OR NORME STRASBOURG / L’INFORMATION AUTREMENT
numéro 20 / avril 2016
DESTINATIONS DE LÉGENDE S PI T Z B ERG
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e di to PAR JEAN-LUC FOURNIER
/// Ce monde qui change… Avec les beaux jours qui reviennent arrive le numéro de printemps de Or Norme qui affiche généreusement ses Destinations de légende. Comme une bouffée d’air lumineuse, un avant-goût des douces soirées de fin de printemps que nous attendons bien sûr chaque année avec impatience. Ce numéro est plébiscité par nos lecteurs et ils nous disent pourquoi dans des mails qui, à chaque fois, nous procurent un immense plaisir car certains vont même jusqu’à suivre nos traces. Ainsi ces témoignages de Strasbourgeois qui rentraient de la lointaine et sublime Namibie (Or Norme n°9, d’avril 2013) et qui nous confiaient avoir bâti leur voyage sur les étapes que nous indiquions et en avoir encore « des étoiles plein les yeux » (sic). L’été dernier, c’est une jeune graphiste strasbourgeoise qui sirotait une bière sur le ponton d’une péniche de l’East End londonien. Un endroit magique mais improbable que lui avait suggéré notre numéro 16 d’avril 2015. Plus récemment, c’est un jeune couple du Neudorf qui nous envoyait un post sur Facebook où il s’affichait sur la terrasse d’un vénérable restaurant tenu depuis quatre générations par la même famille, perdu tout en haut des montages d’Ardèche, et dont nous soulignions l’excellente cuisine dans notre numéro 17 de juin dernier. Ce qu’il confirmait… A chaque fois, bien sûr, cela nous touche et nous confirme aussi que notre revue a réussi, depuis cinq ans, à fédérer une grande et belle et plus que sympathique communauté de lecteurs… Aurons-nous des retours sur la principale des Destinations de légende de ce numéro ? Nous l’espérons car elle est superbement… Or Norme. Une très belle chaîne d’amitié nous a mis en contact il y a plus d’un an avec Christian Kempf, un alsacien devenu aujourd’hui le premier affréteur français de bateaux d’expédition pour les destinations les plus sauvages et reculées de la planète. Avec lui, nous avons eu la chance d’embarquer à la fin de l’été dernier pour le mythique Spitzberg et l’Arctique dont il est reconnu comme l’un des plus éminents spécialistes au monde. Inutile de vous préciser que nous en sommes revenus éblouis, émerveillés, interpellés au plus profond car ces régions qui cernent le pôle Nord sont également en première ligne face aux ravages du réchauffement climatique. Nous n’éludons rien à ce sujet…
Ce monde qui change c’est aussi la Turquie, devenue une destination délicate au vu de la guerre qui est à ses portes et avec ce régime autoritaire que le pays observe avec circonspection, comme le prouve le beau reportage sur Istanbul de Charles Nouar, bien guidé par la Strasbourgeoise Patricia Ruelleux qui en a fait son port d’attache. Pour clore ce numéro Destinations de légende 2016, Véronique Leblanc s’est rendue en Birmanie pour découvrir ce pays qui s’ouvre enfin, après être sorti du glacis de plus de cinquante années de dictatures militaires qui l’avaient impitoyablement figé. A la rédaction de Or Norme, nous sommes très fiers de vous offrir, chaque printemps, ces pages qui vous font voyager, très souvent en compagnie de ces Alsaciens « du bout du monde » que nous avons bien sûr un plaisir fou à retrouver à cette occasion. Ce numéro de Or Norme inaugure aussi une série d’entretiens avec les hommes politiques de notre région. Loin des polémiques politico-politiciennes habituelles (que vous retrouvez abondamment dans d’autres colonnes…), nous essayons de faire ressortir leur personnalité et ils nous parlent bien sûr de leurs objectifs. Pour ce premier entretien, c’est le jeune et étonnant Frédéric Bierry, président du Conseil départemental du Bas-Rhin, qui se dévoile. Lisez, c’est souvent surprenant. Philippe Richert, le président de notre nouvelle Région pour l’heure sans nom, lui succédera en juin prochain. Juin prochain, l’été, c’est encore une autre histoire… Nous serons une nouvelle fois au rendez-vous, comme nous l’avons été depuis plus de cinq ans maintenant, pour vous offrir la seule revue d’information trimestrielle de Strasbourg et la plus diffusée aussi, avec ses 15 000 exemplaires. Bonne lecture et… restez Or Norme ! ◊
SOMMAIRE AVRIL 2016
ORNORME 20
6 - ENTRETIEN ALEXANDRE JARDIN
10 - DOSSIER
63 - ÉVÉNEMENT ÉTHIQUE ALIMENTAIRE 2016 68 - ENTRETIEN FRÉDÉRIC BIERRY
DESTINATIONS DE LÉGENDE
72 - DJANGO UNCHAINED 74 - FIT TO PRINT 76 - LE STÜCK
10 - spitzberg 50 - istanbul
78 - CAFÉS CULTURE 80 - PORTFOLIO SUNG-EUN KIM
58 - java 60 - birmanie
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ENTRETIEN
ALEXANDRE
JARDIN
/// ENTRETIEN JEAN-LUC FOURNIER PHOTOS Mediapresse - Pascal Rostain Entretien réalisé le 15 février 2016
“ La seule légitimité c’est l’action déjà engagée, le service déjà rendu ”
Baisser les bras devant le marasme ambiant : pour beaucoup, la tentation serait grande tant, les uns après les autres, les habituels repères périclitent. La cinquantaine atteinte, l’écrivain Alexandre Jardin aurait pu se contenter du succès de ses ouvrages en librairie. Son engagement citoyen de longue date lui a dicté une autre voie. Et il est diablement convaincant… Votre mouvement, « Bleu, Blanc, Zèbre » commence à faire parler de lui un peu partout en France. Les « faiseux », comme vous les appelez, sont un fameux relais, comme on peut le voir ici
à Strasbourg avec les initiatives « Café pour l’emploi » imaginées et menées par Paul Landowski. Quand avez-vous formalisé tout ça ? « Depuis deux ans, mais, en fait, je rumine ça depuis bien plus longtemps, depuis quinze ans. Avec les premiers gros scores du FN à la fin des années 90, j’ai réalisé l’ampleur de la désespérance qui existait derrière ce vote. Les peuples ne votent pas pour les extrêmes sans réfléchir… Ce vote-là, c’est à l’évidence tout ce que notre peuple veut dire à un système qui ne guérit plus les fractures de notre pays. J’ai toujours fait ma part en terme de militantisme associatif : « Lire et faire lire », ou encore « L’Ecole ouverte » qui est devenu un outil anti-violence extraordinaire dans une trentaine d’établissements scolaires difficiles… J’ai donc mené une doublevie, celle d’un écrivain et d’un militant. J’en ai retiré une profonde conviction : on ne fait rien sans les citoyens. Alors, quand je vois à la télé tous ces hommes politiques, de droite comme de gauche, qui nous promettent régulièrement la lune, pffff… comment dire ? Il est urgentissime qu’on se préoccupe de ce qu’il faut faire pour que notre peuple se prenne en main. On entre dans une ère collaborative, qu’on le veuille ou non. C’est l’action de l’individu-acteur qui va permettre une vraie politique de rupture. Si on n’en passe pas par là, on restera dans la démagogie intégrale qui prévaut encore aujourd’hui. Le coup de l’homme providentiel a pu fonctionner un temps par le passé mais, avec les êtres humains d’aujourd’hui, ça ne marchera plus…
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Depuis deux ans donc, vous parcourez la France en long, en large et en travers. Qu’avez-vous retiré de ce périple ? Plusieurs choses. J’ai réalisé qu’il existait des gens qui avaient trouvé une pléthore de solutions localement mais la plupart d’entre elles avaient du mal à remonter vers le haut. Le pays est dirigé par des technocrates, des techniciens et pas par des praticiens. L’Etat fonctionne depuis la fin de la seconde guerre mondiale grâce à un mode unique de pensée, celui de l’ENA. C’est juste du grand n’importe quoi. J’ai appris une seconde chose, très importante elle aussi. On parvient somme toute assez facilement à fédérer des actions menées par des gens très différents. Au sein de « Lire et faire lire », je suis parvenu à faire œuvrer ensemble la Ligue de l’enseignement et l’UNAF (L’Union nationale des associations de familles qui, depuis soixante dix-ans, est le bras armé de la politique familiale sur le territoire - ndlr). Et pourtant, les actions de ces deux grandes associations n’avaient rien à voir entre elles… C’est parce que la cause défendue s’appuyait sur des actions concrètes que 18 000 bénévoles se sont mis à fonctionner ensemble ! La preuve que ce que la politique ne sait plus faire, ni même animer, l’action concrète sur le terrain y parvient au quotidien. C’est en menant ces actions, parallèlement à l’écriture de mes livres, que j’ai compris, il y a deux ans, que la fin d’un système est très proche maintenant… Que voulez-vous dire ? Devant nous, dans peu de temps j’en suis persuadé, il va y avoir un immense craquement. Je n’en
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connais pas la date mais je sais qu’il est en cours. Il n’y a guère que les technocrates pour penser que le système peut perdurer encore très longtemps comme ça. Ce craquement géant sera-t-il provoqué par l’arrivée du FN au pouvoir, sera-t-il provoqué par la remontée brutale des taux, un phénomène inéluctable qui va avoir des effets terrifiants, je ne sais pas… Mais quelque chose de tellurique va se produire, c’est évident. Cette certitude m’habite et donc, je ne pouvais pas ne rien faire, à mon modeste niveau. Qu’est-ce que j’aurais dit à mes enfants ensuite ? (Ils sont quatre et leur âge s’étale entre trois et vingt-cinq ans - ndlr)
entre autres. En créant il y a bien longtemps le Café pour l’emploi, Paul n’a cessé depuis de fabriquer du lien, de mettre les gens en contact les uns avec les autres et désormais, il programme des Cafés pour l’emploi un peu partout en France… Il a gagné son crédit moral via l’action ! C’est comme celui qui a eu l’idée du Compte Nickel qu’on peut ouvrir si facilement chez nombre de buralistes. Immédiatement, tu te retrouves avec une carte bancaire dans la poche, un RIB, etc… Tu n’es plus un banni. Ça, c’est du concret, merci à l’inventeur ! Quand je rassemble les faiseux, je leur dis que la seule légitimité c’est l’action déjà engagée, le service déjà rendu. Tous ces faiseux (des élus locaux, des entrepreneurs, des gens issus des associations, de simples individus…) sont en train de sortir la politique du marché de la promesse. Car ce marché de la promesse est complètement carbonisé ! Les écuries présidentielles de 2017 s’apprêtent à nous refaire le coup de la crédibilité. C’est pas incroyable, ça ? J’ai changé, j’ai compris, je vais le faire…C’est risible ! Il faut faire émerger de la solution d’ampleur sans passer par la promesse. Il faut faire une alliance de tous les faiseux ! Puisqu’on parle concret, un ou deux projets déjà entrepris ou en très bonne voie ? On travaille sur des politiques publiques clés en main au bénéfice des régions. Je pense donc qu’il faut aller en priorité là où le pays crie et souffre. Au moment où Or Norme paraîtra, on aura dealé avec la région Nord-Pas-de-Calais. Le PIB par tête y est la moitié de celui de l’Ile-de-France et Xavier Bertrand son président, est prêt à trouver des accords avec la société civile. Puis ce sera une région de gauche, puis une autre. On va reprendre le territoire avec nos faiseux, par le bas. En 2017, on arrivera avec quelque chose de bien plus précieux qu’un programme : des actions ! Vous n’ignorez pas ce qu’on dit déjà de vous. Le mot populiste revient souvent… Ah ça ! Ce sera le dernier mot qu’ils dégaineront. Les populistes promettent la lune et gratuitement, c’est ça la définition du populisme, non ? Les faiseux sont des altruistes et par définition, ils ne promettent rien. Car ils font déjà ! Ce mot de populiste est brandi par ceux qui cherchent à nous disqualifier moralement. Il faut bien comprendre que le système ne va sûrement pas s’écrouler tout seul. Oui, notre grand objectif relève de la politique. Il s’agit, je le répète, de rétablir les minimums. Nous les avons listés : parmi eux, que l’Etat respecte ses dates de paiement, que les délais d’intervention de la police redeviennent optimums, que les décisions de justice soient appliquées, que l’Education nationale conduise vraiment vers l’emploi alors qu’actuellement 90% des lycéens décrochent le Bac alors qu’il y a plus de 6 millions de chômeurs, quelle immoralité ! Qu’on fasse en sorte aussi que les 5 millions de Français qui en sont dépourvus retrouvent un compte en banque. Il y en a d’autres mais c’est ça, rétablir les minimums. Tout ça avec une méthode obsessionnelle : soutenir ce qui marche ! La machine étatique doit devenir une structure de soutien, elle doit nous aider, aider ceux qui se battent. Le métier de l’Etat doit changer. C’est le mode de fonctionnement même de l’effort collectif qui doit changer. Regardez cette énorme masse d’argent disponible chaque année pour la formation : tout le monde sait qu’un euro sur deux est gaspillé dans des dispositifs inutiles et que cette somme fabuleuse ne va pas vers les besoins en formation. C’est de la corruption légale, à mon sens. Alors, je rêve que les ministres, chaque matin, se mettent à penser : aujourd’hui, on aide qui ? Et quitte à passer pour un illuminé ou un doux dingue, je le dis bien haut : la première nation qui se structurera comme ça aura le leadership mondial. Il faut parier sur un pays d’adultes, d’acteurs… Ca pourrait être nous, la France !
“ Quand je vois à la télé tous ces hommes politiques, de droite comme de gauche, qui nous promettent
régulièrement la lune, pffff… ” Quel est le diagnostic du mal français, selon vous ? Il nous faut d’urgence rétablir ce que j’appelle les minimums qui ne fonctionnent plus. Par tous les moyens possibles. Un seul exemple mais il est éclairant : le système scolaire continue à faire entrer en sixième des enfants qui ne savent pas lire ! Tout cela à cause d’un appareil normatif qui, avec constance, maintient notre pays dans un état comateux. Chaque année qui passe apporte sa couche et rien ne change ! Devant de tels enjeux, il y a une véritable obligation d’action, c’est évident, non ? Alors, pour y parvenir, il faut rassembler et fédérer les gens qui ont du crédit moral. Tout en haut, il n’y en a plus, alors il faut regarder sur le terrain. Et là, ils existent, ils sont de plus en plus nombreux et ils font. Ce sont les faiseux, comme je les appelle. Ici à Strasbourg, il y a Paul Landowski,
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Jardin candidat, en 2017 ? Il y a plein d’hypothèses encore ouvertes et on les jouera toutes. Ma personne n’est pas le plus important. Ce qui est certain, c’est qu’il faut que les faiseux soient incontournables dans
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un an. Car les partis politiques se satisfont très bien des 50% de gens qui font la grève du vote. Actuellement, la seule question qu’ils se posent, c’est qui sera deuxième derrière Marine Le Pen au premier tour de la Présidentielle ! Ils sont en lice pour le concours de celui qui sera le moins rejeté ! Depuis 25 ans, on a affaire avec ces gens-là, qui ont fabriqué plus de 2 000 milliards d’euros de dette ! C’est cette réalité-là que j’ai en tête quand je dis que notre système peut s’écrouler d’un mois à l’autre si les taux remontent ! On vous écoute avec beaucoup d’attention et on respecte bien sûr vos convictions. Cependant, on ne peut s’empêcher de vous trouver très utopiste… Ecoutez, mon histoire familiale est connue et elle prouve de façon constante que l’improbable, c’est normalement ce qui arrive ! Les exemples ne manquent pas : la vie est construite sur cette notion-là : en avril 2011, DSK est archifavori pour la Présidentielle de 2012. Et le voilà qui apparaît barbu, hagard et menotté à la sortie d’un commissariat new-yorkais ! Un autre exemple plus historique : le 18 juin 1940, quand de Gaulle lance sur les ondes de la BBC un appel entendu en direct par à peine une poignée de Français, qui peut soutenir sérieusement que quatre ans plus tard il descendra en vainqueur les Champs-Elysées et qu’un an encore plus tard, Hitler se sera suicidé et l’Allemagne en ruines ? L’histoire est constituée d’événements qui n’auraient jamais dû se produire, dans le bon comme dans le mauvais sens. C’est là l’école de la vie et même le sens profond du roman : la vie ne tient pas debout ! Au fond, tout le monde est tenu par une part du système. Les écrivains, eux, ne sont pas si tenus que ça. Ils peuvent participer au grand débat du pays. Ils sont libres ! J’ai cinquante ans, j’ai des lecteurs, je ne suis pas tenu par un appareil pour gagner de quoi élever mes enfants. J’ai toujours su au fond de moi que ce moment arriverait, je l’avais déjà écrit dans une lettre à mon père juste avant sa mort. J’avais quinze ans… Je n’ai pas choisi, c’est maintenant. Le moment se dessine où il va bien falloir que ce pays se recommence… J’ai un amour immodéré pour la France. Quand on l’abime, ça me blesse profondément. Ce n’est pas du chauvinisme mais c’est parce que la France, depuis très longtemps, pense l’universel ! Ça, c’est une vieille affaire, chez nous ! En 1789, ils se sont dit : on va voter une Déclaration universelle des Droits de l’Homme et ce sera pour qu’elle soit appliquée bien au-delà du seul peuple français. Plus de deux cents ans plus tard, on peut fabriquer notre renouveau et produire du génial pour l’espèce humaine, à commencer par l’Europe. Cet amour pour mon pays n’a rien à voir avec un amour de clocher, je le ressens au plus profond de moi-même, dans mes fibres. Il y aura plein d’épisodes, des victoires ou des défaites apparentes mais ce ne sera que du secondaire tout ça . On se trompera peut-être mais sûrement pas dans la direction qu’on impulsera pour tout le pays. L’essentiel, c’est ça et au final, les gens auront repris confiance en eux-mêmes ! » ◊
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SPITZBERG
VOYAGE AU PAYS DES TITANS
pôle nord
groenLand
spitzBerg
FinLande isLande norvège
russie suède
strasBourg
Le Zodiac est à 800 mètres du front de ce glacier qui atteint les 80 mètres de haut. L’archipel du Spitzberg regorge de sites comme celui-là, à couper le souffle…
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Les dernières décennies de l’ours polaire
Les plus optimistes disent 30 ans, les plus pessimistes annoncent 15 années avant que la banquise d’été ne disparaisse complètement, condamnant ainsi l’ours polaire, le seigneur de l’Arctique, qui a besoin de la glace pour traquer sa proie principale, le phoque… ORNORME STRASBOURG / avril 2016
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C’est de l’art !
L’indescriptible chaos des glaciers, les impitoyables écarts de température et la violence des vents fabriquent de gigantesques œuvres d’art naturelles qu’on ne se lasse pas de contempler… ORNORME STRASBOURG / avril 2016
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Irréel
Le lac Tahoe, au cœur du grand Ouest américain ? Non, les glaces flottantes sont là pour prouver que cette image a bien été capturée au Spitzberg. Les couleurs de l’été arctique sont parmi les plus bluffantes de la planète… ORNORME STRASBOURG / avril 2016
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Spitzberg
Une splendeur naturelle en danger Qui n’a jamais rêvé de voir de ses propres yeux les sites les plus au nord de la planète, là où les glaces s’entrouvent le temps d’un très bref été, juste pour nous permettre d’approcher au plus près les ours polaires, les baleines, les phoques, les morses et toute cette faune qu’il n’est normalement permis d’observer que dans les zoos ou via les documentaires animaliers ? Grâce à une chaîne d’amitié 100% alsacienne, Or Norme a vécu ces moments exceptionnels à la fin de l’été dernier et vous présente cette destination de légende d’autant plus précieuse que le réchauffement climatique ne mettra maintenant plus très longtemps pour impacter dramatiquement ces espaces magiques et grandioses… /// TEXTE Jean-Luc Fournier PHOTOS Médiapresse – Grands Espaces – Sabine Trensz - dr
C’est une place qui se libère sur le listing des passagers d’une croisière-expédition autour de l’archipel du Svalbard, que les francophones appellent communément le Spitzberg, les terres les plus septentrionales du monde, aux limites de la banquise. Et c’est, une fin d’après-midi d’avril 2015, le téléphone qui sonne et la voix chaleureuse de l’ami Pierre Mann, réalisateur animalier de son état, qui prononce les mots les plus magiques qui soient : « Tu fais quoi, vers le 20 août ? – Euh… sans doute la Corse, comme d’hab. – Non, tu auras un peu plus froid. Tu embarques avec nous. Pour le Spitzberg ! » Nous, c’est Pierre et sa compagne, la photographe Sabine Trensz, habitués s’il en est de ces voyages aux confins de la planète, Arctique, Antarctique, Afrique, Asie, Amérique du sud, Alaska… Des baroudeurs, des amis avant tout, dont les photos et les films émerveillent sans cesse, et dont les récits font rêver. Alors bien sûr, le Spitzberg, avec eux, pas la moindre micro-seconde d’hésitation !... Ce fut donc la belle chaleur habituelle de la Corse puis, le 19 août, un avion très matinal au départ de Roissy pour l’aéroport de Longyearbyen, le village-
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capitale du Svalbard, à très précisément 3 326,9 km de Strasbourg. Plus de quatre heures de vol et, sous les ailes du Boeing, la première vision des terres du Spitzberg, sous un ciel de plomb, battues par une pluie quasi glaciale cisaillée par d’énormes rafales de vent. Un atterrissage un poil rock’n roll, le gros vent de travers contraignant le pilote à poser l’avion loin des standards de l’habituel toucher sur velours. La capitale de l’archipel n’a rien de pimpant. A peine une seule rue animée, qui grimpe et aligne un ou deux petits centres commerciaux, quelque boutiques spécialisées, un minuscule bureau postal, quelques restaurants, un ou deux bars… Avec anorak et bonnet, les autochtones sont déjà équipés des pieds à la tête pour affronter la période estivale qui arrive directement après un hiver qui s’en est allé il y a à peine deux mois et qui va revenir dans six semaines. Pour l’heure, c’est donc l’été, c’est à dire qu’il fait gris, que les nuages bas accouchent d’une fine pluie pénétrante, et que le thermomètre affiche 6° au meilleur de la journée. Qui d’ailleurs est éternelle à cette saison puisque le soleil, quand il est visible, fait mine de se coucher comme partout ailleurs l’été dans l’hémisphère nord mais, parvenu à la limite de l’horizon… ne
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va pas plus loin et se met à rebondir alors lentement pour entamer un nouveau cycle. Plus tard dans le voyage, cela nous vaudra une « nuit » absolument magique (lire page 30). Christian Kempf et ses « Grands Espaces » La minuscule et rustique aérogare de Longyearbyen accueille donc les 80 passagers de ce vol charter affrété par la société Grands Espaces dont le président et fondateur n’est autre que l’alsacien Christian Kempf qui sera tout au long des onze jours suivants le vigilant et expérimenté chef de cette croisière-expédition qui nous a accueillis fin août dernier pour cette expérience assurément… Or norme. Pierre Mann nous avait dit et redit le passé commun partagé avec Christian depuis ce déjà lointain jour de 1978 où le réalisateur animalier strasbourgeois rejoignit une des toute première (et plutôt mouvementée) expédition déjà menée par celui qui allait ensuite devenir un spécialiste des pôles, reconnu sur tout le continent européen et même au-delà. (lire pages suivantes) ◊
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DESTINATIONS DE LÉGENDE
CHRISTIAN KEMPF
De l’Université aux grands espaces
Le fondateur de Grands Espaces a eu plusieurs vies, toutes bien remplies. Cet Alsacien pilote aujourd’hui une société à la renommée internationale certaine qui organise des croisières-expéditions qui font découvrir les endroits les plus secrets de la planète, en compagnie de spécialistes très pointus… /// TEXTE JEAN-LUC FOURNIER PHOTOS Médiapresse
A 63 ans passés, Christian Kempf est resté cet amoureux de la nature qui s’est très tôt révélé. Haut-rhinois d’origine, à peine ado, il se rappelle avoir rallié la Camargue en vélo, déjà attiré par les oiseaux et les espaces naturels. « L’année suivante, je rejoignais l’Autriche, en mobylette cette fois » rigole-t-il. « C’est en me rappelant tout ça que je réalise que j’ai eu la chance d’avoir des parents formidables, ils ont compris très vite mon extraordinaire engouement pour la protection de la nature. » Un pionnier du Spitzberg Le bac en poche, une carrière universitaire s’ouvre en grand pour le jeune passionné d’écologie (à l’aube des années 70, le mot était alors rarement utilisé). Devenu maître-assistant en écologie animale à l’Université de Strasbourg, il entame un parcours « un peu hors normes » comme il le dit aujourd’hui en souriant : des
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collaborations avec nombre d’universités étrangères : Göttingen, Munich, Genève, Londres, Québec… La création du premier Centre permanent d’initiation à l’environnement, voulu par l’Université de Strasbourg, devient une réalité à Muttersholtz et il en est le directeur. « C’était une belle époque » se souvient Christian : « J’avais les mains totalement libres. On a surfé sur la publication de la première loi française sur la protection de l’environnement en 1976 en ouvrant des sessions de formation pour l’administration mais aussi des stages pour les étudiants étrangers venus de Pologne, d’Allemagne, d’Espagne… Tous ont trouvé facilement du travail, ensuite. Ces stages m’ont également fait voyager encore plus, en compagnie de techniciens et de scientifiques. Et puis, nombre de colloques internationaux, grâce aux actions conjointes avec le Conseil de l’Europe, m’ont fait rencontrer un peu partout dans le monde le gratin
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mondial en matière d’environnement. Je me suis mis à beaucoup publier… Parallèlement, j’avais fondé dès 1973 le groupe de Recherches en Ecologie Arctique (GREA) et ainsi vécu mes premières expéditions au Spitzberg. Une époque héroïque qu’on a vécue comme les pionniers que nous étions : chaque expédition était une vraie aventure. On finançait nos missions avec le parrainage de sociétés alsaciennes et on n’hésitait pas à emprunter à titre personnel. On remboursait ces emprunts avec le produit des films qu’on tournait. C’est d’ailleurs dans ce cadre que j’ai démarché Pierre Mann, qui était cinéaste, en 1978 pour l’une de nos expéditions (lire page 24). Le film a eu vraiment un grand succès, 72 chaînes télé l’ont diffusé, ça nous a permis de tout rembourser puis d’emprunter de nouveau, etc… Le système était lancé. Pour moi, cette découverte de l’Arctique a été un vrai choc, ce furent des moments vraiment formidables : cette beauté, ces
sommets, le gigantisme des glaciers... A partir de 1975, j’ai eu un besoin irrépressible de me retrouver chaque année là-bas, autour des activités du GREA. Elles ont réussi à durer jusqu’en 1992 et, près de 25 ans plus tard, je conserve précieusement les souvenirs et les témoignages d’une période qui n’a pu voir le jour et perdurer que grâce à la belle histoire d’amitié qui l’avait inspirée : les bateaux, les découvertes incessantes, les copains, surtout les copains : nous partagions les mêmes idées, c’était formidable. Des expériences comme ça, il n’y en a pas beaucoup dans une vie…» La bureaucratie : non, merci ! Universitaire de plus en plus reconnu internationalement, militant actif de la protection de la nature, explorateur régulier de l’Arctique, la vie de Christian Kempf aurait pu se dérouler sereinement, remplie de toutes ces passions parfaitement complémentaires. « Jusqu’au jour où, en 1985, un fonctionnaire de l’administration universitaire m’écrive pour m’expliquer qu’il fallait que je me mette en conformité avec la législation, et tout et tout… Clairement, j’étais trop hors normes et il fallait que j’accepte de rentrer dans des cases un peu plus conformes. Evidemment mes passions l’ont emporté. J’ai quitté l’Université et créé alors « Voyages nature », la toute première agence de ce type en France en me basant sur l’Arctique, bien sûr. On a enchaîné les projets et dès le début, j’étais chef d’expédition sur les bateaux avec ma casquette « Grand Nord » pour accompagner nos 1 500 clients. Mais il y a eu aussi de moins bons côtés : on a grandi trop vite et, de plus en plus, j’étais obligé de prendre beaucoup de temps pour la gestion de la société, et moi, le bureau, ça n’a jamais été ma passion ! » Christian reste aujourd’hui pudique sur les périodes qui ont suivi la vente de « Voyages Nature » et diverses circonstances intimes qui, l’ayant profondément affecté, lui ont fait côtoyer le gouffre et la très grande solitude. Pour s’en sortir, se baser sur ses points forts. Les voyages sur de nombreux bateaux de par le monde, les photos, l’écriture de livres sur des expéditions aux Seychelles, en Patagonie, en Amazonie, au Mexique, en Méditerranée. Se reconstruire, ne jamais céder au découragement, conserver ses valeurs et ses convictions… Le combat sera gagné. La rencontre avec Marielle, son actuelle compagne, et la décision de quitter l’Alsace (« J’avais vécu comme un quasi échec personnel la disparition des bocages, des petits Ried et leur remplacement par ces champs de maïs omniprésents. Toute ma vie j’avais lutté contre cela, ce fut difficile à admettre pour moi… »), l’installation dans un petit village de Côte d’Or entre Arnay-le-Duc et Autun, au cœur d’une nature mieux préservée. Une décision stratégique car 1998 a vu la création de « Grands Espaces », l’actuelle société de Christian Kempf qui, depuis son petit hameau bourguignon, peut sans problème rayonner sur la Suisse, où la société est immatriculée et Paris, grâce à la proximité d’une gare TGV. Avec ses neuf employés, sous la houlette quotidienne de Marielle qui en est la cheville ouvrière, Grands Espaces bénéficie d’une très belle image de société pionnière travaillant à plein avec des spécialistes reconnus des régions polaires, notamment, tout en étant devenue le numéro un francophone de l’affrètement de bateaux d’expédition. « Le but n’est pas de grossir » précise Christian « mais d’avoir une équipe de spécialistes qui tourne bien et encadre de belles expéditions tout autour du monde… » ◊
Des scientifiques
aguerris et passionnants Ces spécialistes que Christian Kempf sait fédérer autour des expéditions de Grands Espaces, nous les avons bien sûr côtoyés quotidiennement lors de notre fantastique voyage au Spitzberg à la fin de l’été dernier. Portrait de trois d’entre eux pour qui la protection de la nature est une valeur cardinale incontournable...
Marie Pellé
NICOLAS VOGEL
ALAIN DESBROSSE
Ainsi Marie Pellé, cette jeune trentenaire originaire de Grasse, qui passe tous ses étés en Arctique et ses hivers en Antarctique, une autre des destinations de Grands Espaces. Au sortir d’une licence de biologie passée à Nice, Marie a enchaîné avec un Master en Ecologie et Ethologie à Saint-Etienne. C’est le genre de jeune femme à poursuivre inlassablement ses rêves jusqu’à les vivre : son obsession était de passer un hiver entier en Antarctique, elle a eu la divine surprise d’y parvenir, en étant retenue pour un long séjour de seize mois en terre Adélie, à la base française de Dumont-d’Urville. Séjour complété depuis, en été, en lien avec le CNRS. « Je ne deviendrai jamais une millionnaire en travaillant avec Grands Espaces » sourit Marie « mais je ne suis pas là pour ça. Avec Christian, mon expérience se complète, je ne suis plus depuis longtemps une simple guide qui débarque avec sa valise à roulettes à l’aéroport. J’ai ainsi appris à parler en public et j’ai mieux compris les motivations des gens que nous retrouvons sur nos bateaux. Maintenant, j’ai envie de bien apprendre, de perfectionner et transmettre certaines valeurs auxquelles j’ai toujours cru comme la protection de la nature et la connaissance des animaux sauvages, comme ces baleines qu’on ne voit presque jamais et que nous croisons pourtant régulièrement dans les mers du monde… »
Son hivernage commun avec Marie en terre Adélie l’a incité à accepter les offres de Christian Kempf pour devenir le plus jeune certes mais déjà un des piliers des scientifiques accompagnateurs des expéditions de Grands Espaces. « Je suis plus qu’agréablement surpris par le réel intérêt pour toutes les questions environnementales des gens que je côtoie sur les bateaux. La plupart ne sont pas là que pour la belle photo et ça tombe bien car, pour moi, la nature est au-dessus de tout. Ils sont curieux, sympas, motivés, ça me va bien. J’apprécie également l’esprit d’équipe qui règne durant ces expéditions. J’en suis à mon troisième été arctique sur les bateaux de Grands Espaces et j’avoue que je m’y sens bien. Il y a un super équilibre entre nous autres les jeunes qui venons un peu de tous les horizons et les anciens qui, pour autant, n’ont pas la grosse tête. Nous avons une même approche commune, le respect de l’environnement, et nous la faisons partager aux clients… »
« La situation d’aujourd’hui me conforte dans ce que je pense depuis quarante ans » développe-t-il avec une vraie passion communicative. « Il ne faut surtout pas penser que tout est foutu mais ne pas perdre non plus de vue que tout ne va pas se régler dans la joie et la bonne humeur. L’enjeu est bel et bien la survie de l’espèce humaine, pas moins. Les générations qui viennent vont avoir à gérer les problèmes que nous leur laissons. Nous, on s’est bien amusés. Pas eux ! Nous n’avons aucune excuse… » Déjà très lucide ce soir de l’été dernier où nous avons longuement parlé au bar du Sea Spirit dans l’incroyable lumière de la « nuit » arctique, Alain disait déjà : « Il ne sortira rien de la Cop 21. Personne ne mettra vraiment la main à la poche. On a lâché la bride à l’économie et on en est là. Cependant, chaque être humain a un grand pouvoir, ce qu’il met chaque jour dans son assiette et aussi sa volonté de vivre un peu autrement. Je reconnais que tout n’est pas facile à s’appliquer à soimême mais je crois au phénomène de bascule de génération : je crois que les jeunes peuvent provoquer et accélérer les changements et éviter que le fait de vivre dans un milieu naturel trop appauvri ne devienne la norme pour les générations qui arrivent… »
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L’Antarctique a aussi été un incroyable élément déclencheur pour Nicolas Vogel (27 ans.) Originaire de Haute-Savoie où il réside encore aujourd’hui quand il n’est pas à bord d’un des bateaux de Grands Espaces, ce spécialiste de glaciologie très orienté vers la recherche, et titulaire du « Master ad’hoc » « ne se voyait cependant pas chercheur » toute sa vie.
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Parmi les anciens dont parle Nicolas, Alain Desbrosse. A 56 ans, ce Bourguignon avoue s’être passionné pour la nature « depuis toujours ». Sa rencontre avec Christian Kempf eut lieu lors d’un des colloques que le fondateur de Grands Espaces organisait avant la création de la société. Sept années passées à SaintPierre-et-Miquelon dans le cadre de la Coopération lui ont permis de développer considérablement ses compétences en matière ornithologique. « Je n’avais pas envie de rentrer » se souvient-il. Alain est un « professionnel de l’environnement » ; il a créé un bureau d’études qui travaille beaucoup dans le cadre de missions de service public mais il se définit avant tout comme un « militant de la cause de la nature ».
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Ce fou de nature devient presque émouvant quand il nous raconte le grand choc qu’a été pour lui l’étude des loutres en Pologne ou en Ecosse (« là-bas l’eau est incroyablement pure » dit-il) et le retour en Bourgogne du sud, « chez-moi, où j’ai réalisé que la rivière était comme un égout à ciel ouvert… ») En tout cas, durant toute cette expédition au Spitzberg, la totale connexion d’Alain avec cette nature si éloignée de nos repères habituels aura étonné plus d’un participant… ◊
DOSSIER
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ÎLE DE MOFFEN
En 1978
l’aventure, la vraie . . .
Le retour au camp de base après six semaines d’expédition (Christian Kempf, à gauche et Pierre Mann, à droite)
Depuis ce jour où il rejoignit sept autres compagnons d’aventure, dont Christian Kempf, à bord de plusieurs Bombard (les Zodiac de l’époque) partis pour l’exploration du Spitzberg, Pierre Mann est resté ébloui par le magnétisme des terres arctiques… /// TEXTE JEAN-LUC FOURNIER PHOTOS DR
« Christian et moi, nous nous connaissions depuis déjà des années, puisque nous avions milité tous les deux relativement jeunes dans les rangs de l’Association Fédérative Régionale pour la Protection de la Nature (devenue depuis Alsace-Nature – ndlr). Il venait de quitter l’Université de Strasbourg où il enseignait alors afin de fonder le GREA, le groupe de Recherche en Ecologie Arctique et c’est dans ce cadre-là qu’il avait convaincu six autres étudiants scientifiques confirmés à l’accompagner pour cette expédition qui était très loin de présenter les conditions confortables que nous vivons aujourd’hui. Je les ai rejoints en pleine mer, me faisant transborder d’un navire côtier norvégien grâce à une échelle de corde qui me procura une de mes premières frayeurs au-dessus de la mer grise et démontée. Moi, j’étais là
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pour réaliser un de mes premiers films plus ambitieux que ceux que j’avais déjà tournés, « 80° latitude nord ». Parmi ce groupe, je me souviens particulièrement de Laurent Schwebel, d’Illkirch, qui avait alors 18 ans et qui allait ensuite devenir un excellent photographe. Laurent a été assassiné il y a trois ans à Buenos-Aires par un malfrat qui voulait lui dérober son matériel photo… Très vite, à bord de nos Bombard, on a adopté un rythme de vie de 36h, c’est à dire 24 heures d’activité suivies de 12 heures de sommeil car, durant l’été arctique, c’est « la nuit » que la lumière est la plus belle. Durant les quatre mois de leur périple avant mon arrivée, mes compagnons de voyage avaient passé leur temps au comptage des oiseaux, à des relevés de pollution ou à l’observation attentive de la faune.
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Parmi les nombreux épisodes vécus, quelques-uns me sont bien restés en mémoire. C’étaient des temps un peu héroïques, on vivait des situations vraiment inattendues et peu communes. Comme ce trappeur que nous avons rencontré sur un petit îlot où il s’était réfugié après que son minuscule bateau ait été emporté par une vague d’un de ces mini-tsunamis provoqué par le vêlage d’un glacier. Sans radio, il attendait, complètement isolé… Notre arrivée lui a sauvé la vie. Il a alors offert à Christian une peau de phoque et, chacune des années suivantes, une autre peau de phoque également. A un moment, Christian a dû le supplier d’arrêter… Nous-même avons failli subir le même sort. Face au glacier de la Madeleine, dans la baie du même nom, une de ces vagues provoquée par ces milliers de
sept heures au lieu des deux heures de navigation que nous avions prévues. Quand tu te retrouves dans ces conditions-là à court d’essence, tu réalises soudain que tu peux y rester ! On a quand même réussi à faire redémarrer le moteur mais, au cœur des éléments déchaînés, il nous a fallu attendre qu’un fjord s’ouvre devant nous pour enfin rejoindre la terre ferme, ce qui a été longtemps impossible car nous avions la crainte de nous fracasser sur les rochers… On a allumé un grand feu grâce à la présence de nombreux bois de flottage venus de Sibérie et on a fait sécher nos vêtements. Ils étaient tellement imbibés d’eau salée qu’il se réhumidifiaient sans cesse, ce n’était évidemment pas les matières performantes d’aujourd’hui. Le lendemain, on a croisé le pasteur de Longyearbyen qui pêchait le saumon. On lui a échangé nos boîtes de choucroute venues tout droit de l’usine Olida d’Illkirch, un de nos sponsors, contre quelques-unes de ses prises. Nous avons été ainsi les tout premiers à avoir utilisé des bateaux pneumatiques pour une expédition polaire. Je n’ai jamais oublié les quatre semaines que nous avons vécues ensemble il y a aujourd’hui presque quarante ans. C’était la vraie aventure !... » ◊
38 ans séparent ces deux photos
tonnes de glace qui se détachent du glacier a failli emporter un Bombard. Il nous a fallu aller à l’eau pour le récupérer… Une autre fois, on s’est retrouvé bloqués plusieurs jours par le mauvais temps à l’île Moffen, cernés par la banquise flottante. On en a profité pour réparer les bateaux, je me souviens qu’il nous fallait repousser les morses à grands coups de rames ! Mais le moment le plus périlleux de cette longue expédition, on l’a vécu quand on s’est retrouvé à naviguer en pleine mer au sein d’une grosse tempête, avec des creux de 2 ou 3 mètres, qui nous ont contraints à écoper en permanence. Ca a duré
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MERCREDI 19 août ON EMBARQUE
Evidemment, l’arrivée au port de la petite capitale du Svalbard et la montée sur le Sea Spirit qui sera notre base de vie durant les dix jours à venir constituent un moment important de cette croisièreexpédition. Le Sea Spirit diffère considérablement des autres navires, généralement plus petits, régulièrement affrété par Grands Espaces. Pour ce voyage, 80 passagers sont embarqués auxquels se joignent, en plus de Christian Kempf, huit scientifiques spécialistes de l’Arctique qui seront nos guides bienveillants et un médecin. A peine l’exercice obligatoire d’abandon du bateau réalisé, le Sea Spirit prend la mer. A bord, tandis que défile à travers des hublots la côte ouest de l’archipel, on nous remet une paire de bottes étanches très montantes (elles ne seront pas de trop pour fouler les terres des îlots et nous protéger de la mer glaciale à bord des Zodiac), l’indispensable gilet de sauvetage, le tout avec moult conseils sur le meilleur moyen de se vêtir et de s’équiper pour affronter le froid et l’humidité. On comprend vite le principe de ce que nous allons vivre chaque jour et même chaque « nuit » : là-haut, sur la passerelle du navire, Christian Kempf ou l’un des guides-accompagnateurs seront en permanence en veille visuelle grâce à de colossales jumelles, à la recherche permanente des animaux sur les ilots croisés ou se déplaçant à la surface de la mer. Dès qu’il aura été décidé de s’intéresser de plus près à la faune croisant notre route, le haut-parleur signalera une sortie. Nous aurons tous alors une vingtaine de minutes pour nous équiper et nous insérer dans la file d’attente à bâbord pour embarquer dans les Zodiac, à bord desquels les guides-pilotes nous attendront pour rallier la destination prévue. A chaque fois que l’un d’entre nous gagnera le pont d’embarquement, il glissera sa carte magnétique personnelle dans le lecteur ad’hoc. Il en fera de même à son retour, bien plus tard. Le plus sûr moyen de s’assurer qu’il ne manque personne à bord ! Rassurant… Ce premier soir à bord, un peu fracassé parce que debout depuis les quatre heures du matin, on a un peu de mal à observer attentivement l’île du Prince Karl Land qui défile sur tribord. Il est 23h, il fait toujours jour (on s’y habituera vite) et la houle naissante nous incite à aller dormir…
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En approche du glacier de Lilliehöök. On distingue dans le lointain un des quatorze glaciers émissaires qui aliment les sept kilomètres de front de ce titan de glace. Le petit point noir qu’on distingue sur la gauche de l’image est un Zodiac, avec dix personnes à bord, qui se situe à 400 mètres de la langue glaciaire. Ce qui donne une bonne idée de l’échelle !
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Jeudi 20 août
Rendez-vous avec le gigantisme Dès le réveil de 7h30 - la voix de Christian Kempf qui résonne dans les cabines via haut-parleur -, on est saisi par le spectacle qui s’offre à nous à travers les hublots ou, pour les plus courageux, accoudés à bâbord du pont du navire. Le gigantesque glacier de Lilliehöök déploie ses sept kilomètres de front (!), ses 21 kilomètres de long qui proviennent de pas moins de 14 glaciers émissaires qui naissent plus haut, près des sommets. Un mastodonte de glace dont nous pouvons estimer sans trop de problème la masse vertigineuse grâce à la présence d’un autre navire polaire d’un gabarit déjà imposant, qui mouille à 400 mètres du front du glacier, la distance minimale à respecter pour éviter d’être balayé par la vague tsunamique d’un vêlage éventuel du monstre de glace. Au fur et à mesure que nous avançons à bord des Zodiac en progressant dans le brash (la glace comme pilée qui provient du glacier), le silence s’installe parmi les passagers : une forme de respect face à cette magnifique monstruosité naturelle qu’il faut voir de ses yeux pour y croire vraiment. On entend de temps à autre une forte détonation, semblable à un coup de canon : quelque part le long du front du glacier, invisible à nos yeux à cause de la légère brume qui masque le paysage, un gigantesque pan vient de s’effondrer, projetant plusieurs milliers de tonnes de glace à la mer et provoquant donc la fameuse vague tsunamique déjà évoquée…
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Nous finissons par nous diriger vers les quelques minuscules îlots rocheux, autant de quasi « nurseries » qui abritent les goélands bourgmestres et leurs petits, déjà bien imposants à cette saison ainsi que des couples de grands labbes. Soudain, dans les talkie-walkie des Zodiac les plus proches de la falaise de glace résonne le mot « Béluga » ! La fameuse et si rare baleine blanche qu’on ne repère que grâce à son souffle et à la courbure caractéristique de son dos lorsqu’elle plonge dans les profondeurs, sa tête n’apparaissant que très rarement. Moteurs coupés, on navigue simplement sur notre élan, nos yeux s’émerveillant devant ce spectacle magique qui durera une dizaine de minutes, tout autour de nous. Premier contact avec l’exceptionnelle faune animale du Spitzberg. Emotion…
Revenus à bord du Sea Spirit à la mijournée, nous observerons de très, très loin, notre tout premier ours, minuscule point blanc sur un repli rocheux d’une falaise, aux abords de la station scientifique de Ny Älesund, sur la rive sud de la Baie du Roi. Même les gigantesques 600 mm des objectifs des photographes professionnels présents à bord ne pourront assurer une image satisfaisante ! Vers la fin de l’après-midi, les Zodiac reprendront la mer pour nous permettre d’accoster au pied de la falaise d’Ossian Sarsfjeliet et de surprendre les renards polaires, très occupés à cacher leurs réserve de nourriture (en l’occurrence des oisillons encore inexpérimentés) en prévision de la prochaine période de disette hivernale qui s’annoncera dès les prochaines semaines, à peine à la fin septembre. Après que la zone ait été sécurisée par deux guides armés d’imposants fusils (la protection minimale requise si un ours affamé venait à attaquer), nous nous séparons en trois groupes distincts pour nous élever le long des flancs de la montagne. Au passage, un renne solitaire nous fixe de ses yeux globuleux. Sur l’autre versant, certains d’entre nous assisteront au triste (et rare) spectacle d’un renne maladroit, dévissant brutalement de la minuscule corniche montagneuse sur laquelle il progressait et venant s’écraser sur les rochers une centaines de mètres plus bas, se tuant sur le coup. A peine une poignée de secondes plus tard, les premiers goélands atterrissaient déjà sur le cadavre de l’animal. Sur ces territoireslà, l’instinct de survie est impitoyable… ◊
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Vendredi 21 août
grandeur et cruauté Toute la nuit, le Sea Spirit a navigué, jusqu’à atteindre ce matin le Détroit d’Hinlopen. Il fait gris et la température a encore baissé. Dans les haut-parleurs, la voix de Christian avertit de la présence de deux souffles puissants, sur la babord du Sea Spirit. « Il s’agit très probablement de baleines bleues », ajoute-t-il. Immédiatement, une sorte de frénésie s’empare de nous. La baleine (ou rorqual) bleue est le plus grand animal vivant sur la planète, elle peut atteindre 30 mètres de long et peser plus de 150 tonnes ! Le temps de s’équiper chaudement pour affronter le vent glacial qui balaie le pont, une bonne quarantaine de passagers, armés d’appareils photos et de caméscopes, sont déjà en train de braquer leurs objectifs en direction des deux grands souffles qui sont quand même à au moins cinq cents mètres du Sea Spirit. Un peu dépité, je décide de la jouer à contre-courant et je rejoins l’arrière tribord du navire, me rappelant qu’un des guides m’avait confié la veille que le lendemain, nous serions sur « une autoroute à baleines ». Avec un peu de chance… Mes espoirs les plus fous seront vite comblés. A peine cinq minutes plus tard, alors que je suis seul sur le pont arrière, un gigantesque souffle jaillit à peine cent mètres devant moi. Puis, majestueux, splendide, incroyable, le long « fuselage » gris métal surmonté du minuscule aileron dorsal fend les eaux sombres avant de s’enfoncer doucement, puis de réapparaître encore une petite minute plus tard, puis une troisième fois encore avant de disparaître très profondément cette fois-ci et pour de très longues minutes. Fantastique ! Je me sens rempli à la fois d’une réelle exaltation (car bien sûr j’ai réussi à « shooter » assez facilement
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cette scène incroyable) mais aussi d’une émotion inédite, ayant presque envie de remercier cet animal de légende qui, pour sa première apparition sous mes yeux, a eu le bon goût de m’offrir à moi seul le spectacle le plus magique qui soit. J’en ai eu sincèrement les larmes aux yeux tant cette scène d’une beauté surréaliste était émouvante… A peine trente secondes après sa disparition dans les profondeurs, la même petite foule qui quelques minutes auparavant se massait sur le pont bâbord se rua de l’autre côté du Sea Spirit, alertée par la voix dans le haut-parleur. Mais la baleine, ma baleine bleue, ne réapparut que bien plus au large, seul son souffle étant alors réellement visible… Vers la fin de la matinée, nous avons rendez-vous avec un des plus fameux « spots » de l’Arctique, la falaise Alkefjellet, ce promontoire rocheux tout en longueur aux flancs desquels nichent des milliers de guillemots de Brünnich qui cohabitent aussi avec les éternels goélands prédateurs ou les mouettes trydactiles. Nos Zodiac sont donc là, au pied de ce gigantesque rocher de basalte noir. La lave brutalement refroidie il y a des millions d’années a formé des centaines de petites corniches très étroites où chaque couple de guillemots élève son unique poussin. La nature est fantastique : notre guide nous apprend que l’œuf couvé par la mère n’est pas parfaitement ovoïde mais possède une partie quasiment plate, pour ne pas
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rouler dans le vide avant la naissance du poussin ! Il fait très froid et un vent scélérat projette des embruns glacés pendant que nos Zodiac se maintiennent difficilement à à peine quelques mètres des rochers du bas du monolithe. Nos yeux et nos appareils photos sont rivés sur le spectacle de ces nuées de pingouins-oiseaux (pardon pour ce terme peu scientifique…) qui, dans une cacophonie assourdissante s’envolent et atterrissent interminablement, zébrant le ciel de leur vol nerveux. C’est l’époque où le jeune poussin va enfin oser quitter sa corniche natale et plonger dans la mer, comme il voit ses parents le faire depuis longtemps. Le père l’attend dans l’eau, à la verticale du promontoire d’où il va s’élancer. Son but est de protéger sa progéniture pour ses premières minutes dans l’eau, avant de lui rapporter sa part de nourriture en poissons et, au fil des jours, lui apprendre l’autonomie. Ce moment où les jeunes poussins plongent pour la première fois est la somme de tous les dangers qui les
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menacent. Certains « calculent » mal leur premier plongeon et se fracassent vingt mètres plus bas sur les rochers. D’autres parviennent dans l’eau sans problème, à quelques dizaines de centimètres du père qui les attend. Ils ne sont pas pour autant tiré d’affaire car les impitoyables goélands sont en patrouille au ras de l’écume des vagues, prêts à s’emparer du moindre poussin un peu isolé. Ce sera le cas sous nos yeux pour un bébé guillemot qui, à peine parvenu à l’eau, sera saisi brutalement par le bec d’un goéland prédateur avant même que son père ne puisse tenter quoique ce soit
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pour le protéger. Quelques secondes après, le goéland, perturbé par la rapacité d’un de ses semblables qui cherchera à lui faire lâcher sa proie, abandonnera le poussin qui, le corps broyé par la puissante tenaille du bec, périra vite. Longtemps, le père criera son désespoir à proximité du corps sans vie de son unique poussin, flottant au pied de la falaise Alkefjellet. Notre guide résumera la scène, fataliste : « Des semaines et des semaines de patience pour initier à la vie le jeune animal, puis en une seconde la mort, rencontrée lors du tout premier envol… » Cruelle nature ! ◊
DESTINATIONS DE LÉGENDE
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Samedi 22 août l’Ile blanche
Le Sea Spirit a foncé toute la nuit, longeant la grande barrière de glace de la terre du Nord-Est. Au matin, il se dirige vers Kvitøya, l’Ile blanche. La mer, très formée, ne permet pas le débarquement en Zodiac, malgré le beau soleil. C’est donc du bâbord du bateau que nos yeux fixent ces gigantesques falaises de glace et la calotte glaciaire de 200 mètres d’épaisseur qui coiffe l’île sur 99% de sa surface. On apprend la tragédie qui se déroula ici, à la fin du XIXème siècle quand l’explorateur Andrée tenta de rallier le Pôle Nord en ballon depuis la pointe nordest du Spitzberg. Le ballon s’écrasa sur Kvitøya où tous moururent. L’évocation de ce drame lointain ne parvient pas à nous dissuader de la contemplation de ces titanesques parois glacées…
Profitant d’une accalmie et d’une mer moins brutale, nous embarquons sur les Zodiac en début d’après-midi. Nous sommes dans un des endroits les plus reculés et les plus sauvages de l’archipel du Spitzberg et la nature est à la hauteur. Parmi plein d’autres, un iceberg en forme d’arche attire les bateaux comme un sémaphore. Un régal pour les prises de vue : faire et refaire le tour de cette énorme masse de glace, repérer un angle de prise de vue original, laisser l’esprit cavaler et imaginer des êtres vivants palpables dessinés par ces formes fantasmagoriques. On en oublierait presque que nous avons dépassé les 80° de latitude nord, que nous sommes à peut-être à peine 1 000 kilomètres du pôle, à plus de 5 000 kilomètres de la France, dans un des endroits les plus hostiles jamais recensé sur la planète ! Voilà que nous naviguons à proximité d’une petite troupe de morses qui nous observent de près, le regard exorbité.
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Un ours dort sur le haut de la plage d’un petit îlot. Il n’a pas réussi à prendre « le bon wagon » au moment de la débâcle glaciaire de la fin du long hiver arctique. Piégé sur son lopin de terre, le voilà condamné à jeûner encore et encore, à moins qu’un cadavre providentiel de cétacé vienne échouer sur la plage. Sans cette rare opportunité, il devra s’économiser, vivre au ralenti avant que les glaces ne se reforment et viennent reconstituer la banquise sur laquelle il pourra de nouveau happer le phoque quand il reprendra sa respiration par un large trou naturel laissé intact par la glace. ◊
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SAMEDI 22 AOÛT La nuit magique
23 heures. Le soleil ne descendra presque plus. Une très légère brume magnifie encore plus la lumière exceptionnelle de ce soir de l’été arctique. Quand nous quittons le Sea Spirit à bord de nos Zodiac, nous ne savons pas encore que les heures qui vont suivre vont nous offrir la magnificence du grand Nord… ORNORME STRASBOURG / avril 2016
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La calotte glaciaire qui recouvre l’Ile blanche renvoie les rayons du soleil. Sous nos bateaux, le brash scintille de mille feux. Un profond silence tout autour de nous : STRASBOURG / avril 2016nature sidérante… nul n’éprouve le besoinORNORME de parler devant le spectacle de cette
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Plus intrigués qu’effrayés, les morses les plus hardis apparaissent et disparaissent au ras des Zodiac. Les plus énormes de ces mastodontes de l’Arctique peuvent atteindre 1,2 tonne. Patauds sur terre, ils deviennent de véritables torpilles quand ils sont dans l’eau… Avec leurs défenses comme de véritables sabres, ils sont les seuls animaux que l’ours polaire craint. Il ne s’attaque qu’aux individus malades ou aux très jeunes quand ils sont isolés…
2h du matin. La mer est toujours d’huile et la lumière n’a rien perdu de sa splendeur. A regret, il faut rejoindre le Sea Spirit pour dormir à peine quelques heures…
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LUNDI 24 août autour de la terre du nord-est
La banquise : le but ultime
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Dimanche 23 août L’ILE DE WAHLBERG
Une journée de temps gris et glacial, peu favorable à la mise à l’eau des Zodiac. Nous la passerons à naviguer devant la grande barrière de glace de la calotte de la terre du Nord-Est. Avec ses 160 km ininterrompus, ce front de glace est le plus grand de l’hémisphère nord. De véritables rivières (les bédières) dévalent sur la surface de la calotte et meurent en mer comme de gigantesques cascades turquoises. La falaise vêle en mer et de nombreux icebergs s’en détachent régulièrement. Par un froid glacial et sur un site balayé par un vent violent, le débarquement sur l’île de Wahlberg nous permettra de mesurer l’importance des courants : ses rivages sont jonchés de troncs d’arbres venus de la Sibérie russe « juste en face ». ◊
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Après que le Sea Spirit ait navigué toute la nuit (cap plein nord), nous passons une partie de la matinée à l’abri de l’île Phipps, une des sept îles de l’archipel des Sjuøyane. Ce sont là les terres les plus septentrionales de l’hémisphère nord, les dernières rencontrées avant la banquise. Nous reprenons la navigation, tout émoustillés par la bonne nouvelle que Christian nous annonce dans les hauts-parleurs. Plus « haut », c’est à dire au-delà des 80° de latitude nord, (peu d’êtres humains, pour tout dire, auront eu le privilège d’évoluer aussi près du pôle nord), une superbe fenêtre météo est en train de s’intaller. Ce qui veut dire que nous allons avoir le privilège d’atteindre la fameuse banquise par un temps évidemment glacial mais sous un soleil étincelant. A ce moment-là, quelques heures plus tard, chacun aura trouvé sa place sur les ponts du navire, caméscope et appareil photo en batterie, prêt à capter cet instant magique. La banquise d’été, au-delà des 81° de latitude nord, finira donc par apparaître. De loin, on dirait une énième muraille de glace, comme déjà vu à Kvitøya. Mais non, au fur et à mesure de l’approche, il s’agit bien de cet amas de glace de l’océan arctique qui a gelé, provoquant cette énorme couche de glace à la surface
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tourmentée que les ours polaires parcourent en tous sens, à la recherche de nourriture comme l’un d’eux, à quelques centaines de mètres de nous, très occupé à scruter la surface glacée à la recherche d’un trou qui pourrait être utilisé par un phoque, avide de reprendre sa respiration. Emerveillés, nous apprendrons que le nez du seigneur de l’Arctique peut sentir la présence d’un autre animal à… soixante kilomètres ! Le Sea Spirit n’étant pas un brise-glace, il ne peut pénétrer dans la banquise. Mais le Zodiac seront mis à l’eau pour naviguer à sa limite, bousculant les énormes blocs de glace qui s’en sont détachés, cherchant un passage pour tenter d’aller un petit peu plus loin, rebroussant chemin ou filant dans un chenal opportunément formé par la glace en débâcle. Un superbe et extraordinaire terrain de jeu pour les grands gosses que nous sommes tous soudain redevenus. Nous naviguons sur la banquise arctique, c’est magique ! De temps à autre, un couple de phoques barbus réémerge subrepticement, juste le temps de reprendre leur souffle avant de plonger au plus profond, comme de véritables torpilles. Ces deux heures-là, passées au beau milieu de la banquise, vont rester gravées dans nos mémoires… ◊
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Mardi 25, mercredi 26 et jeudi 27 août l’Arctique nous fait son festival !
Les îles Storøya, Fonøya et Charles XII, un retour à la banquise puis le Sorgfjord et le Liefdefjord ont été prévus au menu des trois prochains jours et il y a fort à parier que même le staff de Grands Espaces n’avait pas forcément anticipé un enchaînement aussi coordonné de telles merveilles sous nos yeux bien sûr ébahis. Le jeudi matin, les Zodiac sont à l’eau malgré des conditions météo difficiles. Une houle vicieuse sous un vent traître et changeant, qui oblige les pilotes à sans cesse adapter leur cap pour nous éviter ce qu’ils appellent pudiquement des embruns mais qui se révéleront bien souvent être de véritables paquets de flotte glaciale ! La mer gèle à -1,8° nous a-t-on dit : on ne doit pas en être très loin…
Mais c’est pour la bonne cause. Sur la plage d’un îlet, une colonie de morses attire nos bateaux. Très près, un gros ours solitaire attend, rigoureusement immobile. Nous progressons à vitesse très réduite et le plus silencieusement possible. Christian qui, ce matin-là, est notre pilote, nous explique les raisons de cette progression « à pas de loup » : il faut avant tout éviter de provoquer la panique dans la colonie. Elle aurait pour effet de littéralement piétiner à mort les très jeunes morses et d’estropier quelques individus très âgés, incapables d’éviter le déferlement de la meute. Car c’est très exactement ce qu’attend l’ours faussement débonnaire qui est assis tout près. Par crainte des sabres imposants qui ornent la mâchoire des morses adultes, il ne les attaquera pas frontalement. Mais des bébés ou des vieillards agonisant après avoir été piétinés, là il n’hésitera pas… A bonne distance, nous observons donc la colonie grouillante et fumante qui s’est agglomérée sur cette plage et qui ne perd pas l’ours des yeux… Ce jour-là, le somptueux ours polaire va vraiment nous honorer de sa présence. Un peu plus loin, c’est une ourse qui stationne sur une plage à quelques mètres de notre Zodiac : elle mange des algues pour tromper sa faim. Plusieurs de nos Zodiac ont stoppé dans cette petite crique à l’abri des vents et de la houle : nous ne sommes qu’à quelques mètres de l’ourse qui ne s’intéresse pas à nous. De longs moments où le silence ne sera rompu que par le cliquetis des appareils photo : nous sommes bien conscients de vivre un nouveau moment privilégié.
DESTINATIONS DE LÉGENDE Le long du rivage une femelle et ses deux jeunes de l’an dernier longent la plage. A deux reprises, à l’approche d’un mâle, le groupe bifurquera soudainement jusqu’à grimper très haut sur les pentes glacées ; C’est que la loi de la nature est terrible : affamé, l’ours mâle n’aurait eu aucun scrupule à s’attaquer aux jeunes et à les dévorer. La mère ours le sait et, même un an après la naissance de ses deux petits, elle fait tout pour les protéger. De l’avis même des scientifiques qui nous accompagnent, nous venons de faire là une observation rarissime… Le lendemain, nous vivrons un autre moment rare. Un magnifique ours mâle adulte est accompagné d’une jeune femelle équipée d’un collier émetteur posé par l’Institut polaire norvégien. La rareté de la situation provient du comportement du mâle : c’est la jeune femelle qui manifestement mène la danse, le mâle se contentant de l’accompagner scrupuleusement. La femelle s’arrête longuement pour fouiller sous les cailloux de la plage en contrebas : patiemment, le mâle l’attend un peu plus haut, avec toujours un œil sur elle. Longue observation et même lent travelling le long de la plage sur fond de sommets ensoleillés : une heure plus tard, les deux s’endormiront ensemble, un peu plus haut. ◊
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Colossale nature
Il y a six siècles, cette vallée glaciaire typique en U était totalement remplie par un gigantesque glacier dont il ne subsiste aujourd’hui que l’arc de la moraine sur lequel nous avons grimpé pour réaliser ces clichés. Cinq cent mètres à l’arrière, Pierre Mann filme ce qui reste de ce géant quasiment disparu… ORNORME STRASBOURG / avril 2016
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Face au mastodonte
En route pour une ultime expérience : plus de 1 500 m devant les frêles Zodiac, l’extraordinaire amphithéâtre du magnifique Glacier de Monaco (40 km de long, un front de 5 km de large et de 50 m de haut). A l’avant-veille de notre retour vers Longyearbyen, l’Arctique nous fera vivre ici des derniers moments /d’exception… ORNORME STRASBOURG avril 2016
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Sous le mastodonte s’échappe en permanence un tempétueux fleuve d’eau douce qui charrie des éléments nutritifs dont raffolent les petits poissons, eux-mêmes alors dévorés par des nuées de mouettes tridactyles qui occupent les abords de cette ORNORME / avril 2016 gigantesque et dangereuse voûte deSTRASBOURG glace…
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Au sein même de ce chaos monstrueux à l’équilibre en permanence précaire, une gigantesque explosion retentit. Un large pan de milliers de tonnes de glace s’affaisse brutalement dans une gerbe d’écume et provoque une énorme vague tsunamique. La perspective écrasée par le zoom de la dernière photo est heureusement trompeuse : le Zodiac se trouve à la distance minimale réglementaire de 400 m. Brisée par le brash sur les 300 m qu’elle parcourra encore pour atteindre l’embarcation, la vague ne provoquera qu’un doux effet « toboggan » quand elle l’atteindra… ◊
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Une réalité
malheureusement bien visible
Les clichés ci-dessus parlent d’euxmêmes. Ils ont été réalisés par les satellites d’observation météo en 1980 et en 2012, tous deux durant la dernière quinzaine d’août. A cette époque de l’année, le court été polaire n’en a plus que pour quelques semaines et la fonte de la banquise atteint son maximum, la glaciation reprenant ses droits dès la seconde quinzaine de septembre. L’été dernier a encore, malheureusement, battu des records. ll n’est plus resté que 3,6 millions de kilomètres carrés de l’océan arctique couverts par une banquise plus ou moins continue. Or, jusqu’en 2006, la surface minimale de la banquise n’avait jamais été inférieure à 4 millions de kilomètres carrés. Si l’on compare la surface actuelle de la banquise à sa surface moyenne sur toute la période 1979 / 2008, il manque plus de 1,7 million de kilomètres carrés de banquise… Des conséquences dramatiques La fonte de la banquise provoque en fait une dramatique réaction en chaîne. La glace qui fond n’offre donc plus aucun obstacle au rayonnement solaire sur un océan devenu complètement liquide. L’eau de mer se réchauffe alors considérablement et favorise à son tour le fonte des glaces. Et les températures
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terrestres ne sont pas en reste : cette photo du glacier de Kronebreen, à l’ouest du Sitzberg, est spectaculaire. Ce monstre (30 km de long, 3 à 400 mètres d’épaisseur, 4 km de large) a perdu 7% de sa surface et son front a reculé d’un kilomètre lors des trois dernières années ! A ce rythme, les experts pensent que les tous prochains étés verront la disparition totale de la banquise estivale. L’animal emblématique de l’Arctique, l’ours polaire, sera la victime la plus médiatique. Même s’il est bon nageur, il a besoin de la banquise pour se déplacer et guetter les phoques à leur sortie d’un trou dans la glace. Sans le socle glacé, il se condamne à devoir attendre le retour de la glaciation d’hiver pour se nourrir correctement. L’été dernier, une image de la photographe allemande Kerstin Langenberger a fait le tour du monde
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via le net. Publiée initialement dans le n°32 de l’hebdomadaire Icepeople qui est édité à Longyearbeen et alentours, elle a suscité d’abord l’incrédulité (les internautes y voyant un fake, à grand renfort de Photoshop et de théorie du complot…). Mais la photographe ne s’en est pas laissée compter et a apporté les preuves de la prise originale de son cliché. « Il est fort probable que cet ours a été sérieusement blessé, sans doute en essayant d’attaquer un morse dans l’eau » a commenté Krestin Langenbergen. Cette image dramatique est donc apparue comme le symbole implacable de ce seigneur des glaces qui vit ses dernières années et va disparaître, inéluctablement : les plus optimistes situent ce moment dans une trentaine d’années, les plus pessimistes dans quinze ans. Tragique… ◊
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LUNDI 24 août Page 36
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25, 26, 27 août Page 38 SAMEDI 22 août Page 29
VENDREDI 28 août Page 42
VENDREDI 21 août Page 27 Jeudi 20 août Page 26
DIMANCHE 23 août Page 36
REMERCIEMENTS
La rédaction de Or Norme Strasbourg remercie très chaleureusement toute l’équipe de Grands Espaces pour son professionnalisme, sa gentillesse et cette passion manifestée sans interruption durant les douze jours passés dans ces endroits merveilleux et magiques qui nous ont donné bien sûr envie de partager un jour ou l’autre un autre voyage aussi formidable. Vous êtes tenté par l’Arctique ? Chaque année, Grands Espaces organise plusieurs croisièresexpéditions durant les mois d’été. www.grandsespaces.ch
MERCREDI 19 août LONGYEARBYEN
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ISTANBUL /// TEXTE CHARLES NOUAR - PATRICIA RUELLEUX PHOTOS CHARLES NOUAR - DR
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ISTANBUL
« They call it chaos, we call it home »
La Turquie et Istanbul sont désormais au cœur du dramatique conflit syrien et de la problématique de ses réfugiés. Et leurs habitants attendent de voir de quel côté va pencher la balance… /// TEXTE ET PHOTOS CHARLES NOUAR
Lancé il y a quelques années de cela par le collectif de graphistes Aponia, rien, mieux que ce slogan, ne saurait finalement mieux résumer l’Istanbul de ces derniers mois. En août, dans les boutiques de Pera, des vendeuses qui se crispent à l’entrée de femmes vêtues de Niqabs, d’une culture qui n’est pas la leur et qu’elles se refusent à devoir un jour adopter. A la fin de l’automne, des élections législatives sous haute tension. Cet hiver, des universitaires qui craignent de signer une pétition de peur de voir leur carrière mise en pièces. Cet hiver, toujours, des journalistes arrêtés, incarcérés, relâchés par une décision de justice que le Président prévient déjà ne pas vouloir respecter. Au milieu de tout cela, une guerre relancée au Sud-Est. Des attentats, fruit du réveil de ce conflit ou d’une crise syrienne dans laquelle Européens et Américains semblent avoir perdu tout sens de leur(s) responsabilité(s). Des manifestations
réprimées, aussi. Les médias français et occidentaux n’épargnent pas Istanbul, tant la liste pourrait encore être allongée. Avec les conséquences sur l’économie du tourisme que l’on connaît dans ces moments incertains. Un parfum d’attente Pourtant, de Cihangir à Pera, de Karaköy à Fatih, de Kabatas à Usküdar, les couples, les familles continuent de se retrouver le long du Bosphore, comme si de rien n’était. Du 360 au bar du Mama Shelter, on en voit encore danser, se mélanger à quelques Occidentaux de passage. Du haut du rooftop du Leb-i-Deria, la Corne d’Or n’a même, en ce début de printemps, jamais parue aussi belle. Le chaos, d’un côté, le calme d’une demeure à l’abri des tempêtes, de l’autre. La seule chose qui change de l’ordinaire, finalement, est cette atmosphère assez imperceptible pour qui ne connaît pas la ville. Un parfum d’attente : de voir de
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quel côté finira par pencher la balance : celle du tout autoritaire ou de l’espoir d’un retour à la normale. L’Europe pourrait y aider. Mais nulle ne l’attend déjà plus, elle qui a vendu tous ses principes et valeurs sur l’autel de la crise migratoire : prenez-les et nous fermerons les yeux sur tout. Voilà, dans la pratique, ce que disent les vingt-huit Etats membres aujourd’hui. Quant au pouvoir en place, tout le monde ici l’oublie mais s’investir dans une Union politique est bien loin de ses préoccupations. Au moins autant que celles des conservateurs britanniques regroupés au sein du parti européen ECR et dont AKP fait partie. Au milieu de tout ce fatras, reste donc ces gens qui, à leur manière, la peur parfois au ventre, n’entendent pas se résigner : contre ou avec, peu importe. Et de faire vivre une ville sans pareil qui n’espère qu’une chose : ne pas se laisser oublier de ceux qui l’aiment et se souviennent qu’ici est aussi chez eux… ◊
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Karaköy
« nouvelle zone » de vie
/// TEXTE ET PHOTOS CHARLES NOUAR
Entre l’arrêt de tram éponyme et celui de Tophane. A un petit kilomètre, tout au plus de Kabatas et de son embarcadère pour les Iles aux Princes. A quelques mètres à peine de Kiliç Ali Pasa Camii. A un peu plus de mètres d’Istanbul Modern, le musée d’art moderne de la ville – un écrin au bord du Bosphore -, où se rencontrent le meilleur de l’Orient et de l’Occident, où se produisent également, l’été venu, quelques musiciens sur le parvis, parmi lesquels la belle Nilipek ou l’envoûtant Can Günger, deux valeurs montantes de la scène indé pop/folk stambouliote. A deux pas, aussi, du souvenir de ces petits cafés tradi, amenés à être remplacés par un Mole, entre le Modern et la Camii, où, le soir venu, l’on prenait plaisir à se poser manger une assiette de fruits, une galette traditionnelle cuite dans la roulotte Baris Kumpir, ou de prendre un verre de thé. Le tout, selon les jours, en regardant une retransmission d’un match de Besiktas, Galatasaray ou Fenerbaçe. Face à ces lieux chargés de petites histoires, face au Bosphore, sur la droite en direction du Pont de Galata, «nouvelle zone», donc.
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Ces « fantômes » qui se répandent… Jusque là, deux à trois ans en arrière, rien ou presque sinon des ruelles sans grande âme. Depuis, des cafés et restaurants branchés où prendre le brunch le dimanche comme chez Unter ou Filbooks, un café faisant également office de lieu de vente pour quelques graphistes inspirés. Deux exemples parmi de nombreux autres, tant les semaines allant, d’autres lieux s’ouvrent à la vitesse de cette ville, étourdissante. Et puis, des petites galeries d’art comme Gallery Llayda, ArtSümmer, Global Karaköy qui s’est offert une expo
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Bansky ; des créateurs, tels Selda Okutan Gallery ou Galeri Mana, ou encore des échoppes de prêt à porter comme Bey Karaköy, où l’on se surprend à croiser, derrière le comptoir, un DJ rennais mixant entre deux ventes de l’élégante marque suédoise Tiger. Une nouvelle zone à débordement, presque : de Cihangir, Galata ou Pera. Qui, par le bouche à oreille, commence à attirer, au delà de la jeunesse universitaire de cette ville, l’intérêt de quelques touristes, plutôt jeunes, plutôt anglophones ou francophones, plutôt CSP+. Un peu à l’image de la municipalité de Beyoglu, historiquement vue comme un havre d’intelligence, de défense des valeurs de laïcité et de créativité. Mais pour combien de temps encore, tant les fantômes, comme l’on dit ici, de ces voiles noirs de niqabs hérités d’une autre culture, se répandent dans ses nouvelles allées AKP et inquiètent jusqu’aux personnes les plus ouvertes à la religiosité ? Sur Istiklal, à Galata, déjà il n’est plus rare de les croiser. Dans la « nouvelle zone » de Karaköy, pas encore. Peut-être les dernières années d’en profiter... Et, sans doute, une raison de plus pour y aller, s’y poser, et, d’une certaine façon, aider les gens qui font que cette ville est belle, à résister. ◊
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Cihangir
le quartier que tout le monde s’arrache
/// TEXTE Patricia Ruelleux PHOTOS Matthieu Cellard – Réfik Ongan
Cihangir, c’est le charme d’un village. Certes, il n’échappe pas au bruit des klaxons et à l’ébullition de la ville mais on aime l’appeler « village » car il en possède tous les charmes. Cihangir, c’est d’abord un décor de cinéma, comme Orhan Pamuk en fait l’écho dans son roman « Istanbul, souvenirs d’une ville ». Juché sur ses collines entre la place Taksim et le Bosphore, Cihangir est un des lieux privilégiés des équipes de tournage. Dans les années 60 déjà, elles se pressaient pour tourner une scène d’amour à l’angle d’un immeuble XIXème. Aujourd’hui encore, on y croise projecteurs et acteurs qui tournent des séries TV à la mode. Artistes et intellectuels turc y élisent résidence. Leur présence a contribué à forger un esprit d’originalité et de liberté qui fait désormais partie de l’identité du quartier. C’est aussi ce qui attire les étrangers, Européens et Américains, créateurs et free-lancers. On les voit dans les cafés, smartphones et MacBook à leurs côtés mais on les croise aussi chez le maraîcher ou dans l’échoppe du tailleur qui reprise vos chemisiers. A Cihangir, on aime le mélange des genres et surtout celui qui fait cohabiter tradition et modernité. Qui ne s’est pas perdu chez les antiquaires à envisager d’acheter un fauteuil au velours râpé?
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Chaque nouvel arrivant aime cette ambiance de village branché, riche de ses nombreux cafés et de ses chats qui déambulent à vos côtés. On craque pour les cafés « bobo » comme Smyrna ou Journey mais on aime aussi les « Kardesler » qui continuent à offrir pide et ayran à volonté. Cette réunion de contrastes est fascinante, à l’instar de la ville, et du pays dans sa globalité ! Vous l’aurez compris, Cihangir c’est une douceur de vivre et vous êtes les bienvenus ! ◊ Patricia Ruelleux est Strasbourgeoise. Installée depuis quatre ans à Istanbul, elle est agent immobilier et gérante d’appartements de tourisme dans le quartier de Cihangir, fondatrice de My flat Istanbul, accessible via Facebook.
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POURQUOI PAS
JAVA?
A chacun ses marottes… Moi, j’avais Borobudur en tête depuis l’enfance sans même savoir où pouvait se nicher le lieu qui avait un nom aussi étrange. Le mot me plaisait c’est tout. Et puis, les années passant, et mon inculture se comblant autant que faire se peut, j’ai appris qu’il correspondait au plus grand sanctuaire bouddhiste du monde et qu’il était planté au cœur de l’île de Java. /// TEXTE ET PHOTOS VÉRONIQUE LEBLANC
Juillet 2015 fut donc javanais et je ne le regrette pas. Total dépaysement… Peu ou pas de touristes ce qui repose même si, parfois, à force de poser pour des selfies avec les uns ou les autres, on a l’impression d’être soi même une bête curieuse. Mais c’est demandé avec tant de gentillesse que l’on s’y prête sans problème. Ce qui frappe à Java, c’est le contraste entre la frénésie des villes – Ah la remontée de la « Malioboro Street » à Jogjakarta, souvenir oppressant s’il en est ! – et la majesté des paysages aux rizières en escalier. L’île compte plus de quarante volcans alignés un peu comme une épine dorsale et l’on s’y déplace au fil d’une succession de cônes gigantesques. Les habitants racontent volontiers les
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Borobur nombril du monde Borobudur n’a pas été épargnée par ces secousses venues des entrailles de la terre mais le site tient bon alors que les temples de Prambanan, leur ont concédé quelques blocs de pierre… Prambanan est shivaïte et compte 240 édifices construits au 9e siècle, Borobudur qui date de la même époque est bouddhiste. colères du Mérapi qui surplombe Jogja, ces couches de cendres sur la ville et sur les temples qu’il faut parfois évacuer, le bruit sourd… Ils en rient et nous on se dit que la notion de « bon vieux plancher des vaches » peut ici devenir toute relative.
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Erigé comme un mandala géant, le temple de Borbudur est un quadrilatère de 113 mètres de côté aux allures de nombril du monde. Il faut le parcourir dans le sens des aiguilles d’une montre, déambuler au rythme de ses quatre galeries superposées et ornées de cinq kilomètres de bas-relief racontant la vie de Bouddha pour déboucher enfin au
sommet. La montée se fait en douceur et l’arrivée porte en elle une plénitude où se mêlent le hiératisme des stupas de pierre à la majesté du paysage. La résonnance fonctionne, c’est saisissant.
« Unis dans la diversité » Java la musulmane tient à ce joyau comme à la prunelle de ses yeux. Elle en connaît la valeur et sait de toutes façons composer avec les différentes religions au sein de sa population composite. Islam, hindouisme et syncrétisme javanais y cohabitent parfois de manière insolite comme lors de ces cérémonies de nouvel-an au palais du sultan de Jogjakarta où l’on passe d’une première partie musulmane à une fin de soirées frappées au sceau des traditions animistes. La menace islamiste existe cependant, nous avait-on raconté. En janvier dernier, elle a frappé Jakarta. Une ville de plus au palmarès du terrorisme. Capitale d’un pays, l’Indonésie, dont la devise prône l’union dans la diversité à l’instar de celle de l’Europe. Des mots, de simples mots auxquels il faut plus que jamais donner sens d’un bout à l’autre du monde. ◊
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Burmese Days
Lointaine Birmanie… Longtemps repliée sur elle-même, bouclée par une junte militaire à laquelle on n’avait pas envie d’apporter des devises, elle me semblait encore plus inaccessible par sa complexité que par le nombre de kilomètres à couvrir avant d’y atterrir… /// TEXTE ET PHOTOS VÉRONIQUE LEBLANC
C’est en décembre dernier que le pas fut franchi, juste à temps pour passer les dernières heures de 2015 à Rangoon, « Yangoon », première ville du pays et ancienne capitale. Tout empreinte de son passé colonial, celle-ci renaît, libérée de ses pesanteurs, de son passé militaire, des sanctions économiques… et l’on s’y promène tout étonné de ne pas y retrouver la cacophonie des scooters pléthoriques en Asie. En fait, ils y sont interdits pour limiter une circulation déjà bien embouteillée. Panneaux publicitaires et façades décrépites, couleurs des étals débordant de fruits, le centre historique séduit et surprend. Installés devant d’antiques machines à écrire, des écrivains publics retranscrivent des actes notariaux sur le trottoir, devant les études, pas mal de librairies aussi et puis aussi ce livre que l’on propose sans relâche aux touristes occidentaux, les « Burmese Days de George Orwell »… « Une histoire birmane » en français. De la pagode Shwedagon, sanctuaire le plus sacré de Birmanie, reste l’impression
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d’une ville dans la ville, enserrée dans le mystère de ses stupas dorés, et surtout ce ciel contemplé sans relâche au soleil couchant du 31 décembre. Fabuleux.
Magie du lac Inlé Vol jusqu’à Heho, ensuite. De là il s’agit de rallier Kalaw en voiture en passant par la grotte aux 8 000 Bouddhas gardée par une kitchissime araignée gigantesque, écho d’une ancienne légende où se croisent cinq princesses et un prince… De Kalaw au lac Inle la route se fera à pied au fil d’un trek de deux jours en pays Pa O. La Birmanie a – pour l’heure – gardé une authenticité rare. Elle donne l’impression d’avoir mis sous cloche l’Asie d’il y a cinquante ans et l’on va de surprise en surprise en découvrant des paysages superbes quasi irréels au lever du jour, des maisons de bambous à l’enchevêtrement géométrique, des tapis de piment séchant au soleil, des charrues de bois tirées par des buffles et puis ces
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DESTINATIONS DE LÉGENDE paysans vêtus de tissus traditionnels et affairés aux champs… « Mingalaba ! » - « bonjour » en Birman - et sourires se multiplient. Le lac Inlé est peut-être le lieu le plus magique du pays et sans doute l’un des plus beaux paysage d’Asie du Sud-Est. Immense, il est bordé de villages sur pilotis et de jardins aquatiques dont l’écosystème est aujourd’hui menacé par le tourisme. Eternel paradoxe du voyage où l’on s’émerveille en se sentant un peu coupable de participer au basculement du lieu dans un autre monde. Pour l’heure, le lac a gardé son aura même si les pirogues chargées d’Occidentaux un peu frigorifiés se multiplient. Elles s’arrêtent lorsque les pêcheurs prennent la pause en funambules aquatiques pagayant avec les pieds. On leur donne quelques sous. Ou pas. En Birmanie la mode n’est pas au harcèlement… palais royal, ses théâtres de marionnettes et ses marteleurs d’or et, partout, le visage d’Aung San Suu Kyi, la « Lady » en qui les Birmans placent tant d’espoir « surtout pour la jeunesse ». Il y aurait encore beaucoup à dire sur ces « Burmese Days » mais impossible de mettre le point final à cet article sans évoquer Bagan et ses 2 000 temples construits entre le 11e et le 13e siècles. Un peu comme si toutes les cathédrales d’Europe et plus encore avaient été construites au même endroit. Majestueuse, la pagode Shwezigon draine touristes et fidèles. Elle resplendit d’or mais si toutes ne sont pas dans le même état – loin s’en faut – toutes dégagent une infinie sérénité. On quitte Bagan avec l’envie d’y revenir tout comme en Birmanie, pour d’autres « Burmese Days » forcément insolites. ◊
Bagan et ses milliers de temples
Les marchés birmans avec leur foule colorée, leurs piles gracieuses de feuilles de thé ou de bethel, les villages où sont fabriqués cigares gigantesques, vannerie et bijouterie, la ville de Mandalay son
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ÉTHIQUE ALIMENTAIRE 2016
LES RENCONTRES 2016 DE
L’ÉTHIQUE ALIMENTAIRE ///
Pour un New Deal alimentaire à la française Déjà bien installées dans le paysage strasbourgeois, Les Rencontres de l’Ethique Alimentaire mettent la dernière main à leur troisième édition en juin prochain. Pendant deux jours, une succession de tables-rondes et de rendez-vous accueilleront personnalités, experts et acteurs qui confronteront leurs opinions face et avec un public évidemment passionné par ces questions souvent d’une brûlante actualité… /// ENTRETIEN JEAN-LUC FOURNIER PHOTOS Médiapresse - DR
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Pour cette troisième édition, l’initiateur de ces Rencontres, le toujours entreprenant Jean-Louis de Valmigère a réussi l’exploit de convaincre l’ex-député européenne Europe-Ecologie-Les Verts Sandrine Bélier (récemment défaite aux dernières élections régionales) d’ouvrir son carnet d’adresses national pour que l’édition 2016 de l’événement soit au moins à la hauteur de la réussite de l’an passé qui avait enregistré, notamment, la présence exceptionnelle de Carlo Pétrini, le fondateur du mouvement Slow Food. « Je suis convaincue de la dimension vitale de la question alimentaire » annonce Sandrine Bélier « et cette question se décline aussi sur les plans économique, social, environnemental et culturel. En fait, l’alimentation, pour moi, est au cœur du modèle de société que l’on souhaite instaurer. Avec ces Rencontres de l’éthique alimentaire, on est donc en plein dans l’actualité. »
Sandrine Bélier avec Jean-Louis de Valmigère
L’alimentation, une préoccupation grandissante pour les Français Plus de six Français sur dix se disent préoccupés par les effets de l’alimentation sur leur santé, réclamant davantage d’information sur l’origine des produits, même si le prix reste malgré tout leur principal critère d’achat. Selon un sondage réalisé en juin 2014 pour le compte d’Agri Confiance, 64% des français font part de leur inquiétude sur ce sujet. Ce sentiment « se généralise à l’ensemble de la population », y compris les jeunes de moins de 35 ans (65%) et les cadres (46%). Cette appréhension entraine une exigence accrue en matière d’informations sur l’origine et la transformation des produits de consommation courante. Les consommateurs soulignent que la présence de beaucoup d’éléments qu’ils considèrent comme ayant pourtant un impact sur leur santé, sont difficilement identifiables sur les étiquettes. C’est le cas notamment des pesticides ou de la traçabilité, qui apparaissent peu clairement sur les emballages, selon plus de la moitié des sondés. « Le dernier Salon de l’agriculture l’a encore montré » souligne Sandrine Bélier. « Le modèle agricole est en crise. La libéralisation totale montre ses limites, même les économistes considèrent que ce modèle ne tiendra plus. Durant mon mandat de député européenne, j’ai travaillé intensément sur les modèles économiques, les circuits courts,
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le bio, la rentabilisation de nos territoires ruraux. Le modèle économique qui intègre le bio et la proximité fonctionne.Toutes ces questions-là, on va avoir à les traiter très sérieusement, c’est pourquoi j’ai été partante avec Jean-Louis de Valmigère et l‘Institut européen de l’Ethique alimentaire pour l’organisation de ces Rencontres 2016. Je prolonge ainsi professionnellement un engagement politique qui répond à ma propre éthique… » Une nouvelle donne L’organisateur des Rencontres, l’association pour la création de l’Institut européen d’Ethique alimentaire (désormais présidée par Laurent Spanghero, devenu un savoureux et populaire habitué de la manifestation) annonce vouloir étudier avec les intervenants les conditions de mise sur pied d’un new deal alimentaire. Engager une « nouvelle donne » stratégique française pourrait prendre la forme d’une mobilisation de tous les acteurs concernés par le domaine de l’alimentation : l’agriculture, le secteur de l’agro- alimentaire, le secteur de la distribution, les instituts de recherche agricole, les acteurs de la santé et de l’éducation et les consommateurs, tous seront présents, sous une forme ou sous une autre, sur la scène de l’Aubette en juin prochain pour mener les réflexions permettant l’engagement de nouveaux processus, de nouvelles coopérations, de nouveaux liens du producteur au consommateur pour un nouveau modèle alimentaire. Et ce jusqu’aux engagements avec l’ensemble des acteurs de la filière, du producteur au consommateur en passant par les transformateurs et les distributeurs pour repenser notre modèle alimentaire. Les objectifs sont nombreux : assurer aux producteurs un revenu digne de leur activité, assurer la santé et la sécurité aux consommateurs, limiter le gaspillage, faire appel aux producteurs locaux pour privilégier les circuits courts, développer le bio, réapprendre aux citoyens à manger mieux et développer un nouveau modèle économique durable… Des thématiques passionnantes Un peu plus de deux mois avant la tenue de ces Rencontres et dans l’attente des confirmations formelles des intervenants, les organisateurs restent encore discrets sur les « grands noms » qu’ils ont souhaité voir intervenir à Strasbourg. Mais le programme annonce déjà des thématiques passionnantes qui seront débattues lors de huit tables-rondes : Alimentation et santé Transparences et lobbies Pesticides et Bio Les acteurs de la distribution Les défis des acteurs de l’Agro-alimentaire Prendre le contrôle de nos assiettes Du champ au restaurant Religion et alimentation …
Les personnalités pressenties sont des médecins, écrivains, philosophes, universitaires et chercheurs, responsables de la grande distribution, responsables de l’agro- alimentaire, responsables d’organisation agricole ; responsables d’associations ; restaurateurs ; chefs cuisiniers, etc… A noter que cette manifestation, pour sa troisième édition, bénéficiera du soutien du quotidien Libération. Le programme définitif avec les intervenants présents sera annoncé trois semaines avant la manifestation. ◊
ÉTHIQUE ALIMENTAIRE 2016
Le Marché frais de
Stéphane Biot
Sur la plateau des Rencontres 2016 de l’Ethique alimentaire, les organisateurs feront se côtoyer intervenants de notoriété et porteurs d’initiatives locales remarquables. Parmi ces derniers, Stéphane Biot, 48 ans. Ce franc-comtois d’origine est alsacien depuis une quinzaine d’années. Il y a encore dix-huit mois, il était toujours le patron du développement durable ainsi que celui du secteur produits frais traditionnels d’un grand groupe de distribution de l’Est de la France, après avoir fait toute sa carrière comme directeur d’hypermarchés dans ce même groupe. Aujourd’hui, il vient d’ouvrir sur 1000 m2 à Mittelhausbergen, sa propre enseigne, Le Marché frais de Stéphane Biot. S’inspirant des marchés couverts, il a installé ainsi, sur un même lieu et dans un même espace de facturation, un boucher-charcutier-traiteur, un primeur, un poissonnier, un fromager, un épicier et un caviste. Ses approvisionnements basés sur des circuits courts, chaque « boutique » fait le métier de façon traditionnelle. « Tout est basé sur le goût » précise Stéphane Biot. « Nous nous fournissons en circuit court auprès des agriculteurs ou producteurs bio, bien sûr, mais aussi auprès de PME familiales, de petits
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producteurs régionaux ou autres qui travaillent en agriculture raisonnée. Le tout en veillant à ce que nos produits soient accessibles au niveau prix » fait-il remarquer. Cet entrepreneur innovant ne s’est pas lancé au hasard sur ce concept de plusieurs métiers « sous le même toit ». Il s’est appuyé sur une étude de marché, qu’il a initiée et pilotée lui-même, sur les habitudes de consommation et les attentes des consommateurs de l’Eurométropole de Strasbourg. Un des enseignements de l’étude (besoins de variété, de produits plus sains et de plus de produits de saison) lui a donné une idée qui est un atout supplémentaire pour sa structure qui vient d’ouvrir : à l’intérieur du Marché frais de Stéphane Biot, on découvre sous le vocable « Si on mangeait ça ce soir… » une sélection de cinq plats du moment, des plats simples, à cuisiner en à peine un quart d’heure avec des produits et des ingrédients dont on retrouve aussi la liste sur internet, via un blog dédié. Stéphane Biot parlera de sa création d’entreprise (25 embauches dans les métiers de bouche) et de l’évolution de son Marché frais lors des rencontres de l’Ethique alimentaire des 3 et 4 juin prochains à la grande salle de l’Aubette à Strasbourg. ◊
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ENTRETIEN
Frédéric Bierry
« Je ne crois pas au nombrilisme territorial, je crois aux alliances ! » Avec Frédéric Bierry, élu il y a un an président du Conseil départemental du Bas-Rhin, Or Norme inaugure une série d’entretiens avec les élus locaux et régionaux, dans le contexte d’un mécano institutionnel qui s’est enrichi, ces derniers mois, d’une toute nouvelle Région et d’une métropole. Le tout sur fond de crise financière et d’une baisse spectaculaire de la crédibilité de la parole politique. Plus que des bilans qu’on pourra lire et commenter abondamment dans d’autres colonnes, nous nous intéressons ici plus fondamentalement à la personnalité profonde de nos interlocuteurs et aux réponses qu’ils peuvent apporter pour redresser l’image de plus en plus désastreuse laissée par nos élus, toutes tendances politiques confondues… /// ENTRETIEN JEAN-LUC FOURNIER PHOTOS Médiapresse
Au moment de la parution de ce numéro d’Or Norme, vous bouclerez votre première année à la tête du Conseil départemental du Bas-Rhin. Avec le recul, quelles sont les bonnes surprises que vous avez enregistrées ? « Avant tout la facilité avec laquelle s’est mise en place la collaboration entre les collectivités territoriales. Au niveau des deux départements alsaciens, en huit mois, on a fusionné les deux agences économiques, l’Adira et le Cahr, on a fusionné les deux associations départementales de Tourisme. Ce n’était pas forcément le plus évident, au départ. Avec l’Eurométropole de Strasbourg, au
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niveau du transfert des compétences, ça se passe très bien aussi. J’étais très soucieux de contribuer à pacifier les relations à ces niveaux-là. Dans les deux cas, cette capacité que nous avons eue tous ensemble à dépasser les clivages avec l’Eurométropole ou le Haut-Rhin est évidemment une bonne chose pour tout le monde et oui, c’est une des bonnes surprises de cette première année de mandat. Il y en a d’autres bien sûr mais l’une d’elles est importante : quand j’ai parlé à mes collègues de ma volonté de m’investir au niveau des enjeux européens, beaucoup d’entre eux ou d’entre elles ont été interloqués. Mais
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voilà, l’Europe, pour Strasbourg donc pour le Bas-Rhin, est un enjeu majeur et deux chiffres sont là pour éclairer tout le monde : l’Europe, ici, c’est 28 000 emplois et un apport de 800 millions d’euros chaque année. En Alsace, il n’y a pas un autre secteur économique aussi porteur. L’Europe est donc un enjeu majeur de développement pour nous et, à mon sens, on ne capitalise pas assez sur le statut de Strasbourg, capitale européenne. Je me suis étonné, par exemple, que le principe des séances pleinières de la nouvelle Région soient prévues à Metz. Si je souhaite qu’elles se tiennent à Strasbourg, ce n’est pas par
chauvinisme alsacien mais bien vis à vis de ce statut de capitale européenne qu’a Strasbourg et qu’il convient de sans cesse conforter et renforcer… Pour moi, c’est la locomotive du territoire. Certains ont donc pu s’étonner de cette volonté de contribuer aux enjeux européens de Strasbourg. Mais, pour moi, l’Europe c’est important. Quand on a été maire d’une commune située au pied du camp de concentration du Struthof, l’Europe a une valeur historique plus qu’essentielle. On oublie un peu trop vite que ce n’est pas un hasard si Strasbourg a hérité de ce statut-là… C’est d’ailleurs pourquoi, en ce qui me concerne, je souhaitais que la nouvelle Région adopte le nom de « Cœur d’Europe », une appellation qui donne envie et qui ait du sens : le cœur de la construction européenne est chez nous. Bon, manifestement, ce ne sera pas le nom retenu… Le fonctionnement du Département repose sur plus de 3 800 agents, c’est une énorme machine qui doit fonctionner avec un budget drastiquement en baisse depuis plusieurs exercices. Comment faites-vous pour résoudre la « quadrature du cercle » ? C’est évidemment ce chantier-là qui m’a le plus mobilisé et ce n’est pas fini. Mais avant de vous répondre, c’est aussi une des bonnes surprises que j’ai eues. Je parle de ces 3 800 agents et des 168 métiers qu’ils effectuent au service des bas-rhinois. Dès mon arrivée, j’ai souhaité les rencontrer. Alors, en plus des visites que je fais sur le territoire et qui permettent ces rencontres par petits groupes, chaque mois j’invite quelques-uns d’entre eux, qui sont tirés au sort, à prendre un petit-déjeuner avec moi. C’est fou la pêche que ça me donne et comme ça me booste car, généralement, la parole se libère, ils sont plein d’idées, ils sont sensibles à l’innovation, ils sont passionnés par les actions qu’ils mènent. Je voulais signifier cela parce que c’est formidable, à mes yeux. Maintenant, je reviens au problème du budget du Département. Je ne vais pas vous accabler sous les chiffres mais les baisses de dotation de l’Etat nous obligent à faire des montagnes d’économies pour continuer à assurer nos obligations, notamment sociales. 20 M€ cette année qui succèdent à 20 M€ l’année précédente, en plus des 10 M€ en 2014. Et ce sera une nouvelle fois 20 M€ l’année prochaine. Avant tout, c’est la Collectivité qui se serre la ceinture : nous avons économisé 7 M€ sur notre budget de fonctionnement. On traque tout et ça m’amène aussi, du coup, à réfléchir sur la rapidité et l’efficacité du changement. Un exemple : quand je suis arrivé à la présidence du département, j’ai appris qu’on envoyait toujours par courrier la fiche mensuelle de salaire à nos agents. J’ai calculé et je suis très vite arrivé à une somme annuelle de 30 000 €. Alors, j’ai réuni les directeurs de service et demandé à ce qu’on leur la remette en mains propres, avant de dématérialiser complètement le système à l’avenir via le numérique. Deux mois plus tard, rien n’avait avancé. On m’a parlé de tas de choses, de la nécessaire confidentialité etc, etc… J’ai été obligé de mettre la pression et là, on y arrive. Pour moi, avant de demander des efforts aux autres, il faut se les imposer à soi-même. Il nous a fallu réduire de 14 millions nos politiques publiques. 1,5% de ces baisses concernent les subventions aux associations : je sais que c’est très violent pour les personnes dévouées qui sont en charge et, souvent, très souvent même, ça me fait mal de devoir leur annoncer ça. Mais voilà, je n’ai pas le choix : je pense que chacun peut comprendre que si nous ne parvenons pas à trouver ces économies partout où ne le pouvons, le risque de faillite serait alors bien réel et ça, évidemment, personne ne peut le souhaiter, ça ne rendrait service à personne ! En plus de ce devoir d’optimiser le moindre euro, je suis obsédé aussi par l’idée d’être juste sur l’équilibre des territoires. On a souvent soupçonné le Département de privilégier les territoires ruraux au territoire urbain. J’ai réduit de 20% les budgets contrats de territoire et une part de ce budget économisé, je l’ai attribué au territoire métropolitain. Du coup, j’ai fait réaliser un audit très précis des aides du Département aux territoires. Je le communiquerai à Robert Hermann et Roland Ries dès qu’il sera finalisé… Je joue franc-jeu avec tout le monde : sacraliser les dépenses publiques, c’est aussi, à mon sens, regagner le respect des citoyens… Ces circonstances-là et votre volonté de traquer le moindre euro d’économie risquent cependant de vous rendre très impopulaire, non ? J’en suis conscient. Vous savez, je me suis penché sur les échecs de notre pays depuis des décennies et des décennies durant lesquelles tant la droite que la gauche ont occupé le pouvoir. Et j’ai réalisé que tous les présidents de la République qui se sont succédés ont tous été obsédés par leur réélection dès le premier jour de leur premier mandat. Très sincèrement, je ne suis pas et je ne serai jamais dans ce truc-là. Je ne serai pas non plus ni député ni sénateur. C’est extraordinaire, pour moi, d’être devenu le président du Conseil départemental. Alors je me suis dit : donne le meilleur de toi-même et tu verras bien. L’enjeu n’est sûrement pas une éventuelle réélection. Dans la vie, il y a tellement de choses à faire en matière d’engagement dans le domaine du social, qui et ma véritable passion.
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Un mot sur le meccano institutionnel résultant de la création des nouvelles régions. C’est d’actualité… En France, on croit toujours que c’est en faisant des révolutions qu’on règle les problèmes. Personnellement, je ne crois pas au nombrilisme territorial, je crois aux alliances et je suis même persuadé que ces alliances constituent la condition sine qua non pour réussir. Cette conjugaison des forces de chacun représente une énorme valeur ajoutée pour tous. Nous sommes sur cette voie-là avec le département du Haut-Rhin et nous y sommes aussi avec l’Eurométropole de Strasbourg et, dans ces deux cas, je note la réelle bonne volonté qui nous anime tous. J’attends de la Région qu’elle soit dans ce même état d’esprit. Je reconnais qu’en ce moment précis, c’est compliqué. La nouvelle structure régionale s’installe, son nouveau périmètre est complexe, je le mesure évidemment bien. A l’instar de toutes les autres en France, même avec la nouvelle donne, son budget est sans commune mesure avec celui du Bade-Wurtemberg voisin. Il n’y a pas photo ! C’est en rassemblant nos forces que nous pourrons réussir. La Région a un budget de 2,5 milliard d’euros, les 10 Départements près de 6 milliards : autant de moyens au service des politiques publiques et des habitants de nos territoires. Pour élargir le champ au niveau national, que pensez-vous de cette gigantesque défiance envers les hommes politiques qui a gagné ces dernières années le pays et qui se traduit désormais quasi en permanence dans les urnes ? Elle est une réalité et bien sûr le comportement de nous autres élus en est la cause. Ca me permet de faire un distingo entre l’immense majorité des élus, c’est à dire les maires et les conseillers municipaux, qui eux échappent fort légitimement à cette défiance généralisée. Il faut leur rendre un immense hommage et les mettre en lumière car, au quotidien, ils sont les partenaires de la République. Pour d’autres élus, il y a manifestement eu des problèmes
d’exemplarité, en effet. En ce qui me concerne, j’ai appliqué au Département des principes de simplicité, de sobriété et d’exemplarité. Je me les applique également à titre personnel. Mon mandat de président est le seul qui soit rémunéré par une indemnité. Les quelques autres présidences que j’assure, comme celle de l’agence économique par exemple, c’est du bénévolat. Mensuellement, je suis indemnisé à hauteur de 3 800 €. 3 800 € c’est bien payé, je ne me plains pas, encore que rapportée aux 80 heures de travail hebdomadaires, je ne suis pas loin du SMIC horaire ! Encore une fois, il faut s’appliquer certaines choses à soi-même avant de demander des efforts aux autres. Ce que je vis en ce moment, je le vis à fond, sans penser à plus tard. Quand ce mandat sera terminé, la seule question que je me poserai sera de savoir si j’ai réussi à faire avancer le « Schmilblick ». Si c’est le cas, je serai en profond accord avec moi-même et ce sera bien comme ça car j’ai toujours pensé qu’en Alsace, plus qu’ailleurs, le travail et le courage politique paient. Récemment, vous avez choisi votre favori pour la Primaire de novembre de votre famille politique. Ce sera Bruno Le Maire… J’ai dit aussi que je ne croyais pas à l’homme providentiel. Ce qui me plait chez lui, c’est son humilité. Il se dit sûr de son destin et ça, bien sûr, ça peut paraître manquer d’humilité. Mais quand on évoque un sujet avec lui, il sait écouter. Quad je lui parle du domaine qui est ma passion, le social, quand je lui explique que ma passion est aussi de trouver des solutions, je le sens très à l’écoute et il me dit qu’il a beaucoup à apprendre sur ces sujets et qu’il prendra le temps d’en parler longuement avec moi. Et bien, il a tenu parole, depuis… Je n’en connais pas beaucoup, des comme lui. Je sens que politiquement, il a du courage. C’est pourquoi je le soutiens. » ◊
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CULTURE
Django unchained !
Quatre à cinq personnes, au départ, pour porter le projet de reprise du Centre culturel Django Reinhardt. Et déjà des signes encourageants après le week-end de réouverture… /// TEXTE ET PHOTOS Charles Nouar
« Quatre à cinq potes, qui intervenaient chacun dans des champs culturels et artistiques différents et qui avaient pour certains déjà eu l’occasion de travailler ensemble », relate Pierre Chaput, nouveau directeur de la structure, sise au cœur du Neuhof. A ses côtés, Benoit Van Kote – programmateur artistique, Mourad Mabrouki – responsable de l’action culturelle, Eli Finberg - auteur, compositeur, interprète et membre de nombreux projets de musiques actuelles parmi lesquels Art District ou Blockstop, ou encore Julien Lafarge - fondateur et directeur du NL Contest, le Festival international des cultures urbaines de Strasbourg et également fondateur et directeur de notre confrère, le magazine Coze. Un média aux accents d’anomalie, presque, dans l’histoire de la nouvelle direction. Créer une pépinière culturelle Une étrangeté qui en a fait s’interroger beaucoup sur sa vocation à gérer ce lieu. « Oui, certains ont fait des raccourcis
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entre le magazine et le Django, mais c’est davantage le réseau Becoze qui est à l’initiative du projet de reprise, relève Pierre Chaput. Par exemple, moi, initialement, je venais de l’O.G.A.C.A., l’Organisme de Gestion des Associations Culturelles d’Alsace, une structure qui travaille dans l’accompagnement de projets artistiques et culturels, et qui m’avait précédemment amené à travailler avec Julien sur les questions d’emploi dans l’association. J’étais également proche de Benoît, l’ancien programmateur des Nuits européennes. Julien lui, connaissait Mourad, ancien chargé de médiation au Point d’Eau et je connaissais pour ma part encore Eli ». C’est comme cela que tout est parti. Nul média, donc au départ. « Lorsque je m’intéresse au projet, c’est au travers l’idée de créer une pépinière culturelle, sans que ne se pose encore la question d’un lieu ». C’est quand vient le besoin d’une structure juridique « qu’on se dit que cela ferait sens que Becoze porte ce projet ». Le projet ? En concertation avec les
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acteurs musiques actuelles, proposer d’autres solutions pour le développement et l’accompagnement des groupes locaux, participer à la création, « et donc permettre aux groupes d’accéder au Django comme lieu de travail », au travers, par exemple, de résidences de pré-production scénique ou de la mise en place d’une pépinière d’artistes. Les artistes au cœur du quartier Le fameux projet de départ, visant à offrir à quatre groupes ou artistes – pour commencer – la possibilité de travailler tant sur ses carences artistiques (jeu de scène, maîtrise des balances, des lumières, etc..) qu’entrepreneuriales (formation sur la recherche de financements, formation au booking, à la com’, ou travail sur la création et le développement de réseaux professionnels, par exemple). « Etre également vigilants à la dimension sociale » du lieu, interroger quant à son rôle sur le territoire du Neuhof, en permettant à des jeunes déscolarisés, précarisés – et avec le soutien des
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associations, de rencontrer des artistes, d’échanger autour de leurs parcours, ceci de manière à ce que ces jeunes aient en tête que des trajectoires difficiles n’envoient pas forcément dans le mur. En intégrant encore « des manifestations déjà existantes sur le quartier en y apportant notre petite pierre culturelle en y associant un groupe d’artistes ». En somme, au-delà de la simple diffusion artistique centrée sur les musiques du monde et actuelles, faire du Django un point de proximité, par sa programmation dédiée aux musiques du monde et actuelles, mais également en accompagnant la formation et l’émancipation tant des artistes que des habitants. Le pari est bien sûr encore loin d’être gagné, mais les habitants commencent à adhérer à mesure que la nouvelle équipe leur présente son projet. Premier signe encourageant, le week-end de réouverture, quelques semaines en amont : 800 personnes cumulées pour une jauge de 350 et, surtout, une mixité des publics : des officiels, des « bobos », bien sûr, mais aussi des gens du quartier qui n’y avaient jusque-là jamais mis les pieds. Signe, peut-être que le Django pourrait enfin briser les chaînes d’une certaine ségrégation culturelle et rassembler, au-delà des clichés… ◊
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EXPO
FIT TO PRINT
Juliette Etrivert, « Yoga vs Anxiety », 2012
Une question dans le sillage de l ’ expo : quelle est la place des f emmes dans l ’illustration ? /// TEXTE Véronique Leblanc PHOTOS DR - Musées de Strasbourg/Mathieu Bertola
On connaît la réputation de la Haute Ecole des Arts du Rhin (HEAR). On ignorait que sa réputation avait franchi l’Atlantique et interpelé Alexandra Zsigmond, directrice artistique de la rubrique « Opinion » du New York Times. Constatant, que de nombreux illustrateurs avec lesquels elle avait décidé de travailler avaient fait leurs études à Strasbourg, elle a contacté Guillaume Dégé, professeur à l’HEAR. Ils se sont rencontrés à New York et ont lancé plusieurs projets parmi lesquels celui d’une exposition au Musée Ungerer. 120 dessins au cimaises, tous publié entre 2011 et 2015. Juliette Etrivert, l’une des artistes exposées, répond à nos questions sur la place des femmes dans le domaine de l’illustration. Où sont les femmes ? La question a enflammé le Festival de BD d’Angoulême début février mais est-elle pertinente ?
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Sur les 17 illustrateurs exposés au Musée Ungerer, neuf appartiennent au sexe dit « faible ». Plus de la moitié des anciens étudiants strasbourgeois sélectionnés par le New York Times pour illustrer les colonnes de sa rubrique « Opinion » sont donc des étudiantes. Hasard ou nécessité ? « Dans les écoles d’art on trouve plus de filles que de garçons », confirme d’emblée Juliette Etrivert, mais, souligne-t-elle par ailleurs, « il y a plus d’hommes dans la profession. C’est bizarre ». « Plus d’homme aussi parmi les profs », précise par ailleurs Thérèse Willer, conservatrice du musée. « Ni mignon ni girly » Question de « style » ? « Non, répond Juliette, pour ma part je ne fais pas dans le « mignon », le « girly » et nous sommes plein d’autres filles à aimer « embêter le
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public ». Un dessin sert à poser une multitude de questions, il peut être pris à des degrés différents. Il ne sert pas à dire « je pense ça, prosternez-vous devant mon avis. » Alors, pourquoi les femmes ont-elles plus de mal que les hommes à faire leur chemin dans la BD (même si cela change un peu…), la publicité ou le dessin de presse ? « Peut-être parce que les grands éditeurs classent encore les choses par styles et par tranches d’âges », répond Juliette en regrettant que l’illustration « jeunesse » soit « peut-être un peu plus féminine ». « Comme s’il s’agissait encore d’un stéréotype maternel et sensible… » De manière générale, la sélection du New York Times a surpris Juliette et Thérèse dans le bon sens. « Parce qu’il y a beaucoup de femmes, de styles et de nationalités représentées. » « Car il ne faut pas oublier qu’à Angoulême, il a aussi fallu des polémiques pour que le festival accueille des artistes asiatiques » rappellentelles. ◊ /// « Fit to Print » en collaboration avec la HEAR Jusqu’au 10 avril au musée Tomi Ungerer Centre international de l’illustration 2 avenue de la Marseillaise Tél : 03 68 98 51 53 www.musees.strasbourg.eu
Marion Fayolle, « La Conscience de soi », 2013
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ACTUALITÉ
MONNAIE LOCALE ALTERNATIVE
Le Stück
six mois après...
Lancé spectaculairement avec la présence de Pierre Rabhi au début de l’automne dernier, la monnaie locale strasbourgeoise s’enracine doucement mais sûrement dans le paysage local. En tout cas, ses initiateurs sont plutôt satisfaits de ses débuts… /// TEXTE Alain Ancian PHOTOS Mediapresse – dr
créé en 2011, l’Eusko dont le nom trahit l’implantation dans le Pays Basque, créé en 2013, et le Galleco breton, présent en Ille-et-Villaine depuis 2013 également. Le fonctionnement du Stück peut se comparer à celui d’un ticket restaurant. L’euro peut être changé en Stück, mais pas l’inverse. Pour un paiement en euro, la monnaie peut être rendue en Stück. Mais pour un paiement en Stück, la monnaie ne peut pas être rendue en euro.
Cécile Favé est une vraie passionnée et son enthousiasme fait plaisir à voir. Membre du cercle de pilotage du Stück (au titre de représentante de l’association locale Colibris) elle compte parmi les initiateurs du projet qui a donné naissance à la monnaie locale strasbourgeoise. Dès qu’on évoque le bilan des six premiers mois d’existence du Stück, cette jeune femme de 34 ans affiche une certaine satisfaction : « Nous avons dépassé les mille adhérents utilisateurs de la monnaie et ils font circuler le Stück parmi une centaine de professionnels qui les acceptent. Je dois reconnaître que nous sommes plutôt contents de ces six premiers mois, ce bilan est plus qu’encourageant » estime-t-elle.
Cécile Favé
Mode d’emploi Le Stück strasbourgeois, de par ses performances, a donc rejoint les « stars » des monnaies locales alternatives françaises : Le Sol-Violette toulousain,
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Sept « bureaux de change » vous permettent de repartir avec votre monnaie locale. A Strasbourg, le Crédit Municipal et les magasins BioCoop concentrent cette activité (l’association gestionnaire prospecte intensément pour que d’autres lieux, dans les quartiers, complètent ce dispositif sur la territoire de la ville). On trouve d’autres lieux d’échanges à Barr, Molsheim, Sélestat, Shiltigheim et Bischheim. Cronenbourg mais aussi Haguenau et Saverne qui sont actuellement ciblés par les gestionnaires.
« On n’imaginait pas que ça irait aussi vite, et on a d’ores et déjà une liste d’attente de professionnels qui veulent entrer dans le réseau… » sourit Cécile Favé, qui précise également que « chaque nouvel entrant professionnel doit être agréé par le comité prévu à cet effet. » A quoi ça sert ? Pour leurs initiateurs, les monnaies locales alternatives françaises sont avant tout un outil permettant de développer rapidement et efficacement le consommer local et les circuits courts, loin des systèmes de distribution traditionnels qui, à leurs yeux, sont avant tout des machines dédiées à la spéculation. De fait, avec son rayon d’action de 50 kilomètres autour de Strasbourg, et la nature même des commerçants et autres professionnels qui l’acceptent, le Stück capte naturellement sa part des flux financiers sur le seul territoire local et ne bénéficie qu’à ses utilisateurs et ceux qui l’acceptent. « Quand on me demande : ça me rapporte quoi ? » précise Cécile Favé, « je réponds qu’on adhère ainsi à une communauté de personnes qui partagent les mêmes valeurs et qui, du coup, participent à cette expérience de gouvernance partagée ». Bien entendu, personne ne songe à s’endormir sur ses lauriers en aussi bon chemin. Cécile est claire sur les échéances à venir : consolider le modèle économique et la petite équipe, autour des bénévoles, qui œuvre au quotidien (deux salariés à temps partiel –une coordinatrice et un chargé du développement du réseau professionnel- et deux volontaires du service civique). Comme en toute chose, l’autofinancement est en ligne de mire : « Pour cela, il nous faudra atteindre 4 000 usagers et 800 professionnels acceptant la monnaie et tout cela, sans jamais céder quoique ce soit sur les critères éthiques qui nous animent » conclut Cécile. ◊ /// www.lestuck.eu BioCoop 6 rue de Sébastopol - Strasbourg Crédit Municipal 6 rue d’Ingwiller - Strasbourg
SOUTIEN
Cafés Culture
La Région Alsace (nouvellement devenue Région Alsace Lorraine Champagne-Ardenne nom provisoire) a adhéré en 2015 à ce dispositif fort utile pour le développement de l’emploi artistique dans les cafés, hôtels et restaurants. /// TEXTE Benjamin Thomas PHOTOS DR
Cafés Culture est un fonds d’aide qui soutient l’emploi de tous les artistes du spectacle vivant.
Une aide à l’emploi applicable sur la masse salariale L’aide à l’emploi artistique correspond à la prise en charge de 26% à 65% de la masse salariale, selon le nombre d’artistes salariés, sur la base du cachet minimum brut indiqué par la Convention Collective Nationale du Spectacle Vivant Privé.
Les bénéficiaires sont les cafés, hôtels et restaurants qui sont obligatoirement employeurs des artistes et techniciens. Tous les salariés doivent être déclarés auprès du GUSO (le guichet unique du spectacle occasionnel mis en œuvre par Pôle Emploi - www.guso.fr) et leurs rémunérations doivent respecter le minimum de 103,04 € brut (en vigueur actuellement) indiqué par la Convention Collective Nationale du Spectacle Vivant Privé.
À partir de trois artistes salariés, le salariat d’un technicien peut être pris en compte, sur la même base de calcul que pour les artistes. Pour la Région, adhérer au GIP Cafés Cultures, c’est permettre à tous d’accéder à la richesse de l’offre culturelle des artistes alsaciens, près de chez soi, à faible coût, dans une proximité propice à l’échange avec les artistes et les autres spectateurs. Les Cafés Cultures complètent ainsi les autres soutiens au spectacle vivant que la Région propose, à travers ses aides aux théâtres, aux festivals, aux scènes de musiques actuelles et aux équipes artistiques. ◊
Les bénéficiaires doivent remplir les critères suivants : - être détenteur d’une licence de débit de boisson ou restaurant - être un Établissement Recevant du Public (ERP) de type N catégorie 5 (jauge inférieure à 200 places) - être détenteur de la licence de 1ère d’entrepreneurs de spectacles (au-delà de 6 représentations annuelles).
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PORT FOLIO Sung-eun KIM
Installée à Strasbourg depuis vingt ans, cette photographe d’origine coréenne s’interroge sur « les notions de mémoire, d’absence d’identité qui se trouvent souvent mélangées entre mémoire éveillée et souvenirs enfouis ». Influencée par les photographes Francesca Woodman, Andrés Kertesz, Corinne Mercadier et Rinko Kawauchi, elle est membre du collectif strasbourgeois « Stammtisch » dont les œuvres sont actuellement visibles à l’agence strasbourgeoise de la banque Barclays, 10 place Kléber jusqu’au 18 avril prochain. ◊ eunkifrkr@hotmail.com
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ORNORME STRASBOURG 11 Boulevard de l’Europe 67300 Schiltigheim CONTACT josy@mediapresse-strasbourg.fr DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Josy Falconieri josy@mediapresse-strasbourg.fr DIRECTEUR DE LA RÉDACTION Jean-Luc Fournier jlf@mediapresse-strasbourg.fr RÉDACTION Alain Ancian Erika Chelly Jean-Luc Fournier Véronique Leblanc Charles Nouar Benjamin Thomas GRAPHISME Julie juliefournier.designer@gmail.com
BULLETIN D’ABONNEMENT À renvoyer soigneusement rempli, accompagné de votre chèque, à : MÉDIAPRESSE STRASBOURG ABONNEMENT OR NORME STRASBOURG 3 rue du Travail 67000 Strasbourg
CORRECTRICE Valérie Bisson IMPRESSION AZ IMPRIMERIE - Mulhouse contact@azimprimerie.fr DISTRIBUTION Impact Media Pub info@impactmediapub.com PUBLICITÉ MEDIARUN 3 rue Herder - 67000 Strasbourg christophe@mediarun.fr et au support : josy@mediapresse-strasbourg.fr
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@ Chèque joint de 20 euros à l’ordre de MÉDIAPRESSE STRASBOURG, correspondant aux frais de conditionnement et d’envoi de 4 numéros d’OR NORME Strasbourg (à compter de la date de réception du bulletin).
TIRAGE 15 000 exemplaires Tous déposés dans les lieux de passage de l’agglomération (liste des points de dépôt sur demande). Dépôt légal : AVRIL 2016. ISSN 2272-9461 magazine.ornorme.strasbourg
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