OR NORME STRASBOURG / L’INFORMATION AUTREMENT
numéro 15 / décembre 2014
ART & CULTURE N I K I D E SA I N T P HA LLE AU GRAND PALAIS
GA R RY W I N O G RA ND AU JEU DE PAUME
PA B LO PICASSO J E F F KOONS À BEAUBOURG
D EGAS À KARLSRUHE
ST- A RT LE BILAN
e di to PAR JEAN-LUC FOURNIER
/// De l’art ! De la culture ! Il y a quatre ans, en décembre 2010, le numéro 1 d’Or Norme faisait son apparition sur la planète strasbourgeoise. A sa une il y avait les couleurs or de Klimt puisque ce numéro était largement consacré à l’art et à la culture, dont la superbe exposition Vienne 1900 qui se tenait à la Fondation Beyeler à Bâle. Dans les pages intérieures, nous revenions également longuement sur Chefs d’Œuvre, l’incroyable expo inaugurale du Musée Pompidou de Metz qui venait juste alors d’ouvrir ses portes… A l’époque, déjà, on s’étonna de nos choix éditoriaux. Comment, vous êtes un magazine strasbourgeois, et vous privilégiez Bâle et Metz !!! Pour être franc, la remarque ne provenait que de quelques personnes, la grande majorité des lecteurs nous ayant plutôt remerciés de leur avoir donné envie de faire le court voyage en Lorraine ou aux frontières du sud-Alsace pour découvrir ces merveilles… L’année suivante, toujours à la une Art et Culture de notre numéro de décembre, nous affichions une toile très contemporaine repérée sur les cimaises de ThrillFrisson, la belle expo se tenant alors à l’Ancienne Douane. Nous espérions alors que ce lieu, pourtant historiquement marqué par l’art, devienne l’endroit où les artistes pourraient donner de réguliers rendezvous aux amateurs d’art strasbourgeois. Peine perdue : la vocation de l’Ancienne Douane est passée depuis de la culture à l’agriculture. Dommage pour les artistes et tant mieux pour les petits producteurs régionaux. Seul l’avenir dira si ce choix était le bon… En décembre 2012, notre troisième numéro Art et Culture inaugurait ses pages Expo TGV en vous incitant à découvrir l’extraordinaire expo Edward Hooper au Grand Palais. Nous attirions également votre attention sur Degas chez Beyeler, un événement là encore… Et l’an passé, en décembre, notre quatrième numéro Art et Culture affichait sur sa couverture une œuvre du photographe français JR qui devait bénéficier d’une expo chez Burda à Baden-Baden au printemps suivant. Paris, Bâle, Metz, Baden, Strasbourg… nos lecteurs amateurs d’art et de culture voyagent souvent. Nous aussi… Et Or Norme Strasbourg ne se limite pas aux seules frontières alsaciennes. Nous récidivons cette année: le numéro que vous avez en main vous incite à rencontrer Niki de SaintPhalle, Picasso, Garry Winogrand et (si vous avez le temps) Jeff Koons à Paris mais aussi Degas à Karlsruhe, Colin Delfosse à Strasbourg. Et revient sur St-Art 2014 avec un bilan sans complaisance…
Nous le proclamions dans notre numéro 1 il y a quatre ans. Or Norme Strasbourg est une revue d’information qui privilégie les contenus permettant à ses lecteurs strasbourgeois de découvrir la ville où ils vivent sous un angle souvent original . Il nous semble qu’au fil des 14 numéros qui ont suivi, nous avons su tenir notre promesse initiale de ne jamais être un magazine de plus où quelques vagues « articles » viennent combler les espaces subsistant entre les pléthoriques pages publicitaires… Que les annonceurs qui nous soutiennent dans cette démarche et qui comprennent notre exigence en la matière en soient remerciés. Au même titre que nos lecteurs, de plus en plus nombreux et qui, pour beaucoup, sont devenus de précieux alliés… C’est en pensant à vous tous, annonceurs et lecteurs, que nous avons doté Or Norme d’une nouvelle maquette que nous vous laissons le soin de découvrir et juger sur pièce. Nous savons bien que vous ne manquerez pas de nous faire connaître votre avis. Et une bonne nouvelle ne venant jamais seule, Or Norme renforce encore son potentiel de diffusion : désormais, ce sont pas moins de 331 points de diffusion qui accueillent nos 15 000 exemplaires (le plus fort tirage, et de loin, de la presse trimestrielle gratuite à Strasbourg). Bonne lecture. Nous vous souhaitons de belles fêtes de fin d ‘année et, par avance, une excellente année 2015. Et restez Or Norme…
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L a B O UTIQ UE
O r N orme ACTUALITÉS COMMERCIALES
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SOMMAIRE DÉCEMBRE 2014 ORNORME 15
36 - GALERIE RADIAL 38 - BILAN ST-ART 40 - FREDDY RUHLMANN 42 - HÉLÈNE DE BEAUVOIR 50 - ORCHESTRE PHILARMONIQUE DE STRASBOURG 52 - RÉSONANCE[S] 08 - ENTRETIEN AVEC ROBERTO SAVIANO
12 - DOSSIER
ART & CULTURE
54 - PIERRE MANN 14 - EDGAR DEGAS 18 - COLIN DELFOSSE 20 - NIKI DE SAINT PHALLE 24 - GARRY WINOGRAND 28 - PABLO PICASSO 32 - JEFF KOONS
62 - SÉLECTION LIVRES 74 - RWANDA 78 - STRASBOURG, ÇA BOUGE 84 - PORTFOLIO VINCENT MULLER
DOSSIER
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ENTRETIEN
ROBERTO
SAVIANO /// ENTRETIEN JEAN-LUC FOURNIER PHOTOS MÉDIAPRESSE Traduction de l’entretien Vincent Raynaud (éditeur de Roberto Saviano chez Gallimard)
“ Souvent, les héros meurent mais moi, je veux vivre ! ”
Une première interview sur la scène de la Salle Blanche de la librairie Kléber à la mi- octobre dernier pour sa seule rencontre programmée hors Paris. Juste le temps de constater que Roberto Saviano, l’auteur de Gomorra et de Extra Pure, s’il prend au sérieux les menaces permanentes qui pèsent sur lui, ne s’en laisse pas compter dès qu’il s’agit de rencontrer ses lecteurs. Et puis, un nouveau rendez-vous, il y a quelques jours, via Skype depuis Brooklyn où il réside. Pour aller un peu plus au fond du cheminement personnel d’un homme qui a refusé de se taire et qui en assume les conséquences…
Vous n’avez pas chômé depuis votre passage à Strasbourg pour la sortie de Extra Pure. Malgré tout, avez-vous pu avoir un premier bilan après la sortie de votre livre en France ? « Extra Pure a enregistré un succès vraiment inattendu. Manifestement, les Français se sont montrés très réceptifs aux informations et aux thèmes du livre. J’ai eu des réactions positives de tous côtés. Beaucoup d’entre elles sont venues de gens qui, manifestement, ne lisent pas beaucoup, d’ordinaire. Je pense à celles venues des jeunes des banlieues via Twitter et Facebook qui ne me connaissaient pas mais se sont révélés très intéressés par le sujet de la cocaïne. Mais puisque vous évoquez ma venue à Strasbourg, je dois dire que c’est certainement une des plus belles rencontres à laquelle j’ai participé lors de mon séjour en Europe. Vraiment. J’ai senti une belle communion avec la salle, beaucoup d’attention, c’était impressionnant. Et puis, je me souviens, il faisait beau, il y avait du soleil. J’ai vraiment été triste de devoir repartir. Très certainement, Strasbourg est un bel endroit pour que je revienne en Europe… L’édition originale de Extra Pure est sortie en Italie au printemps 2013 et a remporté un grand succès. Combien de pays ont-ils acheté les droits du livre ? Cinquante pays, à ce jour. Et, comme en France récemment, je tiens à me rendre dans chacun d’entre eux. Ce fut le cas pour l’Espagne, le Portugal, le Mexique, notamment. Des pays où le trafic de la drogue est vraiment un problème important. L’édition américaine va sortir l’été prochain…
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Vous n’aurez pas beaucoup de distance à parcourir pour la promotion du livre puisque c’est aux Etats-Unis que vous vivez désormais… Oui, j’y ai trouvé la distance qu’il faut avec l’Italie où je suis très menacé. Quand je me rends en Italie, je dors exclusivement dans les casernes des carabinieri qui assurent donc ainsi ma protection jour et nuit. A Brooklyn où je vis, je passe quasi inaperçu, je peux mener une vie un peu plus normale. Je vis ici avec une identité qui m’a été fournie par les autorités américaines, une identité de couverture, un faux nom… Pour moi, c’est un peu comme un nouveau départ. J’ai un visa de trois ans, c’est OK. Tout s’est fait en collaboration avec les pouvoirs publics américains, ça n’a pas été simple. J’essaie donc de me construire une nouvelle vie ici. J’en ai besoin… En écho à ce que vous dites, ce sont les toutes dernières lignes de votre livre, elles closent le chapitre des remerciements. Vous écrivez : « Merci à ma famille, qui paie par ma faute un prix exorbitant. Malgré tous les remerciements du monde, je ne pourrais jamais me faire pardonner et je le sais. » Vivre quotidiennement avec une vision si lucide de la réalité doit évidemment être une terrible épreuve… C’est en pensant en effet à ma mère, mon père, mes frères que je me sens le plus coupable. Ils vivent tous en Italie et pour eux, les effets collatéraux de mes écrits sont terribles. Jamais ils ne m’ont adressé la moindre critique, c’est certain, mais je sais bien qu’ils en souffrent. Je sais qu’on leur en parle quelquefois, là-bas, mais
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ENTRETIEN
est une arme pour affronter ceux qui ont saccagé la Campanie, ma région natale. Au début de l’écriture de Gomorra, je pensais que tous les renseignements que j’avais recueillis, les faits que j’avais vérifiés, pouvaient au final former une histoire intéressante à raconter et passionnante à lire car beaucoup de ces faits n’étaient finalement pas très connus du public. Je ne m’attendais pas du tout à ce que ce livre prenne quasiment tout de suite une telle dimension morale. Tout est vraiment venu des lecteurs : le succès, l’explosion et cette immense indignation devant la révélation d’un tel système. C’est un peu pareil aujourd’hui avec la sortie d’Extra Pure : j’ai compris que le livre avait atteint son objectif quand un trafiquant italien a demandé son interdiction à la justice. Par chance, cette dernière n’a pas suivi mais, en Italie, tout est possible, vous savez… ils souffrent aussi des non-dits des gens qui les entourent. Oui, pour ma famille, c’est évidemment plus dur que pour moi au quotidien, c’est certain… Malgré tout cela, que ce soit à Strasbourg l’autre jour ou aujourd’hui, via Skype, il y a en permanence ce visage serein, le bon mot toujours au bord des lèvres et cette espèce de décontraction qui nous avait tant frappés, y compris dans la rue en nous rendant ensemble à la librairie Kléber, surveillé de près par les officiers de sécurité qui vous avaient été attribués par les autorités françaises… C’est vrai que je m’efforce de rester cool en toutes circonstances. J’y parviens bien, le plus souvent. Mais parfois, je n’en peux plus. Ces sujets que je traite ne me lâchent pas, ils sont en moi. Quand
Lors de notre première rencontre en octobre dernier à Strasbourg, vous m’aviez confié que vous rendiez ensuite à Naples car vous teniez à être présent lors du verdict du procès contre les mafieux de la Camorra. Quel fut ce verdict ? Leur avocat a été condamné pour menaces mafieuses, un délit qui existe dans le Code pénal italien mais les mafieux eux-mêmes, les commanditaires, ont été innocentés. D’un côté, c’est une petite victoire mais je dois avouer que je la ressens comme une déception. Ca me préoccupe pour mon pays car c’est un peu comme si on avait envoyé un message du genre : « Faites ce que vous voulez ». C’est un coup dur. Tout le monde a déjà vu au cinéma quand le parrain applaudit au moment où il est innocenté. Et bien, moi, je l’ai vue en vrai cette scène-là et ce fut un choc ! La justice italienne est sous influence ? Sincèrement, non, je ne pense pas… Mais les lois sont compliquées et nous nous étions déjà donné beaucoup de mal pour pouvoir en arriver là. Seul face à un tel système, je ne pouvais que m’incliner. Ceci dit, c’est la première fois qu’un avocat se retrouve condamné spécifiquement pour menaces mafieuses. Dans un autre procès, le même avait déjà pris 22 ans de prison. Mais le combat continue ! Ce n’est que la première instance. Ce qui m’inquiète plus, c’est le risque de prescription. Depuis que Berlusconi a fait réduire le délai pour la prescription, ce risque est un vrai danger… De toute façon, je pense que le périmètre italien ne veut plus rien dire. Face à la menace de ces organisationslà, ce n’est plus la bataille italienne qui doit se poursuivre, c’est une bataille européenne qui doit s’engager. Ce combat ne se terminera jamais…
“ J’ai observé l’abîme et
je suis devenu un monstre.
Il ne pouvait en être autrement.
D’une main, tu effleures l’origine de la violence et, de l’autre,
Revenons au livre. Il raconte des histoires incroyables, avec une foule de détails très fouillés. C’est une enquête gigantesque à laquelle vous vous êtes livré. Et on a vraiment l’impression que vous auriez pu faire encore plus documenté… Il y a tant et tant d’histoires sur lesquelles je suis tombé lors de mon enquête, des histoires folles à foison. C’est toujours dommage de couper : mon premier jet atteignait les 800 pages mais, au final, la version éditée du livre comporte un peu plus de 450 pages. Sincèrement, il en aurait fallu au moins 1 500 pour tout raconter…
tu caresses les racines de la férocité. ” on est comme moi dans la volonté de comprendre exactement comment fonctionne le monde dans lequel on vit, les sujets qu’on aborde peuvent très vite devenir une véritable obsession. Et c’est là que ça devient éprouvant… Cette force morale est innée chez vous ou s’estelle forgée en fonction des événements que vous avez vécus ? Tout ce que je vis depuis la sortie de Gomorra m’a formé à adopter un comportement quasi militaire vis à vis des choses que je vis publiquement. Je ne suis pas un modèle moral, certainement pas, mais je pense que l’honnêteté
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Extra Pure est traversé par des portraits hallucinants qui, à eux seuls, méritent l’attention du lecteur. Mais vous allez bien au-delà. Votre livre est aussi un réquisitoire : vous affirmez que le système bancaire est parvenu à surmonter la crise financière de 2008 grâce à l’argent de la coke… Oui, j’apporte les preuves que les plus grandes banques mondiales ont été condamnées à payer des amendes considérables pour avoir accueilli sans discernement l’argent de cet immense trafic. Je cite souvent une comparaison éclairante : si vous aviez investi 1 000 euros en actions Apple l’année où la firme a sorti l’iPad, vous auriez été riche de 1 600 euros un an
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plus tard. Un bon plan, évidemment. Et bien, ces mêmes 1 000 euros investis dans la cocaïne seraient devenus 182 000 euros un an plus tard ! La masse d’argent issu du trafic de coke est gigantesque et astronomique… Et cet argent est réinvesti partout par les banques que nous connaissons, qui ont pignon sur rue ! Récemment, lors d’un concert à Rome, Bono le leader de U2, a déclaré vous soutenir à fond. Gorbatchev a fait de même, Desmond Tutu également, jusqu’à l’Académie Nobel à Stockholm qui s’est manifestée en votre faveur. Aux yeux de beaucoup, ne seriez-vous pas en train de devenir un chevalier blanc des temps modernes ? Non, certainement pas. Souvent, les héros meurent. Et moi, je veux vivre ! On ne résiste bien sûr pas à l’envie de vous demander vers quels sujets vont désormais vous entraîner vos pas. La mafia napolitaine, le business mondial de la cocaïne, sur quoi allez-vous ensuite travailler ? Pour l’heure, je suis en train de me consacrer à fond à la série télé que Canal+ va produire à partir de Extra Pure. C’est une série que je crée entièrement, je l’ai souhaitée et Canal+ a accepté de la produire. Je vais bien sûr en écrire le scénario. Je suis follement heureux d’avoir trouvé une telle collaboration. Il faut dire que le succès de la série télé Gomorra a dû jouer : 80 pays en ont acheté les droits de diffusion (elle sera diffusée prochainement sur Canal+ -ndlr). Parallèlement, on me sollicite aussi énormément pour imaginer et écrire aussi d’autres séries criminelles. Ces propositions viennent d’un peu partout. Pour l’instant, je ne donne pas suite mais quand la série tirée d’Extra Pure sera sur les rails, je regarderai tout ça de plus près. Après tout, cette formule est une belle façon de raconter le monde tel qu’il est, je crois… Après Saviano le dénonciateur, Saviano l’auteur, donc… Oui. (immense éclat de rire-ndlr) Je vais peut-être devenir un créateur ! » (et le rire de redoubler…). ◊
ART & CULTURE EDGAR deGAS DANCI NG ASHES NIKI DE SAINT PHALLE GAR RY W I NO GR AND PAB LO PICASSO JEFF KO O NS AR M ELLE B OU SSI DAN GALER I E R ADI AL LE BI LAN ST -ART FR EDDY R UHLM ANN HÉLÈNE DE B EAUVOI R O R CHEST R E PHI LAR M O NIQU E DE ST R ASB OUR G RÉSONANCE[S]
ART & CULTURE
Degas à Karlsruhe L a str ucture des vibrations
Après Chardin, Delacroix, Vuillard et Corot la Kunsthalle de Karlsruhe expose Degas. Un retour aux sources de l’œuvre d’un artiste tout sauf « impressionniste ». /// TEXTE Véronique Leblanc PHOTOS DR
Après le bain (femme s’ essuyant) , vers 1895 © Jean-Luc Baroni Ltd
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ART & CULTURE « C’est très bien de copier ce qui se voit, écrivait-il encore, c’est beaucoup mieux de dessiner ce que l’on ne voit plus que dans sa mémoire. (…) Vous ne reproduisez plus que ce qui vous a frappé, c’est-àdire le nécessaire. Là, vos souvenirs et votre fantaisie sont libérés de la tyrannie qu’exerce la nature. » Naissent alors des paysages… certains aux grandes lignes synthétiques inspiré par la Normandie ou bien encore un autre où se lit le corps d’une femme, géante alanguie surplombant la mer et peinte en 1892.
Troublants portraits
Au défi des maîtres anciens Des œuvres construites donc, mûrement réfléchies loin de ce soleil craint par un artiste à la vue fragile qui finira sa vie presqu’aveugle. Des œuvres élaborées également au filtre d’une étude de l’histoire de l’art qu’il mènera tout au long de sa carrière. La copie des maîtres anciens est en effet le fil rouge inattendu de l’exposition. « La force de Degas repose sur la transformation d’œuvres classiques et sur sa capacité à se les réapproprier de manière créative », précise le docteur Alexander Eiling, commissaire de l’exposition. « Il se tourne constamment vers les maîtres anciens pour gagner de l’assurance, tout en cherchant à se mesurer avec eux. Son objectif est de considérer le présent à la lumière des productions artistiques du passé. C’est ce qui le différencie des peintres impressionnistes tels que Claude Monet ou Camille Pissaro ». Chanteuse dans un café-concert (détail), 1880 © Staatliche Kunsthalle Karlsruhe
Il y a une mouvance Degas, une vibration que l’on garde en mémoire, une fois qu’on l’a eue dans les yeux. On sent le mouvement du pinceau et pourtant, écrivait l’artiste, « aucun art n’est moins spontané que le mien, il me faut refaire dix fois, cent fois le même sujet »… C’est là tout le mérite de l’exposition qui se tient à la Kunsthalle de Karlsruhe jusqu’au 1er février, passer de l’autre côté du miroir et explorer l’œuvre de l’artiste non pas de manière chronologique mais thématique pour en découvrir la genèse paradoxale. Pris entre « Classicisme et expérimentation » selon le titre de la manifestation, Degas ne fut pas ce proche de l’impressionniste que l’on a voulu voir en lui. Certes il a exposé avec eux de 1874 à 1886 et s’est intéressé aux grands sujets de la vie moderne mais jamais au grand jamais il n’a peint « sur le motif ». Paysages, danseuses, courses de chevaux… tout se recréait en atelier.
Une vision nouvelle Sont ainsi confrontés aux cimaises de l’exposition les sujets bien connus de l’artiste et les œuvres qui en furent à l’origine pour qu’apparaissent les liens unissant les danseuses et de jeunes spartiates figurés sur un tableau historique précoce, les jockeys et les cavaliers de la frise du Parthénon ou bien encore les baigneuses et un nu illustrant un récit d’Hérodote. A une époque où la peinture historique classique tombait en désuétude, Degas parvient à ne pas en renier l’héritage tout en prenant le risque de la modernité. Il peint son temps, fait des danseuses et des jockeys des sujets de tableaux à part entière mais ne dessaisit pas de l’enseignement du passé allant jusqu’à conférer au nu de nouvelles lettres de noblesse. Femmes au bain campées de telle façon qu’elles reproduisent les corps d’œuvres anciennes ou reprennent, en se coiffant, le geste d’une estampe japonaise. Aucune ne vient de nulle part, toutes expriment une vision nouvelle.
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L’exposition fait aussi la part belle aux nombreux portraits peints par l’artiste. Souvent doubles, ceux-ci captivent par le décalage qui en émane. Citons les sœurs « Giovanna et Giulia Bellelli » (ci-dessus), l’une fermement campée à l’avant-plan, l’autre floue à l’arrière, presque spectrale à moins que l’artiste n’ait voulu traduire le mouvement tel que pouvait le rendre la photographie naissante à cette époque ou l’impressionnisme en passe de faire scandale. Relevons aussi le portrait de Thérèse (ci-dessous), sœur de l’artiste, peinte avec son mari Edmondo. L’une en retrait, pensive, presqu’anxieuse, l’autre assis à l’avant, empreint d’une hautaine assurance. Comme un synthèse du mariage bourgeois peinte dans une économie de tons et de moyens.
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Fenêtre ouverte sur l’air du temps Oui, ils sont saisissants ces portraits dont la modernité s’exprime sans tapage, sobres tout comme l’est l’autoportrait (à gauche) de Degas qui ouvre l’exposition. Il avait 23 ans à l’époque où il s’est représenté en digne hériter d’un grand-père banquier napolitain. Chapeau et gants à la main, les yeux posés sur le spectateur, l’autre main en poche. Ici encore se repère l’influence des maîtres d’hier. Dans l’allure bien sûr mais aussi dans la perspective créée par la fenêtre ouverte sur un paysage comme cela se faisait dans les tableaux de la renaissance italienne. Mais ce bout du dehors se dilue dans une atmosphère gris-bleu qui dit l’air du temps bien plus que la structure du paysage. Reste à évoquer l’estampe à laquelle Degas s’est intéressé de bonne heure en s’inspirant de Rembrandt copié dès sa jeunesse. Aucune n’est semblable à l’autre, toutes dégagent un onirisme à chaque fois unique. Les surréalistes les ont célébrées et l’on comprend pourquoi. ◊
Su r les pas de P etra À KARL SR UHE Chargée des relations presse avec la France pour la Kunsthalle, Petra Holtmeyer habite Strasbourg mais connaît Karlsruhe comme sa poche. « C’est une ville de shopping, dit-elle, en citant la Waldstrasse qui part du musée et déroule longuement ses jolies boutiques « aux prix intéressants ». A arpenter donc, après avoir profité de la visite de l’exposition « Degas » pour découvrir les collections d’art moderne et contemporain de l’Orangerie. Le tout avec le même billet ! Située dans
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« un joli jardin botanique », la Kunsthalle est proche d’un « resto sympa » précise Petra, la « Bädische Weinstub » où l’on peut goûter aux spécialités régionales. Et pour les amoureux de Noël en ce mois de décembre, elle recommande le « Christkindelmärkt » de la Friedrichplätz à proximité du Musée des sciences naturelles. « Intimiste avec le père Noël en personne qui, deux fois par jour, survole la place et ses beaux immeubles néoclassiques. » ◊
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DOSSIER
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ART & CULTURE
Dancing Ashes
le « Catch the eye » de C olin Delfosse /// TEXTE CHARLES NOUAR PHOTOS DR
Catcheurs congolais, Kinshasa, République démocratique du Congo, 2010.
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ART & CULTURE
Portraits du Kivu, Goma, République démocratique du Congo, 2013.
Début des années 2010, Richard Mosse racontait la guerre au Congo sur fond de pellicule photo infrarouge Aerochrome de Kodak. Une technologie donnant à la végétation congolaise une teinte magenta, renforçant le contraste de la violence officiant dans cette région grande comme l’Union européenne. Presqu’en complément, à cette même période, Colin Delfosse posait un autre regard sur la réalité congolaise. Loin des groupes armés, ce Bruxellois né en 1981 s’attardait sur une autre réalité congolaise : Kinshasa, ses huit millions d’habitants, milliers de shegués ou enfants des rues, et ses centaines de catcheurs et leurs fanfares. Sur des rings de fortune, Edingwe, Dragon, City Train, Mabokotomo, les légendes du catch congolais, s’inventent tous les jours dans les faubourgs de la capitale. Sur fond de culturisme ou de magie noire, sur des estrades branlantes, l’objectif de Delfosse immortalise les masques, les chocs musculaires, le respect et la crainte, la défaite et la gloire. Une gloire presque hors du temps, de ces hommes qui ont fait du catch congolais une espérance d’ascension sociale dans un monde de déperdition, entre le magenta amer de Mosse et l’indifférence africaine de l’occident. Un photojournalisme brut et esthétique duquel transparaissent aussi les rues de Goma, capitale, cette fois, de la province du Nord-Kivu, où comme dans le travail de Mosse, se côtoient militaires, anciens rebelles, mais aussi hommes d’affaires, églises pentecôtistes, fièvre des night-clubs ou simples badauds, comme pour mieux révéler la réalité d’une terre presqu’inconnue sortie de vieux JT accrocheurs et loin, très loin souvent, de la réalité de cette société composite et étincelante. Une société congolaise aux noirceurs et mythes magnifiés par un Delfosse qui possède cet art de dépasser les clichés pour mieux interroger, interpeller et, comme il se plaît lui-même à le revendiquer, à « questionner le citoyen » au travers d’un photojournalisme démystifié. ◊
Colin Delfosse Dancing Ashes Dans le cadre de la présidence de la Belgique du Comité des ministres du Conseil de l’Europe A partir du 5 décembre /// LA CHAMBRE 4, place d’Austerlitz 67000 STRASBOURG
Kivu, Goma, République démocratique du Congo. ORNORME STRASBOURG / décembre 2014
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EXPOS TGV
Niki
u ne s u per nana au Grand Palais C’est peu dire qu’on attendait depuis longtemps une grande et belle expo consacrée à Niki de Saint-Phalle, cette artiste franco-américaine qui exprima si fort sa rébellion dans les années 60 et 70 et qui sut merveilleusement exploiter les ressources de son époque. Le Grand Palais, en association avec le Guggenheim Museum de Bilbao, a parfaitement mis en scène un choix d’œuvres exceptionnelles… /// TEXTE JEAN-LUC FOURNIER PHOTOS DR
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A coup sûr, ses nanas figurent parmi les œuvres les plus populaires de la seconde moitié du siècle dernier. Idem pour ses gigantesques sculptures habillées de formidables mosaïques de couleur qui font irrésistiblement penser à celles de Gaudi dans leur écrin du Parc Guell à Barcelone (c’est d’ailleurs une visite de ce haut lieu de l’art qui inspira si fort Niki de Saint Phalle). Evidemment, les nanas et les autres sont présentes au Grand Palais… Mais l’expo a l’immense mérite de mieux faire connaître l’œuvre flamboyante et si diverse de cette plasticienne, peintre, sculptrice et réalisatrice de films et par dessus tout son engagement politique et féministe. Sa radicalité, pour tout dire… Elle fut de tous les combats de son époque… Derrière le sourire, derrière les codes de la séduction (elle fut aussi mannequin pour Vogue, notamment…), il y avait une femme en révolte. Les Tirs, très présents au sein de l’exposition, en sont la parfaite illustration : un film montre ses installations, des poches de peintures criardes accrochées sur des plans ou des murs parsemés d’objets. A la carabine, Niki (ou même quelquefois quelques heureux comparses de happening) fait exploser les couleurs (au sens littéral du terme). Rien de gratuit cependant, comme le prouve aussi Printemps 63, ce montage de masques réalisé en pleine guerre froide alors que la paranoïa atomique est à son apogée un peu partout en Occident. On y reconnaît Castro, Kennedy, Kroutchev, Lincoln, de Gaulle, Mc Millan (le premier ministre anglais de l’époque) et, en bout de ligne le personnage du vénéré Santa Claus, le père noël américain. Pour bien montrer ainsi le boycott de toute forme d’autorité, le grand viatique de ces années-là. Mais Niki de Saint Phalle n’a pas oublié de tirer sur Kennedy. Nous sommes en mai 1963 : moins de six mois plus tard, le président tombera sous les balles à Dallas… Le combat pour les droits civiques des noirs américains avec une de ses premières nanas, nommée Black Rosy (un hommage évident à Rosa Parks, celle qui devint l’égérie du peuple noir américain dès 1955, en refusant de céder sa place dans le bus à un blanc, comme la loi d’alors l’obligeait). Elle enchaîna aussitôt avec une série fameuse, The Black Heroes. « Combien de
noirs ai-je fait ? Des centaines ? Pourquoi, moi, une blanche, est-ce que je fais des noirs ? Je m’identifie à tous les gens qui sont des outsiders, qui ont été persécutés d’une façon ou d’une autre par la société. Le noir est moi, ils sont moi ! » déclara-telle tranquillement ensuite… Derrière cette débauche de couleurs et cachée derrière les formes voluptueuses de ses personnages, il y avait aussi, constamment, cette petite fille violée par son père lors de l’été de ses onze ans. Niki publia Mon secret en 1994, six ans avant sa disparition à l’âge de 70 ans. L’ouvrage se termine par ces mots : « Un jour, j’écrirai un livre pour apprendre aux enfants comment se protéger ».
La Tempérance
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Heads Of State
Le catalogue de l’exposition publie la lettre qu’elle a écrit à sa petite-fille, Bloum Cardenas, dans laquelle elle s’adresse aussi à son père : « En 1961, daddy, j’ai pris ma vengeance en tirant sur mes peintures avec un VRAI PISTOLET. Dans le plastique, il y avait des poches de peinture. Je t’ai tiré dessus en vert et en rouge et en bleu et en jaune. ESPÈCE DE SALAUD ! Quand tu m’as vu faire ça, as-tu pensé que c’était sur toi que je tirais ? » Le reste de la lettre (à découvrir et à lire absolument) dit mieux que tout à quel point l’art a sauvé la vie de cette femme admirable qui surmonta alors une grave dépression qui la conduisit au tréfonds de la folie. « DE TOUTE CETTE MERDE, DE L’OR ALLAIT SORTIR. Du chaos est venu l’ordre. JE SUIS SORTIE DE L’HÔPITAL PSYCHIATRIQUE EN ARTISTE. C’est là que ma vocation m’est apparue clairement et qu’elle a pris possession de moi tout comme la folie m’avait possédée auparavant. (…) De l’obscurité avait jailli la lumière. Je renaissais… » ◊ /// NIKI DE SAINT PHALLE : UNE SUPER NANA À (re)découvrir au Grand Palais Jusqu’au 2 février prochain A gauche : Skull (Meditation Room)
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GARRY WINOGRAND au Jeu de Pau me
LE PIÉTON DE L’AMÉRIQUE Le trop discret (mais toujours pointu) Musée du Jeu de Paume, à l’entrée principale du jardin des Tuileries, nous permet enfin de voir de nos propres yeux les clichés de ce photographe légendaire (aux USA) qu’est Garry Winogrand, le prince des « street photographers » américains. A ne pas rater… /// TEXTE JEAN-LUC FOURNIER PHOTOS DR
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ARTDOSSIER & CULTURE
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Outre-Atlantique, sa renommée est extraordinaire. Chez nous, seuls les amoureux de « la photo de rue » savent à quel point Garry Winogrand a marqué l’histoire de la photo au siècle dernier. Ce fils d’immigrés du Bronx s’est littéralement plongé dans les rues de New York comme jamais personne ne l’avait fait avant lui. Mêlé à la foule, il n’a jamais adopté une attitude agressive. Il se fondait admirablement dans le stream urbain de ces années-là, sa modeste focale toujours réglée de façon à capturer l’image sans que personne ne s’en rende quasiment compte, même celles ou ceux qui étaient plein cadre. Une posture d’une discrétion totale qui compte pour beaucoup dans l’extraordinaire qualité de témoignage de ses clichés. A sa mort, survenue à l’âge de 56 ans en 1984, on s’aperçut vite que plus de 6 600 bobines de films (donc au moins 250 000 images) n’avaient pas été développées. Leur auteur ne les avait donc jamais vues… De même pour des centaines de planches-contact des années antérieures qui avaient été marquées mais jamais tirées. L’exposition du Jeu de Paume présente ainsi des œuvres jamais montrées ni publiées à ce jour, c’est fascinant… Une vidéo d’une interview de Winogrand est diffusée au sein de l’exposition. Elle donne une idée de la personnalité exubérante de cet artiste plein de drôlerie et doté d’une modestie étonnante. Dans les années 60 et 70, la société américaine était traversée par des phénomènes violents, comme les luttes pour les droits civiques des noirs ou contre la guerre du Vietnam par exemple, mais aussi par une remise en cause du fameux « american way of life » si vanté depuis les début des années 50. Les photographies de Garry Winogrand en témoignent : manifestement, cet artiste génial a su parfaitement saisir le chaos voire la déliquescence auxquels l’Amérique était alors en proie… C’est pourquoi Winogrand peut être hissé sans aucun doute à la hauteur d’un Norman Mailer par exemple qui, grâce à ses mots, s’imposa comme le vrai chroniqueur de l’Amérique. Winogrand le fit avec ses photos… Trente ans après sa disparition, cette exposition à Paris place enfin son œuvre sous les feux des projecteurs européens tandis qu’outre-Atlantique, un long et patient travail est entamé pour tirer les œuvres cochées dans les fameuses planches-contact jusqu’alors inexploitées. Même si elles seront sans doute exposées en priorité au San Francisco Museum of Modern Art et à la National Gallery of Art à Washington, on a vraiment hâte de les découvrir en France et on espère que ce sera au Musée du jeu de Paume tant l’expo actuelle nous a séduit… Elle se terminera le 8 février prochain. Courez-y… ◊
“ On pourrait dire que j’étudie la photographie et c’est vrai ; mais en réalité, j’étudie l’Amérique ” GARRY W IN O G RAND
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PABLO PICASSO
E nfin réo uv ert, le Mu sée Picasso est u ne merv eille !
Jusqu’au bout, on a pu croire que le sac de nœuds des derniers mois allait déboucher sur un nouveau report. L’écueil a pu in-extremis être évité. Le jour même de l’anniversaire du génial catalan, le 25 octobre dernier, le Musée Picasso a été ouvert au public. Au fil du temps, il présentera les près de 5 000 pièces qu’il possède à un public venu du monde entier… /// TEXTE JEAN-LUC FOURNIER PHOTOS DR
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Sans vouloir être gratuitement mordant, on dira que la réouverture mouvementée de ce superbe musée Picasso aura illustré malheureusement (une fois de plus…) les arcanes de la culture « à la française ». Un scénario que n’aurait pas renié Eugène Sue dans ses Mystères de Paris dont il situa mainte fois l’action au cœur des ruelles alors mal famées du quartier du Marais où s’élève l’Hôtel Salé qui abrite aujourd’hui l’établissement public. Car depuis la fermeture du musée pour travaux il y a cinq ans, les épisodes n’ont pas manqué : polémiques sur les partispris architecturaux, des reports en cascade, les « excès d’autoritarisme » de l’ancienne présidente faisant l’objet de nombreuses dénonciations par les salariés et, pour finir, la révocation de ladite dame, Anne Baldassari, en mai dernier par Aurélie Filipetti, alors ministre de la Culture, qui lui proposa néanmoins d’assurer « l’accrochage » de l’exposition d’ouverture. Proposition refusée puis… finalement acceptée alors qu’était nommé président l’excellent Laurent Le Bon (ci-dessous), celui qui réussit en fanfare l’ouverture du Centre Pompidou de Metz il y a quatre ans. On devine cependant à quel point le nouveau président dût « marcher sur des œufs » tout l’été entre la polémique entretenue par les quelques alliés d’Anne Baldassari et les menaces de Claude Picasso, le représentant des héritiers au conseil d’administration…
L’accident industriel final aura donc été évité de justesse. Reste qu’aujourd’hui, on peut de nouveau visiter un endroit métamorphosé qui bénéficie de trois fois plus d’espace dans les trente-sept salles dont il dispose désormais, treize de plus qu’auparavant. La totalité de l’Hôtel Salé est aujourd’hui dédiée à la collection, des caves aux combles. Et le tout, reconnaissons-le, est une pure merveille…
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Un parcours magistral L’accrochage d’Anne Baldassari confirme ce que l’on savait déjà : l’ex-présidente, même autoritaire, est l’une des expertes les plus pointues de l’œuvre de Picasso. Elle a donc réussi à exploiter parfaitement les nouvelles possibilités du lieu. Sur trois niveaux, un « parcours magistral » retrace en dix grandes séquences l’ensemble de la carrière du peintre de ses premiers tableaux de la fin du XIXème siècle (et oui, il n’avait alors qu’une quinzaine d’années) jusqu’aux dernières œuvres produites à la veille de sa disparition en 1973. La chronologie est respectée mais sans aucun caractère fastidieux, entrecoupée par des séquences thématiques : les autoportraits, le cubisme, les peintures de guerre… Pas moins de quatre cent œuvres (sur 5 000, rappelons-le…) sont ainsi présentées. Et dans les combles, on découvre un véritable trésor avec la collection personnelle de Pablo Picasso. Intelligemment, les tableaux de Degas, Braque, Matisse, Cézanne, Modigliani, entre autres… dialoguent avec ceux du maître. On en ressort bien évidemment ébloui… La nouvelle architecture (on a traqué jusqu’à la moindre source de lumière, un exploit architectural quand on songe au bâtiment d’origine) joue donc à fond son rôle et un public nombreux et enthousiaste se presse dans les salles depuis le 25 octobre dernier. La réouverture du Musée national PicassoParis sonne également comme une bonne nouvelle pour nombre d’organisateurs de manifestations à venir. L’établissement est d’ores et déjà devenu une véritable « plaque tournante » concernant les œuvres de Pablo Picasso : ainsi, le Musée d’Orsay vient de se voir prêté Figures au bord de la mer pour son exposition-événement consacrée à Sade. Dans un an, le Grand Palais accueillera une expo très attendue, Picasso et l’art contemporain. Et à l’horizon 2017-2018, le Musée du Quai Branly, consacré aux arts premiers, abritera une intéressante confrontation entre Picasso et le
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primitivisme tandis que le Musée d’Orsay exposera les chefs d’œuvre des périodes bleue et rose du Catalan. Et de nombreuses sculptures sont déjà arrivées à New York pour être présentées au MoMA dans le cadre de son expo Picasso sculpteur… En attendant, c’est maintenant qu’il convient de ne pas rater la moindre miette de l’expo de réouverture. Elle sera visible jusqu’au printemps prochain. ◊ /// MUSÉE PICASSO 5, rue de Thorigny 75003 PARIS Métro Ligne 1 Station Saint-Paul Ouvert tous les jours sauf le lundi, le 25 décembre et le 1er janvier. Nocturne le 3ème vendredi de chaque mois jusqu’à 22h. Pour éviter les files d’attente : www.billetterie.museepicassoparis.fr
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JEFF KOONS A POMPIDOU A vous de voir ...
L’expo la plus médiatique de l’année vient d’ouvrir à Pompidou et elle fait déjà couler beaucoup d’encre. On est venu, on a vu et, bien que sommé de toute part d’être convaincu, on se contentera de vous résumer les moments passés dans « the place to be » et de vous dire, sceptique : à vous de voir… /// TEXTE Jean-Luc Fournier PHOTOS AFP - DR
A dire vrai, le tintamarre autour de cette rétrospective Jeff Koons qui vient d’ouvrir ses portes au Centre Pompidou de Paris nous a fait penser, avant notre visite, à ces sorties en fanfare de films à très gros budget, très belle affiche, très bon réalisateur, très belle palette d’acteurs et on en passe… On se sent sommé de répondre présent au rendez-vous et même d’être volubile tant tout est très truc, très machin, très, très, très… Et généralement, quand on sort de la projection, on se dit souvent qu’on a été très… con de tomber dans le panneau ! Donc, c’est un peu dans cet état d’esprit qu’on est allé voir pour vous la rétro Koons…
contemporain puisqu’aujourd’hui, c’est le hit-parade financier qui permet de juger de la valeur de l’artiste. Eloge du ticket de caisse…
C’est une vraie rétro, complète. Tout ce qu’on a pu vous vendre depuis des années sur papier glacé ou sur tous les écrans, de la télé au net, y est. On ne va pas tout vous détailler ici, il faudrait quinze pages mais sachez le : il y a un Ballon Dog qui, parfaitement lustré, brille comme vous vous attendiez qu’il brille. Sur lui, vous savez l’essentiel : il vaut 58 millions d’euros, ça a été claironné et reclaironné de partout. Ce qui fait de cette bestiole ripolinée fuchsia l’œuvre d’art contemporaine la plus chère du monde. Et, par conséquent, de son géniteur (enfin, celui qui dirige l’atelier où ses disciples bossent) le plus immense artiste de l’art
Pour beaucoup de visiteurs, selfie à l’appui, la vision de la clinquante bébête suffira pour dire plus tard : « J’y étais ! ». Rassurons les autres, un peu plus au fait de l’œuvre globale du « plus-grand-artistecontemporain-vivant » (à prononcer d’un trait, c’est un label), ils verront aussi le fameux Michæl Jackson en porcelaine, le Yorskshire en bois polychrome, le souvenir des ébats lointains du génie avec une artiste porno italienne qui fit les beaux jours des télés Berlusconi dans les années 80, un homard en suspension, des phallus gonflés et rutilants, et on en passe… On vous le certifie, de 1979 à nos jours, la rétro est complète, y’a pas d’arnaque… Après, on sort, on traverse l’esplanade devant Pompidou et on va s’asseoir au Mont Lozère, le bistrot d’en face, là où d’habitude, on aime échanger sur ce qu’on vient de voir. Et puis, on sirote son café un peu dépité parce qu’on se rend compte assez vite qu’au fond, on n’a pas grand chose à dire… Ou plutôt si : on vient de visiter une expo mutante. Ce n’est pas de l’art, ce n’est que du business. En ce sens qu’on avait pris l’habitude de commenter à tout va sur la valeur de l’esthétisme (et il faut bien avouer aussi qu’on en a raconté quelques conneries à partir de cette notion-là…).
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Des œuvres, donc…
Mais avec Koons, cette valeur-là n’a plus rien à voir, on en est à des années-lumière. C’est la valeur marchande qui a présidé à la mise sur pied de ce qu’on vient de visiter. Quelqu’un, chez Pompidou, s’est dit : « Allez, on va se faire un peu de blé avec le faiseur de blé ». Et ça marche, pas de doute là-dessus, la queue s’allonge toute la journée sur le grand parvis gris… Wahrol, il y a longtemps, nous avait aussi fait le coup avec, notamment, sa Marilyn et son Mao aux couleurs psychadéliques. Mais lui, au moins, il assumait : « Regardez la surface de mes œuvres, il n’y a rien derrière… » clamait-il. La critique s’est triturée les méninges pour nous parler de tout ça. Dans l’hebdo Le Point, on a lu : « Il faut juste voir l’art derrière les millions de dollars ». Ben, désolé, on n’y est pas arrivé, ça brillait trop ! Ceci dit, au beau milieu de l’enfumage généralisé actuel, on a bien conscience qu’écrire tout ça risque fort de vous faire passer pour un vieux con. Direct... Tant pis… Si, lors de votre déplacement parisien prochain, après Niki au Grand Palais, Winogrand au jeu de Paume et Picasso dans son musée du Marais, vous n’avez pas le temps de faire un saut à Pompidou, ce n’est pas grave du tout… ◊ /// Rétrospective Jeff Koons Centre Pompidou Paris Jusqu’au 27 avril 2015
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Armelle
a trouv é son « Point F ort »
Qui cherche trouve, dit-on… Le proverbe semble se vérifier une fois de plus. La très mobile Armelle Boussidan (re)pose ses pinceaux à Strasbourg et se retrouve superbement exposée dans une toute nouvelle galerie atypique et audacieuse… /// TEXTE Alain Ancian PHOTOS MÉDIAPRESSE - Paola Guigou - DR
Fiche signalétique 1 : Armelle Boussidan. Strasbourgeoise. 33 ans. Titulaire d’un doctorat en sciences cognitives mention linguistique. A tenté un début de carrière dans la recherche. (« Mais ça a fini par me casser la tête, le monde académique est trop lent pour moi »). A toujours beaucoup voyagé mais en a remis une belle couche depuis cet épisode. Entre autres :Toulouse, Brighton, Lyon, Bruxelles... Signe distinctif : a du mal à tenir en place. Signe distinctif émergeant : envisage de construire sa base à Strasbourg pour mieux continuer à rayonner partout. Est en train d’aménager son atelier dans ce sens… Fiche signalétique 2 : Arthur Van Hoey. Strasbourgeois. 27 ans. Juriste de formation mais doctorant en Ethnologie après des études en Histoire de l’Art. A décidé de se lancer dans le métier de galeriste en association avec son amie
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Ars Galacticum
grâce aux artistes qui s’en emparent. Alors, oui, le point Fort est un pari qui comporte encore une très grande dose d’aléatoire, mais on y croit. Et le public suit, on désacralise le côté froid de la galerie traditionnelle, je crois que cet aspect peut être porteur, à long terme. La galerie est opérationnelle, le site avec ses aménagements extérieurs sera complètement terminé dans deux ans. Il nous faut encore quelques autorisations des Eaux et Forêts pour un jardin et aussi pour une meilleure signalisation. Tout cela prend un temps fou… »
Aurélie Arena, doctorante en Histoire de l’Art. Viennent de créer leur galerie « Le point Fort ». N’ont pas choisi le site le plus évident : la galerie a été aménagée dans un des forts de la ceinture de défense Ouest de Strasbourg, au sommet d’une côte à la sortie de Mittelhausbergen. Tous deux y croient dur comme fer. La preuve : leur participation à ST’ART… Elle a un sacré punch, Armelle. Et au fond de ses yeux noirs brille la flamme de l’artiste, c’est certain. « Après mes études et mon diplôme, j’ai fait une rencontre dans le sud de la France avec un peintre qui m’a réellement mis en contact avec la matière et la couleur. Ce fut comme une vraie révélation. Je m’y suis mise vraiment. Même mon séjour en Angleterre pour passer un Master « Linguistique et Sémantique » ne m’a pas empêché de peindre encore et encore. Mais je peignais pour moi, je ne montrais rien. Ma première expo fut à Lyon, en 2011, au sein d’une galerie associative. Ce n’était pas évident pour moi de vouloir montrer ce que je faisais. Au vernissage, j’ai vendu mes premières toiles, direct… Je ne m’attendais pas du tout à faire un tel effet, c’était même plutôt surprenant d’avoir à fixer des prix. Ensuite, avec quelques joyeux lurons de là-bas, on a monté un collectif et je me suis donné le droit d’occuper mon propre atelier. J’y ai appris et mis en œuvre plein de nouvelles techniques. Je ne me posais pas trop de questions et les autres s’étonnaient que je ne sois pas dans les diktats des écoles. Moi, je viens, je crée et voilà ; je me dis qu’après, on verra… » Des rencontres Un passage à Bruxelles plus tard (« làbas, je n’ai pas fait grand chose » avoue Armelle), c’est le retour à Strasbourg en mars dernier. « J’y ai ma famille bien sûr, mais je ne savais pas alors si je serais seulement de passage ou pas, je n’avais pas réfléchi à ça. Tout de suite, j’ai rencontré les gens du « Point Fort ». Puis, dans la foulée, Paula Guigou, une photographe. On s’est rendu compte qu’on avait envie toutes les deux de notre atelier. On s’est dit : allez OK, on se colle ensemble, on cherche cet espace et on y va… On l’a trouvé dans l’ex-usine des moteurs d’avion Junkers à la Plaine des Bouchers de la Meinau. Depuis, un plasticien et une graphiste nous ont rejoints. On est en train de commencer à
l’aménager, c’est un très beau projet. Au printemps, tout devrait être prêt… » Un lieu improbable Les travaux, Arthur et Aurélie ont connu ça. Faut dire qu’en choisissant l’ancien abri A28A de la ceinture des forts qui borde tout l’ouest de Strasbourg, les deux compères n’avaient pas fait dans la facilité. « L’endroit, nous l’avons découvert en 2007 et il était dans un état déplorable » raconte Arthur Van Hoey. « Il n’y avait pas l’eau courante et pas d’électricité. Elle n’est installée que depuis six mois. Il nous a fallu un an de travail pour gratter méticuleusement la suie consécutive à un incendie provoqué par des squatters… » Reste qu’aujourd’hui, quand on est parvenu à le localiser, on découvre un endroit remarquablement aménagé et qui présente tous les atouts d’une galerie d’art classique (éclairage, distribution des espaces, atmosphère générale de sérénité…). Mais nous sommes bel et bien dans un blockhaus… et on peut s’interroger sur ce qui a présidé à un tel choix. « J’avais commencé mon activité de galeriste en appartement » répond Arthur. « Mais, au fond de moi, j’avais vraiment envie d’autre chose. Je voulais un lieu insolite et qui puisse vivre
Le Point Fort expose donc une monographie de Armelle Boussidan jusqu’au 21 décembre prochain. L’occasion idéale pour découvrir le travail de cette artiste inclassable qui joue avec la matière et les couleurs avec la seule règle qu’elle se sent capable de se fixer : rester libre et continuer à bouger. Souvent, elle dit : « Il faut que ça sorte des tripes… » mais, quant on l’interroge vraiment et qu’on essaie d’aller vers le fond des choses comme nous l’avons fait ce dimanche matin autour d’un café à l’intérieur de ST-ART, elle revient sans cesse à son acharnement à ne pas s’enkyster dans un même lieu : « Quand l’atelier sera terminé au printemps, je vais bien sûr l’investir à fond. Et créer et encore créer. Mais je ne le vois que comme ma base, l’endroit où je vais créer et stocker. Entre deux voyages, car Strasbourg ne sera jamais pour moi qu’un lieu de travail, un QG pour mes toiles, mon atelier, une galerie, avec bien sûr la famille tout près. Mais surtout, continuer à bouger car par ici, ça manque par trop de cultures alternatives. Alors, créer ici, oui mais aussi prendre à chaque fois que possible un train, un avion, retrouver mes amis partout dans le monde, ça, je ne veux pas le perdre… » ◊ /// LE POINT FORT ANCIEN ABRI A28A Rue de la Côte / RD31 MITTELHAUSBERGEN Tèl. 03 88 27 14 27 www.lepointfort.eu
Elan
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GALERIE RADIAL
L a belle ex igence de Fred Croi z er Juste après St’Art où il a une nouvelle fois exposé, rencontre avec un authentique passionné. « Je suis devenu galeriste en empruntant la face Nord » dit Frédéric Croizer. Façon d’avouer que ce ne fut pas simple. Mais, quatre ans plus tard, il ne regrette pas une seule seconde… /// TEXTE ERIKA CHELLY PHOTOS MÉDIAPRESSE-DR
Frédéric Croizer, entre deux tableaux de Marc Van Cauwenberg
Quatre ans déjà qu’il a ouvert sa galerie quai de Turckheim à Strasbourg. Et Frédéric Croizer, 47 ans, de se rappeler : « 2010, c’était au pire moment possible, non ? Beaucoup m’ont dit que j’étais fou. Et encore, ils ne savaient pas qu’en fait, ce qui est aujourd’hui la galerie ne devait être au départ que mon bureau. C’est en rénovant ce local que soudain, je me suis dit : et pourquoi pas une galerie ? Une fois l’idée en tête, j’ai foncé… » Et foncer, cet artiste de toujours, devenu galeriste donc, sait ce que ça veut dire lui qui a vécu à Londres, NewYork, Boston… entre autres, au contact des milieux artistiques les plus divers.
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Voyager, un choix délibéré ? « Oui » s’exclame-t-il aussitôt. « Pour avoir les yeux grand ouverts et stimuler mon imagination. Tout jeune, j’avais déjà vécu ça à Los Angeles mais c’était plus pour sentir l’atmosphère de la Californie. Pour moi, c’était plus qu’important de vivre ces aventures-là. Car souvent, tout est affaire de rencontres. A New-York, par exemple, j’ai fait la connaissance de la correspondante aux USA de la revue Art Actuel, évidemment une grande spécialiste de l’art aux Etats-Unis. Elle m’a introduit un peu partout : expos, musées, ventes aux enchères et j’en passe… Dans ces conditions-là, on est vite au cœur du système, on voit comment ça se passe réellement, bref on apprend à
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grands pas. Je faisais sans cesse des aller-retour depuis la France, en tout j’ai passé une année à Londres, trois fois six mois à Boston... » Sans compromis « Quatre ans plus tard, je n’ai pas le moindre regret » poursuit Frédéric. « Je savais dès le départ l’orientation que je voulais donner à ce lieu et avec quels artistes je voulais travailler. Il s’agissait donc de les convaincre de me faire confiance et ce n’était pas évident car ils avaient déjà des accords avec des galeries bien plus installées que la mienne. Il nous a donc fallu nous apprivoiser d’autant plus qu’il faut bien avouer que ceux d’entre eux qui fonctionnent bien pensent en général que la France n’est pas forcément le pays qu’il leur faut pour développer leur notoriété. Je savais tout ça mais de toute façon, je n’avais pas de plan B lors de mon installation. Pour tel ou tel artiste, c’était lui et pas un nôtre. Il m’a donc fallu être convaincant ! J’avais envie d’une galerie avec une programmation qui me ressemble et surtout, qui permette de faire découvrir des choses nouvelles à ses clients. Et sans tricher : par exemple, j’aime la sculpture et je suis le seul galeriste dans l’Est de la France à mettre en valeur systématiquement des œuvre sculptées. Evidemment, certaines étant monumentales, il y a des notions de logistique à prendre en compte et quelquefois, c’est loin d’être simple. Mon rôle ne se limite donc pas à accrocher des tableaux au mur. Mais j’assume sans problème tout ça, je développe un savoirfaire… »
Till Augustin, Der Gordische Knoten (le nœud gordien)
Et les clients ont suivi. Mieux même, leur soutien a étonné Fred : « J’avais certes de bons et déjà anciens contacts avec beaucoup de collectionneurs allemands ou encore suisses et ils ont répondu immédiatement présent. Certains n’ont pas hésité à faire 300 ou 400 km pour venir à Strasbourg découvrir ou revisiter les artistes que je présentais. « On aime ta galerie, on soutient tes projets, on achète » disaient-ils. Je n’ai pas eu le temps de trop gamberger, tant mieux ! Ils ont été les premiers et maintenant, ce sont les Strasbourgeois et les Alsaciens qui poussent aussi la porte. Sans doute parce que tous savent que j’ai envie de faire des choses qui me ressemblent… » Plus d’une demi-douzaine d’artistes internationaux ont été exposés par Radial lors du dernier salon St-Art. Parmi eux, on a retrouvé, après 2012 et 2013 toujours sous la « casaque » Radial, l’allemand Till Augustin et ses spectaculaires sculptures à base de câbles d’acier galvanisé. A lui seul, le travail de cet artiste résume la démarche exigeante de Frédéric Croizier qui l’expose en permanence à Strasbourg. Idem pour le norvégien Lars Strandh et ses monochromes ou encore le zurichois Frank Fischer et ses laques sur aluminium au style faussement simple (il lui a fallu des années d’expérimentation pour parvenir à créer ces pièces).
Lars Strandh, Untitled. 1441
Tous, avec d’autres, notamment le peintre belge Marc Van Cauwenberg et ses espaces verticaux où s’entrechoquent les couleurs, se retrouveront chez Radial pour une exposition de fin d’année conçue comme un « best of » du deuxième semestre 2014. Elle méritera le détour, sans nul doute. « Tous ces artistes tentent d’aller au-delà de leur pratique artistique. Ils veulent pousser jusqu’au fond des choses, avec des mises en œuvres quelquefois délirantes qu’on ne devine bien sûr pas en regardant leurs œuvres » résume Fred. « En fait, ce qui m’intéresse c’est que leur démarche est sans compromis… » « Comme la vôtre ? » Fred ne répond pas à la question mais son visage se barre d’un grand sourire… ◊
Frank Fischer, Convergence, 2014
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ART & CULTURE
ST-ART 2014
C ’ est dev en u criant : l’ év énement s ’ esso uffle et … . . e xaspère
Les portes de la 19ème édition à peine fermées, les langues n’ont pas tardé à se délier. Nombre de galeristes ont une nouvelle fois été déçus par le niveau de leurs ventes mais aussi par la qualité très inégale des galeries présentes. Cela fait des années que ce constat existe et, à défaut de l’avoir pris en compte plus tôt, une vraie réaction s’impose, désormais. Sera-t-elle de mise pour la prochaine édition ? Il y a urgence… /// TEXTE Jean-luc Fournier PHOTOS MÉDIAPRESSE - DR
Les clignotants d’alerte avaient fonctionné assez tôt. Comme autant de signes annonciateurs de sombres nuages qui s’apprêtaient à menacer cette manifestation artistique-phare de la vie strasbourgeoise. C’est tout d’abord Jean-Pierre RitschFisch (ci-dessous, présentant une œuvre à la ministre Fleur Pellerin) qui tirait la première salve dans la presse locale au début de l’été dernier : « Je ne participerai plus à St-Art. Pour moi, les résultats sont trop décevants, le niveau général trop inégal. Il y a une trentaine de galeries dignes de ce nom, qui font vraiment la promotion d’œuvres d’art, le reste relève de la décoration. J’en ai assez d’être perdu là-dedans… » déclarait notamment ce grand galeriste de Strasbourg, spécialiste de l’art brut et très fin connaisseur du marché de l’art international, lui qui participe à des foires à la renommée certaine comme Cologne, Paris, Osaka ou encore New York. Avant d’asséner un coup
de massue sur un thème qui ne peut que concerner l’ensemble des galeristes, au vu des conditions économiques actuelles : « Pourquoi est-ce que je vends à Karlsruhe et pas à Strasbourg ? Parce que là-bas, au vernissage, vous rencontrez des amateurs et des collectionneurs, et non pas de simples badauds. St-Art n’est pas parvenu à stimuler le marché de l’art à Strasbourg » concluait-il sur un ton définitif.
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Des propos qu’il a complétés dans l’édition du très lu Journal des Arts, un bimensuel national paru quelques jours avant le vernissage. Faisant écho à la place qu’il occupait au sein du comité de sélection, Jean-Pierre Ritsch-Fisch était encore plus précis sur la nature de sa déception : « Cela faisait des années que je souhaitais des modifications qui n’ont pas été apportées tant au sujet des galeries sélectionnées que sur la pédagogie du public ou le travail à mener auprès des acteurs économiques de la région » expliquait-il en conclusion d’un article où le Journal des Arts écrivait aussi que « la manifestation pourrait bien être à un tournant malgré la dynamique insufflée par l’arrivée d’Yves Iffrig à la direction artistique il y a deux ans » tout en relevant également que « la qualité générale de la foire reste très inégale et que l’on s’interroge sur la présence de nombre de galeries… »
« C’est bien la dernière fois… » Renseignements pris auprès de quelques galeristes locaux, la plus virulente réaction est venue de Chantal Bamberger. La très avisée galeriste de la rue du 22 novembre avait pourtant « flairé le coup », selon son propre aveu, mais s’était finalement sentie obligée de tenir parole après s’être engagée auprès de Gérard Titus-Carlem (tout sauf un inconnu, pourtant) qui avait tenu à être physiquement présent sur le stand où ses œuvres étaient accrochées. « Mon bilan ? Zéro vente, c’est simple » se lamentait Chantal Bamberger. « Et je ne suis pas la seule dans ce cas, croyez-moi. Le concept foire ne correspond pas du tout à ce que je fais. Ca tourne beaucoup trop au bling-bling, ça verse abondamment dans la déco. A force de faire plaisir à tout le monde, à force de saupoudrer de tous les côtés, on en arrive là, à une manifestation où les gens viennent pour se promener, pas pour acheter. A Karlsruhe, en peu de temps, ils ont éliminé tous ces aspects-là et ont su évoluer pour ne plus présenter que de la qualité. Ici, on veut se faire du fric et on finit par ne plus faire d’art. Pourquoi des galeristes comme Nicole Buck ou encore Jean-Pierre Ritsch-Fisch ont-ils jeté l’éponge ? Parce qu’ils ont senti puis constaté que le concept artistique se dégradait. C’est bien la dernière fois que je participe à St-Art et le comble est que je ne suis même pas sûre d’être présent à Karlsruhe en mars prochain car je vais avoir le déficit de St-Art à éponger » concluait Chantal Bamberger. Des propos quasi similaires mais pondérés par quelques espoirs à venir du côté de la galerie parisienne (et bruxelloise) Lazereff qui exposait notamment le travail surprenant du normand Olivier Catté à partir de cartons d’emballage au rebut dans la rue. Enduite de noir, cette matière est ensuite travaillée au cutter, incisée, arrachée, quasi épluchée quelquefois pour finir par révéler la trame urbaine, tags compris, thème de prédilection de cet artiste venu du street-art. La galerie Lazereff, qui présentait également Shaka
assez connu en Alsace pour être intervenu sur les murs mulhousiens, avait donc parfaitement joué le jeu et respecté le public de l’art contemporain. « Notre première participation à St-Art nous a confirmé dans l’idée que ce genre de foire n’est pas fait pour nous » précise Laura de Pontcharra (photo ci-dessous), directeur associé de la galerie. « Vouloir flatter la rétine au premier coup d’œil est très antinomique avec le vrai métier de galeriste. Les artistes que nous défendons, il faut les découvrir. Tout n’est pas dit au premier abord. On ne peut pas être dans ce rapport d’immédiateté et de facilité. Tout cela, on ne peut pas l’exprimer dans ce type de foire. Certes, en terme d’organisation, de qualité des prestations logistiques, c’était parfait mais le bilan est désastreux, en terme de ventes. Cependant, nous avons rencontré quelques collectionneurs (une cinquantaine) qui ont fait l’effort de se renseigner, de découvrir nos artistes. Ils n’ont pas acheté mais ont pris des rendez-vous fermes à la galerie, à Paris. D’ailleurs, dès le lendemain de StArt, l’un d’entre eux a poussé notre porte. Le bilan global, on le fera dans quelques temps donc, mais nous avons été atterrés de ne rien avoir vendu. » A la différence de quelques autres, Frédéric Croizer de la galerie Radial, que nous présentons aussi page 34, n’était aucunement déçu. Pour une bonne raison : « Je n’attendais rien en matière de vente » nous précisait-il au lendemain de la foire. « Et comme j’étais convaincu de ne rien vendre, j’ai fait plaisir à mes artistes et je me suis fait plaisir aussi en exposant des grands formats, des sculptures, en soignant la scénographie pour tirer parti au maximum d’un emplacement bien plus privilégié que celui de l’année précédente. Le très peu de ventes que j’ai faites l’a été au niveau des gens qui font déjà partie de mon réseau. Ce qui prouve que les collectionneurs ne viennent pas à St’Art. Ils estiment que la notoriété de ce salon est insuffisante et ils n’ont pas tort : le niveau est très inégal, les bonnes galeries sont noyées au milieu du reste. Ma participation
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future va maintenant vraiment dépendre des garanties qui pourront ou non m’être fournies par les organisateurs. Pour moi, St-Art est vraiment à un tournant. Même la communication autour de l’événement laisse à désirer. On n’exploite même pas les supports locaux existants. Je le vois bien, moi, puisque je participe à d’autres manifestations, je peux comparer… Il va falloir nous prouver que la machine peut être relancée dans le sens de ce que recherchent à la fois les galeristes et les collectionneurs : la qualité. Pour éviter que ne perdure la situation actuelle, celle des bonnes galeries qui servent de caution à tout le reste... » Après ce tour d’horizon assez pessimiste et forts de notre propre visite approfondie, il nous est difficile de ne pas partager les opinions sur le « bling-bling » et la tendance de plus en plus « déco » qui se manifestent à St-Art depuis quelques années maintenant. Seul le fait de ne pas passer pour des délateurs de bas étage nous empêche de citer le nom de nombre de galeries qui, si on les sélectionne de nouveau et qu’on les laisse faire, finiront bien un jour par nous présenter des piles de trousses siglées Ben comme dans les meilleurs rayons rentrée des classes d’Auchan début septembre ou l’équivalent des compositions plastifiées et criardes en vente dans les plus distingués des Conforama de France. On abuse à peine. Consternant… L’équation à résoudre est à l’évidence complexe et il paraît en tout cas assez vain de claironner à tout va que tout va bien, comme l’a fait le communiqué de bilan paru au lendemain de la manifestation. Beaucoup ont souri à la lecture de cet exercice obligé d’auto-satisfaction, à des années-lumière des problématiques concrètes rencontrées par les premiers clients, les incontournables galeristes. St-Art, fort de ses 19 éditions, doit maintenant revoir sa copie et, en quelque sorte, se recentrer considérablement sur les galeries de qualité, présentant des artistes confirmés ou méritant vraiment d’être découverts et suivis. Parallèlement, un travail considérable doit être entrepris en urgence pour renouer avec les collectionneurs et le monde des investisseurs locaux et régionaux qui, pour la plupart et de façon patente, ne voient plus l’intérêt de pousser les portes. Et tout cela dans un contexte économique extrêmement difficile… La tâche est donc plus qu’ardue, il faut bien le reconnaître. A défaut, il reste toujours la solution d’organiser un grand salon international de la déco contemporaine. C’est un choix… ◊
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FREDDY RUHLMANN « Dans le do ut E. . . j ’ avance »
Marie-Paule
Cette citation de Nicolas de Staël, Freddy Ruhlmann l’avait fait sienne. La publication d’un livre écrit par son épouse Marie-Paule (et superbement réalisé) est l’occasion, dix ans après sa disparition, de se souvenir que cet artiste extraordinairement doué était doté d’un esprit inventif et d’une prodigieuse générosité…
/// TEXTE JEAN-LUC FOURNIER PHOTOS Antoine Bouchet - Claude Heym - P. DE SREBNICKI et documents remis par l’auteur.
Le livre s’ouvre sur une photo de Freddy Ruhlmann, l’œil pétillant, le sourire généreux… comme toujours, diront celles et ceux qui l’ont bien connu. Sous la photo : 17 mai 1941 - 24 mai 2004. Dix ans déjà. Marie-Paule, son épouse, écrit page 13 : « Quarante ans après les essais nucléaires au Sahara, il affronte en toute lucidité jusqu’à l’ultime, avec stoïcisme et grande dignité, la maladie de Charcot, l’adversaire déloyale. Il garde son amour de la vie et de la nature, crée, dessine, sculpte, écoute de la musique, écrit, lit, analyse Le Monde chaque jour et fait ses mots croisés, joue avec moi au scrabble, son dernier score 644 points ! L’esprit toujours en éveil. » Qu’avec pudeur et amour ces choseslà sont vraiment écrites : la succession de verbes dit mieux que tout le formidable investissement artistique de Freddy ; l’évocation historique des saloperies endurées par certains appelés
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Dans le doute .... j’avance N de S Création Freddy Ruhlmann Années 90 Aquarelle, encre acrylique, collage et crayon gras sur papier Arches ancien Titré et signé 80 x 60 cm Collection particulière
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Harmony in Blue YKB Freddy Ruhlmann Années 90 - Encre YKB, acrylique et crayon gras sur papier Arches ancien Signé - 80 x 60 cm Collection particulière
français dans le désert algérien rappelle que s’étant déclaré objecteur de conscience et philosophe humaniste, il avait refusé de porter les armes et, de ce fait, avait été placé dans un camp disciplinaire dans le sud saharien… Le Monde et les mots croisés évoquent ce beau garçon un peu trop discret que les yeux de Marie-Paule captaient régulièrement au Snack Michel à la fin des années soixante. « Nous nous apprivoisons tout en délicatesse, conscients de vouloir construire davantage qu’une idylle éphémère. Loin d’imaginer vivre trente-trois années de bonheur. Passionné et passionnant » écritt-elle un peu plus loin…
Dunes Freddy Ruhlmann 1978 - Acrylique, bitume de Judée, encre, pâte d’acier et pâte d’argent Signé - 81 x 66 cm Collection particulière
Sans doute lui a-t-il fallu du courage à Marie-Paule pour écrire ces belles pages et réunir les visuels des œuvres de son mari disparu. A lire son texte « En harmonie couleur » qui ouvre le livre, on devine aussi, au-delà de l’amour qui a uni ces deux êtres, l’admiration pure et inconditionnelle qu’elle a porté à l’homme de sa vie. Alors, ce livre est une véritable explosion de vie et évoque toutes les facettes d’un talent hors norme : le peintre (et le temps abdique devant la couleur…), le sculpteur (tailler la lumière), le designer (l’esthétisme au quotidien), le graphiste (l’œil), le poète et le philosophe humaniste (l’esprit) mais aussi l’auteur, concepteurscénariste et réalisateur de films jusqu’à l’athlète de haut niveau puisque Freddy fut également international de volley-ball. Outre les œuvres parfaitement reproduites
dans l’ouvrage et bien servies par une mise en page sobre et aérée, la photothèque finale rappelle le sourire et l’amour de la vie de l’artiste et la passion amoureuse vécue par ce couple (un tirage argentique, une superposition accidentelle de deux prises de vue sur le même segment de pellicule, montre Freddy au travail et Marie-Paule caressant le chien Nelson : « Etre deux, poésie du hasard ? » s’interroge Marie-Paule). C’est un livre qu’on feuillette longuement, admiratif devant une œuvre artistique d’exception et plus encore devant une démarche créative sans borne et sans concession. Mais, parce que l’amour y imprègne chaque page, c’est donc un livre qu’on referme puis qu’on caresse presque affectueusement de la main avant de le placer soigneusement sur un rayon bien précis de la bibliothèque. Car on sait qu’on va le rouvrir très vite. Forcément… ◊
La Tolérance Création Freddy Ruhlmann 1998 Dessin original Aquarelle et encre de Chine 20 x 14,5 cm Collection particulière Logo de l’Association Les Amis de Marcel Rudloff
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Nana Création Freddy Ruhlmann Années 90 Encre YKB, acrylique et crayon gras sur papier Arches ancien Signé 80 x 60 cm Collection particulière
/// FREDDY RUHLMANN I.D L’EDITION 208 pages - 44€ En vente en librairie et chez l’éditeur : id.edition@wanadoo.fr
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L’ au tre de Beau voir
Elle s’appelait Hélène… Dans l’ombre de la personnalité tutélaire de Simone de Beauvoir, il y avait sa cadette, Hélène, qui vécût près de quarante ans à Goxwiller et fréquenta beaucoup Strasbourg. Margarethe et Martin Murtfeld, un couple d’amateurs d’art allemands, s’est fixé comme objectif de réhabiliter l’artiste-peintre, curieusement méconnue en France… /// TEXTE JEAN-LUC FOURNIER PHOTOS MÉDIAPRESSE-DR
C’est une maison de style alsacien comme beaucoup d’autres autour d’elle, au cœur du petit village de Goxwiller, près d’Obernai. Mais, le portail passé, elle vous plonge délicieusement un demi-siècle en arrière quand vous apprenez soudain qu’avant vous, Simone de Beauvoir, Jean-Paul Sartre, Jean Giraudoux, Claude Lanzmann mais aussi Juliette Gréco, Guy Béart entre beaucoup d’autres l’ont fréquentée, quelquefois longuement. « Le tout Saint-Germain-des-Prés s’y pressait » raconte l’actuelle propriétaire des lieux, Margarethe Murtfeld, une ex-galeriste réputée de Francfort qui a choisi d’y habiter « par amour de la France », sans une seule seconde se douter qu’elle et son mari Martin, qui occupa à la fin de sa carrière un poste important à la Banque de Développement du Conseil de l’Europe basée à Paris, allaient découvrir là une histoire peu commune et qui, aujourd’hui, les habite entièrement.
Dans l’ombre de la médiatique Simone… Le hasard n’existe pas, dit-on, les fils qui doivent un jour se réunir finissent toujours par le faire. Une nouvelle fois, cela semble être vrai. Enfant de la génération « féministe » des années soixante, Margarethe Murtfeld n’avait-elle pas prénommée sa première fille Simone (malheureusement décédée d’une leucémie à l’âge de dix ans) en hommage évident à Simone de Beauvoir et ses épiques combats… Lors de nos visites chez le couple Murtfeld ( à Goxwiller où il réside habituellement mais aussi près de Francfort où la belle habitation de leur fils Ulrich, un renommé pianiste international, accueillait l’automne dernier nombre d’œuvres d’Hélène de Beauvoir lors de la Foire du Livre de Francfort (où
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une monographie d’Hélène de Beauvoir ainsi que son livre Souvenirs étaient présentés), c’est toute l’atmosphère du Saint-Germain-des-Prés des décennies d’après-guerre qui a ressurgi. Simone de Beauvoir : l’inoubliable auteur de « Mémoires d’une jeune fille rangée » et du « Deuxième Sexe » (« On ne naît pas femme, on le devient »), l’égérie des combats pour les Droits de la Femme, le droit à l’avortement - le Manifeste des 343, un texte implacable (qu’elle rédigea de sa main) signé par 343 femmes déclarant avoir avorté et qui, après sa publication retentissante en 1971, contribua pour beaucoup à l’adoption de la loi Veil autorisant l’avortement-… Pour des milliers de femmes (et aussi d’hommes, tous épris d’anticonformisme et de liberté), le nom de Simone de Beauvoir claque encore aujourd’hui comme un étendard et symbolise à merveille une époque où les idées progressistes avaient encore une réelle valeur. Ces idées furent également débattues puis portées par des monstres philosophiques tels que Raymond Aron, Michel Leiris, Maurice Merleau-Ponty et bien sûr Jean-Paul Sartre, tous co-fondateurs d’une revue restée mythique Les Temps modernes qui rythma littéralement et intensément la vie intellectuelle française de ces décennies-là. Jean-Paul Sartre, le compagnon tourmenté mais inséparable de Simone de Beauvoir fut l’un de ceux qui se rendit compte que dans l’ombre tutélaire de l’immense Simone se tenait sa sœur cadette Hélène, qui elle aussi n’était pas dénuée de talent… L’Alsace comme un refuge ? Hélène Paye, une célèbre critique d’art, a dit d’Hélène de Beauvoir : « Le talent est sans doute inné chez ces deux sœurs. Hélène peint aussi bien que sa sœur écrit… » Le premier qui se rendit compte du talent d’Hélène fut un certain… Picasso. Dès le vernissage de sa première exposition, en 1936, il déclara: « Votre peinture est originale ! ». Inutile de commenter l’influence ultérieure de ce précieux viatique... D’autres mots, de Jean-Paul Sartre en personne (pourtant réputé très avare de compliments), furent eux aussi évocateurs, un peu plus tard : « Entre les vaine contraintes de l’imitation et l’aridité de l’abstraction pure, elle a inventé son chemin. (…) De même que dans un poème les mots ne servent, chez Hélène de
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Beauvoir les couleurs et les formes sont l’envers d’une absence: celle du monde qu’elle fait exister en ne le représentant pas. » Très vite liée avec un ancien élève de Sartre, Lionel de Roulet, Hélène de Beauvoir passe les cinq années de la seconde guerre mondiale au Portugal, première étape de la carrière de son mari, diplomate, avant, après-guerre, l’Autriche, la Yougoslavie, le Maroc, l’Italie… Pendant qu’à SaintGermain-des-Prés, autour des terrasses du Flore ou des Deux Magots, le couple Sartre-de Beauvoir magnétise le tout-Paris (et écrit ainsi le début de sa légende), Hélène de Beauvoir peint ou grave au burin de superbes œuvres. Près de 3 000 seront ainsi peu à peu réalisées et exposées, à Paris mais aussi Lisbonne, Milan, Vienne, Berlin, Venise, Mexico, Rome, Boston, New-York, Kyoto, entre autres… Nommé au Conseil de l’Europe à Strasbourg, Lionel de Roulet découvre l’Alsace et le couple finit par emménager à Goxwiller. Bientôt, la maison deviendra comme une annexe de SaintGermain-des-Prés et verra défiler la plupart de celles et ceux qui, autour de Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre, constituaient alors l’un des foyers intellectuels les plus célèbres au monde. C’est d’ailleurs là que vint se réfugier Jean-Paul Sartre, harcelé par les journalistes du monde entier après avoir refusé le Prix Nobel de littérature en 1964…
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Une œuvre… C’est dans son atelier de Goxwiller qu’Hélène de Beauvoir a réalisé l’essentiel de son œuvre. Les gravures d’abord. Experte du burin, Hélène en réalisa beaucoup et toutes dégagent une intensité remarquable. Seize d’entre elles illustrèrent même un livre de Simone, « La femme rompue ». C’est à Strasbourg qu’Hélène et Lionel de Roulet vécurent Mai 1968. Les événements d’alors marquèrent une rupture nette dans la peinture de l’artiste. Plus que jamais, Hélène de Beauvoir assuma sa rébellion (son exposition Joli mois de mai, mainte fois déprogrammée à Paris, finit par être accrochée aux cimaises provisoires du Moulin Rouge en présence de Jacques Prévert). Un autre thème, directement issu du bouleversement de 68, révéla aussi une vérité quelque peu dérangeante pour… Simone. Des deux sœurs de Beauvoir, c’est à l’évidence Hélène qui se révéla le plus en pointe sur la question du féminisme. Dans son livre Souvenirs devenu aujourd’hui introuvable, Hélène écrit : « Féministe, je le fus bien avant Simone. (…) Elle a reconnu qu’avant d’écrire Le deuxième sexe, elle ne s’était
pas posé la question. Elle n’avait jamais souffert de sa condition de femme… » A Strasbourg, loin de la capitale, sans aucune aura médiatique (au contraire de Simone qui « surfait » sur les années MLF entourée de nuées de journalistes), Hélène n’eut de cesse de manifester en faveur de la condition des femmes. Avec des actions très concrètes à la clé : « En 1975, j’ai pris réellement conscience de ce que pouvait être le sort des femmes entre les mains des hommes. C’est l’année où, à Strasbourg, quatre femmes furent tuées par leur mari, une jetée par la fenêtre, trois autres mortes sous les coups ». Très tôt militante active de l’association SOS Femmes Alternatives, Hélène fut le pilier de la création d’un centre pour femmes battues, devenant présidente de la Fondation Centre Flora Tristan. Oui, ce Centre qui aujourd’hui encore, en 2014, dispose de 14 appartements (39 places) à Strasbourg et dans la CUS et accueille et réinsère les femmes victimes de violences conjugales a été fondé et soutenu par Hélène de Beauvoir qui, au militantisme actif en faveur de la condition féminine, ajouta les actes…
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Ses toiles ne furent pas en reste. Le couple Murtfeld en expose à tout va, dont quelquesunes, très fortes, notamment « Les femmes souffrent, les hommes jugent » (voir page suivante). Quatre grands juges vêtus du rouge de l’institution, aux visages comme des masques gris, et devant eux, une femme nue qui tremble de tous ses membres… « Nombreux sont ceux qui n’aiment pas la peinture engagée » écrit Hélène « Pourquoi ne le serait-elle pas ? Le peintre est un témoin de son temps, au même titre que tous les autres créateurs, écrivains, compositeurs, dramaturges… » D’autres toiles de la même époque renforcent encore l’engagement total de l’artiste, notamment sur les thèmes de l’écologie et du nucléaire qui ne faisaient qu’émerger au début des années 70 mais qu’Hélène de Beauvoir avait sans aucun doute possible perçus comme une donnée essentielle de la fin du XXème siècle. C’était il y a quarante ans… Les deux sœurs restèrent unies jusqu’au bout. Hélène soutint formidablement sa sœur lors de la disparition de Jean-Paul Sartre : « La veille de sa mort, Sartre prit la main de Simone, la retint dans la sienne et lui dit : « Mon petit Castor, je vous aime beaucoup, vous savez… » Elle le savait. (…) La dernière vision que j’eus de Sartre fut lui, dans son cercueil. On l’avait légèrement maquillé, on lui avait mis une belle cravate. Il faisait endimanché. Ensemble, nous avions eu vingt ans. Nous avions joué, nous avions ri. Nous avions connu des révoltes semblables ; par la force des choses, nos vies nous avaient éloignés, la mort nous rapprochait, une ultime fois… » Six ans presque jour pour jour après Sartre, Simone de Beauvoir quitta ce monde. Revenue à la hâte de Houston où elle exposait, Hélène pût assister aux obsèques de sa sœur adorée dans une cohue journalistique invraisemblable. Que lui restait-il alors, sinon revenir à Goxwiller et tenter de contenir sa douleur en peignant encore et encore des toiles qu’elle nomma elle-même « mes tableaux de deuil ». En avril 1987, Hélène conclut ainsi son livre de souvenirs : « Tableaux allégoriques. L’un : des amoureux s’embrassent, le bonheur. En arrière-plan s’éloigne une femme qui tourne la tête vers eux : « Que
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la fête continue ». L’autre, encore des amoureux, ils rient. En arrière-plan, une apparition : « Ne m’oubliez pas ». Mon dernier tableau de deuil. » Quatre ans après la mort de Simone, Hélène de Beauvoir fut de nouveau confrontée à d’immenses chagrins : la mort de son mari Lionel de Roulet, puis la publication de nombreuses lettres intimes de Simone, certaines faisant apparaître le peu d’estime artistique dans laquelle sa sœur la tenait, ce qui provoqua chez elle un traumatisme violent et insupportable. A 80 ans, ce choc fut quasi insoutenable et ses plus proches amies, dont Claudine Monteil, l’auteur du livre « Les sœurs Beauvoir » ne parvinrent pas à lui faire mesurer le fait que ces lettres avaient été sans doute écrites sous le coup d’un agacement passager, dont le Castor était coutumier. Hélène passa ses dernières années seule dans sa belle maison de Goxwiller, peignant avec l’énergie du désespoir. Elle exposa encore, à Bruxelles, notamment, participa à la rédaction d’un ouvrage consacré à son œuvre (Patricia Niedzwiecki – Hélène de Beauvoir, peintre) mais le déclin rapide de son état de santé (le diagnostic d’un souffle au cœur puis une opération cardiaque) l’affaiblit encore plus. Elle eut l’immense joie d’apprendre que ses tableaux peints au Portugal durant la seconde guerre mondiale, étaient pressentis pour être réunis dans une salle de l’Université d’Aveiro. Elle s’y rendit, ce fut son dernier grand voyage. De retour en Alsace, elle fut vraisemblablement victime d’un couple sans scrupule qui dilapida ses économies et finit par être mise sous curatelle. Elle légua cependant une vingtaine de ses œuvres à la Mairie de Goxwiller. Hospitalisée à Obernai, Hélène de Beauvoir rendit son dernier souffle le 1er juillet 2001, à l’âge de 90 ans. Dans l’une de ses dernières conversations, une de ses ultimes questions fut pour Claudine Monteil : « Dites moi, mon œuvre, vous croyez qu’elle va rester ? » « Bien sûr, Hélène ! » s’entendit-elle répondre. ◊
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M argarethe et Martin Mu rtfeld AMOUREUX DE LA FRANCE ET D’HÉLÈNE DE BEAUVOIR C’est grâce à ce couple que, rencontre après rencontre depuis le début du printemps dernier, nous avons pris conscience de ce qui s’est joué dans cette maison depuis quarante ans, tant sur le plan artistique que sur le plan historique.
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Margarethe et Martin Murtfeld
Un tsunami artistique Margarethe et Martin, au moment de faire l’acquisition de cette demeure, ignoraient tout sur son passé. Après la mort d’Hélène en 2001, une jeune famille de la région a habité la maison pour quelques années et avait entrepris d’importants travaux de restauration. Quand Margarethe et Martin apprirent peu à peu l’existence d’Hélène de Beauvoir, ce fut un peu comme un tsunami qui les submergea. Ils débutèrent leurs recherches, contactant certaines personnes du village, se faisant confirmer tel ou tel récit, accumulant les ouvrages tant artistiques que biographiques. Isabelle Pantic-Guillet, déléguée régionale de l’Institut National de l’Audiovisuel à Strasbourg se souvient encore de ce jour où, seule à son bureau vers 13 heures, la sonnette retentit. « C’était Margarethe et Martin. Ils se sont excusés de me déranger à cette heure-là et m’ont demandé si nous possédions quelques archives filmées d’Hélène de Beauvoir. Très vite, j’ai visité leur maison. Et j’ai alors pris conscience de leur démarche et l’ai soutenue ». (Merci à Isabelle et à Josianne Maitrot, une grande amie de la rédaction d’Or Norme, de nous avoir permis cette superbe rencontre –ndlr). Au sein du couple Murtfeld, c’est Margarethe, experte en art, qui s’est investie totalement dans le recensement des œuvres d’Hélène et a littéralement « suivi à la trace » l’artiste-peintre de Goxwiller. Ses relations avec Ludwig Hammer, galeriste de Regensburg, en Bavière, qui possède l’essentiel de l’œuvre, sont excellentes. L’amour de l’art et… de la France « Je me sens française » avoue sans détour Margarethe. « Et ici, à Goxwiller, c’est un retour à mes racines alsaciennes et lorraines qui remontent à cing générations. Notre deuxième fils Robert, juriste à Londres, a recu dans l’église de Goxwiller la bénédiction pour le mariage
avec son épouse américaine Danielle, docteur en psychothérapie clinique. J’ai été ophtalmologue en Allemagne mais j’ai arrêté cette profession pour me consacrer à ma jeune famille et à l’art. D’ailleurs, je dois avouer qu’à la mort de ma fille Simone, qui avait dix ans, je me suis réfugiée dans l’art. Dès 1968, j’ai lu toutes les traductions en allemand de l’œuvre de Simone de Beauvoir. Alors, me retrouver ici, par le plus grand des hasards, dans la maison de sa sœur, retrouver dans le grenier un cartonnage et quelques affiches signées par Hélène a suffi pour que je m’engage dans ce qu’il faut bien appeler un travail de réhabilitation de son œuvre, tout en tentant de ne pas trop être aveuglée par l’aura de Simone. Au début, nous avons acheté quelques-unes des gravures d’Hélène au prix fixé par le Dépôt de Ventes aux Enchères des notaires du BasRhin. Puis la passion a pris définitivement le dessus au point de rencontrer Hammer à Regensburg et de tenter de le convaincre de regarder de plus près les gravures d’Hélène, lui qui n’avait alors d’yeux que pour les tableaux. Avec Martin, nous sommes allés jusqu’à Vienne, là où Hélène et Lionel avaient séjourné en 1945, juste après la guerre, pour fouiller parmi les archives nationales autrichiennes. C’est comme une piste que nous nous sommes attachés à suivre. Hélène a toujours eu la crainte d’être oubliée en tant qu’artiste, elle qui disait que son « vœu le plus cher était que son œuvre entre dans l’histoire de l’art. A ce jour, aucun registre de ses œuvres n’existe, bien que les gravures et les tableaux d’Hélène soient connus en Allemagne, et un peu partout en Europe. Nous savons que beaucoup de gens ont connu et fréquenté Hélène à Strasbourg, durant les quatre décennies où elle a habité ici à Goxwiller. Peut-être existet-il des tableaux d’elle qui n’ont pas encore été recensés… Martin et moi sommes fascinés par ce monde que nous côtoyons ici, dans nos murs. Quand on songe à Sartre, Simone et tous ces intellectuels d’une époque extraordinaire qui se retrouvaient régulièrement ici… Vous savez, en Allemagne il y a un amour réel pour les écrivains et les philosophes français, surtout pour Sartre qui, de par son
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grand-père Charles Schweitzer, professeur d’allemand, avait en tête les grandes références de la philosophie allemande. Concernant Simone, je dois avouer que j’ai un peu changé mon opinion sur elle après avoir été tant enthousiasmée. Après que j’aie pris connaissance des lettres qu’elle avait écrites sur sa sœur et d’autres personnes, je dois dire que j’ai été déçue. Je me sens en totale empathie avec Hélène de Beauvoir qui avait dit un jour : « Les écrivains exploitent leur propre vie, c’est cela la littérature. Nous, les peintres, nous sommes plus discrets… » Alors oui, Martin et moi nous ressentons comme une véritable obligation morale de promouvoir l’œuvre et le souvenir d’Hélène. Pour qu’on ne l’oublie pas… ». L’engagement du couple Murtfeld en faveur de Hélène de Beauvoir s’inscrit dans une séquence de promotion artistique du peintre Maxim Kantor (Glasnost, exposition avant la chute du mur de Berlin), Kveta Pacovska (Prague, Berlin, Paris, Andlau...), Gisèle Freund (Paris, photographies de Simone de Beauvoir et d’amis d’Hélène...) et dernièrement, Caroline Coppey (Paris, Hommage à Hélène de Beauvoir à Goxwiller). ◊
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COMMENTAIRE
UNE EXPOSITION À STRAS BOU RG ? /// JEAN-LUC FOURNIER
Au fil de nos rencontres avec ce couple incroyable de punch et de conviction, nous avons pu admirer de près et à plusieurs reprises certaines toiles et nombre de gravures d’Hélène de Beauvoir. L’œil acéré de Margarethe ne s’est pas trompé. Ce qui est le plus frappant, c’est qu’Hélène de Beauvoir a su parfaitement éviter le piège tendu à tout peintre : s’enfoncer dans le gouffre de son propre académisme. Du figuratif de ses débuts, Hélène a su évoluer vers l’abstrait et n’a jamais cessé, ensuite, d’inventer les formes et les couleurs d’une peinture en totale liberté et en harmonie avec son époque. Impossible à cantonner dans un seul camp, son œuvre est foisonnante et fait souvent penser, par la géométrie des tableau et la variété des couleurs aux toiles de Robert et Sonia Delaunay. Et son engagement avec des causes alors à peine naissantes comme l’écologie ou la lutte contre le nucléaire a permis une intense expression de l’artiste, dans des toiles très fortes et engagées. Une expression supplémentaire d’un réel talent et une preuve de plus de l’incroyable détermination dont elle sut faire preuve tout au long de sa vie, elle qui ne renonça jamais et qui consacra son existence à son art… Réellement impressionnés par la mission que Margarethe et Martin Murtfeld ont décidé de mener à bien, nous pensons nous aussi que l’œuvre d’Hélène de Beauvoir mériterait largement d’être réunie lors d’une exposition-événement à Strasbourg. Questionnés, Margarethe et Martin Murtfeld se sont déclarés convaincus que des collectionneurs dans la région de Strasbourg et à l’étranger, des institutions officielles comme la Mairie de Goxwiller ou l’Université de Aveiro en Portugal ainsi que des galeries comme Ludwig Hammer et son Association d’Amis d’Hélène de Beauvoir seraient disposés à prêter des oeuvres. Sans doute aussi une telle exposition serait également l’occasion d’enfin éditer une monographie de l’artiste en langue française. Pour l’heure, elle existe en langue allemande, parue chjez Hirmer Verlag Munich, signée par une excellente historienne de l’art, Karin Sagner, Munich/Paris, experte en Monet, Caillebotte et autres peintres français. « Le talent était partout dans la famille » proclame son titre. Des contacts ont eu lieu, d’autres sont en cours… Une expo au Musée dArt Moderne et Contemporain ? Peu envisageable : pas plus conservateur qu’un conservateur quand son horizon indépassable est la sacro-sainte « valeur muséale ». Une solution pourrait peut-être se faire jour en co-production avec le Musée Würth à Erstein, pourquoi pas. En tout cas, si Strasbourg pouvait prendre l’initiative de monter cette grande exposition dont rêve le couple Murtfeld (et nous aussi, maintenant), ce serait un événement inédit, original et considérable et qui apporterait une heureuse réponse à la question qui obsédait Hélène de Beauvoir : « Dites-moi, mon œuvre, vous croyez qu’elle va rester ? » ◊
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O R C H EST R E P H IL AR MON IQ U E
DE STRASBOURG
P resq u e dans ses me u bles mais … . .
Alors que dans quelques semaines maintenant, l’OPS va enfin pouvoir disposer de sa salle de répétition au sein du Palais de la Musique et des Congrès rénové, voilà qu’on apprend au détour de quelques lignes presque discrètes dans la presse locale que son directeur, Patrick Minard (photo ci-dessous), quittera ses fonctions dans le courant du premier trimestre 2015. Bien qu’âgé de soixante ans, il ne s’agit manifestement pas d’une retraite classique. Alors pourquoi ? Le mieux était d’aller le lui demander… /// TEXTE Jean-luc Fournier PHOTOS OPS - DR
En cette fin novembre, le PMC et ses abords sont en plein chantier. Les lieux commençaient en effet à dater sérieusement (le PMC a été édifié entre 1974 et 1976). Et dans l’affaire, c’est l’Orchestre Philarmonique de Strasbourg qui va hériter de la bonne part puisque cette restructuration va lui permettre de disposer enfin de locaux regroupés et indépendants, concentrés autour de la nouvelle aile Erasme du PMC, dont bien sûr la salle de répétition très attendue depuis… quarante ans (à l’époque, l’architecte avait purement et simplement « oublié » le foyer des musiciens et la seule solution fut alors d’amputer considérablement la salle Munch alors prévue pour les répétitions de l’Orchestre).
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Ce « feuilleton » récurrent d’un orchestre de classe internationale ne disposant même pas d’une salle de répétition à la hauteur de ses effectifs et de ses ambitions va donc prendre fin et c’est une heureuse chose, bien sûr. Cet OPS ragaillardi par ces bonnes nouvelles logistiques, nous avions prévu très tôt de vous en parler dans les colonnes de notre traditionnel numéro « Art et Culture » de décembre grâce à un entretien avec Patrick Minard, son directeur général depuis quinze ans. L’entretien a bien eu lieu, mais il s’est enrichi d’une actualité inattendue…
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A en croire le discret entrefilet paru récemment dans la presse locale, vous seriez donc sur le départ. C’est une nouvelle qui a surpris, au moment où justement l’OPS s’apprête à bénéficier des conditions de travail qu’il attendait depuis longtemps… « Je vous confirme en effet que je quitterai la direction générale de l’OPS dans le courant du premier trimestre 2015, sans doute en février. Depuis un temps certain, je pense que je peux assumer d’autres fonctions culturelles au sein de l’administration municipale, voire même communautaire, dont je fais partie. (L’OPS fonctionne sous le statut de régie municipale –ndlr). Cela ne date pas des derniers mois, j’ai eu de nombreux entretiens avec Robert Herrmann ou encore l’ex-adjoint à la Culture Daniel Payot sur ce sujet. Le moment est sans doute venu pour moi de travailler à la prise en compte de tout ce qui peut donner un accès plus facile au geste artistique, musical ou autre. Je crois qu’il reste beaucoup à faire dans ce sens, ici, à Strasbourg et en direction de nombreux publics (je pense aux jeunes en particulier). Pour illustrer mes propos, prenons la Symphonie des Deux Rives qui est un événement bien installé maintenant, depuis 2005. On est peu à peu passé d’un simple concert en plein air (d’autres l’avaient fait avant nous) à un événement qui ressemble à un vaste pique-nique familial qui, par son aspect profondément populaire, permet aux spectateurs d’entrer vraiment en contact avec les émotions musicales. Ce qui m’intéresse dans la musique, ce sont ces structures invisibles que notre inconscient reçoit dans ces circonstances-là. J’essaie donc de rester cohérent avec cette forme initiale-là, et j’ai envie de continuer à travailler sur ce qui nous touche ainsi. Je suis certain de ma capacité à parler aux gens dans ce sens. Ainsi, je pense que la Symphonie des Deux Rives pourrait devenir un événement se déroulant sur une durée plus longue (une semaine, dix jours peut-être…). On pourrait ainsi s’adresser aux jeunes et aux enfants sous la forme d’un petit festival, avec les musiques d’aujourd’hui qui les touchent évidemment plus… Oui, j’ai maintenant envie de m’investir plus transversalement pour promouvoir tout ce qui peut permettre à l’art, et pas seulement la musique, de provoquer les émotions du grand public…
Vous n’ignorez pas que certaines rumeurs ont commencé à courir. Vous seriez en conflit avec Marko Letonja, le directeur artistique de l’OPS et ceci expliquerait cela… Non, il n’y a pas de conflit avec Marko. Même pas une mésentente. Il y a simplement le fait que les grands orchestres, aujourd’hui, entrent dans une période extrêmement difficile. C’est à mon sens la fin de l’époque du «chef providence», comme nous aussi nous en avons connu à Strasbourg, ce quelqu’un qui arrive sur la base d’une réputation, d’une image forte et en qui on place une espérance non moins forte, celle qu’il apporte une solution clés en main à tous les problèmes. Cette façon de pratiquer n’apporte pas de résultats probants. Il faut à mon sens faire en sorte qu’un projet pour l’orchestre préexiste et qu’il vienne à être défendu par un chef comme Marko qui s’inscrit dans un schéma de directeur musical et qui a les pleins pouvoirs pour conduire le destin de l’orchestre dans le cadre de ce projet et d’une politique définie. Ce qu’est devenu mon poste fait qu’il n’est plus compatible avec les fonctions occupées par Marko. Marko est un très bon chef d’orchestre mais il y a des choses qu’on ne peut pas faire à deux. A mon sens, il faudra redéfinir l’organigramme de l’OPS… A soixante ans, vous vous apprêtez donc à prendre un virage important. Quand vous vous retournez sur les quinze années passées, à quels moments spécifiques pensez-vous ? Musicalement, il y en aurait tant à évoquer… De très grands moments. Mais je pense aussi à des actions qui ont constitué de grands paris et qui n’étaient pas du tout certaines de réussir. Les Clés de l’OPS, par exemple. Notre magazine, j’ai souhaité d’entrée qu’il n’ait pas seulement une vocation musicologique mais qu’il s’adresse aux gens dont la tendance personnelle est de ne pas venir aux concerts. Je ne compte plus ceux qui m’avaient dit, à l’époque, qu’on ne dépasserait pas le numéro 2. On doit en être aujourd’hui au numéro 47 ou 48, je ne sais plus… Quand je regarde ces quinze dernières années, je pense aussi à la Symphonie des Deux Rives et aux audaces qui ont dû se mettre en place pour que cet événement soit pérennisé et incontournable. En 2005, on avait innové en plaçant un micro sur chaque instrument ! Aujourd’hui, on est capable de créer une vraie bulle acoustique autour du public grâce aux technologies numériques qui restituent bien mieux la dynamique de l’orchestre. Ca évolue bien tout ça… Et puis, au rayon des souvenirs encore vivaces, il y a les batailles menées avec succès pour que l’OPS conserve les moyens financiers dont on le dote. Ces
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moyens ont été menacés à plusieurs reprises. J’y ai mis tout mon engagement, parfois. Avec Robert Grossmann, ça a été quelquefois très viril, dirons-nous. Plus d’une fois, je suis rentré chez moi en me disant que je venais de vivre ma dernière journée en tant que directeur général de l’orchestre… La Ville de Strasbourg a toujours mis le paquet sur son orchestre. Roland Ries avait toujours promis que l’OPS resterait intra-muros et cette parole a été tenue. Avec cette salle de répétition qui nous manquait tant et qui nous est destinée exclusivement, Strasbourg rejoint ainsi Bordeaux, Nantes, Lyon, tous ces grands orchestres qui fonctionnent en régie municipale et qui disposaient depuis quelques années de cet outil indispensable. En tout cas, durant ces quinze années, je n’ai cessé de mettre en avant ma conception que toutes les initiatives doivent être tournées vers les gens. Il n’y a pas que les grands soirs sous les projecteurs, il y aussi des après-midis pluvieux dans les écoles, les hôpitaux, à la rencontre de tous ces gens qui ne viennent pas les soirs de représentation, pas encore… Je crois qu’on a su trouver cette forme de ringardise légère qui fait que la sauce musicale passe. Donc, je suis serein à l’idée de quitter l’OPS et à l’idée d’avoir à occuper cette autre fonction dont je vous parlais et qui me passionne déjà personnellement beaucoup. » ◊
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résonance[s] 2014
T rois éditions et déjà très grand ! Or Norme avait particulièrement suivi la première édition du Salon européen des métiers d’art il y a deux ans. Un succès qui avait rassuré ses organisateurs. La troisième édition qui s’est déroulée il y a quelques semaines a confirmé que cette manifestation est devenue un incontournable des grands rendez-vous strasbourgeois. /// TEXTE BENJAMIN THOMAS PHOTOS MÉDIAPRESSE
On a encore en mémoire le stress qui habitait, il y a deux ans, Ninon de Rienzo (photo ci-contre, aux côtés de Jean-Charles Spindler), la directrice de la Fédération Régionale des Métiers d’Art d’Alsace (FREMAA) à la veille de l’inauguration de la première édition de Résonance[s] qu’elle venait de porter à bout de bras, avec les bénévoles de l’association, durant des mois. « Un sacré pari que nous ne sommes pas du tout sûrs de réussir » disait-elle à l’époque. Le 12 novembre dernier à quelques heures de la fermeture de la troisième édition, on lui rappelle l’anecdote et Ninon se contente d’un lumineux sourire : « Oui, nous avions pris le risque, il était immense mais il a payé. Nous avions recensé alors 16 000 visiteurs. L’an passé, ils furent 17 000, preuve évidente que le salon s’enracinait à Strasbourg et en Alsace. Cette année, nous avons enregistré 18 500 visiteurs. résonance[s] a fidélisé son public… »
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Du beau boulot Un autre indice permet de mesurer l’impact d’un tel événement. Celui du nombre des exposants participants. Ils étaient 160 il y a deux ans, 170 l’an passé et plus de 200 lors de l’édition 2014. « A 50% ce sont des Alsaciens » commente Ninon. « Mais 40% viennent de l’étranger - Allemagne-Espagne-Italie pour le principal -. Cette année, nous avons même un Suisse ce qui, comptetenu des obstacles douaniers (la Suisse n’est pas membre de la Communauté européenne – ndlr) est un fait notable… » Cette dernière édition a été marquée par le partenariat avec un collectif d’arts appliqués belge francophone, comme son appellation (World Kraft Council) ne le dit pas. 18 artistes belges en ont profité pour exposer à Strasbourg, ce qui a apporté une belle notoriété au niveau européen. De la même façon, la présence de Jean-Charles Spindler, le troisième descendant d’une famille d’artistes exceptionnels, qui exposait notamment une œuvre monumentale réellement bluffante, a définitivement apporté ses lettres de noblesse à l’événement. Difficile, sur place, de distribuer les bons points, tant les exposants présentaient tous un savoir-faire manifeste. Il faut dire que la sélection est rigoureuse (on est là dans un espace de professionnels, dont la démarche artistique est évidente et reconnue).
Parmi eux, on citera la Bourguignonne Marie-Laure Guerrier (photo ci-dessous) dont la céramique très contemporaine a été retenue par les organisateurs pour figurer à la Une du catalogue de l’édition 2014. Ses Beetween à l’œil énigmatique et aux couleurs chatoyantes ont été très admirés… Le dernier jour, elle se déclarait ravie, à la fois de ses ventes mais aussi du professionnalisme qu’elle avait rencontré à Strasbourg. Même reconnaissance de la part de la Provençale Marie-Noëlle RonayetteGrange dont les sculptures sont très courues lors de la période estivale dans sa galerie de Forcalquier dans les Alpes de Haute-Provence. Nous avons craqué devant ces deux personnages fortement inspirés de Braque (ci-dessus) dont les lèvres s’éloignaient ou se rapprochaient au gré de l’humeur des mains qui les disposaient sous la lumière. Cette passionnée a même suggéré aux organisateurs de créer un espace spécial pour les sculpteurs lors de la prochaine édition. Bonne idée, à notre sens…
puis, même si ce n’est pas encore conclu à 100%, disons que ça l’est à 99,99 % (sourire), je vais révéler aux lecteurs d’Or Norme que nous allons bénéficier de la présence exclusive de Sarah Lavoine qui, outre le fait d’être l’épouse de Marc, est une décoratrice intérieure de grande renommée sur Paris, très influente aussi en matière de tendance artistique. Nous avons onze mois devant nous pour prévoir les événements qui tourneront autour d’elle. On a déjà hâte de s’y atteler… ». Rendez-vous et donc pris pour dans un an. Nul doute que resonance[s] sera encore l’an prochain l’événement de l’automne strasbourgeois. Un succès mérité qui prouve que l’audace, associée au professionnalisme et à la passion, est toujours un facteur payant. C’est réjouissant… ◊
Et… en 2015 ? Au moment de répondre à cette question, les yeux de Ninon de Rienzo pétillent : « Les gens étant très demandeurs des visites guidées et des ateliers très pratiques où ils peuvent voir naître les œuvres, nous allons encore renforcer ce secteur des animations permanentes qui donne sa dimension culturelle à l’événement. Et
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RENCONTRE
Pierre Mann C inéaste
“ C’est en expédition que je me sens le mieux au monde… ” A 75 ans, ce Strasbourgeois de toujours continue à parcourir le monde, caméra en main, pour réaliser des films qui, de son propre aveu, sont « de plus en plus militants ». Rencontre avec un autodidacte de talent, passionné et passionnant… /// TEXTE JEAN-LUC FOURNIER PHOTOS Médiapresse – Sabine Trenz - DR
Une interview, ou plutôt un entretien, répond à des codes immuables. Parmi eux, tout l’art consiste à savoir créer une ambiance, une atmosphère ou encore un climat propice à recueillir les confidences de l’interviewé. Mais, quelquefois, allez savoir pourquoi, tout cela se matérialise en une micro-seconde, tout cela existe avant même la fin de la première question… Ce n’est peut-être qu’une question d’envie : celle du questionné de tenter d’aller au fond des choses et, inconsciemment, d’entraîner le questionneur dans sa passion. C’est ce qui s’est produit lors de notre rencontre avec Pierre Mann… Une irrésistible passion pour le cinéma 75 ans et un visage qui peut rendre jaloux n’importe quel cinquantenaire tant il en fait facile quinze de moins, même buriné par tout ce temps passé à l’extérieur, à Strasbourg ou beaucoup plus loin. Des sourcils broussailleux qui mangent des yeux clairs, une chevelure d’argent et une voix profonde. Tous les codes du bourlingueur, moins ceux qui font sourire : la frime, la vantardise, la prétention. Pierre Mann est un homme simple, qui aime partager ses passions, qui aime la vie, tout simplement… Peut-être parce qu’elle aurait pu être plus courte, beaucoup plus courte : « Je
suis né en 1939 d’un père français radiotechnicien et d’une mère allemande, originaire de la Saxe » nous confie-t-il. « Je passe sur beaucoup de péripéties mais j’avais à peine six ans, le 13 février 1945, quand je me suis retrouvé avec ma mère sous les bombes au phosphore que les Alliés ont fait pleuvoir sur Dresde. Je devais être le seul Strasbourgeois à être là-dessous. Ce bombardement infernal a rasé la ville et fait plus de 100 000 morts. Le destin m’a fait en réchapper. Mais ma famille n’en avait pas fini avec les affres de la guerre. Notre maison du Neuhoff a été pillée par des pseudos résistants qui, pour se disculper de ce forfait, ont prétendu que mon père était un collaborateur. Il a fini par être réhabilité mais s’en estil vraiment remis ? Il est mort à Epinal en 1947. Ma mère a fini par récupérer la maison en 1950. Quant à moi, ayant appris que l’un des pires accusateurs de mon père était devenu le directeur de l’école du Neuhoff, j’ai tout simplement refuser d’y mettre les pieds ! » Plus tard vint une adolescence qui lui fit prendre le virus du cinéma : « On n’avait pas la télé, alors » raconte Pierre Mann. « Le dimanche, c’était donc ciné à 14 heures, puis ciné à 16 heures sans repasser par la case guichet, en rentrant directement par la sortie des spectateurs, et encore ciné à 18 heures. Cette frénésie de films m’a servi beaucoup plus tard pour les montages. Je riais sous cape quand on me posait la question de savoir où j’avais fait mon école de ciné. Lelouch a dit quelque chose de très juste là-dessus
: « Quand on sort d’une école de cinéma, la première chose à faire est d’oublier tout ce qu’on y a appris… » Je suis vite devenu un dingue de cinéma, je plongeais dans les films comme on plonge dans la lecture d’un livre, je vivais cette passion à fond. J’ai alors tourné mon premier film amateur, sur le thème des animaux en Alsace, grâce à une caméra 8 mm, un film que j’ai monté moi-même à l’aide d’une petite visionneuse. Un film que, déjà, j’ai montré dans des salles…» En 1968, à l’âge de 29 ans donc, Pierre Mann devient un des lauréats de la Fondation de la Vocation Marcel Bleustein-Blanchet (du nom du fondateur de Publicis, père d’Elisabeth Badinter qui préside aujourd’hui aux destinées de cette Fondation). « Dans le jury, il y avait des gens comme Françoise Giroux, la grande journaliste de l’Express. Ce prix m’a fait du bien sur le plan financier, bien sûr, mais surtout sur le plan psychologique. Je n’avais pas trente ans et déjà, on me reconnaissait comme cinéaste. C’est à partir de là que j’ai enclenché le cycle des conférences, avec mes films sous le bras. En 1973, je suis allé filmer en Afrique. Depuis, j’ai bien dû y retourner deux cent fois. France 3 Alsace m’a alors repéré et m’a proposé de présenter des films dans l’émission Noctua. J’ai fait ça pendant deux ans, je jouais au présentateur qui, sur son plateau, recevait régulièrement des invités. L’important, c’est que je pouvais passer mes films et diffuser les messages qui me tenaient à cœur. Ca a bien marché… »
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RENCONTRE et commenter mes films. C’est là que j’ai proposé mes services de guide pour accompagner des groupes de 25 personnes au Kenya ou en Tanzanie. Depuis, ça s’est bien développé et j’encadre 4 ou 5 voyages par an. Je suis membre des Journalistes Nature et Ecologie… » Filmer : un acte militant
Intelligemment, Pierre Mann avait proposé à la Caisse d’Epargne, son employeur, de devenir le partenaire de l’émission. Et, encore plus intelligemment, il avait renoncé à tous ses droits au profit d’associations soutenues par la banque. Une façon habile de bénéficier d’une large tolérance de son employeur à qui il ne pouvait pas échapper que la réalisation de films était devenue le second métier de Pierre Mann… Professionnel, enfin… « J’ai alors commencé à tourner des films professionnels en Afrique puis en Arctique, et c’est après avoir pris ma retraite en 1996 que j’ai commencé mon activité de guide à travers le monde et que j’ai donc pu consacrer tout mon temps au cinéma. Il y a vingt ans, il n’y avait pas encore ce nombre pléthorique de chaînes télévisées que nous avons aujourd’hui. Alors, de retour d’expédition, dès le film monté, je louais la salle Erasme au PMC et j’accueillais 2 000 personnes à 17 heures et encore 2 000 autres à 20 heures pour diffuser
Derrière la caméra, il n’y a pas que l’œil du professionnel de l’image. Il y aussi celui d’un humain. Et c’est la voix de cet humain qui soudain résonne gravement : « Je suis terriblement inquiet sur l’avenir de notre planète » dit Pierre Mann. « Mes voyages, mes reportages m’ont extrêmement sensibilisé à tout ce qui porte atteinte à l’environnement, à tous les mécanismes écologiques qui sont autant d’interactions entre toutes les espèces vivantes. Dès qu’un maillon est défaillant, c’est la chaîne de la vie qui se rompt. Dans le cadre de mon travail de guide, dans le cadre de mon métier de réalisateur, je veux aider à préserver ce qui peut encore l’être. Je rentre d’Antarctique où j’ai guidé 50 personnes à la découverte des merveilles de la faune de ce continent magnifique. Le recul des glaces est incroyable, et encore plus quand on le mesure sur les vingt dernières années. Avant, cela pouvait se passer ainsi mais c’était sur 100 000 ans, par sur 20 ! Et encore, c’est moins terrible que dans l’Arctique… Le temps des éco-réfugiés est en train de débuter avec le niveau de la mer qui monte. Nous allons presque immanquablement vers des événements très graves. Je ne les verrai bien entendu pas tous, mais les faits sont là… Le plus consternant est que nos politiques ne sont pas à la hauteur des
enjeux. Je me sens écolo à 100% mais je réfute les écolos politiques. Pour la plupart, leur seul intérêt est leur intérêt personnel. Peu de gens parmi nos gouvernants se préoccupent vraiment de la protection de notre environnement. C’est pourquoi tous mes films sont des films de plus en plus militants. En accompagnant ces 50 personnes en Antarctique, nous en avons fait des ambassadeurs de la cause de la nature. C’est vrai pour toutes les destinations que j’encadre. Et il n’y a pas que les espèces animales ou végétales qui sont menacées. L’espèce humaine l’est aussi. Je pense à toutes ces ethnies qui sont victimes de génocides culturels et qui risquent de disparaître à très courte échéance maintenant. Vouloir leur apporter le progrès est une vaste fumisterie. Ils ne demandent une chose : qu’on leur permette de garder leur culture et de conserver leur mode de vie. Rien d’autre, mais ça semble encore trop… » A plusieurs reprises, la voix de Pierre résonne avec des accents de douleur quand ils citent les exemples de ces bushmen du sud de l’Afrique qu’il connaît si bien, ou de ces femmes Himbas (les femmes de pourpre, le très beau titre de l’un de ses films) qui survivent pitoyablement à Opuwo, la poussiéreuse capitale de leur ethnie, dans le nord-ouest namibien. « A 75 ans, mon seul problème personnel est quelquefois mon dos raide qui m’empêche de nouer facilement mes lacets » dit-il avec un grand sourire rieur. « Mais ces petits maux n’apparaissent qu’à Strasbourg. C’est en expédition que je me sens le mieux au monde. Pourvu que ça dure… Je sais en fait que j’ai la chance de pouvoir côtoyer ces gens merveilleux d’un bout à l’autre de la planète. Ils me donnent du courage et m’empêche de vivre seul dans mon coin. Je doute tellement de moi en permanence. Ils me confortent, ils me donnent envie de continuer… » Fascinant et passionnant bonhomme que rien ne semble pouvoir arrêter… ◊
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RENCONTRE UN GRAND PROJET
D E UX S OI R É ES E XC E P T IO N N E L L ES L ES 6 E T 7 JA NV I E R PROCHAINS A L’ILLIADE À ILLKIRCH
Pierre Mann vient d’écrire le pitch de son prochain film et met la dernière fin à son argumentaire à l’intention des financeurs potentiels. On y lit : « Plus de onze mille espèces dont huit mille cinq cents vertébrés sont aujourd’hui menacées de disparaître. Parmi elles, l’éléphant, le rhinocéros, le guépard, le léopard, le tigre, l’ours polaire, les tortues marines, le jaguar, le lion, la baleine, les grands primates, mais aussi des espèces moins médiatisées qui risquent de disparaître sans que l’on s’en rende compte. Chaque animal sera présenté dans son écosystème. Et certains écosystèmes particulièrement fragiles et menacés, seront traités en globalité (îles Galápagos, forêts primaires, régions arctiques et antarctiques). Lorsqu’une société accepte comme allant de soi la pure et simple disparition d’autres espèces sensibles, on ne peut parler que d’égoïsme institutionnalisé. Pour cette raison, je ferai intervenir des témoins neutres, chercheurs, scientifiques, chefs de projet, universitaires, hommes de terrain qui étayeront mon propos. Moimême, je témoignerai de toutes mes expériences en recensant et en analysant les scènes vécues, animaux saisis dans la pleine nature, dans leur liberté sauvage. A défaut de réparer les dégâts que nous avons commis, je veux militer, à travers ces documentaires, pour la préservation de ce qui reste, être un passeur d’idées et d’émotions, dire que le futur est encore entre nos mains, qu’il n’y a pas la planète Terre et nous, mais que la planète Terre c’est nous. Je suis comme le petit colibri de la parabole de Pierre Rabhi, qui par de petites gouttes d’eau essaie d’apporter sa contribution pour éteindre l’incendie. Je veux « faire ma part » ! Le projet sur lequel travaille Pierre Mann nécessitera deux ans de tournage et se déclinera en séries de documentaires où chaque épisode traitera des différentes problématiques qui touchent des écosystèmes remarquables : banquises, zones humides, forêts primaires sèches et de montagne, déserts, mangroves, îles recelant des espèces endémiques. Pierre Mann a déjà des contacts avancés avec des chaînes susceptibles de diffuser les séries qu’il réalisera. Aujourd’hui, la diffusion télé est devenue la clé du financement des films, notamment en déclenchant quasi automatiquement le soutien financier du Centre National du Cinéma (CNC), soutien sans lequel de nombreux films ne verraient même pas le jour.
Les lieux de tournage sont méticuleusement recensés : Arctique canadien, russe Spitzberg et Groenland Amérique centrale Galápagos et Costa Rica Amérique du sud Brésil (Amazonie et Pantanal) Argentine, Chili Inde Kanha, Pench et Bandhavgarh Indonésie Kalimantan et Sumatra Malaisie Sarawak , Sabbah Extrême orient russe Sibérie, Kamtchatka, mer d’Okhotsk, îles Wrangel Afrique orientale Kenya, Tanzanie, Ouganda, Rwanda, Zambie Afrique australe Namibie, Afrique du Sud, Botswana Europe Islande, France, Allemagne, Slovaquie, etc. Antarctique Péninsule de Valdez (Patagonie), Malouines, Géorgie du Sud, Péninsule antarctique. Archipel Aïtcho île de la Demi-lune, Port Neko, Détroit de Neumayer et de Lemaire, île de la Déception, mer de Ross (selon état de la banquise).
ORNORME STRASBOURG / décembre 2014
Pierre Mann y présentera son nouveau film « Femmes de pourpre » dans lequel il rend hommage à ces femmes africaines des tribus isolées aux confins du désert namibien. Elles parlent de leurs bonheurs, de leurs frustrations et de leurs relations aux hommes en toute liberté et avec une grande dignité. Ces peuples primitifs n’aspirent qu’à vivre en totale harmonie avec la nature, suivant ainsi un mode de vie ancestral légué par les générations qui les ont précédés. Ils sont aujourd’hui fragilisés par le modernisme et l’irrespect du monde qui les envahit… La projection sera suivie d’une rencontre et d’un dialogue avec le réalisateur. Information et billetterie en ligne : www.illiade.com
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RENCONTRE
Agnès Ledig
Ecrire po ur faire avancer les choses La vie l’a cognée de plein fouet mais ne l’a pas abattue. Agnès Ledig s’est relevée et depuis elle écrit sans relâche. Des romans qui touchent au cœur. /// TEXTE Véronique Leblanc PHOTOS Guillaume Mouchet
Non, un roman ne peut pas changer le monde inquiétant qui est le nôtre, mais « l’amour, la bienveillance et le respect, oui ». Agnès Ledig en est certaine et, « à son échelle », elle veut « distribuer de jolies choses pour que ceux qui les reçoivent aient envie d’en donner à leur tour. » Il ne faut pas s’enfermer dans le « on va droit dans le mur », la sagefemme qu’elle est n’est pas du genre à dire « ne faites pas d’enfant » pas plus que la romancière reconnue qu’elle est aussi n’a l’intention d’arrêter d’écrire. Cette femme, c’est la vie telle qu’elle va, telle qu’elle l’accepte avec ses parts d’ombre, ses fulgurances lumineuses et ces mains qui se tendent lorsque l’on est au fond du trou.
Quatre livres en trois ans
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Agnès Ledig a connu le pire lors de la mort de son fils atteint de leucémie mais les mots d’un médecin touché par la justesse des textes qu’elle avait écrit lors de cette épreuve lui ont donné l’impulsion de se lancer dans un premier roman, « Marie d’en haut », distingué par un coup de cœur des lectrices de « Femme actuelle » et paru en 2011. Un deuxième a suivi chez Albin Michel, « Juste avant le bonheur » qui reçut le Prix des Maisons de la presse 2013 et puis un troisième « Pars avec lui » sorti chez Albin Michel également en octobre dernier. Sans compter qu’en cette fin d’année, elle est l’un des auteurs sollicités dans le cadre de « Treize à table !», un recueil de nouvelles publié pour les « Restos du cœur ». A ses côtés Eric-Emmanuel Schmidt,
Bernard Werber, Maxime Chattam, Gilles Legardinier, Pierre Lemaître… Pour un livre acheté, cinq repas distribués. Toute la chaîne du livre a travaillé bénévolement et elle est heureuse d’avoir contribué à ce projet où « ce qu’elle sait faire permet à d’autres de vivre mieux ou en tout cas moins mal. » Des histoires qui apprennent à dire « j’ai droit au respect » L’empathie est le fil rouge de son écriture. « J’aime les gens qui se font la courte échelle pour s’en sortir », dit-elle, chacun avec ses failles et avec ses forces, mus par l’éblouissement de la rencontre, le sentiment qu’enfin on a trouvé un écho, quelqu’un qui vous accepte tel que vous êtes, qui reconnaît une part de lui en vous. » Comme dans la « vraie »
vie, en acceptant qu’il y ait d’autres êtres avec qui les atomes ne crochètent pas… Ce qui la nourrit en tant qu’auteur ? Son insatiable curiosité et la nature, toute la nature y compris l’humaine. Son métier de sage-femme la confronte « à des situations émotionnelles parfois difficiles » et, plutôt que de se révolter en silence, elle choisit de « passer par les romans pour parler de tout cela et peut-être faire avancer les choses ». Elle y déroule des récits où « il y a de la peine » mais « toujours de l’espoir », des histoires qui apprennent à dire « j’ai droit au respect ». Face au monde tel qu’il va, c’est sa façon de lutter car « le découragement ne sert à rien ». ◊
/// UN BEAU CARACTÈRE. OR NORME ADORE ... Extrait (récent) du blog d’Agnès Ledig « Je suis tombée sur cette précision dans le magazine ELLE, ce matin, et je vous avoue que j’ai failli avaler de travers ma tartine et mon thé vert…
Ainsi, quand une marque comprenant un ensemble de mots est déposée, ces mots n’ont plus le droit d’être associés sans que l’on rajoute le ® juste derrière pour préciser que c’est une marque ??? (…) Vous croyez qu’elle est déposée, la marque « Les mots de la langue française appartiennent à tout le monde, je les utilise comme je veux et j’t’emmerde ® » ?
RENCONTRE
J EA N- DAN IEL D EL R U E
Passion BD Si ce n’était l’emplacement privilégié sur le quai des Bateliers, on dirait presque une librairie de quartier. Un petit air de The shop around the corner revu par un Lubitsch des temps modernes. Dans son écrin œuvre Jean-Daniel Delrue. Heureux comme tout parmi ses bandes dessinées… /// TEXTE Benjamin Thomas PHOTOS MÉDIAPRESSE
On entre et tout de suite, l’odeur du papier neuf et de l’encre nous chatouille les narines. Ça sent bon, la bande dessinée ! On écoute Jean-Daniel Delrue, le proprio, nous raconter l’histoire de son parcours personnel et professionnel et on n’en retient au final que le plus important : pendant dix ans, il a été un bénévole très actif au festival Bédéciné (une vraie manifestation dédiée à la BD organisée depuis des lustres à Illzach dans le Haut-Rhin et sur laquelle les Strasbourgeois pourraient prendre de la graine, comme on dit – Allez, on rigole même si on le pense vraiment…). « Là, j’ai été sérieusement piquouzé par la BD » se rappelle-t-il aujourd’hui. « Et le monde des auteurs, je l’ai évidemment bien connu alors, puisque cette manifestation en invitait beaucoup chaque année ». Ensuite cinq années passées au rayon BD du défunt Virgin Megastore ont définitivement enfoncé le clou. « Je n’avais vraiment plus envie de travailler pour une quelconque enseigne alors en 2010, je me suis lancé et j’ai ouvert JD BD, ma librairie, mon antre. J’ai démarré avec un salarié mais très vite, la réalité m’a rattrapé. Les conditions économiques
m’ont contraint à m’en séparer après un an passé ensemble. Depuis, je suis seul à la barre et je me suis aperçu peu à peu que ce n’était pas si compliqué que ça finalement. Ce n’est pas facile tous les jours, je ne me dégage pas un salaire régulier chaque mois, mais c’est passionnant parce que je suis dans mon élément… »
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On est tout de suite frappé par le vaste choix disponible. Mais quand on le fait remarquer à Jean-Daniel, il a tôt fait de nous rétorquer qu’il n’a pas la moitié de tout ce qui sort. Cependant, il gère un stock de 8 à 10 000 albums en permanence. Toujours avec passion : « A chaque fois que je reçois un carton de nouveautés, j’ai le cœur qui bat. A chaque fois c’est Noël ! » dit-il en riant. Il connaît ses clients par cœur. Cela va du gamin de 7/8 ans au vieux fan soixantenaire mais le cœur de sa clientèle est la tranche 25/40 ans, les urbains actifs qui ont un peu de moyens. Jean-Daniel sait aussi que depuis quelques temps, les «Tome 1 » n’ont plus guère la cote (« Les gens préfèrent assurer avec des séries éprouvées »). Son album préféré en 2014 : Les vieux
fourneaux de Lupano Cauuet qui a reçu le Prix Canal BD. Mais JD aime aussi Le magasin général de Loisel et Tripp. Enfin, il attire notre attention sur son « coup de cœur » Le roi des scarabées, un album qui est l’œuvre de deux strasbourgeois, Terkel Risbjerg pour le dessin et sa compagne Anne- Caroline Pandolfo pour le scénario. « Quand j’y pense, je réalise même que c’est le meilleur album sorti cette année » dit-il, un rien chauvin… Une heure passe vite dans un lieu aussi exquis. Quand on pousse la porte pour sortir, JD nous retient encore un instant : « Ah oui ! j’oubliais… Je suis le seul à Strasbourg à distribuer la collection des objets de Tintin ». Bon, au-delà des considérations purement commerciales, on continue à remarquer la belle petite flamme de la passion au fond des yeux de Jean-Daniel. Les amateurs de BD qui ne connaissent pas encore l’endroit auraient, selon nous, tout intérêt à pousser la porte… ◊ /// JD BD 36, quai des Bateliers 67000 STRASBOURG www.jdbd.fr
DOSSIER
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SÉLECTION LIVRES
L a rédaction de
O r N orme a adoré … ..
/// ROAD TRIPS Editions Textuel - 69 €
BEAUX LIVRES
Dans la droite ligne de l’expo Winogrand à Paris (lire page 24), offrez-vous donc cet ouvrage-référence sur le road trip photo. Il est ici abordé comme un genre esthétique à part entière et il rassemble 300 œuvres de 18 photographes d’exception qui tous ont saisi le mythique ruban de bitume, les déserts époustouflants, les motels isolés, les stations-service aux néons blafards à l’aide d’une véritable grammaire visuelle qui a longtemps conditionné notre vision de l’Amérique. Un monde aujourd’hui quasiment disparu… ◊
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/// ERIC-EMMANUEL SCHMITT Editions Albin Michel - 22,90 € Une énième édition, certes, mais elle est somptueuse. Eric-Emmanuel Schmitt en a confié l’illustration à Pascale Bordet, sa chef-costumière attitrée quand il se transforme en dramaturge ou en patron de théâtre. Défi relevé : les aquarelles sont magnifiques et les textes, bien sûr, sont à la hauteur. Quant au CD accompagnant le livre, on découvre une Anne Roumanoff inattendue qui sait retenir et captiver notre attention. Et puis, il y a bien sûr la musique de Saint-Saëns, mais là, ce n’est plus un scoop que de dire à quel point elle traverse les époques et les modes. Au final, cet objet d’édition est un vrai must… ◊
/// ERNEST PIGNON-ERNEST Editions Gallimard - 50 € Les fans strasbourgeois de « l’inventeur du street-art » ont été vernis cette année. Au printemps, avec sa venue pour présenter sa superbe monographie et en septembre, pour une session exceptionnelle des « Bibliothèques Idéales » avec la performance en live d’Ender lors d’une soirée à l’atmosphère tout à fait unique. Des premiers pochoirs réalisés sur le plateau d’Albion au nez et à la barbe de la maréchaussée dans les années 70 aux sublimes réalisations sur Rimbaud (Charleville-Paris), Naples, Jean Genet (Le Havre) et tant d’autres, cet artiste à la constance rare, à l’audace permanente (et au talent inouï) méritait bien cet ouvrage exhaustif et superbement mis en page, bien servi par un beau texte de son ami André Velter. ◊
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SÉLECTION LIVRES
Editions Castermann - 18 € Avec ce troisième volume, Enki Bilal clôt sa trilogie du Coup de Sang, le nom qu’il a donné au dérèglement climatique brutal et généralisé qui s’est soudainement abattu sur notre planète. Les deux premiers albums présentaient des groupes de survivants dans l’eau (Animal’z) et sur terre (Julia et Roem). Là, c’est un Zeppelin qui dérive dans le ciel, chargé à ras la gueule de tous les déchets atomiques et autres produits par le monde avant le Coup de Sang. On s’attendait à une fin très sombre mais voilà… une fois de plus, Enki Bilal nous surprend. Il fallait l’entendre nous expliquer sa démarche lors de la session de clôture du dernier Forum mondial de la Démocratie en novembre dernier : ce mec-là est génial : non seulement son talent n’est plus à vanter mais, en plus, il nous permet de profondément réfléchir… ◊
/// PHILIPPE DRUILLET - DELIRIUM – LA NUIT Delirium. Editions Les Arènes – 17 € La nuit . Editions Glénat – 18 € Philippe Druillet, ce géant de la bande dessinée, aura donc attendu d’avoir soixante-dix piges pour publier ses Mémoires. « Je suis un mal-né » écritil. « Je voulais être prince ou mécène. Je suis né fils de collabo… » C’est évidemment la grande révélation de ce livre mais Druillet y évoque aussi Pilote, Lone Sloane, Métal Hurlant, les Humanoïdes Associés,… bref, tous les éléments constitutifs d’une légende en or massif. Une bonne nouvelle n’arrivant jamais seule, Glénat a décidé de rééditer La nuit, le chef d’œuvre le plus intime, le plus noir mais aussi le plus fascinant de Philippe Druillet, publié il y a quarante-ans après la disparition de son épouse Nicole, anéantie par un cancer foudroyant. Les mémoires et un album-culte : on peut sans hésiter faire le doublé pour un beau cadeau à un fou de BD… ◊
Bande dessinée
/// ENKI BILAL - La Couleur de l’air
/// WOLINSKI - MES ANNÉES 70 Editions Les Echappés - Charlie Hebdo - 32 € C’était un temps que les moins de 40 ans ne peuvent pas connaître. Juste après le courant d’air de 1968, c’était un souffle de liberté (pour le meilleur ou pour le pire) qui s’était mis à souffler. On le pensait éternel… Une poignée de potes inventèrent Hara-Kiri Hebdo et, bêtes et méchants revendiqués, se mirent à dessiner frénétiquement. Pas n’importe quel dessin : du dessin de presse, juste pour dénoncer les travers de l’époque. Un succès inimaginable aujourd’hui. Parmi eux, Wolinski qui sévit toujours aujourd’hui à Paris-Match, au JDD ou à… Charlie Hebdo. 230 pages de dessins de ces années-là et un texte superbe de Wolinski luimême pour introduire le tout. A déguster comme un bon vieux Cognac ! ◊
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SÉLECTION LIVRES
/// KAMEL DAOUD - MEURSAULT CONTRE-ENQUÊTE
/// ADRIEN BOSC - CONSTELLATION
ROMANS
Editions Acte Sud - 19 €
Editions Stock - 18 €
Il fut jusqu’au bout un des favoris du dernier Goncourt. Et il y avait quelques bonnes raisons pour ça : l’audace de l’Algérien Kamel Daoud qui ose donner une identité à « L’Arabe » que tua Meursault dans L’étranger, le mythique roman d’Albert Camus ; la réflexion profonde sur l’Algérie d’aujourd’hui, cadenassée, sous contrôle ; la langue, enfin : dans ce livre, elle est lumineuse, on aimerait oser dire « parfaite » même si on sait bien qu’en matière de littérature, ce mot ne veut rien dire… Il y avait bien longtemps qu’un roman ne nous avait pas tous autant emballé. C’est noël, faitesvous un très beau cadeau pas cher… ◊
La dernière fois que vous vous êtes dit : « Waooh ! Quelle belle idée de roman », c’était quand au juste ? A partir du célébrissime accident du Constellation dans lequel Marcel Cerdan et Ginette Neveux (une illustre pianiste de l’époque) avaient trouvé la mort en 1949, Adrien Bosc dissèque au scalpel la vie et le destin des trente-sept passagers, un peu à la façon des scénarios du réalisateur Alejandro Gonzalez Iñarritu (Babel, 21 grammes) en croisant et décroisant les fils invisibles qui font qu’on se trouve à un endroit donné, à un moment précis et en démontrant que ce qu’il est convenu d’appeler la hasard a parfois bon dos... Une écriture sobre, un bouquin passionnant. ◊
Essai - Enquête /// FLORENCE AUBENAS - EN FRANCE Editions de l’Olivier – 18 € Ce furent d’abord des chroniques, publiées chaque dimanche dans Le Monde. A chaque fois, une demi-page d’immersion dans cette France qui existe et qui n’apparaît plus sur les radars des « décideurs », politiques ou autres. Du vrai bon boulot de journalisme debout, qui se bouge et qui va chercher la vraie info, loin des écrans des ordis et de la com débitée au kilomètre par des attachés de presse tous identiques. Une des chroniques, au hasard : dans la région de Dijon, une histoire de station-service-épicerie-bar-etc… posée au milieu de nulle part et dont la très vieille exploitante, bien consciente de tout ce que son lieu apporte à des kilomètres à la ronde, refuse de fermer… Quelle belle idée d’avoir réuni l’ensemble des chroniques dans un livre. Achetonsle, et envoyons-le à notre député ! Il n’y a pas de sot moyen pour combattre l’autisme… ◊
/// ROBERTO SAVIANO - EXTRA PURE Editions Gallimard - 21,90 € Après Gomorra, ce succès mondial dénonçant les activités de la mafia napolitaine et qui lui vaut encore de ne plus pouvoir faire un pas à l’extérieur sans un ou plusieurs officiers de sécurité accrochés à ses basques, l’écrivain et scénariste italien récidive et consacre une somme incroyable de plus de 600 pages à l’économie de la cocaïne. Où l’on trouve la preuve que tout se tient : corrompus politiques ou autres sous toutes les latitudes, honorables banques qui recyclent des tombereaux d’argent sale, gouvernements démocratiques qui préfèrent fermer les yeux… Hallucinant ! Au passage, on ne peut qu’être admiratif devant le travail et les convictions de Roberto Saviano qui reste de glace devant les menaces qui pendent au-dessus de sa tête, comme sa venue récente à Strasbourg a pu nous le prouver. Chapeau ! ◊
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SÉLECTION LIVRES
/// OLIVIER BELLAMY - LE DICTIONNAIRE AMOUREUX DU PIANO Editions Plon - 21 € Ce fut l’une des vraies belles surprises des Bibliothèques Idéales de septembre dernier à Strasbourg. Olivier Bellamy, journaliste à RadioClassique, connaît bien sûr l’univers du piano comme le bout de ses doigts mais il réussit aussi à nous passionner en nous racontant les mille et une histoires d’artistes ou d’événements qui ont marqué l’histoire de cet instrument incomparable. Oui, on se régale vraiment devant une telle érudition, toujours vibrante mais sans aucune pédanterie comme on peut encore souvent le déplorer dès qu’on aborde les rivages de la grande musique. Les pages sur Glenn Gould sont à tomber et quelques expressions comme « la musique qui résonne comme à travers un liquide amniotique » ou encore « un peintre des sons » justifient à elles seules l’adjectif amoureux accolé aux dictionnaires de cette collection sans pareille… ◊
/// PHILIPPE WENDLING COOP ALSACE : PLUS D’UN SIÈCLE DE COMPLICITÉ PARTAGÉE
/// CHRISTIAN KEMPF – LES ALSATIQUES PHOTOGRAPHIQUES Editions Vent d’Est - 39 € Un pari fou : retrouver (pour le chroniquer dans cet ouvrage) le moindre livre, même le plus modeste, édité en Alsace depuis l’invention de la photographie et contenant au moins un cliché original. En n’allant toutefois pas au-delà de l’année 1920 à partir de laquelle l’explosion des ouvrages et leur diffusion de masse rendaient vain un tel catalogage. Il fallait le talent et l’expertise de Christian Kempf, ce spécialiste reconnu de l’histoire de la photographie en Alsace pour mener un tel projet à bien. Au-delà des photos rares et très anciennes publiées au fil des 340 pages du livre, certaines pièces présentées dans cet ouvrage valent aussi pour leur lointain auteur : ainsi Jules Steiner, par exemple, qui immortalisa Strasbourg pendant le bombardement de 1870 : il était photographe, certes, mais aussi peintre, tapissier, sellier, carrossier, et chef de musique… Une passionnante immersion dans le passé ! ◊
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Alsatiques
Editions Vent d’Est - 39 € Un gros ouvrage de près de 3kg : il fallait bien ces plus de 500 pages pour retracer l’histoire de la Coop Alsace, depuis sa fondation en 1902. Une mise en lumière qui parle encore au cœur de très nombreux alsaciens : qu’ils vivent en ville ou à la campagne, beaucoup se souviennent du célèbre logo vert qui a orné jusqu’à 700 façades de succursales du nord au sud de l’Alsace. Une somptueuse iconographie va sans doute faire naître bien des nostalgies chez certains lecteurs, tant cette entreprise emblématique a marqué l’esprit régional A noter un fait assez rare dans ce type d’ouvrage : l’auteur, un journaliste, n’a pas éludé les derniers soubresauts vécus par l’entreprise ces dernières années, de l’emprisonnement pour escroquerie du PDG encore aux affaires en 2011 jusqu’au récent dépôt de plainte du nouveau PDG, Henri Ancel, en mai dernier pour faux, usage de faux et abus de biens sociaux. ◊
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RETRO
GERMAIN MULLER
« Un C olu che avant l’he ure » /// TEXTE Charles Nouar PHOTOS Claude Truong-Ngoc - Famille Wenger
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RETRO Cabarettiste, chansonnier, dramature, poète, homme politique. Vingt ans après sa mort, que sait-on vraiment de l’homme Germain Muller ? Tout cela un peu à la fois mais avec ce sentiment de « si loin, si proche » wendersien. S’il ne reste que peu de choses de Germain, peu de ses effets ayant été conservés après sa mort, faute d’avoir alors eu valeur de patrimoine culturel, «sa mémoire reste particulièrement ancrée chez les plus de 55 ans», analyse Elisabeth Shimmels, directrice du musée alsacien qui, en association avec les musées historique et Tomi Ungerer, est à l’origine d’une exposition qui lui sera consacrée à partir de janvier. Germain, tel un proche, presqu’un membre d’une famille élargie, ce constat n’a cessé d’intriguer la jeune femme à mesure qu’elle avançait dans les préparatifs, découvrant tout un pan d’histoire locale, presqu’inédit pour les post baby-boomers et que ceuxci, comme l’ont encore démontré les récentes 24h Germain Muller, cherchent étonnamment à réinscrire dans leur réalité. Parce qu’homme orchestre dont les diverses partitions ont ceci de rare qu’elles nous rappellent au sens. Artiste, politique, identitaire au sens noble du terme.
Germain? L’homme qui, bien sûr, a entre autres lancé la première tournée de Piaf. Celui qui a fondé le mythique Barabli, duquel est sorti Jacques Martin. Mais peut-être plus encore le cabarettiste auquel l’on doit D’Letschte qui tend à nouveau à prendre des allures d’hymne régional mais jamais régionaliste. Parce qu’hymne d’une communauté de sang mêlé qui s’est toujours ouverte au Rhin sans jamais faire vœu de se retrancher derrière. Parce qu’hymne d’une histoire dont Germain savait mieux que personne en déclamer les bons mots pour mieux en soigner les maux, comme lorsqu’il écrivit à tout juste 26 ans, sa pièce maîtresse « Enfin redde m’r nimm devun - Enfin n’en parlons plus ». Une pièce qui, pour Elisabeth Shimmels, a « su redonner de la fierté et du baume au cœurs aux Alsaciens ». Une pièce forte parce que sans concession, sans tabou mais sans jugement non plus, aux allures de travail de mémoire collective et salutaire post seconde guerre mondiale. Un texte humain, honnête et politique, à l’image de cet homme qui, relate Elisabeth Shimmels, tel un « Coluche avant l’heure », avait fait de trente ans de mandat la suite logique de sa théâtralité, sans jamais se trahir, n’hésitant jamais à poser un regard critique, les soirs de
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Barabli, sur sa propre dualité et l’exercice de ses fonctions municipales. Sur fond de tables numériques, d’archives vidéos, d’espaces interactifs où les visiteurs pourront eux-mêmes se mettre en scène, et de patrimoine reconstitué par Malou Schneider, c’est tout cela à la fois qu’amènera à (re)découvrir cette première exposition du genre. La restitution d’une mémoire restaurée et empreinte d’une rare modernité. ◊
/// Exposition Germain Muller Musées alsacien et historique du 30 janvier au 1er juin 2015 Musée Tomi Ungerer du 5 mars au 5 juillet 2015
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ART & CULTURE
L es dernières
créations de Daum
sont chez Pyramide à Strasbo urg
/// TEXTE Erika Chelly PHOTOS Médiapresse
cristal soufflé. On est donc bien là dans le cœur d’un savoir faire exceptionnel. Il y a quarante ans existait une boutique Daum rue de la Mésange à Strasbourg. Les difficultés rencontrées par le cristallier lorrain avaient eu raison d’elle mais aujourd’hui, avec le changement de donne opéré (Daum appartient désormais au groupe Haviland), pourquoi ne pas imaginer un retour gagnant dans la capitale européenne ? L’exposition exceptionnelle présentée par Pyramide serait-elle aussi un test en ce sens ? Jean-Paul Pfeffer ne dément pas. A suivre… ◊
Jusqu’au 31 décembre, Pyramide accueille les plus récentes créations de Daum. Sous la houlette depuis quatre ans maintenant du directeur artistique d’origine sud-américaine Mauricio Clavero Kozlowski, Daum a lancé un nouveau cycle de créations avec une demi-douzaine d’artistes et une sélection de leurs œuvres est présentée dans l’ambiance de Pyramide au 32 quai des Bateliers. Chaque pièce Daum est issue d’un processus de création entièrement artisanal transmis de génération en génération. Les subtils effets moirés et les nuances infinies de couleurs, caractéristiques des créations de Daum, sont dus à l’utilisation d’une pâte de verre retravaillée avec du cristal, un procédé mis au point il y a maintenant plus de quarante ans (la pâte de verre simple étant quant à elle connue depuis l’Antiquité). Ces effets seraient impossibles à obtenir avec une technique traditionnelle de
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/// PYRAMIDE 32, quai des Bateliers 67000 STRASBOURG Tèl. 03 88 37 31 95 www.pyramide-deco.fr
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RENCONTRE
VILLE ET CAMPAGNE N o ë l , mais av ec go û t . . .
/// TEXTE Benjamin Thomas PHOTOS Médiapresse
C’est reparti pour les Marchés de Noël et nos plus de deux millions de visiteurs en un mois sont de retour, les yeux extasiés devant le meilleur et… le pire. On n’insistera pas trop sur ce dernier volet, le prix à payer au gigantisme, mais côté meilleur, ils ne manqueront sans doute pas Ville et Campagne. Niché dans la plus vieille des bâtisses du quai des Bateliers, c’est le domaine de Corinne Mangin. Pendant deux décennies, l’endroit s’est appelé Antiquités de l’Ill . Il est devenu Ville et Campagne il y a dix ans, lors du grand virage vers la décoration que Corinne, contre vents et marées, a décidé de prendre. Le scepticisme de certains a eu vite fait de laisser la place à l’enthousiasme.
« J’ai voulu recréer l’atmosphère d’une maison familiale dont les occupants diraient à leurs visiteurs : entrez, vous êtes les bienvenus, voici nos coups de cœur, nos objets personnels, notre héritage » dit joliment Corinne. « Je suis suffisamment connue désormais pour qu’on me propose de beaux objets dans
le cadre de successions, par exemple. Pour le reste, je chine dans les ventes aux enchères, les marchés, les brocantes. Un peu comme je le faisais depuis l’âge de douze ans dans le grenier lorrain de mes grands-parents. Je crois bien que c’est là qu’est née ma vocation ». Eté comme hiver, l’agencement de Ville et Campagne caresse les yeux et éveille les sens. « Je réalise personnellement chaque mise en scène » précise Corinne. « Chaque détail relève de mon choix, la place de chaque objet, je la mémorise instinctivement… » Noël oblige, Corinne s’apprête à accueillir des visiteurs réguliers qui vont découvrir un décor et une mise en scène qui vont
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Comme dans une maison familiale
les faire rêver : « C’est l’effet TGV. Les Parisiennes viennent de plus en plus faire leurs achats de noël à Strasbourg. C’est beaucoup plus facile pour elles que dans la capitale, cela ne leur prend qu’une journée et un aller-retour de TGV. Elles se communiquent les bonnes adresses par le bouche-à-oreille et Ville et Campagne est souvent cité… » Les autres habitués de la période de fin d’année viennent d’un peu partout : Lyon, Nantes, Rennes, Besançon, Toulouse… L’effet Capitale de Noël joue à fond mais la clientèle strasbourgeoise reste bien entendu majoritaire. Ce sera donc le rush d’ici le 25 décembre. Et puis, au lendemain de noël, Corinne prendra l’avion. Direction : sa chère Provence et Forcalquier : « J’y vais souvent sur un coup de tête pour me ressourcer, recharger mes accus, stimuler mon imagination. Le calme, le soleil, mon évasion… » précise-t-elle les yeux plein de lumière… ◊ /// Ville et Campagne 23, quai des Bateliers 67000 STRASBOURG Tèl. 03 88 36 96 84
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AUDACE
2 CAPS PRODUCTION Acc ueillir ce q ue le hasard no us propose … . .
Elle : 59 ans, journaliste à la rédaction européenne de France 3. Lui : 32 ans, journaliste reporter d’images au sein de Via Storia, une boite privée de production. Signe distinctif : ont baroudé depuis longtemps ensemble… Info : ça va continuer. Viennent de créer ensemble leur boîte de prod’… /// TEXTE Jean-luc Fournier PHOTOS DR
« C’est un choix volontaire, délibéré, complètement assumé… » Voilà comment Françoise Schöller commente sa décision de quitter France Télévisions le 31 décembre prochain. Elle y était salariée depuis 18 ans, après avoir fait l’essentiel de sa carrière dans la presse écrite et la radio. Et quand on lui demande les raisons de ce départ, elle ne réfléchit pas longtemps : « Approfondir, voilà ce qui me manquait. J’avais envie de travailler sur de grands formats… »
Ex-reporter d’images pour M6 et basé à Nancy, Thibaut Graillot vit à Strasbourg depuis dix ans. « Le boulot pour M6 m’a définitivement donné le virus de la télé »
explique-t-il. « Puis j’ai été recruté par Via Storia, comme technicien au début mais très vite, j’ai travaillé l’image et le montage. Ca m’a passionné à un point que je me suis fixé comme objectif de finir par compter parmi les références régionales. Pour ça, j’ai bossé comme un malade, jour et nuit, semaine et weekend. Je me suis formé à fond, je n’hésitais pas à présenter mon travail à des anciens pour recueillir leurs critiques, bref... j’ai tout fait pour exister dans ce créneau-là. Au passage, peu à peu, j’ai découvert le plaisir de la création… » Françoise Schöller poursuit l’évocation : « La rédaction européenne n’avait pas de moyens propres de tournage. Un deal avait donc été passé avec Via Storia pour fournir matériel et moyens humains. C’est ainsi qu’on a fait connaissance avecThibaut. C’était il y a dix
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Un couple professionnel éprouvé
ans. On a fait un reportage ensemble, en région, puis on s’est retrouvés en Slovénie, et tout s’est ensuite enchaîné… » « A l’époque, j’étais un môme » se souvient Thibaut. « Je ne savais pas trop comment me comporter avec Françoise. J’étais intimidé, quoi… » « Très vite, on a formé un excellent couple professionnel. Pour chaque reportage, je me suis mis à exiger Thibaut. On a fini par faire tous les pays européens ensemble, du nord au sud et de l’est à l’ouest. On a fini par se connaître par cœur… » Le grand saut Tout va se cristalliser à l’issue d’un énième reportage commun, à Malte. « C’est là qu’on s’est mis dans la tête qu’on pouvait faire un film ensemble. C’est venu
DOSSIER
d’une frustration commune de ne pas pouvoir aller plus loin que le format court qui nous était alors commandé » raconte Françoise. « Une fois de plus, on a réalisé qu’on était parfaitement complémentaires. Il y a plein de choses qui font que ça colle entre nous » ajoute Thibaut. « Alors, on s’est lancé à fond pour réaliser notre idée. On a su ne pas écouter nos craintes : moi, par exemple, je n’ai pas eu peur de m’associer avec quelqu’un qui a quand même 27 ans de moins que moi… » précise Françoise. 2 CAPS PRODUCTION a donc été créée début août dernier et les deux associés ont beaucoup travaillé pour être opérationnels un mois plus tard, en septembre « Là, maintenant, on est bien » sourit Thibaut. « On a su faire les bons choix stratégiques et techniques et dans ce milieu, ce n’est pas simple, la technique évolue vite et en permanence. » Les téléspectateurs pourront découvrir leur premier film, Ni Dieux ni magiciens, tourné dans un bloc opératoire de l’hôpital de Hautepierre et qui raconte l’opération subie par un jeune patient cancéreux. Le film sera diffusé sur France 3 le 13 décembre prochain. Françoise est en train de travailler sur un film qui sera tourné au Cambodge. Il montrera le parcours de toute une famille qui va pouvoir se rendre dans un hôpital grâce à une ONG, La chaîne de l’Espoir.
« J’ai été très touchée par une lettre reçue d’un médecin de là-bas. Le journalisme doit avoir du sens et servir à quelque chose » affirme Françoise. « Notre seule boussole à Thibaut et à moi est le désir, l’engagement. On ne fera pas de films « marketing » et on cherchera à réaliser des films capables de faire ressentir des émotions positives aux téléspectateurs de façon à pouvoir tordre le cou à quelques idées reçues. On a surtout envie de ne pas se priver de la découverte, de l’inattendu, oublier les références et être capables d’accueillir ce que le hasard nous propose… » Presque un retour aux sources pour Françoise Schöller qui avait contribué à créer l’agence de presse Reporters d’espoir… « Maintenant, l’objectif est de savoir s’entourer des bonnes personnes sinon on n’ira pas très loin » proclame Thibaut. « Et on n’attendra pas de pouvoir prévendre nos sujets à des diffuseurs. Non, on est prêt à faire le film et voir après. Un peu comme si la production se mettait au service de la réalisation. Le paradigme qu’on renverse… En revanche, on ne perdra jamais notre obsession : donner le meilleur de nous-même pour le client et avoir toujours un coup d’avance ! On a parlé de tout ça avec René Letzgus, le producteur bien connu. Il nous a
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encouragés. Venant de quelqu’un comme lui, c’est valorisant… » « Alors, on fonce… » conclut Françoise. ◊ /// 2 CAPS PRODUCTION 4, rue du Poumon 67000 STRASBOURG Tèl. 09 83 48 52 22 www.2caps-production.com
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RENCONTRE
RWANDA
Vingt après le génocide , les sou v enirs des T u tsi de Strasbou rg Gaudiose Luhahe et Immaculée Cattier étaient déjà à Strasbourg lors du génocide des Tutsi en 1994. Leurs proches en ont été victimes. Vingt ans après, elles ont accepté d’en reparler avec leurs mots posés. Tous ces mots qu’il faut résumer ici sans les trahir. /// TEXTE Véronique Leblanc PHOTOS Véronique Leblanc – Ulli Michel – Jean-Marc Bouju/AP
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Gaudiose Luhahe et Immaculée Cattier
Toutes deux étaient à Strasbourg en avril 1994 lorsque fut déclenchée l’extermination systématique des Tutsi par les Hutu. Gaudiose avait passé les fêtes de fin d’année 93 au Rwanda et « la tension y était déjà palpable », se souvient-elle. Manifestations « Hutu Power » sur fond de tribunal d’Arusha, insultes ethniques... « J’étais inquiète, mais mon frère me répondait que cela n’allait pas recommencer comme en 1959 et 1973, années où des massacres avaient déjà eu lieu. » Rentrée à Strasbourg, elle a reçu - mi mars 1994 - la visite du préfet de Butaré ainsi que celle d’un jeune Rwandais de retour d’un stage aux EtatsUnis. Elle a tenté de les convaincre de ne pas rentrer au pays mais en vain. « Ma vie est là-bas », lui a répondu l’étudiant. Tous deux allaient être tués… Au téléphone, tout à coup, plus rien… Immaculée est arrivée en Alsace en 1993. « J’étais rescapée du « laboratoire du génocide », dit-elle, en évoquant la région du Nord dont elle vient et où « les massacres de masse et les emprisonnements arbitraires » avaient commencé en octobre 1990. Elle venait d’obtenir ses papiers de réfugiée politique et de « remonter la pente » quand le génocide a commencé. « Quand j’ai appris la mort de Habyarimana j’étais au Foyer NotreDame de Strasbourg, raconte-t-elle, j’ai tout de suite pensé que c’en était fini pour ma mère ». Au téléphone, le lendemain, elle a su qu’elle ne s’était pas trompée. « Ta maman et ton neveu Didier ont été tués mais ta sœur Fausta et tes deux jeunes nièces sont ici » lui a-t-on appris à l’orphelinat voisin de la maison familiale et puis… plus rien. Des tueurs sont entrés dans l’établissement dont on leur avait dit qu’il accueillait les « cafards » tutsi, sa sœur a été emmenée à l’église de Nyundo où elle a rejoint leur tante Alvéra.
Elles ont été tuées le 1er mai. Ses nièces ont quant à elles survécu en se fondant dans la masse des autres orphelins. « S’il n’y avait pas eu de Hutu bienveillants, il n’y aurait plus un seul Tutsi » Gaudiose a suivi les nouvelles sur France Info et elle insiste sur le soutien reçu alors de ses collègues de la Brasserie Fischer. Elle n’a cessé d’appeler le Rwanda jusqu’à ce qu’elle apprenne la mort de son frère et le sauvetage de sa belle-sœur et de ses neveux par des voisins Hutu. « Car il y en a eu des Hutu bienveillants, dit-elle, sans eux il ne serait pas resté un Tutsi vivant ». Son frère, qui avait été laissé pour mort, a d’ailleurs été sauvé par les mêmes voisins mais sa mère a été tuée par un ami de la famille chez qui elle avait été chercher protection. Lutter contre l’oubli et honorer la mémoire des victimes Toutes deux racontent les massacres scandés par des coups de sifflet matin, midi et soir pour marquer le début, la pause et la fin de la journée de « travail ». Elles parlent aussi de leurs retours au pays depuis le génocide, des bénéfices et des limites de la « campagne de réconciliation ». « Moi, personne ne m’a demandé pardon pour avoir assassiné mon père quand j’étais enfant et ma mère quand j’étais adulte », murmure Immaculée.
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Il leur restait un devoir, celui d’assister à l’inhumation des restes de leurs proches lorsqu’ils furent identifiés. Elles s’en sont acquittées, c’était pour elles essentiel de lutter contre l’oubli et d’honorer la mémoire des victimes. Lorsqu’elles évoquent ces moments, on a envie de les serrer dans les bras pour en dépasser la dureté. Mais elles continuent à raconter. « Pour que continue à vivre le nom de ma mère », dit Immaculée. Sa maman s’appelait Stéphanie Nyampundu. ◊
C onstr u ire la réconciliation « Aujourd’hui, 20 ans après, les rescapés et leurs anciens bourreaux coexistent, pour le moment sans heurt et les victimes du génocide ne sont pas exclues de cette coexistence car leurs sépultures sont visibles un peu partout dans les sites de commémoration. Le gouvernement a par ailleurs mis en place les juridiction « Gacaca » qui permettent des confrontations interactives entre les survivants du génocide, les présumés coupables et les témoins, sur les lieux mêmes où les crimes ont été commis », explique Gaudiose qui vit toujours à Strasbourg et retourne régulièrement au Rwanda dans le cadre de ses recherches sur l’éthique de ces juridictions.
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RENCONTRE
Laurent Delahaye
L e cire u r à l ’ancienne q u i force le respect
/// TEXTE ET PHOTOS CHARLES NOUAR
Laurent Delahaye. Première rencontre, début de l’été, au détour d’une course rapide dans le quartier Cathédrale, rue du Vieux Marché aux poissons. A l’époque, peu de gens connaissaient l’existence de ce cireur de chaussures. Au mieux, peut-être, les clients de Gilles, le patron du Comptoir du cigare auquel, les mois précédents, Laurent avait demandé l’autorisation de faire la manche devant son commerce. « Et puis un jour on s’est mis à discuter, en mode « Gilles, j’aimerais bien faire le cireur de chaussures ». « Super idée, mais combien ça coûterait ? » « Une cinquantaine d’euros, pas plus ». « Ils me les a sortis de sa poche et m’a dit : « Vas-y, va chercher ton matos, tu commences demain » . C’est comme ça que tout est parti ».
entre les chantiers des JO d’Albertville, les emplois agricoles saisonniers, une phase d’intérim chez Colas, qui ne lui laissera que le goût amer des petits arrangements avec le droit social ou des ennuis de santé qui ne déclencheront pour seule responsabilisation que le non renouvellement de sa mission... Le tout entrecoupé de sept années à vivre dans la rue. Oui, l’entraide et la solidarité ne sont pas de vains mots
Cette marque de confiance, Laurent n’est sans doute pas près de l’oublier, lui le gosse jeté hors du foyer familial par sa mère à 16 ans, passé par deux ans de DASS, l’armée, quelques jobs plus ou moins précaires
Depuis l’aide de Gilles, Laurent, désormais auto-entrepreneur, tient son petit bout de trottoir 7j/7, et génère une chaîne de solidarité rare : une voisine qui lui offre le siège sur lequel il travaille. Un mec une vieille boite à cirage en bois. Le Syndicat Potentiel son logo et ses premières affichettes. Gabriel, un entrepreneur qui lui finance ses premières cartes de visite,
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parce que dit-il, « nous avons un devoir de solidarité envers celui qui se lève le matin, qui prend sa vie en main, par rapport à celui qui attend que ça vienne ». Les services de la CUS, aussi, qui, le jour de son anniversaire, lui débloquent une autorisation d’exercer sur son coin de rue. Linda de l’Adie qui lui dégotte un microcrédit pour financer un triporteur pour mieux accueillir sa clientèle et lui permettre d’aller chercher des cuirs à faire briller directement chez les particuliers. Les médias, enfin, qui, tour à tour, ont relayé son étonnant parcours, jusqu’à la télévision turque ou France 3 national. Avec à la clé, une autre belle histoire : sa sœur qui le retrouve par ce biais, 30 ans après leur séparation, et qui renoue des liens familiaux jusque-là laissés en jachère. A l’approche de noël, on n’a pas résisté à l’envie de vous raconter cette belle histoire… ◊
UN MOMENT À LA NEIGE ? L e C hamp du Fe u : év idemment !
Site vieillissant, accès compliqué et on en passe… Il y a quelques années encore, les Strasbourgeois avaient fini par perre l’habitude de fréquenter le Champ du Feu. Tout a changé désormais, et on peut aujourd’hui goûter aux joies d’une journée à la neige sur un site idéal… à une heure de Strasbourg ! /// TEXTE Alain Ancian PHOTOS DR
A une heure de Strasbourg par la route, d’un accès désormais idéal par TER + Navette des neiges (voir encadré) le Champ du Feu n’attend plus que les premiers flocons hivernaux pour dévoiler ses nouveaux charmes aux habitants de l’agglomération strasbourgeoise. C’est David Gérardin, chef de projet Champ du Feu au Conseil général du BasRhin, qui nous les détaille : « Il y a bien sûr les 60 km de pistes de ski nordiste et le domaine alpin désormais complètement rénové et qui est au top avec ses 14 pistes de qualité, ses 41 enneigeurs et l’éclairage artificiel : ces équipements pour les skieurs et la proximité avec Strasbourg font que le site est envié par les autres stations des Vosges. Mais ce ne sont pas les seuls atouts qui sont désormais mis en avant. Le chalet est désormais flambant neuf avec sa salle hors sac et ses sanitaires rénovés et confortables. On y trouve aussi l’accueil de l’Office du Tourisme et de l’Ecole de ski nordique. Contre le bâtiment, les deux grands champs de luge viennent d’être complètement réaménagés par le Conseil général. Ils sont désormais
équipés d’un gros terre-plein qui facilite considérablement le freinage. Je pense que nombre de familles vont apprécier… » Du côté du privé, il faut aussi signaler que l’Auberge Hazemann a été complètement rénovée : bar, restaurant, boutique de location de skis et bien sûr des chambres accueillent désormais résidents et skieurs d’un jour en attendant l’hiver prochain qui verra l’installation d’un spa… Bref, tout ce qui avait provoqué la lente désaffection du site lors des dix dernières années vient d’être totalement gommé. L’évasion et le dépaysement sont de nouveau assurés dans les meilleures conditions qui soient et à une petite heure de la capitale alsacienne. A (re)découvrir neiges… ◊
dès
les
premières
Train+Navette des neiges : c’est le bon plan depuis Strasbourg Du 20 décembre au 8 mars (autres jours et autres provenances : consulter www.lechampdufeu.com)
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SAMEDI TER en provenance de Strasbourg : Arrivée à Schirmeck : 9h44 Départ navette : 10 h Arrivée Champ du Feu : 10h40 Arrivée à Schirmeck : 11h47 Départ navette : 12 h Arrivée Champ du Feu : 12h40 Retour : Champ du Feu : 17h. Arrivée Schirmeck : 17h40 Départ TER > Strasbourg : 17h55
DIMANCHE TER en provenance de Strasbourg : Arrivée à Schirmeck : 8h46 Départ navette : 9 h Arrivée Champ du Feu : 9h40 Arrivée à Schirmeck : 10h43 Départ navette : 11 h Arrivée Champ du Feu : 11h40 Retour : Champ du Feu : 17h55 Arrivée Schirmeck : 18h35 Départ TER > Strasbourg : 18h48
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MILLÉNAIRE DE LA CATHÉDRALE
P enser la ville de demain et mê me d’ après-demain ….. /// TEXTE JEAN-LUC FOURNIER photos DR
1015, c’est entendu, c’est loin, très loin en arrière… Il y a mille ans, donc, quelques centaines d’hommes ont commencé à creuser, sous les ordres des chanoines (on dirait aujourd’hui les promoteurs) obéissant eux-mêmes à la volonté du maître d’œuvre, l’évêque de l’époque. Admettons que ces quelques centaines d’hommes avaient alors la robustesse de leur quinze ans. Oui, supposons qu’ils avaient quinze ans. Il faut comprendre qu’à cette époque, dix ans plus tard, à 25 ans, on était déjà très vieux… au point de ne plus pouvoir mettre un pied devant l’autre et donc, a priori, grimper. Oui, admettons ça car il faut bien réaliser que les informations sur l’espérance de vie en l’an mille sont absolument inexistantes. Les premières sources datent de 1700 (sept siècles plus tard) : en 1700, l’espérance de vie, pour un homme, était de 25 ans et, toujours en 1700, un enfant sur deux n’atteignait pas ses dix ans. Alors, en l’an 1000… Ce petit coup de vertige passé, on comprendra mieux notre propos. Laissons de côté les explications des historiens et des théologiens sur les motivations religieuses ou autres qui ont poussé tant et tant de générations successives à poursuivre la même œuvre, obstinément, constamment, sans défaillir ni trop diverger. Aucune de
ces générations, hormis peut-être la toute dernière, n’a vu l’aboutissement de son labeur mais peu importe, chaque homme qui a fabriqué la cathédrale savait pourquoi il travaillait. Et toute cette admirable, mystérieuse et monstrueuse volonté humaine a produit la cathédrale telle que nous la connaissons actuellement. Nous étions alors vers la fin du XVème siècle, il y a un peu plus de cinq cent ans. Des générations et des générations d’hommes avaient fini de bâtir cet objet urbain unique et follement ambitieux autour duquel Strasbourg (même pas 20 000 âmes en 1500) allait devenir cette ville où nous vivons aujourd’hui. Cet objet urbain, cet emblème, avait été pensé et voulu par un évêque 500 ans plus tôt. Sans cette volonté-là, sans ce pari sur l’avenir, on ne fêterait rien aujourd’hui.
Nous revoici en 2014. Quinze ans déjà qu’on a tourné la page du XXème siècle. La cathédrale reste emblématique, sa flèche unique se voit toujours d’aussi loin, et le monument magnétise tout autant. On n’ira pas aussi loin que la belle conclusion de l’éditorialiste de la revue Saisons d’Alsace récemment parue : « On
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Qui pour penser le Strasbourg de demain ?
aime qu’elle ait mille ans et on souhaite à nos descendants de s’émerveiller de son bimillénaire » mais on voudrait juste se projeter disons dans une cinquantaine d’années, ou un petit siècle à tout casser... Qui pour penser aujourd’hui le Strasbourg de demain ? Qui pour relever les défis d’aujourd’hui en matière d’urbanisme ? Qui pour intégrer cet air du temps actuel (les bouleversements liés aux nouvelles technologies, notamment) à la conception de la ville de demain, voire d’après demain ? Bref, qui pour avoir l’audace et la préscience de l’évêque de l’an 1000 et jeter les bases d’un signal fort de ce que sera Strasbourg quand, à l’instar des bâtisseurs de l’an 1015 et de leurs descendants, nos yeux ne seront plus là pour le voir ? Oui, qui ? Et comment ? C’est ce volet-là, tourné vers l’avenir, que nous aurions aimé voir apparaître quelque part dans le programme de ce millénaire. Ca aurait eu du sens de poser cette problématique contemporaine en rendant en même temps hommage à une telle audace, 1000 ans après. Ceci dit, il n’est peut-être encore pas trop tard. Message lancé à Philippe Arlaud, le directeur artistique du Millénaire, homme qui ne déteste pas, paraît-il, être audacieux… ◊
STRASBOURG, BOUGE-TOI !
Berndt Hauptkorn
UNIQLO
P o u rq uoi à Strasbou rg ?
Ouverture en fanfare pour le dernier-né français des magasins Uniqlo, rue du Noyer à Strasbourg. Derrière les discours bien huilés, une évidence : ce n’est pas un hasard si l’hypercentre de Strasbourg attire les grandes enseignes internationales… /// TEXTE ALAIN ANCIAN photos MÉDIAPRESSE
Certaines (et certains…) attendaient depuis très tôt le matin le 14 novembre dernier pour pouvoir être parmi les premiers à pénétrer, à 11h, dans le tout dernier né des magasins Uniqlo en France (le huitième seulement). Les 200 premiers fans ont reçu des cadeaux tandis que des tambours japonais assuraient l’ambiance sonore à même le trottoir, enfin débarrassé de l’hideuse tonnelle provisoire en tôle ondulée qui trônait là depuis des années. Et le ruban inaugural fut enfin coupé, en présence de Berndt Hauptkorn, le président d’Uniqlo Europe et d’Alain Fontanel, 1er Adjoint au maire de Strasbourg. La ruée vers les textiles aux couleurs chatoyantes (certains de très haute technicité) pouvait commencer… Strasbourg attire les marques et les marques attirent les marques… Ce secteur de Strasbourg, débarrassé des échafaudages et autres attributs de chantier, révèle sa cohérence : le long des rails du Tram se succèdent les façades et les marques de notoriété : H&M, Uniqlo donc, et Le Printemps et son architecture toujours aussi interpellante. A l’évidence, les marques appellent les marques… et Strasbourg n’est pas tout à fait une grande agglomération comme les autres. Impression confirmée par les propos du président d’Uniqlo Europe, sur le pont avec ses équipes depuis la veille pour assurer un lancement parfait : « Strasbourg était un objectif à atteindre » précisait Berndt
Hauptkorn. « C’est une ville très importante en France et qui décline des atouts que d’autres n’ont pas. En tout premier lieu la présence des institutions européennes avec notamment le Parlement européen qui fait de Strasbourg une vraie capitale européenne. En ce qui me concerne, je pense même que Strasbourg est la ville du fondement même de la culture de notre continent. Ce qui nous a aussi incité à ouvrir un magasin ici, c’est la toute proche présence de l’Allemagne et même de la Suisse. Enfin, nous savions aussi que Strasbourg est une des destinations touristiques les plus prisées de France. Voilà les raisons objectives qui ont amené à notre ouverture ici. J’en ajoute une : j’adore la tarte flambée » concluait en souriant le jeune Bavarois qui préside aux destinées européennes du gigantesque groupe japonais (1400 magasins répartis dans 16 pays dans le monde) pour qui l’Europe, et particulièrement la France, présentent un potentiel certain.
pour la dynamique commerciale de notre ville.. » concluait Alain Fontanel. Les grandes ambitions de l’enseigne
Alain Fontanel, 1er adjoint de Strasbourg, tirait lui aussi les enseignements au pied des 1800 m2 sur trois niveaux d’UniqloStrasbourg : « C’est une excellente nouvelle sur le front de l’emploi, d’abord, car l’enseigne a recruté une centaine de personnes pour son ouverture. Et puis j’y vois aussi une confirmation : le centre-ville de Strasbourg attire les grandes marques internationales. Nous sommes donc dans une dynamique qui paie sur la longue durée avec ces marques qui elles-mêmes attirent d’autres marques. C’est très bon
Uniqlo est une marque très connue au Japon, sa terre d’origine puisqu’elle a ouvert son premier magasin à Hiroshima il y a trente ans (plus de 800 points de vente sur l’archipel, aujourd’hui). Elle est réputée depuis toujours pour sa création de produits basiques, portables tous les jours aussi bien dans le cadre professionnel que pour les loisirs. Reconnue comme performante et très innovante par le milieu mondial de la mode, Uniqlo ambitionne d’ici 2020 de devenir la marque numéro un de l’habillement dans le monde, devant l’espagnol Zara, le suédois H&M et l’américain Gap qui occupent actuellement le podium. L’Amérique et l’Europe sont les deux continents qui devraient le plus voir fleurir les enseignes rouges de la marque. Sur notre continent, Uniqlo est présent sur dix points de vente en Grande-Bretagne, huit en France (dont Strasbourg) et un en Allemagne, à Berlin. Barcelone et Milan sont désormais dans la ligne de mire de Berndt Hauptkorn qui est à la manœuvre depuis son bureau londonien. Fast Retailing, le groupe auquel appartient Uniqlo, détient aussi les marques françaises Comptoir des Cotonniers et PrincesseTamTam. Il a réalisé plus de 8 milliards € de chiffre d’affaires lors de son dernier exercice. C’est donc l’enseigne d’un géant mondial qui vient de réussir son ouverture à Strasbourg. ◊
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FOR U M MONDIAL DE LA DÉMOCRATIE
Un « off » à renforcer Le Forum mondial de la Démocratie, créé il y a deux ans pour encore mieux positionner Strasbourg en tant que capitale des peuples européens (sous-entendu, tout le contraire de la technocrate Bruxelles…) aurait tout intérêt à développer son « off « , c’est à dire l’ensemble des manifestations accessibles au grand public qui gravitent autour du Forum officiel… /// TEXTE ALAIN ANCIAN photos MÉDIAPRESSE - DR
Côté « in », tout va bien, semble-til. La troisième édition qui s’est close début novembre dernier a permis de constater une fois de plus la pertinence de cette manifestation. La vingtaine de « labs », organisés autour d’influencer (les mentalités, la prise de décision, les politiques, les institutions) ont produit des réflexions riches et passionnées. On a beaucoup débattu. Seul bémol au tableau : quid des retombées médiatiques au niveau national ? Elles restent faibles…
qu’on sollicite leur imagination. A l’image des équipes de l’Ososphère de Thierry Danet par exemple. Cette année encore, elles ont mis en place Interface 2.0.1.4., un dispositif artistique qui a permis à des artistes d’investir les façades et les espaces extérieurs du bâtiment du Conseil de l’Europe en y inscrivant lumineusement les extraits des propos tenus dans le cadre du Forum, à l’intérieur du bâtiment. Plusieurs milliers de personnes, massées devant le Conseil de l’Europe, ont apprécié que leur parviennent ainsi des échos du Forum. A signaler aussi la projection au-dessus de l’entrée du bâtiment du Grand Générique, cette installation artistique inépuisablement et en permanence (via internet) générée par la collecte des noms de tous les êtres humains vivant sur terre, liste renforcée bien sûr et pour l’occasion par l’ensemble des noms et prénoms des centaines de participants au forum officiel.
C’est peut-être sur le côté « off » qu’il faudrait porter plus d’efforts dès la prochaine édition. Car le public strasbourgeois, rompu aux débats et journées de ce type (comme celles organisées par Le Nouvel Observateur il n’y a encore pas si longtemps) sait répondre aux sollicitations et y participer avec enthousiasme comme l’ont prouvé les rencontres autour de Christine Ockrent venue parler du système Poutine à la Librairie Kléber (salle archi-comble), le duo Alain Badiou / Marchel Gauchet débattant sur l’avenir de la Démocratie à l’Opéra du Rhin, la venue de la journaliste Florence Aubenas ou encore celle d’Enki Bilal (photo ci-contre), à l’Aubette, réunissant ses nombreux fans mais aussi nombre
de spectateurs attendant qu’il ne mâche pas ses mots quant aux dérives du monde actuel en matière de droits de l’Homme et d’écologie notamment. Espoirs comblés. Beaucoup à Strasbourg sont prêts à jouer le jeu pour peu qu’on leur fasse confiance et
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Chaque fin d’automne, le Forum mondial de la Démocratie pourrait donc concerner plus l’ensemble du grand public strasbourgeois. A chacun de s’emparer de cette opportunité et proposer des actions. Il reste onze mois… ◊
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IMMOBILIER
Philippe Simon
L e hau t de gamme reste attractif Au sein d’un secteur qui a rarement connu une telle morosité, le haut de gamme, du moins à Strasbourg, parvient à tirer son épingle du jeu. La preuve avec Black Swans, un programme-phare sur la presqu’île Malraux… /// TEXTE JEAN-LUC FOURNIER photos MÉDIAPRESSE - DR
En France, les ventes de logements neufs des promoteurs immobiliers ont une nouvelle fois reculé (- 11,2%) lors du troisième trimestre 2014, venant confirmer la sombre tendance du secteur du bâtiment. A Strasbourg, le haut de gamme reste néanmoins attractif. Au sein du programme Black Swans réalisé par la talentueuse architecte Anne Demians, les appartements de Blue Sky la première des trois tours de 50 mètres qui vont venir clore la belle perspective de la presqu’île Malraux, se sont très bien vendus comme en témoigne Philippe Simon, le directeur commercial grand Est d’Icade Promotion : « Nous avons même été un peu surpris par ce succès. Ce programme bénéficie d’une conjonction d’atouts qu’on n’enregistre finalement qu’assez rarement : la situation du site et de son grand parvis qui vient clore harmonieusement la presqu’île Malraux, a beaucoup joué en faveur du succès. De même que l’environnement semi-piétonnier et bien sûr, le tram à deux pas. Ici, on est comme ancré au pied du centre-ville, comme les péniches l’étaient autrefois au même endroit. Ce critère de l’emplacement a toujours été déterminant dans notre métier, mais il le devient encore plus avec un marché
qui se crispe et qui fait que nous n’avons plus le droit à l’erreur. Je crois qu’un autre élément a séduit nos clients : celui de l’ingéniosité de l’architecte. On a beau être dans des tours, les appartements bénéficient tous de vraies terrasses de 2,30 m voire 2,40 m de large, un atout assez rare dans ce type de construction. Enfin, notre mode constructif fait que nous pouvons facilement jumeler les espaces
pour proposer de vraies grandes surfaces en début de commercialisation, quitte à modifier nos offres en deuxième phase de commercialisation. C’est un vrai atout, indéniablement. » Un autre écueil a également été évité : « Ici, à Strasbourg, les gens ne sont pas habitués à appréhender ce genre d’habitat dans la verticalité. Alors, pour leur permettre d’imaginer les sensations qu’ils
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éprouveraient dans leur futur appartement, nous avons utilisé un remarquable film 3D réalisé par l’architecte elle-même qui s’est totalement investie à nos côtés dans ce projet. Ainsi, à n’importe lequel des 16 étages, notre client peut voir la réalité du panorama dont il bénéficiera s’il fait
l’acquisition de son appartement. Comme s’il était déjà à l’intérieur, protégé par la baie vitrée. C’est un atout remarquable en matière de commercialisation… » précise Philippe Simon en nous faisant découvrir ces images qui sont en effet très spectaculaires.
Succès du Blue Sky aidant, Icade Promotion enchaîne avec la commercialisation de la seconde tranche, la tour Blue Krystal, qui comporte des appartement du studio au cinq pièces et qui accueillera également en son sein une résidence étudiante. Quant à la troisième tour, sa commercialisation devrait débuter dans un an. Philippe Simon et ses équipes sont déjà en train d’affuter leur stratégie commerciale : « Aujourd’hui, il est devenu impératif d’anticiper en permanence nos politiques de commercialisation. La qualité du foncier reste primordiale mais il nous faut aussi bien anticiper sur la nature de la demande. Au vu de la qualité des prestations que nous offrons, si nous ne nous trompons pas sur ces objectifs, nous devrions pouvoir réaliser sans trop de problèmes la commercialisation cimplète de ce programme ambitieux… » conclut-il. Preuve que le site est réellement attractif, Icade Promotion vient de transférer son siège administratif et commercial à deux pas, avenue du Rhin. Avec vue directe sur « les cygnes noirs »… ◊
RÉCOMPENSE
Vi v iana S chrenck, po ur son accueil au restau rant La Pampa /// TEXTE BENJAMIN THOMAS photos MÉDIAPRESSE
« Hôtesse de l’année 2014 », un prix récemment décerné par le Guide Pudlowski, est venu reconnaître la belle chaleur humaine qui se dégage de l’accueil de Viviana. Evidemment souvent « au four et au moulin », elle n’hésite jamais à se faire l’ambassadeur de l’Argentine, vous parlant avec une réjouissante passion de son pays natal. Notre avis personnel vient confirmer ce choix : en matière d’accueil, il n’y a pas que le sourire, d’autant que certain(es) ont bien du mal, quelquefois, à en produire un de spontané. Il y a aussi cette chose invisible mais pourtant essentielle : la présence de la vraie gentillesse, l’amour des gens, du contact, du partage, de la rencontre... Tout cela, la plus argentine des espagnoloitaliennes de Strasbourg l’a en elle. Donc bravo, tout simplement. Et felicitationes ! ◊
Ah ! l’accueil dans nos restaurants alsaciens. Vaste et profond sujet de réflexion et source de bien des débats devant le constat de certaines pratiques pas toujours très professionnelles, dironsnous… Raison de plus de ne pas bouder notre plaisir devant la récompense plus que méritée reçue par Viviana Schrenck, la très sympathique hôtesse du restaurant La Pampa, la belle adresse de la rue du Faisan à Strasbourg, bien connue de tous ceux qui prisent la très bonne viande cuite à même la braise. Même si avec son associé Andres, Viviana se partage entre Le Moulin de la Wantzenau et La Pampa (leurs deux établissements), cette Argentine arbore un sourire ensoleillé en permanence, sans doute hérité de sa mère, espagnole d’origine et de son père, italien de naissance. 84
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PORT FOLIO Vincent Muller
Après deux écoles de photographie, Vincent Muller a eu l’occasion de travailler trois ans au sein de studios publicitaires, ce qui lui a permis d’approfondir sa compréhension des techniques d’éclairage et de lumière : une expérience bien utile quand il s’agit aujourd’hui de réaliser des clichés de produits de consommation, d’architecture ou d’objets d’art, par exemple. Après deux autres années passées en tant que directeur photo d’un magazine dont il assura également la mise en page, Vincent est devenu photographe indépendant en Alsace où il travaille régulièrement pour plusieurs agences. Nous vous présentons ici un de ses derniers reportages, en Indonésie, où il a porté un regard plein d’empathie pour les êtres humains qu’il a croisés… contact@vincentmuller.fr
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DROIT DE RÉPONSE Nous publions ici le droit de réponse que avons reçu de Me Schweitzer, avocat, agissant pour le compte de Madame Caroline Fuchs : « Conformément à l’article 13 de la loi de 1881 sur la presse et ce suite à l’article (non signé) intitulé « Ko Samui, l’Ile des cocotiers » paru dans votre édition de mars 2014. Dans cet article, vous évoquez le parcours d’un expatrié alsacien/thaï qui se trouve être l’ex-mari de Mme Fuchs. Ma mandante est directement mise en cause par cet écrit de sorte que conformément au texte visé supra, elle dispose d’un droit de réponse dont elle entend faire usage. (…) Vous avez permis à l’ex époux de réécrire le scénario de son départ et de chercher avec constance et obstination à attirer la compassion chez ses interlocuteurs. La seule évocation des nombreux charmes qu’offre la Thaïlande permet cependant à chacun, et sans trop d’effort, d’imaginer ce qui arrive à un homme qui, dans la force de l’âge et doté d’une aisance financière brutalement héritée, choisit cette destination pour des vacances en solo. A chacun sa lecture des faits et l’apaisement de sa conscience qui, quant à elle, réclame quelques efforts supplémentaires. Le pathos est à l’évidence plus présentable. (…) Vous avez relayé dans votre magazine les propos de Monsieur Noth qui sont à l’égard diffamatoires et surtout indécents vis à vis de leurs enfants à l’égard desquels, depuis bien longtemps, il a abandonné ses devoirs. Voici un aspect moins flatteur du personnage souriant et sympathique que vous présentez. (…) En tout état de cause, en l’état actuel des choses, je vous informe que ma mandante se réserve le droit d’agir en justice à l’encontre de Monsieur Noth au titre de ses propos diffamatoires. » La rédaction d’Or Norme, si ce n’est le fait d’avoir déjà signalé à l’auteur de ce droit de réponse, dès sa réception, que l’essentiel des propos publiés avaient été évidemment vérifié auprès de plusieurs personnes avant la parution de l’article, n’entend pas, à l’évidence aussi, intervenir dans une affaire privée de cette nature. La publication de ce droit de réponse clôt donc le sujet, en ce qui nous concerne.
BULLETIN D’ABONNEMENT À renvoyer soigneusement rempli, accompagné de votre chèque, à : MÉDIAPRESSE STRASBOURG ABONNEMENT OR NORME STRASBOURG 3 rue du Travail 67000 Strasbourg
ours numéro 15 / décembre 2014
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TIRAGE 15 000 exemplaires Tous déposés dans les lieux de passage de l’agglomération (liste des points de dépôt sur demande). Dépôt légal : DÉCEMBRE 2014. ISSN 2272-9461 magazine.ornorme.strasbourg