OR NORME STRASBOURG / L’INFORMATION AUTREMENT
numéro 18 / septembre 2015
BIBLIOTHÈQUES IDÉALES UNE SUPERBE PROGRAMMATION /// 24 PAGES P OU R N E RIE N RAT E R
STRASBOURG L’INTELLECTUELLE ? /// U N E RÉ P UTATION IN TACT E
DOSSIER
ORNORME STRASBOURG / septembre 2015
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SOMMAIRE SEPTEMBRE 2015 ORNORME 18
© François Foucras
36 - STRASBOURG L’INTELLECTUELLE ?
07 - ENTRETIEN AVEC BEATE ET SERGE KLARSFELD
38 - ALAIN BERETZ
10 - BIBLIOTHÈQUES IDÉALES
40 - JEAN-MICHEL FREYMANN 42 - STRASBOURG ET LA PSYCHANALYSE 45 - DANIEL LEMLER
47 - JEAN-PAUL COSTA
49 - NATHALIE LOISEAU 52 - GEORGES BISCHOFF
50 - NICOLAS LÉGER 54 - ROBERT GROSSMANN
56 - STANISLAS NORDEY 58 - STÉPHANE LITOLFF 60 - SERGE HARTMANN 62 - JOËLLE PIJAUDIER-CABOT 64 - SPYROS TSOVILIS 66 - ANNE BRASSEUR 68 - FRANÇOIS MICLO 70 - PIERRE KRETZ
72 - PASSIONS 72 - KUSTOM WORKSHOP 74 - HARLEY DAVIDSON DE GRANDS GOSSES 78 - JOURNALISTES EUROPÉENS 80 - BLACK ANGUS 82 - STÉPHANE LIBS 84 - SAX OPEN
88 - PORTFOLIO MICHEL FRIZ
E DI TO PAR JEAN-LUC FOURNIER
/// STRASBOURG, L’INTELLECTUELLE ? Septembre à Strasbourg. Comme partout ailleurs, le spleen de la rentrée (tout du moins pour celles et ceux qui sont partis…). Il faut « se remettre dans le bain », dit-on. Ca veut dire quoi au juste cette parole ? On croit en connaître le sens car elle est si commune mais, en y réfléchissant un tout petit peu, on en perçoit vite toute sa cruauté . Car les vacances sont encore là dans un coin de la tête : il y a, pour les plus chanceux, des souvenirs d’horizons lointains, de sourires et de rires baignés par la complicité entre amis, et d’un tas de bonnes et belles choses qu’il faut bien sûr préserver dans sa mémoire car tout est rare et précieux dans ce domaine. Mais il faut aussi les contenir car si tous ces moments si intensément vécus venaient à rester fixés au premier plan de notre mental, c’en serait vite fini de notre efficacité, de notre allant et de notre punch. « Se remettre dans le bain », c’est aussi se reconnecter à toutes sortes de réalités et, parmi elles, tout ce qui nous rattache à notre environnement habituel le plus fréquent. Les réseaux sociaux, par exemple. Ah ! comme on était bien en vacances, loin d’internet et même quelquefois sans la moindre connexion aux réseaux GSM. Le doux plaisir de laisser le mobile dans un tiroir pour une bonne dizaine de jours, quelle sensation extraordinaire… Au retour, de nouveau en ligne, on ne mettra pas longtemps à comprendre que certains ne déconnectent jamais, allant même jusqu’à nous infliger quotidiennement le récit détaillé de leurs occupations estivales. Quand l’égo, surdimensionné, parvient à faire croire qu’on est au centre des préoccupations de ses amis virtuels et qu’ils sont tous en hâte d’avoir de nos nouvelles, quand la question centrale au moment de bouger est « y’aura du wifi ? », ça s’appelle comment cette pathologie-là ?.. Septembre à Strasbourg. « Se remettre dans le bain », c’est aussi se plonger dans le programme d’une des plus belles manifestations de notre ville, les Bibliothèques idéales. Juste après les deux soirées-prologues des 4 et 5 septembre
avec Michel Serres, David Grossman et Stanislas Nordey, le programme du 10 au 20 septembre est littéralement éblouissant. Nous consacrons un nombre important de nos pages aux Bibliothèques idéales 2015 dont Or Norme est devenu partenaire car ces rendez-vous correspondent parfaitement, selon nous, à cette belle réputation intellectuelle dont bénéficie Strasbourg. C’est mérité, sans forfanterie. D’ailleurs, notre dossier Strasbourg l’Intellectuelle va vous le confirmer : nous y donnons la parole à celles et ceux, pas tous connus, chez qui nous savons tout le plaisir qu’ils ont à vivre, travailler, partager et vibrer à Strasbourg ! Mais, parce que Or Norme reste fidèle à sa réputation de vous surprendre en vous faisant connaître des personnages qui osent vivre toutes leurs passions, nous vous parlons aussi des amoureux de Harley-Davidson, d’un couple de jeunes entrepreneurs qui vont jusqu’au bout de leur passion des accessoires dédiés à la moto, du jeune patron d’une agence branchée à fond sur les nouveaux espaces numériques, de l’équipe des cinémas Star qui développe une impressionnante expertise en matière de programmation « art et essai ». Et de plein d’autres sujets encore… Nous avons pris un plaisir fou à réunir tout cela dans notre numéro de rentrée. Dites-nous tout ce qu’il vous inspirera, nous avons besoin de vos avis. Bonne lecture. Et restez Or Norme !
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ENTRETIEN
BEATE ET SERGE
KLARSFELD
/// ENTRETIEN JEAN-LUC FOURNIER PHOTOS JOËL SAGET - AFP - MEDIAPRESSE
“ NOUS AVONS APPRIS QUE NOUS ÉTIONS CAPABLES DE NOUS HISSER AU-DESSUS DE NOUS-MÊMES ”
Quel incroyable destin que celui de Beate et Serge Klarsfeld, ce couple né d’une soudaine rencontre sur un quai de métro parisien le jour-même de l’enlèvement d’Eichmann par un commando des services secrets israéliens à BuenosAires. Ils sont tous deux entrés au Larousse dès 1987. Serge Klarsfeld : « Avocat et historien » - Bette Klarsfeld : « Militante anti-nazie», disent les notices. « Ainsi, tout est dit » commententils modestement aujourd’hui. Tout, vraiment ? Non, pas tout à fait… Tout d’abord, et le hasard fait bien les choses, vous nous recevez dans vos bureaux parisiens ce 22 juillet, au lendemain même d’une cérémonie tout à fait particulière. Hier, à Paris, l’ambassadrice allemande en France vous remettait à tous les deux la médaille de l’Ordre allemand du Mérite. J’imagine, Beate, que cette reconnaissance a une saveur tout à fait spéciale pour vous… « Très certainement. Début 1969, après l’affaire de la gifle au chancelier Kiesinger, un tribunal allemand m’avait condamnée à un an de prison. Et bien voilà : quarantesept ans plus tard, mon pays nous distingue. J’y vois une nouvelle fois la preuve que l’Allemagne a eu du mal à prendre la mesure du crime commis
dans les années qui ont suivi la fin de la seconde guerre mondiale. Ca s’est fait peu à peu… Je me souviens par exemple qu’au début des années soixante-dix, à Berlin, on refusait même d’honorer la mémoire de Hans et Sophie Scholl, ces deux jeunes qui avaient appelé à la résistance contre les nazis et qui ont été exécutés à la hache à Cologne. Dans ces années-là également, il y avait nombre d’allemands qui avaient résisté et qui devaient se battre pour que l’Etat leur accorde des pensions… Ce geste de l’Etat allemand vient aussi récompenser une action qui ne s’est jamais démentie. Tous deux, vous avez été très constants dans ce combat, dès votre rencontre… Serge : « Oui, la constance paie, si on peut dire. Mais cela vaut pour le bien comme pour le mal. Quelque part, ce combat est un combat sans fin. Il est à la mesure de la tragédie qui a eu lieu… « Mémoires », ce livre que vous publiez, témoigne de cette vie de combats et d’engagement. Curieusement, vous n’étiez pas convaincus qu’il fallait qu’il existe, vous vous êtes en quelque sorte fait tirer l’oreille pour l’écrire… Serge : C’est tout à fait exact et c’est pour une raison très simple : nous avons toujours écrit pour les autres, pour que la mémoire de celles et ceux qui ont disparu ne s’éteigne pas. Oui, nous avons eu du mal à nous résoudre à écrire sur nous-mêmes. Pour nous, ce fut un gros boulot pas très enthousiasmant à réaliser : raconter ce que nous avons fait et nos états d’âme personnels, ce n’était pas notre tasse de thé. Et puis, tant d’articles de journaux, tant d’interviews de télé ou de radio sont disponibles sur notre action. Cela nous paraissait bien suffisant. Mais
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voilà: nous avions, il y a pas mal de temps, signé un contrat et perçu une avance de la part d’un éditeur, on s’est un peu retrouvé prisonniers de tout cela. On a donc écrit ce livre. Pour être tout à fait franc, on aurait adoré qu’un grand biographe comme Jean Lacouture qui vient de disparaître, s’attaque à cette tâche. On lui aurait confié toute la documentation nécessaire et c’est lui qui aurait alors écrit !.. Sans cette rencontre, en 1960, sur ce quai de métro, pensez-vous tous deux que votre destin aurait été différent ? Si vous n’aviez pas formé ce couple si uni et si déterminé, auriez-vous chacun de votre côté mené autant d’actions, initié autant de combats ? Serge : Non, sûrement pas, je suis formel. Ce couple entre un Français juif et une Allemande non juive m’a donné à moi cent fois plus d’énergie que si j’avais été seul. Car on a été projeté dans l’action par la force d’une situation exceptionnelle… Beate : Sans la rencontre avec Serge, je serai rentrée en Allemagne après ma révocation de l’Office franc-allemand pour la jeunesse qui m’employait. Cette révocation a été provoquée par des articles que j’avais signés dans le journal Combat dans lesquels j’évoquais et dénonçais le rôle de Kiesinger durant les années du nazisme. Cette décision de me révoquer a d’ailleurs été le fait d’un ancien déporté français… Même si cet événement avait déclenché en moi une grande colère, je lui dis merci aujourd’hui. Car de retour en Allemagne, je n’aurais sans doute pas échappé alors aux destins des femmes allemandes, les fameux trois K : Kirche (l’église), Küch(la
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cuisine) et Kinder (les enfants). Vous savez, à l’époque où je rencontre Serge, je réalise vraiment que l’Allemagne, mon pays, refuse d’affronter son passé récent et de prendre ses responsabilités. Nous sommes dans les années de la guerre froide, l’Allemagne est coupée en deux blocs et, ayant vécu à Berlin, je me rappelle qu’alors, pour nous, l’ennemi n’était pas les anciens nazis mais les communistes. En ce qui me concerne personnellement, je ne me sentais pourtant coupable de rien. Je suis née en 1939, mon père n’a jamais été nazi. Mais je me sentais néanmoins responsable moralement et historiquement aussi des crimes commis au nom du peuple allemand. Mon engagement auprès de l’Office franco-allemand était porteur de sens : j’avais bien conscience qu’on pouvait ainsi rapprocher les deux peuples. La révocation actée, Serge m’a tout appris en matière d’activisme… Nous avons alors formé un couple très déterminé.
d’une horde de néo-nazis… Paradoxalement, j’étais assez décontracté ce jour-là et c’est très certainement grâce à ça que je ne me souviens pas avoir ressenti violemment les coups que j’ai pris. En fait, ça a quand même été un passage à tabac en règle. Il me semble que j’ai pris des risques bien plus conséquents ensuite, au Liban, en Iran, en Syrie, ou en République serbe de Bosnie, par exemple… J’ai plus craint les policiers qui se sont toujours trouvés sur mon chemin, surtout ceux de bas étage qui croyaient souvent être assurés de l’impunité…
Et vous avez manifestement vite retenu les leçons de votre mari. Le monde entier a appris votre existence le 7 novembre 1968. Ce jour-là, vous giflez violemment le chancelier Kiesinger en plein congrès du parti chrétien-démocrate à Berlin. Dans le livre, vous dites ne pas avoir très bien mesuré les risques que vous avez alors pris… Je ne me rendais pas bien compte de cela, en effet. Il faut quand même se souvenir que Robert Kennedy
Votre livre de mémoires raconte bien sûr très en détail la traque des criminels de guerre comme Lichska, Klaus Barbie et même Aloïs Brunner réfugié en Syrie. Aujourd’hui encore, lors que vous nous recevez dans vos bureaux de la Fédération des Filles et Fils de Déportés Juifs de France à Paris, on ressent toujours la même impression vous concernant. Celle d’être devant un couple en acier, indestructible… Beate : Serge est juif, son père a été déporté et est mort à Auschwitz. Evidemment, il a toujours agi en raison de cela. En ce qui me concerne, je suis la fille d’un peuple qui a déclenché la seconde guerre mondiale, commis des crimes abominables et qui a fait disparaitre plus de six millions de juifs. Cette double symbolique a donc compté, elle a été efficace dans notre action à tous les deux et c’est sans doute pour cela que nous n’avons jamais rien lâché. Nous le disons d’ailleurs dans le livre : nous avons appris par notre expérience vécue que nous étions capables de nous hisser au-dessus de nous-mêmes. Comme les résistants de l’époque qui ne se sont pas posés de questions sur la mise en danger de leur propre vie : ils ont fait ce qu’ils devaient faire, voilà…
“ C’EST FAIRE QUI EST
On peut aussi parler des attentats dont vous avez été les cibles… Le premier a été celui du colis piégé. Ce jour-là, en 1972, ni ma mère ni Beate ne sont présentes à mes côtés. Si ma mère l’avait été, j’aurais ouvert le paquet et là… Au lieu de ça, mû par un pressentiment, j’ai amené le paquet au commissariat de police. En 1979, en effet, ma voiture a été piégée de telle façon que la charge explose au moment du démarrage. Heureusement, tout cela ayant été mal réglé, la bombe a explosé en pleine nuit. Qui était derrière tout ça ? On ne l’a jamais su avec certitude. Très probablement d’ex-nazis ou partisans des nazis…
AU-DESSUS DE TOUT. SEULS LES ACTES COMPTENT... ” venait d’être assassiné à Los Angelès et que Rudi Dutschke, un étudiant en sociologie et activiste, s’était fait tirer dessus à trois reprises le 11 avril précédant… Kiesinger était donc protégé par des gardes du corps armés mais j’ai pu accéder à la rangée où il était assis grâce à un photographe qui m’avait prêté sa carte de presse. Je l’ai alors giflé violemment, le lendemain il avait d’ailleurs l’œil au beurre noir. Ce geste a faite tour du monde et l’image est devenue symbolique, surtout pour les jeunes allemandes : j’avais l’âge des filles d’anciens nazis qui voulaient sans doute, dans leur inconscient, infliger la même punition à leur père. Cela m’a valu une condamnation à un an de prison mais en raison de ma double nationalité, je n’ai pas été emprisonnée. Un an plus tard, Willy Brandt, jusqu’alors le bourgmestre de Berlin et ancien résistant au nazisme, est devenu chancelier et m’a amnistiée aussitôt. Dans ce même registre des risques pris, vous-même, Serge, n’avez pas été en reste. Je pense notamment à cet épisode de la brasserie munichoise où, seul, vous venez dénoncer frontalement la présence
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Soixante-dix ans se sont écoulés depuis les tragédies de la seconde guerre mondiale. Vous avez consacré votre vie à la traque des criminels nazis mais où en est-on aujourd’hui ? Seuls quelques subalternes très âgés peuvent encore être jugés… Serge : L’Allemagne a changé et ce ne sont pas non plus les mêmes Allemands qu’il y a cinquante ans. Pour juger les subalternes, la justice allemande a élargi le champ de la notion de crime contre l’Humanité. Mais là-dessus, il y a eu un appel et la Cour Suprême allemande n’a pas encore jugé. Oskar Gröning, l’ancien comptable d’Auschwitz âgé de 94 ans, a été condamné à quatre ans de prison pour « complicité » dans le meurtre de 300 000 juifs. Il était comptable, il n’a fait que compter… Mais Werner Christukat, le mitrailleur d’Oradour-sur-Glane, aujourd’hui nonagénaire, a vu son non-lieu confirmé par la Cour d’Appel de Cologne, l’acte d’accusation n’était parait-il pas suffisant… (Werner Christukat avait été inculpé en janvier 2014 pour le «meurtre en réunion» de 25 personnes et pour «complicité de meurtres» concernant des centaines d’autres victimes, au cours de la pire exaction commise en France par la Waffen-SS pendant la Deuxième guerre mondiale - ndlr). Ces subalternes sont sans doute encore des milliers qui vivent encore. Aujourd’hui, nous sommes dans une forme de militantisme de la mémoire mais nous gardons la même conviction : ne jamais rien lâcher… Aujourd’hui, on assiste à une recrudescence des actes d’antisémitisme en France… Serge : Il y a trente ans, il y avait déjà des attentats antisémites un peu partout en Europe. Mais aujourd’hui, ce sont des attentats commis
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par des Français. En France, à l’Hyper Casher de la porte de Vincennes, à l’école de Toulouse, dans le cas d’Ivan Halimi, on tue des juifs parce qu’ils sont juifs. C’est profondément choquant et inquiétant. L’intégration d’une partie des jeunes musulmans a été complètement ratée et le fondamentalisme radical est en train de les conquérir. Bien sûr, il est très difficile de savoir quel est le pourcentage de jeunes musulmans susceptibles de passer à l’acte. S’il y en avait beaucoup, on peut penser qu’il y aurait beaucoup plus d’attentats et ce n’est heureusement pas le cas. Nous vivons une période d’une grande complexité et en tout cas très incertaine. Difficile de savoir également si les mots d’ordre viennent de l’extérieur ou si ce sont des gens qui sont revenus de Syrie ou pas partis qui prennent les initiatives… Sur les cinq ou six millions de musulmans qui vivent en France, une partie s’est tournée vers l’islamisme radical mais il est impossible de la quantifier exactement. Beate : Moi, je pense qu’ils veulent détruire la démocratie. La France est un symbole car le pays s’est engagé partout… Récemment, vous avez pris vigoureusement position sur le problème de la montée du Front National. Vous avez même évoqué un départ de France si Marine Le Pen accédait au pouvoir… Serge : Et je le maintiens. Il faut prendre cette menace très au sérieux. L’élection présidentielle en France repose beaucoup sur les personnalités qui se présentent et c’est pourquoi le FN peut gagner si la réaction républicaine venait à manquer ou défaillir… Quand il y a eu le second tour Chirac - Le Pen, le réflexe républicain a bien fonctionné mais si un tel cas de figure venait à se remettre en place, j’ai des doutes sérieux sur l’issue. En tout cas, je vais m’engager à fond là-dedans, j’irai dans le sud soutenir Estrosi pour qu’il batte le FN, de même dans le nord, j’irai soutenir Xavier Bertrand. Si un socialiste veut de nous, on sera là aussi, l’important c’est que le FN soit battu… Beate : Ce que je veux simplement ajouter, c’est que nous allons nous battre pour défendre les valeurs républicaines, c’est terriblement important! Marine Le Pen dit avoir pris des distances avec les positions de son père. Vous y croyez ? Beate : Pas une seconde, je ne crois pas une seconde à ce qu’elle dit ! Serge : Un parti d’extrême droite restera toujours un parti d’extrême droite. Xénophobe et antisémite. Obligatoirement antisémite… Ces mois derniers, on a également souvent pu lire des parallèles entre la montée des périls dans les années trente et les événements que nous vivons aujourd’hui, notamment avec cette crise économique et financière qui nous accable. Vous-même, quelle analyse faitesvous de la situation actuelle ? Serge : Le point commun entre les années trente et cette seconde décennie du XXIème siècle est que les démagogues ont beau jeu !… Cela rejoint votre question sur Marine Le Pen et la montée du Front National. En 1928, Hitler avait quatorze députés, un peu plus tard ils étaient 130 et le parti nazi a eu la majorité en 1933. Tout ce que nous vivons aujourd’hui, la crise économique, l’islamisme radical favorise la montée en puissance des discours
simplistes et démagogues. Marine Le Pen surfe sur tout ça de même qu’Hitler et ses sbires ont surfé sur les conséquences de la dépression économique pour asseoir leur pouvoir en Allemagne. Ce qui est très dangereux, c’est le refus de l’Europe qui risque d’engendrer le retour des nationalismes. Quand nous rencontrons les jeunes, nous essayons de les sensibiliser pour qu’ils se battent contre les injustices et pour qu’ils prennent position. Là, sous mes yeux, au moment où je vous questionne, il y a le Mémorial de la Déportation des Juifs de France cet imposant pavé que vous avez publié en 1978 et que vous venez de réactualiser. C’est un travail colossal… Serge : Il symbolise bien notre militantisme pour la mémoire. Cet ouvrage rassemble les références des familles, souvent déportées séparément, et dresse le bilan le plus précis possible de cette immense tragédie humaine. 75 500 Juifs ont été déportés sur les 320 000 qui vivaient en France au début de l’Occupation. 2 500 environ ont survécu. L’édition originale contenait de nombreuses erreurs et lacunes, ce qui est compréhensible puisqu’il s’agissait de publier, convoi par convoi, les listes alphabétiques des déportés, souvent d’origine étrangère, aux patronymes difficiles à orthographier. Souvent aussi, les dates de naissance manquaient. Pour dresser le plus précisément possible le bilan humain de la solution finale, pour lutter contre l’oubli, il était donc nécessaire d’aller plus loin. Ce mémorial a eu un impact formidable, les enfants ont ainsi revécu, ils n’ont pas été jetés à la poubelle de l’Histoire mais sont redevenus au contraire sujets de l’Histoire. Pour les adultes, nous avons pu rassembler les familles grâce notamment à l’adresse du lieu de leur arrestation. Ce travail va pouvoir être continué, notamment par les historiens et il illustre bien ce que Beate et moi développons depuis notre rencontre : c’est faire qui est important, c’est faire qui est au-dessus de tout. Seuls les actes comptent… » ◊
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Pages coordonnées par Jean-Luc Fournier Rédaction : Erika Chelly – Alain Ancian – Benjamin Thomas
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Photos : Médiapresse - Alban Hefti - M. Lionstar - F. Mantovani B. Charoy – Witi de Tera/Opale – Mondino - P. Normand S. Picard O. Vigerie/Canal+ - S. Ozer Gunday - R. Askarizadeh - C. Hélie H. Triay – O. Roller – R. Frankenberg - A di Crollalanza - J. Bourgault ORNORME STRASBOURG / septembre 2015 F. Stucin – C. Vollmer – S. Lefebvre E. Robert-Espalieu M. Rougemont S. Zhang – E. Briere – T. Dorn - JF. Paga - B. Matussière
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LE CADEAU DE LA RENTRÉE Nous avons de la chance à Strasbourg ! Chaque année, le reste de la France fait sa rentrée en traînant plus ou moins les pieds. C’est un peu le cas chez nous aussi mais, au moins, nous avons les Bibliothèques idéales ! Le bel événement strasbourgeois, la maturité aidant, possède même quelques vertus insoupçonnées. Tiens, rappelez-vous l’année dernière : c’était donc la rentrée, comme d’habitude, et Strasbourg sortait d’un mois d’août hyper pourri côté météo (pluies incessantes et température de freezer). Et comme si ça ne suffisait pas, avec ses 607 romans disponibles en librairie, la rentrée littéraire d’il y a un an était littéralement écrabouillée par un seul livre ! Mais attention : pas n’importe lequel, un livre majeur signé par un auteur d’exception, Valérie Trierweiller qui nous (lui) susurrait à l’oreille un suave et vicieux Merci pour ce moment. Heureusement pour nous autres Strasbourgeois, les Bibliothèques idéales et leur cortège d’auteurs sont venues très vite adoucir cette punition supplémentaire d’une rentrée qui, traditionnellement, n’en manque pourtant pas… Des deux soirées de prologue les 4 et 5 septembre derniers avec David Grossman, Stanislas Nordey et Michel Serres à la totalité des rendez-vous (près de 80 ! ) proposés lors de dix jours successifs, nous allons pouvoir vivre de nouveau la magie des moments uniques proposés par une manifestation elle aussi unique en son genre. Car, à Strasbourg, nous ne sommes pas dans une de ces foires du livre où les auteurs doivent se contenter de signer des autographes à la chaîne, à peine entrecoupés des désormais incontournables selfies. Aux Bibliothèques idéales, chaque auteur est « comme un poisson dans l’eau » entre interviews publiques de qualité voire même sessions « carte blanche » avec les artistes qu’il a très souvent lui-même choisis. C’est cela le secret et la magie de cette manifestation qui sert si bien l’image de notre ville. Or Norme est devenu partenaire de ces rendez-vous et nous sommes très fiers de vous les présenter ici en détail, juste façon de vous donner une envie irrésistible d’y participer. Venez, on se serrera un peu plus pour vous accueillir, vous goûterez à cette ambiance privilégiée, vous partagerez ces moments rares autour de la littérature qui « nous aide à décrypter le temps et à interroger nos croyances », comme le dit si joliment le texte d’introduction du programme officiel. La rédaction de Or Norme assurant également les interviews lors de quelques-une des sessions au programme, n’hésitez pas alors à nous solliciter. C’est avec plaisir que nous ferons connaissance… JEAN-LUC FOURNIER Directeur de la rédaction de Or Norme
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BEATE ET SERGE KLARSFELD UN COUPLE MYTHIQUE POUR UNE SUPERBE SOIRÉE D’OUVERTURE /// JEUDI 10 SEPTEMBRE 17H00 - AUBETTE
Syrie, Kurt Waldheim, le secrétaire général des Nations Unies, ex-nazi, mais aussi le milicien Touvier, le collaborateur Bousquet, l’ex-ministre giscardien Papon… tous les engagements et les combats menés par ce couple mythique sont révélés par le menu. Il n’y aura pas trop des 90 minutes de cette session d’ouverture des Bibliothèques idéales 2015 pour questionner Beate et Serge Klarsfeld et, pour les plus jeunes d’entre nous, prendre la mesure de leur actions exceptionnelle qui se poursuit aujourd’hui avec la permanence du combat en faveur de la mémoire des victimes de ces tragédies. ◊ Interview : Jean-Luc Fournier (Or Norme)
Ils sont dans le Petit Larousse depuis près de vingt ans. Lui y est présenté comme « avocat et historien » et elle comme « militante anti-nazie ». « L’essentiel est là », disent-ils très modestement aujourd’hui. Mais, depuis leur rencontre amoureuse le 11 mai 1960 (le jour même de l’enlèvement d’Eichmann à Buenos-Aires par les Israéliens, l’histoire n’est quelquefois pas avare de clin d’œil !) sur un quai de la station de métro Porte de Saint-Cloud, le couple Klarsfeld n’a cessé d’agir pour que les crimes des nazis ne restent pas impunis. Presque en se forçant (ils le disent dans l’entretien qu’ils nous ont accordé, lire page 6), Beate et Serge Klarsfeld ont donc fini par céder aux sirènes de leur éditeur et ont écrit leur pavé « Mémoires », presque 700 pages où, avec un luxe de détails impressionnant, ils racontent tout de leurs combats. Les noms connus défilent : Kiesinger, giflé à Berlin (le premier coup d’éclat de Beate), Lischka, traqué sans répit, Klaus Barbie, le boucher de Lyon et l’assassin des enfants d’Yzieux, Aloïs Brunner dont la piste s’est arrêtée en
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Photos page de droite 1. La célèbre gifle de Beate Klarsfeld infligée au chancelier Kiesinger. 2. Le couple quelques années après leur mariage. 3. Serge Klarsfeld agressé par des pro-nazis dans une brasserie munichoise. 4. Très tôt, Beate et Serge Klarsfeld se sont opposés au Front National.
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VENDREDI 11 SEPTEMBRE
NICOLAS DOHRMANN
PRÉSENTE CLAIRVAUX, L’AVENTURE CISTERCIENNE /// JEUDI 10 SEPTEMBRE 19H00 LIBRAIRIE DES BATELIERS Fondée en 1115 aux confins de la Champagne, l’abbaye de Clairvaux connaît rapidement un rayonnement extraordinaire. Pour la première fois, un ouvrage présente les différentes périodes de son histoire : sa confiscation sous la Révolution, l’expulsion des derniers moines, et sa transformation en maison centrale de détention en 1811. ◊
L’ÉVÉNEMENT BOUALEM SANSAL
2084, LA FIN DU MONDE
MARYSE CONDÉ
ET LES SIENS
/// JEUDI 10 SEPTEMBRE 18H30 - AUBETTE AVEC GERTY DAMBURY EN PRÉSENCE DE LA COMÉDIENNE SONIA EMMANUEL, DE LA CHANTEUSE LEILA BRÉDENT ET DU MUSICIEN PHILIPPE MAKAIA. Elle est assurément le trésor national de la Guadeloupe. Ses livres, lus dans le monde entier, interrogent la mémoire de l’esclavage et du colonialisme et les identités fragiles de la diaspora. A l’origine de la Journée de commémoration de l’esclavage, Maryse Condé était proche de Césaire et de Fanon. ◊
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/// JEUDI 10 SEPTEMBRE 20H00 - AUBETTE Depuis toujours, les Bibliothèques idéales ont accompagné l’écrivain algérien Boualem Sansal et salué son audace et ses combats. Son nouveau livre fait déjà l’événement. L’Abistan, immense empire, tire son nom du prophète Abi, «délégué» de Yölah sur terre. Son système est fondé sur l’amnésie et la soumission au dieu unique. Toute pensée personnelle est bannie, un système de surveillance omniprésent permet de connaître les idées et les actes déviants. Officiellement, le peuple unanime vit dans le bonheur de la foi sans questions. Le personnage central, Ati, met en doute les certitudes imposées. Il se lance dans une enquête sur l’existence d’un peuple de renégats, qui vit dans des ghettos, sans le recours de la religion… Au fil d’un récit débridé, plein d’innocence goguenarde, d’inventions cocasses ou inquiétantes, Boualem Sansal s’inscrit dans la filiation d’Orwell pour brocarder les dérives et l’hypocrisie du radicalisme religieux qui menace les démocraties. ◊
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VENDREDI 11 SEPTEMBRE
YOLANDE RUFFENACH-JUNG
BEETHOVEN LA LETTRE À ELISE
/// VENDREDI 11 SEPTEMBRE A PARTIR DE 16H LIBRAIRIE DE LA PRESQU’ILE Écrite et illustrée par Yolande Ruffenach- Jung, Beethoven, la lettre à Elise nous entraîne dans l’univers du musicien qui a réussi à surmonter sa surdité et à composer des musiques d’un niveau exceptionnel. Nicolas Jung, professeur de piano, viendra interpréter quelques morceaux de Beethoven pendant la rencontre. ◊
FRÉDÉRIC BEIGBEDER ET SIMON LIBERATI /// VENDREDI 11 SEPTEMBRE 17H - AUBETTE
MARIE QUAND VIENT L’ORAGE /// VENDREDI 11 SEPTEMBRE 16H30 - SALLE MAIF A L’INIATIVE DE LA LIBRAIRIE EHRENGARTH Spécialiste de la littérature de fantaisie pour les adolescents, traductrice de nombreux romans pour la jeunesse, dont Eragon, Marie-Hélène Delval nous présente son dernier roman. ◊
Conversations d’un enfant du siècle (Frédéric Beigbeder) et Eva (Simon Liverati) : deux livres de deux écrivains hors norme, amis dans la vie et ardents défenseurs du livre, de l’indépendance et de la liberté de penser qu’apporte la lecture. « Les écrivains sont des gens très seuls, n’hésitez pas à leur offrir un verre et les écouter bien poliment, en hochant la tête de temps à autre. Vous verrez, c’est mieux qu’une séance de yoga – c’est fou comme on se sent bien en écoutant les dernières personnes intelligentes sur terre. » On souscrit à cette citation de Beigbeder qui convoquant pour l’occasion une belle brochette d’écrivains rencontrés entre 1999 et 2014. De son côté, Simon Liberati écrit le portrait romancé d’Eva Ionesco, connue pour avoir été dans son enfance le modèle dénudé de sa mère Irina Ionesco. Il explore toutes les facettes dissimulées sous une apparence de femme fatale fardée et apprêtée, découvrant une femme fragile et téméraire dont il tombe amoureux… Une des grandes soirées des Bibliothèques idéales 2015 ! ◊ Interview : Vanessa Tolub
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VENDREDI 11 SEPTEMBRE
LA FINE FLEUR DU POLAR
FRANCK THILLIEZ NATHALIE HUG JÉRÔME CAMUT /// VENDREDI 11 SEPTEMBRE 17H30 - FNAC Retrouvez trois grands noms du polar pour une rencontre exceptionnelle autour des grandes thématiques du polar français. Franck Thilliez est aujourd’hui l’un des maîtres incontestés du polar. Il vient de publier son nouveau roman Pandemia (Fleuve Noir). Il sera accompagné de deux auteurs en pleine explosion, Nathalie Hug et Jérôme Camut qui viennent de publier Le mal par le mal, tome 2 de la série W3. ◊
CHEMINS DE TRAVERSE
JEAN-LUC NANCY ET JEAN-CHRISTOPHE BAILLY
L’UNE EST ÉCRIVAIN L’AUTRE CHANTEUSE
DELPHINE DE VIGAN ET LA GRANDE SOPHIE /// VENDREDI 11 SEPTEMBRE 17H - AUBETTE /// VENDREDI 11 SEPTEMBRE 18H30 - AUBETTE Deux intellectuels majeurs s’interrogent sur la littérature et la poésie. La vision poétique permet d’être attentif aux échos du monde, aux ouvertures possibles, hors des clôtures. Et de ne pas rester sur le seuil. Conversation entre Jean-Luc Nancy et JeanChristophe Bailly, animée par Isabelle Baladine. ◊
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L’une a publié six romans, l’autre a enregistré six albums. L’une a rencontré un large succès critique et public, l’autre aussi. L’une est brune, l’autre est blonde. L’une avait envie de partager un moment avec l’autre, que leurs voix et leur univers se mêlent. L’autre a dit oui. Rencontre avec Delphine de Vigan et son livre D’après une histoire vraie animée par Bénédicte Junger suivie d’une lecture musicale avec La Grande Sophie. ◊
ORNORME STRASBOURG / septembre 2015
RILKE - PASTERNAK - TSVETAÏEVA
JEAN-CLAUDE CARRIÈRE ET JACQUES ARNOULD CROYANCE, CERTITUDE SANS PREUVE /// SAMEDI 12 SEPTEMBRE 14H30 - AUBETTE Jean-Claude Carrière et Jacques Arnould vont réfléchir ensemble sur la croyance. Une rébellion individuelle, ou au contraire un ralliement à un groupe, à une secte ? Un réconfort ou une aberration ? Jean-Claude Carrière est scénariste, dramaturge et écrivain (La Controverse de Valladolid, Le Mahabharata), il présentera son dernier livre, Croyance. Jacques Arnould est historien des sciences et théologien et vient d’écrire Sous le voile du cosmos. ◊
CORRESPONDANCE À TROIS /// SAMEDI 12 SEPTEMBRE 15H30 - AUBETTE Pendant quelques mois, trois des plus grands poètes de leur temps entretiennent une correspondance, intimement reliée à leur oeuvre respective. Pasternak est cloué à Moscou, Tsvetaïeva en France et Rilke en Suisse où il meurt lentement. Seuls Pasternak et Tsvetaïeva se connaissent bien. Rilke n’a jamais rencontré Tsvetaïeva et connaît à peine Pasternak. L’isolement de chacun et l’absence de tout contact favorisent l’exaltation, l’idéalisation, le sublime... mais aussi les drames, la susceptibilité, la jalousie, le remords et les ruptures. Lecture avec Emmanuel Béart, Stanislas Nordey (TNS) et Laurent Poitrenaux. ◊
LE TWEET À TOUTE HEURE
RENÉE HALLEZ /// SAMEDI 12 SEPTEMBRE A PARTIR DE 15H LIBRAIRIE DE LA PRESQU’ILE Renée Hallez s’est installée à Strasbourg voici plus de 25 ans. Chargée de mission dans une grande collectivité territoriale et avocate, elle cultive avec bonheur chiffres et mots. Elle nous présente son dernier roman policier alsacien Tweet à toute heure, (Éditions du Bastberg, Haguenau, 2015) qui se déroule à Plobsheim. ◊
MATHIEU SAPIN RETOUR AUX ORIGINES /// SAMEDI 12 SEPTEMBRE 16H - FNAC Né en 1974 à Dijon, Mathieu Sapin entre aux Arts décoratifs de Strasbourg, où il crée, pour un petit magazine de l’école, Supermurgeman, qui deviendra son personnage fétiche. C’est aujourd’hui un grand nom de la BD française avec Le Château, Un an dans les coulisses de l’Eysée (Dargaud). Aucun style n’effraie celui qui partagea l’atelier de la Société nationale de bande dessinée avec Christophe Blain, Riad Sattouf et Joann Sfar. ◊
ORNORME STRASBOURG / septembre 2015
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SAMEDI 12 SEPTEMBRE
DOSSIER
SAMEDI 12 SEPTEMBRE
CLAUDE HALMOS PARLER C’EST VIVRE /// SAMEDI 12 SEPTEMBRE 18H - AUBETTE
ANDRÉ COMTE-SPONVILLE DANIEL COHEN «PHILOSOPHER, C’EST PENSER PAR SOI-MÊME, MAIS PAS TOUT SEUL.»
Psychanalyste formée par Jacques Lacan et Françoise Dolto, Claude Halmos est une spécialiste reconnue de l’enfance et de la maltraitance. Elle travaille également sur les ravages psychologiques de la crise. Les souffrances psychologiques issues de la vie sociale sont aussi invalidantes que celles qui viennent de la vie privée. La crise, le chômage, l’incertitude du lendemain ont des effets délétères sur la santé psychique auxquels la psychanalyse peut permettre de résister. Connue pour ses interventions sur France Info et dans Psychologies, elle a déjà écrit de nombreux livres sur ces questions. Rencontre avec Claude Halmos, Josiane Bigot et Claude Schauder. ◊
UN SOMMET ABSOLU DE LA POÉSIE RUSSE
/// SAMEDI 12 SEPTEMBRE 16H30 - AUBETTE Le philosophe André Comte-Sponville, l’auteur du Traité du désespoir et de la béatitude nous parlera de politique, de civilisation, de diversité des cultures et d’éthique. Il vient de publier C’est chose tendre que la vie. L’économiste de renom Daniel Cohen, directeur du département d’économie de l’École normale supérieure, nous entraînera dans un long voyage au cœur de la compréhension du désir humain et des mécanismes du bien-vivre ensemble en s’appuyant sur son dernier ouvrage Le monde est clos et le désir infini. ◊
LE REQUIEM D’ANNA AKHMATOVA ET BENJAMIN BRITTEN
CLOTILDE COURAU FRAGMENTS D’UN DISCOURS AMOUREUX /// SAMEDI 12 SEPTEMBRE 18H - AUBETTE Les Bibliothèques idéales rendront hommage à Roland Barthes à plusieurs reprises. Mais dès ce 12 septembre, voici le plus merveilleux des Abcdaires amoureux ! En exclusivité pour les Bibliothèques idéales, Clotilde Courau lit les Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes en compagnie de Lionel Suarez, accordéoniste. ◊
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/// SAMEDI 12 SEPTEMBRE 20H30 - AUBETTE La grande violoncelliste et l’immense traducteur sont réunis aux Bibliothèques idéales pour une soirée unique et engagée. « Nous nous sommes rencontrés, Sonia Wieder Atherton et moi, autour des poèmes de Mandelstam et d’Akhmatova, et nous nous sommes dit que ce serait bien de travailler ensemble, pour évoquer le Requiem d’Anna Akhmatova, cette suite de poèmes écrits et tout de suite appris par coeur, pour qu’il n’en existe pas de manuscrit, sur la terreur stalinienne. Un sommet absolu de la poésie russe. Il s’agira de faire entendre la résistance de tout un peuple ». Concert-Lecture avec Sonia Wieder-Atherton, violoncelliste et André Markowicz, poète et traducteur. ◊
ORNORME STRASBOURG / septembre 2015
BRIGITTE GIRAUD ET HYPPOLITE GIRARDOT NOUS SERONS DES HÉROS Nous serons des héros est un roman qui dit l’exil, la langue et le pays perdu, le sentiment d’étrangeté. Comment devenir un homme, en l’absence du père, mort en héros dans les geôles de Salazar, sous le regard de sa mère, devenue veuve ? Comment se construire quand on est un adolescent confronté à son impossible virilité ? Et accepter, dans un milieu ouvrier de la fin des années 70, d’être attiré par un autre garçon, de surcroît immigré algérien ? Rencontre avec Brigitte Giraud, Nous serons des héros. Lecture d’Hippolyte Girardot. ◊
DIMANCHE 13 SEPTEMBRE
/// DIMANCHE 13 SEPTEMBRE 14H - AUBETTE
/// DIMANCHE 13 SEPTEMBRE 15H - AUBETTE
CAROLE MARTINEZ ET AGNÈS DESARTHE DEUX FEMMES, DEUX DESTINS Deux destins se dessinent, se tissent, s’étiolent et s’échappent parfois. Carole Martinez nous emmène au domaine des Murmures aux côtés de Blanche, petite fille du Moyen Âge à la destinée tragique. Agnès Desarthe raconte avec poésie et dérision le voyage de Rose à travers le Paris du début du XXème siècle : l’affaire Dreyfus, les années folles, la naissance du féminisme... Rencontre avec Carole Martinez, La Terre qui penche (Gallimard), Agnès Desarthe, Ce coeur changeant (Éditions de l’Olivier) animée par Bénédicte Junger. ◊
EMMANUEL TODD CATHERINE COQUIO DANIEL LEMMLER
NOUS SERONS DES HÉROS
RENCONTRE AVEC
/// DIMANCHE 13 SEPTEMBRE 16H - AUBETTE
ZOÉ VALDEZ
Emmanuel Todd est historien et anthropologue. Il a notamment publié Le destin des immigrés, Après la démocratie et Qui est Charlie ? (Seuil). Il propose d’identifier les causes qui nous ont menés au bord du gouffre pour un retour à la véritable République. Catherine Coquio est professeur à l’université de Paris VII. De ses recherches sur le décadentisme, elle est devenue une spécialiste des témoignages post-génocidaires. Elle prône leur lecture attentive contre une «monumentalisation de la mémoire». Daniel Lemler est psychanalyste à Strasbourg et s’intéresse aux questions de la mémoire. La rencontre sera animée par Thierry Jobard. ◊
/// DIMANCHE 13 SEPTEMBRE 17H - LIEU D’EUROPE Avec La femme qui pleure (Arthaud) , Zoé Valdès se glisse dans l’âme tourmentée de Dora Maar, amante et muse de Pablo Picasso, cette femme capable de tout par amour, et nous livre un roman ardent et subtil sur la passion amoureuse sans limite. Zoé Valdès, née en 1959 à La Havane est une romancière poète et scénariste cubaine. Égérie de la littérature cubaine, ses livres sont traduits partout dans le monde. ◊
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DIMANCHE 13 SEPTEMBRE
Mathias Enard
Hakan Günday
JEAN-PIERRE COFFE ET CATHERINE CEYLAC DEUX AMIS ET LEUR BIBLIOTHÈQUE IDÉALE /// DIMANCHE 13 SEPTEMBRE 17H30 - AUBETTE Rencontre inattendue mais bien réelle avec deux amis, grands lecteurs et amoureux fous des écrivains. Pour les Bibliothèques idéales, ils nous offrent des lectures inédites de la littérature française ! Lecture croisée entre Jean-Pierre Coffe, Une vie de Coffe (Stock) et Catherine Ceylac, journaliste et productrice de Thé ou Café (France2) ◊
DE L’ORIENT À L’OCCIDENT /// DIMANCHE 13 SEPTEMBRE 17H30 - AUBETTE Le Français Mathias Enard, le Turc Hakan Günday, le Libanais Charif Majdalani et le Français Jean-François Colosimo, tous quatre épris des terres d’Orient, se rencontrent pour un voyage entre Orient et Occident. Qu’il s’agisse des voyages intérieurs d’un musicologue viennois, de la traversée tragique des migrants, de la malédiction des chrétiens d’Orient ou encore d’une famille se déchirant l’héritage d’un homme d’affaires libanais respecté, les Bibliothèques idéales vous emmènent pour un voyage loin de Strasbourg. Rencontre avec Mathias Enard, Boussole (Actes Sud), Hakan Günday, Encore (Galaade), Charif Majdalani, Villa des femmes (Seuil) et Jean-François Colosimo, Les Hommes en trop, La malédiction des chrétiens d’Orient (Fayard). ◊
Charif Majdlani
Jean-François Colosimo
MARDI 15 SEPTEMBRE
SYLVIE DE MATHUISIEULX LES PREMIÈRES AMOURS LITTÉRAIRES /// MARDI 15 SEPTEMBRE 9H - MEDIATHEQUE HAUTEPIERRE Dès l’enfance, Sylvie de Mathuisieulx criait à qui voulait l’entendre qu’elle serait écrivain. Elle a aujourd’hui réalisé son rêve et publié une soixantaine de livres chez Hatier, Milan, Magnard, Petit à petit, notamment Mystère à écolo-village (Oskar), et La maîtresse est foldingue (Milan). ◊
HUBERT BEN KEMOUN TREMBLEMENT VERT /// MARDI 15 SEPTEMBRE 10 H ET 14 H MEDIATHEQUE NEUHOFF Longtemps auteur de pièces de théâtre et de feuilletons, Hubert Ben Kemoun ravit les jeunes (et les moins jeunes) lecteurs depuis une vingtaine d’années. Ayant fêté son 200ème livre en 2015, l’auteur aime les atmosphères noires autant que les livres qui font rire ou questionnent. Il a notamment écrit Terriblement vert (Nathan). ◊
JEAN D’ORMESSON DIEU, LES AFFAIRES ET NOUS
EDOUARD MANCEAU DESSINATEUR DE PRESSE ET ILLUSTRATEUR /// MARDI 15 SEPTEMBRE 10 H ET 14 H MEDIATHEQUE MEINAU Auteur et illustrateur, Édouard Manceau dessine pour la presse, l’édition de jeux et a publié une centaine de livres pour enfants. Ce qui lui semble essentiel « c’est de leur prouver qu’à partir de trois petits bouts de papier peut naître une histoire ». Il a notamment écrit Le petit curieux et Merci le vent (Milan). ◊
/// MARDI 15 SEPTEMBRE 16H - AUBETTE L’an passé, il avait créé une extraordinaire vague d’émotion (et fait s’effondrer en larmes Anny Duperrey présente à ses côtés sur scène), en récitant sans l’ombre d’une hésitation les vers merveilleux d’Aragon, « C’est une chose étrange à la fin que ce monde… ». Jean d’Ormesson adore les Bibliothèques idéales et se fait un point d’honneur à être présent à quasiment chaque édition. Et le public est en attente de lui, de sa faconde, de ses inspirations, des messages d’humanité qu’il délivre, de son sourire éclatant et des ses yeux bleus pétillant de vie. Observateur engagé, il n’a cessé d’être fasciné par le spectacle de la politique, le combat des idées et la marche du monde. Fidèle des Bibliothèques idéales, il nous livrera son regard lucide et passionné sur ses contemporain via cette compilation des éditos qu’il a écrits, notamment dans les colonnes du Figaro. ◊ Rencontre avec Jean d’Ormesson, Dieu, les affaires et nous (Robert Laffont) Interview : Jean-Luc Fournier (Or Norme)
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MARDI 15 SEPTEMBRE
ALESSANDRO BARICCO LES BARBARES SONT PARTOUT ET NOUS EN SOMMES /// MARDI 15 SEPTEMBRE - 17H30 - AUBETTE Au lieu de céder à la nostalgie, l’écrivain italien veut comprendre les mutations culturelles. Que peut notre culture classique face aux assauts de la modernité apportée par les nouvelles technologies ? Plutôt que de se lamenter sur la perte de notre civilisation, l’auteur du best-seller Soie, volontiers iconoclaste, décrypte la mutation en cours et défend les Barbares qui prennent le pouvoir. Lecture-musicale de Alessandro Baricco suivie d’une rencontre avec l’auteur et Daniela Battiston autour des Barbares, Soie, Novecento, pianiste, Trois fois dès l’aube (Gallimard). ◊
CHRISTOPHE MALAVOY ET LES FRÈRES BRIZZI UNE HEURE AVEC... CÉLINE /// MARDI 15 SEPTEMBRE - 19H - AUBETTE D’un château l’autre, Nord et Rigodon, textes souvent désignés comme la Trilogie Allemande auront été la matière littéraire pour La cavale du Dr Destouches. Christophe Malavoy adapte l’oeuvre de Céline et signe, avec la complicité des Frères Brizzi, ténors du dessin animé, une véritable farce tragi-comique, burlesque, et hallucinante... Au moment même où la France traverse un des épisodes les plus tragiques de son histoire. Rencontre et lecture avec Christophe Malavoy et les Frères Brizzi, La Cavale du Dr Destouches (Futuropolis). ◊
PATRICE RÖTIG BLEU AUTOUR /// MARDI 15 SEPTEMBRE 19H - LIBRAIRIE LES BATELIERS « D’un lieu l’autre », « D’un regard l’autre », « Poésie étrangère » figurent parmi les noms des collections de l’éditeur Bleu autour qui publie des livres disant l’exil et jetant des ponts entre les lieux et les temps : textes littéraires d’aujourd’hui et d’hier, pour beaucoup traduits de langues étrangères, récits de voyage, essais construits autour de corpus d’images, ou cartes postales anciennes figurant par exemple des Femmes d’Afrique du Nord. Ce dernier titre est préfacé par la romancière Leïla Sebbar, auteur phare des éditions Bleu autour. Rencontre avec Patrice Rötig, fondateur des éditions Bleu Autour. ◊
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EDGAR MORIN L’AVENTURE DE LA MÉTHODE /// MARDI 15 SEPTEMBRE 20H - AUBETTE À l’image du banian, cet arbre dont les branches, en tombant à terre, produisent d’autres racines, La Méthode est issue de la jonction de multiples expériences existentielles et intellectuelles dont les retombées ont créé de nouvelles arborescences, distinctes mais inséparables de la souche qui les a fait naître. De ce banian en perpétuel déploiement sont sorties de nombreuses ramifications, éducatives, sociologiques, politiques, qui permettent à la pensée complexe de se concrétiser et de s’épanouir. Edgar Morin livre le récit d’une œuvre-vie, une vie nourrissant au fil du temps une œuvre, laquelle à son tour a nourri la vie. C’est l’aventure des trente années d’écriture de La Méthode, dont ce volume intègre un chapitre décisif, « Pour une rationalité ouverte », initialement prévu dans le plan d’ensemble mais resté jusqu’ici inédit. À travers ce cheminement de la vie de l’esprit et de l’esprit de vie, ce livre trace enfin la voie d’une refondation de l’humanisme nourrie des principes de La Méthode. ◊ Rencontre avec Edgar Morin, Penser global, L’aventure de la Méthode (Seuil) Interview : Jean-Luc Fournier (Or Norme)
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SOPHIE LOUBIÈRE
UN PARCOURS HÉTÉROCLITE
UN HYMNE À LA VIE
/// MERCREDI 16 SEPTEMBRE 10H - MEDIATHEQUE NEUDORF
/// MERCREDI 16 SEPTEMBRE 16H – MÉDIATHÈQUE KRONENBOURG
Après avoir été dessinateur en bâtiment et marin, Jean-Marc Mathis a intégré l’École de l’Image d’Épinal puis les Beaux-arts de Nancy pour développer ses talents d’auteur et d’ illustrateur. Il est l’auteur de Boris : moi je dis… oui ! et Cinq, six bonheurs (Thierry Magnier). ◊
Journaliste et romancière, Sophie Loubière s’est longtemps partagée entre le micro (France Inter, France Info) et la plume. Femmes au bord du précipice, losers flamboyants ou vieilles dames indignes, de Paris à San Francisco (Dans l’oeil noir du corbeau), de sa Lorraine natale à la route 66 (Black Coffee), elle construit son ouvrage en puisant son inspiration dans des faits réels ou dans ce qui la touche intimement. En 2011, le succès de L’enfant aux cailloux lui vaut une reconnaissance internationale. Son huitième roman . la mesure de nos silences (2015), est un hymne à la vie, entre ombre et lumière. ◊
CLAUDIA PALLARIN-RAVEAU LA SEMEUSE DE MOTS /// MERCREDI 16 SEPTEMBRE À PARTIR DE 14 H 15 BIBLIOBUS ARRÊT RUE GERLINDE KOENIGSHOFFEN
La semeuse de mots va à la rencontre des lecteurs, en les surprenant avec des textes courts et variés, qu’ils auront choisis … peut-être en tirant le ruban qui dépasse de son manteau ou bien en farfouillant dans ses nombreuses poches… ◊
OLIVIER BARON ET SIMON LIBERMAN LA DÉCOUVERTE DES EDITIONS 2024 /// MERCREDI 16 SEPTEMBRE 14H30 - LIBRAIRIE EHRENGARTH 2024 est une maison d’édition strasbourgeoise de BD et d’illustration qui nous a notamment présenté fin 2014 un excellent travail sur Gustave Doré et des oeuvres inédites. Elle édite également des BD originales de qualité, sortant des chemins de la BD franco belge traditionnelle, en accompagnant de jeunes auteurs sur des projets audacieux. Rencontre avec ses fondateurs. ◊
LOLA CANAL LA LÉGENDE DE LA CITÉ ÉTERNELLE /// MERCREDI 16 SEPTEMBRE 15H - LIBRAIRIE LA BOUQUINETTE La cité éternelle doit son éclat à une tradition qui perdure depuis des générations, et la légende dit que le jour où on cessera de conter des histoires, tout ce qui fait sa richesse sera perdu. Cependant, la légende dit aussi qu’un jour, l’arrivée d’un voyageur dans la cité bouleversera cet équilibre. Une histoire remplie de magie, où il faut se méfier des mauvais sorts. Entrez dans l’aventure… Rencontre avec Lola Canal - Sur inscription à la librairie - À partir de 8 ans ◊
ERIC-EMMANUEL SCHMITT
LA NUIT DE FEU
/// MERCREDI 16 SEPTEMBRE 17H – AUBETTE Une nuit peut changer une vie. Éric-Emmanuel Schmitt sera ébranlé dans ses certitudes : parti athée pour une traversée du Sahara, il en reviendra croyant, dix jours plus tard. Cette nuit de feu - ainsi que Pascal nommait sa nuit mystique - va le changer à jamais. Qu’est-il arrivé ? Qu’a-t-il entendu ? Que faire d’une irruption aussi brutale et surprenante quand on est un philosophe formé à l’agnosticisme ? ◊
LES FRÈRES DUCHOC VOUS VOULEZ RIRE ? /// MERCREDI 16 SEPTEMBRE 17H - MÉDIATHÈQUE OLYMPE DE GOUGES Inspiré de l’album, Vous voulez-rire ?, ce spectacle de marionnettes et de chansons aborde des sujets essentiels : le bien vivre ensemble, l’acceptation de soi, l’ouverture aux autres, la tolérance… et montre de manière discrète comment aller vers son propre bonheur, comment être heureux. Dès 4 ans. ◊
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MERCREDI 16 SEPTEMBRE
JEAN-MARC MATHIS
MERCREDI 16 SEPTEMBRE
CHRISTIAN VOLTZ ZEMANEL ET LES FRÈRES DUCHOC UNE PASSERELLE ENTRE LIVRE ET SPECTACLE /// MERCREDI 16 SEPTEMBRE 19 H – MÉDIATHÈQUE OLYMPE DE GOUGES Peut-on sourire pour parler sérieusement aux enfants ? Faire dire à un asticot de grands mots, comme « tolérance », « différence » et « acceptation » de soi ? Christian Voltz, les Frères Duchoc et Zémanel jettent une passerelle entre l’album et le théâtre pour parler de ces valeurs humaines. Mais, du livre au spectacle, le discours change de langage. Le récit est-il le même ? ◊
VIRGINIE GIROD SEXE, CRIMES ET POUVOIR /// MERCREDI 16 SEPTEMBRE 19 H – LIBRAIRIE LES BATELIERS
MICHEL ET MONIQUE
PINÇON-CHARLOT MEDHI MEKLAT BADROUDINE
SAÏD ABDALLAH ALAIN MABANCHOU
Le destin d’Agrippine est fascinant. Elle appartient à la lignée des femmes dangereuses, des empoisonneuses, des séductrices. Impératrice, elle prit part au gouvernement de Rome, en dépit de sa condition de femme. Et si c’était là sa plus grande transgression ? Virginie Girod, docteur en histoire et auteur de Les Femmes et le sexe dans la Rome antique (Tallandier), est spécialiste de l’histoire des femmes dans l’Antiquité romaine. ◊
LISELOTTE HAMM ET JEAN-MARIE HUMMEL QUENEAU, VIAN, PRÉVERT ET QUELQUES AUTRES...
/// MERCREDI 16 SEPTEMBRE 18H - AUBETTE Une rencontre inédite et très attendue entre deux sociologues qui dénoncent la violence inouïe que les méga-riches font subir au reste de la société, les deux kids du Bondy Blog repérés par Pascale Clark qui sortent leur premier roman, et un auteur qui dresse le portait d’une Afrique chaotique qui mixe magouilles et pure poésie. Rencontre avec Michel et Monique Pinçon-Charlot, Tentative d’évasion fiscale (La Découverte), - Mehdi Meklat et Badroudine Said Abdallah, Burn-out (Seuil), et Alain Mabanckou, Petit Piment (Seuil). Interview croisée : Jean-Luc Fournier (Or Norme) ◊
/// MERCREDI 16 SEPTEMBRE 19 H 30 – AUBETTE En 1990, Liselotte Hamm et Jean-Marie Hummel rencontrent le grand producteur de la chanson française, Jacques Canetti, et travaillent avec lui jusqu’en 1997. « Strasbourg m’a toujours porté chance… mes premiers concerts organisés là-bas, étaient avec Cab Calloway, Louis Armstrong et Duke Ellington… au Palais des fêtes, et puis j’aime votre écriture… et ces chansons de Queneau, c’est à vous de les chanter ! » avait-il confié. Aujourd’hui, ils lui rendent hommage aux Bibliothèques idéales. ◊
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CLOTILDE PERRIN
JEUDI 17 SEPTEMBRE
UNE PINCÉE DE SURRÉALISME /// JEUDI 17 SEPTEMBRE 9H – MÉDIATHÈQUE ELSAU Après les Arts Décoratifs de Strasbourg, Clotilde Perrin a illustré une trentaine d’albums pour la jeunesse et publié sept ouvrages plus personnels en signant le texte et les images. Dans ses albums, elle nous offre un imaginaire poétique et coloré, peuplé de personnages attachants. Ses récits sont saupoudrés d’une pincée de surréalisme. Elle est l’auteur de Le colis rouge et L’enfant lumineux (Rue du monde). ◊
ZÉMANEL CES HISTOIRES QUI CHATOUILLENT L’IMAGINAIRE /// JEUDI 17 SEPTEMBRE 10H ET 14H – MÉDIATHÈQUE OLYMPE DE GOUGES L’auteur aime les petites histoires, celles qui chatouillent et réveillent l’imaginaire en quelques pages. C’est à l’école que son appétit « artistique » grandit pour ne plus jamais le quitter. C’est dans la célèbre collection Père Castor chez Flammarion qu’il a vu naître l’essentiel de ses albums. Il a notamment écrit Les quatre géants et A pas de loup (Flammarion Père Castor). ◊
JÓN KALMAN STEFÁNSSON ENTRE FOLIE ET ÉROTISME /// JEUDI 17 SEPTEMBRE 17H – AUBETTE Jón Kalman Stefánsson entremêle trois époques et trois générations qui condensent un siècle d’histoire islandaise. Ari part à la rencontre de sa mémoire et de ses origines, de son enfance à Keflavík, dans cette ville « qui n’existe pas », et vers le souvenir de sa mère décédée. Voyage depuis Strasbourg jusqu’en terres islandaises peuplées de personnages merveilleux, de figures marquées par le sel marin autant que par la lyre. Rencontre avec Jón Kalman Stefánsson, D’ailleurs les poissons n’ont pas de pieds (Gallimard). ◊
PHILIPPE BILGER ET MARC KELLER BALLE DE MATCH ! /// JEUDI 17 SEPTEMBRE 18H30 – AUBETTE La rencontre sans doute la plus inattendue et la plus originale de cette édition des Bibliothèques idéales. Mais qu’ont donc en commun l’ex-magistrat, grand pourfendeur des travers politiques et l’ex-joueur international devenu aujourd’hui président du Racing Club de Strasbourg ? L’amour des livres et de la littérature, pardi ! Ces deux grands lecteurs partageront leurs coups de cœur et nous liront quelques textes de leur choix… Rencontre avec Philippe Bilger, magistrat, Marc Keller, président du Racing, Christian Bach (DNA) et Vincent Gouvion. ◊
HUBERT HADDAD LA MARCHE À PIED MÈNE AU PARADIS /// JEUDI 17 SEPTEMBRE 18H30 – LIBRAIRIE SOIF DE LIRE Poésie, romans, nouvelles, drames ou essais, Hubert Haddad explore toutes les voies de la littérature, de l’art et de l’imaginaire. Avec Corps désirable, il s’empare d’un sujet à la fois fascinant et effrayant : la greffe de la tête d’un homme sur le corps d’un autre ! Avec Mā, dans la lignée de l’inoubliable Peintre d’éventail, il nous emmène dans un tout autre univers : « La marche à pied mène au paradis ». Rencontre avec Hubert Haddad. Lecture et animation par la comédienne Sylvie Bazin. ◊
JUDITH PERRIGNON MARIANNE DENICOURT BÉNÉDICTE VILLAIN
FRÉDÉRIC BRUN LES EDITIONS POESIS /// JEUDI 17 SEPTEMBRE - 17H30 MÉDIATHÈQUE PROTESTANTE A L’INITIATIVE DE LA LIBRAIRIE OBERLIN Écrivain et éditeur de musique, Frédéric Brun a publié une trilogie chez Stock pour laquelle il a reçu plusieurs prix littéraires, notamment le Goncourt du premier roman pour Perla. Éditeur musical pendant une quinzaine d’années, il vient de créer les éditions Poesis. ◊
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UNE HEURE AVEC... HUGO /// JEUDI 17 SEPTEMBRE 19H – AUBETTE Violon, accordéon et voix accompagnent le génie de Hugo. L’actrice Marianne Denicourt, accompagnée au violon et à l’accordéon, fait revivre les derniers instants de Victor Hugo, puis les funérailles d’État qui enfiévrèrent Paris. Une adaptation musicale de Bénédicte Villain du nouveau livre de Judith Perrignon, Victor Hugo vient de mourir (L’Iconoclaste). ◊
ORNORME STRASBOURG / septembre 2015
LÉOPOLDINE HUMMEL ET SES MUSICIENS /// JEUDI 17 SEPTEMBRE 20H – AUBETTE Léopoldine Hummel débarque à l’Aubette avec trois comédiens chanteurs-musiciens. Ils ont carte blanche pour s’emparer du programme des Bibliothèques idéales 2015 et proposer un voyage subjectif à travers la littérature et la musique. Ils liront des textes, chanteront et digresseront avec exaltation ! Concert de Léopoldine Hummel, Pauline Huruguen, Maxime Kerzanet, et Charly Marty. ◊
ASEYN DES RODÉOS AÉRIENS À LA BUFFALO BILL
AMÉLIE NOTHOMB SON 24 ÈME ROMAN... /// VENDREDI 18 SEPTEMBRE 16H30 – AUBETTE Fidèle aux Bibliothèques idéales, Amélie Nothomb vient présenter son 24ème roman à Strasbourg. Entre drame et dérision, l’avenir d’une famille belge, noble et désargentée, va se jouer dans le huis-clos d’une garden-party mouvementée. Ce qui est monstrueux n’est pas forcément indigne… ◊
/// VENDREDI 18 SEPTEMBRE DE 14 H À 19 H - LIBRAIRIE JDBD La librairie spécialisée en BD du quai des Bateliers accueille Aseyn, illustrateur et dessinateur de bande dessinée, qui a déjà publié Palavas Cowboy (Éditions Danger Public), Abigail, Le Palais de Glace . L’employé du Moi, une fiction sur le jeu vidéo inspirée de ses souvenirs d’enfant. Avec Nungesser, il donne vie à un grand aventurier des temps modernes, un personnage sans concession qui n’aura de cesse de provoquer la mort. Un ex-libris inédit numéroté et signé par l’auteur sera offert pour l’achat de l’album le jour de la dédicace. ◊
YASMINA KHADRA LA DERNIÈRE NUIT DU RAÏS
CHRISTIAN PEULTIER
/// VENDREDI 18 SEPTEMBRE 17H30 – AUBETTE
LES NOUVELLES AVENTURES DE MIRABELLE
Les dernières heures du règne de Mouammar Kadhafi durant l’apocalypse déclenchée par l’Occident. Yasmina Khadra se glisse dans l’esprit troublé du dictateur lybien entre folie et fragilité, toujours sous l’influence de sa mégalomanie et prêt à exercer les répressions les plus brutales. Récupéré par les émeutiers au fond d’un tuyau de béton, Kadhafi sera exécuté non sans être parvenu auparavant aux tréfonds de la folie humaine. Un grand livre, un grand auteur… Rencontre avec Yasmina Khadra, La Dernière Nuit du Raïs (Julliard), Daniela Battiston et Sylvie Lemler. ◊
/// VENDREDI 18 SEPTEMBRE 14H30 - LIBRAIRIE EHRENGARTH Illustrateur strasbourgeois, auteur des BD Nuage, Ondine et Mirabelle, Christian Peultier travaille « à l’ancienne », à la planche et à l’aquarelle. Il nous présentera le dernier tome des aventures de Mirabelle. ◊
DELPHINE PRUNAULT MARIE-MONIQUE ROBIN FRÉDÉRIC DENHEZ
ANTOINE TRACQUI THRILLER HISTORIQUE /// VENDREDI 18 SEPTEMBRE DE 16H À 19H LIBRAIRIE DE LA PRESQU’ILE
UN MONDE IRRESPIRABLE ? /// VENDREDI 18 SEPTEMBRE 17H30 – FNAC
Antoine Tracqui est médecin légiste, spécialiste en toxicologie et expert auprès des tribunaux. Passionné de littératures de l’imaginaire, il a décidé de se lancer dans l’écriture d’une série de thrillers historiques, genre ordinairement monopolisé par les écrivains anglosaxons. Il nous présente son dernier ouvrage Mausolée (Éditions Critic, Rennes, 2015). ◊
Arte, qui fête ses 20 ans cette année, propose une rencontre sur la pollution à travers le monde. Pour nous parler de cette thématique vitale et au cœur de l’actualité, rencontre avec Delphine Prunault pour son livre Irrespirable (Tallandier Arte Éditions), Marie-Monique Robin, journaliste d’investigation, réalisatrice et écrivaine, et Frédéric Denhez, pour ses ouvrages Cessons de ruiner notre sol (Flammarion) et Les colères du temps (Buchet Chastel). ◊
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VENDREDI 18 SEPTEMBRE
CARTE BLANCHE À
VENDREDI 18 SEPTEMBRE
ALEXANDRA GRELA – THIERRY LOISEL DORA CSYANI – JEAN-LUC BERGER LA TRADUCTION DES ALBUMS JEUNESSE /// VENDREDI 18 SEPTEMBRE 19H – LIBRAIRIE LA BOUQUINETTE Aleksandra Grela, illustratrice hongroise du Kamishibaï La fée aux 7 têtes, Thierry Loisel, traducteur du Kamishibaï. La fée aux 7 têtes et du Petit coq et sa pincette en diamant, Dora Csyani, éditrice Jeunesse hongroise et Jean-Luc Burger, éditeur Jeunesse strasbourgeois, débattront sur l’importance de la traduction des albums Jeunesse. La soirée sera suivie de la lecture des deux Kamishibaïs par Hélène Hoohs, comédienne. ◊
SAMEDI 19 SEPTEMBRE LAURENT CARPENTIER UNE HEURE AVEC... RIMBAUD
STÉPHANE BARSACQ ANDRÉ GUYAUX /// VENDREDI 18 SEPTEMBRE 17H – FNAC Poésies, Une saison en enfer, Illuminations… Donner à lire la poésie de Rimbaud par le plaisir de l’image. Deux cents oeuvres impressionnistes, fauvistes, expressionnistes, abstraites, futuristes à la beauté solaire rendent hommage au génie visionnaire de Rimbaud dont le langage est extrêmement visuel. Spécialiste de Rimbaud, André Guyaux est professeur de littérature française du XIXème siècle à l’université Paris-Sorbonne. Écrivain, éditeur et journaliste, Stéphane Barsacq a consacré de nombreuses études à la poésie de Rimbaud. ◊
JOSÉ LOUIS BOCQUET CATEL – JEAN MULLER UN LIVRE, UNE LIBRAIRIE ET UN ANNIVERSAIRE /// VENDREDI 18 SEPTEMBRE 19H LIBRAIRIE GUTENBERG Dans le nouveau livre Lire, vivre et rêver des Éditions Les arènes, vingt et un écrivains racontent avec passion et humour les livres et les librairies qui ont changé leur vie. Parmi eux Catel et Jean Muller consacrent un chapitre à la librairie Gutenberg, qui hasard heureux, fête cette année ses 70 ans. L’occasion de célébrer cet anniversaire avec les auteurs José-Louis Bocquet, Catel et Jean Muller. ◊ 30
LES BANNIS /// SAMEDI 19 SEPTEMBRE 10H - 14H – 16H LIBRAIRIE EHRENGARTH Grand reporter au Monde, Laurent Carpentier nous propose Les bannis (Éd. Stock), une incroyable galerie de personnages familiaux, tous trahis par leurs positions et leurs croyances : catholique excommunié, communiste radié du Parti… Une saga familiale et historique qui, avec humour et fantaisie, nous fait traverser le siècle aux côtés de ces personnages entiers, campés dans leurs convictions et victimes de celles-ci. ◊
THOMAS LABOUROT LA COUR SILENCIEUSE /// SAMEDI 19 SEPTEMBRE DE 14H À 19H - LIBRAIRIE JDBD Après l’épopée de Troll (Éditions Delcourt), Thomas Labourot a relevé plusieurs défis graphiques dont Noodles (Éditions Soleil) et Les Geeks. Il revient avec le tome 4 de Détectives, La cour silencieuse (avec Herik Hanna et Lou). Une morte, des dizaines de témoins, autant de muets : le commissaire Bec va devoir se montrer plus tenace que jamais… ◊
JEAN-MICHEL RIBES – NATHALIE RHEIMS IRRÉVÉRENCIEUX ET LIBRES /// SAMEDI 19 SEPTEMBRE - 14H - AUBETTE Figure centrale et subversive de la scène d’aujourd’hui, talent protéiforme - auteur de théâtre mais aussi de deux séries cultes pour la télévision (Merci Bernard et Palace), metteur en scène et cinéaste, directeur du Rond-Point, Jean-Michel Ribes se raconte pour la première fois. L’homme des coups de gueule politiques, de la fantaisie subversive et du rire s’arrête à Strasbourg pour nous faire part des mille et un morceaux de ses souvenirs. Nathalie Rheims, à travers un « roman-vrai » finit par faire tomber le masque sur une histoire de double initiation à l’amour charnel et à la passion du théâtre. Après Laissez les cendres s’envoler, Nathalie Rheims explore une partie inédite de sa vie, l’amour et le théâtre ! Rencontre avec Jean-Michel Ribes, Mille et un morceaux (L’Iconoclaste), Nathalie Rheims, Place Colette (Léo Scheer) Interview : Jean-Luc Fournier (Or Norme) ◊
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SAMEDI 19 SEPTEMBRE
MARIE-ELINE MASSON UNE ILLUSTRATRICE D’ALBUMS STRASBOURGEOISE /// SAMEDI 19 SEPTEMBRE - DE 15H À 18H LIBRAIRIE DE LA PRESQU’ILE Marie-Élise Masson est illustratrice d’albums pour enfants et vit à Strasbourg. Elle dédicacera ses derniers ouvrages : Ma Super Grand-Mère (Gautier Languereau, Vanves 2015) et Les exploits de Maxime & Clara, une collection parue aux Éditions Belin (dont le dernier tome paraît en août) idéale pour accompagner l’enfant dans sa première année d’apprentissage de la lecture avec un choix de vocabulaire adapté et un dossier d’activités. ◊
ATIQ RAHIMI – TOBIE NATHAN SOROUR KASMAÏ
ISABELLE DELANNOY CÉCILE WAJSBROT STÉPHANE FOUCART SAMUEL SIGHICELLI RACONTER LA PLANÈTE AUJOURD’HUI /// SAMEDI 19 SEPTEMBRE - 17H MÉDIATHÈQUE ANDRÉ MALRAUX Alors que les futures négociations de la COP 21, la Conventioncadre des Nations unies sur les changements climatiques, auront lieu à Paris en fin d’année, les interrogations sur l’avenir de la planète sont désormais au coeur de l’actualité. Depuis quelques années, des scientifiques, des écrivains ou des artistes de diverses disciplines ont pris acte de ce « climat de changement » et entrepris de « raconter la planète » autrement. Pour évoquer ces enjeux majeurs de manière transversale, cette table ronde modérée par l’écrivain universitaire et journaliste Christophe Rioux, réunira Cécile Wajsbrot (romancière et présidente de la Maison des Écrivains et de la Littérature), Isabelle Delannoy (environnementaliste et co-scénariste du film Home réalisé par Yann Arthus-Bertrand), Stéphane Foucart (journaliste au quotidien Le Monde en charge des sciences de l’environnement) et Samuel Sighicelli (compositeur et metteur en scène). ◊
L’EXIL COMME CRÉATION /// SAMEDI 19 SEPTEMBRE 15H30 - AUBETTE Entre l’Afghanistan, l’Égypte et l’Iran, le récit de trois destins en conflit et en amour avec leur terre d’enfance, dont ils ne pourront jamais tout à fait se détacher. Atiq Rahimi, écrivain et cinéaste franco-afghan, évoque les errances littéraires et artistiques provoquées par l’exil. Tobie Nathan nous offre une saga aux couleurs du soleil millénaire dans une Egypte endiablée et Sorour Kasmaï nous emmène dans une course effrénée à travers les méandres de Téhéran.. Rencontre avec Atiq Rahimi, La Ballade du Calame (L’Iconoclaste), Tobie Nathan, Ce pays qui te ressemble (Stock), Sorour Kasmaï, Un jour avant la fin du monde (Robert Laffont). Interview : Nicolas Léger. ◊
JULIA KRISTEVA ET PHILIPPE SOLLERS LA POLITIQUE DE LA LITTÉRATURE
ALEXIS JENNI
/// SAMEDI 19 SEPTEMBRE - 17H - AUBETTE
LA NUIT DE WALENHAMMES
Les Bibliothèques idéales les ont rassemblés à Strasbourg ! Les deux intellectuels français partagent leur expérience sur le temps, la rencontre, la fidélité ou encore les différences entre hommes et femmes. À l’occasion du centenaire de sa naissance, ils évoqueront également Roland Barthes, celui qui incarnait la figure de l’écrivain contemporain aux yeux de Sollers. Amitié, hommage et politique de la littérature. On va se régaler !
/// SAMEDI 19 SEPTEMBRE 16H - FNAC Alexis Jenni, prix Goncourt 2011 avec L’art de la guerre, revient avec un roman à nouveau ambitieux et réussi, La nuit de Walenhammes (Gallimard). En mélangeant les genres, polar, satire et fantastique, l’écrivain immerge le lecteur dans une ville imaginaire du nord de la France en proie à la crise, elle, bien réelle… ◊
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Rencontre avec Julia Kristeva, L’Horloge enchantée, Du mariage considéré.comme un des beaux-arts (Fayard), Philippe Sollers, L’amitié de Roland Barthes (Seuil), Daniela Battiston et Isabelle Baladine. ◊
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SAMEDI 19 SEPTEMBRE
DOMINIQUE FERNANDEZ HENRIETTE WALTER DENISE BOMBARDIER DU BON USAGE DE LA LANGUE FRANÇAISE /// SAMEDI 19 SEPTEMBRE - 18H30 - AUBETTE Dit-on Nous avons convenu ou nous sommes convenus ? Mettre à jour ou mettre au jour ? Commémorer ou célébrer un anniversaire ? Décade ou décennie ? Inclinaison ou inclination ? Que faire de ces tics de langages qui nous ont envahis : c’est clair, lol, proactif, scotcher, c’est culte, performer, c’est plié ? Et les anglicismes : short-list, timing, save-the-date, stand-by, spoiler, casting, has been, par quoi les remplacer ? Rencontre avec Dominique Fernandez, Dire ne pas dire T.2 (Philippe Rey), Henriette Walter, Minus, lapsus et Mordicus – Nous parlons tous latin sans le savoir (Robert Laffont) et Denise Bombardier, Dictionnaire amoureux du Québec (Plon). ◊
ANNE DUFOURMANTELLE DÉFENSE DU SECRET /// SAMEDI 19 SEPTEMBRE 19H - LIBRAIRIE LES BATELIERS « Il nous reste, du secret, l’ombre profane déposée en nous. La frontière d’une frontière. Ce mot, qui a traversé les siècles, nous désigne le lieu du plus intime, un lieu de renaissance toujours possible, celui de l’intériorité du sujet. » Anne Dufourmantelle est psychanalyste et philosophe. Docteur en philosophie de l’Université de la Sorbonne, elle dirige la collection d’essais, L’autre pensée, chez Stock. ◊
NICOLAS REY – MATHIEU SAÏKALY
ADÈLE VAN REETH RAPHAËL ENTHOVEN MICHAEL FOESSEL DORIAN ASTOR
ET VIVRE ÉTAIT SUBLIME /// SAMEDI 19 SEPTEMBRE 19H30 - MÉDIATHÈQUE ANDRÉ MALRAUX Depuis mes 16 ans, je mets les textes dont je tombe amoureux dans une boîte à chaussures. Je suis tombé amoureux à plusieurs reprises : Rilke, Céline, Raymond Carver, Albert Cohen, Robert McLiam Wilson, Philippe Jaenada, David Thomas… Un soir, j’ai rencontré Mathieu Saïkaly. Il avait, depuis l’âge de six ans, gardé dans sa guitare tous les disques dont il était tombé amoureux : Bob Dylan, Frank Sinatra, Bright Eyes, Gainsbourg, Radiohead, Elliott Smith… On a parlé dans un bistrot en tête à tête. Je l’ai trouvé très beau. Il m’a trouvé très vieux. Mais nous avons décidé de fusionner nos deux histoires d’amours. D’en faire un beau mélange. Et ça m’a donné envie de sourire à nouveau. Voilà comment les choses ont commencé. Et je vous invite à nous suivre d’un geste bleu. Et j’aime déjà cette fille dans le public. Et vivre était sublime. Nicolas Rey. Spectacle créé à la Maison de la Poésie-Scène littéraire. Production : À Gauche de la Lune et Les Productions de l’Explorateur. ◊
PHILOSOPHER EN TEMPS DE DÉTRESSE /// SAMEDI 19 SEPTEMBRE 20H - AUBETTE Ils sont comme chaque année au rendez-vous des Bibliothèques idéales. Que peut la philosophie en temps de détresse ? Face aux doutes et aux incertitudes, peutelle combler notre besoin de consolation ? Et si elle n’est pas une consolation, qu’a-t-elle à nous en dire ? Rencontre avec Adèle Van Reeth, Raphaël Enthoven, Michael Foessel, Dorian Astor Interview : Nicolas Léger. ◊
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DIMANCHE 20 SEPTEMBRE
ADÈLE VAN REETH RAPHAËL ENTHOVEN MICHAEL FOESSEL - DORIAN ASTOR NICOLAS LÉGER
AMOUR : ÉTAT DES LIEUX.
PHILO ET LITTÉRATURE - CARTE BLANCHE AUX PHILOSOPHES
/// DIMANCHE 20 SEPTEMBRE 15H30 - AUBETTE
HÉLÉNA MARIENSKÉ EMILIE FRÈCHE - CLAIRE CASTILLON DIANE BRASSEUR
/// DIMANCHE 20 SEPTEMBRE 11H - AUBETTE Carte blanche aux philosophes : Adèle Van Reeth, Raphaël Enthoven, Michael Foessel, Dorian Astor et Nicolas Léger. Lecteurs enthousiastes, ils vont nous faire chacun partager un coup de coeur de leur Bibliothèque idéale. Le comédien Alain Moussay lira des extraits de textes d’auteurs comme Ralph Waldo Emerson et Stig Dagerman. ◊
CYNTHIA FLEURY JEAN-RICHARD FREYMANN ARMAND ABÉCASSIS
En 2015, quatre romancières dressent un état des lieux de l’amour. Héléna Marienské s’empare d’un sujet de société contemporain, l’addiction sexuelle et amoureuse pour mieux le détourner. Immoral. Abstinents s’abstenir. Émilie Frèche évoque une femme heureuse amoureuse d’un homme qui n’est pas son genre et avec qui il ne se passera rien. Son genre à lui c’est de détruire et d’avilir. Surtout une femme, et surtout si elle est juive. Claire Castillon continue de livre en livre à explorer la guerre des sexes avec rage, cruauté et humour. Enfin, Diane Brasseur, Strasbourgeoise d’origine, ne veut pas d’une passion. Dans la lignée de son succès Les fidélités, elle nous plonge dans un nouveau triangle amoureux.
CONNAIS-TOI TOI MÊME MAIS CONNAIS TES LIMITES !
Rencontre avec Héléna Marienské, Les ennemis de la vie ordinaire (Flammarion), Émilie Frèche, Un homme dangereux (Stock), Claire Castillon, Les pêchers (l’Olivier), Diane Brasseur, Je ne veux pas d’une passion (Allary), et Bénédicte Junger. ◊
/// DIMANCHE 20 SEPTEMBRE 14H - AUBETTE Entre philosophie et psychanalyse, Cynthia Fleury montre l’irremplaçabilité de l’individu dans la régulation démocratique. Qui peut accueillir l’autre, s’il n’a déjà opéré cette reconnaissance de la frontière qui le constitue à la fois comme corps et comme âme ? Armand Abécassis nous parle d’immortalité, de confrontation avec Dieu et de la perte de nos certitudes. Jean-Richard Freymann revient encore et toujours sur le désir et la perte. ◊
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RENDRE LA PAROLE AUX OUBLIÉS, AUX INVISIBLES /// DIMANCHE 20 SEPTEMBRE 17H - AUBETTE Rejet de l’autre, repli sur soi… la société se déchire. Et si on se parlait ? L’historien Pierre Rosanvallon entend rendre la parole aux oubliés, aux invisibles. Le désenchantement politique contemporain ne se nourrit pas seulement de la « crise de la représentation » mais aussi d’un mal-gouvernement dont il est urgent de comprendre les mécanismes. Il s’agit de distinguer les qualités requises des gouvernants et les règles organisatrices de la relation entre gouvernés et gouvernants. Rassemblées, cellesci forment les principes d’une démocratie d’exercice comme Bon gouvernement. Rencontre avec Pierre Rosanvallon, professeur au Collège de France et fondateur de La République des idées et de La Vie des idées, auteur du Bon gouvernement (Seuil) et Thierry Jobard. ◊
ERIK ORSENNA LA VIE, LA MORT, LA VIE /// DIMANCHE 20 SEPTEMBRE 18H30 - AUBETTE Académicien, écrivain, économiste, ce touche-àtout hyper actif, au sens noble du terme, revient aux Bibliothèques idéales pour nous raconter des histoires. Celle de Louis Pasteur, héros universellement célébré de la victoire sur la rage. Mais c’est surtout pour Orsenna, l’occasion de dire son amour du monde, de la science et de balayer nos certitudes ! Rencontre avec Érik Orsenna, de l’Académie française, auteur de La vie, la mort, la vie (Fayard) et Vanessa Tolub. ◊
DIMANCHE 20 SEPTEMBRE
PIERRE ROSANVALLON
JACQUES LACARRIÈRE, PASSEUR ET HUMANISTE AVEC FLORENCE M. FORSYTHE, SYLVIA LACARRIÈRE, MICHEL LE BRIS ET TITI ROBIN Pour la soirée de cloture des Bibliothèques idéales 2015, les organisateurs parient sur l’émotion avec un portrait sensible de Jacques Lacarrière, ce voyageur insatiable, épris de nature et curieux du monde et des hommes. Ses amis nous emmèneront en promenade sur ses itinéraires personnels.
/// DIMANCHE 20 SEPTEMBRE 19H30 - AUBETTE Hommage en lecture et musique à Jacques Lacarrière avec Florence M. Forsythe, Jacques Lacarrière, passeur pour notre temps (Ed. Le Passeur), Sylvia Lacarrière, comédienne, Michel Le Bris (Festival Étonnants Voyageurs), Titi Robin, musicien et Françoise Schöller. ◊
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DOSSIER
STRASBOURG
L’INTELLECTUELLE? « Ce qui m’a, depuis le commencement, appelé à Strasbourg, attiré vers votre ville, ce qui nous a ici rassemblés, ce qui a fait de mon amour pour cette ville une des bénédictions de ma vie, ce fut d’abord et toujours l’injonction intraitable de la pensée. Rien n’aurait eu lieu, et pour lieu Strasbourg, sans cela, sans cette injonction qui fut aussi un désir de penser et d’écrire, chacun à sa manière, de la philosophie, au sujet de la philosophie mais aussi de la littérature, de la poésie, du théâtre, de la musique et des arts visuels, puis traversant tout cela, puisque c’est de l’amour d’une ville que je parle, d’une métropole qui n’est pas n’importe laquelle en France et en Europe, traversant tout cela, disais-je, il y eut le politique, le politique dont nous reparlerons encore… » Jacques Derrida Ce texte « Le lieu-dit : Strasbourg » a été écrit en juin 2004 quatre mois avant sa mort par Jacques Derrida, à l’occasion d’une rencontre organisée par le département de philosophie de l’Université Marc Bloch et le Parlement des Philosophes et publié quelques mois plus tard dans l’ouvrage « Penser à Strasbourg » - Ed. Galilée/Ville de Strasbourg-, devenu aujourd’hui introuvable.
Strasbourg et les intellectuels : une longue histoire et, pour notre ville, le bénéfice d’une réputation internationale. Dans le monde actuel, où la notoriété se mesure à la collection d’ « amis » et à la présence incessante qu’on aligne sur les réseaux sociaux, qui sont les intellectuels d’aujourd’hui et, au-delà, peut-on encore parler de leur influence sur la marche du temps ? Strasbourg l’Intellectuelle ? A vous de juger… 38
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DOSSIER
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STRASBOURG, L’INTELLECTUELLE ?
TRIBUNE LIBRE
ST R ASB O UR G, L’IN TEL L ECTU EL L E ?
/// ALAIN BERETZ - PRÉSIDENT DE L’UNIVERSITÉ DE STRASBOURG
Faut-il vraiment prouver que Strasbourg est intellectuelle ? Somme-nous atteints d’une forme si grave du syndrome cigogne-choucroute qu’il faille, encore et toujours, prouver qu’à Strasbourg on réfléchit, on créée, on écrit et on publie ? Le Riesling et le savoir seraient-ils à ce point incompatibles? Je ne suis ni historien, ni sociologue. Suis-je un intellectuel ? Il y a tant de définitions de l’intellectuel : l’intellectuel engagé, à la Sartre, le spectateur attentif, à la Raymond Aron, et tant de variantes… Ce que je sais, par contre, c’est que je suis, par mes fonctions, forcément amené à défendre la place des ces fameux intellectuels dans la société. C’est donc depuis ce point de vue, plus stratégique que savant, depuis mon bureau de président avec vue sur la Cathédrale, que je vais essayer de décrire mon point de vue de cette Strasbourg intellectuelle. Car oui, il faut partir de ce postulat, de cette affirmation, de cette conviction : Strasbourg l’intellectuelle, c’est une réalité ! D’où viennent-ils, ces intellectuels strasbourgeois? Même au pays où les cigognes apportent les bébés, il n’y a pas de génération spontanée. Notre ville remplit déjà, par son histoire, les conditions pour héberger et nourrir (spirituellement mais aussi
plus prosaïquement, bien sûr !) des intellectuels.
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UN NOUVEAU TYPE D’UNIVERSITÉ D’abord Strasbourg, c’est la ville du croisement des routes, du voyage et de l’ouverture. C’est parce que ce carrefour était une étape importante de leur voyage que les intellectuels de la Réforme ont fondé, au 16ème siècle, l’université de Strasbourg, ou du moins son ancêtre. « Pont, porte et port », comme le rappellent Georges Bischoff et Richard Kleinschmager, ce site exceptionnel avait tout pour faire naître une université. Mixité sociale, contacts internationaux, ouverture culturelle sont toujours aujourd’hui les ferments d’une riche vie intellectuelle. Il faut chaque jour le rappeler à ceux qui croient qu’un repli identitaire serait la meilleure défense de notre spécificité culturelle. L’histoire de Strasbourg l’intellectuelle et de son université démontre que c’est exactement l’inverse. L’histoire a montré qu’il est indispensable que s’exprime une volonté politique de favoriser, et donc de financer le rayonnement intellectuel de Strasbourg. Ainsi, après l’annexion de 1870, l’empereur a voulu montrer, à travers Strasbourg, une vitrine de la puissance
de l’Allemagne et de l’esprit allemand. Cette puissance, il l’a symbolisée par un ambitieux projet d’urbanisme, avec comme point d’orgue une grande université, deuxième université impériale après Berlin. Et ce n’était pas qu’un bâtiment, c’était surtout un nouveau type d’université, basée sur le modèle de l’intégration de la recherche et de l’enseignement, loin de de la conception napoléonienne des grandes écoles. Il fallait pour cela construire, investir, mais aussi attitrer de jeunes et brillants intellectuels ; nombre d’entre eux seront plus tard lauréats du prix Nobel. Quand aujourd’hui une ville comme Strasbourg choisit de consacrer une part record de son budget à la culture, elle fait un choix comparable : celui de faire un pari sur la connaissance, le savoir, l’intelligence, les arts, comme moteurs à la fois d’une avenir brillant et d’une image positive et rayonnante. STRASBOURG L’INTELLECTUELLE A BESOIN D’ÊTRE AIMÉE Mais finalement, qui sont ces intellectuels strasbourgeois ? Cette revue a choisi d’en mettre certains en avant, et c’est une très bonne idée. En écrivant ces lignes, je ne connais pas le choix de la rédaction de Or Norme. Qui sera adoubé
dans ce « best of »? Y verrez vous les têtes habituelles, ou bien y aura-t–il des surprises et des découvertes ? Bref, un classement de Shanghai revu à la mode winstub, ou bien le reflet authentique et décapant d’une vie intellectuelle plus riche et plus diverse qu’on ne le soupçonne ? Le vedettariat des intellectuels est certes nécessaire, car il apporte une force d’exemple, un pouvoir d’entraînement qui sont indispensables. Mais comme le rappelle Noam Chomsky, il faut aussi se méfier de certains « intellectuels des médias », qui deviennent trop facilement les acteurs d’un consensus politique qui peut étouffer l’esprit critique, la vraie force des intellectuels dans la cité. Evacuons aussi rapidement la fausse idée que la vie intellectuelle est une dépense superflue en ces temps difficiles. A l’université, les étudiants, les enseignants, les chercheurs contribuent directement à la résolution de problèmes contemporains et au bien être de la société. Bien sûr, les universités s’intéressent aussi à des domaines
“ A STRASBOURG, IL Y A DES INTELLECTUELS QUI FONT AVANCER LEUR VILLE ” d’abstraction et d’investigation qui peuvent sembler à certains ne pas présenter de pertinence immédiate ; mais ce sont eux qui possèdent le plus riche potentiel pour l’avenir. Les universités, comme toute la vie intellectuelle, ne sont pas une dépense, mais bien un investissement, un investissement d’avenir. Une euro dépensé à l’université, c’est plus de 4 euros de retour pour l’économie. L’économie créative, les nouvelles technologies représentent aujourd’hui des secteurs majeurs pour la croissance et la diversification de notre économie. On ne peut développer ces secteurs sans s’appuyer sur une vie intellectuelle riche et foisonnante. « Deux intellectuels assis vont moins loin qu’une brute qui marche » a fait dire Michel Audiard à Maurice Biraud dans « Un taxi pour Tobrouk ». Et bien oui, à Strasbourg, il y a des intellectuels qui marchent, et qui font avancer leur ville ! Strasbourg l’intellectuelle existe. Pour vivre, pour prospérer, pour rayonner, elle n’a pas seulement besoin de listes de noms, de palmarès ou de prix. Cette Strasbourg intellectuelle a surtout besoin d’être défendue, et donc d’être aimée. Il faut investir en elle autant de confiance que d’argent. Ainsi, depuis plusieurs années, la ville de Strasbourg anime une campagne « Strasbourg aime ses étudiants ». Mais vous, nos concitoyens, aimez-vous non seulement les étudiants, mais aussi leur alma mater, l’Université de Strasbourg ? Etes vous fiers de cette université ? Etes vous capables de l’appeler « notre» université, même si vous n’en êtes pas diplômés ? De la même manière, êtes vous fiers de votre théâtre national, de vos artistes plasticiens, de votre orchestre philarmonique, de vos écrivains ? La réponse devra nécessairement être oui. Car Strasbourg l’intellectuelle n’est ni snob, ni élitiste : elle est solidaire, ancrée dans son histoire humaniste et tournée avec confiance vers l’avenir. ◊ ALAIN BERETZ Les intertitres et l’exergue sont de la rédaction.
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STRASBOURG, L’INTELLECTUELLE ?
JEAN-RICHARD FREYMANN « Q UE LQ UE C H OS E N E R ÉP ON D P LU S D U C ÔT É D E L A « R ES P U B L ICA »
Psychiatre et psychanalyste, praticien hospitalier au CHRU, président de la FEDEPSY et directeur de l’Ecole psychanalytique de Strasbourg, Jean-Richard Freymann replace les « élaborations secondaires » de l’intellect au prisme des mécanismes de l’inconscient. /// TEXTE VÉRONIQUE LEBLANC PHOTOS MÉDIAPRESSE - CLAUDE TRUONG-NGOC
Que vous évoque le mot « Intellectuel » ? Il me semble anachronique… Après guerre, les Sartre, Camus, Aron… étaient partie intégrante de l’époque. Ils étaient encore fondateurs pour la génération des soixante-huitards dont Jacques Lacan a dit : « Ils se cherchent un maître, ils l’auront. » Et bien ils l’on eu ! Ce fut Lacan bien sûr mais aussi les Georges Dumézil, Claude Levy-Strauss, tous les structuralistes…
Quoique ? Contrairement au pessimisme ambiant qui pointe depuis 1968, la dévalorisation du discours du maître, je trouve pour ma part qu’une nouvelle génération naît à la réflexion et à la théorisation. Mais ce constat ne concerne que la psychanalyse, domaine où je travaille et enseigne. C’est autre chose en matière de psychologie collective où règnent aujourd’hui bien des certitudes et des délires.
Et il n’y a plus d’intellectuels aujourd’hui ? Ce n’est pas cela. Le mot n’est plus parlant. Il renvoie à des personnalités devenues tout à fait médiatiques et rentrées dans le discours commun… Les intellectuels existent encore. Je viens d’entendre sur la chaîne parlementaire Jean-François Kahn et Raphaël Einthoven parler de la crise grecque : leurs positions étaient intelligentes, elles avaient une dimension politique mais je crains que leur argumentation n’ait aucune portée. Elle ne touche que les convaincus. Quelque chose ne s’ouvre pas du côté de « l’Autre », quelque chose ne répond plus du côté de la « Res Publica », il y a une perméabilité perdue. Et c’est un vrai problème. On le voit dans l’enseignement également où les choses ont changé dans le rapport de l’élève à ses professeurs. Quoique…
Quelles sont les causes de ces délires ? Ouvrez la radio… Aux informations sur la guerre, l’Ukraine, la crise grecque, le nucléaire iranien… se mêlent les séquences « vacances ». Un comble dans un pays qui compte des millions de chômeurs… Cela montre que le médiatique est souvent aux mains des classes dominantes qui n’accordent aucun regard à ceux qui se retrouvent confinés hors des règles du jeu.
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ORNORME STRASBOURG / septembre 2015
La psychanalyse a-t-elle prise sur l’évolution de la société ? Elle s’attache à l’individuel, au « colloque singulier » au sein du cabinet et, partant, n’est a priori pas armée dans le domaine du collectif, du groupe, de la masse. C’est cependant l’un des enjeux majeurs de notre association de psychanalystes, la « FEDEPSY », héritière d’une très
ancienne tradition strasbourgeoise en matière d’analyse, de psychologie et de psychanalyse. Depuis 2000, elle fait partie des Organisations Internationales Non Gouvernementales (OING) auprès du Conseil de l’Europe. D’emblée, elle a été dans le politique et s’approprie des questions comme la torture, l’exclusion, le dialogue Nord-Sud, le rapport à la guerre. Le tout dans l’esprit du Conseil de l’Europe, à savoir en envisageant les valeurs démocratiques au delà de l’économie. La FEDEPSY est unique en son genre ? Oui. Composée d’analystes, articulée à l’université et aux autres institutions psychiatriques et psychologiques, elle forme à la psychanalyse en y ajoutant une dimension de « compagnonnage » où des anciens « apprennent le métier » à des plus jeunes. Elle compte un millier de membres, de bords différents et s’étend de l’Europe jusqu’au Brésil, en Israël, au Maroc et au Liban. Et elle a une activité éditoriale… Par le biais de sa collection ERES ARCANES dont la spécialité est la dimension clinique, spécificité strasbourgeoise issue de la lignée de Lucien Israël, dont je suis légataire, et des Serge Leclaire et Mustapha Safouan tous deux passés par
Strasbourg. Elle édite également un bulletin de liaison, « Analuein ». Les psychanalystes sont-ils des intellectuels ? Je ne suis pas sûr qu’ils entrent dans cette « catégorie ». L’intellect s’attache dans ce que nous appelons les élaborations secondaires alors que la psychanalyse s’attache à ce qui est premier, c’est-à-dire les mécanismes inconscients. Je voudrais cependant faire deux remarques. La première concerne un atout régional. Strasbourg a été « freudisée » très tôt grâce au bilinguisme. Des regroupements entre aliénistes, psychiatres et psychologues se sont mis en place dès après 1900 alors que les apports de Freud ont été rejetés dans tout le reste de la France. Deuxième remarque : la psychanalyse n’a plus prise dans le discours dominant, elle a été expulsée de la plupart des lieux au profit d’un discours cognitiviste et comportementaliste qui a infiltré les intellectuels. Tout est devenu empirique, phénoménal, évaluateur… Cela a même des effets sur la médecine où les praticiens sont bien plus formés à leur science qu’à la relation médecin/ malade au cours de la consultation. Les « 5 e Journées de la FEDPSY » que nous organiserons du 22 au 24 janvier prochains sont une réponse à cet effacement général. Consacrées à une « Clinique de la déshumanisation », elles proposeront une formation aux apports de l’inconscient et de la psychanalyse. Le sous-titre de ces journées sera « Pulsions, jouissances et collectif », allusion à la dynamique de l’hypnose réintroduite aujourd’hui par les médias et les nouvelles technologies. Nous sommes tous sous hypnose ? C’est la vraie question. Alors qu’au départ, l’hypnose – qui est à l’origine de la psychanalyse – servait à faire ressortir des souvenirs traumatiques pour libérer le patient, aujourd’hui, elle est massivement à l’œuvre pour enfoncer des suggestions dans la tête des gens. Par le biais des réseaux sociaux d’abord. Ces outils sont formidables mais dangereux et manipulateurs puisqu’ils peuvent faire basculer des gens dans le terrorisme. Comment lutter ? Les médias participent eux aussi à l’hypnose par le biais de la répétition, ils sont même formés à cela. Les éditorialistes ne sont plus écoutés parce qu’ils réclament une attention que les gens n’accordent plus. Désormais, il faut aller vite alors que, fondamentalement, l’humain n’est pas fait pour aller vite sur le plan intellectuel… Lacan distinguait trois temps, le temps du regard, le temps pour comprendre, le moment de conclure ou de décider…. On en est loin. » ◊
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DOSSIER
STRASBOURG ET LA PSYCHANALYSE
UNE HISTOIRE PRIVILÉGIÉE « Quand je faisais mes études, on disait qu’il y avait à Strasbourg la même densité de psychiatres qu’à New York », se souvient Daniel Lemler. Vrai ou faux ? Peu importe au fond, ce qui est sûr c’est qu’un lien particulier unit la capitale alsacienne aux disciplines de l’inconscient. /// TEXTE VÉRONIQUE LEBLANC PHOTOS DR
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Annexée à l’époque où se créent en Allemagne des chaires de psychiatrie, Strasbourg est, en 1872, la deuxième ville à en accueillir une après Berlin. Celle de Paris sera fondée en 1877 et pendant quasiment un siècle en France, la capitale alsacienne sera la seule ville de province à disposer d’une chaire de psychiatrie indépendante de celle de neurologie. UN ALSACIEN À BERLIN René Laforgue est un de premiers « pères fondateurs » de la psychanalyse à Strasbourg. Natif de Thann, cet Alsacien en rupture avec sa famille part pour Berlin et entreprend des études de médecine. En 1913, âgé de 19 ans, il lit le « Traumdeutung » dans le texte original et, bien que sceptique, reconnaît son impact sur sa pratique. En 1918, en effet, quand l’Alsace redevient française, il occupe un poste d’interne en psychiatrie à Hoerdt et soutient une thèse intitulée « Etude psychanalytique de l’affectivité dans la schizophrénie », premier exercice du genre à introduire la psychanalyse en France. Il continuera l’étude de Freud et décidera de conquérir Paris où il débutera une analyse avec Eugénie Sokolnica tout en entamant, en 1923, une correspondance avec Freud luimême qui durera jusqu’en 1937. DE PREMIERS ANALYSÉS C’est à cette même date que Daniel Lagache est nommé maître de conférence de psychologie à la faculté des Lettres de Strasbourg après avoir débuté - tout comme Jacques Lacan - une analyse avec Rodolphe Loewenstein, didacticien réputé qui partira pour New-York en 1942. Lagache créera à Strasbourg les premiers certificats de psycho-pathologie et de psychologie sociale délivrés en France par une Faculté de Lettres et y prendra ses premiers analysés parmi lesquels le professeur Kammerer qui sera durant trente ans patron de la clinique psychiatrique. LE « GROUPE DES ÉTUDES PSYCHANALYTIQUES DE STRASBOURG » Après la guerre, Lagache repartira à Paris où il accèdera à la Sorbonne et enverra en Alsace son assistante Juliette FavezBoutonnier qui créera les Centres Médico Psychopédagogique (CMPP) de Strasbourg et Mulhouse ainsi que le « Groupe d’études psychanalytiques de Strasbourg » qui se réunira alternativement à l’Institut de psychologie et à la Clinique psychiatrique. Lorsqu’elle accédera elle aussi à la Sorbonne, Strasbourg s’avérant être le plus haut poste universitaire avant cette ultime consécration -, Didier Anzieu viendra la remplacer. Se sachant lui aussi dans l’attente d’un poste parisien, il limitera son rôle à maintenir le fonctionnement induit par ses prédécesseurs.
STOP AUX « CURES ENTRE DEUX TRAINS » Reste que la commission chargée de statuer sur le « cas Lacan » avait également mis en question le développement des « groupes de province », « faute de didacticiens en nombre suffisant ». Une faille ressentie sur place par plusieurs internes de la clinique psychiatrique de Strasbourg qui se tournaient – bilinguisme aidant – vers Philipp Sarasin, un analysé de Freud installé à Bâle. Pour mettre fin à ces « cures entre deux trains » entre Strasbourg et Bâle ou Paris, il fut décidé d’envoyer un didacticien en Alsace. Mustapha Safouan alors sollicité a accepté. L’amitié qui s’est nouée entre lui et Lucien Israël, leur accord sur le parti à prendre au moment de la création de la SFP, ont orienté de manière décisive la psychanalyse à Strasbourg vers le champ lacanien. « LUCIEN ISRAËL, UNE PAROLE DE PSYCHANALYSTE » « A Strasbourg mais aussi en Alsace et au delà du Rhin », précise Daniel Lemler qui insiste sur l’aura du professeur Israël dans la consolidation de ce que l’on peut véritablement appeler l’école psychiatrique strasbourgeoise à laquelle il a donnera une dimension psychanalytique à part entière. « Créateur d’antennes psychosomatiques dans de nombreux service des hôpitaux de Strasbourg, il fut aussi un enseignant hors pair qui permettait aux étudiants en médecine d’aborder leur spécialité d’un autre point de vue que celui de leur formation médicale, précise Daniel Lemler qui fut son élève. Loin du jargon, il avait une parole vivante qui s’adressait à chacun. Une parole de psychanalyste. » RÉINVENTER LA PSYCHANALYSE
MANIÈRE
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DURER
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« Quelque chose s’est maintenu ici », conclut Daniel Lemler en citant, à titre d’illustrations, la création de la Bibliothèque de recherche freudienne et lacanienne » il y a trente ans et celle de la FEDEPSY en 2000. L’histoire de la psychanalyse à Strasbourg est donc effectivement particulière et éclairante. « Et elle n’est pas finie ajoute Daniel Lemler puisque « comme l’a enseigné Lacan en 1978, nous psychanalystes, sommes, chacun singulièrement, dans l’obligation de réinventer la manière de faire durer la psychanalyse. Et cela à partir de ce que nous avons pu retirer d’avoir été, un temps, psychanalysant. » ◊
UNE SOCIÉTÉ DISSIDENTE DONT DEUX FONDATEURS SONT DES UNIVERSITAIRES STRASBOURGEOIS Il faut noter aussi que Juliette Favez-Boutonnier était à Strasbourg lorsque Lacan - critiqué pour sa pratique subversive de la conduite des analyses didactiques - a dû abandonner son mandat de président de la Société Psychanalytique de Paris (SPP). Lagache, Dolto et Favez-Boutonnier fonderont alors la Société Française de Psychanalyse (SFP) et seront rejoints dans les jours qui suivent par Lacan lui-même et Blanche Reverchon-Jouve. Une société dissidente donc, fondée qui plus est par deux des universitaires qui ont introduit la psychanalyse à Strasbourg.
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1. Jacques Lacan 2. Juliette Favez-Boutonnier (à gauche) avec Anna, la fille de Sygmund Freud. 3. Mustapha Safouan 4. Lucien Israël
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STRASBOURG, L’INTELLECTUELLE ?
DANIEL LEMLER
« NO S SO C I É TÉS S U P P ORTEN T MAL C E LUI Q U I R ÉF L ÉC H IT » « Strasbourg est-elle une ville intellectuelle ? La deuxième de France disent certains… ». « La question n’est pas la bonne, répond le psychiatre et psychanalyste Daniel Lemler, en tout cas moi je n’ai pas la réponse. » Voilà une interview qui commence bien… Mais il rebondit et interroge la seule notion qui vaille à ses yeux, celle de l’humanité. /// TEXTE VÉRONIQUE LEBLANC PHOTOS DOCUMENTS REMIS
« La ville est-elle humaine ? » Vaste question qu’il aborde par le biais de la culture « qui ne peut pas tout mais sans laquelle on ne peut rien ». « Il lui faut un espace pour qu’elle fonctionne, dit-il, pour qu’elle puisse faire son travail d’humanisation c’est-àdire pour qu’elle permette d’accéder à l’altérité ». « L’offre est réelle à Strasbourg, mais – ici comme ailleurs – elle ne se mesure qu’au nombre des entrées qui est certes une donnée mais pas la plus essentielle. » « Rester dans le consumérisme – voire dans l’hédonisme – n’a guère de sens, poursuit-il, la culture c’est être capable de réinventer toute expérience sensible, de diviser le monde en parties infimes pour essayer d’en rendre compte. » En rendre compte… Mais comment ? « Par la parole par laquelle tout s’échange
et s’élabore. C’est en réinvestissant c’est-à-dire en disant à un tiers - ce que l’on a vu, entendu, ressenti que l’on commence à réfléchir. » Un travail en fait, tout comme en psychanalyse ? Effectivement, Daniel Lemler voit – « peut-être » - dans sa spécialité, « un grand îlot de résistance au tout et n’importe quoi à l’œuvre dans nos sociétés figées dans « l’instant des réseaux sociaux. Sociétés qui, par ailleurs, supportent mal celui qui réfléchit ».
L’intellectuel, à mon sens, doit pouvoir accepter l’autre dans sa différence sans avoir l’impression que cela lui enlève quelque chose. Or, aujourd’hui, lorsque l’on évoque cette figure, on se représente un personnage trônant dans un système obscur, déconnecté de l’autre et de sa réalité, d’autant plus insupportable s’il s’est « autoproclamé. » « Etre « intellectuel » n’est pas une raison sociale, c’est peut-être une manière de se positionner à l’écart pour « penser le monde » mais celle-ci doit placer l’homme au milieu de toutes les contingences. »
« Etre intellectuel n’est pas une raison sociale » Celui qui réfléchit… L’intellectuel ? « Si sa définition est d’être cultivé et d’élaborer une pensée du monde pour la transmettre, cela ne suffit pas, répond Daniel Lemler, l’exemple du nazisme est assez probant à cet égard.
« Prendre en compte les différences sans les hiérarchiser » On en revient donc à l’homme et Daniel Lemler insiste à nouveau sur l’altérité et sur cette notion de « discrimination » qui lui est chère.
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« Il faut l’entendre au sens positif du terme, précise-t-il. Il s’agit de prendre en compte les différences sans pour autant y introduire de hiérarchisation. » « La ville a une dimension politique en ce sens qu’elle a à créer quelque chose de l’ordre de la reconnaissance de l’altérité par le biais du « vivre avec » et du « vivre ensemble ». Pour lui, une question terrible à l’heure actuelle est celle de la laïcité telle qu’elle est définie en France. « Celle-ci ne réside pas dans l’absence de signes distinctifs, poursuit-il, mais dans la tolérance aux signes des autres et il est normal que cette tolérance n’aille pas de soi car il n’est pas simple d’accepter de faire tomber quelque chose de sa propre identité pour laisser de la place à la différence de l’autre. Comment tolérer ce qui change notre être ? » « Dire les autres dehors, c’est rassurant » ? « On ne peut pas être tolérant tout le temps, constate-t-il. On n’y arrive pas… C’est un travail permanent de faire choir en soi tout ce qui est refus de l’autre dans son altérité et qui relève en psychanalyse de ce que l’on appelle la castration. Accepter de perdre quelque chose du côté de l’intégrité du moi, ça n’a rien d’évident et le totalitaire peut-être une tentation à cause du sentiment de sécurité qu’il apporte. Les attentats de Paris ont renforcé le discours du FN parce que dire « les autres dehors », c’est rassurant. » « Dire « j’ai vu », ça ne suffit pas » Daniel Lemler s’interroge dès lors sur l’interdiction des signes distinctifs à l’école. « Est ce bien comme cela que l’on ouvre les enfants à l’altérité ? Pas sûr… » Il réinterroge aussi la culture qui « ne doit pas être « pléthore » ou « vitrine » mais « diversité ». « La question n’est pas de permettre à plus de gens d’aller à l’opéra pour dire « j’ai entendu » ou de visiter les musées pour dire « j’ai vu » »,
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réaffirme-t-il sans parler des selfies pris devant les monuments qu’il n’évoque pas mais dont on se doute qu’ils n’ont guère grâce à ses yeux. « L’essentiel est de faire de la culture un média y compris là où elle n’est pas dans son élément, c’est-à-dire dans les banlieues, les prisons, les hôpitaux psychiatriques etc. L’explorer, la faire partager ouvre à l’altérité parce qu’en ces lieux, la parole devient vraiment singulière et adressée à l’autre. Prendre un gamin de quartier et le poser à l’opéra ça n’a pas de sens parce que ça le met face à une altérité radicale qui le laisse démuni et en colère. A l’inverse, si un chanteur lyrique vient lui expliquer ce qu’est l’opéra, ce que sont ses origines populaires et religieuses, il pourra assister à une représentation parce que quelque chose a été médiatisé. Et je prends là l’exemple le moins facile car cet art est perçu comme le plus élitiste. Le théâtre permet plus directement de mettre en scène du vécu et de trouver les mots pour en parler. » « Parler de l’homme » « Tout ce qui permet de parler avant ou après les spectacles, tout ce qui est mis en place dans les musées pour éclairer les expositions ou laisser s’installer l’échange entre artiste et public est bienvenu », insiste Daniel Lemler. « Il faut donner à tous les publics les outils qui permettent de dépasser la simple consommation. » « Parler », conclut-il. « Parler de l’homme dont on parle de moins en moins et auquel il ne reste plus beaucoup de refuge, à l’exception peut-être des cabinets de psychanalystes. On n’écoute plus ou si peu. De plus en plus d’existences sont réduites au virtuel, ce qui – même si ça a l’air de marcher – revêt quand même une dimension « opium du peuple ». ◊
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STRASBOURG, L’INTELLECTUELLE ?
JEAN-PAUL COSTA
« STRASBO URG AT T IRE DES GENS DU MONDE ENTIER
»
Natif de Tunis, Jean-Paul Costa a vécu une part importante de sa carrière de juriste à Strasbourg où il devint président de la Cour européenne des Droits de l’Homme. Aujourd’hui âgé de 74 ans, à la retraite depuis quatre ans, ce cinéphile dans l’âme est devenu président des Rencontres cinématographiques d’Alsace, l’association qui gère l’Odyssée à Strasbourg. Dans cet entretien, il décrit à merveille les atouts intellectuels de sa ville d’adoption… /// TEXTE ALAIN ANCIAN PHOTOS MÉDIAPRESSE - DR
Un mot, pour commencer, sur la carrière exceptionnelle qui fut la vôtre et qui vous a conduit à Strasbourg, une ville que vous n’avez plus quittée depuis… « C’est vrai que mon parcours professionnel m’a comblé, j’en suis conscient. J’ai gravi tous les échelons du Conseil d’Etat, j’ai été directeur de cabinet d’Alain Savary quand il était ministre de l’Education nationale, j’ai été nommé juge à la Cour européenne des Droits de l’Homme de Strasbourg en 1998 et j’en suis finalement devenu le président durant les cinq dernières années de ma carrière, celle-ci ayant pris fin en 2011. J’ai donc été le dixième président de la Cour et le deuxième président français de l’Histoire. Le premier fut René Cassin… Les fonctions que vous avez occupé à la Cour européenne font de vous un expert en matière de droits de l’Homme. Avant de nous parler de Strasbourg, comment cette institution est-elle aujourd’hui perçue par une Europe traversée par tant de remous dont certains très cahotiques ? L’image de l’institution s’est beaucoup
améliorée. Longtemps, de nombreux pays –et la France n’était pas la dernière- ont considéré qu’il n’y avait nul besoin d’une Cour européenne centrée sur les Droits de l’Homme. Ils considéraient comme « exotiques » les juges qui y siégeaient et il faut bien reconnaître que nos verdicts n’étaient pas toujours exécutés avec célérité. La situation aujourd’hui a changé, heureusement, mais le combat pour les Droits de l’Homme est un perpétuel recommencement, un combat qui ne s’arrête jamais. Vous savez, quand on connaît ces épisodes guerriers comme ceux de l’ex-Yougoslavie, plus récemment le conflit Géorgie/Russie ou les graves événements en Ukraine, la question des Droits de l’Homme passe malheureusement au second plan… Quasiment dès le début de votre retraite il y a trois ans, on vous a proposé la présidence des RCA qui gèrent le cinéma Odyssée. Et vous vous investissez beaucoup dans ce rôle… Le paradoxe est quand même incroyable : depuis 1998 et ma nomination comme juge à la Cour
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européenne des Droits de l’Homme, je n’avais quasiment pas trouvé le temps pour fréquenter cette salle tant ma vie professionnelle était intense. Mais Faruk Günaltay, le directeur du cinéma, connaissait ma passion de cinéphile. Elle a débuté très tôt, quand j’avais à peine quatorze ans et que j’animais déjà des séances de ciné-club à Tunis, ma ville natale. Je n’ai pas hésité longtemps pour accepter sa proposition, moi qui suis intimement convaincu que l’Odyssée est irremplaçable dans la vie culturelle de notre ville. Faruk et l’équipe qui l’entoure font un travail incroyable et formidable depuis plus de vingt ans. Strasbourg perdrait beaucoup si l’Odyssée venait à disparaître. Ce mandat me passionne et j’avoue que je prends beaucoup de plaisir à être présent chaque mardi à 18h pour la réunion hebdomadaire où on parle de la programmation, de l’évolution du lieu, des projets à venir… Les avis sont souvent contradictoires au départ, tout ça me plait bien…
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J’imagine que c’est aussi un beau poste d’observation du foisonnement culturel et intellectuel de la ville… Oui, très certainement. Depuis plus de quinze ans, je vis à Strasbourg et j’ai pu ainsi constater à quel point cette ville, de par son statut très particulier, attire des gens du monde entier. La culture et l’appétence pour le débat intellectuel sont des réalités bien concrètes dans cette ville. Pour ne parler que du niveau européen, Strasbourg n’est bien sûr ni Paris, Londres, Berlin ou encore Rome, c’est évident. Mais notre ville bénéficie cependant d’une aura considérable, bien supérieure à celle des autres agglomérations françaises comparables ou même plus importantes en matière de population. Ici, nous avons un opéra, un théâtre national, un orchestre symphonique réputé, une flopée de librairies, de cinémas ou de manifestations de prestiges comme le Forum mondial de la Démocratie qui pourrait d’ailleurs se développer encore plus en direction du grand public ou encore les rencontres sur la bioéthique, par exemple. Ajoutez à cela notre université qui est une des plus performantes du pays, les institutions européennes qui attirent elles aussi le monde entier. Strasbourg pourrait d’ailleurs surfer encore mieux sur tout cela tant ces terrains sont fertiles en matière de développement de l’image de notre ville : rien que sur l’axe franco-allemand, des innovations importantes peuvent être initiées comme fédérer les amoureux du livre et de la lecture, car du côté allemand, le livre a vraiment le vent en poupe. La diversité des nationalités qui vivent ici, le cosmopolitisme de fait dont bénéficie notre ville sont des atouts incomparables et Strasbourg devrait tout faire pour valoriser au maximum ces trésors-là. Je pense que les autorités publiques, la Municipalité, l’Eurométropole, le Département, la Région… ne misent pas assez sur les atouts intellectuels de Strasbourg. Bien sûr, il y a prioritairement le siège strasbourgeois du Parlement européen
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qu’il faut défendre, c’est évident et tout à fait indispensable. Mais nos hommes et femmes politiques locaux, de Roland Ries à Fabienne Keller en passant par Philippe Richert, ne parlent pas assez des atouts intellectuels de Strasbourg. Du coup, la population ne s’en rend pas bien compte et c’est dommage car pourtant, les gens se mobilisent en nombre et assez vite dans notre ville : rappelons-nous les rencontres organisées il y a peu par le Nouvel Observateur, par exemple. Une bonne part de l’attractivité de Strasbourg vient de cette image de ville où la culture et le monde des idées occupent une place considérable, bien plus qu’ailleurs. C’est une carte maîtresse, un atout unique qu’on ne rencontre qu’ici en province et qu’il ne faut donc pas hésiter à exploiter au maximum ! » ◊
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NATHALIE LOISEAU
« D EPUIS TROIS ANS, STRASBOU R G N E CESSE DE ME SU RPRENDRE ! » Interroger un « nouvel arrivant » est toujours un bon test pour mesurer l’impact d’une ville. La directrice de l’ENA, Nathalie Loiseau vit ici depuis trois ans et ne tarit pas d’éloges sur le Strasbourg intellectuel et culturel qu’elle a découvert depuis son arrivée à la tête d’une des plus prestigieuses de nos grandes écoles… /// TEXTE JEAN-LUC FOURNIER PHOTOS FRED DUFOUR/AFP
Avant d’établir vos bases à Strasbourg, quelle image vous parvenait de notre ville en matière culturelle et intellectuelle ? « Strasbourg bénéficie de beaucoup d’atouts sur le plan intellectuel et culturel. On entend ça avant d’arriver ici… Puis, en y séjournant, on découvre qu’il y a dans l’air une curiosité intellectuelle évidente, une ouverture profonde sur la pensée, les arts, le débat, les idées. On peut trouver ça dans d’autres villes françaises mais pas forcément à ce niveau, pas aussi profondément qu’à Strasbourg. J’en veux pour preuve la fréquentation de manifestations comme les Bibliothèques Idéales ou le Forum européen de Bioéthique. Le public d’ici sait se rendre disponible pour ces événements, il sait aussi répondre présent pour réfléchir aux enjeux de notre temps. Cette réflexion vaut aussi pour le Forum Mondial de la Démocratie organisé par le Conseil de l’Europe : on n’est jamais déçu par l’intérêt manifesté par les experts internationaux mais aussi par le grand public. Ce qui frappe aussi quand on arrive d’ailleurs, c’est par exemple le nombre incroyable d’auteurs qui défilent tout au long de l’année à la librairie Kléber et cette capacité incroyable qu’ont les gens d’ici de prendre le temps de fréquenter et de partager les espaces de débats ou de conférences. Je suis quelquefois oratrice moi-même et souvent, il y a énormément de monde. Donc l’appétence de Strasbourg pour l’intellectuel et le culturel est une réalité, pas un cliché… Vos jeunes élèves ont-ils la même opinion que vous ? A l’évidence oui puisque la première chose qu’il réclame en arrivant à l’ENA, c’est le Pass Culture qui leur permet comme tout le monde d’assister à moindre coût aux spectacles
du TNS ou de l’Opéra par exemple. S’il y a une chose dont ils se rendent compte rapidement, c’est de la qualité et de l’abondance de l’offre culturelle de Strasbourg. Comme moi d’ailleurs, ils regrettent vite de ne pas pouvoir tout voir. Nous travaillons souvent très tard… Nos élèves sont également producteurs de culture : lors du week-end d’intégration à la fin janvier, certains d’entre eux ont décidé de monter une pièce qui ait du sens par rapport à leurs appétences et au contenu de leurs études. Et depuis, ils répètent. Ils ont même appelé le directeur du TNS pour qu’il leur donne un coup de main. Je dois dire que son esprit d’ouverture m’a surprise, Stanislas Nordey a été OK tout de suite. Une autre promo prépare depuis dix-huit mois une pièce qui sera composée d’une sélection de textes ayant tous un rapport avec la Libération de 1945. Elle sera présentée pour le soixante-dixième anniversaire de l’école… L’ENA produit aussi des événements réguliers… Oui, notamment les RendezVous européens de Strasbourg, en partenariat avec la Ville de Strasbourg, la Région Alsace, l’Université, SciencesPo et l’INET. Joseph Daul, Catherine Trautmann et Nicole Fontaine y ont participé en mai dernier. Le président du Parlement européen, Martin Schultz et l’ex-commissaire européen Pascal Lamy sont pressentis… Ces événements sont d’ailleurs ouverts au public. Généralement, ils génèrent de belles rencontres et nous vivons des moments formidables avec ces scientifiques de haut niveau que l’on côtoie ici, le prix Nobel Jules Hoffmann par exemple. Ils parviennent souvent à bousculer les certitudes de nos élèves mais quelquefois, le contraire est vrai aussi.
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C’est assez bluffant… On a à Strasbourg une Université remarquable et on le doit pour beaucoup à la personnalité unique et étonnante de son président, Alain Beretz. Cet homme est d’une disponibilité incroyable. A peine arrivée à Strasbourg, je l’ai appelé pour qu’on puisse faire connaissance. Le lendemain, j’étais dans son bureau ! C’est d’ailleurs une des choses que j’apprécie le plus à Strasbourg : cette proximité qui fait qu’on n’hésite pas à aller voir, on « passe une tête » et on se parle. Il y a beaucoup moins de pompe qu’ailleurs, moins de distance, les gens sont toujours au rendez-vous. On se sent vite parmi les acteurs de la ville, c’est un vrai plus ! Cela se traduit aussi par de belles surprises. Au printemps dernier, le directeur de la BNU m’appelle et me dit qu’il a très envie de me faire visiter son bâtiment rénové. Ca tombait bien car je n’avais pas eu le temps de le faire auparavant… Catherine Trautmann avait envie qu’on puisse en profiter ensemble, elle était donc là aussi. J’ai passé un merveilleux moment, je n’avais pas mesuré à quel point cet aménagement était hors norme… Je me sens donc très bien, parfaitement à l’aise dans cette ville où prédominent en effet l’intellectuel et le culturel. Je ne cesse d’en parler à mes amis parisiens ou autres, Strasbourg est parfaitement à la hauteur de sa réputation ! » ◊
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NICOLAS LÉGER « A STRASBO URG, TO UT L E SPECTRE INTEL L ECTU EL ET CITOYEN EST BE L ET BIEN PRÉSENT ! »
Ce jeune professeur de philo (30 ans) s’est notamment fait remarquer pour ses interviews pertinentes lors des Conversations à la salle blanche de la Librairie Kléber ou durant les Bibliothèques Idéales. Enseignant désormais au lycée français de Florence, Nicolas Léger se sent bien à Strasbourg où il revient le plus souvent possible… /// TEXTE ERIKA SCHELLY PHOTOS MÉDIAPRESSE
Prof à l’étranger, ça relativise l’image que l’on a de son propre pays ? « Sans doute un peu, oui mais je dois dire que l’année que je viens de terminer au Lycée français Victor Hugo de Florence a été riche d’enseignements pour moi. J’ai adoré les profils très atypiques de mes élèves où se mêlaient les traits italiens et français…
qui compte c’est de l’amener vers ça. Je peux témoigner qu’il y a un sacré boulot qui est fait par les enseignants dans les banlieues françaises, j’ai un souvenir magnifique des mes collègues mulhousiens ou strasbourgeois…
Un métissage qu’on devine intéressant, non ? Oh oui ! Le mélange des deux cultures est un pur bénéfice ! Et le cocktail est détonnant. L’élève italien te fera une dissertation de philo très élaborée puis se lancera sans problème dans la récitation par cœur des vers de Dante. Le pied ! Ceci dit, ce métier de prof, j’ai aussi aimé le faire dans les banlieues alsaciennes comme dans le quartier de Bourtzwiller à Mulhouse ou à Cronenbourg, il y a un an. Transmettre la philo en banlieue c’est un défi ! Mais quand « ça le fait », c’est passionnant. En tout cas, moi, ça m’a tout de suite plu. Comprendre et apprendre n’est pas spontané pour un élève, ce
Comment avez-vous décroché ce poste au lycée français de Florence ? Voyager, voyager ! Je n’avais que ça en tête. Et les vacances, à chaque fois, renforçaient cette envie. Là-bas, ils cherchaient un prof de philo doublé d’un prof de lettres. J’avais le profil idéal et comme j’avais déjà publié dans la revue Esprit, ça a cautionné ma démarche. En plus, mon expérience dans les banlieues m’a servi : ils en ont déduit que j’avais le sens de la communication, de la pugnacité et que l’innovation ne m’était pas étrangère. Je ne parlais pas du tout l’italien même si je le comprenais. Mais ça y est : au bout d’un an, je me débrouille plutôt. Quand tu baignes là-dedans au quotidien au milieu de tes collègues, ça va vite…
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Venons aux intellectuels, qui sont au centre du dossier de ce numéro de Or Norme… Je n’ai pas de problème avec ce terme-là, et le mot intello me parle positivement. Je ne le ressens pas comme péjoratif car il me fait penser immédiatement à Camus, cette figure qui a le savoir et cette sensibilité qu’elle met à la disposition de la société qui l’entoure. A Strasbourg, au lycée Fustel de Coulanges plus précisément, j’ai appris que la philo ce n’est pas tant apporter des réponses que de formuler les bonnes questions. L’intellectuel cherche au beau milieu du bruit ambiant, au-dessus des conflits, les éléments de ce qui peut interroger puis dire, ensuite… Car il n’est pas seulement un observateur, un contempteur mais un véritable acteur de son temps. Voilà par exemple ce qui me rend sceptique sur les Zemmour ou autres « polémistes » de l’époque que nous vivons. Ils ne sont de loin pas à cette hauteur-là.
La philo, comme révélateur des débats de notre société, c’est ça ? Oui, résolument oui. La philo interroge les évidences et se place là où tout est précaire. Une anecdote pour éclairer ça : j’avais fait terminale S au lycée et je me souviens d’un prof de physique avec qui je soutenais un débat : je lui demandais qui avait décidé qu’un kilo c’était un kilo. Il m’a répondu : « Tu devrais faire philo ». C’est comme ça que c’est parti… On vous a repéré l’an passé, avant votre départ pour Florence, grâce à votre aisance en matière d’interview, à la librairie Kléber… Je suis venu au journalisme grâce à la confiance qu’on m’a accordée lors de mes collaborations aux magazines Zut ou Novo. On m’y a appris à donner la tournure aux phrases, à choisir les sujets. Ca m’a amené à Kléber à cet exercice très particulier qu’est l’interview publique, on y est beaucoup moins solitaire que lors des interviews écrites. Grâce notamment au travail que réalise François Wolfermann avec la venue de tant et tant d’écrivains, il y a ici un énorme éclectisme en matière de personnalités intellectuelles. Tout le spectre intellectuel et citoyen est à Strasbourg, tout au long de l’année. Ici, on ne se met pas toujours d’accord, mais on s’écoute, on débat, on s’interroge. Et quand tu as la chance d’être au milieu de tout ça, c’est un privilège ! En plus, la main tendue aux jeunes, ça fonctionne ici. J’en suis la preuve vivante… Ceci dit, cette aisance que vous me prêtez, elle n’a pas toujours été de mise. Au début, tu ne veux pas avoir l’air d’un con en interviewant un auteur, alors tu cherches absolument à poser la question distinguante. Tu mets un moment à comprendre qu’au contraire, il faut laisser filer tranquille, être basique. Ainsi, tu tisses quelque chose avec l’auteur que tu questionnes. Et tu finis par apprendre beaucoup de choses, à piger et à sentir ce que j’appelle les lignes du débat. Tout ça, ça a modelé mon paysage intellectuel. Une pensée résumée en une phrase prend toute sa nuance quand tu côtoies de près les écrivains, les philosophes comme les autres. Et parfois, tu entrevois avec clarté les rapprochements possibles entre deux pensées. Ca fabrique des passerelles et ça permet à ces pensées de s’ouvrir, de s’exprimer avec plus de force et de clarté. C’est par exemple tout l’intérêt du concept développé lors des Bibliothèques Idéales de septembre, c’est assez fascinant et en tout cas, ça marche fort. Il suffit d’entendre les auteurs dire à quel point ils se sentent ici mieux qu’ailleurs et ils expliquent ça par l’appétence manifestée par le public strasbourgeois en matière de début intellectuel, de vie des idées. Ca, c’est fou, je ne sais pas si les Strasbourgeois s’en rendent bien compte… Donc, pour vous, Strasbourg l’Intellectuelle reste une vraie réalité ? Aucun doute là-dessus. A Strasbourg, les pensées s’incarnent. On y rencontre tant de gens qui écrivent et qui produisent du savoir. Du coup, cette production de pensées, on la vit à fond ici. Pour le meilleur ou pour le pire d’ailleurs : que ce soit très pertinent ou au contraire stérilement polémique, tu n’est plus un simple spectateur, tu es pris dans le truc. Cependant, à Strasbourg, tu sais aussi garder tes distances, tu as ta posture, tu n’es pas sommé à chaque instant de prendre position pour un camp ou pour un autre et ça, c’est un sacré atout. La qualité du débat est bien réelle à Strasbourg et c’est d’ailleurs une des raisons qui attirent les intellectuels et les écrivains : beaucoup d’entre eux nous disent qu’ici, ils peuvent enfin souffler ! » ◊
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STRASBOURG, L’INTELLECTUELLE ?
GEORGES BISCHOFF « J’AIM E BIEN L ES SERRU RES M AIS M OIN S LES PASSE-PARTOU T »
Le thème de ce dossier intriguait l’historien Georges Bischoff et comme Or Norme lui plaît, il a répondu présent quand nous lui avons proposé d’explorer avec lui l’univers des « intellectuels ». Stimulant. /// TEXTE VÉRONIQUE LEBLANC PHOTOS DR
Tout d’abord, comment définiriez-vous « l’intellectuel » ? « La terminologie est apparue au XIXe siècle, au moment de l’Affaire Dreyfus mais de toute évidence il y en a eu avant. Selon moi, ce sont plus des éveilleurs que des guides. Au fond, ce sont des « profs » qui fabriquent et transmettent à des « élèves » un savoir – souvent abstrait - fabriqué à partir de leur questionnement passé à la moulinette de leur matière grise.
concentration spatiale parisienne dans les 5e et 6e arrondissements, l’esprit de chapelle a joué, l’effet réseau aussi. Aujourd’hui, les modes de vie ont changé, les centres de recherche ont éclos un peu partout, ce qui change la donne…
Tenez-vous les intellectuels en sympathie ? Ce que je n’aime pas, ces sont ceux qui s’autoproclament « intellectuel » alors que leur indépendance entre parfois en contradiction avec la « fortune du pot ». Il faut faire bouillir la marmite… Je rêverais de faire une enquête sur l’argent des intellectuels. De quoi vivent-ils ? Dans les faits, beaucoup cachent leur vrai métier.
Strasbourg a connu elle aussi cette « concentration spatiale » à l’époque des Marc Bloch et Lucien Febvre. L’Ecole des Annales a révolutionné les sciences historiques… L’Université de Strasbourg a en effet bénéficié en 1919 de la délocalisation d’une partie de l’une des générations d’universitaires parmi les plus créatives et les a dotés de moyens extraordinaires. Ce n’est cependant pas pendant leur période strasbourgeoise que ces deux historiens ont été reconnus comme des intellectuels novateurs. Le phénomène a été rétroactif. Marc Bloch était un modeste, un spécialiste qui parlait à d’autres spécialistes. Il n’avait pas ce côté médiatique, « grand public » qui a caractérisé des Le Roy-Ladurie ou Duby par exemple. Il ne passait pas son temps à signer des pétitions, son engagement n’était pas public.
Y a-t-il eu une relève aux Sartre, Camus, Aron, Barthes… ? Ils ont bénéficié d’une
Ce n’était pas dans « l’air du temps »… C’est vrai… Mais il faut noter qu’en
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Dans quel but ? Celui de le recycler sous forme d’action. Le résultat escompté est pratique mais il reste déterminé par des facteurs qui ne sont pas liés à cette production intellectuelle.
1939, les enseignants de l’université de Strasbourg ont eu l’immense mérite d’adresser un appel au président de la République pour dénoncer la « Nuit de Cristal » et les horreurs du nazisme. Quel rôle joue, aujourd’hui, la médiatisation de la parole de l’intellectuel ? Des Bernard-Henri Levy, Michel Onfray, Luc Ferry… appartiennent au vedettariat. Ils sont devenus une espèce de conscience que l’on consulte sur tout et n’importe quoi au nom de ce fameux « regard sur l’actu ». Cela les oblige à être sollicitables très rapidement et il faut leur reconnaître une grande agilité cérébrale. Malheureusement, cela les contraint aussi à la provocation et à des raccourcis parfois dramatiques comme dans le cas de BHL sur la Libye. Et cela exclut la modestie… Leurs compétences sont incontestables mais c’est vrai que la suffisance, la haute conscience de soi et l’aplomb font partie des règles du jeu. Qu’en est-il du doute ? Le dénominateur commun ce sont les certitudes. Quelqu’un comme Michel Onfray est intéressant à beaucoup de points de vue mais il en
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est bardé… Pour ma part, j’aime bien les serrures et moins les passe-partout. Chercher la bonne clé doit être une des grandes obsessions des intellectuels. Dans mon essai « Pour en finir avec l’histoire de l’Alsace », je me suis aperçu que je n’avais pas un seul point d’exclamation mais beaucoup de points d’interrogation…
Dites-nous en plus… Ce travail – 900 pages au final – est un repérage. Il est pionnier car personne ne s’est jamais penché sur les modalités de l’exercice de la liberté et leur évolution. Les notices concerneront des personnages emblématiques comme Che Guevara, des sujets comme les cahiers de doléance mais aussi le bikini ou l’histoire du mot « putsch » né… en Suisse !
Vous considérez-vous comme un intellectuel ? On ne peut pas s’autoproclamer… Selon moi, l’intellectuel aujourd’hui se caractérise par l’appartenance à un groupe. Nous ne sommes plus à l’époque des grandes synthèses. Plus aucun d’entre nous ne peut dominer un savoir.
Comment se porte la liberté aujourd’hui ? On se recroqueville, ce qui est paradoxal car nos outils de liberté sont toujours plus riches. Il est vrai que les contraintes sont plus grandes et que nous protestons peu. Dans notre dictionnaire, la rubrique « Charlie Hebdo » a été rédigée après l’attaque. Je ne peux plus la modifier mais je pense qu’une page supplémentaire aurait été bienvenue pour étoffer la mise en perspective.
Quels sont les intellectuels les plus stimulants à vos yeux ? Attali se trompe souvent mais il est intéressant parce que, justement, sa curiosité porte sur tout. J’aime beaucoup Michel Serres pour son côté « bricoleur » qui monte et qui démonte. Il parle avec des mots simples et avec bienveillance alors que de nos jours un procureur sommeille souvent dans tout intellectuel. Et quelqu’un comme Umberto Eco ? J’aime sa liberté. Il dit des choses sérieuses avec le sens de l’intrigue. Les Italiens ont l’immense qualité de jouer à la fois sur l’analyse et la théâtralisation. Il y a chez eux un côté jouissif, un peu canularesque. Pensez à Italo Calvino, à Léonardo Sciascia… En France, on est trop graves – et trop futiles - pour ça... Quels sont vos projets alors que vous terminez votre dernière année d’enseignement ? Je suis en train de corriger les épreuves d’un « Dictionnaire historique de la liberté » dont le projet a été lancé il y a trois ans par une équipe d’historiens de l’université de Strasbourg en compagnie de Nicolas Bourguinat.
Strasbourg est-elle une ville intellectuelle ? Elle l’est ipso facto puisqu’elle est une ville universitaire importante dotée de moyens exceptionnels comme la BNU ou les labos. Elle tient son rang à l’échelle française et européenne. Les Strasbourgeois sont-ils des « intellectuels » ? L’offre culturelle très riche – parfois un peu conformiste - fait souvent le plein, c’est un fait. Et si le Festival de Musique de Strasbourg s’est arrêté, comme une machine qui a beaucoup servi, il n’en a pas moins été relayé sous d’autres formes, avec une palette qui va de la création contemporaine (Musica), à la culture populaire, avec la « Symphonie des deux Rives » et des tas d’autres choses… Sans compter que la ville accueille le siège de la merveilleuse ARTE. Cette chaîne est d’autant plus précieuse qu’elle est restée dans une logique de service public. Qu’une démocratie comme la nôtre n’envisage plus la culture que comme une entreprise commerciale serait catastrophique… » ◊
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ROBERT GROSSMANN « IL N OUS FAUT DES INTEL L ECTU EL S AGISSANTS »
Culture, politique étrangère, défense de la laïcité et des valeurs républicaines : le regard porté par l’ancien président de la CUS et maire délégué de Strasbourg sur ces dossiers a quelques chose d’implacable. Selon lui, un nouveau dialogue doit être instauré entre politiques et intellectuels. Et vite, faute de quoi la révolution culturelle que nous vivons continuera à être subie à défaut de pouvoir être maîtrisée. /// TEXTE CHARLES NOUAR PHOTOS CLAUDE_TRUONG-NGOC
Pascal Boniface, déclarait il y a deux ans, à l’occasion de la parution de son ouvrage « Les Intellectuels intègres » : « Auparavant, les responsables politiques lisaient les œuvres des intellectuels. Aujourd’hui, ils lisent la quatrième de couverture et regardent la télé-réalité pour se sentir plus proches de leur base et il y a une perte d’influence des milieux intellectuels intègres par rapport à la classe politique, plus sensible aux arguments marketing des intellectuels faussaires ». Partagez-vous cette observation ? « Le jugement de Pascal Boniface est sévère. Dans ses écrits il ne dénonce pas seulement les « responsables politiques » mais effectue son propre tri entre les intellectuels. Pour lui, certains sont des « faussaires », voilà qui est péremptoire et peut-être trop partial. Cela dit sa démonstration globale reste valable. Mais sur le fond, partagez-vous son analyse ? Je ne peux que le rejoindre quand il écrit que les « responsables politiques » ne lisent pas de livres. Peut-être ne lisent-ils même pas les quatrièmes de couv…Il ne vont quasiment jamais dans un musée contempler une œuvre d’art, ils vont rarement aux concerts, ne sont pas en contact avec les artistes, les créateurs qui sont les visionnaires de notre société. Mais on ne peut affirmer pour autant qu’ils sont fascinés par la télé-réalité. Cette méchante affirmation est cruelle autant pour «leur base», c’est à dire le peuple, que pour eux même. Sans doute a-t-il voulu dire que les élus veulent ressembler à leurs électeurs pour capter leurs suffrages. Dès lors ceux-là les éliraient et auraient donc les élus qu’ils méritent. De ce point de vue, ce n’est en effet globalement pas glorieux. N’est-ce pas là, d’une certaine façon, une dérive du politique ? J’entends par là qu’à force de vouloir répondre à l’immédiateté, à l’émotion publique, ou à l’enjeu électoral à court terme, les
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politiques en oublient ou s’interdisent toute vision politique et/ ou sociétale ? Oui ! C’est le système qui produit ces dérives. Les politiques ont les yeux rivés sur les sondages avec une seule préoccupation pour ne pas dire une obsession : leur élection ou leur réélection. Ils ne sont plus que dans l’immédiateté et le court terme. On n’observe guère de vision à long terme. Un président de la République sous le quinquennat est quasiment en campagne électorale permanente… Ce point est particulièrement intéressant en ce sens que l’émotion publique ne répond pas à une réflexion de fond et écarte ainsi de la sphère d’intervention ou d’action politique les intellectuels eux-mêmes. Pour ne prendre qu’un exemple, depuis plusieurs années déjà, une intervention armée ne se décide plus tant par souci de vision à long terme et de défense d’intérêts nationaux ou collectifs vitaux qu’en réaction à une émotion populaire réelle ou construite par quelques spin doctors… Je pense notamment ici à l’Irak ou à l’Afghanistan, en ce qui concerne les Etats-Unis, mais également à la Libye en ce qui concerne la France. Autant d’échecs patents de l’intervention occidentale, faute d’avoir associé au renversement des régimes en place une vision et des moyens à long terme susceptibles d’aider à la refondation réelle de ces Etats. C’est parfaitement exact et vos exemples sont d’une totale pertinence. J’ajouterais que l’influence des spin-doctors est en effet très prégnante. À titre d’exemple, en suivant BHL, Sarkozy s’est sans nul doute cru préservé du coté des intellectuels. Il y a là comme une fascination du bling bling intellectuel. Pourtant on ne peut pas dénier à nos grands élus une réelle intelligence et par conséquent rien ne les empêcherait de réfléchir par eux même et de s’inscrire dans le long terme.
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STRASBOURG, L’INTELLECTUELLE ? Sans verser dans le cynisme absolu, n’y a-t-il pas, au moins sur ce dossier, une triste convergence d’intérêts particuliers entre ces différentes parties ? L’intellectuel, ou supposé tel, s’octroie une importance médiatique sur le moment et justifie, par ricochet, une influence politique de façade – tout ou presque ce que Boniface associe à « l’intellectuel faussaire » ; le politique gagne en respect et soutien auprès de l’opinion publique, ce qui n’est pas négligeable d’un point de vue électoral ; et l’industrie de l’armement se relance sur le plan financier, avec – pour le politique – la perspective d’ajouter au PIB quelques résultats économiques prometteurs en cours de mandat… Disons en raccourci que la triste affaire de la Lybie, tout comme celle de l’Irak pour les États-Unis, illustre parfaitement une absence de projet durable doublé d’un manque de hauteur de vue. Alors ? Inconscience ou cynisme absolu ? Dans les deux hypothèses, les résultats sont catastrophiques et l’arroseur est déjà partiellement arrosé. Sur un autre dossier, plus franco-français, celui de la laïcité. Certaines voix comme celle d’Elisabeth Badinter se font entendre, mais celles-ci se font relativement rares dans un contexte, non seulement de radicalisation religieuse – dont chrétienne, comme l’a montré le débat du mariage pour tous – mais peut-être plus encore au regard d’une communautarisation croissante de notre société. Comment expliquez-vous ce silence et cette incapacité chronique des politiques à s’entourer ou, du moins à consulter et écouter, de véritables experts de ces questions en amont de leurs prises de décisions ? Le simple principe de laïcité n’a, à titre d’exemple, même pas d’existence juridique, ce dont nul ne semble s’émouvoir alors que cette définition devrait, en toute logique, être la pierre angulaire de la réflexion intellectuelle et politique... On commente, on fait des lois, mais nul, dans le champ politique, ne s’étonne de la fragilité des fondations de cette laïcité dont se réclame la France... Il est un fait, et je le dis avec tristesse, la République ne réussit pas à prendre le pas sur les communautarismes, à s’imposer avec ses principes et ses lois face à eux. Ce constat est plutôt récent. « Liberté Égalité Fraternité » proclame la primauté du citoyen, de l’individu sur les communautés de quelque nature qu’elles soient. Il ne devrait y avoir qu’une seule communauté en France, qu’un seul peuple, le peuple de France. Or, on observe comme un éclatement de la République en de nombreuses communautés, religieuses, ethniques, régionalistes. Quand j’entends d’ailleurs les journalistes ou les hommes politiques parler de « peuple de gauche ou de peuple de droite, » cela m’afflige. Ces appellations suscitent l’affrontement. De même pour « peuple de Corse ou peuple d’Alsace ». Quelle serait donc la définition d’un virtuel peuple d’Alsace ? Qui ferait partie de ce peuple-là, qui en serait exclu ? Le paroxysme se manifeste dans les communautarismes religieux dont certains confinent à l’intégrisme porteur de violences. En ce début du XXIème siècle la République est faible et je ne sais pas si la phrase que l’on prête à Malraux « Le XXIième siècle sera religieux » emportait ce genre de prédiction maléfique. Pour beaucoup la laïcité est un concept abstrait et mal défini, voire hostile. Certains la considèrent comme un concept inamical alors qu’elle est tout le contraire, la base même d’un vivre ensemble fraternel. Il y aurait en effet un travail urgent à faire, consistant à faire valoir les acquis et les valeurs positives de la laïcité.
le risque que l’extrême droite ne finisse, par absence de débat ouvert et transparent sur cette question, par s’emparer seule de ce thème mais à des fins toutes autres que celles de la défense du vivre ensemble... Politiquement, le silence politique des intellectuels sur cette question n’est-elle pas quelque part coupable et dangereux ? Comme je le suggère dans mes précédentes réponses, la République doit recouvrer sa primauté dans tous les domaines, surtout le religieux. Il ne peut y avoir qu’un seul corps de lois, celles de la République. Aucune loi religieuse ou communautariste, aucune règle particulière ne peuvent s’imposer aux lois de la République. Les partis traditionnels, dits de gouvernement, semblent trop timides sur ce terrain, préoccupés par des considérations électoralistes, donc démagogiques. Peut-être est-ce le courage qui fait le plus défaut. Pour reprendre votre expression, « le silence politique des intellectuels » est en effet réel ; il faut des intellectuels agissants. Dans ce domaine crucial de la « remusculation » de la République, il est nécessaire d’avoir l’éclairage de la pensée, donc des intellectuels, mais il y faut surtout une action efficace, inspirée par la pensée, donc une volonté politique forte. On a donc le droit de rêver à une synergie républicaine conduite par des intellectuels politiques et des politiques intellectuels. À mes yeux elle est urgente. Sur un plan plus local, enfin, Strasbourg dispose d’un réseau d’enseignants-chercheurs parmi les plus réputés d’Europe. Mais la présence de ces compétences paraît très largement sous-évaluée dans la définition des politiques locales. En tant qu’ancien Président de la CUS, et homme attaché à la défense du monde culturel, comment expliquez-vous cela ? Cela nous amène, je crois, à une question corollaire : un maire peut-il échapper à l’électoralisme, à la démagogie, à la tentation de « vouloir faire plaisir », donc à se situer dans l’immédiateté ? Nous avons souvent associé l’Université à nos projets, réuni régulièrement les acteurs de la vie culturelle dans leur diversité, dialogué avec les représentants de l’Europe : Parlement, Conseil de l’Europe, Cour Européenne des Droits de l’Homme. Pourquoi ? Parce que ce foyer de la pensée, fondé sur la ville du Livre pouvait et devait être la capitale des Droits de l’Homme. Non pas seulement dans les discours mais exprimée et vécue au quotidien. Poursuivre cette idée demande un grand investissement politique. Il y faut de la hauteur de vue et surtout une farouche volonté politique. Mais sur la définition des politiques publiques... ? J’y viens justement. Pour répondre plus précisément à votre question, j’ai toujours pensé, je l’ai dit et écrit : la Culture doit être au cœur de toute action publique. Et je forme le vœu que nos successeurs à Strasbourg en prennent pleinement conscience et je n’ai aucune raison de désespérer sur ce plan… Permettez-moi d’ailleurs une dernière réflexion personnelle en marge de cet entretien… Nous vivons une mutation profonde de notre société, les modèles anciens auxquels nous nous accrochons s’effondrent imperceptiblement sous nos pas, sous nos yeux. Et il n’est pas excessif de dire que nous vivons une révolution culturelle et qu’il est impératif de la maîtriser. Pourquoi Strasbourg n’installeraitelle pas un laboratoire de la prospective civilisationnelle… laïcité, esprit républicain, culture ? Bref réfléchir à maitriser cette révolution sournoise et implacable plutôt que de la subir. Bon… je rêve !.. » ◊
Autre point particulièrement tabou, cette fois, tant sur la scène intellectuelle, politique que médiatique, la radicalisation religieuse a pour conséquence qu’un nombre, certes encore minoritaire mais croissant, de pratiquants religieux placent les lois spirituelles au-dessus des lois nationales. Or, taire cette réalité risque d’avoir deux effets dévastateurs : la rupture du sentiment d’appartenance et d’unité nationale d’une part, et
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STANISLAS NORDEY « LES I N T ELLECT UELS SONT AVANT TOU T DES GENS QUI N E F ON T PAS M ÉT IER D’ÊTRE DES INTEL L ECTU EL S »
Nouveau directeur du TNS, Stanislas Nordey pose un regard critique sur l’absence de débat au sein de notre société. La faute, sans doute, à un projet politique flou limitant la prise de parole de grands auteurs engagés et d’une réflexion qui peine à sortir des murs des institutions. Un schéma qu’il entend chercher à casser au travers de l’Autre Saison pour que ce dialogue renaisse à l’échelle, non plus seulement de quelques initiés, mais de toute une ville. /// TEXTE CHARLES NOUAR PHOTOS JEAN-LOUIS FERNANDEZ - DR
Stanislas Nordey, peut-on encore aujourd’hui parler de place ou d’influence des intellectuels dans la société ? « L’influence des intellectuels est à mon sens difficilement mesurable parce que nous avons pris pour habitude de la comparer à l’aune d’un temps historique très particulier, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Une forme d’âge d’or, celui des Sartre, des Camus, où, tout d’un coup, la parole des intellectuels était une parole dont on avait besoin pour reconstruire quelque chose ; où il était clair que nous avions besoin de penseurs pour donner des axes de réflexion à toute une société. Or, aujourd’hui, quelle serait la grande question ? Celle de la construction de l’Europe, peut-être… Mais les voix manquent sur ce sujet... Oui, mais c’est aussi parce que c’est une question qui est mal portée par les politiques et que, du coup, l’intellectuel ne sait pas trop comment se débrouiller avec cela. La position de l’intellectuel est d’être en écho, en déport d’une position politique forte, ce qui lui est ici difficile. Le projet européen porté par le politique est tellement peu clair, tellement fluctuant que l’intellectuel n’a pas de prise. S’il était plus polémique, la parole des intellectuels pourrait se déployer. Vous mentionniez Sartre, Camus. Quelle serait selon vous aujourd’hui la figure de l’intellectuel ? Lorsque j’ai monté « Les Justes » de Camus, je m’étais penché sur cette question. Les
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personnes qui s’écharpaient à l’époque, dans le débat public, étaient toutes d’incroyables écrivains. Aujourd’hui, je n’ai pas forcément l’impression que nos grands écrivains soient forcément dans le débat public. Je ne suis pas plus certain que ceux que l’on range médiatiquement sous la bannière des intellectuels soient tous des gens qui ont une plume forte. Dans mon imaginaire, l’intellectuel est, à tort ou à raison, d’abord un écrivain. L’exemple, pour moi, c’est Zola pendant l’affaire Dreyfus. Pour préciser ma pensée, les intellectuels sont avant tout des gens qui ne font pas métier d’être des intellectuels. Ce sont des gens qui sont d’abord soit de grands écrivains, soit de grands philosophes qui, tout à coup, à un moment donné, vont prendre la parole sur la manière dont notre monde se déploie, se déplace. C’est ce que l’on retrouve aussi chez Pasolini qui est ma figure tutélaire et l’exemple même du grand intellectuel. Pasolini est avant tout un grand poète, un grand cinéaste et qui, de ce fait, lorsqu’il prend la parole, voit celle-ci acquérir une valeur parce qu’on admire d’abord l’artiste, l’écrivain et que l’on va écouter autrement. Et, ce faisant, des personnes comme Pasolini ou Sartre peuvent dire des choses qui ne sont pas politiquement correctes. Retrouvez-vous cela dans le théâtre d’aujourd’hui ? Deux des auteurs que j’ai associés, Marie N’Diaye et Falk Richter, pour prendre une Française et un Allemand, sont justement à cette frontière. Ils sont à la fois de grands auteurs et très en lien avec
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le monde. Falk écrit vraiment sur la société d’aujourd’hui et Marie a un rapport très aigu à ce qui l’entoure. On pourrait également citer Wajdi Mouawad... Oui. Wajdi a un lien direct à la création, à l’invention du théâtre et à la tragédie grecque dans la mesure où, tout comme Falk, il raconte à la fois des histoires, a un geste très généreux dans la narration, et ces histoires parlent de la guerre du Liban, de la place des femmes au MoyenOrient. Dans l’esprit de la tragédie grecque, c’est quelqu’un qui allie le poétique et le politique. Une double entrée à laquelle vous semblez très attaché... Oui, parce qu’en tant qu’homme de théâtre, mon sentiment est que donner à rêver n’est pas suffisant. Nous ne devons pas nous contenter d’être dans un théâtre de divertissement mais aller au-delà et nous inscrire dans un théâtre du divertissement de la pensée. Et Falk, avec son positionnement dans le théâtre allemand, est quelque peu en porteà-faux parce que s’il est très suivi et aimé par les jeunes générations, il est aussi plus en difficulté avec l’Institution, justement parce qu’il ne se contente pas d’être dans la fable et dans les histoires. Falk allie à un récit une vraie réflexion politique et souvent engagée. Or, je pense que le public a aujourd’hui envie et besoin de ce type d’écrivains qui pensent qu’ils ont une responsabilité, à l’image d’un Sartre qui a écrit « La responsabilité de l’écrivain ». Des gens comme Wajdi, Falk, ou Marie N’Diaye, prix Goncourt 2009, qui est tout de même partie vivre à Berlin quand Sarkozy a été élu, sont dans cette ligne de pensée. L’Autre Saison que vous proposez pour la première fois cette année, en marge de la programmation officielle du TNS s’inscrit-elle dans cette volonté de provoquer le débat sur des questions tant culturelles que sociétales, voire politiques, en partant de ceux qui écrivent et qui sont respectés dans leur métier premier ? L’objectif de l’Autre Saison – composée d’une quarantaine d’événements qui seront l’occasion d’environ quatre-vingt dix rendez-vous - est, au travers de présentation de pièces, de lectures, de rencontres avec des auteurs, des philosophes, de convoquer, dans le théâtre, la ville autrement, et pas simplement dans le rituel de la représentation du soir. De bouger les habitudes. Les gens ont une façon d’aller au théâtre et une seule souvent. Ma volonté est d’ouvrir d’autres façons d’aller au théâtre, de faire aussi, que d’autres gens viennent, qui n’ont pas forcément les moyens d’aller souvent au théâtre. L’idée est aussi que l’Autre Saison existe indépendamment de la Saison, c’est à dire que toutes deux ne soient pas directement reliées, qu’elles puissent être vues indépendamment. Et puis, cette Autre Saison est effectivement une manière d’imaginer un théâtre qui soit aussi un lieu d’échange… Au sens d’une Agora ? Oui, avec cet objectif que le lieu du théâtre ne soit pas uniquement le lieu des théâtreux. Comment, tout d’un coup, le théâtre devient le lieu du débat, le lieu où circule la parole et la pensée sur ses plateaux mais aussi en dehors et appartienne, dans la réflexion qui y nait, à la ville dans son ensemble… » ◊
“ PASOLINI EST MA FIGURE TUTÉLAIRE ET L’EXEMPLE MÊME DU GRAND INTELLECTUEL ”
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STÉPHANE LITOLFF « ST RASBO URG NE PEU T PAS TOU T ASSUMER À EL L E SEU L E... » Stéphane Litolff, 46 ans, dirige avec brio le centre culturel de Vendenheim, au nord de Strasbourg. En bon pro de l’animation culturelle, il pose la question de la place de l’intellectuel dans la société contemporaine et son analyse des politiques culturelles locales est particulièrement pertinente… /// TEXTE JEAN-LUC FOURNIER PHOTOS MÉDIAPRESSE
C’est d’abord l’histoire de la découverte d’un centre culturel de la seconde couronne de Strasbourg. Honte à nous ! A la rédaction de Or Norme, les communiqués culturels sont si nombreux que ce qui se programmait à Wendenheim avait jusque là échappé à nos radars… Il a fallu que l’artiste Cathy Meyer nous insère dans son jury du concours de mail-art « Je suis Charlie » pour qu’on découvre le lieu. Deux jours plus tard, Stéphane Litolff nous invitait à la journée « Portes ouvertes » de son centre culturel avec un sibyllin « Venez, ça n’a rien de classique. C’est conçu comme un spectacle… ». On est venu et on a été emballé par la métamorphose totale du lieu et une mise en scène d’une folle habileté : nous sommes devenus l’espace d’un après-midi des visiteurs d’un futur millénaire, redécouvrant les vestiges d’un centre culturel du lointain XXIème siècle encore habités par des zombies qui avaient été, à l’origine, des comédiens. Décoiffant ! Enfin, deux mois plus tard, la conjuration des amitiés avait encore fait son œuvre: la découverte des « Cavaliers », une pièce de théâtre inspirée du roman de Joseph Kessel. Ou comment un acteur et un metteur en scène de très grand talent (Eric Bouvron) parvient à restituer les grands espaces de l’Afghanistan sur quelques mètres carrés de scène… Superbe ! Le flair de Stéphane Litolff est alors apparu en pleine lumière : en juillet dernier, la pièce, superbement servie par le Molière 2014 de la révélation masculine, Grégori Baquet, et l’extraordinaire talent du comédien-bruiteur Khalid K, a fait un carton au Off d’Avignon. « Les cavaliers » sont programmés à Paris l’hiver prochain. On vous prédit d’ores et déjà un triomphe… qui ne
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surprendra pas les près de quatre cents spectateurs qui on découvert ce petit bijou théâtral à Vendenheim au printemps dernier. Alors évidemment, au moment de fabriquer le dossier de ce numéro d’Or Norme consacré à Strasbourg l’Intellectuelle ? nous avons pensé que Stéphane Litollf avait sans doute deux ou trois choses à nous dire sur le sujet. Et nous n’avons pas été déçus… Transversalités… L’homme a écumé les lieux les plus divers, centres sociaux, associations… et se souvient avoir fait ses armes en matière culturelle en montant Avalanche, un collectif rock qui avait pour objectif, il y a vingt ans, « d’aider et valoriser la scène locale ». « L’électro pointait le bout de son nez » se souvient-il, « avec Yann Gilg, on a fait le même constat : Strasbourg était un peu une ville morte côté musiques actuelles. Yann n’arrêtait pas de dire : il faut se battre ! Et moi, j’organisais concert sur concert. Je suis devenu objecteur de conscience chez Alsace-Nature puis j’ai migré petit à petit vers le milieu de la culture. Lors du premier mandat de Catherine Trautmann, tout a été axé sur le concept Strasbourg : capitale européenne, ce prestige de la ville capable d’attirer et satisfaire avant tout les classes moyennes. Un vrai glissement s’est produit à ce moment-là et, selon moi, il a commencé à pénaliser les lieux modestes. Je l’ai remarqué car j’ai travaillé près de dix ans au centre culturel du Fossé des XIII où on a programmé Renaud, Noir désir entre autres… La spécialisation a commencé à se mettre en place : les musiques
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actuelles autour de la Laiterie, la danse à Pôle Sud puis, plus récemment, les musiques du monde au Neuhof, au centre Django Reinhardt. Au passage, la salle devait porter le nom d’Abd-Al-Malik et sa programmation centrée sur le hip-hop. Les quartiers adhèrent-ils à ces concepts ? Je n’en suis pas certain… » A la question Strasbourg l’intellectuelle ?, Stéphane Littolff répond… par une autre interrogation : « Si c’est le cas, à quoi ça sert ? » Et n’hésite pas à élargir le focus sur les intellectuels français d’aujourd’hui : « Où sont aujourd’hui les penseurs, les philosophes, les artistes, les écrivains qui contribuaient par leur engagement à faire évoluer la société ? Je pense aux Foucaut, Debray, Sartre, Camus et autres… Quand tout tourne désormais autour des Onfray, Zemmour ou Finkelkraut, on est en droit de dire que ça suffit, non ? Les débats que ces derniers suscitent sont du bla-bla, ça n’a rien à voir avec ceux qui par leur mode de pensée et la force de leurs opinions ont généré de la passion, des rencontres et, in fine, des changements dans la société ! Je pense très sincèrement que ce foisonnement existe encore mais qu’il se situe dans des lieux comme les nôtres : c’est dans les centres culturels de quartier ou de banlieue qu’on a organisé les débats les plus ouverts après les drames de janvier dernier, parler et réfléchir ensemble ça s’est mis en place dans les librairies, les médiathèques, les centres culturels, avec la présence des artistes à la recherche de la rencontre avec l’autre. Assez loin des lieux de débats habituels entre des publics déjà convaincus par avance ou l’on cultive trop souvent l’entre-soi. Pour bousculer le confort de ce ronronnement, il faut évidemment donner la parole à des gens plus jeunes, issu de la diversité. Il y a des trentenaires ou de jeunes quarantenaires qui ont développé de vraies expertises, permettons-leur de se révéler et cela se concrétisera obligatoirement dans d’autres endroits que les sempiternels lieux de débats usuels de Strasbourg… » Complémentarité… S’il est donc loin de se focaliser sur le seul territoire strasbourgeois, Stéphane Littolff raisonne volontiers au niveau de l’Eurométropole : « Je suis profondément convaincu que la crise économique va élargir l’horizon des élus. Au niveau de l’Eurométropole, on cherche à mutualité au maximum les techniques, la logistique… On doit continuer selon moi à porter de l’attention au global : les salles périphériques programment ce que Strasbourg n’a pas la possibilité de présenter. Robert Grossmann, à l’époque, avait bien compris ce phénomène. La complémentarité, l’aide à la création, Strasbourg ne peut pas tout assumer ! Chacun apporte alors sa pierre : Schillik s’intéresse vraiment au jazz, par exemple, et c’est parce qu’il n’y a pas de salle de concert dédiée à Strasbourg. Nous, c’est la programmation théâtrale, en recherchant les œuvres qui posent des questions sociétales. La transversalité devrait être la norme ! A Vendenheim, on comptabilisera cette saison 82 représentations, dont 27 levers de rideau tous publics et 55 réservés aux scolaires, un axe très important pour nous. Et tout ça se passe dans le centre culturel d’un village de 5 700 habitants qui est en train de basculer peu à peu vers la statut d’une petite ville. Alors, notre programmation, c’est une évidence, n’est plus depuis longtemps réservée qu’aux seuls habitants de la commune. Nous faisons partie de la dizaine d’établissements culturels de l’agglomération: six sont à Strasbourg et les quatre autres, à Illkirch, Ostwald, Oberhausbergen et ici. Ce pari, on le réalise avec 300 000 € de budget. On y parvient encore, même si nous avons perdu 60 000 € de budget disponible en deux ans ! » ◊
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SERGE HARTMANN « IC I, IL Y A U N TERREAU FERTIL E Q UI FAVORISE L A PENSÉE »
Si son visage n’est pas le plus connu de Strasbourg, sa signature, en revanche, est très populaire dans les milieux culturels de la capitale alsacienne. Serge Hartmann dirige le service Culture des DNA et s’est prêté avec gourmandise au commentaire du statut intellectuel de Strasbourg… /// TEXTE JEAN-LUC FOURNIER PHOTOS MÉDIAPRESSE - DR
S’il fait partie de ces journalistes qui ont encore la petite étincelle de la passion nichée au fond de l’œil dès qu’on leur demande d’évoquer leur métier, Serge Hartmnann se souvient également de ses débuts de localier pour l’édition DNA deThann / Guebwiller dans le Haut-Rhin, puis de son passage à Colmar et de son arrivée, enfin, à Strasbourg au sein de la rubrique Arts plastiques du quotidien régional, chargé de l’actualité des musées et des expos. Il faut croire qu’il déploya alors toute son appétence (et sa compétence) pour le domaine de la culture puisqu’au départ du chef de service, on lui confia sans hésiter le poste. « Nous sommes cinq journalistes permanents au service Culture » détaille-t-il. « Plus une armée mexicaine de pigistes » s’empresse-t-il de préciser avec l’œil rigolard. « Ce n’est pas de trop pour fabriquer une page chaque jour et l’hebdomadaire Reflets le samedi. » Pas étonnant que Reflets arrive très vite dans les propos de l’intéressé : l’hebdo n’a quasiment aucun équivalent dans les autres titres de la presse quotidienne régionale française. « Reflets est en effet un alien, un OVNI » commente Serge. » Il a été et est peut-être encore très menacé par certains qui considèrent qu’il serait un peu la « danseuse » du journal. Moi je dis que Reflets est un indicateur pertinent de la vitalité culturelle et intellectuelle de la région. Et puis, si Reflets fait plutôt dans l’annonce des événements, le quotidien assure les compterendus et l’Agenda mensuel tri-national, France, Allemagne, Suisse, répertorie tous les événements de la Regio. L’offre est ainsi, à mon avis, très complète… » souligne-t-il. Le poids de l’histoire « L’intellectuel est celui qui crée la pensée. C’est aussi celui qui l’accompagne… » dit joliment Serge Hartmann. Qui précise immédiatement à quel point Strasbourg est privilégié. « L’offre
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strasbourgeoise est réellement exceptionnelle. Je me souviens bien d’une réflexion de Blandine Chavanne, quand elle dirigeait le Musée des beaux-arts de Nancy (elle est aujourd’hui à la tête du Musée des beaux-arts de Nantes - ndlr) : « En matière de culture, quand Strasbourg est sur le coup, pas la peine d’aller plus loin… ». Il y a le poids de l’histoire, c’est certain. Sans remonter à Gutenberg ou Sébastien Brant, il y a eu ce sentiment de culpabilité allemande après le bombardement de Strasbourg et l’annexion après la guerre de 1870. Les vainqueurs se sont sentis un peu obligés de mettre en avant cette terre de culture qu’était l’Alsace. D’où la nouvelle université. Quand l’Alsace est redevenue française en 1918, la France a voulu à son tour choyer la région: l’école des Annales est née de ce mouvement-là. On pourrait ainsi multiplier les exemples : tous montrent que sur le plan de la culture, l’Alsace a toujours été privilégiée. Aujourd’hui, le poids de la population étudiante joue en ce sens : dans les rues de Strasbourg, on a quand même deux chances sur dix de tomber sur un étudiant, toutes les capitales régionales françaises ne peuvent pas s’aligner làdessus. Il y a aussi les grandes écoles, comme ces deux écoles d’architecture, les Arts Déco… Mon épouse, lyonnaise d’origine, est venue à Strasbourg pour la réputation des Arts Déco. Elle y est restée… Cette richesse institutionnelle fait de Strasbourg une ville riche tout court, ce qui se traduit par un mécénat qui est bien présent. La proximité avec l’Allemagne est un atout indéniable. Quand Jack Lang a voulu mettre sur pied un grand festival de musique contemporaine, il a permis la naissance de Musica à Strasbourg car il avait misé sur la proximité avec les mélomanes allemands qui sont très en avance sur nous dans ce domine. Il avait raison : aujourd’hui encore, la proportion des spectateurs allemands dans l’audience de Musica est restée très importante. Strasbourg surfe encore aujourd’hui sur cet
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héritage historique, géographique et économique. Ce terreau culturel fertile favorise bien sûr la pensée. Aujourd’hui, cette pensée se diffuse via les manifestations publiques qui sont bien plus nombreuses à Strasbourg que dans n’importe quelle autre ville française, Paris excepté. Regardez ce qui se passe lors des Bibliothèques Idéales en septembre, et même toute l’année avec ce nombre incroyable d’auteurs et d’écrivains qui se succèdent dans la salle blanche de la Librairie Kléber. St’Art, le salon d’art contemporain, enregistre 25 000 visiteurs annuels : il y a bien sûr plein de trucs trop commerciaux mais cette année, il y avait la présence de Titus Carmel, une figure artistique dont le travail est en plein dans la pensée...»
Douane. Je n’ai bien sûr rien contre l’agriculture de proximité mais à cet endroit-là, il y avait à l’évidence autre chose à faire. Ce que j’estime avoir relevé de la cécité a fragilisé la position de la culture à Strasbourg. Quand je pense par exemple que l’Œuvre Notre-Dame a besoin de trois mois minimum pour pouvoir effectivement monter une expo de ses richesses et que le même délai est nécessaire à la fin de l’expo… L’endroit aurait vraiment pu devenir un vrai poumon artistique pour Strasbourg et ses musées mais aussi pour recevoir les expos non permanentes d’art contemporain, par exemple… » ◊
Et Serge Hartmann de détailler en expert tout le poids intellectuel des institutions. De l’Opéra du Rhin (« La rubrique culturelle du Figaro le pointait en deuxième position, derrière Paris, à son dernier classement. Il produit infiniment plus que l’Opéra de Lyon, par exemple, et avec moins de moyens financiers »), en passant par les deux orchestres symphoniques régionaux à Strasbourg et Mulhouse, le TNS (« il va bénéficier de la bonne réputation de Stanislas Nordey mais Julie Brochen, hâchée menu, n’a pourtant produit rien d’indigne… ») et la belle dernière saison du Maillon. Evoquant les prochaines années, il pense que « la priorité absolue sera de préserver les marges de manœuvre de la culture. Rééquilibrer les moyens, d’accord » dit-il, « mais sans pour autant tomber ni dans le saupoudrage ni dans l’autre dérive : la culture « Disney », ces trucs qui relèvent plus de la manifestation commerciale que d’autre chose. Et bien réfléchir à toutes les potentialités » conclut-il : « Ne pas commettre le type d’erreur stratégique comme celle de la destination de l’Ancienne
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JOËLLE PIJAUDIER-CABOT « UN E SO C IÉT É QU I SE MÉFIE DE CEU X QU I R É F LÉCH ISSEN T EST U NE SOCIÉTÉ QU I VA MAL » Conservatrice en chef du patrimoine et directrice des musées de la ville de Strasbourg, Joëlle Pijaudier-Cabot évoque l’art, son rapport au monde et la relation privilégiée qui peut s’installer entre une œuvre et celui qui la contemple. Nul n’est obligé d’aimer mais se contenter d’un coup d’œil est vain… Avec l’annonce d’une expo-événement en 2017. /// TEXTE VÉRONIQUE LEBLANC PHOTOS MÉDIAPRESSE - DR
Les intellectuels excluent de leur champ les poètes et les artistes selon l’historien Georges Bischoff, l’un des interlocuteurs de ce dossier, qu’en pense l’historienne de l’art que vous êtes ? Ils sont en tout cas un véhicule d’expression, même si les artistes n’ont pas une « production intellectuelle » au sens premier du terme. Ils réfléchissent cependant et produisent de la pensée en images. Leurs regards sur le monde éclairent autant que celui des intellectuels. Le mot « intello » a aujourd’hui pris un sens péjoratif… Il est parti de la jeunesse qui l’utilise pour se moquer de ceux de leurs camarades qui s’investissent fortement dans ses études. Le sens du mot a ainsi glissé… Je sais qu’il faut être ouvert à toutes les évolutions de la langue mais je pense aussi qu’une société qui se méfie de ceux qui réfléchissent est une société qui va mal.
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Comment se portent les musées dans cette société en mutation ? Ils restent les institutions publiques les plus fréquentées grâce au développement du tourisme, à la curiosité inlassable du public et, en ce qui concerne Strasbourg, à la présence d’étudiants en art et en histoire de l’art pour qui les musées restent des lieux d’apprentissage. Il reste que nous avons encore d’immenses efforts à faire pour atteindre des personnes traditionnellement plus à l’écart de la culture. Strasbourg a-t-elle une configuration muséale particulière ? Elle a la chance d’avoir un panel de musées correspondant à des catégories de publics différentes comme le prouve une étude sociologique menée il y a deux ans avec l’Institut d’études politiques de Strasbourg. Ceci étant, il s’agit malgré tout d’une population assez homogène correspondant aux CSP (catégories
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socio professionnelles) relativement favorisées. C’est pour aller à l’encontre de cet état de fait que nous menons des actions en direction de diverses structures sociales et socio-culturelles. Quel est le musée le plus fréquenté ? Sans conteste le Musée d’art moderne et contemporain avec ses quelque 160 000 visiteurs en 2014. Viennent ensuite le musée zoologique et le musée alsacien. L’art contemporain n’est cependant pas le plus accessible… Il représente effectivement un défi pour les non initiés mais nous constatons aussi que les jeunes gens vont plus volontiers vers lui parce qu’il leur parle de leur époque. Il intègre les arts numériques et la vidéo, il est interactif et les interpelle alors que l’art moderne s’adresse généralement à un public plus âgé et ayant d’autres habitudes culturelles. Il est vrai que les publics non avertis peuvent parfois
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avoir des difficultés à entrer dans cet univers et c’est pour cela que, chaque premier dimanche du mois, nous proposons un accueil privilégié aux « primovisiteurs ». Il ne s’agit pas de visite commentée mais de présentation personnalisée de telle ou telle œuvre par des étudiants de haut niveau, de discussion avec des médiateurs. Tout cela change d’autant plus le regard que l’art actuel a une dimension plus immédiate que certaines démarches conceptuelles des années 1960-70. Preuve en est, par exemple, l’exposition Daniel Buren dans la nef du musée. Il n’est pas besoin d’être au fait des mouvements politiques et sociaux contemporains pour y « entrer ». Une démarche très « didactique »… En quelque sorte. Ce qui est essentiel c’est de préserver tous les niveaux de lecture possibles et de n’en imposer aucun. Que l’on puisse apprécier les œuvres en venant sans bagage mais qu’il soit également possible de s’informer, voire de lire un catalogue. Si une œuvre est complexe, il ne faut pas gommer cette complexité. Ce qu’il faut éviter à tout prix c’est que les gens se disent « ce lieu ou cette œuvre – n’est pas pour moi ». Même si, évidemment, personne n’est obligé d’« aimer ». Finalement c’est de rencontres qu’il est question, il faut que « quelque chose » se passe… C’est pour cela que le rôle des médiateurs est important, de même que les audioguides où nous prévoyons à chaque fois que c’est possible une interview de l’artiste. Les nouvelles technologies cela change tout ! On s’aperçoit ainsi que l’art parle de la vie de tous les jours, même dans le cas d’un tableau monochrome blanc. Avant de prendre la direction des musées de Strasbourg, vous étiez en poste au musée d’art moderne de Villeneuve d’Ascq dont vous avez « boosté » la fréquentation. Quel a été votre impression en arrivant ici ? J’ai trouvé une ville dotée de richesses artistique formidables avec lesquelles les gens vivent très, très bien. Le rapport à la connaissance est très intense ici, cela m’a frappée. Il n’est que de constater la vivacité universitaire, le nombre de bibliothèques, de librairies, la variété des débats qui fleurissent… A Lille, la situation était différente. En déclin industriel, la région voulait changer la donne et rendre leur fierté aux habitants en misant sur des projets économiques et culturels ambitieux et attractifs. Le travail n’est pas le même à Strasbourg, même s’il reste ici des défis à relever dans le partage de ce patrimoine exceptionnel. La dimension européenne de la ville est-elle un atout ? L’histoire particulière de la ville se retrouve dans les « gènes » de nos collections et représente un axe naturel de développement puisque nous poursuivons nos acquisitions d’œuvres allemandes mais aussi de l’Est au sens large. L’Europe est pour nous un guide de programmation. Ce fut le cas, notamment, dans le cadre de « L’Europe des esprits » qui a montré le bouillonnement d’une époque à l’échelle du continent et a été un succès. Il faut aussi noter que le statut de Capitale européenne de la ville nous aide dans nos contacts à l’étranger lorsqu’il s’agit de négocier des prêts par exemple. Strasbourg a ainsi une image très forte en Lettonie et en Lituanie.
Quel est votre regard sur les « expositions-événements », celles qu’il faut avoir vues comme on dit ? Les gens les demandent. Il en faut, mais de qualité. L’argent manquant, un clivage est en train cependant de se creuser à nouveau entre les régions et Paris où tout se reconcentre. Tendance contraire à la dynamique de décentralisation de l’art conduite avec succès de façon volontaire durant les décennies antérieures. Il y a actuellement un vrai risque de recul de celle-ci. De grands projets sont-ils en train d’être préparés à Strasbourg ? Effectivement, il y a un grand projet de manifestation en cours de préparation pour 2017 qui aura pour titre « Strasbourg, laboratoire d’Europe, 1880 - 1930 ». Il va retracer la vie artistique et culturelle au cours de cette période cruciale de l’histoire de la ville et sa place particulière dans la construction de l’espace européen, entre France et Allemagne. Elle a pour modèle les grandes expositions consacrées à des histoires urbaines, qui se sont tenues à Vienne et à Weimar, par exemple et ont mobilisé un très large public. Elle se tiendra sur différents sites entre l’Université, la BNU, le MAMCS notamment. Nous espérons une belle dynamique réunissant des compétences artistiques, scientifiques et culturelles. Visiter une exposition ne doit pas être qu’hédonisme nous a dit le psychanalyste Daniel Lemler. Qu’en pensez-vous ? On peut éprouver du plaisir en découvrant l’art mais il ne suffit pas de jeter un coup d’œil sur une œuvre pour en avoir fait le tour. La réflexion est importante et elle demande un effort. Il faut s’arrêter, regarder, en parler avec l’artiste quand cela est possible, en parler avec d’autres…. La culture artistique peut contribuer changer le monde, j’en suis convaincue, tout comme j’ai conscience que permettre au plus grand nombre d’y accéder est notre plus grande responsabilité. » ◊
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SPYROS TSOVILIS
« UN ROMAN, UN POÈME, UNE CHANSON, PEUVENT FAIRE PARFOIS DAVANTAGE QUE TOUS LES RAPPORTS, LES LOIS, LES DÉCRETS...»
Arrivé à Strasbourg il y a vingt ans pour un stage au Conseil de l’Europe, le Franco-Grec Spyros Tsovilis est devenu ensuite un acteur passionné des Affaires juridiques européennes. Une mission qui s’est interrompue brutalement en 2007, après qu’une voiture l’ait fauché, avec son jeune fils, leur infligeant d’importantes séquelles et une procédure judiciaire kafkaïenne. Entretien avec un homme féru d’art et de littérature et qui nous parle aussi, actualité oblige, de son pays d’origine qui est dans la tourmente… /// TEXTE JEAN-LUC FOURNIER PHOTOS MÉDIAPRESSE
Déjà vingt ans que vous êtes devenu Strasbourgeois d’adoption. Vingt années qui ont compté… « De quelle vie parler ? J’ai l’impression d’avoir eu déjà plusieurs vies dans ma vie et j’espère que j’en vivrai d’autres encore, différentes de celle-ci… Ici, j’ai rencontré des collègues extraordinaires, des gens de tous les pays européens, extrêmement brillants, ouverts sur le monde et ayant foi en l’homme, cultivés, polyglottes, avec des idées pour faire évoluer les choses et résoudre certains des problèmes les plus difficiles de nos sociétés. J’ai rencontré aussi le contraire, des gens bornés, des nationalistes, dont on se demande ce qu’ils font dans de telles institutions, rémunérés précisément pour les préserver de toutes influences indues de la part de certains gouvernements. Censés œuvrer dans l’intérêt européen, de la démocratie et des droits de l’homme, ils sont en réalité, totalement obnubilés par l’intérêt national de leur pays d’origine et par leur carrière. Ces gens là sont les premiers à avoir trahi et de la manière la plus profonde, l’idéal européen.
L’accident dont vous avez été victime a profondément influé sur le cour de votre vie… Un moment, j’ai cru que j’avais tout perdu ou que j’allais tout perdre. J’avais failli perdre la vie, mais surtout mon fils et ma raison. En perdant mon emploi, j’ai songé d’abord que je ne serais plus personne, si ce n’est un ancien quelque chose : ancien haut fonctionnaire du Conseil de l’Europe, ancien responsable de la protection des données, ancien agent du GRECO, etc… Mais c’est peutêtre précisément en n’étant plus personne qu’une autre vie était possible et pouvait enfin commencer. Plusieurs choses m’ont permis de me reconstruire : ma famille, l’amour de ma femme qui a été présente et forte pour nous tous. Mon fils : je ne pouvais montrer moins de courage et de force que lui ! Ma fille, qui la première a dû reprendre une « vie normale » et qui depuis, nous surprend sans cesse par l’excellence de ses résultats. Et puis, les collègues du Conseil de l’Europe qui nous ont témoigné une solidarité incroyable. Nous avons compris alors que nous appartenions à une sorte de famille plus large et que cette solidarité était un bienfait inestimable au monde,
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signe de civilisation et de grandeur. Vous vous êtes alors plongé dans l’écriture et vous avez vécu un moment intense avec la présentation de votre premier roman à Strasbourg… La présentation de mon premier roman à Strasbourg, à la salle blanche, mise à disposition par François Wolferman, épaulé par mes amis chanteurs et musiciens Sylvain et Catherine Piron, Alexandra Alleon et Vangélis Gintersos, a été en effet un moment particulièrement émouvant pour moi et mes proches. Avec de la littérature, de la musique et des chansons, nous célébrions ensemble la philia et la victoire des instincts de vie et de création. J’ai toujours aimé la littérature, la poésie, la pensée politique et la philosophie. Après l’accident et la cessation de mes activités au Conseil de l’Europe,il y a 4 ans, je me suis aperçu que nous pourrions continuer de travailler des années de plus, sans relâche, dix heures par jour, rédiger quantité de rapports juridiques la nuit, tout cela ne peut finalement mener vraiment quelque part, si les grandes causes de l’humanité ne deviennent pas enfin l’affaire de tous.
STRASBOURG, L’INTELLECTUELLE ? Et c’est finalement peut-être en dehors des institutions que nous pouvons faire davantage, avoir plus d’impact et d’espoir d’influencer notre société. Un roman, un poème, une chanson, peuvent faire parfois davantage que tous les rapports, les lois, les décrets, les recommandations et les traités… A Strasbourg, tout cela compte énormément. Après mon accident, j’ai fréquenté davantage les librairies de la ville. Il est remarquable qu’une librairie, telle que la Librairie Kléber propose chaque jour, dans ses salles, à l’occasion de rencontres ou de « conversations », la découverte d’une œuvre nouvelle et son auteur, y compris des premiers romans ou de parfaits inconnus. J’ai découvert aussi des institutions telles que la Fedepsy (fédération internationale de psychanalyse) et j’ai commencé à fréquenter les séminaires de psychanalyse de Jean-Richard Freymann. La psychanalyse me semble un outil incontournable si l’on veut vivre dans une communauté où les gens aspirent à se connaître mieux euxmêmes pour devenir des êtres autonomes dans une société autonome. Une autre manifestation importante qu’il convient de citer est le Forum de la démocratie, co-organisé pour la première fois ensemble, entre la ville de Strasbourg et le Conseil de l’Europe. Ce forum, y compris son programme off, a été l’occasion de très belles initiatives et idées. Des milliers de personnes, penseurs, activistes, blogueurs y viennent de tous les pays du monde. Concernant STB mais en élargissant aussi à la France, comment peut-on caractériser la vie intellectuelle, le monde de la pensée aujourd’hui ? L’influence des intellectuels n’est-elle pas en perte de vitesse ? Je trouve aussi, comme beaucoup de monde, qu’il y a un problème en France, en ce qui concerne la vie intellectuelle et la vie publique, puisqu’elles sont indissociables. Mais ce n’est pas à mon sens uniquement un problème de la France. Le constat de Cornélius Castoriadis dans les années quatre-vingt me semble toujours valable et même aggravé : on assiste à une lamentable démission des intellectuels, empressés autour des pouvoirs ou retirés dans leur tour de polystyrène, on est témoin d’une incapacité de notre époque de se penser, d’où la prolifération de l’usage des « post quelque chose », postmodernisme, pas de style, etc. On proclame être parvenus à la fin d’une époque, mais on ne dit pas pourquoi et dans quel sens s’inscrirait notre nouveau projet de société ou de civilisation et s’il serait plus démocratique. Dans notre monde morcelé, l’individu ne se sent pas capable de revendiquer son autonomie dans la sphère publique et on assiste à une montée continue de l’insignifiance. Les nouvelles technologies et les réseaux sociaux offrent des opportunités uniques d’accès de tous à une parole publique, si dérisoire puisse-t-elle paraître à présent. La question est comment les utilise-t-on et pourquoi ? Tout conspirerait à créer un type humain absorbé par la consommation et le plaisir du moment, apathique devant les affaires communes, tout à la fois cynique et conformiste comme dans les romans de Houellebecq. Comment avec de tels citoyens la fameuse démocratie pourrait-elle fonctionner ou même survivre à la longue ? Il n’y a plus beaucoup de penseurs, il y a des spécialistes, qui rêvent de devenir des conseillers du prince. Qu’enseigne-t-on à nos jeunes ? Est-on encore capable en France d’inventer, de nouvelles façons de faire de la politique, de travailler, de créer ensemble, d’aimer ? Bien sûr, on se quittera pas sans que vous nous parliez de votre pays qui vit un moment-clé de son histoire… Nul Grec mais tout simplement nul Européen convaincu ne peut rester insensible face à ce qui se passe en Grèce. Si elle n’était tragique, la situation pourrait sembler proprement comique. Car d’un côté, j’aimerais vous dire : vous voyez comme nous savons bien les écrire nos tragédies ? Une fois de plus nous sommes au milieu de la scène et le monde entier nous regarde jouer notre représentation en retenant son souffle ! Mais ce n’est évidemment pas vrai, car
si nous savons peut-être faire de l’audimat, nos tragédies ont plutôt quelque chose de déplorable aujourd’hui. C’est triste, parce que, s’il y a dans ce pays des problèmes persistants, d’ordre civique, identitaire ou de mal-administration, il y a aussi des choses extraordinaires. D’abord la nature y est sublime. On sent avec vigueur, et comme seul au monde, l’intimité des choses essentielles au croisement de la mer, du ciel bleu et de la terre. En termes de ressources naturelles et énergétiques, la Grèce a un potentiel considérable que ses partenaires économiques qui voudraient lui voir vendre ses îles ont bien compris, grâce au soleil, au vent, à l’eau de mer et aux sols et sous-sols marins. En termes de culture et de civilisation, c’est quand même sur ces terres rugueuses qu’ont fleuri les premiers germes de la démocratie et de l’autonomie humaine. Un peu partout, sous les pas des passionnés d’histoire ou de simples randonneurs, des vestiges grands ou petits célèbrent l’amour des belles choses et le caractère transitoire de tout. Enfin et surtout, il y a un sens de l’amitié et même plutôt plus largement, de la philia au sens aristotélicien, qui, lorsque l’on a la chance de l’éprouver, rend toutes choses de la vie essentiellement et universellement plus belles ou du moins supportables. Cette philia c’est une nouvelle fraternité universelle à réinventer. Mais s’il y a effectivement un problème de la Grèce, il y a aussi un autre problème, que la situation en Grèce a contribué à révéler, mais que de très nombreuses personnes encore, continuent de ne pas vouloir voir. Ce qui est en jeu de plus important que la Grèce, c’est la grande crise de l’Europe et de notre modèle de société. La crise grecque a révélé la fragilité de l’édifice européen. Le problème principal auquel je me sens confronté, c’est le rabaissement forcé de l’intelligence collective des Européens. En tant qu’Européen, Franco-Grec, il m’est difficile d’échapper à la schizophrénie. Car si je connais bien les fautes des Grecs, je sais très bien aussi, pour les avoir éprouvées dans le cadre de mes activités professionnelles, l’arrogance, l’intolérance et l’aveuglement, mais aussi les mensonges et les coups de force de certains représentants institutionnels… Où est l’Europe dans la crise économique et énergétique actuelle ? Alors que c’est précisément avec l’économie et l’énergie que l’Europe était censée se constituer et progressivement se renforcer (CEE, CECA, Euratom) ? Où est l’Europe dans la tragédie que vivent les migrants et les pays environnant la Méditerranée ? Il y a étalage des rapports de force et partage de sphères d’influence. Il y a eu de graves erreurs commises aussi par les partenaires de la Grèce et certains pays et certains organismes ont même bénéficié de la crise pour s’enrichir encore davantage. On rêve de moteur franco-allemand, comme si on rêvait encore de voitures et de puissance de moteur. Mais notre monde a changé. Le cœur de l’économie et les métiers d’avenir, ce n’est peutêtre plus les voitures à vendre sans aucune sorte d’obstacles et sans souci de l’environnement. Pourtant l’Europe a été autre chose. Le projet ou le rêve d’Europe a longtemps apporté non seulement la paix ou des capitaux et des investissements, mais aussi des femmes et des hommes, des penseurs, des artistes, des idées… Comment s’en sortir ? Selon moi, sans naïveté, mais avec plus de démocratie et de solidarité, d’Europe. Retrouver le chemin de l’intelligence, du dialogue, de la création politique, de l’art et de la culture. Il n’est pas possible, avec toute cette expérience, toute cette histoire et ces créations partagées, d’en revenir à des régimes autoritaires et nationalistes en Europe. On ne parle pas assez de cette nécessaire refondation démocratique partout, où la question est aussi vieille que le Protagoras de Platon : eston capable ou non, d’être des citoyens démocratiques ou bien ne sommes-nous et ne resterons-nous pour toujours que des incapables légaux au niveau politique ? » Et, à côté de la liberté et de l’égalité, il faut réinventer une nouvelle philia, par delà la simple et illusoire fraternité. » ◊
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ANNE BRASSEUR « LES RÉFLEXIO NS PROFONDES NE SONT PLUS REPRISES PAR L ES MÉDIAS »
Ce sont des valeurs dont souhaite parler Anne Brasseur, présidente de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Celles qui ont été à l’origine de la création de l’institution à savoir la démocratie, les droits de l’homme et l’Etat de droit. On les croyait acquises. On s’est trompé… /// TEXTE VÉRONIQUE LEBLANC PHOTOS MÉDIAPRESSE
« Ces valeurs peuvent sembler abstraites, dit-elle, mais elles sont plus vitales que jamais si nous voulons relever les défis qui s’imposent à nous à l’heure où les attentats contre « Charlie Hebdo » ont dramatiquement prouvé que la liberté de pensée et d’expression ne peuvent pas être considérées comme acquises ». Selon Anne Brasseur, « les menaces les plus graves sont liées à la crise économique, terreau de populismes qui se nourrissent aussi du drame de la migration. L’intolérance et la haine se développent, elles minent nos démocraties, et nos Etats devenus vulnérables ne peuvent plus donner de réponses ».
a mis à mal la solidarité européenne… Celle-ci a-t-elle explosé lors des âpres négociations du début de l’été dernier ? « Il faut une Europe stable, répond Anne Brasseur, et pour cela il faut que les Etats prennent leurs responsabilités car ils n’ont pas que des libertés ils ont aussi des devoirs et les autorités Grecques ne remplissent pas le « cahier des charges » européen depuis des années. Reste qu’il faut de la solidarité mais celle-ci doit, dans le cas de ce pays, concerner les citoyens qui ont subi les impacts les plus terribles de cette crise. C’est à eux qu’il faut apporter un soutien, pas à un gouvernement. »
« La diversité, une richesse mais aussi un défi » Le rejet partout, de plus en plus… Aucune solution convaincante pour créer une société solidaire. Face à ce constat qui l’inquiète, Anne Brasseur met en avant la force de l’Europe, celle des 28 et celle des 47. « Et cette force, dit-elle, c’est la diversité. La diversité est une richesse, mais aussi un défi car elle rend plus complexes les mécanismes qui nous régissent. » Une complication dont on a pris la mesure avec la crise grecque qui
« Notre génération n’a pas pris ses responsabilités » « En ce qui me concerne, dit-elle, je tire une leçon de cette crise grecque et cette leçon porte sur notre rôle à nous, parlementaires du Conseil de l’Europe». « Après la deuxième Guerre mondiale, cette institution a été créée par la génération de nos grands-parents pour le « plus jamais ça » et pour reconstruire un continent dévasté ; celle de nos parents a consolidé ces acquis et la nôtre n’a pas pris ses responsabilités, hypothéquant ainsi l’avenir des prochaines générations,
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en termes économiques notamment. C’est inacceptable, il faut y mettre un frein. Par respect pour les sacrifices de ceux qui nous ont précédés et par respect pour ceux qui nous suivront. » « On n’a plus le temps de réfléchir » Face à ces défis, peut-on encore compter sur de grandes voix intellectuelles pour porter ces messages qui se diluent et s’intoxiquent aux vents mauvais du monde tel qu’il va ? « Un des problèmes actuels c’est le manque de temps pour la réflexion profonde joint au rythme acharné des échanges intellectuels et du travail politique », répond Anne Brasseur. « Après la guerre, les experts qui se rendaient aux assemblées générales des Nations-Unies à New York mettaient trois semaines de bateau pour y arriver. Aujourd’hui, on fait l’aller-retour en 24 heures. En trois semaines, on réfléchit… En 24 heures, on est sur le court terme. « Le scoop s’impose » Désormais, à chaque annonce, la presse réclame la réaction des politiques avant qu’ils aient eu le temps de prendre la mesure de l’événement. On n’a plus le temps de réfléchir. Il faut tout tout de suite.
Cette frénésie nous prive aussi des réflexions des intellectuels, terme qui, soi dit en passant, ne me plaît pas trop à cause de sa connotation « élitiste ». Les réflexions profondes ne sont plus reprises par les médias car aujourd’hui pour « vendre » une idée il faut la faire véhiculer par les célébrités du monde sportif et du show-biz. La visite récente du Haut commissaire des Nations-Unies pour les réfugiés, Antonio Guterres, aux camps d’accueil en Turquie à la frontière syrienne n’aurait pas eu le même écho si M. Guterres n’avait pas été accompagné par Angelina Jolie. Le geste de l’actrice, qui est l’Ambassadrice de bonne volonté auprès du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés, est formidable, mais je m’inquiète du fait que l’ONU, l’UNESCO ou d’autres organisations soient désormais obligés de faire appel à des célébrités pour capter l’attention sur les drames du monde... » La dictature de l’immédiateté et du « clinquant » inquiète Anne Brasseur qui évoque aussi l’écrit transféré de l’épistolaire au textos. « Ecrire une lettre permettait de réfléchir, de mettre les pensées sur papier, cela impliquait un effort, un vrai moment d’attention. Tout cela s’est perdu avec les sms ». Même chose pour la presse écrite concurrencée par Internet. « Le scoop s’impose au détriment des articles de fond… » « Refuser la globalisation du rejet » La parole a-t-elle définitivement déserté nos sociétés pour laisser la place au verbiage ? Où peut-on encore trouver sens et matière à réflexion ? N’y a-t-il donc pas eu durant ces années passées par Anne Brasseur à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe certains de ces moments forts où l’on sait que les mots entendus touchent à l’essentiel ? « Bien sûr, répond-elle. J’ai eu la chance d’entendre à la tribune des orateurs extraordinaires tels que Ban Ki-Moon ou le pape François qui a mis les migrations en relation avec la
« globalisation de l’indifférence ». C’était très fort et très juste. Face à ce qui est devenu une « globalisation du rejet », nous devons tout faire pour mettre en place une « globalisation de la solidarité ». L’intervention d’Amin Maalouf à l’ouverture du « Forum mondial de la démocratie » fut un autre moment fort, celle de Michel Rocard à la Commission des questions politiques aussi… C’est la force du Conseil de l’Europe. Il ne produit pas de lois mais fait de la politique sur le moyen et le long terme. Dans le contexte actuel de montée de l’intolérance et de la haine, il est plus nécessaire que jamais parce qu’il élabore des mécanismes destinés à renforcer l’Etat de droit. Son rôle est préventif alors que la Cour européenne des droits de l’homme – qui en est une émanation – est là pour sanctionner les violations des droits fondamentaux. » « Fonctionnaires du Conseil de l’Europe, Strasbourgeois, chacun son monde… » De par son passé historique et culturel, de par sa position de carrefour aussi, Strasbourg était effectivement la ville idéale pour accueillir le Conseil de l’Europe en 1949, confirme Anne Brasseur qui note cependant que si « différentes sociétés s’y côtoient, elles le font sans jamais se mélanger ». « Fonctionnaires du Conseil de l’Europe, étudiants, Strasbourgeois… Tout le monde a son petit monde bien à soi. » « C’est la même chose à Luxembourg, poursuit-elle et je pense que les villes ont encore des efforts à faire pour que leur population tire profit de cette « valeur ajoutée ». Il faut s’ouvrir, des deux côtés. » Des contacts sont pris avec Nawel Rafik Elmrini, première adjointe au maire, « pour voir comment rapprocher le Conseil de l’Europe des habitants, créer des interactions. » ◊
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STRASBOURG, L’INTELLECTUELLE ?
FRANCOIS MICLO
« LA LÉGIT IM IT É D E L’INTEL L ECTU EL NE VIENT PLU S DE S ON SU RCROÎT D E C O NNAISSANCES MAIS DU NOMBR E D E PASSAGES T ÉLÉVISÉS QU’IL A EFFECTU ÉS » Fondateur de Tak, cofondateur de Causeur, François Miclo côtoie depuis plusieurs années journalistes et intellectuels. L’occasion, pour lui, de porter un regard clairvoyant et sans concession sur leurs interactions ou absence d’interaction... /// TEXTE CHARLES NOUAR PHOTOS DR
Selon vous, de quand date l’entrée des intellectuels – ou de ce que d’aucuns classent comme intellectuels aujourd’hui, dans le cercle médiatique ou, à tout le moins, dans l’espace public ? « Le terme « intellectuel » apparaît dans le débat public au moment de l’affaire Dreyfus. C’est une injure que Barrès destine aux écrivains dreyfusards. Il leur reproche de se mêler de ce qui ne les regarde pas et de prendre position sur un sujet – la sécurité militaire – qui leur est tout à fait étranger. Or, au lieu de refuser l’injure et de la réfuter, les écrivains dreyfusards l’acceptent et se l’approprient : en 1895, l’inclassable Octave Mirbeau se revendique explicitement « intellectuel », c’està-dire entièrement dévoué « à la justice et à la vérité ». Pour autant, l’humanité n’a pas attendu le XIXe siècle pour que des hommes influent, par leurs écrits et leurs enseignements, sur la politique et les mœurs. Les sociétés traditionnelles avaient leurs chamans, nos sociétés ont leurs clercs. Et c’est un spectacle toujours ravissant de voir les uns et les autres sortir de temps à autre de leur case pour nous faire part de leurs pensées divines.
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Mais l’affaire Dreyfus n’a-t-elle néanmoins pas changé le rapport entre intellectuels et médias ? L’affaire Dreyfus est le premier événement « surmédiatisé » de l’histoire française. Cela tient à la loi de 1881 sur la presse, qui libéralise les imprimeries. Cela tient surtout à une série d’avancées technologiques qui aura fait passer la presse de l’artisanat à l’industrie, comme la rotative, la linotype ou la photogravure. C’est un véritable bouleversement des conditions matérielles de production qui permet, par exemple, au Petit Journal d’atteindre chaque jour le million d’exemplaires en 1890. Une révolution ! Dès lors, les « intellectuels » qui étaient cantonnés aux salons parisiens et à l’université trouvent dans la grande presse une chambre d’écho inégalée. Au moment de l’affaire Calas, Voltaire cherchait à convaincre le Conseil du Roi – et seulement lui – de la nécessité de réviser le procès et de casser l’arrêt du Parlement de Toulouse. Au moment de l’affaire Dreyfus, ce n’est pas seulement un arrêt de la cour de Cassation que veulent obtenir les intellectuels. C’est l’opinion publique tout entière qu’ils cherchent à transformer et à façonner.
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STRASBOURG, L’INTELLECTUELLE ? Et aujourd’hui ? Dispose-t-on encore d’une présence similaire des intellectuels dans le débat, dont médiatique ? Qu’est-ce qu’un intellectuel ? C’est, avant tout, un écrivain, un savant. Sa légitimité et son autorité, il les tire de ses connaissances. C’est aussi, pour reprendre les mots de Julien Benda en 1927 dans La Trahison des clercs, un « gardien des valeurs universelles de la cléricature » : la vérité, la justice, l’esprit critique. Or, nous dit Benda, les intellectuels ont failli. Depuis la Grande Guerre, ils ont tourné le dos aux valeurs qu’ils avaient en charge de défendre. Ils ont préféré prendre parti et servir l’idéologie plutôt que la vérité. L’analyse de Benda a, malheureusement, été très longtemps pertinente – et singulièrement en France. Qu’on se souvienne d’Aragon et d’Eluard se disputant la même admiration pour l’URSS de Staline, de la fascination des intellectuels français pour la Chine de Mao ou pour le Cambodge de Pol Pot. Aujourd’hui, ceux que nous appelons encore, par habitude et paresse, des « intellectuels » sont uniquement ceux qui passent à la télévision et dans les grands médias. Leur légitimité ne vient plus de la pertinence de leurs propos ou du soin qu’ils mettent à servir la vérité, mais du nombre de leurs passages télévisés. Régis Debray l’explique très bien : l’arithmétique a gagné. La valeur du débat public s’estime au nombre de passages télé, de tweets et de followers. C’est ainsi que l’on nous présente désormais des Eric Zemmour, des Aymeric Caron, des Edwy Plenel comme des intellectuels. Une mascarade ! Rien n’empêcherait pourtant les médias, d’inverser cette réalité et de faire une plus grande place aux véritables intellectuels... Au contraire, cette situation convient parfaitement aux médias ! C’est beaucoup plus vendeur de publier une interview d’Eric Zemmour sur l’immigration qu’un entretien sur le même sujet avec Dominique Schnapper. C’est aussi beaucoup moins de travail. Le buzz, plutôt que la vérité. La polémique, plutôt que l’analyse. La petite phrase, plutôt que le regard critique sur l’homme et l’état du monde. Est-ce à dire que les sachants n’ont plus leur place dans les médias et donc dans l’espace public ? Quand on entend FranzOlivier Giesbert adouber Michel Onfray comme le « plus grand philosophe français vivant », on se dit, en effet, que ce n’est pas gagné ! Pourtant l’un des rôles des journalistes devrait être la recherche de la vérité et, donc, l’appel à des sachants... ? Beaucoup de journalistes ont perdu de vue que leur métier entretenait un certain rapport avec la vérité. Par paresse, beaucoup préfèrent répéter ce que leurs confrères ont déjà dit ou écrit. Par conformisme, certains n’osent même plus penser par euxmêmes. Mediapart, pour ne citer que cet exemple, revendique pourtant cette recherche de vérité... Le regretté Philippe Cohen l’écrivait avec Elisabeth Lévy dans Notre Métier a mal tourné : recevoir les fax d’un juge d’instruction et les publier ne fait pas de vous un journaliste d’investigation, mais tout au plus un petit télégraphiste, un auxiliaire d’injustice. Regardons l’affaire Woerth : elle s’est terminée par une relaxe pure et simple. Entre temps, on a bafoué la présomption d’innocence, violé le secret de l’instruction et brisé la réputation d’un homme. Il faut dire qu’Edwy Plenel est un vrai expert dans ce sport qui consiste à « livrer aux chiens l’honneur d’un homme » : c’est lorsqu’il en était le patron que Le Monde a publié des accusations absolument répugnantes à l’encontre de Dominique Baudis… Cette absence de recherche de la vérité, telle que vous la définissez, ne serait-elle pas l’une des sources, aussi de la crise de la presse ? La crise de la presse française est, en effet,
une crise des contenus. Il faut arrêter de croire qu’on puisse décemment continuer à vendre du papier en participant au buzz, c’est-à-dire en ajoutant son propre bruit au bourdonnement assourdissant que provoque la reprise de la même information par tous les médias en même temps. Les gens sont prêts à payer pour un contenu, dès lors que celui-ci ne leur apporte pas l’information qu’ils reçoivent gratuitement par ailleurs, mais un surcroît d’analyse, de mise en perspective et de sens. L’avenir de la presse, en réalité, est aux longs articles, aux documentaires, aux reportages au long cours. L’avenir de la presse, ce n’est pas Pierre Lazareff, mais Albert Londres ! Ne plus envoyer un journaliste enquêter plusieurs semaines ou plusieurs mois sur une réalité politique ou sociale, c’est courir à la faillite. Qui dit réalité, dit aussi expertise, ce qui nous ramène aux sachants qui, au-delà de leur visibilité dans les médias français, semblent de moins en moins enclins à animer le débat public. Chat échaudé craint l’eau froide ! Nous avons connu, jusqu’à la fin des années 1980, toute une époque où il valait « mieux avoir tort avec Sartre que raison avec Aron ». Au cours de ces décennies, les intellectuels se sont très largement dévalorisés par leur phénoménale constance à se tromper en toute occasion. Aujourd’hui, les intellectuels sont rentrés, pour la plupart, à l’université, d’où ils ne sortent plus que très rarement. C’est-à-dire ? Longtemps, les intellectuels français ont vécu avec l’idée que le marxisme était un « horizon indépassable » et que le matérialisme historique était la seule interprétation valide de l’histoire. Au début des années 1990, la fin du communisme ne les a pas simplement laissés orphelins, mais dans un état proche du désœuvrement. Eux qui avaient cru si fortement au slogan de 1968 : « Tout est politique » pensaient désormais que plus rien ne devait l’être. Comment voulez-vous que des hommes qui croient que la politique n’est plus rien s’en mêlent ? Certains auteurs, toutefois, semblent aller au-delà du constat et cherchent à l’analyser. Je pense, par exemple, à Emmanuel Todd… Dans Qui est Charlie ? Un ouvrage au ton volontairement polémique, Todd formule une proposition intéressante : la France vit aujourd’hui une « crise religieuse » d’une intensité inouïe. Elle provient de la désagrégation du « catholicisme », qui a été l’un des éléments les plus structurants de son histoire. Plutôt que de nous cacher derrière le mot « laïcité » comme nous avons l’habitude de le faire, Todd demande à ce que l’on prenne « la religion au sérieux, particulièrement lorsqu’elle disparaît ». Un grand et salutaire débat aurait pu naître de ce livre. Il n’a pas eu lieu. On s’est contenté, au lieu de cela, de répéter à l’envi deux ou trois phrases sorties de leur contexte… Ne pas penser, ne pas lire un livre, ne pas débattre : juste être un perroquet ! Voilà où est le problème et où réside la médiocrité de l’époque. Et que le message ne passe pas, ni sur le fond, ni sur la forme... ? Todd n’est pas un professionnel des médias. Il s’emporte et s’énerve, quand il devrait arborer en toutes circonstances ce que Philippe Muray nommait le « sourire à visage humain ». On peut proférer les pires énormités ; l’important face à la caméra est de ne jamais se départir de son sourire. Au fond, les mass-médias, les chaînes d’information continue, les réseaux sociaux ne s’intéressent ni à la vérité ni au sens. Seuls comptent le buzz, le déferlement des images et des informations, le bourdonnement permanent d’une ruche sans reine ni raison ». ◊
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PIERRE KRETZ « M OI, J’AI BESOIN DE VIVRE DANS UN E D ÉM O CRATIE VIVANTE ! »
Il y a quinze ans, cet ex-avocat a tenu la promesse qu’il s’était faite à lui-même : arrêter d’exercer dès qu’il aurait atteint cinquante ans. Depuis, il ne cesse de publier. Son dernier ouvrage, « Le nouveau malaise alsacien » détonne positivement dans la marée des productions littéraires ou autres générées par la très controversée réforme territoriale. Etre un intellectuel aujourd’hui en Alsace : Pierre Kretz incarne bien cette notion… /// TEXTE JEAN-LUC FOURNIER PHOTOS MÉDIAPRESSE - MAXPPP
En Alsace, la loi de novembre dernier, officialisant la décision gouvernementale de réformer l’organisation territoriale française en créant de « super-régions », nous a valu un déferlement d’opinions et de manifestations où le pire a souvent côtoyé le meilleur. Le folklore des alsaciennes d’aujourd’hui ressortant les larges coiffes noires pour manifester dans les rues strasbourgeoises a su provoquer un certain capital-sympathie et des sourires indulgents. Beaucoup moins la vision des crânes rasés et les slogans saumâtres alors quelquefois aboyés, voire même certaines interventions très politiquement correctes en apparence mais qui cachaient mal une morgue hautaine tout à fait déplacée. Sur les réseaux sociaux, les prises de position n’ont bien sûr pas manqué avec des argumentaires où le pitoyable côtoyait souvent, là aussi, l’opportunisme à peine voilé. La polémique, quel beau moyen pour se faire un nom ! Bref, la boîte de Pandore étant ouverte, la marée des aigreurs pouvait se déverser… Heureusement, quelques contributions de bonne facture intellectuelle, assises sur une vraie connaissance de notre
région et peu suspectes d’opportunisme ont réussi à émerger. Et parmi elles, le petit livre de Pierre Kretz…
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UN ÉCRIVAIN ACCOMPLI Il y a vingt ans, son premier ouvrage lui avait déjà valu quelques remarques très couleur locale du genre « Tu peux le penser mais ne le dis pas ! ». « Je venais d’écrire « La langue perdue des Alsaciens » comme un petit essai sur le dialecte et la schizophrénie » se souvient Pierre Kretz. « Ayant auparavant beaucoup écrit pour le théâtre dialectal, les milieux traditionnels de la culture régionale se sont sentis trahis par ma vision très contemporaine où j’annonçais que la langue alsacienne allait disparaître en suggérant qu’elle méritait un bel enterrement ! Je mettais les pieds dans le plat, donc, et le public, lui, a suivi. Le livre, avec plusieurs retirages, a été un succès. Après avoir publié ensuite « Quand j’étais petit, j’étais catholique », un roman qui décrivait le monde englouti d’un petit village alsacien des années cinquante et soixante, un succès là encore, mon troisième livre « Le
gardien des âmes », l’histoire d’un cinglé sympathique qui rumine sur le passé de sa famille alsacienne, a ensuite été traduit en allemand et adapté en pièce radiophonique. J’ai aussi, entre autres, publié un polar « Le disparu de la route des vins » mais une de mes plus belles aventures littéraires a été la rédaction de « L’Alsace pour les nuls », un travail réalisé conjointement avec Astrid, mon épouse et qui nous a pris un an. De belles ventes, entre quinze et vingt mille exemplaires… » Pierre Kretz ne le cache pas : « Le nouveau malaise alsacien » a été écrit dans l’urgence, au lendemain de la promulgation de la loi du 25 novembre 2014. Le titre fait bien sûr penser à la même expression qui avait été utilisée au lendemain de la première guerre mondiale par la presse française qui voulait ainsi illustrer « l’imbrication inextricable de questions linguistiques, scolaires, sociales et religieuses qui compliquait la réintégration de l’Alsace dans la République française dont elle avait été coupée pendant quarante-sept ans ». Mais cette foisci, elle évoque plus directement la
profonde stupéfaction de son auteur : « Je n’en reviens pas de ce véritable déni de démocratie » s’enflamme Pierre Kretz. « Cette loi a été promulguée alors qu’elle a été rejetée par 90% des élus départementaux et régionaux alsaciens. Même les parlementaires socialistes alsaciens ne l’ont pas votée ! On est dans l’absurdité la plus totale, il n’y avait aucune nécessité de faire ça aujourd’hui. L’Alsace avait fini par trouver sa place dans la République et depuis plusieurs décennies, tout était paisible. Et voilà que ce truc-là nous tombe dessus ; on est ébahi devant tant de bêtise et cette méconnaissance de la réalité alsacienne qui a provoqué ce regroupement inutile et qui contrarie les gens. A l’instar de la Corse ou de la Bretagne, on aurait dû rester l’Alsace et point final ! » ( Effectivement, le gouvernement s’est bien gardé d’adjoindre quelque région que ce soit à ces deux entités qui savent, et depuis longtemps, manifester toutes deux un sacré caractère en toutes circonstances… - ndlr). « LE PERSONNEL POLITIQUE LOCAL N’ARRANGE RIEN » « J’ai beaucoup tourné pour promouvoir le livre à travers toute l’Alsace » poursuit Pierre Kretz. « Et je sens distinctement comme un réveil citoyen et une prise de conscience qui se mettent en place. « Ca ne va pas, on ne fait pas ça » m’a-t-on souvent dit en mêlant ostensiblement la morale et le politique. Ce mouvement va très certainement déboucher sur une liste de refus de la grande région menée par Unser Land, avec d’autres également. Il faudra que cette élection de décembre joue le rôle du référendum qui n’a pas eu lieu. Le refus citoyen existe déjà, la question est de savoir s’il peut se concrétiser politiquement par la grâce d’une liste qui ne pourra être que d’union. Il y a tant de raisons qui sous-tendent ce refus : des motivations affectives mais aussi géographiques, fiscales,… En ce qui me concerne personnellement, je raisonne plutôt en tant que citoyen français qui se retrouve face à un déni de démocratie. C’est l’épicentre-
même de ma motivation. Moi, j’ai besoin de vivre au sein d’une démocratie vivante ! Tout va dépendre de ce qui va se passer en décembre lors des élections régionales. Mais je crains qu’un malaise profond se soit déjà installé. Récemment, certaines personnes d’Unser Land m’ont avoué qu’il y a des gens qu’ils ont du mal à contrôler… Le personnel politique local n’arrange rien : il est absolument pitoyable, tous partis confondus. Et ça n’est pas d’hier. A part Catherine Trautmann qui, par le passé, fut la seule personnalité politique qui, à mes yeux, s’est détachée par la pertinencee et la force de ses engagements et qui reste encore aujourd’hui très au-dessus du lot, aucun autre élu n’a de vision. Je regrette mais les entendre dire : « on n’a pas le choix ! » est consternant. Je leur rétorque que si, on a toujours le choix : je leur oppose l’attitude de Pierre MendèsFrance, défendant sa position sur le problème de l’Indochine, en 1954. « C’est mon choix » disait-il « et si je n’y arrive pas, je démissionne ! ». Quand on est un politique digne de ce nom, on exprime résolument ses choix et si on n’est pas suivi, on arrête et voilà tout ! Ca concerne même l’écologie politique qui a pris racine en Alsace dans les années soixante-dix mais qui est aujourd’hui rigoureusement incapable de tenir un discours cohérent. Il sont devenus encore pire qu’une caricature d’euxmêmes, un véritable copier/coller des partis traditionnels dans ce qu’ils expriment de plus nul ». Pierre Kretz le sait : les quatre mois qui viennent et qui nous séparent des élections de décembre prochain vont être déterminants pour la défense de la cause de l’Alsace, désormais incorporée au sein d’un territoire plus grand que la Belgique (!) qui va des rives du Rhin aux berges de la Marne aux portes de Paris ! A Strasbourg, retenu comme chef-lieu (mais l’exécutif régional siègera-t-il ici, rien de moins sûr…), il va donc continuer son combat, celui d’un intellectuel engagé et bien de son temps. ◊
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PASSION
KUSTOM WORKSHOP UN E BO UT IQ UE POU R L ES AL SACIENS ET UN SIT E PO U R L E RESTE DU MONDE
C’est l’histoire d’une belle aventure pour Christophe et Mélanie, ce jeune couple plein d’imagination et d’énergie qui cultive à Lingolsheim un certain esprit californien en proposant sur internet et dans leur boutique le textile et les accessoires pour vivre la passion de la belle moto. /// TEXTE JEAN-LUC FOURNIER PHOTOS NINI PICS
Christophe Weber, 38 ans, avoue être « arrivé à la moto américaine après le décès de mon père, qui possédait une Harley, en 2006. » A l’époque conducteur de travaux dans le secteur du bâtiment, « j’ai alors commencé à rouler » dit-il. « Deux ans plus tard, l’idée d’un site de e-commerce a germé. J’ai fondé kustomworkshop.com en 2009 sur la base de la vente de textile et d’accessoires issus des grandes marques alors peu distribuées en France comme West Coast Choppers, Dickies, Lucky 13, entre autres. Notre clientèle est bien sûr majoritairement issue des amoureux des motos anciennes comme Harley mais pas seulement : sur notre parking , on voit aussi des Triumph, Mustang, etc… » confie Christophe dont la parfaite maîtrise des réseaux sociaux fait merveille. Kustom Workshop annonce 13 600 suiveurs sur Facebook, un blog très lu, une présence sur Pinterest, Tweeter et Instagram et des vidéos accessible via YouTube. Sa compagne, Mélanie Amann, 28 ans, s’occupe depuis 2011 de tout
ouvre une boutique physique chaque week-end : cela nous permet de voir et réunir nos clients… » Le succès aidant (« Nous sommes en plein développement », sourient les deux associés), la refonte totale du site est sur le point d’être réalisée. C’est important puisque 90% des ventes se font par ce biais grâce à une remarquable fréquentation (20 000 connexions/mois). Côté nouveauté, la création d’une ligne personnalisée de T-shirts est imminente…
l’environnement marketing et souligne que « la période de crise que l’on vit actuellement cultive tellement le négatif que la culture californienne, du coup, est un phénomène marrant qui rapproche les gens. D’ailleurs, c’est dans ce sens qu’on
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Quand vous lirez ces lignes début septembre, le couple sera à peine rentré de vacances. Où ? « Bien sûr dans l’Ouest américain. Ce sera la première fois, on a hâte… » nous ont-ils annoncé, tout souriants, en juillet dernier… ◊
/// KUSTOMWORKSHOP.COM www.kustomworkshop.com Boutique : 39 rue du Château à Lingolsheim Tél. 03 88 32 91 31 Ouverte les samedis toute l’année + le vendredi en été.
DE GRANDS GOSSES… Dès les beaux jours revenus, on les croise en permanence sur les routes du week-end. Impossible de ne pas les remarquer : les chromes luisent au soleil, les moteurs pétaradent et les tenues vestimentaires sont à la hauteur. Au cœur d’une belle balade sur les routes des Vosges du nord en compagnie des membres du Harley Davidson Chapter Alsace… /// TEXTE JEAN-LUC FOURNIER PHOTOS MÉDIAPRESSE
Parce que les préjugés sont lents à se dissiper, le profane a un peu tendance à tout confondre. C’est ainsi que la simple vision d’une troupe de motards peut quasi automatiquement faire penser aux Hell’s Angels de mauvaise réputation. « Il y a même un club de « Bandits » à Strasbourg » nous apprend Michel, le directeur du Harley Davidson Chapter Alsace, dont les 400 membres recensés n’ont bien sûr rien à voir avec ce triste folklore des « anges de l’enfer ». Ce cadre du milieu des assurances a pris le « virus Harley » après une longue fidélité aux motos BMW en mettant à profit sa collaboration avec un organisateur
de voyages spécialisé dans les grands espaces, notamment américains, durant deux années de congés sabbatiques qu’il s’est accordé. La collaboration a tourné court (« Le monde des assurances paye plus que l’organisation de voyages » sourit-il), mais pas la passion naissante pour le monde Harley Davidson. Entré au Chapter alsacien de Harley en 2008, Michel, 57 ans, préside désormais aux destinées de ce paisible club d’amis passionnés Michel et Martine
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de la célèbre marque américaine qui, autour de leurs repas mensuels à la concession Harley de Fegersheim (véritable plaque tournante relationnelle), organisent et vivent ensemble leurs traditionnelles sorties et même les expéditions plus lointaines sur les highways du grand Ouest américain. UN CONVOI PARFAITEMENT ORGANISÉ Le rendez-vous avait été pris pour le début d’après-midi d’un caniculaire dimanche de juillet dernier. Le prétexte : rejoindre l’ambiance western d’une
PASSION grande ferme de la proche Moselle qui présente la particularité rare d’abriter un élevage de bisons ! L’Amérique mythique n’est jamais loin, dès qu’on parle Harley. Et de fait, sur le parking d’un centre commercial de Lingolsheim, ce sont une quinzaine de motos rutilantes qui nous attendent sous le soleil. La plupart présentent un énorme carénage, très loin de la coupe des habituelles « sportives » qu’on croise abondamment sur les routes. Le fan de Harley aime le confort des massives routières. Les présentations sont relax sous le peu d’ombre diffusé par les arbres maigrichons. Juste le temps de constater que, ce dimanchelà, la passion Harley se vit en couples. Souvent sur la même moto mais aussi, quelquefois, avec chacun la sienne ! Quand on aime, on ne compte pas… Et le cortège s’engage sur le bitume surchauffé. Le temps de traverser les banlieues et faubourgs strasbourgeois, la procession se retrouve vite sur les routes bucoliques du Kochesberg. Et là, quelques évidences qui sautent aux yeux. Le respect quasi absolu des réglementations de vitesse, d’abord. « C’est de la balade » nous racontera plus tard Michel. « Et nous savons que notre réputation se joue aussi sur le respect scrupuleux du code de la route. Le monde Harley est un monde de bisounours » rigole-t-il. « Sincèrement, on y boit plus de Perrier que de bière. Mais les images nous collent à la peau. Quand nous réservons des chambres d’hôtel sur nos longs parcours, on évite de s’annoncer en tant que motards tant les préjugés restent solides. Alors oui, sur la route, nous redoublons de prudence et nous sommes très organisés… » Nous en aurons tout l’après-midi la parfaite illustration. Quelle que soit la longueur du cortège (quelquefois, plus d’une centaine de motos peuvent prendre la route ensemble…), une rigueur quasi militaire préside au déplacement de la troupe. La route est ouverte par le road captain : ce pilote a soigneusement préparé et étudié l’itinéraire. Seul en tête, se fiant aux indications de l’écran de son GPS embarqué, il régule de fait la vitesse des autres motos, il décide des pauses ou des arrêts de ravitaillement, c’est lui qui imprime son rythme au voyage. Il est suivi par des voltigeurs (ce jour-là, ils étaient deux pour une quinzaine d’équipages) dont le rôle est capital. On ne peut pas l’imaginer avant d’avoir vécu un tel déplacement, mais un convoi de motos a besoin d’être géré parfaitement pour ne pas se disloquer au gré des épisodes présentés par les spécificités de l’itinéraire. Outre les aspects de sécurité, le rôle principal des voltigeurs est justement de permettre au convoi de ne jamais se morceler. Ainsi, à l’approche du moindre rond-point ou d’une intersection, le même ballet, parfaitement rodé, se met en place. Les deux voltigeurs dépassent le road captain. Le premier bloque la route du côté gauche de l’entrée dans le rond-point, le second en fait de même du coté droit. Sans hésiter, le road captain et l’ensemble des motards du convoi vont ainsi franchir l’obstacle sans se séparer. La dernière moto passée, les deux voltigeurs vont remonter l’ensemble de la file de motos et gentiment retrouver leur place derrière la
moto leader, non sans signaler leur retour par un bref coup de sirène. Jusqu’à la prochaine intersection et ainsi de suite… Tout l’après-midi, ce sera inlassablement le même manège. « Nous tenons beaucoup à cette parfaite organisation » nous racontera Michel lors de l’arrêt à la ferme des bisons. « D’abord, c’est, pour nous, l’assurance de progresser correctement. Si nous n’avions pas cette organisation, nous serions vite considérablement éparpillés un peu partout. Sur un déplacement de quelques dizaines de kilomètres, ce serait déjà très problématique. Alors, quand on s’engage sur un itinéraire de plusieurs centaines de kilomètres, cette discipline devient incontournable. Et puis, cette rigueurlà est aussi, il faut le dire, très appréciée par les gendarmes qui, bien sûr, la connaissent et la plébiscitent. C’est important pour nous d’entretenir les meilleurs relations avec eux, d’être considérés comme des pilotes responsables et sérieux »… Autre point important qui contribue aussi à la parfaite discipline de l’ensemble : derrière le road captain et les voltigeurs, chacun conserve la position qu’il aura prise au départ. Personne ne se double, tout juste quelquefois, quand les conditions le permettront, deux motos pourront-elles brièvement rouler de front, le temps pour les deux pilotes d’échanger quelques mots indispensables… ILS AIMENT SE RACONTER
Six heures de suite sur la route (et deux bonnes heures ensuite, au retour, pour dîner sous la douce chaleur de l’été strasbourgeois), nous aurons donc vécu ce que les pilotes d’Harley adorent le plus : rouler en convoi et vivre à fond leur passion. Quelquefois trentenaires ou quadragénéaires, majoritairement cinquantenaires et souvent sexagénaires, ils sont touchants avec leur souci du détail vestimentaire. Harley de la tête au pied : sous le casque quasiment toujours noir, un bandana aux couleurs de la marque. Le blouson de cuir (noir, lui aussi) et aussi le gilet quand il fait très chaud sont parsemés de logos et même de slogans américains : Let’s roll ! – Loud pipes save lives (les pots d’échappement bruyants sauvent des vies) – It-s not the destination, it’s the journey (ce qui compte n’est pas la
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destination, c’est le chemin)… La plupart du temps, quand les motos sont équipées d’imposants haut-parleurs, la stéréo ne diffuse évidemment pas de la musique de chambre mais du bon gros son métal qui fait vibrer. A tue-tête… Sur la route, outre le traditionnel salut de la main au motard qui les croise, ils roulent le buste haut, bien conscients de la curiosité admirative qu’ils suscitent dans les villages traversés. Quelquefois, ils en rajoutent avec quelques notes stridentes de leur sirène (évidemment, ils choisissent très souvent les sons reconnaissables entre mille des cops américains des hihgway patrols) et, comme de grands gosses, le moindre tunnel ou passage souterrain générateur d’écho provoque un concert d’avertisseurs. Ils adorent se raconter, eux et leurs périples dont ils ne se lassent pas, comme ils l’ont fait au restaurant Au bœuf noir au cœur de Brumath, leur QG quand ils se baladent dans le coin. Un autre Michel, 44 ans, pâtissier talentueux du réputé Amande et Cannelle dans le quartier des Halles à Strasbourg : « La Harley est souvent inaccessible quand on débute en moto. Le budget démarre à 8 000 € mais au fur et à mesure qu’on se fait plaisir avec les équipements, ça peut dépasser 45 000 €. Alors on se dit que dès que cela sera possible, on s’en paiera une. Ce fut le cas pour moi il y a trois ans. J’ai tout de suite adhéré au Chapter Alsace pour pouvoir participer aux sorties et à la vie des fans d’Harley de Strasbourg. Mon épouse Caroline est aussi de la partie. J’apprécie ce groupe qui est très cosmopolite : chacun vient comme il est, il n’y a pas de différence quand on roule. Et puis, dans le quartier, je ne suis pas tout seul, il y a aussi Eric. Du coup, on se soude autour de la même passion… » Eric, donc. A 61 ans, ce jeune retraité de la Police nationale a déjà une longue expérience de la marque puisqu’il fut un de piliers des Bikers 67, le club qui précéda le Harley Davidson Alsace Chapter. Comme tous les autres, il lui a fallu attendre pour enfin s’acheter sa première Harley : « C’est arrivé il y a vingt ans. Je me suis payé une Electra. Mon rêve se réalisait tout comme mon premier voyage dans l’ouest américain en 2009, l’année même de ma retraite. Là-bas, j’en avais les larmes aux yeux quand j’ai roulé sur le sol américain lors des premiers miles. C’est grandiose ces espaces immenses, surdimensionnés même. En Europe, une ligne droite de 7 km c’est énorme. Làbas, c’est 50 km, couramment !.. » Une passion qui quelquefois peut coûter cher. L’an passé, de retour dans l’ouest américain, Eric et son épouse Marie ont lourdement chuté sur le bitume. La faute au motard les précédant qui, omnubilé par la perte soudaine de la trace de la Route 66 sur son GPS, a pilé trop sec ! « Après un passage
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aux urgences de l’hôpital du coin, j’ai terminé mon périple sur la 66 en voiture. J’aurais pu me faire rapatrier mais je tenais à terminer. La passion pour les USA a contribué à me motiver pour rester. Cependant, j’avoue que j’en ai bavé. Il m’a fallu six mois pour me remettre complètement des suites de cet accident mais dès que j’ai pu remonter sur la moto, je l’ai fait. Je suis un fou furieux de Harley, ce n’est pas ça qui va m’arrêter….» Que reste-t-il des six heures de route en compagnie des grands gosses du Harley Davidson Chapter Alsace ? La douce sensation du vent et de l’air enfin un peu frais dans les belles forêts des Vosges du nord, au cœur de la canicule de juillet ; les conversations avec ces authentiques passionnés; dans le viseur de l’appareil photo, les éclats de soleil sur les peintures nickel chrome ; et puis aussi, au creux de l’oreille, ce son inimitable, ce « peutt-peutt-peutt » de légende, presque ronronnant à petite vitesse mais soudain rugissant et ahurissant dès que ça monte dans les tours… « Loud pipes save lives… » ◊
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De gauche à droite : Kayhan Karaça - Suyan Lu - Véronique Leblanc - Samatha Agro
JOURNALISTES EUROPÉENS PO U R Q U OI I L S N E V EU L EN T PAS Q UI T T E R STR AS B OU R G
La « Team Mickey ». C’est ainsi que les surnomme affectueusement notre collègue Véronique Leblanc, en référence à la photo prise à l’occasion de cet article. « Ils », cette petite troupe de journalistes passionnés suivant assidûment l’actualité des institutions (pan)européennes siégeant à Strasbourg. Une petite troupe méconnue mais sans laquelle nul n’aurait la moindre chance de comprendre ce qui se passe vraiment derrière les murs des institutions(pan) européennes strasbourgeoises. /// TEXTE CHARLES NOUAR PHOTOS DR
La « Team Mickey ». C’est ainsi que les surnomme affectueusement notre collègue Véronique Leblanc, en référence à la photo prise à l’occasion de cet article. « Ils », cette petite troupe de journalistes passionnés suivant assidûment l’actualité des institutions (pan)européennes siégeant à Strasbourg. Une petite troupe méconnue mais sans laquelle nul n’aurait la moindre chance de comprendre ce qui se passe vraiment derrière les murs des institutions(pan) européennes strasbourgeoises. Véronique, elle, c’est « la Belge de service », s’amuse la « Team Mickey ». Une Belge arrivée à Strasbourg en 1993, dans le sillage de son époux. A l’époque, « je n’avais alors pas le droit de travailler parce que c’était inscrit sur ma carte de séjour et que l’on était avant Maastricht, se souvient-elle. Puis, j’ai commencé à publier pour la presse jeunesse. La Libre Belgique c’est mon bug de l’an 2000 : comme il ne se passait rien et que je m’ennuyais, je les ai appelés, et ils ont dit ‘banco’ ! ». La scène se passait en février 2000. « Depuis j’ai couvert toutes les sessions du Conseil de l’Europe, de la Cour Européenne des droits de l’Homme ainsi que du Parlement », pour eux, mais également pour l’Agence Europe. Toujours avec passion, mais aussi avec
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recul. Avec recul, parce qu’entre l’envie poussive des médias de s’intéresser aux questions européennes et une certaine désespérance face au grand n’importe quoi du débat populaire et médiatique sur l’Europe en France, mieux vaut avoir un sérieux sens de l’humour pour résister aux clichés du café du commerce. La chose n’est toutefois pas nouvelle et se vérifie chaque jour dans les médias télévisés en tête : en France, mais dans d’autres pays également, ce n’est généralement pas le journaliste spécialisé qui apparaît dans les JT, mais le gars bien placé à Paris qui n’a jamais mis les pieds à Strasbourg ou Bruxelles... Demandezvous alors pourquoi nul n’y comprend rien à cette Europe, sans même parler de celle du Conseil de l’Europe, inconnue de la plupart des rédactions nationales... « MA SI, MAIS, LÀ ÇA NE COLLE PAS ! » Au milieu de ce « grand n’importe quoi », Véronique et la « Team Mickey » tentent autant que possible de la faire connaître cette Europe plurielle dans sa réalité auprès du grand public. Pas celle des supputations, des clichés populistes, des Etats membres qui dénoncent à des fins électorales des textes qu’ils ont eux mêmes signés, mais celle de la réalité.
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D’une Europe retranscrite honnêtement, sans a priori, avec le souci de se battre pour un meilleur accès à l’information jusqu’au sein même des institutions strasbourgeoises. Un combat notamment porté par Samatha Agro, correspondante de l’agence de presse italienne Ansa et, depuis peu, à la tête de l’association de journalistes européens AvenuEuropa, le cœur de la Team Mickey, pour faciliter le croisement des sources, l’accès aux jugements de la Cour et leur explication au plus grand nombre. Ceci au point que son « Ma si, mais, là ça ne colle pas ! » est désormais connu de tous au Conseil, avec pour effet de parvenir à lever les nombreuses zones d’ombres posées sur un vote ou une décision. « ICI, UN JOURNALISTE A DU TEMPS POUR TRAVAILLER LES DOSSIERS » Aux côtés de Véronique et Samantha, Kayhan Karaça, correspondant France et Europe basé à Strasbourg pour NTV, CNBC-e et Deutsche Welle : le président sortant de l’association. Son arrivée à Strasbourg ? Presque un hasard : journaliste turc formée un peu par hasard à l’école de la télévision turque alors qu’il commença comme stagiaire en marketing média à Radio France, Kayhan doit son arrivée dans la capitale
alsacienne à la faveur de l’Accord de libre-échange UE-Turquie et de l’application pleine et entière des décisions de la Cour européenne des droits de l’Homme à Ankara. Deux événements majeurs qui poussèrent après l’agence de presse Anatolie, les groupes Sabbah et Hürriyet, NTV à s’implanter à Strasbourg. Depuis, tout comme le fidèle Javier Aguilar débarqué ici « le jour des tous les saints », le 1er novembre 2004, Kayhan n’a jamais envisagé aller ailleurs. « Ici, un journaliste a du temps pour travailler, pour creuser les dossiers, voire écrire des livres sur la base des archives du Conseil. Jamais à Paris ou Berlin, je n’aurais eu cette opportunité ». « SI L’ON ME PROPOSE DE RENTRER EN ESPAGNE, JE REFUSE ! » Quant à Javier, qui dans une autre vie suivait le ministre des Affaires étrangères espagnol et la famille royale pour le journal La Razon, celui-ci ne regrette pas davantage son expatriation. Désormais correspondant de l’Agence de presse espagnole EFE au Conseil de l’Europe, l’homme ne le cache pas : « Si l’on me propose de rentrer en Espagne, je refuse ! ». Pour des raisons personnelles mais, tout comme Kayhan, pour ces mêmes motivations professionnelles qui ont également conduit Suyan Lu, cheffe du bureau strasbourgeois de « Chine nouvelle » à se battre pour ne pas être mutée ailleurs. La petite cinquantaine, cette journaliste chinoise passée par Yaoundé, Alger et Bruxelles a d’ailleurs tout mis en oeuvre « pour sauver le bureau de Strasbourg » à une époque où celui-ci aurait pu être abandonné au profit d’autres villes européennes. Sa motivation ? Là encore, « ici, nous avons des sujets que l’on peut approfondir, qui plus est sur des thématiques européennes que n’offrent pas les autres villes françaises, dont Paris ». Creuser, analyser, prendre le temps d’expliquer : un luxe, ou presque désormais
dans ce métier, relèvent-ils tous en substance. Un message visiblement entendu du côté du siège de « Chine nouvelle » qui, non seulement, a entendu les demandes de sa correspondante, mais lui a également permis de renforcer son implantation en lui accordant le recrutement d’un Britannique, d’un Américain et d’une Suissesse. QUAND BORGEN RECRUTE À STRASBOURG Et puis, toujours au sein de la « Team Mickey », d’autres figures journalistiques : Andrzej Geber, de PolskieRadio (Pologne) qui derrière une attitude bienveillante s’avère être un redoutable fin limier ; Iolanda Badilita de Radio Free Europe/Radio Liberty (Roumanie), intraitable sur les libertés publiques, Fouad Gouloubeyli à la tête du bureau Europe de Strasbourg de l’Azeri Press Agency, l’Allemand Udo Seifert du Scottish Time – dont la couverture du Brexit devrait être regardée, pour sa pertinence, par nombre de chroniqueurs français... Et, parce que le petit monde journalistique européen ne serait ici pas le même sans lui : Peter Von Kohl. Peter ? L’un des plus anciens permanents étrangers à Strasbourg et dont la personnalité tranchée, teinté de noblesse décalée et d’activisme assumé, ne laisse nul interlocuteur indifférent. Au point, dans son cas, d’avoir été recruté comme Speaker du Parlement danois... dans la série Borgen. Une anecdote, certes, mais à laquelle n’est sans doute pas étrangère la connaissance des institutions d’un journaliste intégré à l’une des séries télévisées européennes les plus pertinente en matière d’analyse des médias et de la politique... ◊
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PASSION
A STRASBOURG
B LAC K A NG U S T R AQU E L ES BIG DATA
L’immensité des espaces numériques recèle des milliards de données personnelles qui, soigneusement collectées, triées et exploitées, génèrent l’apparition de nouvelles activités économiques. Comme celles pratiquées par l’agence strasbourgeoise Black Angus dont le rayon d’action est… le monde entier ! /// TEXTE BENJAMIN THOMAS PHOTOS MÉDIAPRESSE - DR
Ce que le Strasbourgeois Dan Polaski nous explique tranquillement dans les bureaux de sa société Black Angus, avenue des Vosges, peut (c’est selon…) enthousiasmer ou au contraire faire un tantinet froid dans le dos. « Notre métier se déploie sur deux activités principales: la première est l’achat d’espaces publicitaires aux enchères sur internet pour le compte de nos annonceurs. Pour cela nous détectons l’audience globale précise des sites qui nous intéressent. Nous le faisons à travers les traces numériques que chacun laisse sur la Toile. Ces traces, ce sont les fameux cookies. Chaque jour, des centaines de millions d’entre eux sont disponibles et peuvent donc être exploités en temps réel. Ils permettent de connaître l’adresse IP du surfeur et, par croisements, de compiler un grand nombre d’informations sur ses goûts, ses tendances de consommateur, etc… On peut donc ensuite le solliciter via le net. C’est évidemment un outil aux possibilités infinies. Chaque jour amène sa nouveauté : ainsi, par exemple, une start-up israélienne parvient même à détecter le moment où untel est chez lui et comme il est prouvé que l’ambiance privée est moins génératrice d’achats, on cesse alors de le solliciter… La deuxième activité de Black Angus est de parfaitement déceler les espaces qui ciblent des audiences spécifiques. Si un client veut ainsi, ce n’est qu’un exemple, toucher les internautes qui, en Amérique
du nord dans la région de Chicago ou Toronto envisagent de voyager en Europe de l’est via la compagnie polonaise Lot, on sait où les atteindre. On peut mesurer le nombre de clics sur la bannière qu’on va installer sur le site. En ciblant bien les gens, le taux de clics peut ainsi être sept fois supérieur à la moyenne ! Pour l’annonceur, le gros avantage est de pouvoir mesurer son retour sur investissement car, bien sûr, on peut aussi calculer le nombre de personnes qui ont acheté, le panier moyen, le chiffre d’affaires généré, etc… Là, on est en plein dans le domaine des Big Data, des centaines de millions de clics qui génèrent des centaines de milliers d’achats. Notre métier fait que nous sommes vraiment capables de mesurer tout ça et cela revient évidemment à mesurer aussi la qualité de notre travail… »
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« ON N’EST QU’AU DÉBUT DE CE QU’ON PEUT FAIRE… » En France, seule une quinzaine de sociétés œuvrent dans le même créneau que Black Angus. Seulement trois d’entre elles sont indépendantes et Black Angus est la troisième de celles-ci. Son atout est d’être cependant le leader français à l’international. Quel que soit le pays, ces campagnes sont pilotées depuis Strasbourg mais, outre Paris, la société a ouvert deux bureaux, l’un à Tel-Aviv, profitant ainsi de la présence de clients
sur place qui étaient déjà référencés et l’autre à Montréal où l’envie d’un collaborateur de travailler à partir de làbas a été déterminante. « Il n’y a pas de formation à nos métiers » commente Dan Polaski. « Chez nous, nous ne recherchons pas des profils 100% digitaux mais plutôt des gens très axés sur le marketing. Ici, c’est la pédagogie de l’échec permis : on essaie sans trop attendre et si ça ne marche pas, on avise… Avec notre quinzaine de collaborateurs, nous sommes tous issus du monde de la pub, nous avons tous travaillé notamment chez Novembre. Personne n’était de la branche digitale, au départ, mais nous avons su augmenter notre base de connaissances et faire en sorte que nos savoirs se partagent. Nous sommes challengers mais nous enregistrons cependant un chiffre d’affaires qui, en 2015, va croître de 300% par rapport à celui de l’année passée. Et notre avenir est simple : continuer à exister et devenir un des acteurs incontournables des médias digitaux en achetant tous les écrans possibles. Pour l’heure, nous sommes tous associés au sein de Black Angus mais les salariés sont partie intégrante de notre avenir. On n’est qu’au début de ce qu’on peut faire, nous en sommes tous très intimement convaincus… » conclut Dan Polaski, très sûr de son fait. ◊
PASSION
STEPHANE LIBS
« AU STA R , NOT R E T R AVAIL EST R ECON N U »
Il est l’âme des cinémas Star à Strasbourg. Rencontre avec un vrai fondu de septième art, sous forme de questionnaire et de réponses du tac-au-tac… /// TEXTE ALAIN ANCIAN PHOTOS MÉDIAPRESSE - MÉDIAPRESSE – DR – G. VARELA
La première grande émotion au cinéma ? « A Mulhouse, au Pax ,le cinéma art et essai de mon quartier natal de Bourtzwiller. Je me débrouillais pour y accéder à toutes les séances. Un film de Pasolini. J’étais sans doute un peu trop jeune pour ça mais je ne savais pas qu’on pouvait faire ça au cinéma… Vos premiers pas de professionnels ? A Mulhouse, toujours. Objecteur de conscience, j’ai intégré une association qui gérait la programmation du cinéma Le Bel-Air, bien connu là-bas. On a foncé dans ce qui nous semblait représenter un bon créneau : l’art et essai. Ca a bien marché… Vos premiers pas à Strasbourg ? Ici, au Star qui d’ailleurs était mon cinéma de référence, même quand j’étais encore à Mulhouse. J’en suis devenu le directeur de l’exploitation. Puis je suis devenu entrepreneur malgré moi, en quelque sorte, quand René Letzgus m’a proposé de racheter le Star, puis le Saint-Ex. Même si je ne mesurais rien à ce moment-là des contraintes, de la fragilité économique
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structurelle du lieu, et même de la dureté du quotidien, je ne regrette rien et heureusement la passion est intacte ! Une angoisse ? La situation économique, justement. Tout peut basculer très vite du mauvais côté. L’Art et Essai a son public, les lois nous protègent et pérennisent la diversité de l’offre, mais l’Europe cherche à faire tomber l’ensemble du cinéma dans la seule logique commerciale. Les loyers augmentent, les normes techniques changent tout le temps et le bâtiment du St Ex nécessite des travaux très lourds et importants. Les discussions vont être serrées avec le gestionnaire de l’immeuble. Ca fout les jetons. C’est usant de gérer de telles choses Une vraie satisfaction ? La reconnaissance de notre travail. 340 000 entrées en 2014 mais nous sommes à – 15% sur le premier semestre 2015 à cause d’un manque de films porteurs. Mais l’autre satisfaction, c’est aussi l’équipe que nous formons ici. 22 personnes, une moyenne d’âge de 30 ans, des pros, des gens formés pour leur métier. On est heureux de travailler ici…
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Un regret sur l’évolution du cinéma ? Oui, un, tout bête. L’image numérique est super clean, très belle. Trop : moi, je regrette le 35 mm, les gros grains, les rayures, on entrait dedans, on était dans la poésie de l’image ! Une idole ? River Phœnix, un des jeunes acteurs de Stand by me, qui a ensuite été extraordinaire dans My Own private Idaho. Mort trop tôt et trop jeune. Mon James Dean à moi. En France, Jean Rochefort dont je suis un inconditionnel et peu importe pour quel film. Il est excellent partout… » ◊
PASSION
SAX OPEN
« LA LI ST E D E N OS EN V IES »
Promesses tenues ! SAX OPEN a été incontestablement le vrai carton du début de l’été strasbourgeois. Retour sur l’événement avec Philippe Geiss, le directeur artistique et Mathide Jenn, la coordinatrice générale de l’organisation, les deux chevilles ouvrières du succès de juillet dernier. Où il est aussi question d’avenir… /// TEXTE JEAN-LUC FOURNIER PHOTOS MÉDIAPRESSE - SAX OPEN/SOPHIE PONCOT
Les héros sont fatigués… Voilà la première impression ressentie quand nous avons retrouvé les deux piliers de Sax Open au lendemain même de la clôture de l’événement, à l’ombre d’un parasol du café de la Cité de la Musique et de la Danse. « Nous sommes évidemment en pleine phase de décompression » confirme Philippe Geiss. Professeur au Conservatoire de Strasbourg et à l’Académie Supérieure de Musique de Strasbourg – Haute Ecole des Arts du Rhinet saxophoniste réputé dans le monde entier, il a littéralement porté à bout de bras la candidature strasbourgeoise pour cet événement mondial d’autant plus précieux qu’il n’est pas fréquent (une édition tous les trois ans, la dernière en France a eu lieu à Bordeaux en 1974 (!) et la prochaine aura lieu en 2018 à Zagreb). A ses côtés, Mathilde Jenn qui avait encore pas mal de punch à revendre ce jour-là, résume le bilan au niveau du public. Et il est édifiant : « Nous avons vendu 2 800 pass, ce qui est formidable car ça représente trois fois plus que
la meilleure vente des précédentes éditions de Sax Open (Chicago, Londres, Montréal, Nuremberg, Pesaro et Tokyo, excusez du peu – ndlr). Du côté des 450 événements organisés, tout était complet à la salle Erasme du PMC lors des quatre concerts, de même à la cathédrale à trois reprises, la place Kléber était noire de monde lors des deux grands concerts et 2 000 personnes par jour ont assisté aux événements à la Cité de la Musique. Tous les autres lieux étaient « blindés » : les églises, les relais culturels, les hôtels, les commerces, les parcs, c’était incroyable… Un rapide calcul fait qu’on peut avancer sans exagérer le chiffre de 35 000 spectateurs ! » L’impact médiatique a lui aussi été à la hauteur : Arte a particulièrement joué le jeu en programmant des directs très suivis et la webTV de l’événement a fonctionné à plein. « Le Word Streaming Show a fait un carton un peu partout dans le monde et tout particulièrement en Amérique du sud » précise Philippe Geiss.
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UNE MINUSCULE ÉQUIPE OPÉRATIONNELLE Côtoyée à ce nombreuses reprises au sein du service Culture de la Ville de Strasbourg, Mathilde Jenn s’est vu proposer le poste stratégique de la coordination générale de l’événement par un Philippe Geiss qui concentrait alors toute son énergie à « faire admettre qu’il y a avait un travail capital et très lourd à assumer en amont des dates de juillet. Nous avons reçu rapidement un très fort soutien de la Ville et de l’Eurométropole ce qui nous a permis d’entamer nos rencontres dans le monde entier avec les réseaux de saxophonistes» se souvient-il. Et c’est ainsi qu’une minuscule équipe opérationnelle est parvenue à signer le bel événement de début juillet dernier. Autour de Mathilde, trois personnes en contrats à durée déterminée ont fédéré le travail de deux stagiaires et 146 bénévoles. A noter également l’investissement exceptionnel du prestataire technique, Boulevard des
faudra alors inventer un nouvel événement autour du saxo, bien sûr, mais pas seulement ! On a bien sûr très envie de continuer à cultiver cet esprit de fête d’été, de partage et de rencontres dans la ville. Bien sûr, ce sera autour de la musique mais peutêtre en imaginant un concept plus large. Je pense qu’il y a une piste à creuser du côté des outils multimédias, par exemple… » imagine Philippe Geiss avec, déjà, des étoiles qui brillent dans les yeux… ◊
Productions, qui, outre un tarif de prestations techniques « très en dessous de ce que ça aurait pu coûter normalement » selon Philippe Geiss, n’a pas hésité à investir plus de 300 000 € pour pouvoir assurer l’événement. UN SUPERBE BILAN ARTISTIQUE A l’heure du bilan artistique, Philippe Geiss aligne des chiffres impressionnants : « Les 450 événements un peu partout à Strasbourg ont donc été suivis par un très nombreux public. Mais le cahier des charges de Sax Open imposait aussi de générer des nouveaux répertoires. IL y a eu près de 500 créations d’œuvres dont six créations mondiales et vingt autres grosses commandes. S’il reste trois concertos qui seront joués dans les décennies à venir, je serais heureux » sourit Philippe. « Cette floraison d’événements a été très spectaculaire mais je suis surtout fier du fait qu’on ait réussi à intégrer le jazz dans un tel événement qui, jusqu’alors, était plus centré sur le classique ou le contemporain. Ca n’a pas été simple à faire accepter au Comité international, au début on nous a un peu regardé de travers mais c’est passé ! Je voulais Brandford Marsalis comme président d’honneur parce que je savais que, derrière, ça suivrait. Avec l’autre président d’honneur, Jean-Marie Londeix, ils ont servi de locomotives ! Les musiciens se sont pris au jeu et beaucoup qui n’avaient prévu de rester qu’un seul jour parmi nous ont décidé de prolonger leur séjour. Un des saxos de Miles Davis, Rick Margitza, n’avait même pas annoncé sa venue. Et il est resté toute la semaine ! Il y a eu un sacré partage entre les musiciens et le public… » ET L’ANNÉE PROCHAINE ? Bien sûr, le congrès mondial du saxophone n’est pas prêt de refaire étape en France. Mais, pour autant, Philippe Geiss et Mathilde Jenn n’hésitent pas à se projeter un peu dans l’avenir : « Nous allons bien sûr réaliser notre propre bilan interne, puis collaborer au bilan des collectivités locales. Mais c’est la liste de nos envies qui va dicter notre comportement quant à l’avenir. « De quoi avons-nous envie ? » sera la question centrale. Un des éléments de réponse devra aussi porter sur l’équipe d’organisation car il ne sera pas question de revivre certains moments extrêmement durs et tendus que nous avons vécus en amont de Sax Open. Plus question de travailler dans une forme d’urgence permanente ! Si ces conditions sont réunies, il
L’ AVIS DE OR NORME De la première soirée d’ouverture au Palais de la Musique et des Congrès sous la baguette de Marko Letonja, le Chef du Philarmonique de Strasbourg jusqu’au concert final place Kléber à la forte dominante Pop avec la présence sur scène de deux « monstres » (John Helliwell de Supertramp et Simon Willescroft de Duran Duran) en passant par les plus de 400 autres événements qui ont littéralement ponctué la vie publique de Strasbourg durant les six jours du festival, les organisateurs nous ont littéralement gâtés. C’est beau une ville où la musique résonne à tout va jusque dans ses moindres recoins, comme ce fut magnifiquement le cas lors du World Sax Day du dimanche… La plus grande leçon à tirer du succès de SaxOpen est limpide : quand Strasbourg voit grand, et même très grand, la mobilisation est forte, le succès est au rendez-vous et c’est toute la notoriété de la ville qui en bénéficie. En offrant un nombre considérable de lieux partenaires, en accordant des prestations en nature ou des tarifs ultracompétitifs voire en sponsorisant tel ou tel événement, les sociétés privées ont répondu présentes et ont largement embrayé derrière l’indispensable apport des collectivités locales. Le tout a permis à cet événement exceptionnel d’être à la hauteur de son enjeu mondial et sur les ondes de la webTV spéciale mise en place par l’organisation, l’image de Strasbourg a traversé la planète de part en part. Par les temps qui courent, un tel phénomène est tout sauf négligeable… Reste à espérer que cet événement musical si idéalement placé en début d’été puisse d’une façon ou d’une autre se pérenniser. Les pistes qu’évoque Philippe Geiss sont crédibles et, fort du succès de SaxOpen, on sent que l’homme s’est pris au jeu et a acquis une grosse expérience de l’organisation de tels événements. Appuyé par de fortes personnalités comme celle de Jacques Marescaux (il fallait voir le big boss de l’Ircad tomber l’armure et révéler son humour potache dans l’enthousiasme de l’Opening night !...), bien soutenu par la Ville et l’Eurométropole de Strasbourg et les autres collectivités locales, SaxOpen, ne fut que du plaisir ! Un plaisir qu’on espère revivre dès l’été prochain sous une forme inventive, audacieuse, et toujours aussi mobilisatrice. En voyant grand, très grand !
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SUPERBE
U N LI V R E D E PIER R E. . .
TOUT EN COULEURS
Pour le millénaire, la cathédrale de Strasbourg s’est habillée telle une grande coquette : avec ses couleurs d’origine et grâce au talent et au savoir-faire de la société Skertzo dont le fondateur, Jean-Michel Quesne, est incontestablement le « maître à penser » des actuels magiciens de la lumière… /// TEXTE BENJAMIN THOMAS PHOTOS MÉDIAPRESSE
Ce fut (avec SaxOpen, voir page. 84) l’événement majeur de l’été strasbourgeois. Le son et lumière 2015 de la cathédrale restera dans les annales. Le spectacle « traditionnel » avait certes migré sur la façade sud, visible de la place du Château mais, bien que brillant, fut largement éclipsé par l’extraordinaire mise en valeur de la façade principale ouest qui, pour la première fois depuis ses très lointaines origines, fut revêtue de ses couleurs d’origine…
Interrogée dès la fin juillet (à peine un mois après la première), Hélène Vincent, l’associée de Jean-Michel Quesne, pouvait déjà faire état des retours des spectateurs, strasbourgeois ou autres touristes de passage, traditionnellement très nombreux aux spectacles nocturnes de la cathédrale : « Nous savons que 10 000 personnes se sont pressées chaque soir autour des mises en lumière que nous avons conçues. C’est formidable et nous en sommes d’autant plus ravis que ce projet nous a pris dix mois de travail. Nous avions déjà essayé de restituer les couleurs d’origine de la petite collégiale de Poitiers, des cathédrales d’Amiens ou de Reims, par exemple. Mais en tâtonnant, en extrapolant même… A Strasbourg, ce fut très différent avec ce
plan de 4 mètres de haut faisant référence aux couleurs de l’époque, pieusement conservé par l’Œuvre Notre-Dame, et qui nous a permis vraiment d’aller au bout de notre travail sur la polychromie. Au moyen-âge, on bouchait les pores de la pierre d’origine avec un espèce d’enduit et on peignait par-dessus, ce qui donnait un résultat mat. Ce que nous avons réalisé donne un résultat plus brillant et qui laisse apparaître le grain de la pierre. C’est là que réside toute la différence : la « lecture » de l’édifice est radicalement autre. En journée, les dentelles de pierre sont écrasées par la lumière naturelle : le soir, avec nos lumières, on comprend beaucoup mieux comment cette cathédrale est fabriquée… » Et Hélène de détailler techniquement tout le processus de réalisation, des tous premiers essais nocturnes de l’automne dernier qui ont permis de constater que « le grès des Vosges se révélait capable d’un très grand rendement lumineux » jusqu’aux différentes étapes de repérages optiques en 3D pour que les huit optiques des appareils utilisés soient capables de compenser la déformation, le passage du tout à la « moulinette informatique », « les semaines et les semaines de travail » qui ont été nécessaires pour que chaque élément de la façade soit détouré, c’est à dire, en quelque sorte, isolé visuellement pour pouvoir recevoir l’illumination
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UNE PROUESSE TECHNOLOGIQUE
colorée le plus précisément possible… Bref, un vrai travail de spécialistes qui a mobilisé une équipe de dix permanents auxquels sont venus se greffer une flopée de free-lance et d’intermittents. Au final, après une manutention intensive due aux 100 kg de poids unitaire, huit projecteurs ont été calés au millimètre près pour assurer le rendu extraordinaire qui a été plébiscité par les spectateurs, soirée après soirée. C’est vrai : l’examen minutieux auquel nombre de spectateurs se sont livrés chaque soir au plus près possible des éléments qui brillaient d’un feu inédit ont pu leur faire constater la méticulosité et la grande précision avec lesquelles on a « peint » la façade ouest, aucune tache de couleur ne débordant du moindre centimètre sur l’élément voisin. Du grand art, vraiment et, finalement, cette magie incroyable qui a opéré. Preuve indubitable du succès, le raz-de-marée des photos qui a inondé immédiatement les réseaux sociaux et engendré un intense bouche-à-oreille qui a été très porteur pour le succès de cet événement. On laissera à Hélène Richard le soin de conclure : « Le succès a fait de nous des gens heureux et aux anges » déclarait-elle déjà après trois semaines de spectacle. Sur la mine des spectateurs quotidiens, on pouvait lire le même sentiment… ◊
A VENIR CET AUTOMNE
STRASMED
L A 9 ÈM E ÉDI T IO N, C’EST P OU R N OV EMB R E P R OCH AIN !
L’Orchestre national de Barbès
Salah Oudahar, le directeur artistique et sa petite équipe ont bien travaillé durant tout l’été en prévision de la 9ème édition de STRASMED qui aura lieu du 21 novembre au 5 décembre prochains. On connaît désormais le thème : « Rêver la ville » et l’essentiel d’une programmation où les événements ne vont pas manquer… /// TEXTE ERIKA CHELLY PHOTOS MÉDIAPRESSE - JB MILLOT
Salah Oudahar
D’abord un chiffre révélateur : pour l’heure, ce sont plus de 75 événements qui sont d’ores et déjà programmés durant la quinzaine à Strasbourg et sur tout le territoire de l’Eurométropole. Autant de moments festifs et de spectacles, mais aussi de débats et d’échanges sur l’actualité et la création issues des deux rives de la Méditerranée et un volet d’actions culturelles en direction des scolaires et des quartiers prioritaires. DES POINTS FORTS Si certaines dates restent encore à caler, quatre points forts émergent déjà de l’abondante programmation. A commencer par l’hommage qui sera rendu à Assia Djebar le vendredi 27 novembre à la salle blanche de la Librairie Kléber. Première Maghrébine à entrer à l’Académie française, Assia Djebar fut
une pionnière à divers titres. Elle fut surtout une immense écrivaine. Mais ce fut aussi une grande voyageuse. De Cherchell à Bâton-Rouge, en passant par Paris, Strasbourg, Alger, New-York, Oran, Lhay les Roses, Huston et d’autres villes encore, avant de revenir à la « Maison de son père », elle se coula dans des espaces citadins divers dont son œuvre porte la trace. En parcourant ses textes et en marchant sur ses pas, STRASMED rendra hommage à celle qui n’eut peur de franchir aucune frontière, qu’elle soit géographique, sociale ou linguistique. Le dernier week-end de novembre, la salle de la Bourse abritera « Le Salon des revues », des rencontres, échanges et débats en partenariat avec l’association Revues Plurielles et plus de 15 revues européennes consacrées au dialogue interculturel, à la lutte contre les discriminations et à la mémoire des migrations. Côté concerts, Souad Massi enchantera la Cité de la Musique et de la Danse le 21 novembre. Le 5 décembre, STRASMED sera clos par l’Orchestre National de Barbès qui se produira à la salle des fêtes de Schiltigheim. Dans les semaines qui viennent, la programmation définitive sera mise à jour sur le site internet de STRASMED. A surveiller… ◊ www.strasmed.com Souad Massi ORNORME STRASBOURG / septembre 2015
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PORT FOLIO M ICHE L FR IZ
Cet ex-ingénieur commercial a eu un passé professionnel dans les médias et la communication. Mais il se définit aujourd’hui comme enseignant et étudiant à vie, et cela en dit long sur ce qui anime son état d’esprit de jeune retraité. Michel Friz, c’est avant tout un œil et une attitude : il repère la situation qui va lui fournir le décalage idéal et il sait attendre « l’instant décisif » comme le proclamait bien haut Henri Cartier-Bresson. Et c’est ainsi que ses photos de la cathédrale et de Strasbourg parviennent à nous étonner… En octobre prochain, Michel Friz sera un des invités de l’exposition des 120 ans du Ciarus. Vous auriez tort de manquer ça… ◊ michelfriz53@gmail.com www.michelfriz.fr
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OR NORME STRASBOURG est édité par l’agence de presse MEDIAPRESSE 11 Boulevard de l’Europe 67300 Schiltigheim CONTACT josy@mediapresse-strasbourg.fr DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Josy Falconieri josy@mediapresse-strasbourg.fr DIRECTEUR DE LA RÉDACTION Jean-Luc Fournier jlf@mediapresse-strasbourg.fr RÉDACTION Alain Ancian Erika Chelly Jean-Luc Fournier Véronique Leblanc Charles Nouar Benjamin Thomas
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