouvel Opus intitulé « The Pyre » (« Le Bûcher »). Un spectacle vertigineux de 70 minutes où l'artiste explorera un rapport aux mots entamé en 2004 au travers de sa collaboration avec l'écrivain américain Dennis Cooper. Danse et mots, l'articulation ne va pas de soi mais elle s'éclaire à discuter avec Gisèle Vienne. « Le texte est présent dans chacun de mes projets, explique-t-elle, de manière plus ou moins audible ou perceptible. « Jerk » était par exemple une pièce « bavarde » , alors que « The Pyre » semble « muette ». Elle exprime l’impossibilité de formuler certaines choses pour soi-même et donc de les exprimer, de même que la nécessité pour ces deux personnages mis en scène d’échapper au contexte dans lequel ils vivent, dans ce cas la narration et le roman qui nous est donné à lire. La narration et la parole sont donc des moteurs qui animent cette pièce, malgré leur absence apparente. »
Un foyer hypnotique où s'embrase la danseuse Tension passionnante... Tout comme l'est celle qui irrigue la performance de la danseuse. « Anja Röttgerkamp réalise une prouesse technique extraordinaire, précise Gisèle Vienne. Elle passe d'une image « papier glacé », désincarnée, à un corps très vibrant (physiquement et psychologiquement) avant de s'effacer pour disparaître ». On est là dans le mouvement d'une hallucination vertigineuse dont l'acuité s'appuie sur la musique atmosphérique de KTL (Stephen O’Malley et Peter Rehberg) ainsi que sur une scénographie inspirée d'art cinétique. 25 000 leds éclairent ce tunnel en des jeux optiques où s'embrase l'artiste. Foyer hypnotique qui donne son titre au spectacle, « ce bucher n'est pas celui d'une sorcière, précise la chorégraphe. Il renvoie à quelque chose d'archaïque qui tient à certains rites funéraires ». Pièce sur le deuil, sur la difficulté de dire, « The Pyre » est, de son point de vue, le plus violent de ses spectacles. Étonnant lorsque l'on se souvient notamment que « Jerk » s'attachait au monologue carcéral d'un serial killer texan des années 1970... « C’est vrai que ce spectacle parlait de l’horreur en continu mais cette horreur si extravagante est plus étrangère à la plupart des spectateurs. « The Pyre » est plus proche de nous. Il s’articule autour de ce que George Bataille appelait « La Part maudite » et la notion de dépense improductive qu’il développe dans cet essai. La pièce évoque une sensibilité très contemporaine où la surabondance de lumière correspond cette dépense extrême d’énergie, et le montage très serré de la chorégraphie et de la partition lumineuse rappelle de ce que nous voyons aujourd’hui dans la publicité, les dessins animés, les clips vidéo... C’est frénétique, excitant, stimulant mais violent parce c’est au bord du vide que nous nous retrouvons, au bord de nos propres gouffres ».
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JEAN-NO « Fabriquer une collection. Comme un grand couturier... » Texte Jean-Luc FOURNIER Photos Médiapresse Strasbourg - DR
Une belle tignasse poivre sel et un bouc pointu, l’allure ultra-relax dans un vieux jean et une veste kaki : manifestement, Jean-No a mieux à faire que de dévorer les magazines de mode masculine. Son atelier est à Avrainville, près de Toul. Et pour le découvrir là, il a fallu que Delphine Courtay de l’Agence des Artistes (lire Or Norme n°10) nous persuade du talent de son poulain et commence à l’exposer à Strasbourg. Un court voyage, mais qui valait le coup…
La liberté d’agir et de décider Il travaillait dans l’architecture de paysages mais il savait depuis toujours que l’art était sa passion. Un petit détour par le dessin puis il a pris tous les risques pour devenir sculpteur sur métal. Et il s’éclate ! Un artiste comme on les aime : sensible, généreux, audacieux… Et talentueux en diable. 22
« Un mur blanc dans l’enfance et je dessinais… ». Juste ces quelques mots pour nous convaincre qu’il a depuis longtemps la passion de l’art. « J’ai longtemps hésité avant de me lancer mais la passion était trop dévorante. Alors, j’ai plongé en 2004 et, après une année à faire de grands portraits en noir et blanc, largement inspirés de mes voyages en Afrique notamment, je suis passé à la 3D (rires), je suis devenu sculpteur sur métal. J’ai toujours adoré les défis, tout ce qui était monumental en fait, à l’image de mes voyages il y a vingt ans, sur les traces des pionniers du Paris-Dakar, deux décennies après eux. Juste pour vivre avec les
touaregs, juste pour parvenir à vivre ce que l’on ne peut plus vivre ici… Et pour côtoyer l’Autre au plus près. Voyager légèrement, rencontrer des gens, vivre avec eux. J’ai passé par exemple cinq semaines avec les Dogons et j’ai travaillé avec les artistes de làbas. Quel luxe ! Aujourd’hui, mon havre de paix est l’île de la Dominique, entre la Guadeloupe et la Martinique, l’endroit où je me ressource. La liberté d’agir et de décider. C’était mon credo et ça n’a pas changé. C’est le fruit le plus précieux que j’aie jamais récolté !... ».
Sculpteur dans l’âme
industrielle de ma région » nous apprend-il. « J’ai rendez-vous demain avec un très important industriel qui souhaite que j’érige trois « totems » près de l’emplacement de son site qui va être détruit. J’aimerais tant pouvoir signer avec lui. Je suis né au cœur de cette région industrielle. Je pourrai ainsi lui rendre hommage. » (Cette interview a été réalisée fin octobre. Depuis, le contrat a été effectivement signé et Jean-No se régale d’avance de réaliser les trois œuvres monumentales qu’il a imaginées –ndlr).
Et demain ? À 42 ans, ce sculpteur exceptionnel a tout l’avenir devant lui. Pour autant, il ne s’enflamme pas et reste les pieds bien rivés au sol. Son rêve : « Avoir un an devant moi pour réaliser les pièces qui me plaisent, un an de pure création afin d’exposer des œuvres encore plus monumentales. Avoir tout ce temps devant moi pour fabriquer une collection, comme un grand couturier… ». À Avrainville, la maison de famille jouxte l’atelier. Lætitia, sa compagne, y abrite elle aussi son atelier (elle est costumière). Jules, 11 ans, et Salomé, 13 ans, vivent avec leurs deux parents artistes. Il y a des mômes qui sont nés sous une bonne étoile…
« En 2000, j’ai eu un coup de cœur pour une œuvre de César, « La Chauve Souris » au musée des beaux Arts de Nancy. Son travail m’a réellement bluffé ! Alors, j’ai appris à souder, tout simplement et j’ai réalisé un personnage de 4 m de haut pour les portes ouvertes d’une MJC. Les gens y ont vu un contrebassiste… J’aime tailler les pierres pour mon plaisir mais avec l’acier, tu assembles et ça, c’est tout à fait différent et bien plus prenant… ». Et Jean-No de nous balader dans son utilitaire jusqu’à un site industriel voisin appartenant au groupe Derichebourg, spécialisé dans la récupération. Le PDG du groupe est tombé amoureux de son travail et lui autorise l’accès à une abondante matière première qui, pour lui, est gratuite. « Regarde » nous dit-il « c’est un trésor… ». Et effectivement, dans les bennes de récupération, il y a des milliers de boulons et de pièces mécaniques diverses et variées. Là où un récupérateur ne verrait que de la ferraille à revendre, Jean-No, lui, imagine déjà tout le potentiel de ces pièces quand il les aura rassemblées et soudées entre elles avec minutie. Un quasi travail d’horloger, un travail… d’artiste. « Viens, je vais te montrer quelque chose… ». Et dans un hall voisin, sur une solide table d’acier, trône un bison de 800 kg dont le « pelage », composé de milliers de petites pièces d’acier vernies, luit sous l’éclairage du lieu. « Il est en partance pour les États-Unis » nous apprend Jean-No. « À son arrivée, il sera exposé dans une succursale du groupe. J’ai un deal avec eux, j’arrive, je me sers et je repars. Cool, non ? ». Et Jean-No sourit, tout heureux… La prochaine étape est pour son atelier. Là, on découvre un équipement de première qualité : grosses bonbonnes de gaz, becs à souder de différentes dimensions, masques protecteurs… « Mon prochain projet est de rendre hommage à la tradition
Sphère cassée
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SAMUEL LÉVY « J’attends que la roue tourne… » Texte Jean-Luc FOURNIER Photos Médiapresse Strasbourg - DR
Ce Belge (devenu Luxembourgeois d’adoption) surfe sur une création originale à plus d’un titre, à commencer par l’outil minimal de base qu’il utilise : une pointe Bic ! Samuel Lévy, adepte du « travail spontané » suit avec constance son chemin et produit des œuvres surprenantes…
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L’homme se raconte tout en douceur, très loin des vantardises si souvent constatées dans le milieu artistique. Mais il pose néanmoins ses arguments avec fermeté, peut-être parce qu’il mesure le chemin parcouru pour en arriver là où il se trouve aujourd’hui : « Je suis né à Mons en Belgique et j’ai vécu ensuite à Bruxelles. Être artiste, ce fut tout sauf un choix stratégique. J’ai ça dans la peau depuis toujours. À l’âge de 17 ans, je n’étais qu’un gros fainéant qui parvenait à peine à gérer quelques petites expos ici où là. Rien de bien fantastique, en fait… Puis je suis parvenu à intégrer l’École des Beaux-Arts, bien déterminé à apprendre sérieusement les bases. Ce fut une cruelle déception : au bout d’un an, j’ai laissé tomber… Trop de laxisme dans l’enseignement. Persuadé qu’il fallait que j’emprunte une autre voie pour me réaliser, je suis devenu un temps enseignant en Arts plastiques mais mes collègues n’étaient pas assez progressistes… Heureusement, j’ai été programmé dans beaucoup d’expos en parallèle. La foi est malgré tout restée intacte… ».
L’outil universel
Ne pas être enfermé dans un cadre Les œuvres de Samuel Lévy surprennent et interrogent. Le regard est vraiment attiré et il faut s’en approcher de très près pour réaliser la méticulosité et l’originalité du travail de l’artiste. C’est assez stupéfiant quand on pense que les formes les plus audacieuses (et les plus complexes aussi) sont réalisées « à main-levée » avec une précision extrême. Mais, loin d’être une seule démonstration de dextérité, ces œuvres parlent : on n’est pas loin de l’onirisme, en fait, et la technique, notamment au niveau des couleurs, est une merveille du genre.
Samuel Lévy n’a alors pas hésité à entamer un important travail de recherche personnel surtout basé sur la peinture et les collages. À l’issue, sa quête l’a conduit vers l’utilisation de l’outil universel : la pointe Bic ! « C’est un outil que tout le monde possède et qu’on utilise facilement, sans même y penser. Qui n’a jamais gribouillé au téléphone sur un blocnotes à proximité ? Au départ, mon travail a donc été très spontané. Puis j’y ai greffé le graffiti, l’écriture automatique… Sont venues ensuite des formes abstraites s’inspirant du figuratif, à partir de magazines ou de photos. C’est en utilisant cette technique-là que j’ai abouti à des formes mixtes très élaborées, un travail très précis, très « design » et très net. C’est à New-York que j’ai eu la certitude que j’avais trouvé ma voie : j’y ai créé des œuvres à partir de cartes géographiques, de plans de métro… Je me base en permanence sur tout ce qui m’entoure, j’intègre en fait un maximum de choses que je « recrache » ensuite sur le papier, en quelque sorte… J’essaie de voir très large pour tout explorer. Finalement, depuis huit ans maintenant que j’utilise le stylo bille comme outil de base, je me rends compte qu’il permet tout un éventail de possibilités, mixé avec la peinture ou les encres, par exemple… C’est pourquoi je travaille volontiers sur des séries d’œuvres, pour tenter d’aller au bout de l’exploration… ».
« Depuis que je vis au Luxembourg et que je suis indépendant, je travaille bien avec la galerie Miltgen, tout en exposant régulièrement à la galerie Art Temptation à Bruxelles » précise Samuel. « Au Luxembourg, j’ai vraiment fait de belles rencontres et ça fonctionne bien mais c’est évidemment tout petit là-bas. Alors, je sais qu’il faut que je me développe en France et en Allemagne, à partir de ma base. Ce n’est pas évident de faire sa place au sein d’une grosse galerie bien référencée, c’est compliqué. Alors, on utilise les réseaux, la multiplicité des différents contacts avec les grosses structures et les collectionneurs. Tout cela prend du temps. J’ai compris depuis longtemps que ce n’est pas évident d’imposer une image au sein d’un système surformaté, voire impossible par certains biais si on ne rentre pas dans le cadre. Et moi, je n’ai pas envie de rentrer là-dedans, je suis libre. J’attends que la roue tourne… ». Le tout dit tranquillement, comme une espèce d’évidence que rien ne viendrait contrecarrer. Samuel Lévy possède la force tranquille de celui qui marche sur le chemin qu’il a choisi. Et il avance. Vite…
L’Agence Des Artistes créée par Delphine Courtay présente les œuvres de Jean-No et Samuel Lévy : au restaurant Villa Casella, 5 rue du Paon à Strasbourg. Jusqu’au 6 février prochain à la Galerie Fahar à Karlsruhe.
En mars 2014 lors de l’exposition collective de « La Main du Cœur » et en octobre 2014 au pavillon Joséphine.
Samuel Lévy expose par ailleurs jusqu’à l’été prochain chez LLC Avocats 21 rue du Dôme à Strasbourg (visite sur rendez-vous). Les œuvres monumentales de Jean-No seront visibles lors de la Golf Immo, au golf de la Wantzenau en juin 2014.
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Véronique Duflot La graveuse aux mains qui parlent Texte Véronique LEBLANC
Un thé à l'atelier entre trois chats qui vaquent et deux petites filles pas bien loin... Aucun mot creux et nulle ostentation, Véronique Duflot parle de ses créations et c'est un beau moment.
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Ce qui intéresse Véronique Duflot c'est « l'aventure singulière d'une oeuvre, le chemin entre le début et la fin qui n'est finalement jamais une fin » puisqu'aujourd'hui encore elle « donne suite à des choses nées il y a dix-quinze ans. » « On fait ce qu'on est », lui disait sa grand-mère et elle se regarde venir et devenir au travers d'une création « organique ». Graveuse en quête du « gravé en elle », Véronique ne travaille qu'avec les mains. Elle les laisse « parler », que ce soit pour découper des formes dans le papier ou appliquer l'encre, en ajouter, en retirer, la pommader, la sculpter en quelque sorte. « Je n'ai pas besoin du dessin, ditelle. Petite, je craquais la mine des crayons tellement
j'appuyais dessus et je n'ai jamais aimé la gomme. Dans la vie, on ne peut pas gommer, il faut faire avec ce qui nous constitue, c'est ce qui nous donne de la densité ».
« Zozos et zazas » Denses sont ainsi les paysages ressurgis de sa mémoire dans l'ailleurs toujours renouvelé de son atelier, les sphères insondables qu'elle explore sans cesse, les portraits qui sont parfois ceux d'inconnus dont on lui a parlé et qu'elle a envie de connaître ou de reconnaître, les nus dont elle dit que « chacun est un continent» . Véronique crée par ailleurs des sculptures de métal, petits personnages baptisés les « Zozos » et les « Zazas », hommes et femmes très singuliers tricotés en fil de fer. « Comme si la sculpture me permettait de rendre vie au métal arraché des plaques de gravure », envisage-t-elle en souriant. Elle se définit comme « une instinctive à fleur de peau » mais dégage une sereine plénitude rythmée par le jeu silencieux de ses trois chats noir et blanc qui ont fait de l'atelier leur royaume.
« Écoutez-vous » Des stages pour adultes et enfants sont organisés dans ce lumineux espace de la rue Kagenek, avec pour mot d'ordre « Écoutez-vous, laissez-vous ressentir ». Ses projets ? Une exposition au Conseil de l'Europe du 25 novembre au 20 décembre, la présentation de dix artistes dans son atelier durant les trois week-ends de décembre (avec vente d'oeuvres à petits prix) et la pochette du prochain CD de Christine Ott, compositeur strasbourgeoise qui a écrit une musique autour du film « Tabu » de Murnau. « La beauté des corps y est magnifiée, dit Véronique, chaque image est un tableau ». Et l'on voit son regard s'échapper vers l'oeuvre à venir… www.veroniqueduflot.fr
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Regards croisés sur un monde en changement Texte Charles NOUAR Photos Musée Frieder Burda – JR Médiapresse STRASBOURG
Gertsch « Bromelia » Guadeloupe - 1998
Gertsch « Sylvia » 1998 28
L'hyperréalisme deviendrait-il le dénominateur commun des expositions du Museum Frieder Burda de Baden Baden? Si tel était le cas, l'orientation mériterait d'être saluée dans un monde où la mise en valeur artistique peine à coller à son époque…
Dans deux mois, l’évÈnement JR !
Gertsch « Gaby und Luciano » 1973
Franz Gertsch, n'est certes pas le plus jeune artiste contemporain du moment: né en 1930 à Mörigen, dans le canton de Berne, son oeuvre peut en effet être considérée comme celle d'une vieille garde photographique. Mais le sens de son travail n'en est pas moins empli d'une réelle modernité. Comptant parmi les plus éminents artistes suisses, celui-ci a sans doute atteint une réelle reconnaissance internationale lors de sa participation à la Documenta V de Kassel, en 1972. Pape, pour certains, de l’hyperréalisme et du réalisme photographique, au même titre que l’Américain Chuck Close, « Gertsch pratique une approche de la réalité d’un type très particulier », commente Götz Adriani, commissaire de l'exposition « Sur la base de photographies ou de diapositives, il réalise des compositions au pinceau qui ont leur logique propre : cohérence interne absolue, harmonie parfaite entre tous les éléments qui les composent ». Sur une oeuvre résumée en une cinquantaine de toiles hyperréalistes de grand format, parmi lesquelles des portraits de la légende du rock Patti Smith, trente et une peintures et gravures sont actuellement proposées au public. Une première, hors de Suisse depuis la Biennale de Venise de 2001. « La période initiale est représentée par trois oeuvres, datant des années 1970, qui constituent le portail d’entrée dans l’exposition, explique Adriani. Le noyau en est constitué par des oeuvres récentes, qui n’ont pas encore été exposées en Allemagne, parmi lesquelles le triptyque « Guadeloupe », terminé en 2013, avec les tableaux « Bromélia », « Maria » et « Soufrière ».
JR Klein « Inside Out New York » Time Square - 1973
Oeil exercé, artiste ambitieux et révélateur des réalités et des maux de ce monde, Gertsch a ceci de particulier dans le contexte muséographique qui lui est consacré qu'il semble inscrire Burda dans une nouvelle lignée, tel un trait d'union avec une autre garde, nouvelle, du photoréalisme. Incarnée par l'artiste français JR, c'est en effet elle qui lui succèdera du 1er mars au 29 juin prochains. JR, c'est cet autre photoréalisme qu'expose l'homme en noir et blanc sur les murs des grandes capitales. Tantôt hors la loi, tantôt demandé comme à Marseille, il se révèle au grand public en 2007, lorsqu'il réalise avec Marco10 « Face 2 Face », de son propre aveu « la plus grande expo photo illégale jamais créée ». L'idée: afficher d’immenses portraits d’Israéliens et de Palestiniens face à face dans huit villes palestiniennes et israéliennes et de part et d’autre de la barrière de sécurité. Nous avions déjà parlé de cet artiste hors du commun dans le numéro 5 d’Or Norme - Spécial Israël - où nous avions rencontré ses œuvres à même le mur qui sépare Israël des territoires palestiniens près de Naplouse.
JR Klein « Femme aux cheveux longs » 1929 - Vevey (Suisse) 2012
La marque de JR, faire des sans noms les héros quotidiens de son oeuvre, appelant chacun à travers le monde, comme il le fit en 2011 à Long Beach lors de la conférence du TED Prize « à défendre ce qui est important pour (eux) en participant à un projet d’art global » afin de « retourner ensemble le monde ». Entre autres concrétisations, les projets Inside Out, Artocratie en Tunisie visant à remplacer dans l'espace les portraits trop longtemps exclusifs d'un autocrate déchu par celles et ceux, grands ou petits de ce monde, qui font la Tunisie d'aujourd'hui. Gertsch, JR, ce sont les deux yeux d'un même regard porté sur le monde : un regard réel et hautement symbolique que Burda a fait le pari d'offrir à voir. Franz Gertsch. L’énigme de la nature : peintures et gravures sur bois, jusqu’au 16 février 2014. JR. 1er mars - 29 juin 2014 au musée Frieder Burda Baden – Baden. 29
Mais qui est vraiment
Vladimir Spoutnik ? Texte Charles NOUAR Photos Pierre-Etienne Vilbert
Étoile montante des Dancefloors européens, Vladimir Spoutnik mixe aujourd’hui entre Strasbourg, Paris et Hanovre, après seulement un an d’activité. Personnage au passé trouble, le « Disc-Jockey le plus con comme la Lune de la Terre », comme il aime à se définir, a récemment vu un pan de son passé dévoilé dans des documents fuités par Edward Snowden. L’occasion pour nous de le rencontrer et de mieux cerner le personnage au cours d’un entretien… lunaire et.. Or Norme, à coup sûr ! 30
Or Norme : Vladimir Spoutnik. On vous croyait simplement Disc-Jockey, mais si l’on en croit les révélations du « Guardian », votre identité est visiblement bien plus complexe. Vladimir Spoutnik : C'est vrai. Les étoiles qui brillent au fond de mes yeux, je les dois en effet à mon père biologique et à la chienne de ma mère… et non pas à ma famille nourricière. Comme l'a révélé ce quotidien, je suis le fruit de l’union illégitime entre celle qui s’occupa de Laika et Youri Gagarine, premier homme à être allé dans l’espace et, comme vous le savez, héros interplanétaire, ce qui n'était pas sans poser quelques difficultés pour l'ex-KGB. Né à Star City j'ai donc, dès ma naissance, été exfiltré vers Meisenthal. Le lieu était à l’abri des regards et me permettait de bénéficier de la protection des institutions européennes où je respire depuis la poudre d’étoiles.
O.N : Votre statut de DJ lunaire empreint de sonorités spatio-crooniques est-il une façon de combler cette blessure familiale ?
V.S : Les crooners c'est cet esprit tout américain, ces hommes qui ont posé le pied sur la Lune au son de Sinatra lors de la mission Apollo 11 et auxquels je rends hommage sur scène en projetant des vieux films de Méliès ou de la NASA. Ressusciter Sinatra, Dean Martin mais aussi Trenet sur fond de vieux funk spatiotemporel et d’esprit guinguette me permet en effet de panser de vieilles plaies et d'une certaine façon, oui, de relier Mars et Venus. O.N : Un style très John Gray, en somme, teinté d’une touche fédératrice de Douchka...
V.S : Si vous voulez dire, « 1,2, 3 Mickey, Donald et moi, on t’invite à la Dolce Vita », oui. Vous savez, si j'ai choisi cette voie de la notoriété publique c’est uniquement pour avoir du succès auprès des femmes. « Cigarettes, whisky et p’tites pépées ».
les femmes à genoux, moi je préfère les faire tomber au son de mon beat. À la différence, donc, de ce monsieur et à l’instar de James Brown, « I stay on the scene like a sex machine ». Et je ne m'en tiens pour ma part qu'au Dance Floor. C’est, je crois, ce qui me permet aujourd’hui d’être le seul de nous deux à rester en haut de l’affiche. Et cela, 7j/7. O.N : Après Paris, Hanovre, on parle de vous pour l’ouverture des jeux de Sotchi. Vous confirmez ?
V.S : Les relations sont encore complexes avec le Kremlin, mais si une invitation officielle venait confirmer la chose, je n'écarterai bien évidemment pas la possibilité de caresser quelques beats en fourrure avec Monsieur Snowden. Mais rien n'est encore confirmé. O.N : Un mot pour conclure?
V.S : N'y voyez pas d'offense mais je préfèrerais que nos relations s'en tiennent au Dance Floor… ». Toutes les dates de Vladimir Spoutnik : www.vladimirspoutnik.com
O.N : Un esprit lunaire, un son occidental, une âme russe, tout cela à la fois dans le corps d’Eddie Constantine drapé d'un manteau de vison. C'est bien cela? V.S : Plutôt Konstantin Chernenko, mais en mode crooner. Du moins à ses heures. Ou plutôt de cinq à sept. À l'exception du dimanche, bien sûr. O.N : Tradition orthodoxe ?
V.S : Non. sept sur sept. Je n’en manquais aucun dans ma jeunesse. O.N : Un rapport avec l'affaire DSK, concomitante à votre ascension?
V.S : Hmm... Autre filiation délicate. Love on the Beat, vous connaissez? Serge Gainsbourg, qui lui-même avait des origines russes et était amateur de femmes, disait : « D’abord, je veux, avec ma langue natale, deviner tes pensées… ». Pour bien aimer les femmes, il faut entendre leur petite musique intérieure. Boney M, à ne pas confondre avec le sein de ma nourrice, rappelait que n’est pas Raspoutine qui veut. Pour la musique c’est pareil. Si certains veulent mettre
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Goûter le théâtre contemporain aux « Actuelles » Texte Véronique LEBLANC Photos Raoul Gilibert
Blanche Giraud-Beauregardt et Xavier Boulanger
Ne manquent que les parfums et l'on pourrait parler de synesthésie baudelairienne ! Les yeux, les oreilles et les papilles sont sollicités lors des "Actuelles" organisées par le TAPS à Strasbourg. Des textes de théâtre contemporains y sont mis en voix par des comédiens, en musique par des musiciens et... en bouche par un cuisinier. 32
Rendez-vous calfeutré dans l'appartement de Blanche GiraudBeauregardt en cette matinée glacée de novembre. Nous rejoint Xavier Boulanger rentré la veille d'une représentation de « La Trilogie Keene » à Vandoeuvre-les-Nancy après avoir joué « Candide ou l'optimisme de Voltaire » au théâtre du Marché aux Grains de Bouxwiller. Tous deux sont comédiens, artistes associés au Théâtre Actuel et Public de Strasbourg, désormais bien identifié sous son acronyme de TAPS. Et leur tâche essentielle y est d'organiser les « Actuelles », semaine où le public est convié à découvrir l'écriture théâtrale contemporaine au fil de cinq soirées consécutives. L'ambiance y est belle et lorsque l'on y a goûté l'on y revient, parole de fan ! Il faut dire que l'approche est très singulière qui allie une mise en voix du texte sélectionné dans une scénographie élaborée par des élèves de la Haute École des Arts du Rhin à une mise en musique inédite complétée par une mise en bouche concoctée par le cuisinier Benoît Gonce.
Des auteurs venus d'Alsace, de France, de Belgique, du Québec Étape intermédiaire entre lecture et mise en scène, ce moment théâtral se passe en présence de l'auteur, posé incognito dans le public et qui se révèle une fois l'échange avec la salle entamé. Blanche et Xavier y président depuis trois ans pour l'une, deux pour le deuxième et
cèderont leur place à d'autres artistes associés au fil des saisons. « L'expérience est belle, confirment-ils. Elle s'inscrit dans un sillon creusé avec obstination par Olivier Chapelet, directeur du TAPS après avoir été entamé par son prédécesseur, Denis Lecoq. » La défense de l'écriture contemporaine avec tout ce que cela représente de prise de risques et de belles surprises potentielles. Au départ réservées aux auteurs alsaciens, les « Actuelles » se sont progressivement ouvertes au niveau national et international puisque des auteur belges ou québecois y ont été invités. Blanche et Xavier se souviennent ainsi de la soirée autour du texte « La Liberté » de Martin Bellemare, arrivé de Montréal pour « sa » soirée et toutes celles consacrées à d'autres auteurs des « Actuelles » en mars dernier. « Superbe moment » suivi d'une « rencontre très émouvante » avec les élèves des collèges Pasteur et Louise Weiss.
Les Actuelles bourgeonnent Car « Les Actuelles » bourgeonnent dans la ville auprès des jeunes de 3ème scolarisés dans ces deux établissements qui eux aussi s'approprient un texte de la sélection et le mettent en voix avant de rencontrer l'auteur, auprès des étudiants scénographes de la Haute École des Arts du Rhin mais aussi auprès des comédiens du Jeune Théâtre National de Paris qui choisissent une pièce pour la mettre en voix dans la capitale. Partenaires des « Actuelles », la Maison de l'Europe et de l'Orient et le Centre National du théâtre envoient quant à eux des pièces pour les soumettre au choix du comité de lecture présidé par les artistes associés. Quatorze personnes se réunissent en effet plusieurs fois par an autour d'eux pour choisir cinq textes parmi la petite centaine lue chaque année. « La machine est lourde, on s'en rend compte, mais le jeu en vaut plus que la chandelle » selon Blanche et Xavier. Parce que le théâtre contemporain mérite que l'on se batte pour lui et parce qu'à la clé, ce sont de belles rencontres qui naissent des « Actuelles ». Avec le comité de lecture, avec les metteurs en scène et comédiens régionaux auxquels ces mises en voix sont confiées, avec les musiciens, avec les auteurs mais aussi entre tous ces gens. Pierre-Etienne Vilbert, metteur en scène strasbourgeois s'est ainsi passionné pour l'univers de la Lyonnaise Sabryna Pierre dont il a mis en voix « STE » en 2011 et il a monté le texte qui sera présenté dans la programmation « officielle » du TAPS en janvier prochain. « La boucle est bouclée », concluent Blanche et Xavier avant de rappeler que la rencontre essentielle est à chaque fois, celle qui se noue avec le public. « On a toujours un peu peur qu'il n'y ait pas de monde mais à chaque fois, le pari a été tenu ! ». Et la belle surprise est souvent au rendez-vous. Parole de fan, on vous l'a dit...
Benoît Gonce, cuisinier théâtral C'est la dimension artistique et littéraire qui a séduit le cuisinier Benoît Gonce lorsque Xavier Boulanger lui a proposé de s'associer aux Actuelles. Il a dit oui tout de suite parce que ça lui plaisait, ce « supplément d'âme ». Il lit tous les textes sélectionnés, prends des notes et trouve « en quelques minutes » ses amuse-bouche sucrés, salés, cocktail et boisson. Ce qui l'inspire ? Un personnage, une ambiance... Un texte consacré aux histoires d'amour déçues de jeunes filles auxquelles on a promis le monde sans jamais les emmener nulle part lui a ainsi donné l'idée de concocter des coeurs de poulets en brochette. Et pour « La Liberté » de Martin Bellemare, où les personnages choisissent jusqu'à leur manière de quitter la vie, il n'a pas hésité à proposer des gambas flambés ou une pendaison de poulet. Un peu gore tout ça ? Décalé surtout, et délicieux tout comme le sont les autres mises en bouche proposées par Benoît Gonce.
Bruno Belvaux, parole d'auteur Dans la famille Belvaux, je demande le frère du frère du frère. Bruno, Lucas et Rémy Belvaux. Le deuxième est un cinéaste bien connu, le premier est entré dans la légende avec le cultissime « C'est arrivé près de chez vous » et le troisième est également homme de culture et de spectacle. Invité aux Actuelles il y a quelques années en compagnie de Jean Lambert avec qui il avait écrit « Un jour j'irai à New York avec toi », Bruno Belvaux se souvient être arrivé très intrigué et un peu dubitatif. Cette pièce, il avait l'avait déjà jouée lui-même dans sa Belgique natale et il était persuadé que personne d'autre que son fils Elie ne pouvait lui donner la réplique. « Je me disais qu'il n'y avait que lui qui pouvait tenir le rôle, se souvient-il, et puis j'ai découvert Milàn Morotti, un gosse aussi talentueux et spontané qu'Elie. » Ce qu'il a retiré de cette mise en voix ? L'étonnement devant le travail accompli, la redécouverte de son texte, appréhendé différemment mais dans une totale compréhension, et la qualité du public strasbourgeois. Il sait écouter, poser les bonnes questions... Quant aux interventions culinaires, elles n'avaient rien « d'ampoulé ». « La forme des Actuelles est impromptue, gouleyante », conclut-il. Les Prochaines « Actuelles » auront lieu au TAPS gare, 10 rue du Hohwald 10 Rue du Hohwald (03 88 34 10 36) du 18 au 22 mars 2014, à 20 h 30. - www.taps.strasbourg.eu/ 33
Jean-Baptiste Mersiol « J’aime quand les choses sont bien dites… » Texte Jean-Luc FOURNIER Photos Médiapresse Strasbourg - DR
Il a éclaboussé de son talent l’hommage rendu à Léo Ferré lors de la dernière édition des Bibliothèques Idéales fin septembre dernier. Rencontre avec Jean-Baptiste Mersiol, chanteur, rocker et surtout amoureux fou de la langue française… 34
Tous les interprètes vous le diront : chanter Léo Ferré est une vraie performance. Car on peut très vite basculer dans le ridicule en singeant le vieil anar ou, au contraire, verser dans une platitude insoutenable, au regard de la richesse des chansons et des interprétations d’origine. Même vingt ans après sa disparition, Léo Ferré reste sur des cimes où il faut avoir du cran et beaucoup de talent pour accéder. En adressant de longs applaudissements nourris, le public des Bibliothèques Idéales a voulu ainsi marquer sa reconnaissance après les cinq chansons interprétée par Jean-Baptiste Mersiol. Et le garçon les a dégustés…
Il en est encore tout ému quelques semaines plus tard quand nous le rencontrons. Il faut dire que, pour ce jeune de 33 ans, Léo Ferré n’est pas qu’un simple artiste : « C’est un génie » nous confie-t-il « un vrai génie. J’avais 17 ans quand je l’ai vraiment découvert, grâce à mon prof de français du lycée qui, d’ailleurs, était physiquement son véritable sosie. Ce prof était fascinant, il m’a immédiatement refilé le virus de la langue française à travers, notamment, les chansons de Léo. « Vitrines » par exemple que j’interprète avec délice. Léo m’a inoculé ce beau vocabulaire français, cette élégance de la rime, cette véritable musique du texte. Je peux dire sans être excessif que Léo Ferré a changé ma vie. Je me suis mis ensuite à mieux travailler à l’école, à m’intéresser comme un forcené à la littérature. Dans les deux ans qui ont suivi, jusqu’au bac, j’ai dû lire plus de 200 bouquins, Céline, Quenaud, les poètes… Ils m’ont permis d’ouvrir les yeux sur le monde d’une façon tout à fait différente. »
jamais eu autant de plaisir à réaliser un CD que celui-là. J’ai deux autres albums en cours : en janvier, je sortirai le premier, consacré à Artistide Bruant, dix-huit poèmes et cinq chansons. Mais c’est le deuxième qui me remplit de joie. Cinq chansons et douze poèmes de Léo Ferré. Et je viens juste d’avoir la confirmation qu’il sera distribué par Harmonia Mundi ! Je suis fou de joie, ma vie est un conte de fée ! » conclut cet extraordinaire amoureux des mots…
Léo, Paul Mc Cartney, Franck Zappa, Iam et… Danyel Gérard La nature a doté Jean-Baptiste Mersiol d’une belle voix, bien posée et aux possibilités finalement très larges. Sur scène, avec Ferré au répertoire, sa gestuelle ne frôle jamais la caricature mais, tout comme Léo savait si bien le faire, sa voix peut tonner quand il le faut, puis se faire soudain toute douce et murmurante avant de mieux résonner sur la magie des mots du poète. Une vraie découverte, un vrai talent mû par la passion authentique qu’il entretient avec les mots et la musique. « Ferré est un magicien inégalé dès que la poésie et la musique doivent s’unir pour nous faire toucher du doigt l’universel. Dans « L’Amour fou » par exemple, ces paroles : « Je vous dirais que je t’aimais, tu me dirais que vous m’aimez… » c’est pas fort, ça ? Léo Ferré est à la France ce que Franck Zappa est aux États-Unis. En Grande-Bretagne, c’est Paul Mc Cartney. Des gars comme ça, il y en a un par siècle et par pays. J’aime quand les choses sont bien dites, comme IAM le fait aussi façon Rap. J’aime aussi quand un artiste suit sa propre voie, obstinément. Je vais peut-être vous surprendre mais j’adore un type comme Danyel Gérard. Depuis les années soixante, il creuse son sillon. Le milieu de la chanson l’a mis à l’écart mais il s’en fout. J’avais douze ans quand j’ai chanté « Butterfly », un de ses hits, à l’émission de télé « Les marches de la gloire ». Une semaine plus tard, j’ai reçu une lettre de lui. J’étais ahuri… Plus tard, on a passé une soirée ensemble, à discuter de tout et de rien. J’avais dix-sept ans, il m’a même proposé de prendre le volant de sa Corvette. Je n’ai pas osé. Mon frère m’a dit que j’étais le plus grand con de l’Histoire… Toujours est-il que j’ai fait un album de reprises avec lui au début de l’année. Ce mec a une importance plus grande qu’on ne l’imagine dans la chanson française… ».
Des projets plein la tête Ce fou de musique et de la langue française déborde d’enthousiasme et d’activité : « Je gagne ma vie comme réalisateur artistique dans mon studio de Hochfelden où je réalise des CD pour des artistes comme Jean-Marie Koltes ou encore Sarah Eddy. Je viens de découvrir une très jeune chanteuse, Wendy. Elle n’a que quinze ans mais une voix de tuerie ! Elle vient d’enregistrer un single chez moi. Travailler avec des jeunes ouvre des perspectives dingues, ils ont infiniment plus de moyen que j’en avais à leur âge… ». Le nouvel album de Jean-Baptiste Mersiol vient de sortir. « Celui-là, je l’attendais depuis dix-huit ans » soupire-t-il. « Il est composé de vingt chansons que j’ai écrites depuis longtemps pour la plupart. Je n’ai
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alain moussay Profession : comédien ! Texte et photos Jean-Luc FOURNIER
C’est peu dire que le spectacle « Une saison en enfer », présenté par Alain Moussay (avec Michel Carras aux claviers et Manu Wandji aux percussions et au chant), a été un des moments forts des Bibliothèques Idéales 2013. Il fallait être là pour « entendre » le silence des spectateurs, happés par la voix du comédien et les notes des musiciens, et la belle ovation finale qui récompensait ce moment de grâce.
Échapper au milieu familial Son hommage rendu à Arthur Rimbaud lors des Bibliothèques Idéales de septembre vient de sortir en CD. Et sa voix grave sait aussi raconter son parcours, emprunt d’exigence dès l’origine. Découvrez la libre parole d’Alain Moussay… 36
64 ans, une belle chevelure argent, le teint hâlé et l’œil qui pétille : Alain Moussay est bien connu des amateurs de théâtre strasbourgeois et… d’ailleurs. « Mon père était fonctionnaire de police. Alors, on s’est pas mal baladé dans mon enfance : Le Mans, où je suis né, l’Algérie, Lyon puis Saint-Etienne. C’est dans cette ville que tout a commencé pour moi. À 19 ans, je m’emmerdais tellement que je me suis inscrit au Conservatoire où j’ai décroché d’entrée un Premier Prix de diction (ça existait à l’époque) sur un texte… d’Arthur Rimbaud, déjà. Puis l’été suivant, j’ai été engagé sur un festival, en Auvergne et ça s’est enchaîné. Autant de fugues qui m’ont permis d’échapper au milieu familial et plein de rencontres qui m’ont donné envie de faire ce métier… ».
Le regard d’Alain Moussay se trouble un peu dès qu’il évoque la famille. Une vieille blessure jamais vraiment cicatrisée : « Quand j’ai eu le Premier prix du Conservatoire, le journal local, sous ma photo et mon nom, a titré : « Un jeune acteur est né ! » Aucune réaction chez mes parents… Une petite souffrance, pour moi. J’ai attendu d’avoir quarante ans pour que mes parents viennent me voir jouer au théâtre. Quand on est acteur, c’est difficile cette indifférence de la famille. Ce fut pareil pour Rimbaud : quand il a publié « Une saison en enfer », il n’a rencontré qu’une totale incompréhension chez sa propre mère… ».
Au final, je me sens infiniment plus à l’aise, je n’ai plus envie de plaire à tout prix, ma carapace est partie ! Et je suis bouleversé par le fait de voir que les théâtres sont pleins malgré ces nouvelles technologies qui mettent en danger la création dans son essence. Sur internet, on se sert, on pique tout ! Je pense que si tant de jeunes veulent encore devenir comédien, c’est pour donner de l’amour. Et en recevoir. J’en suis convaincu… ».
Voler de ses propres ailes « Plus tard, j’ai enchaîné les centres dramatiques et les théâtres nationaux avec des rôles principaux. Souvent, on parlait de moi comme d’une révélation. Mais rien n’a décollé. Je sais pourquoi. Il y a ceux qui ont fait le Conservatoire de Paris ou le TNS et les autres… En plus, je ne me cachais pas d’être gaulliste et, dans les années 70, c’était l’époque où les communistes étaient aux manettes de tout ce qui comptait en matière de culture. Donc, tu imagines… J’ai un jour tourné dans une pub et bénéficié d’un cachet très important, 240 000 F. Le petit milieu faisait la gueule devant ça. Moi, j’en ai profité pour sauter le pas : j’ai décidé de voler de mes propres ailes en montant moi-même un spectacle. Et j’y ai vraiment pris goût, loin de la gabegie d’argent public qui a suivi, dans les années 80. Je constate que ça fonctionne encore comme ça aujourd’hui : il faut faire partie du sérail pour être tout en haut de l’affiche. Très peu échappent à cette mécanique-là et du coup, l’exigence en prend un coup. J’ai toujours été marqué par cette anecdote véridique entre deux géants : Charles Dullin s’était fâché grave avec Louis Jouvet et, après un gros bide, il était vraiment dans la poisse. « Si seulement je pouvais monter Le Misanthrope avec Jouvet » se disait-il souvent. Un jour, il l’a appelé malgré tout, tout en lui disant qu’il n’avait pas l’argent pour le payer. Mais Jouvet a décidé de le faire. Et un jour, lors d’une des premières répétitions sur un plateau nu, Dullin a dit à Jouvet : « Vous voulez peut-être un siège pour vous asseoir, non ? » Et l’autre a déclamé, avec sa voix légendaire : « Ca y est, les concessions commencent… ».
« Ma carapace est partie » Aujourd’hui, Alain Moussay tourne bon an mal an quelques téléfilms mais surtout, il ne cesse de penser au prochain spectacle qu’il va monter, fidèle à sa ligne de conduite : « J’aimerais bien faire une belle rencontre avec un jeune comédien, par exemple, quelqu’un qui n’ait pas les mêmes scories de tous ceux qui ont à peine travaillé un peu… Quelqu’un qui me demanderait de le mettre en scène, quelqu’un avec qui je pourrais revenir à l’essentiel pour moi : le texte, et rien que le texte. Quand on est jeune, on peut être très con et je n’ai pas échappé à la règle. J’ai passé un mois au festival de Balbeck pour monter « Le fou d’Elsa » aux côtés de Louis Aragon. À l’époque, je trouvais ça simplement normal. Tu te rends compte ? Mais j’ai bossé 45 ans dans le théâtre et je n’ai jamais pratiquement été obligé de ramer. Aujourd’hui, dans le travail que je fais, c’est le poète que je mets en avant, pas moi… À notre époque, je pense que les poètes disent mieux les choses que les politiques ou les journalistes. Non ? Il faut relire Rimbaud : il parle de la lutte des classes. Et il écrit ça en 1870 !
« Les musiciens qui ont bossé sur ce
CD avec moi ont l’habitude de jouer
tant de très grandes salles, devant un nombreux public. Et là, ils sont venus
juste pour Rimbaud et pour moi. Les musiciens sont plus fidèles que les
acteurs, je crois. Ils ont moins d’ego que nous. Ce CD était compliqué à réaliser au départ, mais ce fut une
extraordinaire aventure. Ca s’entend
sur le disque : tu fermes les yeux et
tu es sur un marché, on entend les cris des enfants ; On entend la voix
d’Arthur Rimbaud… »
Alain Moussay
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Les belles rencontres de
Christophe Fleurov Texte Jean-Luc FOURNIER Photos Médiapresse Strasbourg - DR
Passé brutalement du métier de banquier à celui de galeriste d’art contemporain, Christophe Fleurov vient de participer pour la première fois à St-art et est donc bien placé pour parler du bilan 2013 de cet incontournable évènement strasbourgeois. Son parcours et sa réflexion sont affaire de passion… Une galerie d’art contemporain sertie au sein même de son grand appartement de la Place de l’Université ! Original, à coup sûr… C’est là que nous reçoit Christophe Fleurov, au lendemain même de l’édition 2013 de St-art. Nous étions venus pour qu’il tire le bilan de sa première participation. Il a néanmoins tenu tout d’abord à nous raconter son étonnant parcours. Et il a eu bien raison…
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Christophe Fleurov
Ellsworth Kelly
« J’allais tirer les sonnettes… »
Pierre Soulages
Robert Combas
Corneille
À quoi tient un destin ? « J’étais un cadre supérieur qui travaillait chaque jour au siège de la Société Générale, à La Défense. L’art m’intéressait beaucoup, bien sûr, mais pour être franc, je m’étais arrêté aux impressionnistes. Et, régulièrement, je côtoyais les passions artistiques en matière d’art contemporain du PDG d’alors, Daniel Bouton. Ça n’allait pas au-delà… Puis, un jour, dans Libé, je découvre que les étudiants des Beaux-Arts de Paris réalisaient des portraits à la brasserie de La Coupole, à Montparnasse. Et, sur place, je vois un vieux monsieur qui dessine sur une nappe en papier des formes très épurées. Je m’y intéresse de près. Ce vieux monsieur n’était autre qu’ Ellsworth Kelly, le grand peintre minimaliste américain ! Le hasard n’existe pas : j’apprends dans la foulée que Beyeler lui consacre une grande expo à Bâle. J’y fonce…Ça m’a fait littéralement plonger dans l’art contemporain. J’ai ainsi découvert la démarche qui va de l’objet à l’artiste. Dès 2004, en visitant St-art, je découvre Corneille, un des peintres du Mouvement CoBrA (l’Internationale des artistes expérimentaux, comme on le surnommera - ndlr). Je déniche son adresse sur Paris, j’y vais, je le rencontre et, à ma grande surprise, il prend vraiment beaucoup de temps pour m’expliquer son travail. C’était parti, j’avais mon fil conducteur : me former à l’art contemporain, profiter de ma présence parisienne pour rencontrer les artistes. Ce qui fut le cas avec Pierre Soulages ou Robert Combas, par exemple. Il n’y avait aucune distance entre eux et moi quand ils me recevaient. Ils devinaient ma passion naissante et ils m’ont apporté beaucoup de réponses. J’ai énormément appris ainsi. Ce fut un beau voyage en terre humaine, pour paraphraser Michel Rauscher. Je ne leur apportais rien, je ne leur donnais pas grand chose mais ils m’apportaient tant… ».
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Le Point de convergence - Raymond Wayedlich
Raymond Waydelich, LA rencontre… Rentré à Strasbourg avec la ferme idée de s’investir à fond dans l’art contemporain, le désormais ex-banquier fera tout pour rencontrer deux des « stars » alsaciennes, Tomi Ungerer et Raymond Waydelich. Ce dernier restera sourd à ses appels mais là encore, la constance et l’opiniâtreté finiront par payer. Dans un restaurant à Osthouse, Christophe Fleurov tombe sur deux amis proches du peintre. « Venez lundi, il sera là pour l’apéro ». C’était LA rencontre : « Il m’a pris sous son aile et il m’a peu à peu tout expliqué et surtout, tout montré. Je l’ai peu à peu accompagné dans sa vie professionnelle pour mettre en place des expos ou participer à des ventes. Il m’a finalement engagé à ses côtés : je le suivais partout, chez les céramistes, chez les fondeurs, j’ai découvert le travail du bronze, les mélanges, la patine, ce qu’il fallait faire pour éviter l’oxydation… Je me sentais comme un apprenti qui était en train de tout découvrir en compagnie d’un maître qui était à fond dans le partage… ».
Raymond Wayedlich
C’est d’ailleurs lors d’une de ces rencontres et de la découverte d’un superbe plan-relief à Erfurth, en Allemagne, qu’est née l’idée de la sculpture « Le Point de convergence » réalisée par Raymond Waydelich et qui est installée désormais à demeure Place d’Auszterlitz… Un projet qui aura des prolongements. On peut désormais
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l’annoncer : en septembre 2014, pour l’inauguration des festivités du millénaire de la cathédrale, une sculpture identique sera offerte au yeux de tous. La cathédrale y sera reproduite au 125ème. Elle fera 1,90 m de haut, 1,10 m de long et 60 cm de large, le tout dressé sur un socle de granit de 80 cm. L’œuvre sera entièrement financée par les Rotary Club de Strasbourg. Et signée Raymond Wayedlich, bien sûr…
Et… le bilan de St-art 2013 ? « Très positif pour moi » confie Christophe Fleurov. « Autour de Raymond Waydelich, j’ai présenté des œuvres de Tomi Ungerer, des sérigraphies et des girouettes, et aussi trois grands formats d’un jeune architecte suisse, Tobias Weber. On s’est rencontré cet été, il a beaucoup marché dans les rues de Strasbourg et il a produit ces toiles au style si particulier qui ont vraiment attiré l’œil des collectionneurs. Il sera de retour à Strasbourg à la mi-décembre. C’est là que les achats se concrétiseront. Je participais aussi à St-art pour développer mon relationnel et de ce côté-là, que du positif encore… Selon moi, St-art va perdurer car depuis deux ans, sous la houlette de son nouveau directeur artistique, la Foire est plus aérée et plus cohérente, malgré ce site du hall 20 qui est vraiment le plus handicapant de tous. Ce qu’il faudrait, avant même d’investir les nouveaux équipements prévus pour 2017, c’est pouvoir créer un poste de responsable du mécénat comme Karlsruhe le fait depuis toujours. L’apport des mécènes ferait ainsi baisser le coût des locations pour les galeristes… ». Reste un point particulier dont Christophe Fleurov se fait l’écho : « J’ai remarqué qu’on est beaucoup sur l’achat coup de cœur à St-art. Or, il faudrait aussi introduire de la raison dans les achats. Le coup de cœur raisonné, quoi… mais accompagné d’un expert ou d’un galeriste qui connaît les artistes et peut aider à mesurer leur influence. C’est important si on veut fidéliser des acheteurs. » conclut ce « self-made man » de l’art contemporain. Qui a eu l’excellente idée d’abandonner son métier de banquier pour vivre à fond sa passion…
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Centenaire 14-18
Texte Charles NOUAR
L'art peut-il jaillir de la guerre, une fois les plaies du passé pansées ? Entre devoir de mémoire et approche artistique, c'est le pari qu'a fait la Ville de Strasbourg à l'occasion du centenaire de la Guerre de 1914-1918. Quatre ans durant, jusqu'en 2018, plusieurs manifestations et expositions croiseront ainsi des destins de vie au travers de regards photographiques et scéniques, afin de jeter un oeil nouveau et mémoriel sur ce lourd héritage du début du XXème siècle, dont Strasbourg et l'Alsace furent parmi les premières victimes. Ouvert cet octobre par le Musée archéologique au travers de l'exposition « À l'Est du nouveau », le programme dédié se poursuivra notamment en mai avec « Lignes de Front », ou comment les
DR
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L’Art de la guerre arts visuels ont marqué cette période au travers de la propagande, organisée par la Haute école des arts du Rhin. Également sur les tablettes, « Regards croisés, autochromes et autres photographies rares françaises et allemandes du conflit » porté du 20 juin au 7 septembre 2014 par l'association La Chambre, dédié aux trajectoires d'Alsaciens engagés dans les armées française et allemande. Côté scénique, Pôle Sud programmera une création chorégraphique de François Verret avec des danseurs nés en 2000 et qui, tel un symbole, auront 18 ans en 2018. Enfin, du côté des grands attendus, « La Guerre de Joseph » de Claire Audhuy et de l'association Rodéo d'âme. Pensée sous forme de pièce pour marionnettes, cette pièce, qui devrait être présentée en mai 2015, s'attardera sur le quotidien dans les tranchées au travers de personnages tantôt réels, tantôt métaphoriques.
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vienne Une bouffée d’art en hiver Texte Jean-Luc FOURNIER Photos Médiapresse Strasbourg - DR
Sur sa colline, le Musée du Belvédère abrite depuis toujours les chefs-d’œuvre de Gustav Klimt et des sécessionnistes de l’aube du XXème siècle. Au crépuscule d’un soir d’hiver, le panorama sur Vienne est unique…
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« Les rues de Vienne sont pavées de culture, les autres des autres villes d’asphalte… » Karl Kraus.
Pourquoi ne pas profiter de deux ou trois jours lors des fêtes de fin d’année pour (re)découvrir le charme de Vienne ? Au cour de cette Mitteleuropa qui a tant compté, la capitale autrichienne déploie ses atouts artistiques. Et les bonnes surprises sont au rendez-vous…
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Au cœur même du MuseumsQuartier, à deux pas du Ring, les jeunes Viennois profitent de « l’afterwork » pour se réchauffer autour du vin chaud et n’hésitent pas à encourager les visiteurs de passage à entrer dans un des nombreux musées concentrés dans ce lieu unique… 46
L’art, sans cesse réinventé… Ici, le conservatisme n’a pas sa place. Egon Schiele, Oscar Kokoschka, Emil Nolde, Gustav Klim et tant d’autres voisinent avec les jeunes créateurs à qui Vienne offre des espaces d’exposition d’une superbe modernité… 47
Ce qu’audace veut dire… Un vieux pâté de maisons à détruire et à rénover ? On donne carte blanche à l’architecte Friedensreich Hundertwasser. Et l’art envahit la rue et les esprits…
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En plein cœur de Vienne, la maison Hundertwasser détonne par son audace et les couleurs de ses céramiques. C’est le monde d’« Alice au pays des merveilles » qui surgit au détour d’une rue banale…
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LES CLASSIQUES Comme toutes les villes de l’est (à l’instar de Strasbourg), Vienne donne sa pleine mesure en hiver, quand le froid sec et le soleil (ou, au contraire la neige) parent la ville d’une atmosphère glacée qui fait tout son charme. A Vienne, l’art occupe toute sa place et la capitale autrichienne est réputée, parmi les métropoles mondiales, pour toujours offrir un allèchant programme d’expositions (des plus prestigieuses au plus inattendues), doublé de révélations surprenantes, le tout dans une ambiance « no stress » qui repose les méninges. Alors, pourquoi ne pas résolument décider de fuir pour quelques jours ces fêtes de fin d’année quelquefois si fatigantes pour prendre une bouffée d’art bienvenue ? Vienne n’est qu’à 1h30 d’avion de la France. Suivez-donc nos traces…
LE BELVÉDÈRE Vienne sans « Le Baiser » de Gustav Klimt (et les autres œuvres majeures des sécessionnistes du début du siècle dernier), ce serait comme Paris sans la tour Eiffel… Votre première visite sera donc sans doute pour le Musée du Belvédère, perché sur sa petite colline, à trois stations de tram de l’Opéra national autrichien. N’hésitez pas à profiter des gigantesques jardins. La montée est en pente douce et la majesté du lieu donnera à plein. Un conseil : venez dès l’ouverture à 10 h, un peu avant même : on arrive ici du monde entier pour admirer une œuvre majeure : « Le Baiser » du génialissime Gustav Klimt. Donc, en pleine journée, on n’est pas tout seul… Si ce tableau, à l’évidence un des plus prestigieux du monde de l’art, magnétise les visiteurs, on aurait tort de l’admirer directement. Ce serait zapper ce qui est la véritable substance du mouvement de la « Sécession », enclenché durant les ultimes années du XIXème siècle par une poignée d’artistes, las de devoir enchaîner les peintures les plus académiques, et surtout avides d’exprimer tout le potentiel qu’ils sentaient en eux. « À chaque époque son art, à l’art sa liberté » ont-ils proclamé fièrement. D’ailleurs, on retrouve ce manifeste au fronton même de la maison de la Sécession, au centre-ville (voir page 57). Et leur chère liberté, les sécessionnistes l’ont exprimé à plein, sans grand respect des convenances du XXème siècle naissant, protégés par l’aura de Klimt qui avait su gagner à la cause l’essentiel de la « bonne société » viennoise de l’époque. Malin comme un singe, le vieux Gustav a su magnifier les femmes des puissants industriels et banquiers de la capitale impériale, en les peignant dans des robes
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Le Baiser - Klimt
somptueuses. Ses commanditaires ont-ils alors remarqué les poses et les regards plein de désir de leurs compagnes ? L’histoire ne le dit pas mais il y a fort à parier que Klimt, réputé charmeur en diable, n’aura pas fait que peindre ses modèles… Une marque d’audace parmi tant d’autres, la véritable marque de fabrique du mouvement de la Sécession qui sonna l’envol de l’art moderne partout en Europe et qui reste aujourd’hui une époque majeure de l’histoire de l’art qui ouvrit la voie aux arts déco, à l’abstrait, au cubisme… Quand la cloche de la liberté résonne, on l’entend de loin. Le Belvédère recèle une quantité astronomique de chefs-d’œuvre non seulement de Klimt et Schiele mis aussi de Kokoschka, Gerstl.. et tant d’autres. En outre, leurs œuvres (à l’exception du « Baiser ») circulent en permanence dans les expos du monde entier. C’est ainsi qu’on peut revenir plusieurs fois dans ce lieu tout en restant en permanence surpris. Ce fut notre cas quand nous avons découvert Familie, un tableau tout à fait méconnu de Klimt,
qu’on n’avait pas repéré lors de notre précédente visite… Au passage, on observe là toute la richesse de Vienne en matière d’art. Heureux conservateurs qui ont l’embarras du choix et finissent même par bâtir leurs propres accrochages en jouant sur leurs inépuisables ressources en œuvres majeures de l’époque Art moderne. À l’heure où l’argent se raréfie (à Vienne comme ailleurs), la demande de prêts d’œuvres reste néanmoins forte dans le monde entier. Il n’est pas une grande capitale sur l’un des cinq continents qui ne souhaite accrocher à ses cimaises une expo du type Vienne 1900. En jouant habilement sur cette demande, Vienne fait tourner ses œuvres. Mais tôt ou tard, elles reviennent à leur port d’attache et sont de nouveau visibles dans le temple du Belvédère. Ce musée est donc bien le paradis des amateurs d’art moderne…
Familie - Klimt
L’ALBERTINA Réouvert (et superbement restauré) il y a dix ans après un incendie majeur, le musée de l’Albertina trône en plein centre de Vienne, à deux pas du Staatsoper (l’Opéra) et du fameux Hôtel Sacher. « Matisse et les Fauves » est l’exposition-phare à l’honneur en cette fin 2013. Elle n’est bien sûr qu’une simple redécouverte pour la plupart des amateurs d’art français mais, outre le plaisir de retrouver Matisse et ses explosantes taches de couleurs, la visite de l’expo est agréablement ponctuée par la présence fréquente, chaque matin en fait, des écoliers viennois avec leurs professeurs. Heureuse ville où l’appétence à l’art se construit dès le plus jeune âge et, de génération en génération, installe durablement la réputation artistique de la capitale autrichienne…
L’Albertina a un vrai concept dont il ne déroge pas. Ici, pas d’expositions « mineures » pour occuper l’espace en dehors de l’exposition principale. Ainsi, on peut en ce moment admirer l’expo Georg Baselitz – Remix avec certaines œuvres rarement présentées du peintre et graveur allemand.
Georg Baselitz 51
Mais, cette année, la véritable révélation vient d’une jeune artiste autrichienne, l’incroyablement talentueuse Sonja Gangl. Cette dessinatrice travaille à partir de monogrammes extraits de la mythologie des films américains qu’elle recompose au fusain et en grand format. Une œuvre de titan qui subjugue les visiteurs par sa précision et… sa poésie. Vues de loin les œuvres interpellent, forcément. Examinées de près, elles époustouflent… Coup de maître : pour sa toute première exposition à Vienne, Sonja Gangl décroche l’Albertina ! Vienne est incomparable : la ville regorge d’œuvres majeures mais les découvreurs de talents ont l’œil. Et le bon !
The End - Sonja Gangl
Je t’embrasse. Adieu - Sonja Gangl 52
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LE MUSEUMSQUARTIER À deux pas du Ring, Le Museumsquartier est l’un des plus grands espaces culturels du monde. Il s’étend sur pas moins de 60 000 m2 sur un espace auparavant occupé par les anciennes écuries impériales. Là, on est clairement dans le superlatif le plus absolu. Le Museumsquartier regroupe en son sein des musées exceptionnels mais aussi des lieux très variés dédiés à la danse, à l’architecture, au cinéma, aux nouveaux médias numériques, à des ateliers créatifs pour enfants sans oublier de minuscules mais très bien agencées galeries pour des expos temporaires destinées aux artistes émergents. Le tout parsemé de boutiques et de lieux de vie (y compris à l’extérieur, même en hiver).
Les quatre arbres - Egon Schiele
Leopold Museum
Egon Schiele
Le Léopold Museum, outre là encore des œuvres majeures de l’incontournable Gustav Klimt, expose en permanence le meilleur d’Egon Schiele (en fait, la plus grande collection au monde concernant cet artiste torturé). Monumental, aéré, spacieux et apaisant, le bâtiment est en lui-même une belle œuvre d’art. Sa visite est incontournable quand on est à Vienne. À deux pas, le musée des Beaux-Arts expose lui aussi en permanence toutes les époques du classique, de la Renaissance aux prémices de l’Art moderne. Sa collection permanente est l’un des must artistiques européens.
Egon SChiele - Leopold Museum
Le MUMOK est le musée d’art moderne et contemporain. L’audace des programmateurs est sans limite à l’intérieur de ce massif bâtiment en pierre grise, dont la façade tranche résolument avec l’architecture avoisinante. Le Museumsquartier vit jusqu’à tard le soir. Les musées ferment à 21 h et, en hiver, des bars couverts (et chauffés) sont très prisés par les jeunes Viennois, tandis qu’à quelques centaines de mètres, sur la place de la Mairie et sur la place MarieThérèse, les marchés de noël accueillent encore la tradition. Picasso - MUMOK 54
La MAISON HUNDERTWASSER L’art est partout dans la capitale autrichienne. Au nord-est de la ville, à dix minutes du centre via la ligne de Tram n°1, se dresse la très surprenante Maison Hundertwasser. Carte blanche a été donnée au célèbre architecte autrichien à qui la municipalité de Vienne a offert pas moins d’un gigantesque pâté de maisons délabrées à restaurer ! Le résultat est réellement exceptionnel et matérialise bien l’audace dont on sait se prévaloir ici. La véritable maison d’Alice au pays des merveilles : colonnes de céramiques de couleur, tortueuses à souhait, qui semblent soutenir de façon très instable l’ensemble du bâtiment, tourelles trompe-l’œil à profusion, fenêtres distordues entourées de décorations somptueuses, sans oublier des touches de végétation omniprésentes. L’intérieur est du même acabit mais il est malheureusement non visitable depuis pas mal d’années tellement les résidents se plaignaient des hordes de visiteurs. La maison Hundertwasser symbolise parfaitement Vienne. À la fois majestueuse et comme un petit écrin de délire dans un environnement par ailleurs tout à fait banal. De l’audace à l’état brut…
Hundertwasserhaus
LES INCONTOURNABLES CAFÉS VIENNOIS
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LE PRATER
Café Mozart
Un parc d’attractions tout à fait classique. Mais voilà : il y a la grande roue qui figure dans le mythique film « Le troisième homme » d’Orson Welles, avec sa lancinante musique jouée au sitar. Elle est bien sûr parfaitement entretenue depuis la fin de la seconde guerre mondiale où on la voit apparaître dans le film. Mais ses petites cabines accrochées aux rayons métalliques sont toujours les mêmes. Elles ont une vertu l’hiver : elles protègent bien du froid et, la nuit tombée, la vue sur la capitale autrichienne est incroyable. Irremplaçable pour passer une dernière soirée à Vienne…
Vous n’oublierez pas durant vos quelques jours à Vienne de vous réfugier dans l’un ou l’autre des cafés qui, bien que le concept ne puisse être déposé, restent parfaitement uniques au monde. C’et une question d’ambiance, de ce « gemütlichkeit » typiquement autrichien. Leur décoration, généralement classique et chaude à souhait, n’a rien de vraiment exceptionnel mais, une fois à l’intérieur, on est vraiment dans un autre monde. Aucune de ces musiques pseudomodernes ne vient troubler votre quiétude, seule le léger brouhaha des conversations feutrées vous parvient. La presse, y compris internationale, est là, à profusion. Les pâtisseries sont excellentes et, en hiver, le chocolat chaud délicieux. Le personnel sait se faire discret. Bref, une atmosphère unique que les mots peinent à décrire. Il faut tester…
LA MAISON DE LA SÉCESSION Si vos pas d’amateur d’art vous conduise à la maison de la Sécession, tout près de l’Opéra elle aussi, vous ne regretterez pas d’y découvrir la Frise Beethoven. Réalisée par Gustav Klimt pour la première expo de la Sécession, ses panneaux ont été démontés et longtemps stockés dans des lieux et des conditions très diverses. Certains ont été dégradés irrémédiablement (ce qui explique les vides qu’on ne peut que remarquer au fil de l’œuvre). D’autres ont dû être sérieusement restaurés avant que tous soient réassemblés, en tant qu’œuvre unique, pour habiter le lieu. Juste avant de pénétrer dans la salle, une vidéo, remarquablement réalisée, montre le long travail minutieux et patient qui a été nécessaire pour restaurer l’œuvre. Ne la ratez pas, c’est un document passionnant qui vaut d’être vu. Pour le reste, on visite presque religieusement ce lieu fondateur d’un mouvement qui a bouleversé l’histoire de l’art. La Frise Beethoven, avec ses allégories -et ses mystères aussi- se découvre avec émotion car elle est le Manifeste de ces quelques audacieux qui ont fondé l’Art nouveau, il y a plus d’un siècle aujourd’hui...
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Une méticuleuse restauration (Extrait vidéo)
La Maison de la SĂŠcession
La Frise Beethoven (extrait) 57
Notre Sélection Culture Excentrées ou méconnues, Strasbourg ne manque pas de jolies curiosités culturelles et artistiques pluridisciplinaires. L’occasion pour nous de vous faire (re)découvrir quelques unes d’entre elles au détour d’une sélection OrNorme.
L’Artothèque Exposer chez soi l’une des oeuvres issues du fonds d’estampes, de photographies et de dessins destinés de la Ville de Strasbourg est désormais possible grâce à l’Artothèque. Fondée sur le même principe que les prêts en médiathèque, cette initiative séduit tant elle permet à tout un chacun de se construire une nouvelle relation avec l’art, détachée de toute barrière financière ou socio-culturelle. http://tinyurl.com/plpvoca
Le Syndicat potentiel Animé par l’association Le Faubourg depuis 1992, le Syndicat organise plus d’une dizaine d’expositions par an, présentant au public de nombreux artistes plasticiens contemporains. Sa mission: prendre en charge la mise à disposition du lieu, l’organisation et le gardiennage, la communication et les frais de vernissage. L’objectif: présenter au public des artistes indépendamment de tout critère marchand, et de soutenir au mieux ces artistes dans leur parcours artistique et professionnel. Expo en cours jusqu’au 21 décembre : L’art des tranchées d’aujourd’hui. http://syndicatpotentiel.free.fr
le THP Ex-théâtre du Maillon Hautepierre, le THP héberge notamment les étonnants Migrateurs qui depuis Rives de Cirque ont hissé le cirque contemporain au rang d’art noble dans la capitale européenne. A mille lieues de tout préjugé sur ce que, trop longtemps on imaginait être le cirque, la programmation des Migrateurs révèle un univers insoupçonné et d’un esthétisme rare aux frontières des techniques circassiennes et de la danse. À découvrir d’urgence. www.lesmigrateurs.org/ 58
Le Panier de Culture L’agriculture avait ses AMAP (Associations pour le Maintien d’une agriculture paysanne), la Culture a désormais son panier. Le principe : pour 25 euros par mois, des places pour les spectacles du Hall des chars, des propositions singulières de spectacles en partenariat avec les autres salles de Strasbourg, de l’édition, de la musique en téléchargement ou sur support, des objets en série limitée, des multiples imprimés, affiches, badges, revues et journaux à tirage limité remplissent le panier des abonnés. L’occasion de découvrir une autre culture, sortant des habitudes et des réflexes institutionnels. Chaque dernier mardi du mois www.halldeschars.eu/evenement/les-soirees-du-collectif-pilssabs-trio-carte-blanche-a-un-membre-du-collectif-pils/ Les soirées du Collectif PILS | Sabs Trio + Carte blanche à un membre du Collectif PILS. http://www.halldeschars.eu/panier-de-culture/
L’Espace culturel Django Reinhardt Carrefour des musiques du monde, Django fédère un public de plus en plus fidèle en dépit des préjugés collant encore au quartier Neuhof où il est implanté. Une triste réalité urbaine qui n’empêche pas une programmation magistrale qui fait de plus en plus parler d’elle au-delà de la région. Entre autres moments forts des prochains mois: la chanteuse turque Sumru Airyürüyen et Les voix d’Istanbul, Hasna Bel Becharia (Maroc), Mark Atkins (Australie) ou encore Sylvia Peres Cruz (Espagne). 5 avril http://tinyurl.com/ne5lncz
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LA MAIN DU CŒUR « Recoudre le passé » Texte Jean-Luc FOURNIER Photos Médiapresse Strasbourg - DR
« La Main du Cœur », l’association qu’il a fondé, n’a de cesse de venir en aide aux enfants alsaciens défavorisés et se positionne même aujourd’hui dans l’aide aux autres associations qui poursuivent le même but. Rencontre avec André Bernhard, militant inlassable de la cause des enfants. Un homme qui sait fédérer et atteindre ses objectifs… 60
« Depuis longtemps, j’ai compris que la vie est basée sur l’échange. On vient vers moi, je vais vers les autres… Je construis ma vie autour de ça depuis quarante ans… ». André Bernhard a beau maîtriser parfaitement les ficelles de la communication, il devient presque mutique dès qu’il s’agit de parler de lui. Il nous faut même insister pour qu’il admette qu’Or Norme s’intéresse profondément aux vrais gens et que la rédaction d’un article sur l’association « La main du cœur » n’aurait aucun sens si on ne « creusait » pas le passé de son fondateur. Alors, les mots ci-dessus, il les lâche difficilement. Puis, peu à peu, le fil du passé se déroule. Et c’est passionnant… « À 15 ans et demi, mon père m’a littéralement viré de la maison. Pour une simple raison : je ne voulais pas entamer d’études d’expert-comptable. Et lui, il rêvait de ça. Moi, pas. Il était un ancien militaire, très dur et de toute façon, l’histoire de mes parents a été très compliquée. Toujours estil que je me suis retrouvé à décharger les camions de fruits et légumes aux halles de Rungis. Un peu après, j’ai été plongeur à l’hôtel Frantel, tout près de là. J’y suis devenu ensuite commis de cuisine et j’ai attaqué un apprentissage de cuisinier pendant deux ans et demi. A l’issue, j’ai passé une saison au Négresco à Nice, puis deux autres à la Rotonde à Genève. A 18 ans et demi, je suis revenu à Strasbourg pour ouvrir l’Atlantis, une boîte de nuit près du célèbre Chalet ; trois ans plus tard, départ pour
les Canaries avec l’intention d’y ouvrir un restaurant. C’était une opportunité mais on était encore sous le règne de Franco : la peur de l’expulsion m’a poussé à la revente. De retour en Alsace, après un bref passage dans un self-service du côté des Halles, je suis tombé dans le secteur de l’immobilier presque par hasard. Un vieux notaire m’a appris le côté juridique du job pendant trois ans. Je me suis lancé… Ça fait 35 ans aujourd’hui. J’ai mis tout ce temps pour construire un réseau très important. J’ai bien gagné ma vie dans l’immobilier, c’est d’ailleurs toujours le cas, mais, si j’ai toujours voulu ne jamais moins gagner d’argent que l’année précédente, cette notion-là ne m’obsède plus depuis longtemps. Je veux être heureux et pas tributaire du Veau d’or. L’argent n’est pas mon moteur… ». Le tout raconté d’une seule traite, comme une façon de dire l’essentiel sans s’y attarder. Confirmation immédiate : « Parlons maintenant de la Main du Cœur… » nous propose André Bernhard.
Des évÈnements d’envergure Restent les piliers de l’organisation de la levée de fonds au bénéfice des enfants. La Golf Immo, par exemple : au golf de la Wantzenau se retrouvent chaque année les chefs d’entreprises autour d’une compétition dont les bénéfices sont redistribués au profit de l’Arame, l’association du professeur Lutz qui accompagne les parents des jeunes malades qui luttent contre le cancer. Et bien sûr, le traditionnel Grand Gala du Cœur : la soirée de l’année où les entreprises qui soutiennent l’association louent des tables et invitent leurs relations privées ou d’affaires. Des artistes mettent leurs œuvres aux enchères : les fonds récoltés sont intégralement redistribués aux associations sélectionnées par La Main du Cœur.
Prendre les enfants par la main « La cause des enfants, je la soutiens depuis que mon frère, qui vit en Autriche, m’a fait découvrir l’association SOS Kinderhof auprès de laquelle il a été très actif. Je me suis toujours dit que je ferai un jour quelque chose dans ce sens en Alsace. C’est devenu une réalité depuis cinq ans maintenant. Je l’ai fait avec une bande de copains, dont Joseph Schwartz malheureusement décédé l’an passé et qui reste très présent en moi, mais aussi JeanMarc, Alain, Marc, Thierry, Serge… D’entrée, tous ont soutenu financièrement l’action de La Main du Cœur en participant à tous les événements. Notre comité comprend également des femmes : Mireille, Sophie, Eléna et aujourd’hui Myriam mon assistante qui a découvert l’association en passant son BTS d’assistante de direction par alternance. Myriam, c’est grâce à elle que j’ai encore autant envie de poursuivre l’aventure, tant elle est prenante. Elle fait le boulot en parfaite harmonie avec moi, la dimension technique en plus via les réseaux sociaux, le net et l’informatique. Nous collectons des fonds pour aider les enfants et les associations qui s’occupent d’eux. Mais nous ne ratons jamais non plus une occasion de simplement les prendre par la main et les emmener vers de belles surprises. Le Carnaval du Cœur, par exemple, en partenariat avec les Galeries Lafayette : les enfants arrivent déguisés, ils jouent et ils reçoivent des sachets cadeaux. Il y a aussi une autre opération : « Les petits pas du cœur. On organise des courses le matin, à la Cour de Honau, et l’après-midi, les gosses passent du bon temps sous un chapiteau avec des jeux et des structures gonflables. Sans parler des ballades en bateaux-mouche qui sont mis gracieusement à notre disposition par la Ville de Strasbourg ou la grande journée « Tarte flambée » che Hans à Vendenheim. » En 2014, La Main du Cœur sera associée au 10 ans des Gospel Kids et travaille à l’organisation d’une grande journée pour les enfants au stade de la Meinau en collaboration avec le Racing : un évènement qui verra la venue d’une grande vedette populaire actuellement en cours de négociation.
Nous étions le 23 novembre dernier à la dernière édition du Gala du Cœur. Il fallait voir André Bernhard accueillir personnellement tous les invités, deviser gaiement avec eux puis, plus tard, s’emparer du micro et animer la soirée. Il fallait le voir aller de table en table serrer la main d’un ami, faire une bise à son épouse… L’œil pétillant, la mine enjouée, la parole haute…, pas de doute sur la passion qui anime cet homme qui, dans son enfance, a eu à souffrir d’un manque charnel d’amour, a vécu une adolescence très dure et qui aujourd’hui consacre tant d’efforts pour la cause des enfants. « J’ai toujours manqué à côté de moi de gens à aimer. On pourrait me prêter des arrière-pensées mais je n’en ai pas. Ceci dit, quand on est au front, le risque est de se faire tirer dessus, non ? Je constate souvent que les gens sont jaloux non pas de ce que nous faisons mais de ce qu’ils aimeraient faire mais ne font pas. M’enrichir ne me fait pas vibrer mais poursuivre l’action caritative, oui, ça me passionne ! À la veille de la retraite, l’idée de me consacrer à plein temps à développer La Main du Cœur, oui, mille fois oui. Pour prendre encore plus d’enfants par la main… »
www.lamainducoeur.com
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Nostalgie…
CAFÉ BRANT L’heureuse issue Texte JEAN-LUC FOURNIER Photos MÉDIAPRESSE STRASBOURG
C’est une affaire strictement privée qui était soudainement devenue très publique. Depuis le 30 septembre dernier, les rideaux étaient tombés sur le vénérable Café Brant, place de l’Université. Classique histoire de bail non renouvelé sur fond de bisbille entre un patron acariâtre et un propriétaire mutique. Mais c’était sans compter sur l’émouvant attachement dont ont fait preuve les habitués du lieu… La rumeur courait depuis plus d’un an. Le Café Brant allait fermer… Et une banque (une banque !..) allait lui succéder. Elle est devenue réalité au tout début de l’automne dernier. En un clin d’œil, sans prévenir le moindre de ses clients réguliers, JeanFrançois Horn, le gérant de l’établissement, a vidé les lieux. Même le mobilier n’a pas traîné. Racheté immédiatement à la volée, avec la déco murale, il a disparu aussitôt. Un beau jour, les habitués n’ont pu que constater les événements. Grosse émotion, intense mobilisation via les réseaux sociaux notamment. La page facebook a vite fini par diffuser ses infos à près de 3 000 fans (dont les inévitables opportunistes en mal d’ego qu’on voyait pourtant si peu dans le lieu…). La politique s’en est même mêlée. Efficacement, semble-t-il, contraignant quasiment le propriétaire à rechercher une solution loin de la banque sérieusement imaginée au préalable… L’heureuse issue a été rendue publique le 28 novembre dernier sous la forme d’un communiqué de la SCI annonçant le rachat par un repreneur, Jean-Noël Dron, le boss du groupe Trasco, propriétaire de nombre de restaurants – Kammerzell, l’Alsace à table, Le Clou, la brasserie Flo, entre autres… 62
Pourquoi une telle mobilisation autour d’un simple café ? Quelques-uns ont fait parler les archives : on a appris ainsi que le Brant avait toujours été un café depuis sa construction en 1880 et qu’il avait même pour nom « Mon plaisir » dans les années 50. Par ailleurs, l’endroit présente aujourd’hui un caractère historique certain et va être inscrit prochainement à l’inventaire du Patrimoine. Le tout sera instruit le 20 décembre prochain par les services de la DRAC, une décision sans doute attendue avec une certaine fébrilité par le repreneur qui va devoir tenir compte de ses contraintes lors des indispensables travaux à mener… Mais le patrimoine n’explique pas toute cette mobilisation. Il y a autre chose de plus subtil, de plus immatériel. Les habitués aimaient ce lieu pour son ambiance indéfinissable. L’hiver, à l’abri des larges baies vitrées, on regardait tomber la neige en sirotant son café. Il y avait là des étudiants fauchés qui mettaient deux heures pour siroter leur unique expresso tout en profitant de l’excellent réseau wifi pour converser, casque sur la tête, avec leurs copains du bout du monde via Skype. Il y avait aussi des amoureux officiels ou clandestins qui s’y retrouvaient en compagnie des papys et mamys voisins, tirés à quatre épingles. Le dimanche, car le Brant était ouvert 7 jours du 7, certains noircissaient frénétiquement des cahiers à spirale (vous en voyez beaucoup des gens faire ça dans les autres cafés de Strasbourg ?), des célibataires venaient tromper leur ennui avec de gros bouquins, des familles entières débarquaient en fin d’après-midi après la ballade dominicale. ... Et l’été, sur la superbe terrasse si bien orientée depuis le milieu de la matinée face au soleil, tout ce petit monde se retrouvait. On se connaissait sans se connaître vraiment, on se côtoyait de près sans se fréquenter. Tout un art du « je fais semblant de ne pas te voir mais je t’ai bien vu quand même… » La comédie humaine… Le Brant, c’était cette subtile ambiance-là. Le Brant est sauvé. Les banquiers pleurent et les amoureux de la vie sourient. Et c’est bien comme ça…
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L’ARES : cinquante ans de bon boulot… Texte Véronique LEBLANC Photos Raoul Gilibert
Difficile d’imaginer plus de dynamisme que celui dégagé par Marc Philibert lorsqu’il nous reçoit dans les locaux flambant neufs du Centre socio-culturel de l’ARES, niché au cœur du quartier de l’Esplanade à Strasbourg. « J’avais à peine quatre ans quand l’ARES a été créée en 1964. Je suis natif de Bourgogne et ma vocation d’œuvrer dans l’éducation populaire est née là-bas, à la fin des années 70, en devenant « aide-moniteur », on disait comme ça à l’époque, dans un centre aéré qui accueillait les enfants l’été. Jamais je n’aurais pensé pouvoir un jour diriger une telle structure et surtout bénéficier d’un tel outil… »
Ce centre socio-culturel est un joyau
Depuis bientôt 50 ans, l’Association des résidents de l’Esplanade (ARES) est l’interlocuteur des diverses municipalités qui se sont succédées à Strasbourg dès qu’il s’agit de développer les services à la population. Rencontre avec son directeur, Marc Philibert qui revient sur le passé et n’hésite pas à se plonger dans l’avenir d’une association cinquantenaire, certes, mais pleine de vitalité… 64
Et Marc nous entraîne avec allant dans la visite du centre socioculturel qu’il dirige. De vastes baies vitrées par lesquelles le soleil pénètre généreusement en cette fin octobre. Un accueil où résonnent les cris joyeux des enfants qui forment une sarabande avec les animateurs dans une des grandes salles d’activités du rez-dechaussée. C’est Halloween… Les enfants et les animateurs s’en donnent à cœur-joie !
Marc Philibert
À l’étage, Marc, enthousiaste, ouvre les portes une à une : ici une vaste salle qui accueille les « percussions » de l’École de musique de l’ARES, là un espace dédié à l’informatique et partout de vastes couloirs ornés de cimaises : « L’art est au cœur de notre démarche, nous souhaitons ainsi que les enfants y soient sensibilisés très tôt… » souligne Marc Philibert. Ce centre socio-culturel est un véritable joyau. Inauguré en début d’année, il a doté l’association d’un outil précieux pour accueillir les enfants des résidents du quartier autour d’activités de qualité, y compris hors des congés scolaires. Auparavant, il y a moins d’un an, c’étaient encore deux étages d’Algéco qui abritaient ces mêmes enfants : « L’ARES a commencé l’accueil des jeunes à la Taupinière. C’était le nom d’une baraque dans laquelle se situait l’épicerie de l’Esplanade militaire ! Ensuite, il y eut l’époque du programme national des 1000 clubs… ». Toute une époque, celle des premiers développements de l’éducation populaire défile dans nos souvenirs…
Une association historique et… puissante On l’a dit, l’ARES fêtera dans quelques mois son cinquantenaire. « En 1964, nous en étions au début de la construction de ce quartier de l’Esplanade » commente Marc. « L’ARES est à 100% une initiative des premiers résidents de l’époque. J’ai retrouvé dans les archives un compte-rendu dans lequel il y avait cette phrase : « Nous créons cette association pour nous mêler de ce qui nous regarde… » Je crois que la légitimité actuelle de l’ARES vient directement de là. Au milieu des années 70, les constructions étaient terminées et les gens qui vivaient dans le quartier étaient de jeunes cadres issus des classes moyennes, des profs de fac… Tous avaient besoin de services pour leurs enfants comme la halte-garderie par exemple ou encore un centre de loisirs qui a reçu très tôt son agrément en tant que centre social, bénéficiant ainsi des financements publics. C’était parti et ça continue encore aujourd’hui. Pour moi, le trait de génie de cette association bientôt cinquantenaire est d’avoir toujours œuvré au développement de services à la population tout en gardant totalement la maîtrise des événements. Ainsi, dans les années 80, l’ARES s’est opposée à la construction de tours de plusieurs dizaines d’étages, un projet qui datait de l’ère de Pierre Pflimlin, plus de dix ans avant. Le programme a été stoppé net… ». Et heureusement : depuis, on a compris tant de choses sur l’urbanisme de cette époque. On n’imagine vraiment pas le plaisir de vivre dans ce quartier si ce programme avait été réalisé…. L’ARES d’aujourd’hui a conservé sa puissance : l’association décompte 1500 familles adhérentes et elle fait toujours preuve du même dynamisme : en témoigne son journal qui, depuis le 20 novembre 1965, paraît sans
discontinuer dix fois par an. « Je trouve que la vision de la Une du premier numéro et celle du plus récent résume très bien le chemin parcouru, non ?.. » sourit Marc.
Un budget en conséquence Le budget de fonctionnement de l’ARES est de 2,8 millions d’euros, ce qui permet la présence de 100 salariés, dont 60 équivalents temps plein. 20% de ce budget provient des utilisateurs des services (les familles qui paient pour leurs enfants), le solde venant des subventions publiques. La Ville de Strasbourg assure 60% de ce poste, la Caisse d’Allocations Familiales 30%, et le Département du Bas-Rhin intervient pour les 10% restants. « Malheureusement » souligne Marc Philibert, « Le département est en gros désengagement. La faute aux dotations de l’État qui ne cessent de décroître depuis des années maintenant et qui devient quasiment total aujourd’hui… ». Heureusement, il y a les bénévoles. « C’est le véritable trésor de l’ARES » explique Marc Philibert. « Ils sont 150 et très actifs. Ils représentent huit salariés en temps plein. Le journal, par exemple, est distribué chaque mois par les bénévoles. Sans eux, ce ne serait pas jouable… ». Avant de nous quitter, le directeur tient à nous faire visiter la salle de spectacle qui sera bientôt rénovée elle aussi (« je travaille sur un projet culturel basé sur cet outil magnifique »). Tout à côté, il y a même un potager et une vaste pelouse ! Presque incroyable au cœur d’un paysage urbain aussi dense… On comprend mieux la réflexion initiale de Marc Philibert, se souvenant de ses lointains débuts dans l’éducation populaire : « Jamais je n’aurais pensé pouvoir bénéficier d’un tel outil… ».
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RALLYE DE FRANCE C’est toute une équipe… Texte Jean-Luc FOURNIER Photos Médiapresse Strasbourg – DR
Si 2 000 personnes collaborent à la réussite du week-end annuel du Rallye de France-Alsace, une toute petite structure est à pied d’œuvre toute l’année. Sous les feux des projecteurs ou carrément invisibles, nous avons suivi pas à pas durant 48 h ces sept professionnels qui se doivent de tout prévoir, tout gérer et tout réussir…
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Zénith Strasbourg – Vendredi 4 octobre – 8h30 L’heure est matinale mais la ruche du Zénith s’active déjà… Nous suivons pas à pas un petit bout de femme qui a un bonjour gai pour quasiment tout le monde et qui semble connaître parfaitement le rôle de chacun… Sandy Divelec est la responsable marketing et commercial du rallye. L’épicentre de son activité est le vaste chapiteau surélevé dans lequel se rejoignent les divers partenaires économiques qu’elle a réussi à convaincre de soutenir la manifestation. À cette heure-là, bien sûr, l’espace est désert mais l’œil de Sandy (et celui de sa jeune assistante, Pauline) est perçant comme celui d’un aigle. Les équipes de nettoyage sont passées. Enfin, presque : sur la moquette, il y a de légères traces blanchâtres laissées sans doute par les semelles des nettoyeurs et quelques sacs poubelles mi-pleins traînent le long d’une cloison, vestiges de la première soirée du Rallye qui, la veille, a déjà permis aux annonceurs de réunir des invités. Un coup de fil rapide via son mobile et l’équipe de permanence de la société prestataire sera là quelques minutes plus tard : « Tout doit être impeccable » soupire Sandy, « et pour ça, il faut avoir l’œil partout. C’est bien le minimum que nous devons
à nos partenaires et à leurs invités. Leur soutien représente un budget important et ils ont acheté des prestations de qualité. Nous sommes en permanence en alerte sur la présence de leurs visuels sur les supports qu’ils ont choisis et bien sûr sur l’accueil qui leur est réservé ainsi qu’à leurs invités. Sincèrement, si j’étais chef d’entreprise, j’essaierais de m’inscrire dans une telle approche : le partenariat qu’ils entretiennent avec le Rallye de France-Alsace leur permet de mobiliser magnifiquement leur personnel, il contribue à fédérer leurs salariés… ». Pendant que Sandy nous résume son travail, on s’active déjà dans le chapiteau de réception : le traiteur est en repérage pour sa mise en place de la soirée, des livreurs déposent des cartons de boissons… Ce soir, la fête battra son plein, sous l’œil toujours vigilant de Sandy. Mais ce vendredi matin, la responsable marketing et commercial paraît préoccupée par un événement inattendu : « C’est vrai » concède-telle, « le président de la FFSA doit recevoir un hôte important dans son salon qui est contigu à cet espace. Et on vient de m’avertir qu’une machine à café est en panne. Je dois en dégoter une autre très vite. » Curieux par nature, nous voulons en savoir plus sur cette personnalité importante. « Secret professionnel » sourit Sandy, « désolée, je ne peux rien dire… ». Même dit avec un grand sourire, on sent bien la pro, aguerrie à ce genre de situation… (Bien plus tard, on apprendra qu’effectivement, cette personnalité était importante. Jean Todt, président de la Fédération Internationale de l’Automobile, en personne. Mais secret absolu sur la teneur des conversations dans le salon présidentiel. Néanmoins, la machine à café fonctionnait bien…)
Vendredi 4 octobre –10h Nous voilà dans l’antre de l’organisation du Rallye, dans de petits espaces privatifs installés sous les gradins publics du Zénith. Pour accéder là, il nous a fallu passer autour du cou plusieurs badges d’accréditation. Nous sommes avec Jérôme Schlichter, permanent en charge de la communication et de la promotion. Titulaire d’un Master II Marketing et gestion d’évènement, Jérôme travaille toute l’année pour préparer le Rallye de France-Alsace dans le cadre d’un CDD qui a succédé à un poste de bénévole sur la précédente édition où il a été remarqué par la direction. Et le garçon savoure à l’évidence le bonheur qu’il ressent à faire partie de cette équipe d’organisation permanente : « Toute l’année, nous la passons à préparer les supports « print » comme les programmes officiels, les flyers, etc… ainsi qu’à mettre en ligne toutes sortes d’informations sur les réseaux sociaux comme Facebook, très utilisé par nos fans. Une grande partie du temps, dans les mois qui précèdent le Rallye, est également consacré aux relations avec les services de communication des Collectivités locales ainsi qu’avec les différents médias. Je participe aussi au montage des conférences de presse… Mais là, au deuxième jour du rallye, on est vraiment dans le jus. C’est moi qui assure la mise en ligne des infos sportives tant sur le site officiel que sur les réseaux sociaux. Les news tombent et se doivent de parvenir aux internautes en temps réel, on cite les propos des pilotes après chaque Spéciale et on donne aussi des infos sur l’accessibilité des Spéciales suivantes. Bref, on n’arrête pas… ». À le voir ainsi œuvrer « au four et au moulin », on mesure bien la passion qui anime Jérôme, fier d’être au cœur d’un tel évènement, qui plus est au sein d’une petite équipe permanente où chacun sait aussi donner le coup de main « quand il faut ». (D’ailleurs, pour ne rien vous cacher, c’est lui qui, à la volée, dénichera la machine à café pour le salon présidentiel – ndlr). Juste avant de le quitter, cette simple question : « On imagine que ton rêve serait que ce CDD se transforme en CDI, non ? ». L’œil de Jérôme s’allume et il nous répond : « Oh oui ! ». Juste avant de replonger sur ses écrans…
Vendredi 4 octobre –12h Florence Leoszewski, l’attachée de presse régionale permanente de l’organisation du Rallye de France-Alsace, est à pied d’œuvre depuis quelques heures déjà. Cette deuxième journée du Rallye sera pour elle l’occasion de démontrer sa science du management en matière de relations presse. Outre les journalistes accrédités présents au sein de l’immense centre de presse, elle gère aussi les plateaux avec les médias. A la volée, elle nous donne les indispensables renseignements sur les facilités que l’organisation procure aux journalistes mais elle est surtout préoccupée par la
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venue d’une personnalité, Luc Alphand. L’ex-skieur, champion du monde de descente en 1997, s’est ensuite immédiatement reconverti en sportif tout-terrain remportant le Paris-Dakar en 2006 avant de se lancer dans la voile en participant à la Transat Jacques-Vabre. Recruté depuis par la Fédération Française du Sport Automobile, il accompagne les VIP de Spéciale en Spéciale et contribue aussi à la notoriété du Rallye de France-Alsace en participant volontiers à nombre de plateaux TV ou radio. Justement, c’est toute l’équipe de France Bleu Alsace qui attend Luc Alphand sur son podium au sein même du Parc du Zenith pour son émission en direct de la mi-journée, relayée sur l’ensemble du réseau national. Le mobile scotchée à l’oreille, Florence s’assure moult fois de l’arrivée du consultant et rassure en permanence les journalistes de la radio régionale qui, direct oblige, voudraient bien être certains que le rendez-vous sera honoré. « Oui, il n’est pas loin, ne vous en faites pas… ». « Dans 5 minutes, il sera là… ». « Il arrive, il gare sa voiture… ». En à peine trente secondes, elle briefe succintement Luc Alphand sur le conducteur de l’émission en direct et veille à son installation sur le plateau. Ce n’est que lorsque l’émission démarrera vraiment qu’elle pourra se décontracter et suivre avec attention les propos de l’invité qui, après s’être fait « chambrer » gentiment par le comédien JeanPhilippe Pierre chargé de lui tirer le portrait, assurera en grand pro la réponse aux questions des journalistes pendant l’heure d’antenne qui lui est dévolue.
Vendredi 4 octobre –13h Autour d’un solide plateau-repas que nous prenons dans le « catering » installé sous les gradins du Zénith, Florence revient sur son travail d’attachée de presse régionale qu’elle a entamé au début de l’année (une succession d’évènements à organiser ou à gérer, parmi lesquels des conférences de presse régulières avec leur lot de communiqués) et insiste aussi sur la polyvalence entre les membres de cette petite équipe de permanents « polyvalence sans laquelle rien ne serait possible » confie-t-elle. Vient ensuite le moment d’organiser la suite de nos rencontres. Le mobile (décidément l’outil sans contexte le plus présent dans les poches des organisateurs) fait une fois de plus merveille. Nos prochains rendez-vous sont confirmés. Et à peine un tout petit plat avalé, Florence se rue de nouveau dans son bureau attenant au Centre de presse du Rallye. Elle maintiendra sans faiblesse ce rythme jusqu’au dimanche soir…
Vendredi 4 octobre –16h Nous avons dû insister pour passer quelques minutes dans le saint des saints, le centre de contrôle du Rallye. Et Florence a fini par bien négocier le coup… Deux vastes pièces contigues, bourrées à ras bord de toute la technique numérique nécessaire. L’une est entièrement occupée par les autorités officielles (gendarmerie, préfecture, secours 68
médicaux…). C’est le PC Autorités qui est en liaison permanente avec le terrain et placé sous l’autorité unique d’un sous-préfet qui coordonne le travail de tous. Dans l’autre, le PC Course, des écrans d’ordis à profusion, des imprimantes, des écrans géants multisources qui retransmettent les différentes vues de la Spéciale en cours. L’un d’entre eux, relié à une source informatique, identifie la progression des différents concurrents représentés par des sigles avec leur numéro de voiture… Devant cette batterie d’écrans, une petite vingtaine de personnes sont attablées. Chacune d’entre elles a les yeux rivés sur son écran individuel et est concentrée sur les informations audio qui lui proviennent du terrain dans le casque scotché sur la tête. L’ensemble rappelle irrésistiblement les centres de contrôle du lancement de la fusée Ariane, vus régulièrement à la télé. Un silence religieux règne là durant les Spéciales, à peine perturbé par les échanges vocaux entre les responsables et leurs interlocuteurs sur le terrain, via les liaisons radio HF. La concentration est maximale et chacun joue sa participation à merveille. Les visages reflètent la tension palpable, au fur et à mesure de la progression de la Spéciale. De temps à autre, un des contrôleurs requiert l’acquiessement du directeur de course. La plupart du temps, ce dernier donne son accord d’un simple signe de tête. Pas de doute, ces gars-là ont l’habitude de travailler ensemble et sont parfaitement rodés à cet exercice. Impressionnant… On ne les voit jamais à la télé, on ne parle jamais d’eux et durant la totalité de l’épreuve, ils resteront dans l’ombre. Mais, après une heure passé là en silence à les observer en évitant de les déranger lors des photos que nous aurons eu l’autorisation de prendre, pas de doute : le cœur névralgique de l’épreuve est bien là et ces gars sont de vrais pros. Bravo Messieurs, vous nous avez bluffés par votre savoir-faire et votre calme…
Vendredi 4 octobre –17h À peine descendu de son hélicoptère de directeur-adjoint du rallye et responsable de la Sécurité, David Serieys nous rejoint, bardé d’un casque d’écoute relié à un petit boîtier de ceinture, le mobile à l’oreille. Il se connecte à son poste au sein du PC Course, échange avec un correspondant sur le terrain d’une Spéciale dans le Haut-Rhin tout en surveillant l’écran de son mobile où son frère Dominique, directeur du Rallye de France-Alsace, lui envoie un flot de SMS. « Je ne les compte plus » rigole David. « C’est de loin le meilleur de nos moyens de communication… ». Avant chaque Spéciale, si la météo le permet, les deux frères embarquent dans l’hélicoptère de la direction de la Sécurité. Dès la dernière voiture ouvreuse engagée, ils survolent à très basse altitude le ruban de bitume sur lequel les pilotes vont s’engager un par un dans les minutes qui vont suivre. Leur but est en priorité d’assurer la sécurité des spectateurs, un des cauchemars des organisateurs de rallye automobile. Et on comprend mieux le problème quand on jette un coup d’œil sur les images des caméras embarquées dans les bolides : sur ces routes de montagne étroites et tortueuses, on se ferait déjà un peu peur, en temps normal, en roulant autour des 90 km/h. Mais quand une pluie fine s’invite (c’est le cas aujourd’hui), sans parler du brouillard d’automne, et que les pilotes atteignent facilement les 150 km/h avec leur monstre mécanique, alors là on se pince pour y croire. C’est réellement incroyable et vertigineux ! « C’est pourquoi notre rôle, juste avant le départ du premier concurrent, est capital » poursuit David. « Ainsi, ce matin, notre hélicoptère a débusqué une poignée de spectateurs qui avaient pris place dans un endroit dangereux et qui, pourtant, était interdit. Ces petits malins avaient attendu le passage de la dernière voiture ouvreuse, allongés sur le sol entre les ceps de vigne. Nous avons survolé le groupe, nous sommes descendus avec l’hélico à une dizaine de mètres dessus d’eux et nous avons fait un point fixe. Croismoi, quand tu te retrouves ainsi avec les pales qui provoquent un tourbillon d’air aussi impressionnant, plus notre haut-parleur qui te hurle dans les oreilles, tu dégages et vite fait ! À peine avaient-ils décampé que nous avions déjà prévenu la Gendarmerie par radio pour éviter qu’ils ne s’y réinstallent dès l’hélicoptère disparu. Bien nous en a pris : à peine une demi-heure plus tard, un concurrent est sorti à grande vitesse, exactement à cet endroit. Sans dommage pour lui, mais cela aurait pu être dramatique si un spectateur s’était trouvé là… ». La charge des responsabilités qu’il occupe n’apparaît pas sur le visage toujours souriant de David. Curieux destin que le sien : destiné à devenir prothésiste
dentaire, sa passion du sport auto a vite pris le dessus depuis plus de vingt ans aujourd’hui. S’il n’a jamais couru en tant que pilote, sa carte de visite regorge de fonctions stratégiques : assistant logistique dans l’écurie de Bruno Saby, responsable achats chez GT2I, un gros équipementier automobile, préparateur chez Barroso Sports (là, il a vu débuter un certain… Sébastien Loeb au volant d’une Mégane…) puis coordinateur du Team Mitsubishi pendant huit ans auprès de son frère Dominique, directeur du Team (la véritable ouverture pour son aventure actuelle), deux ans, enfin, passés chez ASO en tant que consultant sur le Dakar, notamment avant de rejoindre, l’an passé, Dominique devenu directeur du Rallye de France-Alsace avec lequel il forme évidemment le plus parfait des binômes. Le reste de l’année, David s’attelle à un travail de Titan. « Chaque Spéciale doit faire l’objet d’un book complet qui est le véritable dossier technique de sécurité. L’objet fait environ 350 pages. Il contient absolument tout ce qui peut être recensé en la matière et il est actualisé en permanence et au fur et à mesure dans les toutes dernières semaines. S’y ajoute le dossier réglementaire Médias avec l’emplacement des photographes accrédités sur le terrain de la course, leur numéro de chasuble, etc, etc…, le dossier de sécurité pour le public avec les emplacements sécurisés, et j’en passe. Crois-moi, on est bien occupés toute l’année mais notre récompense est là, durant ces quatre jours de course, quand tout est OK. Mais c’est vrai : on croise souvent les doigts pour que tout se passe bien. On sait qu’on a fait le maximum pour bien faire le job mais on craint toujours un peu l’imprévu dans une organisation pareille… ».
Vendredi 4 octobre –18h30 La deuxième journée du Rallye de France-Alsace a été dense. On quitte le site du Zénith en traversant le village annonceurs où les écrans géants rediffusent les Spéciales du jour. Un peu plus loin, près du chapiteau des partenaires, le parc fermé des concurrents. Une foule impressionnante, contenue par des barrières, est massée devant les stands des teams où les mécanos bichonnent les bolides. On passera demain soir y faire un tour… On croise de nouveau Sandy qui nous glisse en courant : « Je file retrouver mes partenaires… ». Au four et au moulin depuis ce matin, Sandy…
AÉroport d’Entzheim - Samedi 5 octobre - 8 h La météo a eu raison. Elle prédisait un vrai samedi pluvieux et nous y sommes. Ce crachin fin et dense n’arrange évidemment pas les affaires des responsables du rallye. L’armada d’hélicos est encore sagement alignée sur le tarmac, les capots et le moteur protégés par les housses en plastique. Dominique Serieys, le boss, a la mine soucieuse. Nous le voyons à travers les vitres du poste de sécurité de l’aéroport où nous avons été autorisés à accéder, en compagnie d’une équipe de France Télévisions qui, elle aussi, a prévu de tourner un reportage sur le travail des responsables de la sécurité de l’épreuve. Il palabre fort au téléphone, en allant et revenant sur ses pas, à proximité de sa voiture officielle. A l’intérieur, son frère David est plongé dans la lecture des dossiers des Spéciales du jour. Très calme, apparemment… En attendant que tombe la décision des pilotes (seuls maîtres à bord pour décider s’ils volent ou pas), nous nous rendons au plus près des appareils, sous la pluie battante. Le temps que l’un d’entre eux nous explique les difficultés de voler 69
avec une météo pareille… Ça bouge près de quelques hélicos qui, manifestement, vont décoller. Ce sont ceux des teams officielles, du moins les plus importantes : Citroën, Volkswagen,… Eux ont décidé de voler car les enjeux pour leurs pilotes sont immenses : un jour avant la fin du Rallye, les cadors se tiennent en à peine une poignée de secondes. Puis c’est le tour des hélicos télé : ils volent beaucoup plus haut que celui du directeur de la sécurité, assurant le relais avec un avion qui tourne en rond encore plus haut, au-dessus du plafond des nuages. L’ensemble de ce dispositif technique permet de transmettre les images de la course, non seulement pour les chaînes télé mais aussi pour les journalistes au centre de presse… L’un après l’autre, les appareils décollent. Puis la nouvelle tombe : le pilote de l’hélico de la direction de la sécurité a estimé qu’il lui était impossible de voler aussi bas que la veille. Trop dangereux… Nous rejoignons Dominique, déjà en train de s’adapter aux nouvelles conditions : « Voilà… On va le faire à l’ancienne. En voiture. On passera juste après le dernier ouvreur… C’est comme ça. La météo est bien l’une des seules choses qu’on ne pourra jamais maîtriser. Allez, on y va… ». Et la voiture quitte le tarmac d’Entzheim. En trombe…
ai laissé des chocolats tout à l’heure. Vous ne les avez pas eus ? Mince, alors… J’en ai encore à côté de moi. Tenez… ». Et le véhicule redémarre sur les chapeaux de roue laissant derrière lui des vigiles ravis… Juste avant d’arriver à destination, cette confidence : « Si aujourd’hui j’étais ailleurs, je m’ennuierai. Je suis à la place où je dois être et ça me passionne… ». Sacré bout de femme…
Parc des Forges - Centre logistique du rallye - SAMEDI 5 octobre –10h
Non seulement Fabrice, le responsable du centre logistique, est un de ces indispensables maillons qui restent dans l’ombre, loin des caméras et des journalistes, mais en plus il ne voit même pas la course, même à la télé. Et c’est pareil pour les gars de son équipe. Pendant quatre jours, ils passent leur temps au sein d’un immense hangar au parc des Forges, près d’Hautepierre. Une véritable caverne d’Ali Baba où tout le matériel nécessaire ZÉNITH DE STRASBOURG - SAMEDI 5 octobre – 9H30 au bon déroulement de l’épreuve est réceptionné, stocké, ventilé, redistribué… Ça va de la casquette Toujours grâce à Florence, nous sommes officielle au piquet délimitateur de zone en passant pris en charge par Barbara. Basée par la panneautique officielle pour les bords de à Strasbourg, elle est l’assistante de route : des centaines de références, parfaitement Dominique. Tout au long de l’année, cette alignées et répertoriées sur des rayonnages de femme de 44 ans (mais elle en fait facile stockage. Ce samedi matin, mille choses perturbent six de moins…) est en relation permanente Fabrice mais deux sont au-dessus des autres : avec la cohorte des fournisseurs de d’abord sticker en urgence la nouvelle voiture d’un l’organisation. Elle assure le suivi et la commissaire de course (celle qui la veille fonctionnait livraison des commandes qu’elle a passées parfaitement n’a pas pu démarrer ce matin, alors dès le début novembre précédent en il faut bien identifier la seconde pour que l’officiel respectant un cahier des charges rigoureux. Elle est également, tout puisse rejoindre le terrain où il est attendu…) puis au long de l’année, en relation avec les communes traversées par ensuite dénicher les 200 ponchos attendus par le rallye pour établir l’ultra-important dossier Préfecture, une fois les bénévoles quelque part dans le Bas-Rhin en le parcours arrêté. Engagée pendant un mois comme bénévole en raison de la pluie ! Et là, ce n’est manifestement 2011, elle a ensuite été recrutée à temps plein quelques mois après pas une mince affaire car les ponchos qui étaient et vit depuis au rythme de la petite équipe de sept permanents. La là pourtant quelques minutes auparavant ont polyvalence, encore… disparu. « Mais où sont-ils ces foutus ponchos, « Pendant le rallye, je ne suis plus l’assistante du Bureau de où sont-ils ?… » Le tout Strasbourg, je suis la personne à tout faire » rigole-t-elle en nous avec le mobile scotché à conduisant vers le centre de logistique. Et c’est vrai, nous le l’oreille là encore, et ce constatons immédiatement. Au volant de son véhicule, Barbara et correspondant au bout son gros cahier à spirales où elle note tout (une bonne centaine de du fil qui, lui, voudrait pages ont déjà été noircies depuis 48 h), Barbara qui répond à son bien qu’on lui garantisse mobile et qui alterne conduite, écriture, réponses en direct sur le que ses ponchos vont mobile… Avec le ton sympa et empathique en plus : en sortant de arriver… la zone officielle du Zénith, un petit mot aux contrôleurs : « Je vous
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« C’est comme ça pendant quatre jours… mais mes gars ici sont formidables… » glisse Fabrice. « Excusemoi, mais là c’est chaud. Si tu veux, je t’expliquerai tout ça plus tard… » et Fabrice disparaît dans son antre… Plus tard, effectivement, on apprendra que ce garçon très efficace vit de sa passion du sport auto (« j’ai toujours voulu être dedans »), que cette passion est curieusement née en 1982 alors qu’il était en vacances au Mans chez ses grand-parents et qu’il a vu à la télé le grave accident de Didier Pironi en F1, qu’il a eu la chance « d’être là au bon moment » engagé chez Mechachrome qui fournissait les moteurs Renault en F1 que chaque année il s’évade, sous contrat, pour s’occuper du Paris-Dakar dont il regrette le passage dans cette Afrique « physiquement dure mais qui reste une aventure extraordinaire tant humaine que sportive ». À l’heure où vous lirez ces lignes, Fabrice sera en partance pour l’Amérique du Sud où le Dakar a désormais trouvé refuge. Mais dès le début avril et jusqu’à l’automne, Fabrice sera de nouveau à plein temps à Strasbourg, pour préparer le Rallye 2014. « Je ne me sens pas frustré du tout en étant un homme de l’ombre. Ça ne me dérange pas du tout. Je vis ma passion, c’est tout… ». Fabrice, un des piliers du Rallye de France-Alsace, modeste, passionné et… efficace en diable.
SAMEDI 5 octobre – Après-midi C’est une « ancienne » du Rallye de France. A l’époque, où il se courait sur les impitoyables routes des montagnes corses et où elle a débuté en 2000 comme commissaire pour la sécurité du public. Une autre passionnée. Valérie (46 ans) est désormais responsable logistique dans la petite équipe permanente. Son boulot, c’est le balisage des Spéciales. Et il n’est pas mince… 400 commissaires sécurité (« elles étaient moitié moins en Corse », précise-t-elle) qu’il s’agit de positionner sur les 320 km de Spéciales. Tous les 100, 150, ou 200 mètres après un très précis repérage sur le terrain qui commence dès le mois de janvier précédent. « C’est un travail de fourmi, entre les difficultés naturelles du parcours, les zones à délimiter pour que le public soit en sécurité : là, trois personnes, là cinq, plus loin huit,
c’est interminable… Et c’est un boulot ingrat car plus tard, au moment du rallye, on sait bien que les commissaires vont se faire insulter par certains spectateurs qui ne comprennent pas toujours les impératives raisons de sécurité que nous avons repéré bien avant. Et puis, en temps et en heure, il faut faire parvenir des milliers de piquets en bois pour délimiter tout ça, des centaines de kilomètres de banderoles fluo, des filets, des panneaux par centaine, sans parler des bennes à ordure pour la gestion des déchets du public, un point qui nous tient très à cœur, les WC publics et on en passe… C’est un boulot qui me permet de toucher à tout, c’est mon truc et ça ne me fait pas peur. En tout cas, ce job, on ne peut pas le faire si on n’est pas passionné. L’année passée fut pour moi une année pour apprendre et découvrir. Cette année, je pense que mon bilan personnel est positif même si j’ai repéré des petits couacs ; l’année prochaine, je vais vraiment anticiper sur des postes que j’ai un peu sous-estimés… Je voudrais bien que nous passions des sept personnes permanentes que nous sommes encore à 15 jours du début de l’épreuve à une vingtaine au moins un mois avant. Ce ne serait pas de trop, ne serait-ce que pour confirmer et distribuer les 200 véhicules que nous louons et qui, bien sûr, sont tous réceptionnés en même temps à la veille du rallye ! Et pour organiser aussi les mouvements des 1200 personnes que nous devons loger ? Ça va de l’Hilton au village-vacances » soupire Valérie…
SAMEDI 5 octobre – 18h C’est le rendez-vous de conclusion avec Dominique Serieys. Bien sûr, il reste une matinée de Spéciales où tout va se jouer concernant la tête de la course. Mais ensuite, tout ira très vite le dimanche. Alors, autant profiter de la relative accalmie de la veille pour recueillir ses propos. Pas trop crevé, Dominique ? « Non, et je vais même te surprendre. Durant le rallye, je me couche chaque soir à 1h du matin, je m’endors aussitôt et je me réveille à 7 h. Trois nuits très longues à comparer avec les semaines et les semaines qui précèdent où je dors au maximum quatre heures, en moyenne ! Pendant la journée, mon emploi du temps est calibré à la minute près, quasiment. A 7h45 je suis dans l’hélico à Entzheim, je reconnais les trois premières Spéciales. À H- 60 minutes puis H – 40 minutes, je supervise les mises en place du dispositif. À H-10 minutes, je suis de nouveau au sol. À 11h30, je suis de retour au Zenith. À 13h30, je repars en hélico. Et puis rebelote, comme le matin, de nouveau le programme des trois Spéciales. À 18h, l’hélico me dépose. À 19h, on fait le debriefing avec la direction de la course, et à partir de 20h, je dîne avec les partenaires et leurs invités. Ce programme est immuable et bien rodé. » Après trois ans d’organisation, Dominique s’avoue « assez satisfait même s’il y a encore des choses qui se doivent d’être revues. Mais je note une très bonne évolution. Ces centaines et ces centaines de bénévoles font un travail réellement extraordinaire, on ne les remerciera jamais assez. Je suis époustouflé par le travail qu’ils réalisent et la passion qui est la leur. Sincèrement, on approche de l’exemplarité et c’est une bonne nouvelle pour 71
la FFSA, l’Alsace et le sport auto en général. Cette fête populaire est gratuite de A à Z et mon rôle principal est de veiller à ce que ce rallye reste une fête. La sécurité de l’épreuve est mon souci numéro un, ma priorité de loin la plus importante… En 2014, le rallye se disputera de nouveau en Alsace. Je souhaite qu’on puisse évoluer structurellement et financièrement pour que notre petite équipe puisse être fin prête une semaine avant le départ. Il nous faudra trouver un équilibre économique, même si la situation n’est pas favorable au niveau national, dans ce domaine. J’ai encore besoin de temps pour construire un business model car même si on progresse bien en recettes, les charges sont en augmentation aussi, c’est assez pénalisant. Mais on va y arriver… » conclut le directeur du rallye.
SAMEDI 5 octobre – 20h Ils sont des centaines et des centaines agglutinés contre les barrières de sécurité, face au stands des constructeurs, dans l’attente de (peut-être) apercevoir Loeb ou Ogier. Ils admirent le travail des mécanos et le commentent entre eux. Certains sont là depuis des heures, pour être certains d’occuper la bonne place. Ils sont infatigables. Le sport automobile a vraiment un public en Alsace. Un public de passionnés ! C’est bluffant…
Dimanche 6 octobre – ZÉnith de Strasbourg – 17 h
C’est la grande parade à l’intérieur même du Zénith. Depuis deux jours, des centaines de techniciens ont bossé pour que la grande scène finale soit à la hauteur des trois jours qui ont précédé. Des milliers de spectateurs ont envahi les gradins, des centaines d’autres vont suivre la cérémonie à l’extérieur, sur des écrans géants. Un à un, les équipages se présentent dans leur voiture, reçoivent leur récompense de la main de l’ensemble des personnalités politiques d’Alsace, et s’en vont dans un dernier vrombissement de moteur, applaudis à tout rompre.
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Puis, une heure plus tard, juste avant un très bel hommage à Sébastien Loeb et ses neuf titres, des milliers de paillettes d’or recouvrent les épaules de Sébastien Ogier, enfin devenu champion du monde. Debout devant les premiers rangs du public, dans l’ombre, Dominique Serieys savoure discrètement la joie du travail bien fait. Pas très loin de lui, les autres membres de sa petite équipe font de même. Modestes. Dans l’ombre eux aussi… Un dernier mot à leur intention. Sincèrement, votre passion et votre savoir-faire nous ont épatés. À l’année prochaine les amis !
C’est toute une équipe...
COMMENTAIRE Bien sûr, il y a les anti-rallye. Il ne faut pas ignorer certains de leurs arguments quand ils sont exposés de façon rationnelle, notamment les questions relatives à l’écologie en ces périodes où le tout bagnole, tel que nous le connaissions depuis des décennies est remis en cause, quelquefois à bon escient. Attention cependant à ne pas se perdre sur d’autres terrains, celui de la démagogie notamment. On a lu ici ou là quelques arguments sur le soutien financier des Collectivités, notamment, qui, franchement, frisent le ridicule. Car enfin, que veut-on ? Une Alsace calfeutrée, engoncée sur elle-même, ne comptant que sur les marchés de noël, les géraniums, la choucroute et ses bretzels, même relookés en marque, pour faire valoir ses atouts dans le concert des villes qui comptent en France et hors de France ? L’Alsace (et Strasbourg) doivent faire preuve d’audace au sein d’un monde où la concurrence entre les régions et les métropoles est une réalité très palpable. Aujourd’hui, plus personne ne peut vivre sur ses acquis, fussent-ils remarquables. Aujourd’hui, faute d’être le plus riche, on peut être le plus réactif, le plus innovant, le plus fonceur, le plus malin. Et ça paye… Par son audience internationale incontestable, le Rallye de France-Alsace draîne chaque automne une audience considérable, tant sur le terrain où s’affrontent les pilotes (quel fantastique public, reconnaissent tous les spécialistes) que dans le monde entier (via les retransmissions télé et le net). Cet évènement annuel est une des plus belles campagnes de publicité qui soit, c’est une évidence. Le soutien des Collectivités locales est parfaitement justifié car un tel évènement, quelle que soit la région qui l’accueille, ne peut se monter sans lui. C’est partout pareil, d’un bout à l’autre de la planète car, à ce niveau de notoriété et d’impact, il faut enclencher les grands moyens. Le Rallye de France-Alsace aura de nouveau lieu chez nous en 2014. Aucune visibilité ultérieure ne peut être garantie, certes, mais il serait bon que chacun réalise à quel point cet évènement est générateur de profits, de notoriété et de visibilité pour l’Alsace. Il serait également bon, et même très bon, qu’une fois les sensibilités diverses et variées exprimées, chacun se range sous la bannière de notre région. En laissant la démagogie de côté pour l’occasion. Il y a tant d’autres terrains où elle peut s’exprimer… Pour une fois, l’Alsace a parfaitement su saisir la balle au bond par la grâce providentielle de la naissance de Sébastien Loeb sur ses terres. Il ne sera pas une dixième fois champion du monde certes, mais l’évidence est là : l’Alsace serait avisée et intelligente en continuant à accueillir un des rares évènements de portée mondiale qui est encore à sa portée… JLF 73
EXPOSITION
Ça sent le sapin…
de noël ! Texte Jean-Luc FOURNIER
Encouragé par le succès de l’exposition de l’an dernier, le Conseil général du BasRhin renouvelle son exposition « Ca sent le sapin… de noël ! » à Strasbourg et à Sélestat. Les particuliers alsaciens s’en donnent à cœur-joie côté talent créatif…
C’est un clin d’œil tout à fait original qui se renouvelle… Au beau milieu des marchés de noël alsaciens qui drainent les foules venues de tout le pays et d’ailleurs, une « petite » exposition réussit à trouver son public et témoigne de la passion de noël ressentie par le grand public alsacien. Hommage tout particulier à notre région qui a « inventé » la tradition du sapin décoré au MoyenÂge (c’étaient de simples pommes qui étaient alors suspendues), une tradition désormais bien ancrée un peu partout dans le monde et qui trouve toute sa légitimité à l’approche des fêtes de fin d’années.
matériaux insolites, voire de récupération… Tout est prétexte pour participer à la grande fête annuelle, véritable image de marque pour l’Alsace depuis sa spectaculaire relance, il y a maintenant vingt ans. Et souvent, au détour d’une création, on devine la malice de l’artiste. Un clin d’œil à la tradition, c’est sûr. Mais non sans talent, la plupart du temps. Une expo… Or Norme ! Informations pratiques Sélestat
À Strasbourg et à Sélestat Ils sont tour à tour artistiques, décalés, rigolos, design, surréalistes quand ils ne relèvent pas tout simplement de l’artisanat d’art… « Ils », ce sont les sapins de noël revisités par les particuliers alsaciens eux-mêmes et exposés au Conseil général du Bas-Rhin, place Sébastien Blanc à Strasbourg et au complexe Sainte-Barbe place de la Victoire à Sélestat. Ils ont bien du talent, les Alsaciens et ils n’hésitent pas à utiliser les supports les plus variés pour magnifier le sapin : le bois, bien sûr, mais aussi une foule de 74
« Mon beau sapin » Du 23 novembre 2013 au 6 janvier 2014. Complexe Sainte Barbe Place de la Victoire. Entrée libre. Strasbourg
« Ça sent le sapin … de Noël ! » Du 16 décembre 2013 au 6 janvier 2014. Conseil Général du Bas-Rhin - Place du Quartier Blanc. L’exposition est ouverte du lundi au vendredi de 10h à 18h et le week-end de 14h à 18h (sauf 25 et 26 décembre). Entrée libre.
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Brigitte, Ema et les autres... Portrait de femmes presque ordinaires Ema Texte Jean-Luc FOURNIER Photos Médiapresse Strasbourg
Tantôt stigmatisées, huées, fantasmées. Tantôt aimées, le temps d'une heure ou d'un vague souvenir profondément enfoui, Brigitte, Ema et les autres sont devenues, au gré de leurs vies, femmes d'une après-midi ou d'une nuit. Parcours chaotiques et sensibles. Sur fond de débat national sur la prostitution, ce même lien : une troublante humanité où la violence n'est peut-être pas toujours celle que l'on attend... 76
Terrasse d'un restaurant strasbourgeois. Elle, la trentaine, originaire d'une ancienne république de l'Est témoigne. « Pourquoi j'ai fait ça ? Par plaisir. Non, je déconne, ironise Ema. Pour l'argent. Des dettes, pas mal. Assez conséquentes. Ma famille, non, grand Dieu, personne n'est au courant. L'Allemagne ? Parce qu'au moins c'est encadré, parce que c'est propre. Un jour t'es dans la merde, tu vas sur un site Internet, tu postules, c'est aussi simple que ça ». « Quant aux clients, les pires sont ceux de 18 ans », qui viennent avec un ou plusieurs potes, pour le grand jeu, pour se prouver qu'ils sont des grands. Tout dans la précipitation, dans l'empressement. « Moi, ça ne m'est pas arrivé mais à d'autres filles, oui. Sinon, les mecs sont discrets, aimables, parfois attentionnés. Certains viennent aussi pour discuter. Juste pour parler. Les mecs bourrés ? Non, jamais on ne les laisse rentrer ». Aujourd'hui Ema dit avoir raccroché. Parce qu'elle ne prend aucun plaisir à faire cela. Trois petits mois et puis s'en va. Juste une obligation alimentaire passagère.
Brigitte Un peu, à une certaine époque, comme Brigitte, venue à Strasbourg de son Sud natal. Envie d'autonomie familiale, de voyages, d'aventure. Et puis, ce mec, rencontré, en chemin, à 17 ans. Un pt'it braillard dans la foulée et lui qui la plaque, se barre. Famille tradi, rurale. Hors de question de revenir. Direction le Nord. Loin : Strasbourg où elle prend un poste à l'usine. Ici, elle y rencontre son premier mari, commis de cuisine. Une belle histoire jusqu'à son décès. Infarctus à 35 ans. Puis nouvelle rencontre, son deuxième, rapidement tombé malade. Besoin de soins, clinique en Suisse, le salaire d'ouvrière le matin, de femme de ménage l'après-
midi n'y suffira pas. L'argent qui manque. Une assistante sociale qui lui balance un « qu'estce que vous voulez, vous croyez que j'ai des logements dans ma manche ! ». Les gens de la mairie, aussi, venus un jour à la maison : « de quoi vous plaignez-vous, vous avez toujours des meubles ! ». « Je dois vous avouer que cette phrase je ne l'ai toujours pas digérée. Oui, j'avais des meubles. Jolis, peut-être, mais sans valeur. Ils auraient tout aussi bien pu me dire de manger le mastic des portes, l'effet aurait été le même ». Histoire de se se pourrir un peu plus la vie, Brigitte était alors enceinte de son deuxième enfant. Alors, pas loin de chez elle, une amie lui a proposé de se joindre à elle. Histoire d'arrondir les fins de mois. « Quel choix j'avais ? Enceinte, un mari malade, des factures qui ne cessaient de s'accumuler... » Quelques semaines après avoir commencé, Brigitte se fait serrer par les flics. Direction ubuesque. Gare de Strasbourg, photomaton. Puis le Commissariat. Rien, aucune sanction. Juste l'histoire de ficher la nouvelle. « Pas une seule fois ils ne m'ont proposé de l'aide, de m'orienter vers une association. Pas un seul petit coup de pouce. À l'époque, ce n'était pas comme aujourd'hui, il y avait du boulot. Avec un peu d'aide, ils auraient pu me trouver une vraie formation. Qu'est-ce que ça leur aurait coûté ? On n'est jamais sûr de rien mais peut-être que ça aurait tout changé, que ça m'aurait permis d'arrêter ». Au lieu de ça, quitte à être fichée, Brigitte fait le choix de continuer. Usine le matin, ménages le midi, puis deux trois heures de passe avant la fin des classes. « Mes enfants, j'ai toujours tout fait pour les préserver. Oui, j'ai tapiné mais j'étais avant tout leur mère et devais ne rien leur laisser transparaître. Jamais ils n'ont su, jusqu'à cette année, quand ma fille a eu 26 ans. J'avais peur, c'est vrai. Mais elle ne m'a pas jugée. M'a dit que je resterai toujours sa maman ». Dans les yeux de sa fille, presque une certaine fierté. Peut-être parce que dans certaines circonstances, se coucher n'est pas s'abaisser. L'Allemagne, Brigitte n'a jamais souhaité y aller. Une fois, quand même, pour un job d'hôtesse. Mais ne se sentait pas à l'aise. Et puis, à quoi bon, je ne parle même pas la langue. Seul intérêt, le regard sur le métier. Déclaré, « safe ». Pas comme sur son avenue où année après année, les choses ont empiré. Les filles de l'Est qui cassent les prix, les trans qui luttent pour un petit bout de territoire. Les Blacks, aujourd'hui, plus violentes entre elles que jamais. Et les pratiques à risques, rapportées par certains de ses réguliers, comme cette
fille qui proposa un soir, à l'un d'entre eux, une passe à 20 euros sans capote. « Avant il y avait des macs, ironise Brigitte. Aujourd'hui, sur le trottoir, à force de les marginaliser, c'est la coke ou l'héro qui font bosser ces filles ». Plus « chic », sur le Net, les annonces pullulent aussi sur les forums. « Lola, 32 ans, belle blonde très raffinée à Strasbourg », « Belle femme de luxe, 23 ans, pour moment de relax », « Sarah, 26 ans, douceur et raffinement pour gentleman ». Des filles qui énervent Brigitte. « Nous, on nous stigmatise parce qu'on est dans la rue. Mais elles, que croyez-vous qu'elles font de moins ? Parfois, elles en font même bien plus. Certaines n'ont même pas de problèmes, sont mêmes mariées, reçoivent pendant les heures de boulot de leur mec. Mais dans la rue, personne ne les voit, ce sont des femmes respectables... »
Andrea, Nataly, Veronika … Le juste milieu, peut-être encore une fois l'Allemagne. Un job presque comme un autre. « Ma mère pense que je bosse dans un casino, sourit Andrea. Mais oui, je baise et j'aime ça. Mois après mois, je mets de côté pour m'acheter un petit appart ». Même topo pour Nataly, tout droit venue de Prague. Trois semaines sur place puis retour « at home » pour y voir les amis avant de reprendre la direction d'un FKK. Personne ne se doute. Tous ne voient que les fringues, les « shoes », la voiture. « L'ascension sociale » dans une Europe en crise, où la Grèce ne pourrait être qu'un prémice. Salaire minimum au 1er janvier 2011, en République tchèque : 319 euros. 281 en Hongrie, 157 en Roumanie. Prix de la passe, entre 120 et 150 euros de l'heure. Un an après, la crise s'est accentuée : nouveau salaire minimum en Grèce : passé de 863 à 586 euros... brut. Trois à quatre passes pour un SMIC... Alors oui, pour certaines filles, l'argent « facile » n'a pas de prix, sinon celui de l'exil et de de la survie. Mais pour combien de temps ? Ca dépend des filles, nuance Veronika : « Il faut être sacrément solide pour faire ça. Certaines filles ne le supportent pas et carburent aux alcools forts, le temps que ça passe ». Une option que s'est refusée à prendre Ema, désormais en recherche d'une situation stable. Mais là encore, pour combien de temps ? « Pas mal de filles aimeraient décrocher mais pour faire quoi? coupe Brigitte. Au mieux un job minable à mi-temps, dix fois moins payé ? Avec les factures, le coût de la vie ? Un moment, peut-être serait-il bon de voir les choses en face. Pas plus qu'hier, aucune échappatoire n'est proposée aux filles. Moi, j'ai essayé. Avec mon second mari, on a monté une petite affaire, puis une deuxième. Mais voilà, un jour où l'autre, vous avez un problème de caisse, un emprunt à rembourser. Quand vous l'avez déjà fait, la solution est toute trouvée. Oui, vous replongez. Même à mon âge. La seule différence est que j'ai mes réguliers. Des hommes que je vois par intermittence depuis plusieurs années. Des mecs mariés, pour certains. Parce que leur femme n'a plus envie, ne veut plus. D'autres pour parler. Des amis, presque… » Autour de ces diverses tables, une profonde humanité se dégage de Brigitte ou d'Ema. Avec plus ou moins d'assurance, elles assument leurs choix. Ne cherchent pas à juger leurs clients, pas plus que le regard des gens. Tout juste, peut-être, auraient-elles aimé avoir une chance.
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SELECTION LIVRES
« On a tiré sur le Président » Philippe Labro Éditions Gallimard - 20 €
En cette année qui commémore le cinquantième anniversaire de l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy, les livres sur le sujet ne manquent pas. Celui-ci est incontestablement le meilleur et le plus abouti. Car Philippe Labro, alors jeune journaliste à France-Soir, était à Dallas en novembre 1963. Et il a fait son métier : enquêter, rapporter, et surtout être là où il fallait. Cinquante ans plus tard, il a écrit ce passionnant bouquin comme un reportage au long cours. Tout y est : la précision, la légitimité de l’enquête et surtout, le style du très bel écrivain qu’il est devenu depuis, sans jamais renier ce qui fut sa passion première : le journalisme. Brillantissime…
« Il faut que je vous dise - Mémoires » Louis Mermaz Éditions Odile Jacob - 25,90 €
Ah non ! Pas de la politique !.. Si vous pensez ça, vous avez tort. Car si on ne compte plus les livres d’opportunité écrits par le personnel politique (quand ce sont eux qui les écrivent…), ce livrelà n’émarge pas dans la même catégorie. L’ex-président de l’Assemblée nationale et ministre du Mitterrand du début des années 80 a rassemblé ses souvenirs. 600 pages précises, passionnées et… bien écrites. D’où il ressort qu’une certaine noblesse de la politique s’est bel et bien éteinte avec les dernières années du siècle dernier. Louis Mermaz la pratiquait. Passionnant…
« Au-revoir là haut » Pierre Lemaître Éditions Albin Michel – Prix Goncourt 2013 – 22,50 €
Sur les ruines du plus grand carnage du XXe siècle, deux rescapés des tranchées, passablement abîmés, prennent leur revanche en réalisant une escroquerie aussi spectaculaire qu’amorale. Des sentiers de la gloire à la subversion de la patrie victorieuse, ils vont découvrir que la France ne plaisante pas avec ses morts... Un roman superbe, justement récompensé par le Goncourt. Pierre Lemaître, plus connu pour ses romans policiers, a écrit là le grand bouquin qu’on attendait sur la première guerre mondiale dont l’histoire officielle a repu la mémoire nationale. Dans ce livre, on touche du doigt toutes les conséquences d’une boucherie insensée. Puissant…
« Canada » Richard Ford Éditions de l’Olivier – 22,50 €
Les écrivains américains savent comme personne nous transporter dans la mythologie de ce peuple où le wild, le sauvage, reste une des composantes fondatrices de l’imaginaire de la nation. Si Harrisson reste le maître en la matière, Richard Ford se hisse à son niveau avec cette histoire d’un jeune garçon qui devient un homme et d’une famille qui va exploser en vol. Le tout au sein d’une nature sauvage qui se joue des hommes comme du temps qui passe…Une superbe écriture sombre et profonde. Envoûtant…
« Il faut beaucoup aimer les hommes » Marie Darrieussecq Éditions P.O.L. - 18 €
Une femme blanche aime un homme noir. Un couple « mixte », comme on dit pudiquement alors qu’il suffirait de dire : un couple... Peu importe que l’homme soit acteur et tourne un film aux EtatsUnis, peu importe même que l’Afrique soit évoquée : circonstances littéraires non essentielles… Car le centre du livre, c’est l’Amour, celui avec un grand A, cette passion qui dévore l’homme et la femme. Comme depuis l’aube des sentiments amoureux. Marie Darrieussecq a écrit un livre profond dans un style quasi aérien.. Attachant… 78
« Le diable, certainement » Andréa Camilleri Éditions Fleuve noir – 12,50 €
On a beau retourner le problème dans tous les sens : c’est bel et bien l’homme, et lui seul, qui est responsable de ses malheurs et depuis la nuit des temps. Ces 23 nouvelles, toutes délicieuses, nous le rappellent imperturbablement, comme une évidence que nous nous acharnons tous si souvent à oublier. Il y a bien du talent dans ce livre, à commencer par celui, pas si facile que ça à exprimer, de nous confronter à notre réalité bien tangible. On pourra aussi y traquer ces petits détails qui font d’une vie un moment somme toute agréable ou… un enfer. Diabolique…
« La confrérie des chasseurs de livre » Raphaël Jésuralmy Éditions Acte Sud – 21 €
Un surprenant ouvrage qu’on pourrait classer dans la catégorie « Ouvrage historique à complot » si le désastreux Da Vinci Code n’était pas venu gâcher avec ses gros sabots américains le genre tout en subtilité créé par Umberto Eco et son fameux « Le nom de la rose ». Il est question ici de la vie de François Villon, cet écrivain et ce poète maudit (ce bandit à ses heures, aussi) dont l’existence lointaine se perd dans les mémoires… Avec ce livre érudit et néanmoins aussi facile à lire qu’un polar, Raphaël Jésuralmy nous rappelle l’existence de cet écrivain presque oublié… Captivant…
« Chronique des jours enfuis » Sam Shepard 13ème Note Éditions
Ce livre surprendra ceux qui ne connaissent Sam Shepard que comme acteur. C’est ignorer qu’il est aussi écrivain de romans et de pièces de théâtre, ainsi que metteur en scène. Une des figures intellectuelles les plus respectées aux États-Unis, du moins sur les deux côtes, là où créer artistiquement veut encore dire quelque chose. Ce recueil de nouvelles reprend la mythologie américaine de la route, immuable réserve de sensations et de réflexion. Un peu à l’image d’un de ses meilleurs livres, Motel Chronicle, publié en France il y a 30 ans et qui mériterait bien une réédition… Profond…
« Un jour je m’en irai sans en avoir tout dit » Jean d’Ormesson Robert Laffont – 21 €
Vous avez aimé « C’est une chose étrange à la fin que ce monde » ? Vous adorerez « Un jour je m’en irai sans en avoir tout dit ». Parce que ce livre est courageux. Au même titre que le précédent, il correspond à une sorte de « testament » pour Jean d’Ormesson qu’on sait en lutte contre les affres de l’âge qui avance. Un livre en trois parties : « Tout passe » , « Rien ne change » et « Il y a au-dessus de nous quelque chose de sacré. » La recherche du bonheur a été le leit-motiv de la vie de notre Jean D’O qu’on affectionne tant… Il n’est pas venu cette année à Strasbourg. Et il nous manque…
« Ce genre de choses » Jean Rochefort Éditions Stock – 18 €
Bon, si vous comptiez découvrir dans ce livre les mémoires d’un des acteurs les plus fins et les plus attachants du cinéma français, passez votre chemin, ce n’est pas ça… Disons plutôt qu’il s’agit d’une mosaïque un peu foutraque de souvenir d’enfances, de tournages et de moments étonnants et imprévus. Le tout écrit avec une drôlerie réjouissante et qui fait du bien ainsi qu’une absence de sérieux qui enthousiasme. Pas de doute : Rochefort cultive la distance avec lui-même et n’a pas hâte de se prendre au sérieux. Ça fait tout le charme du livre… Iconoclaste… 79
PortFOLIO Hurluberlue Hurluberlue... Drôle de nom pour une photographe mais il lui va bien. Tendre et décalée tout autant qu’intrépide, cette très jeune femme se dit amoureuse des ruines modernes. Elle court entre villes, campagnes et forêts, à la recherche de lieux en désertés ou en sursie. «Manoir au piano» niché en forêt, ancien lavoir dévasté par un incendie, cabinet médical qui semble avoir été abandonné sans préavis... «Un des lieux les plus déstabilisants que je connaisse», ditelle en parlant de cet endroit où elle s’est rendue de nuit lors de l’une de ses «Urban Explorations» françaises, allemandes, belges ou luxembourgeoises. Elle n’est pas la seule à explorer cet univers mais elle s’inquiète de ce qu’il devienne une mode : pillage, dégradation sont souvent à la clé. Elle, elle leur laisse le plus de mystère possible et magnifie dans ses images la beauté de leur décrépitude poétique. Surout, elle s’interroge sur le temps qui passe en s’emparant des murs par touches de mousses ou de moisissures alors que les racines des arbres les ébranlent. Comment vivaient ces lieux autrefois ? La question ne la quitte pas. www.hurluberlue.fr
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L’année de l’Autriche à Strasbourg La présidence tournante du conseil de ministres du Conseil de l’Europe à Strasbourg échoit cette année à l’Autriche. C’est l’occasion pour la capitale européenne d’abriter plusieurs manifestations symboliques et, parmi elles, nombre de rendez-vous culturels. Un tramway a même revêtu les couleurs autrichiennes. Le coup d’envoi gastronomique a été donné en novembre à la Maison Kammerzell par Wolfgang Lukas Strohmayer, le Consul général d’Autriche. Un menu autrichien de grande qualité a été présenté à la presse, le fruit d’une escapade autrichienne, quelques mois auparavant, pour le chef de Kamerzell, à la découverte des saveurs de ce pays. Le menu autrichien a été servi durant tout le mois de novembre. S’il a disparu de la carte aujourd’hui (marché de noël oblige…), il reviendra durant tout le mois de mai prochain. Par ailleurs, concerts, expos et manifestations diverses se poursuivront durant tout le premier semestre 2014 pour marquer la présidence de l’Autriche. Wolfgang Lukas Strohmayer
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