OR NORME STRASBOURG / L’INFORMATION AUTREMENT
numéro 21 / juin 2016
ILS OSENT !
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e di to PAR JEAN-LUC FOURNIER
/// Un autre logiciel de pensée Tous les deux ans, nous préparons avec jubilation le numéro de juin de Or Norme car il est consacré à une série de portraits de celles et ceux qui osent, inventent et innovent au quotidien dans notre ville et sa région. Nos critères n’ont pas varié : ils ne sont pas obsédés par leur image publique, ils ne squattent ni les réseaux sociaux ni les autres vecteurs traditionnels d’information. Le « moi je », véritable calamité des « temps modernes », leur est strictement inconnu (d’ailleurs, pour certains, il a même fallu les convaincre de l’intérêt de répondre à notre sollicitation). Ce détachement vis à vis du vernis égocentrique leur a permis en général de mener à bien leur projet, sans diverger des axes qu’ils s’étaient fixés au départ de leur aventure. Nous vous présentons donc ces vrais entrepreneurs. Ils ont tous un point commun : l’audace. Ils ont laissé de côté les jérémiades et ont osé prendre leur destin en main. Un autre élément de profil a émergé depuis la dernière parution de ce thème il y a deux ans : pour certains quadragénaires (voire quinqua…) que nous avons rencontrés, un immense ras-le-bol de ces systèmes où l’humain n’est qu’une variable d’ajustement parmi d’autres a été directement à l’origine de leur projet. En même temps qu’ils se sont lancés dans l’aventure de la création, ils ont marché sur le chemin d’un plus bel épanouissement, loin des broyages en série du management impitoyable et aveugle que certains préconisent et appliquent encore. Quelque chose est en train de bouger en profondeur, bien loin des points de fixation des textes législatifs qui crispent la société et bloquent l’activité quotidienne dans nombre de secteurs et pas seulement l’économie.
Ce quelque chose-là, on ne le distingue pas encore bien tant l’écume de la vague brouille encore la vue. Individuellement, au plus en très petits groupes, beaucoup semblent avoir compris qu’il n’y a plus grand chose à attendre des « grands machins » et qu’il s’agit donc bel et bien de se créer un autre logiciel de pensée, loin des boîtes bien formatées où d’aucuns rêvent encore de nous voir confinés… C’est en cela que des initiatives comme Nuit debout ou encore #MaVoix méritent d’être examinées. Loin des exégèses ou des caricatures, elles préfigurent sans doute des changements à venir, pour l’heure à peine émergents, mais qui vont impacter durablement les temps à venir. Il y a tout ça derrière les hommes et les femmes qui racontent leur aventure dans ce numéro de Or Norme… Mais nous parlons aussi de l’Alsace au sein du Grand Est dans un entretien avec Philippe Richert, d’une licence d’histoire et civilisation des mondes musulmans à l’Université de Strasbourg, de Nuit Debout, #MaVoix et nous vous incitons même à visiter la merveilleuse Toscane l’automne prochain... Nous vous souhaitons une belle lecture, à vous qui êtes de plus en plus nombreux à nous faire savoir tout le plaisir que vous éprouvez à nous retrouver chaque trimestre. Rendez-vous donc à la rentrée de septembre, après un été que nous vous souhaitons le plus paisible et ressourçant possible. D’ici là, plus que jamais, restez Or Norme ! ◊
SOMMAIRE
J U IN 2016 ORNORME 21
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I LS O SEN T !
40 - ENTRETIEN PHILIPPE RICHERT 44 - JEAN HANSMAENNEL 46 - NUIT DEBOUT 50 - #MAVOIX 52 - HISTOIRE ET CIVILISATION DES MONDES MUSULMANS 56 - FESTIVAL OFF AVIGNON
58 - VOYAGE
L A TOSCANE 6 - PAUL ADAM 8 - STÉPHANE VETTER 10 - PHILIPPE STUDER 12 - CÉLIA BRECHENMACHER
& MAXIME MARTIN 14 - SANDRA FLORY 16 - CLAUDE RIBEIRO 18 - RAPHAËL BLOCH & AURÉLIEN BÉNOILID 20 - JEAN-LUC FABRIARD 24 - MANUEL YGUEL - YANNICK JOST JOHAN BONASSI - JOEL ROESSNER 26 - JEAN-BAPTISTE SCHMIDER 28 - THOMAS GIBERT & BENJAMIN LESTRAT 30 - LUCAS ADLER 32 - SERGIO LOPEZ 34 - CÉLINE CAMPETTO & EMMANUEL MOUILLON 36 - CLÉMENT GREMILLET & MAXIMILIEN KOEGLER 38 - ALEXANDRE FELTZ
80 - PORTFOLIO LUCAS ADLER
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ILS OSENT ! PAUL ADAM ST ÉPHANE V ET T ER PHILIPPE STUDER CÉLIA BRECHENMACHER & MAXIME MARTIN SANDR A FLO RY CLAUDE R I B EI RO R APHAËL B LO CH & AUR ÉLI EN B ÉNOIL I D JEAN- LUC FAB R I ARD M anuel Yguel & Yannic k J ost JO HAN B O NASSI & JO EL R O ESSN ER JEAN- BAPT I ST E SCHM I D ER T HO M AS GI B ERT & B ENJAM I N LEST RAT LUCAS ADLER SERGIO LOPEZ CÉLI NE CAM PET TO & EM M ANUEL M O UI LLO N Clément Gremillet & Maximilien Koegler ALEXANDRE FELTZ
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PAUL ADAM
« U n autre modèle est possible » Une force de persuasion redoutablement efficace, le talent et le flair pour les affaires, de solides convictions et des valeurs dont l’origine remontent loin mais aussi un humaniste, un épicurien amoureux de Rimbaud et de Gainsbourg… Difficile de résumer la rencontre avec cet homme formidablement de son temps, prêt à relever les défis les plus impossibles. Lisez plutôt… /// TEXTE JEAN-LUC FOURNIER PHOTOS MÉDIAPRESSE-DR
C’est d’abord un petit livre - je veux dire un livre pas très épais, parce qu’en fait c’est un grand et bon livre - qui est arrivé à la rédaction au début de l’hiver dernier. Signé par Paul Adam, un chef d’entreprise bien connu, co-fondateur de l’agence de communication Maetva et président d’une très belle boîte, leader en Data marketing - ultimes étapes d’un exceptionnel parcours professionnel depuis plus de trente ans. Le titre de l’ouvrage nous a tout de suite interpellés : « J’ai rêvé d’un commerce plus raisonnable, mon arrière-arrière grand-père l’a fait. » Et elle est belle et remarquable cette lettre que Paul Adam adresse à son lointain aïeul dont le portrait, réalisé au milieu du XIXème siècle, prouve incontestablement dès les premières pages la parenté avec son actuel arrière-arrière petit-fils. En moins de soixante pages donc, Paul Adam revisite l’histoire de l’épicerie familiale de Ingersheim, près de Colmar, achetée en 1862, transmise de père en fils depuis (à l’exception notable du dernier, Paul, justement…) et qui aura tenu jusqu’en 1988 soit plus de 120 ans tout de même, avant de céder sous les coups de boutoir des grandes surfaces. Mais Paul Adam n’oublie pas également de rendre hommage à trois hommes totalement inconnus de son ancêtre au moment où celuici quittait sa ferme natale de Nordheim pour devenir l’épicier de Ingersheim. Les deux premiers, anglais de Manchester, ont fondé en 1844 un mouvement « Les Pionniers équitables », la toute première « coopérative de consommateurs basée sur l’association humaine et la mutualisation ». Trois ans plus tard, en Allemagne, FrédéricGuillaume Raiffeisen construisait le premier fournil coopératif et inventait le principe de la caution mutuelle qui devait ouvrir toute grande la porte pour la création des caisses de Crédit Mutuel en 1882 et, en 1902, d’une certaine (prenez votre souffle…) Konsumervereinsfür-Strassburg-und-Umgegend, autrement dit la Société Coopérative de Consommation de Strasbourg et Environ. A bout de souffle, les Alsaciens traduisirent rapidement : la Coopé, la Coop… Le retour aux origines On sait tout de la fameuse Coop, aussi imbriquée dans l’album d’images d’Epinal alsaciennes que la choucroute, la cigogne, le Racing et les winstub. On sait moins que, survivant au marasme des dernières décennies et aux lamentables ultimes épisodes pilotés par les enseignes de la grande distribution qui avaient flairé l’odeur du sang, quelques magasins restent encore fièrement debout, sous l’enseigne « La nouvelle Coop », une nouvelle société dont le seul actionnaire est… Paul Adam.
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Humaniste et épicurien
La nouvelle Coop de la Robertsau
« Depuis plus d’un an maintenant, j’ai repris dix-sept anciens salariés de l’ex-Coop pour pouvoir maintenir quatre magasins à la Robertsau, Ernolsheim-sur-Bruche, Diebolsheim et Benfeld » raconte Paul. « Le choix qui a été opéré depuis l’été dernier est d’écarter sans ménagement tous les produits de l’industrie agro-alimentaire mondialisée - les Nestlé, Coca-Cola et autres…- pour les remplacer par des produits locaux. Notre magasin de la Robertsau est devenu notre établissement-pilote, avec son agencement novateur. J’ai décidé cela parce que je suis bien conscient que la consommation actuelle atteint un stade dangereusement malsain : pour ce qu’on appelle encore la grande distribution, seuls le prix semble compter, ce qui veut dire que le consommateur, qui n’a pas forcément les codes pour changer intelligemment son alimentation, ne se fie qu’au prix affiché et claironné. La grande surface est devenue une machine à vendre toujours plus, rien d’autre. Je sais de quoi je parle, le marketing raisonnable, c’est mon métier. Au final, c’est le consommateur qui n’est plus libre de ses choix… » Et si ça rate ? Un an plus tard, Paul reste encore surpris par le côté social délicat dont il lui faut tenir compte concernant un personnel encore imprégné de son ancien « statut » : « depuis un an, j’ai dû faire face à plus de congés maladie qu’en douze ans avec ma société, sur ce point-là, je ne suis toujours pas descendu du Golgotha, je suis encore sur ma croix… » dit-il souriant, mais un peu décontenancé. « Et il s’avère aujourd’hui qu’il me faut envisager le futur des deux magasins de Benfeld et Diebolsheim où la clientèle n’est pas encore prête aujourd’hui pour le partipris de notre offre. En revanche, la Robertsau et Ernolsheim, dans le Kochersberg, représentent l’avenir, très certainement. Il va falloir que je m’appuie sur des partenaires car il existe une très forte demande pour le bio local et c‘est dans ces deux magasins-là qu’elle va s’opérer. J’y travaille au quotidien, désormais. Il y a un an, j’ai repris seul les parts de la société, racheté les fonds auprès du liquidateur, j’ai financé les travaux et bien sûr les pertes du début d’exploitation. Toujours seul au niveau du capital. Si ce challenge rate, cet argent-là aura quand même été consacré à une bonne cause. C’est toujours mieux que de l’avoir investi dans un beau bateau ancré à Saint-Trop, parce que c’est quand même ça l’ordre de grandeur … » conclut Paul fermement.
On poursuivra bien plus longtemps que nécessaire la conversation, juste parce qu’elle était exceptionnellement agréable. Pour découvrir un peu plus cet étonnant humaniste qui a déjà réglé le choix de l’épitaphe qui figurera sur sa tombe, le plus tard possible, bien sûr : « Soyez heureux comme je l’ai été car vous ne risquerez rien d’autre que ce qui vient de m’arriver. » Un humaniste doublé d’un formidable épicurien qui égrène ses crédos : « Qu’est-ce qu’un bon vivant ? Un, il est conscient qu’il est vivant ! Deux : il relativise toujours : un récent séjour en Inde m’a confronté à des gens qui n’ont rien ou si peu et qui sont heureux. Le point trois me concerne moi et moi seul j’ai envie de prouver que c’est la fin du cycle de la grande distribution, qu’il est en train d’entamer sa décroissance et que là est la clé d’une politique nouvelle que j’appelle de mes vœux. Ceux qui basent tout sur la croissance sont dans l’erreur la plus complète. Un autre modèle de consommation, donc de vie, donc de bonheur est tout à fait possible. Je sais que je peux apporter quelque chose dans cette construction-là… » Etonnant et attachant personnage qui, de son propre aveu, « sait désormais perdre son temps » pour écouter, partager, convaincre et qui le fait si bien. Ce grand spécialiste de Rimbaud dont il peut citer de tête des centaines de vers et de Serge Gainsbourg agrémente ses mails personnels d’une citation de Bertrand Picard, à propos de son avant-gardiste Solar Impulse : « Toutes les grandes choses qui se sont faites dans l’histoire ont été faites en sortant de la procédure de confort, en sortant de la manière habituelle de penser et de fonctionner. Si on reste toujours dans ce qu’on connait et de ce qu’on maîtrise… eh bien, on ne crée pas ! » Voilà, tout est dit… ◊ /// WWW.NOUVELLECOOP.ALSACE
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STÉPHANE VETTER « Je marche enfin sur un chemin qui me pla ît. .. »
« Là-bas, faut du cœur, faut du courage… » chantait Jean-Jacques Goldmann. Pour Stéphane Vetter, tout juste quarante ans, « là-bas » ce sont les ports de la mer du Nord où les chalutiers rapatrient chaque jour leur cargaison de poissons. Ce sont eux qui alimentent ses étals sur les marchés strasbourgeois et, depuis peu, son beau « corner » tout neuf chez le traîteur Kirn, rue du 22 novembre au cœur de Strasbourg. /// TEXTE Benjamin Thomas PHOTOS Mediapresse
« Depuis tout petit, je voulais devenir un entrepreneur. Mais je n’avais jamais osé. Ce n’était jamais le moment… » raconte Stéphane, avec ses yeux clairs plein de malice. Alors, comme beaucoup, il lui a fallu amasser les expériences jusqu’à ce que « ce soit le moment », justement… Ado et même plus tard, je bricolais les mobylettes chez les copains. Je ne vois que cette faible expérience pour expliquer pourquoi je me suis retrouvé à passer, avec succès, un bac Pro de mécanique bateau en Bretagne ! Faut dire que c’était la dernière école qui m’avait accepté. Làbas, j’ai au moins découvert la mer et ses produits. Evidemment, il y a vingt ans, j’étais loin de me douter que ça finirait par me servir… » Le déclic Réalisant sans doute que son bac Pro ne lui servirait pas à grand chose en Alsace,
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pour aider un commerçant qui vendait de la confection homme et femme et avec qui j’avais fini par devenir ami. Ça m’avait bien plu, l’ambiance, le client qui vient vers toi, je connaissais tout le monde, c’étaient mes amis du marché… Et comme j’étais un bon vendeur, je me suis dit qu’il fallait peut-être creuser de ce côté-là... » Saisir l’opportunité et travailler comme un fou Stéphane est repassé par la case études et a décroché un BTS action commerciale. Et il a accumulé les expériences professionnelles dans plusieurs sociétés. Mais l’éducation familiale reçue, l’amour de la terre, de la campagne, des bons produits ont ressurgi. « Ces racines-là, je les ai toujours cultivées et considérées comme un cadeau et ce fut le déclic qu’il me fallait, sans doute. J’ai décidé de changer complètement de logiciel de pensée. Je me suis souvenu que j’avais fait quelques dépannages sur les marchés
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« Un poissonnier m’a alors proposé de l’aider le samedi matin, avant même que je quitte mon dernier job de commercial. Le poisson pourrait en rebuter beaucoup mais pas moi : quand ce poissonnier m’a proposé de lui succéder sur les marchés, j’ai saisi l’opportunité, je me suis lancé à fond là-dedans et j’ai bossé, beaucoup bossé… » Saisir l’opportunité, se lancer à fond… Ce n’étaient pas que des mots. Comme beaucoup, Stéphane aurait pu tout miser
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sur Rungis. « Pas question » dit-il « j’ai voulu être au contact des pêcheurs et des mareyeurs. Alors, chaque début de semaine, même en plein hiver, je suis parti pour Dieppe et, après six heures de route, dans le meilleur des cas, j’étais parmi ces familles qui vendaient à la criée après le retour du bateau. Ça, c’est le vrai milieu du poisson, j’étais ainsi au plus près de la vérité de ce métier. Ca a duré plus d’un an. Chaque semaine, chaque lundi, j’étais à 4h du matin sur le port, j’achetais mon poisson et je rentrais le mardi en Alsace. J’ai aligné plus de 100 000 km en un an ! Et, chaque mercredi matin, debout à 4h30 encore, j’étais sur le marché de la place Broglie, et ensuite, dans la semaine, sur le marché de Colmar ». Ainsi est née La ligne sauvage qui encourage la pêche traditionnelle et respectueuse, par de vrais artisans et de petits pêcheurs et propose des poissons de première fraîcheur, acheminés plus rapidement que chez la plupart des poissonniers. Evidemment, le poisson d’élevage et ses pratiques délétères sont bannis et tous les poissons sont entiers et préparés sur place. Des conseils et des recettes sont ainsi donnés pour plus de plaisir dans l’assiette. Avec le plaisir de la redécouverte de certaines espèces, moins communes que les sempiternels cabillaud ou saumon…
Le chemin Bien conscient d’œuvrer sur un marché difficile (« les marges sont petites car la ressource est chère » dit-il), Stéphane sait aussi qu’il a une belle carte à jouer tant les poissonniers sont rares en Alsace (une seule poissonnerie au centre-ville de Strasbourg…). Mais il s’accroche et il sait pourquoi : « La vie dans ce métier est difficile mais au moins tu vis pour toi et ta passion. Que ce soit en matière de créativité ou de développement d’une entreprise, les seules limites sont les tiennes, et aussi, quand même, celles que le marché t’impose. Mais je m’éclate bien car, enfin, je marche sur un chemin qui me plaît… » Et, quand on marche sur « son » chemin, on ne doute jamais longtemps tant certaines rencontres sont forcément belles. Stéphane vient d’ouvrir un corner « La ligne sauvage » au sein même du bel espace que le traîteur Kirn exploite rue du 22 novembre à Strasbourg. « Une demande de Philippe Kirn en personne » se réjouit-il. Dans ce vaste espace dédié aux produits haut de gamme, Stéphane côtoie de près les bouchers et charcutiers : « Il y a un respect inné et total entre nous » ditil, « entre pros des métiers de bouche, nous connaissons les difficultés de nos métiers et nous nous estimons tous… » Derrière son étal, fièrement vêtu de son pull de marin à rayures, Stéphane Vetter rayonne littéralement. Sur son chemin, enfin… ◊ /// LA LIGNE SAUVAGE
Chez KIRN Traîteur 19 rue du 22 Novembre à Strasbourg (du lundi au samedi) Au marché Broglie (les merdredi et vendredi) 06 69 45 03 33
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PHILIPPE STUDER
Quand l’ entreprise et l ’ê tre humain se réconcilient... Une salle Zen où chacun peut se rendre à tout moment, au gré de son besoin ou de son envie, une fois par semaine une masseuse et un professeur de yoga pour la relaxation… Un hôtel-détente comme il y en a tant ? Non, nous sommes avenue de Colmar à la Meinau, au siège d’une entreprise. Vraiment pas comme les autres… /// TEXTE Jean-Luc Fournier PHOTOS Mediapresse - DR
ED Institut, le plus important des cabinets d’études de l’Est de la France. 1,6 M€ de chiffre d’affaires. Dix salariés à son siège de Strasbourg, à deux pas du stade de la Meinau et trois autres dans une petite filiale parisienne spécialisée dans les études via les réseaux sociaux. Philippe Studer a co-fondé l’entreprise « avec deux copains de promo » il y a trente ans et, très vite, ED Institut a pris de l’ampleur, devenant même une référence hors Paris, là où se concentrent depuis toujours les grands groupes œuvrant dans le domaine des études marketing et commerciales. La crise salvatrice « Pendant plus de vingt ans, nous avons tous beaucoup travaillé. Les études s’enchaînaient, le rythme était intense, le tout sur fond de croissance à deux chiffres pour une entreprise comme la nôtre qui œuvrait sur un marché alors très porteur. Nous avions en fait en permanence la tête dans le guidon… » Puis arriva la violente crise financière de 2008 qui bouleversa la donne : « Nous nous sommes retrouvés un peu à bout de souffle en même temps que le marché se compliquait diablement » se souvient Philippe. « La fidélité de certains de nos clients est devenue aléatoire en même temps que celle de trois de nos 12
collaborateurs qui nous ont quittés. Du jamais vu depuis 23 ans… Notre premier réflexe à tous a été de retrousser nos manches et d’en faire encore plus. C’est en constatant ça que je me suis dit qu’il fallait que je prenne du recul pour trouver des solutions à tout ça. Au fond de moi, il y avait ce pressentiment qu’il fallait ralentir la machine infernale, agir et travailler autrement. Que c’était vital, pour moi et sans doute aussi pour la société… » Un tour du monde en famille Une grande décision s’est alors imposée : rompre de façon radicale avec le quotidien. « Ce break que j’ai décidé correspondait à un besoin absolument impératif. Celui de se reconnecter à la terre, à la spiritualité, retrouver du sens. Avec Fouzia, mon épouse, l’idée de faire un tour du monde d’un an avec nos deux enfants, alors âgés de sept et neuf ans, s’est vite imposée. On s’est dit qu’aller à la rencontre des peuples-racines, les peuples premiers, était un beau fil rouge. Fouzia a pris une année sabbatique, on a réuni 25 kg de livres pour que les enfants continuent à recevoir un enseignement normal, et on est parti avec nos quatre billets open pour le retour… » Sauf cas extrême de force majeure, la consigne laissée chez ED Institut était simple :
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« Aucun contact avec le boss ». Un voyage ressourçant et d’une richesse humaine fabuleuse s’en est suivi, emmenant la famille chez les indiens mayas du Mexique et du Guatemala, au Chili, à l’île de Pâques, en Argentine jusqu’aux Parc des Glaciers, en Afrique du Sud, à Madagascar, au Sri-Lanka, en Malaisie, à Bornéo, au Laos, en Chine, pour finir, émerveillés, au royaume du Mustang, ce petit morceau du Tibet au Népal, longtemps interdit aux étrangers… « A mon retour à Strasbourg, en 2009, j’étais plus que déterminé pour que rien ne puisse continuer comme avant… » raconte Philippe. Lâcher prise Avec la conviction profonde que l’humain ne doit pas « être le facteur d’ajustement de l’économique », Philippe Studer propose un choix très clair à ses équipes. Soit il s’en va, soit ils réfléchissent ensemble pour que tous retrouvent du confort au travail et que la notion même de travailler devienne synonyme de plaisir. « On a pris des décisions drastiques » se souvient Philippe. « On a constaté que 20% de nos clients généraient 80% de nos gros tracas. On s’en est séparé, radicalement. Ca simplifie déjà beaucoup la vie… Tout ce qui ne possédait pas de valeur ajoutée, on l’a externalisé. On
a décidé que le temps passé à la production des études devait baisser lui aussi drastiquement et rapidement. Ainsi, on a institutionnalisé en quelque sorte le lâcher prise, puis on a mis en place une salle Zen : chaque collaborateur y va quand il en a envie. On s’y retrouve aussi tous ensemble, pieds nus, dès qu’on doit prendre une décision importante. La parole y circule formidablement bien, d’autres sens entrent en compte et l’harmonie est souvent là… » constate-t-il. Une fois par semaine, une masseuse et un professeur de yoga y sont à la disposition des salariés.
Sandrine (massage) et Greg (Yoga) sont présents chaque mercredi après-midi au sein de l’entreprise
Il invente les « micro-rêves »… Fort de ces nouveaux acquis et du constat assez rapide que l’entreprise n’en fonctionnait que mieux, Philippe Studer ne s’est pas arrêté en si bon chemin. Une autre initiative est venue encore plus souder les salariés et l’entreprise. « On a imaginé les micro-rêves. Le postulat est simple : l’entreprise peut aider chacun à réaliser un rêve personnel. C’est une salariée de notre bureau de Dijon qui, la première, a bénéficié de ce dispositif : Elise voulait rejouer du piano. On lui a acheté et installé un piano. Un autre salarié, Romain, rêvait de connaître l’atmosphère de la salle des ventes de Drouot. On a profité d’un salon professionnel de deux jours à Paris. L’entreprise lui a permis de rester un troisième jour pour qu’il réalise son micro-rêve. Depuis, des cours de mime, de vannerie ont été montés…» Et Philippe lui-même va bientôt réaliser son propre micro-rêve : suivre une formation de slackline, la version moderne du funambulisme mais sur une sangle très élastique qui favorise des figures incroyables à bas de rebonds. Chez ED Institut, la vie au travail a donc radicalement changé pour tous. « Aujourd’hui, le chef d’entreprise que je suis resté est devenu un véritable « porteur d’eau » pour ses salariés. Finie la hiérarchie classique : « Vous avez besoin de moi, dites-le moi, je suis là… » est le maîtremot. Le collectif et vivre le moment présent ont pris le pas sur l’individualisme. La MAIF, au niveau national, et d’autres sociétés alsaciennes réfléchissent pour se lancer sur un chemin comparable. On me demande de partout pour intervenir lors de conférences. Les entreprises essaient d’apporter de la qualité de vie au travail mais pour beaucoup, c’est malheureusement du vernis. Il y a urgence, cependant : on estime à trois millions le nombre de burnout qui seraient en cours, et la statistique augmente en raison du harcèlement moral qui se développe, comme par exemple ces gens qu’on isole complètement sur des voies de garage et qui ne s’en remettent pas. Pourtant, un autre monde est possible, pour l’entreprise comme pour la société en général… » conclut Philippe Studer, résolument atypique. Merveilleusement atypique… ◊ /// WWW.MICRO-REVES.FR
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CÉ LI A BR ECH E N MACHER ET M AX I M E M ARTI N
Leur « Caillou » a séduit Strasbour g
Tout près du débouché de la Grand’Rue en direction de la place Gutenberg, voilà un restaurant qui, depuis presque deux ans, ne cesse de générer la meilleure publicité qui soit : le bouche-à-oreille. A juste titre tant la cuisine du sud est tous les jours à l’honneur, avec la convivialité innée dont font preuve Célia et Maxime, les âmes du lieu, qui ont pris tous les risques pour vivre leurs rêves… /// TEXTE Jean-Luc Fournier PHOTOS Mediapresse - POKAA
Difficile de faire sa place dans l’abondante offre de restauration à Strasbourg. Certains jouent la carte de l’élitisme « happy few », d’autres le haut de gamme (réel ou un rien m’as-tu-vu), d’autres encore multiplient les cartes « de saison »,… Et puis, il y ceux, peu nombreux, qui réussissent l’équation parfaite : une cuisine à base de produits frais, des recettes « comme à la maison », un cadre original qui ne lasse pas, un service hyper convivial mais efficace et surtout animé de l’authentique plaisir d’accueillir. Bref, on sait d’avance qu’on est attendu un peu comme si on était invité chez d’autres amis qu’on adore aussi. Et la soirée est très belle. Toujours…
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Un signe du destin Célia et Maxime. Les deux n’ont même pas encore trente ans. Célia règne sur la cuisine et le truc de Maxime, c’est la salle. Rare : statistiquement, c’est souvent le contraire chez les couples de restaurateurs. Célia est née dans les Vosges mais a vécu longtemps à Mulhouse. Maxime est strasbourgeois bon teint. « L’amour nous a réunis à Strasbourg, alors qu’on travaillait tous les deux dans un restaurant de la petite France » raconte Célia qui a fait ses études sur les bancs du Lycée Hôtelier d’Illkirch. « Puis, comme on aime bien les voyages tous les deux, on a fait une saison commune en Corse, près d’Ajaccio » renchérit Maxime
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qui, grâce à ses expériences dans la restauration, avait déjà pas mal bourlingué (New-York, Montréal, notamment). Maxime, encore : « Lors de notre saison en Corse, près d’Ajaccio, on a été un peu mal considérés, dirons-nous... C’est à partir de là qu’a germé l’idée de nous lancer avec notre propre restaurant. On s’est mis à chercher. Puis, en janvier 2014, on nous a proposé ce restaurant qui s’appelait auparavant « L’Assiette du Vin ». On a un peu hésité, la salle nous paraissait un peu trop grande pour notre projet mais évidemment, aujourd’hui, on ne regrette pas notre choix. Mais, pour être tout à fait franc, il faut dire aussi qu’on y a vu un signe du destin. Ce restaurant qu’on nous proposait là avait abrité notre premier diner en amoureux ! En août suivant, on ouvrait …»
Cette belle cuisine du Sud qui séduit Strasbourg Le concept a été vite cerné. « Maman est d’origine italienne et j’ai donc toujours été bercée par les odeurs et les saveurs de cette belle cuisine avec laquelle j’ai grandi » se souvient Célia. « J’adore aussi cette gastronomie de grand-mère, ce respect des bons produits de base comme les poissons qu’on commande la veille, qui voyagent la nuit et qu’on sert dès le lendemain pour le déjeuner, la viande, ces fruits et légumes qu’on propose en respectant le rythme des saisons. On travaille au plus près de chez nous, avec le Petit Marché d’Alsace, à la Meinau. En fait, c’est une vraie bataille quotidienne que d’élaborer nos plats en fonction des arrivages et des disponibilités, mais on adore ça… » « Notre objectif premier, dès le départ, a été d’attirer les Strasbourgeois » précise Maxime. « Il a été rapidement atteint. 90% de notre clientèle est d’ici et ce sont des gens qui
reviennent régulièrement, qui nous sont fidèles. Avec eux, il n’y a que de la sincérité : si quelque chose venait à ne pas aller, on le saurait tout de suite !.. » « Comme l’offre de notre prédécesseur dans les lieux était à l’opposé de la nôtre, on repartait en quelque sorte de zéro. En moins de deux ans, je trouve que ce que nous avons réalisé est plutôt pas mal, finalement… » commente Célia. Une réussite qui a été doublement récompensée lors des dernières semaines par le label « Qualité Tourisme » qui consacre l’accueil, le service, notamment… et surtout le titre de « Maître restaurateur » : « Ce sont 32 points qui doivent être impérativement respectés » dit fièrement Maxime. « Cette reconnaissance est obtenue après la visite d’un client mystère qui, après avoir déjeuné ou dîné, vérifie notamment la traçabilité des produits et beaucoup d’autre points… » Un vrai gage d’authenticité, à mille lieues du galvaudé « Fait maison » sur lequel règne un vrai flou artistique… POURQUOI LE CAILLOU ?.. Célia et Maxime ne regrettent en rien « les grosses journées, les grosses semaines et le peu de vacances possible » quand on mène un tel projet dans les très exigeants métiers de la restauration. Ils se donnent encore quelques années mais ils rêvent déjà « de la Corse, la paillotte, les pieds dans l’eau, pêcher chaque jour son poisson.. . La Corse, le théâtre de leur première saison de professionnels et d’amoureux, on la retrouve aussi sur les murs du « Caillou » où, Célia, grande amoureuse de la photographie (« quand on revient de vacances, elle rentre avec 1000 clichés » se moque Maxime) a accroché quelques grands tirages en noir et blanc du meilleur effet. Ce qui donne d’ailleurs la réponse à l’ultime question : « Mais au fait, pourquoi le Caillou, pourquoi ce nom ? ». Célia ne se lasse jamais de tout expliquer à celles et ceux, très nombreux, qui posent la question : « Le caillou, c’est comme cela que les photographes professionnels appellent l’objectif reflex qui équipe leur boîtier. C’est le frère de Maxime qui a suggéré ce nom avant l’ouverture. J’ai tout de suite dit oui. Ce nom marie avec bonheur mes deux passions, la gastronomie et la photo » conclut-elle… ◊
/// LE CAILLOU
5 rue de la Chaîne 67000 Strasbourg 03 88 32 00 92 contact@restaurantlecaillou.fr www.restaurantlecaillou.fr
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SANDRA FLORY
Son delimiam
pour combattre la malbouffe
A quarante ans, cette jeune femme a déjà roulé sa bosse dans nombre de sociétés et dans une intense activité commerciale dont elle a fini par faire le tour. Deux ans après son grand virage, son projet personnel est tout prêt d’être lancé et elle ne s’est jamais sentie aussi bien… /// TEXTE Erika Chelly PHOTOS Mediapresse – DR
C’était il y a deux ans demi. « J’étais alors responsable commerciale dans une grande société de téléphonie et je bénéficiais d’un gros portefeuille de clients professionnels » raconte Sandra Flory. « Mon parcours jusqu’alors était presque un classique. Après des études de droit à Nancy, j’ai entamé une formation dans une célèbre école commerciale de Strasbourg. Diplôme en poche, je me suis retrouvée assistante dans l’événementiel pour l’Automobile-Club d’Alsace, une expérience dont je garde un bon souvenir. Puis j’ai évolué dans plusieurs sociétés strasbourgeoises elles aussi, avec des responsabilités commerciales sans cesse plus importantes jusqu’à la dernière, chez un des trois grands opérateurs français de téléphonie mobile. A un certain moment, j’ai vraiment réalisé qu’il n’y avait plus aucun respect ni même de considération pour l’être humain. Je n’ai pas voulu cautionner ça et j’ai sollicité une rupture conventionnelle. Je me suis retrouvée soudain libre comme l’air. Au pied du mur, aussi… »
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« Je n’ai plus eu peur de me lancer… » A cet instant, le soutien et l’amour d’un mari gourmet et épicurien et la présence du petit Gaëtan, deux ans et demi à l’époque, ont compté pour entamer le long chemin de la reconversion professionnelle. « Il m’a fallu deux ans pour me reposer et récupérer du rythme infernal qui fut le mien dans mon dernier job, en faire le deuil aussi » poursuit Sandra. « En même temps, Gaëtan et moi avons bien profité l’un de l’autre. Peu à peu, j’ai peaufiné mon projet. J’ai toujours adoré faire la cuisine, la gastronomie m’a toujours passionnée. J’ai mis de l’ordre dans mes idées, j’ai délimité mon cadre et quand j’ai su où je voulais aller, ce que j’étais en pleine capacité de proposer, alors soudain, je n’ai plus eu peur de me lancer et c’était parti ! »
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Un site astucieux et bourré de ressources Sandra a parfaitement analysé l’air du temps, en se basant sur le quotidien de celles et eux qui travaillent et ne prennent pas toujours le temps de cuisiner, notamment en soirée après une journée professionnelle qui leur a mangé leur énergie. « L’origine de la malbouffe est là » dit Sandra. « Alors, je me suis dit qu’il fallait leur faciliter la vie au quotidien, avec du bon, du varié, du sain. En utilisant l’information par internet. J’ai voulu créer le site qui allait les prendre par la main et répondre à un maximum de leurs attentes ». L’idée de delimiam.fr était née. Récemment opérationnel, le site s’organise autour de cinq axes dont l’un, majeur, propose des cours à domicile, avec le matériel usuel que chacun possède et utilise au quotidien dans sa propre cuisine. Des thématiques originales répondent aux attentes : « Maman, j’aime pas les légumes », ou comment rendre séduisant et attirant ce classique de la nutrition de base – « Chouette, des boulettes ! » on mixe tout et c’est bon – « Zut, on est dans le rouge » ou comment faire face à des fins de mois difficiles et bien manger quand même… Les solutions proposées fourmillent d’invention !
delimiam.fr propose aussi des ateliers spécifiques pour les enfants et les ados (le plat-vedette du moment est le saucisson au chocolat, un roulé avec des amandes, des biscuits, des noisettes et des raisins). Le site comporte également une petite partie événementielle pour les anniversaires, les fêtes de famille et un très pertinent service « Chef à domicile ». Dans ce cas, c’est Sandra qui débarque avec armes et bagages et se met aux fourneaux pendant que les hôtes profitent de leurs invités. L’offre de delimiam.fr se complète enfin avec un service de livraison de repas du soir, pour celles et ceux qui se sont laissés déborder par le temps.
« Avant de lancer tout ça, j’ai tout testé pendant un mois, jour après jour, avec mes voisins » dit Sandra. « J’ai vraiment pris le temps de tout étudier, minutieusement, besoins et valeurs nutritionnelles compris. Je suis prête » conclut-elle. Un détail cependant qui aura échappé à cette jeune femme pleine de peps. Il va falloir chaque année provisionner une petite part des bénéfices pour alimenter un compte au nom du petit Gaëtan (cinq ans aujourd’hui). Car c’est lui qui s’est écrié un jour devant un dessert savoureux préparé par Sandra: « c’est délimiam, maman ! ». Il mérite des droits d’auteur… ◊ /// WWW.DELIMIAM.FR
delimiam@gmail.com
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Claude Ribeiro
chocolats @home
« Un sacré défi ! » et qui plus est « relevé par passion ». Discrète, Claude Ribeiro n’en est pas moins dynamique et quand on parle avec elle de la nouvelle vie qu’elle s’est construite, on la retrouve telle qu’en elle-même : chaleureuse et positive. /// TEXTE VÉRONIQUE LEBLANC PHOTOS Célie Tock
Après 25 ans passés dans la communication d’entreprise, elle a dû réinventer son activité professionnelle et elle l’a fait de bout en bout, envers et contre tout. C’est à sa passion gourmande qu’elle s’est raccrochée car Claude est aussi passionnée de chocolat « depuis toujours ». « Ce sont les stages que j’ai faits au « Doux pays de France » chez Jean-Marie Lips à Strasbourg qui m’ont donné le vrai déclic », raconte-t-elle. Elle s’est ainsi perfectionnée avant de décider – à plus de 50 ans – de passer un CAP en chocolaterie au Centre de formation d’Eschau. Toujours pour le plaisir. Quoique… « Progressivement admetelle, l’idée d’une reconversion s’est mise à me trotter dans la tête ». Faites-vous plaisir ! En juillet 2015, soutenue par le réseau des « Jeuniors d’Alsace », Claude rejoint la coopérative d’activités et d’emploi « Antigone ». « Deux structures auxquelles je dois beaucoup », tient-elle à préciser.
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une boîte de chocolats à l’un de ses clients dont l’épouse « tout le temps au régime » n’achète jamais de sucreries, une autre – « de grande taille ! » – à une entreprise dont la dernière pause café de la semaine s’accompagne de chocolats confectionnés par ses soins, une autre encore à une dame en maison de retraite choyée par sa petite fille… Les liens se nouent parfois avec humour raconte Claude en évoquant l’un de ses abonnés au mois qui, au bout de quinze jours, publie sur sa page Facebook une photo légendée : « Au secours ! Ma boîte est vide… » En novembre dernier elle ouvre son laboratoire d’Artisane chocolatière au 1, rue d’Andlau en se basant sur un concept dont le slogan pourrait être : « Faitesvous plaisir ! ». Partie du principe que l’on ne s’offre jamais de ballotin de chocolats à soi-même, Claude se positionne en effet sur un créneau original, celui de l’abonnement mensuel ou hebdomadaire apporté « at home ». C’est ainsi qu’elle livre tous les vendredis
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Qualité et originalité Les demandes sont parfois plus sporadiques mais il est essentiel pour Claude de pouvoir anticiper les quantités car ses chocolats sont « sans sucres ajoutés » ce qui limite leur durée de conservation et l’empêche d’avoir du stock. Elle travaille donc « en temps réel, en fonction des commandes », présente tôt
le matin dans son laboratoire de la rue d’Andlau les lundi, mardi et mercredi. Les jeudis, elle emballe et les vendredis, elle livre. Tous ses chocolats sont trempés à la main, autant que possible bio, au pur beurre de cacao et sans lécithine de soja. Les autres composants sont issus de produits locaux – comme la verveine qui vient de la Ferme Andrès à la Robertsau – ou sélectionnés pour leur particularité gustative à l’image de l’eau de fleur d’orange amère, l’un des produits « sentinelle Slow Food ». Elle a ses recettes de base : caramels au beurre salé, noix de coco, fève du Tonka… – mais chaque mois il y a une surprise comme, par exemple, le fenouil sauvage aux notes un peu poivrées et fleur d’oranger. Qualité et originalité sont ses mots-clés. Et puis il y a le « petit quelque chose en plus », ce cadeau qu’elle offre de livraison en livraison, pâtes de fruits, amandes et noisettes au chocolat ou bien encore orangettes, selon l’inspiration du moment. De manière générale, « les goûts changent de mois en mois précise Claude. L’amateur ne sait jamais exactement de quoi se compose le ballotin de la semaine mais je pars du principe que la découverte fait partie du plaisir et que quand on n’aime pas, on partage ! » Reste qu’au terme d’une enquête menée auprès de ses clients fidèles, elle a identifié ce que pourrait être le « Best off » de sa chocolaterie. « Dans le « Top Ten », précise-telle, on trouve étonnamment huit couvertures « chocolat au lait » et des parfums tels que fenouil-miel, cardamone, gingembre, verveine, framboise, litchee, gianduja praliné noisettes, fruit de la passion… Sans oublier les caramels au beurre salé ! » Pour commander ? A vos claviers ! Tout se fait par Internet jusqu’au dimanche pour une livraison les jeudis et vendredis à domicile ou en points-relais au sein des 28 communes de Strasbourg Eurométropole. ◊ /// www.chocathome.fr
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R APH AËL BLO CH et AU RÉL IEN BÉNOIL ID
Leur fabuleux pari
Raphaël Bloch (à gauche) et Aurélien Bénoilid
A l’heure où vous lirez ces lignes, le Palais de la Musique et des Congrès de Strasbourg aura déjà vibré lors de la comédie musicale « Babel » dont la première a eu lieu le 9 juin dernier. Histoire d’un pari fou, mené à bien par deux incroyables et sympathiques passionnés dont le culot et l’audace en ont bluffé plus d’un… /// TEXTE JEAN-LUC FOURNIER PHOTOS Mediapresse - dr
« On était jeunes et fougueux… » A peine ces mots prononcés, Raphaël Bloch part d’un gigantesque éclat de rire. C’est tout ce qu’il a trouvé à dire pour tenter d’expliquer l’audace qui a prévalu à la création d’une comédie musicale de 25 chansons pop rock qui, avec chanteurs et figurants, a fait l’événement le 9 juin dernier, deux heures durant, au PMC. Son compère Aurélien Benoilid rit lui aussi de bon cœur. Et commence à raconter l’histoire de Babel-L’Héritage : « Il y a quinze ans, Raphaël et moi étions des citoyens engagés dans des associations de lutte contre la racisme. On n’a pas lésiné alors sur nombre d’actions qu’il fallait mener mais parallèlement, on s’est dit aussi qu’il fallait passer de la lutte contre la racisme à la promotion des langues, des cultures et de leur diversité. Le truc de Raphaël, c’est la musique et le mien, c’est l’écriture. C’est vraiment de ce constat qu’est né Babel, mais avant qu’on n’en arrive à la première, il y en a eu des épisodes » souligne ce jeune neurologue de 35 ans.
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Le parcours du combattant Raphaël Bloch, 36 ans, est le secrétaire du Consistoire Israélite du Bas-Rhin. Fort de sa passion pour la musique, il s’est bien sûr engouffré dans le projet naissant sans compter ni son énergie ni son temps. « C’est simple » raconte-t-il. « Nos études nous occupaient déjà pas mal mais on
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n’a pas hésité à se réunir au moins une fois par semaine pour travailler. Aurélien écrivait ses textes jusqu’à tard dans la nuit et moi, je faisais la compo et je la lui envoyais. Le lendemain, paroles et musique pouvaient être travaillées ensemble. Au final, ça nous a fait une cinquantaine de chansons, soit le double de ce que comporte la comédie musicale finale. Ca nous a pris des années pour en arriver là, faut dire qu’on manquait sérieusement de méthode. Bref, on a construit notre projet pierre après pierre, tout comme la véritable Tour de Babel ! Et peu à peu, tout a pris corps, en cultivant l’exigence et en traquant la moindre auto-satisfaction jusqu’à la véritable mise en scène qu’a travaillée Lionel Courtot, le professionnel dont nous avions besoin…» Ce n’est pas qu’un spectacle « Babel - L’Héritage » a dès le départ été conçu comme un projet global. Si les spectateurs n’ont bien sûr retenu (c’était le but) que le formidable spectacle
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présenté avec ses dix danseurs, ses sept chanteurs - Kendji, Jewly, Annick Burger, Aurélien Boileau ou encore Virginie Schaeffer - ses musiciens et ses chœurs, c’est toute une démarche pédagogique qui s’est mise très tôt en place avec des interventions dans les lycées où tout est abordé sur fond de tolérance et de diversité culturelle : « C’est assez bouleversant Lionel Courtot, le metteur en scène d’observer tous ces élèves attentifs devant un discours où on n’oppose pas les dogmes, où tout a été fait pour s’affranchir des thèmes malheureusement d’actualité comme les attentats, par exemple » dit Aurélien. « On parvient ainsi à parler de la véritable diversité culturelle sans affronter les écueils habituels. Ce sera reconduit l’année scolaire prochaine, c’est déjà acquis. » Un livre (idée plus tardive mais formidablement menée à bien elle aussi) est venu compléter la panoplie. Conçu comme un ouvrage collectif coordonné là encore par le prolixe Aurélien Benoilid, il regroupe les contributions de philosophes, historiens, scientifiques parmi lesquels on retrouve des signatures connues : Israël Nisand, Frédéric Ebel, Freddy Raphaël ou encore Jean-Louis Mandel. Dans son introduction Aurélien écrit joliment: « Le vivre ensemble est peut-être le défi le plus dur que l’humanité aura à relever, et sa réussite sera conditionnée par la résolution de cette équation à sept milliards d’inconnus… » D’une idée est née une histoire. De cette histoire est né un très beau spectacle qui lui-même a donné naissance à un livre doublé d’un projet pédagogique d’envergure. Le tout ne cesse d’émerveiller Aurélien et Raphaël qui se consacrent désormais
L’équipe de la comédie musicale lors des dernières répétitions
à la suite de l’aventure : deux autres dates sont d’ores et déjà programmées à l’Illiade à Illkirch en octobre prochain et à Schiltigheim en mai de l’année prochaine. Débute aussi la course aux dates de la tournée nationale également prévue, mais pour laquelle restent à dénicher les indispensables mécènes privés. Pas de quoi effrayer outre-mesure les deux fondateurs qui peuvent en tout cas savourer sans réserve les effets du beau travail accompli depuis l’engagement d’origine en 2002. Après les avoir côtoyés de près (eux et leurs équipes) dans la dernière ligne droite précédant la première du 9 juin dernier, on s’est surpris plus d’une fois à se dire que Strasbourg est décidément un très beau terreau pour que des projets si audacieux voient le jour… « Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait ! » Cette citation est de Mark Twain mais elle leur va comme un gant ! ◊
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JEAN-LUC FALBRIARD
Sprütz est reparti plein pot !
Ce vieux routier des planches strasbourgeoises se bat depuis largement un quart de siècle pour défendre une certaine idée du spectacle et de la place des saltimbanques dans le monde d’aujourd’hui. En prenant le risque d’investir l’Espace K qui a succédé au Hall des Chars près de la Laiterie il y a huit mois, il a enfin à sa disposition l’outil dont il rêvait. Pari gagné ? Trop tôt pour le dire, mais c’est bien parti… /// TEXTE JEAN-LUC FOURNIER PHOTOS Mediapresse – dr
L’intergalactique et dégingandé Capitaine Sprütz, arrivé à Strasbourg au début des années 90, aura manifestement réussi à injecter à son père adoptif, son créateur et interprète Jean-Luc Falbriard, une sacrée dose d’audace qui ne s’est toujours pas tarie. « C’est vrai que la Kafteur a existé et s’est développé parce que le personnage du Capitaine Sprütz avait besoin de cet espace pour exister » raconte-t-il. « Je sortais alors de cinq années de belles collaborations avec Radio France Alsace (devenue France Bleu depuis - ndlr) et j’avais pris goût à faire exclusivement ce que j’aimais. A l’époque, je voyais beaucoup de spectacles intéressants à
Paris et, à chaque fois, je me disais que Strasbourg avait bien besoin d’un lieu susceptible de les accueillir, à l’ombre des prestigieux TNS, Opéra et autres. Cette salle qui n’existait pas, on s’est dit qu’il fallait la créer, mais en attendant, on jouait dans l’arrière salle d’un restaurant qui a disparu aujourd’hui, ou encore au Café des Anges à la Krutenau. Peu à peu, la notoriété est venue, le bouche-à-oreille s’est développé et le public était de plus en plus nombreux à vouloir découvrir le Capitaine. Dans le journal, au printemps 1994, j’ai repéré cette annonce d’un local libre dans le quartier Gare qu’une école privée de théâtre qui venait de faire faillite avait déserté. C’était quasiment l’endroit
rêvé mais on n’avait pas le premier franc pour l’investir. L’adjoint à la culture de Catherine Trautmann, Norbert Engel et Catherine Trautmann elle-même, faute de nous doter d’une grosse subvention, nous ont apporté leur soutien moral et disons qu’ils l’ont fait suffisamment savoir pour qu’un banquier nous accorde le prêt qu’il fallait. Ensuite, ça a été une question d’huile de coude, avec quelques copains, pour que trois mois plus tard, le Kafteur soit accessible au public… Avec un succès artistique qui ne s’est jamais démenti durant plus de vingt ans malgré la cohorte assez nombreuses des oiseaux de mauvaise augure qui, à l’origine, piaillaient que ça ne marcherait
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jamais. « Malheureusement, c’est devenu très tendu côté finances les trois dernières années » confie Jean-Luc. « Au point que je me suis réellement demandé si n’était pas venu pour moi le temps de raccrocher même si, au fond de moi, je souhaitais bien sûr que quelque chose se passe pour pouvoir continuer à vivre ma passion… » Ce quelque chose est venu de quelques centaines de mètres plus loin que la rue Thiergarten où s’était enraciné le Kafteur : la Ville de Strasbourg souhaitait redonner une seconde vie au Hall des Chars, dans le quartier de la Laiterie… Un tout autre écrin « Je me suis dit que ça valait le coup de tirer une dernière cartouche » confie Jean-Luc Falbriard. « A condition que la Ville fasse preuve d’une réelle et ferme volonté. Il a quand même fallu beaucoup bataillé car nous sommes et serons toujours considérés par certains comme d’irréductibles saltimbanques, et notre réputation d’électrons libres a toujours généré des frilosités apeurées. Mais l’adjoint à la Culture, Alain Fontanel, a beaucoup œuvré à nos côtés. Et nous avons fini par investir les lieux en octobre dernier. On a appliqué la même méthode de l’huile de coude avec les potes, beaucoup plus nombreux cette fois-ci, et on a ouvert en janvier dernier… »
A un moment, on a bien pensé qu’il allait falloir employer la torture pour avoir au moins quelques indications sur le début de la nouvelle programmation, toujours propice aux spectacles percutants et un peu « locomotives » pour lancer la saison. Heureusement, le capitaine Sprütz était de bonne composition lors de l’entretien : « On va démarrer en beauté avec BP Zoom, un magnifique duo clownesque de renommée mondiale qui déploie une fantaisie, une poésie et un comique hors du commun…. » annonce Jean-Luc qui précise que « la prochaine saison sera pleine de belles et bonnes surprises. Si on ne fait pas de grosses erreurs de programmation ou de communication, ça devrait aller ! » conclut-il. ◊ /// WWW.ESPACE-K.COM
Et le public a suivi ! « Nos ex-spectateurs du Kafteur ont été charmés par l’endroit » constate Jean-Luc. « Ce hangar sans âme s’est transformé en un site chaleureux, convivial, un endroit où on se sent bien. Et, quelques mois à peine plus tard, on a commencé à voir arriver un public qui ne serait jamais venu au Kafteur, ce petit café-théâtre qu’il avait du mal à prendre au sérieux, peut-être. C’est plus qu’encourageant pour cette annéetest que nous vivons où le budget est tendu car, bien sûr, on découvre sur le terrain des coûts induits par ce lieu que nous avons investi un peu à l’aveugle, par la force des choses… » De quoi en effet être optimiste pour la première saison complète de l’Espace K qui débutera cet automne. Jean-Luc Falbriard prévoit de donner une toute autre couleur que celle du Kafteur. « L’humour, on sait faire et on va continuer » dit-il « mais on va faire encore autrement grâce à notre nouveau lieu qui va nous permettre d’exploiter plein de registres nouveaux. L’audace sera de mettre en valeur la création locale, danse, marionnettes, théâtre contemporain, en jouant à fond sur les dates événementielles. Il y aura des créations spectaculaires dans ce domaine et l’Espace K sera un cocon pour des projets innovants, bien aidés par la Ville qui souhaite diversifier au maximum l’offre culturelle. »
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STRATAGGEM
« La nature a horreur du vide... Alors, nous, on fonce ! »
De gauche à droite : Joël et un exemplaire de la lampe à vélo, Manuel qui tient une des boxes du réseau et Yannick, l’incontournable tablette entre les mains. Le quatrième créateur de Strataggem, Johan, ne figure pas sur la photo…
Repérés au début de l’année dans le cadre des lauréats de Tango&Scan, un appel à projets innovants financés chaque année par l’Eurométropole de Strasbourg, Manuel, Yannick, Joël et Johan, quatre jeunes trentenaires, ont décidé une bonne fois pour toutes que leur start-up commune se bâtirait à Strasbourg et pas ailleurs. Et tout ça pourrait bien se développer autour d’une ingénieuse… lampe de vélo ! /// TEXTE Alain Ancian PHOTOS Mediapresse – DR
A première vue, c’est une lampe de vélo au design moderne (et très évolutif puisque, magie du numérique et de l’impression 3D, on peut le choisir, couleur comprise). Là, sans vouloir se faire prendre en grippe par les quatre trentenaires, on est encore dans le banal, tant les nouvelles techniques deviennent si vite courantes, finalement… Non, la véritable innovation est invisible. Et c’est toute une histoire… Vélo géolocalisé Il y a quatre ans, Manuel Yguel, qui habitait déjà à Strasbourg mais travaillait alors à Karlsruhe sur des projets de véhicules autonomes « trackés » par GPS, s’est tout à coup brutalement énervé après avoir constaté que pour la troisième fois en moins d’un an, son vélo avait disparu. On a beau être plusieurs dizaines de milliers dans ce cas chaque année dans la capitale française du vélo, ça peut mettre en boule !
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Deux des designs possibles
A quelque chose malheur étant bon, l’idée de pouvoir « tracker » le vélo dérobé afin de le situer matériellement après le vol est née ainsi. Etudes et sorties de prototypes se sont alors enchaînés, en parallèle avec l’incontournable application permettant d’exploiter le système. C’est un autre de la bande des quatre, Yannick Jost, qui nous détaille l’ensemble du dispositif : « D’abord, du côté fonctionnel de base, cette lampe de vélo présente l’avantage de détecter automatiquement les transitions jour/
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nuit et elle éclaire dès que le vélo est en mouvement. S’il est manquant, alors son propriétaire peut, via le net, activer le système embarqué. Le vélo n’est donc pas « tracké » en permanence, ce afin de respecter la vie privée. Les objets connectés peuvent être très intrusifs dans nos vies, il faut veiller à ne pas devenir des esclaves de la technologie » souligne Yannick. « Dès l’activation de la recherche, l’appli va géolocaliser la position du vélo. Nous sommes tributaires, pour cela, du réseau GPS et des cinq mètres d’incertitude qu’il génère. Pour pallier à ça et permettre de localiser très précisément le vélo, l’utilisateur peut activer à distance, à partir de son smartphone, un bip assez fort qui est couplé avec le clignotement de la lampe. » De l’ingéniosité à revendre L’idée trouvée, les prototypes fabriqués, l’appli a vite été crée et testée. Pour
autant, il fallait bien un réseau local efficace pour permettre au système de fonctionner. Le vrai « casse-tête » a été là. « On a pas mal essayé les différents systèmes de communication, mais il y avait toujours des problèmes, soit en matière de portée, ou alors de coût d’usage » se souvient Manuel. « Notre travail d’équipe a permis de trouver les solutions pour que ce réseau existe et fonctionne parfaitement… » Voilà pourquoi ces fous d’innovation passent en ce moment pas mal de temps… sur les toits de Strasbourg. « On termine le maillage de la ville en LoRa, mais en version communautaire, comme le FreeWifi. Chacun étend le réseau et bénéficie de la connexion des autres et donc peut véhiculer les signaux des applis comme celle qui trace les vélos. Mais notre réseau est ouvert, les possibilités sont infinies... ». Une vingtaine de boxes sont en fonctionnement et maillent complètement Strasbourg intra-muros, chacune de ses boxes rayonnant sur 1,5 km. Les enjeux « Aujourd’hui, notre travail consiste essentiellement à dénicher les capitaux pour l’avancée définitive de notre projet » poursuit Yannick. « Les capitaux, voilà le point crucial qui attend toutes les startups au tournant. Il y a un énorme retard à Strasbourg dans ce domaine car l’écosystème d’investissement dans les startups n’est pas mûr ici. Mais on ne se plaint pas, on n’attend pas que tout tombe du ciel tout cuit. On est en train de rencontrer quelques gros industriels de la région et on a bon espoir qu’ils adhèrent à notre démarche. Nous, on propose un nouveau modèle auquel ils n’ont pas pensé, donc ça vaudrait peut-être le coup qu’on tente quelque chose ensemble… ». « Il nous faudrait 200 000 € pour créer une ligne de production pour que notre lampe à vélo soit disponible à un prix commercialement acceptable » nous précise Manuel. « Pour l’instant, Strataggem vend le matériel de réseau qu’il a déjà développé mais heureusement qu’on est soutenu à fond par nos familles respectives. En 2013, on a convenu, mon épouse et moi, que je me donnais trois ans pour gagner de l’argent avec nos idées. Elle a cru à ce projet et nous vivons depuis sur son seul salaire. On va y arriver même si, aujourd’hui, le seul dans la boîte qui soit payé est notre jeune stagiaire. On se donne six mois pour pouvoir dégager nos premiers salaires. Tous les quatre, on est très bien ensemble, on s’apprécie… » Yannick opine de la tête et rajoute : « Chacun d’entre nous s’admire, voilà ! En fait, chaque jour, on se dit qu’on a bien fait tous les quatre de travailler ensemble… » A l’autre bout de la grande table de son appartement qui, pour l’heure abrite la matière grise de Strataggem, Manuel acquiesce, tout en déballant le fromage de la savoureuse raclette qui va ponctuer cette belle rencontre… ◊ /// www.strataggem.com facebook.com/strataggem
L’appli géolocalise le vélo volé à la demande
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J EA N - BA P T I ST E SCH M I DE R
Le phénomène Yea !
Ses trente Smart affichent orgueilleusement le logo Yea ! depuis un an à Strasbourg et facilitent la vie de nombre d’adeptes du partage de véhicules. Rencontre avec ce jeune cinquantenaire à qui l’audace n’a jamais manqué au moment de faire des choix importants pour lui-même ou pour les autres… /// TEXTE Jean-Luc Fournier PHOTOS Mediapresse
Il a posé ses valises à Strasbourg il y a vingt ans et notre petit doigt nous dit qu’il n’est pas pressé de les reprendre. Né en région parisienne, Jean-Baptiste Schmider a tour à tour été administrateur de compagnies de théâtres (une activité découverte alors qu’il était objecteur de conscience, à l’époque du service militaire encore obligatoire) puis consultant en management, formation et gestion de projets. C’est d’ailleurs cette dernière activité qui l’a amené à Strasbourg pour répondre aux besoins en matière d’organisation de la CUS. « Strasbourg m’a plu immédiatement » se souvient-il. « J’ai aimé l’animation, ce monde très cosmopolite, ces rencontres multiples que j’y ai faites en peu de temps. Alors, quand la collectivité m’a proposé un contrat à plein temps, je n’ai pas hésité ! »
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Quand la voiture devient un problème Une première expérience parisienne avait déjà bien refroidi la famille Schmider. « A un moment, on avait eu l’idée de quitter la capitale pour la banlieue. La maisonnette, le jardinet… ça nous avait tentés. Mais très vite, les trois heures de transport par jour nous ont gavés. A Strasbourg, nous avons tout de suite emménagé dans l’hypercentre. Au bout de deux ou trois ans, on s’est posé la seule question qui compte : au fait, a-t-on vraiment besoin d’une bagnole ? La réflexion n’a pas été longue. A part emmener notre fille une fois par semaine faire du poney à Eckwersheim, on ne l’utilisait pas. Quelquefois même, on oubliait où on l’avait stationnée ! Irrationnel, cet objet qui coûte cher, qui occupe de la place et qui est donc quasiment inutile dans une ville où le tram est hyper performant. Je n’étais pas le seul à vivre cette situation, d’autres parents d’élèves que je côtoyais avaient le même raisonnement… »
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DOSSIER
Le beau parcours de l’auto-partage à Strasbourg Ils ont donc été une poignée qui sont allés au bout de leur raisonnement et de leurs convictions. Une vingtaine qui ont chacun avancé 2500 F de l’époque pour acheter trois voitures d’occasion stationnées au parking des Halles. « Il a fallu beaucoup évangéliser » se souvient Jean-Baptiste. La Ville, le Conseil général nous ont aidés avec quelques subventions. Au départ, Roland Ries n’était pas très convaincu, il n’hésite pas à le rappeler aujourd’hui en riant. L’alternance municipale ne nous a pas affectés : l’auto-partage, n’est ni de droite, ni de gauche, c’est intelligent ! En 2002, en fin de contrat avec la CUS, je suis devenu tout naturellement directeur d’Auto’trement. J’étais absolument convaincu que ça pouvait marcher… » L’audace de la poignée de pionniers a en effet payé. Et tout s’est enchaîné quasi naturellement : 2003 a vu la naissance du réseau national Citiz (France Auto-Partage à l’époque) à l’initiative de la structure strasbourgeoise qui a poursuivi son développement, créant notamment le premier abonnement combiné avec la CTS. L’arrivée de Yea ! au début de l’été dernier a représenté un sacré challenge à réaliser. « Nous sommes un peu passés sous les radars médiatiques qui se sont focalisés sur l’adaptation du modèle parisien de Vélib » raconte Jean-Baptiste. « Autolib de Bolloré a cartonné sur Paris et est devenu la référence là-bas. Nous savions que des contacts avaient lieu entre cet industriel et la Ville de Strasbourg. Il nous a fallu beaucoup phosphoré pour rester innovants. Et tout ça a débouché sur Yea !, nos trente Smart qu’on peut utiliser en toute liberté et laisser là où on veut, dans le périmètre qui leur est pour l’heure dédié. Yea ! représente la vraie souplesse et la flexibilité qui nous était demandées. Le bilan est assez formidable : on a gagné 700
nouveaux utilisateurs en un an et atteint 10 000 trajets. On a dépassé une utilisation par jour et par voiture. Notre objectif reste deux et demi à trois utilisations/jour/voiture. Les moins de trente ans représentent la moitié des utilisateurs… » L’aventure ne s’arrêtera pas là. Dans un an, le projet de Yea ! prévoit la mise en service de 70 à 80 véhicules supplémentaires et l’extension de la zone desservie au niveau de l’Eurométropole. De quoi réjouir l’innovant Jean-Baptiste Schmider : « C’est sûr, vingt ans comme ça, c’est le pied » sourit-il. Tout ce que je vis me correspond intimement, j’exprime mes valeurs personnelles, mon mode de vie est celui-là. Je continue à m’éclater, à approfondir, c’est passionnant. Je n’ai pas oublié les débuts où je connaissais personnellement les 400 premiers abonnés ! (grand éclat de rire). Aujourd’hui, je gère l’innovation et je fais en sorte qu’on garde une longueur d’avance, le tout sans céder aux sirènes de la pseudo-modernité : on a des vrais voitures et on sert de vrais salaires, nous ! » conclut-il l’œil malicieux, en faisant allusion au thème « en vogue » de l’uberisation de la société… ◊
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T HO MAS GIBERT ET BENJAMIN L ESTRAT
Ces deux jeunes archis n’ont pas froid aux yeux !
Ils représentent la nouvelle génération d’architectes dont l’entrée dans la vie professionnelle a coïncidé avec la brutalité du marasme économique et financier encore en cours. Loin de se plaindre, ils ont donc développé une autre mentalité pour s’en sortir et ils y parviennent avec un maître-mot : la synergie. Et l’art de ne pas se laisser impressionner par les défis qu’on leur lance… /// TEXTE Benjamin Thomas PHOTOS Mediapresse - Vincent Eschmann « EV studio »
Thomas Gibert (39 ans) et Benjamin Lestrat (38 ans) qui cogèrent FRÖG ARCHITECTURE adorent parler de leur métier. Ils racontent volontiers la création de leur cabinet spécialisé en hôtellerie, restauration et spas en 2011, en plein marasme économique et financier et s’épanchent sur tout ce qu’ont provoqué ces sévères contraintes économiques concernant leur profession. « La réputation est dure à construire et si facile à démonter » dit Thomas. Tous deux portent sur le quotidien de leur métier un regard lucide et sans concession, bien étayé par la livraison de leur dernier chantier, la restructuration complète du célèbre Café des Anges, à la Krutenau. Synergie, écoute, dialogue… « Les grosses difficultés économiques que nous connaissons ont provoqué des changements considérables pour notre profession » détaille Benjamin. « Tout
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Mathieu et Antoine Ghiles
est si tendu financièrement pour tout le monde que les conflits se règlent à grands coups de lettres recommandées avec accusé de réception ! Le temps de l’archi qui « tapait sur tout le monde » est bel et bien révolu. Aujourd’hui, c’est la synergie avec des entreprises de confiance qui prime. On vient avec nos idées : les entreprises s’en emparent et apportent leur savoir-faire. Ca fait un
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tout. Sans cette synergie, cette symbiose même, nous n’aurions jamais pu relever le défi que les deux propriétaires du Café des Anges nous ont lancé. » Le grand mot est donc prononcé. Oui, c’est un vrai défi qu’ont imposé Mathieu et Antoine Ghiles, ces deux frères jumeaux, animateurs bien connus de la nuit strasbourgeoise. Comme souvent dans ce genre d’établissement, et encore plus en période de difficultés économiques, le facteur temps est primordial. « Nous avions un mois, ni plus ni moins, pour que le chantier soit livré terminé » raconte Mathieu. « Au-delà, la perte d’exploitation aurait été beaucoup trop sévère. Au départ, il y avait trois architectes en concurrence mais le projet de Frög nous a littéralement foutu une claque. Manifestement, leur capacité d’écoute a été formidable, ils ont parfaitement saisi l’ensemble de nos problématiques et ils ont su instaurer un vrai dialogue avec nous. Ca a été déterminant… »
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Epouser l’atmosphère d’un lieu « C’était un chantier tout à fait particulier pour nous » commente Benjamin. En fait, ce fut un projet de sensations, bien plus que d’architecture bête et méchante à cause de la particularité de l’endroit. Quand il fonctionne, c’est rempli, c’est noir et on a des flashs de lumière plein les yeux. L’endroit, on ne le voit plus et pourtant, notre challenge a consisté à épouser l’atmosphère du lieu, le rénover sans altérer sa renommée tout en le modernisant. Voilà pourquoi l’écoute des souhaits du client était aussi importante. On est arrivé à ces choix qui se révèlent avec la pratique très judicieux : mettre les gens un peu en surplomb en jouant sur les niveaux, fabriquer un bar linéaire d’accès facile ce qui est évidemment prioritaire pour l’aspect business, jouer sur les couleurs, le noir, le doré, la lumière… Et une fois le projet signé, tout s’est finalement réalisé très vite car de la conception à la pré-fabrication des éléments sur-mesure jusqu’à la coordination des entreprises, nous avions tout prévu, tout anticipé pour que la chantier soit livré en temps et en heure. Sans synergie avec le client, on fait de mauvais projets, entend-on dire souvent dans notre métier ... La restructuration du Café des Anges l’a prouvé. » conclut Benjamin. Régler les curseurs « C’est un métier de longue haleine » commente Thomas. « Un projet peut prendre de un à trois ans. On a notre expérience, on grossit un peu et ça nous permet d’appliquer notre philosophie de façon plus récurrente, on commence à compter nos références. Outre notre obsession de faciliter la vie de nos fournisseurs en leur expliquant qu’on a tous à gagner à fonctionner avec la parfaite synergie que nous prônons, notre autre cheval de bataille est de convaincre nos clients d’investir dans des matériaux plus nobles, comme le bois massif par exemple. Une des calamités du bâtiment d’aujourd’hui réside dans les problèmes liés au vieillissement des matériaux. Un bâtiment de type haussmannien, par exemple, reste beau même avec le temps qui passe. Ses façades peuvent se nettoyer, ses armatures métalliques peuvent être poncées et repeintes, ses planchés poncés et reteintés. Tout en lui raconte une histoire… Aujourd’hui, avec la tyrannie des faibles coûts imposés et leurs conséquences sur le choix des matériaux, le PVC jaunit, le crépi devient moche car il vieillit mal… Notre rôle est aussi d’aider le client pour qu’il règle ses curseurs budgétaires au mieux. Au final, son bâtiment neuf ou sa rénovation lui parleront si le projet est bien mené et si les curseurs sont réglés sur la bonne position… » ◊ /// www.frogarchitecture.com
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Lucas Adler
Le chasseur d’orages
Aussi loin qu’il se souvienne, il a toujours été attiré par ce qui se passe au-dessus de nos têtes, et le plus cela s’annonce titanesque ou fantastique, le plus il jubile. Découvrez ce jeune strasbourgeois qui a la tête dans les étoiles… /// TEXTE JEAN-LUC FOURNIER PHOTOS LUCAS ADLER
La photo comme preuve…
Vous en connaissez beaucoup des jeunes de 23 ans, tranquillement attablés au comptoir d’un bar à bières au pied de la cathédrale avec quelques potes et qui soudain, les abandonnent en toute urgence, sans même une explication tout ça parce qu’une alerte météo a sonné sur leur smartphone pour annoncer une très possible aurore boréale en formation au-dessus des sommets vosgiens ? Et qui, de plus, redescendent à Strasbourg quelques heures plus tard avec le rarissime phénomène météo, capturé sur la carte de leur Nikon…
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« Je me rappelle très précisément du jour où est née cette passion pour les orages. Jusqu’à l’âge de six ou sept ans, ils me terrorisaient. Un jour, ma grandmère m’a forcé à affronter les éclairs et le bruit sur sa terrasse et à scruter ces phénomènes. Ma peur a disparu d’un coup et ma passion est née ce jour-là » raconte Lucas Adler. Cet étudiant en pharmacie (4ème année) devient vite intarissable dès qu’on lui donne l’occasion de s’exprimer sur le sujet. « Plus que les éclairs ou le bruit, c’est la dynamique globale des phénomènes et l’immense force qui s’en dégage qui me fascinent. Les capturer grâce à la photo, c’est mon truc. Ca a commencé à l’époque des petits Kodak jetables, j’en ai passé des centaines. En revanche, les ciels étoilés, c’était impossible avec ce matériel. J‘avais déjà besoin de ramener des preuves de mes observations… La photo m’a très vite passionné et, quand on m’a offert mon premier reflex numérique, un Nikon D3000, il y a huit ans, j’ai découvert toutes les possibilités artistiques et techniques offertes par les ciels en furie. Tout à fait autodidacte, je me suis mis à jouer avec les lumières, les
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temps de pose, les sensibilités… Puis est venue l’envie de traiter les images et il y a quatre ans, la découverte des immenses possibilités de Photoshop qui permet de faire ressortir les détails, les profondeurs. Je publie beaucoup sur Facebook mais j’ai comme objectif prochain de créer une galerie en ligne. Je vais avoir 10 000 clichés à trier, ça va faire du taf… » sourit -il. « Cette passion, je sens qu’elle vient de loin… » « Ma passion première concerne avant tout le ciel en général » poursuit Lucas. « J’ai toujours été sensible aux couchers de soleil, aux lumières que la nature nous renvoie, et au-delà, à la voute céleste. La passion pour les orages est venue ensuite. Aujourd’hui, elle agit envers moi comme une kéronothérapie ! » (kéréno, le mot grec qui signifie orage – ndlr) sourit Lucas, ravi de nous apprendre un mot surprenant. « Un autre point compte beaucoup, c’est la solitude devant ces événements parfois gigantesques et toujours formidables. Cette solitude-là me va très bien et j’y aspire, même. Etre mêlé de près à l’observation des orages, ça rend très
DOSSIER
Rarissime ! Une aurore boréale au Champ du Feu, capturée en mars dernier.
humble. J’en tire un grand bonheur, ça me fait du bien et ça m’inspire : c’est seul devant le spectacle des étoiles que j’ai pris de grandes décisions.Tout ça nous remet à notre place de petit être qui n’est que seulement de passage sur cette terre. Alors, chaque matin, je me lève et je n’oublie pas de me situer dans l’univers qui m’entoure, et pas seulement à dix mètres autour de moi. J’ai besoin d’un référentiel comme cette passion qui, je le sens, vient de très loin. Il y a un truc philosophique là-dessous, j’ai du mal à mettre des mots pour l’exprimer mais je sais que ça existe en moi… » Les yeux braqués vers le ciel, Lucas Adler vit sa passion sans en perdre une miette. Et voyage beaucoup : Thaïlande, Israël, Islande figurent parmi ses destinations les plus récentes (voir page 80 le portfolio que nous consacrons notamment aux somptueuses aurore boréales qu’il a récemment capturées -ndlr). Il est étonnant ce gamin, capable de discuter très sérieusement sur son cursus universitaire et l’avenir qu’il s’imagine peut-être au sein d’un grand labo pharmaceutique puis, l’instant suivant, à peine un quart de seconde plus tard, repartant dans la narration du cosmos dont il se sent entièrement partie prenante, avec des étoiles plein les yeux. Qui brillent, qui brillent… ◊ /// lucas.adler.photo@gmail.com
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SERGIO LOPEZ
Il lutte contre le braconnage en Afrique Amoureux de l’Alsace (et d’une Alsacienne rencontrée en Namibie) depuis neuf ans, ce Marseillais d’origine organise depuis Strasbourg la lutte contre les braconniers et les mafias de toutes sortes qui massacrent les grands animaux africains. Il y a urgence : si rien d’efficace ne s’y oppose, les éléphants et les rhinocéros auront disparu d’ici vingt ans… /// TEXTE JEAN-LUC FOURNIER PHOTOS Wildlife Angel – DR
Il ne faut pas longtemps pour cerner de près le parcours de Sergio Lopez quand il se pose calmement devant nous dans le cadre d’une petite brasserie du quartier des Halles à Strasbourg. Il ne faut pas longtemps car son physique « parle » : certes la voix est plutôt douce et posée mais ses yeux bleu acier sont à l’évidence le reflet d’une personnalité bien trempée et se rivent aux vôtres dans la seconde. Au fur et à mesure que les mots se déroulent, les mains s’animent et ponctuent fermement les phrases avec de gestes précis et mesurés. Cet homme de 55 ans traverse manifestement la vie en sachant parfaitement où il en est et ce qu’il veut… « J’ai baroudé… » Et il la raconte cette vie, qui l’aura conduit loin de sa Provence natale lors d’une carrière militaire sur laquelle il ne donnera
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Daktari, Le lion Clarence et tout ça…» sourit-il. J’ai toujours aimé les animaux africains. Petit, j’habitais près d’un zoo aujourd’hui disparu à Marseille et j’en profitais chaque jour. Mes itinéraires ont fini par converger : le scoutisme d’abord, l’armée ensuite. Quand je l’ai quittée, j’ai monté des stages de survie. Début 1980, c’était nouveau, personne n’en faisait. Puis je suis devenu guide en Afrique australe pour des touristes qui désiraient connaître ces pays au plus près de leur faune. » Le déclic pas de détails sauf un pudique « j’ai baroudé » qui, somme toute, en dit très long. Carrière poursuivie en « protection rapprochée auprès d’industriels en Afrique du sud ou au Mozambique », sur les terres d’une Afrique qu’il a toujours désiré parcourir : « Je suis de la génération
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« Il y a six ans » raconte Sergio « j’accompagnais des touristes en Afrique du sud et un jour, je repère des vautours qui tournaient dans le ciel audessus d’un point pas très loin de nous. J’ai d’abord pensé qu’il s’agissait de l’antilope blessée que nous pistions mais
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ce que nous avons découvert était bien loin de ça. En fait, nous sommes tombés sur une femelle rhinocéros à l’agonie, ses deux cornes ayant été sciées à la tronçonneuse par des braconniers. Son regard m’a bouleversé : ses yeux n’exprimaient ni la pitié ni la souffrance mais comme un reproche à l’égard de la race humaine que je représentais. Je n’oublierai jamais de ma vie ses yeux-là qui me fixaient peu de temps avant qu’ils ne s’éteignent à jamais. Ce fut un déclic : j’ai immédiatement su que je ne pouvais plus rester dans mon confort, que je ne pouvais plus rester dans le même état d’esprit que jusqu’alors. J’ai réalisé que vis à vis des générations futures, je ne pourrais pas dire que je ne savais pas. J’ai décidé d’agir… »
Un programme chargé
L’ampleur inouïe des méfaits du braconnage S’en est suivie une longue période où Sergio et Annie ont engagé leurs propres fonds pour accumuler les informations les plus complètes possibles sur les compétences à déployer pour lutter contre le braconnage. « Depuis une dizaine d’années, le phénomène ne cesse de s’amplifier » raconte Sergio. « On estime qu’un éléphant est abattu toutes les quinze minutes et que quatre rhinocéros sont massacrés par jour ! Le marché de l’ivoire d’éléphants est mondial, avec une grosse majorité de la demande dans les pays du sud-est asiatique et le moyen-orient. En ce qui concerne la corne de rhinocéros, ce sont certaines légendes attribuées à la médecine traditionnelle chinoise qui ont déclenché la forte demande des pays asiatiques. Et même si les attributs de la corne ne sont pas réels, la demande explose malgré tout. De huit à vingt milliards d’euros passent chaque année entre les mains de groupes criminels organisés, ce qui place le trafic des espèces sauvages dans le quatuor de tête avec le trafic de drogue, d’êtres humains et d’armes. Cette situation menace non seulement la survie de certaines espèces emblématiques, mais elle alimente également la corruption et fait des victimes humaines. »
En juin 2015, Wildlife Angel naissait à Strasbourg sous le statut d’association de droit local (« J’y tenais à cause du symbole européen fort que véhicule notre ville » dit Sergio). A peine un mois plus tard, une première action de formation était menée au sud du superbe parc national d’Etosha, en Namibie, où se concentrent les derniers rhinocéros « blancs » d’Afrique. « On a appris aux Rangers de là-bas à lutter plus efficacement contre les braconniers. On a tourné un petit film et des ONG nous ont ensuite contactés. Elles ont la même problématique que nous mais elles ne possèdent pas les ficelles du côté opérationnel, dit Sergio. Le WWF et l’IFAW, une ONG internationale, ont salué notre initiative. Aujourd’hui, ces organisations comptent sur nous pour avoir les infos qu’elles ne possèdent pas. Sur le terrain, on audite, on patrouille avec les forces gouvernementales, on leur fait comprendre l’origine de la menace. Quand on a bien cerné les carences, on entre ensuite dans la phase de formation, sans oublier d’apprendre aux Rangers à se protéger eux-mêmes des braconniers ou des trafiquants. Car ceux-là ne rigolent pas… » Wildlife Angel a un programme chargé dans les mois qui viennent. Le Bénin, le Burkina-Faso et le Niger attendent les formateurs de l’ONG strasbourgeoise en septembre prochain. En 2017, la République du Congo réclame un audit sur la situation des Bonobos, ces primates dramatiquement convoités par les zoos chinois qui n’hésitent pas à commanditer la capture massive des bébés, ensuite importés sous la simple mention « chimpanzé » dont le commerce est légal. Outre Annie et Sergio, une dizaine de cadres animent Wildlife Angel : des spécialistes informatique et réseaux sociaux, marketing, communication et aussi financiers : « Il faut trouver des mécènes pour financer nos actions et nous sommes également en train de monter un comité scientifique. C’est un gage de sérieux » conclut l’éternel baroudeur. ◊ /// www.wilang.org
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C ÉLIN E CAM PET TO ET EMMANU EL MOU IL LON
L’audace d’être soi, enfin…
A l’étage, cet espace de formation ou tout simplement de réunion peut être réservé…
Au beau milieu de la rue du Faubourg de Pierre, Amphora, une boutique (presque) comme les autres. La porte passée, on comprend vite qu’elle regorge de richesses à découvrir. Aux manettes, un couple lumineux, chacun d’entre eux ayant déjà parcouru un sacré bout de chemin… /// TEXTE ALAIN ANCIAN PHOTOS Mediapresse - dr
Les difficultés de leurs vies professionnelles les ont amenés à marcher sur le chemin très particulier du travail sur soi. Et l’amour a fait le reste… Aujourd’hui, Céline, 44 ans, et Emmanuel, 47 ans, se souviennent des douloureux événements qui les ont conduits à Strasbourg pour créer Amphora. « D’origine québecquoise, j’ai été sportive de haut niveau en trampoline » raconte Céline. « Plusieurs fois championne de France, j’ai aussi participé aux Championnats du monde. Les aléas de mon sport m’ont très vite fait prendre conscience d’une réalité qui, je le pense, concerne tout le monde : quand on souffre physiquement, il n’y a pas que la blessure à soigner (pour ça, un osthéopathe était à ma disposition quand je pratiquais), il y a aussi une
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dimension psychique à travailler. Le bac passé, je me suis engagée dans des études de thérapeute corporelle. Parallèlement, j’ai entrepris une démarche quasi existentielle en tentant de discerner et de me poser à moi-même les vraies questions importantes. A trente ans, j’étais mère d’un petit garçon et là sont venues d’autres questions : qu’est-ce que je fais pour qu’il puisse grandir dans un monde meilleur ? Suis-je un vrai modèle pour lui ? Tout ça m’a engagée dans la volonté ferme d’être moi-même et la méditation m’a bien aidée pour trouver les réponses à l’intérieur de moi. Il m’a fallu notamment pas mal me déconditionner de la vie de « starlette » qui avait pu auparavant être la mienne, en tant que sportive de haut niveau et habitant Cannes… »
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« On m’obligeait à mentir à mes clients… » Jusqu’en 2008, Emmanuel, picard d’origine, menait à Paris la vie trépidante d’un cadre supérieur bancaire bardé de responsabilités depuis de très nombreuses années jusqu’à devenir au sein de sa banque le responsable de la lutte anti-blanchiment. Les conséquences de l’énormité de la crise financière lui sont alors apparues comme réellement insupportables : « Ce fut particulièrement douloureux » se souvient-il. « Ma hiérarchie m’a menti et m’a obligé à mentir à mes clients. Deux ans plus tard, mon corps a dit stop ! J’ai fait un violent burn-out. Seule la chimie m’a alors été proposée. J’ai cherché des réponses ailleurs et je me suis intéressé à l’aromathérapie. Ce fut un premier pas,
puis le karaté que je pratiquais depuis vingt ans m’a aidé à me ressaisir. Après m’être vraiment intéressé aux médecines douces, je me suis tourné peu à peu vers le bouddhisme zen et la méditation. » Le projet Amphora est né de la rencontre entre ces deux êtres blessés par la vie mais infiniment désireux de se reconstruire et de partager avec les autres cette autre voie sur laquelle ils se sont engagés. La boutique est entièrement dédiée au mieux-être sous toutes ses formes. « Devenir acteur de son changement personnel » comme le dit joliment Céline, « c’est se poser les bonnes questions et partir à la quête de sa vérité. Les gens entrent pour acheter, certes, mais ils comprennent très vite qu’ici, tout est différent. Bien sûr, notre but est de pouvoir vivre de nos ventes mais la vraie ambition est de faire découvrir à plein de gens beaucoup de produits qui peuvent les aider. Ces produits ne sont généralement accessibles que dans les circuits alternatifs : Amphora les propose dans un même lieu. 95% de nos clients sont M. et Mme Toutlemonde : ils nous questionnent beaucoup, on explique, ils prennent le temps de réfléchir, ils reviennent et finissent par tester. A l’étage, nous avons installé l’institut de massage dont je m’occupe personnellement » poursuit Céline. « Je suis alors perçue comme la thérapeute que je suis. On termine souvent une soirée par une méditation commune, on ne se met pas au-dessus des gens, on est avec eux… » « Ce lieu , on ne l’a pas fait pour nous seulement » dit Emmanuel. « Une dizaine de copains nous ont aidés et les travaux ont duré trois mois. On a ouvert le 3 juin de l’année dernière et depuis un an, on couvre nos charges, c’est le plus important et on a de bons chiffres de vente. On continue à investir pour développer nos gammes de produits et proposer à la location nos espaces mieux-être ou formation. On avance… Céline conclut : « Plutôt que de se projeter dans un « nouveau monde » qui reste très utopique pour l’heure, les gens qui vivent ici et maintenant dans ce monde qui est en train de muter doivent être aidés. Il leur faut des passerelles pour cela. Amphora en est une, modeste certes, mais elle existe… » ◊ /// www.AMPHORA-ARTDEVIVRE.FR
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Agrovelocity
C lément Gremillet et Maximilien Koegler roulent pour l’ avenir
A New-York et dans toutes les grandes cités du continent nord-américain, les « fermes urbaines » se développent.
Clément Gremillet et Maximilien Koegler n’ont pas vu « Demain », le film de Mélanie Laurent et Cyril Dion. Et pourtant leur projet, leur énergie et leur foi en l’avenir y font bigrement penser. « Pas grave, se console Clément en souriant. Tous les gens qui m’en parlent me disent qu’on n’aurait rien appris en ce qui concerne notre spécialité. » /// TEXTE Véronique Leblanc PHOTOS DR
Ces deux alsaciens, experts en matière d’agriculture urbaine, se sont connus durant deux années de prépa au Lycée Jean Rostand de Strasbourg. Puis ils se sont retrouvés à SupAgro à Montpellier et ont décidé de poursuivre le travail lancé par d’autres étudiants avant eux : « Ils avaient eu cette idée folle de faire 12 000 km à vélo pour étudier en huit mois l’agriculture urbaine en Europe, raconte Clément, nous avons décidé de faire la même chose mais sur un autre continent. » « Agrovélocité », l’entreprise initiale, s’est alors déclinée en « Agrovelocity » et exportée aux Etats-Unis et au Canada.
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Entre autres New York, Philadelphie, Baltimore, Washington, Pittsburg, Cleveland, Detroit ainsi que Toronto, Kingston, Ottawa et Montréal où ils ont fini leur périple. Quatre mois et demi par monts et par vaux en comptant sur le réseau d’accueil « Warm Shower » dédié aux cyclistes globe trotters pour trouver, un lit, une douche chaude - of course - et souvent un repas. Clément Gremillet (à gauche) et Maximilien Koegler
5 000 km à vélo D’avril à août 2015, Clément et Maximilien ont ainsi parcouru 5000 km sur leur bécane respective et étudié par le menu l’agriculture urbaine dans treize villes.
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Business Model des fermes urbaines Et au bout du compte ? En quoi l’agriculture urbaine nord américaine se distingue-t-elle de l’approche
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européenne ? « Chez nous, elle est encore mal connue, répond Clément, en Amérique et au Canada, elle l’est beaucoup plus. » Parmi les axes étudiés par les deux Alsaciens s’est très vite dégagée la définition du « Business Model » des fermes urbaines. Comment peut-on dégager des revenus de la production ? Car c’est une vraie question là bas… « Parmi la soixantaine de projets que nous avons étudiés, précise Clément, il y a à boire et à manger. Certaines petites associations, new yorkaises par exemple, ont un rôle social, d’autres sont à vocation quasi « thérapeutiques » et proposent aux gens un moyen d’évacuer leur stress… Mais beaucoup de fermiers s’en sortent financièrement et pratiquent des méthodes de culture plus poussées. « Qui plus est sur des surfaces importantes », ajoute-t-il en évoquant des villes industriellement sinistrées comme Cleveland, Pittsburg, Baltimore et bien sûr Detroit. « Les gens ont reconquis ces surfaces pour faire face à un autre péril qu’on ne soupçonne pas en Europe : le « Food desert » ». Là bas en effet, quand tout s’écroule, les supermarchés disparaissent et il faut parfois faire 10 km pour trouver un magasin d’alimentation en dehors des stations service. Cultiver s’impose alors comme une question de survie et n’a rien à voir avec un hobby à la mode. » Un immense terrain des possibles De cette formidable matière engrangée à la force des mollets et passée au crible de leur formation pointue, Clément et Maximilien ont d’ores et déjà tiré des vidéos utilisées pour des cours universitaires ainsi qu’une dizaine de conférences où ils ont insisté sur « le rôle de villes et des collectivités territoriales dans le développement de l’agriculture urbaine ». « C’est vrai qu’au moment où on est partis, peu de choses se passaient en France, constate Clément. Aujourd’hui les choses commencent à bouger. Paris veut que, d’ici 2020, cent hectares de toits et murs soient végétalisés dans la capitale avec trente d’entre eux destinés à la production alimentaire. L’idée est assez dingue dans une ville aux toits pentus mais les sites ont été identifiés et les appels à projets lancés. »
Rendre Strasbourg « meilleure » ? Et à Strasbourg ? « L’Eurométropole étudie la question de l’agro-quartier envisagée en bordure de la forêt de Pourtalès à la Robertsau et, une semaine après notre retour, elle nous a demandé de venir en discuter avec les responsables », raconte Clément. Reste que si « Strasbourg est la ville française qui compte le plus grand nombre de jardins familiaux », il a l’impression « qu’en matière d’agriculture urbaine, les projets n’en sont encore qu’à leurs balbutiements… » Maximilien et lui rêvent en tout cas de faire quelque chose ici. « J’aimerais rendre ma ville natale « meilleure » », dit le premier. « Trouver un terrain, monter une ferme qui soit un lieu de vie où les gens puissent venir et relocaliser la production alimentaire « dans leur tête »… Pour l’heure, il installe des fermes aquaponiques (mix agriculture et élevage de poissons) à Liverpool où il supervise également quatre sites d’agriculture urbaine. Il a 24 ans, tout comme Maximilien. L’avenir s’ouvre à eux au moment où leur solide formation d’ingénieur-agronome spécialisé en agriculture urbaine n’est partagée que par une trentaine de personnes en France. « Demain » aura besoin d’eux, c’est une certitude. ◊ /// www.agrovelocity.org
Le terrain des possibles est immense, Clément en est convaincu. Notamment au niveau de la rémunération des fermiers puisqu’à New York notamment, la mairie a décidé de leur reverser les montants correspondant aux litres d’eau absorbés par les cultures qui ne s’écoulent pas dans les canalisations et ne doivent donc pas être traités. D’autres exemples de ce type existent déjà en banlieue parisienne où certaines municipalités rémunèrent l’éco-pâturage qui rend inutile la tonte des terrains où broutent les moutons.
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S P O RT SA N TÉ SUR O RDO NNANCE
Quand Strasbourg
montre la voie à tout le pays
L’automne dernier, cinq cent personnes issues de plus d’une centaine de territoires français sont venues assister à Strasbourg aux 1ères Assises Européennes Sport Santé sur Ordonnance. Pionnière depuis 2012 sur la prescription d’activités sportives par le médecin généraliste traitant, l’expérience strasbourgeoise est aujourd’hui une référence dont s’inspirent nombre de collectivités françaises… /// TEXTE Jean-Luc Fournier PHOTOS Mediapresse - MaxPPP - DR
L’histoire ne dit pas qui a battu l’autre mais elle est quand même précise sur les circonstances : à l’issue d’un match qui l’opposait à Roland Ries (grand tennisman devant l’éternel), Alexandre
programme début avril 2012, en profitant de la Journée du parcours du cœur et de la présence du champion Stéphane Diagana. Au mois d’octobre suivant, les premières prescriptions étaient prises en compte et ventilées sur les premières activités sportives proposées. Le buzz a été hallucinant avec des centaines de demandes d’interviews venant de toutes parts, même du Québec ! Michel Cymes (le médecin de la télé qui œuvre quotidiennement sur France 5 – ndlr) a fait son travail de communicant et de médecin. C’était parti… » se souvient en en jubilant encore Alexandre Feltz. Un bilan super positif
Feltz (ci-dessus), son adjoint au maire en charge de la santé a réussi à lui parler de sa grande idée. « C’était un vendredi soir » se souvient-il. « Je lui ai présenté ce projet que je travaillais depuis longtemps et qui consistait à faire prescrire des activités sportives par les médecins généralistes, ces activités étant animées et encadrées par le service des sports de la ville. L’adhésion du maire a été immédiate et on a lancé le
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Quatre ans plus tard, le programme innovant initié à Strasbourg aligne des statistiques impressionnantes : 300 médecins ont prescrit le sport à plus de 1200 patients depuis son lancement. En moyenne, 750 personnes pratiquent une ou deux activités sportives chaque semaine et entre trente et quarante patients rejoignent le programme chaque semaine également.
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Une belle variété d’activités sportives a été mise en place : les classiques comme la marche nordique, la natation ou la gymnastique ont été rejoints par l’aquagym, l’aquabike ou encore l’aviron. Mais il y aussi le Vel-Hop, la marche dans l’eau (l’été)… -lire l’encadré ci-contreL’épidémie des maladies chroniques En bon médecin généraliste (profession qu’il continue d’exercer en parallèle de son mandat municipal) Alexandre Feltz aligne les méfaits de la sédentarité, « le fléau
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MODE D’EMPLOI
de la vie moderne » selon lui. « Les maladies chroniques comme le diabète, l’hypertension, l’obésité, les maladies cardio-vasculaires, sans parler du cancer bien sûr, peuvent être très efficacement combattue par l’activité physique. Sport Santé sur ordonnance est un véritable médicament contre ces fléaux. Ce n’est pas nouveau, l’INSERM avait déjà notifié tout cela dans ses recommandations il y a six ans, mais l’expérience-pilote de Strasbourg l’a validé dans les faits. On va bien sûr continuer » conclut l’adjoint à la Santé « les futurs bains municipaux rénovés du boulevard de la Victoire vont devenir le vaisseau-amiral du Sport Santé sur ordonnance à Strasbourg… » ◊
On peut difficilement imaginer plus simple et plus efficace. Dès que le médecin généraliste a prescrit l’activité sportive dont il estime que son patient a besoin, ce dernier se connecte au site internet de la Ville de Strasbourg, indique son numéro de téléphone dans le formulaire contact dédié au programme. Un des deux éducateurs sportifs dédiés le rappelle pour lui fixer un rendez-vous, généralement dans les trois semaines qui suivent. Après un questionnaire simple et des tests d’effort adaptés (comme par exemple mesurer la distance parcourue en quelques minutes entre deux piliers de la tribune du stade de la Meinau où le secrétariat administratif du programme est basé), le patient choisit lui-même deux activités sportives hebdomadaires qu’il s’engage à pratiquer. Il repart avec son livret personnel, véritable aide-mémoire et qui sert de suivi sur sa pratique hebdomadaire. Précision : ces deux activités sont entièrement gratuites les deux premières années. La troisième année, une participation de prise en charge des moniteurs accompagnants est demandée, son montant variant selon le quotient familial du patient (entre 20 et 100 € par an à ce jour).
Joëlle Jolly
Joëlle Jolly, 42 ans, est l’un des deux éducateurs qui encadrent tout le dispositif. Cette sportive dans l’âme (évidemment…) a rejoint le programme Sport Santé sur ordonnance depuis l’origine, fin 2012, après avoir été entraîneur professionnel national de natation et formatrice au CREPS durant trois ans. « Je vis une passionnante aventure humaine en encadrant ce dispositif » nous dit-elle avec la passion dans la voix « mais c’est aussi le cas pour ses bénéficiaires. En dehors bien sûr des bienfaits de l’activité physique pratiquée, le plus important pour moi est le bien-être
social et psychologique que ces gens retrouvent. Beaucoup redécouvrent ainsi un lien humain dont la maladie les avait quelquefois privés. Cela leur permet de grandement dédramatiser et de mieux vivre leurs pathologies. Ils leur faut en général et en moyenne six mois pour retrouver un rythme qui leur convient. Là, ils disent « j’ai remis le pied à l’étrier, je me sens bien, je veux continuer… » Il y a très peu d’abandons de pratique chez ces gens, seules des causes personnelles comme par exemple un déménagement ou l’aggravation de leur pathologie peuvent les éloigner du programme. Pour moi, être partie prenante d’un projet dont le bénéficiaire est au cœur est humainement d’une richesse phénoménale. D’autant qu’il est très intergénérationnel : les tranches d’âge s’étalent de 18 à 82 ans… » Les propos de Joëlle Jolly ne sont pas des éléments de langage de circonstance. Nous avons personnellement suivi quelques activités de marche nordique sur les surprenants sentiers bucoliques bordant la rivière Krimmeri près du stade de la Meinau (on n’a pas idée de la beauté de ces endroits, en contrebas des avenues de cette très dense zone urbaine). De petits groupes mixtes où tous les âges sont représentés marchent chaque mardi matin. La bonne humeur est toujours présente, chacun évolue selon son rythme, ne rechignant jamais à l’effort et dans le respect intégral du potentiel physique de chacun. On y sent nettement le plaisir de retrouver une activité physique régulière et derrière tout ça, ce sont bien des pathologies qui, sans bruit et très régulièrement, se stabilisent et voient leurs néfastes effets diminuer… ◊
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ENTRETIEN
Philippe
Richert /// ENTRETIEN JEAN-LUC FOURNIER PHOTOS MÉDIAPRESSE
“ Nous allons construire des réussites communes ! ” Avec le recul, comment avez-vous analysé les événements des deux tours du scrutin de décembre dernier ? « D’abord, il y a eu la déception du premier tour, qui a été bien réelle. Certes, en Alsace, on a fait jeu égal avec le Front National, dans le Bas-Rhin largement devant même, mais dans les huit autres départements, le Front National était en tête. Pour quelqu’un comme moi, engagé depuis longtemps dans la vie publique, ce fut une déception, oui…
s’étaient pas rendus aux urnes au premier tour se sont alors déplacés en masse. Ceci dit, si j’étais heureux, ce n’était pas d’un bonheur béat. Je mesurais déjà très bien que si on ne voulait pas revivre la même chose dans cinq ans, il allait falloir construire. Maintenant, on a devant nous une vraie obligation de résultats… Pour beaucoup, la grande crainte était que l’Alsace se voit diluée dans ce très vaste ensemble au point d’y perdre son âme. Et ici, à Strasbourg, la crainte était également grande que le statut de notre ville subisse les contrecoups des inévitables arbitrages, chaque territoire revendiquant légitimement sa « part du gâteau »… J’ai eu pleinement conscience de ces enjeux avant même que la campagne ne débute. Aussi, je me suis appliqué bien en amont à rencontrer et convaincre tous les acteurs politiques d’Alsace, de Lorraine et de Champagne-Ardenne. D’ailleurs, à Metz, Roland Ries, Dominique Gros et moi-même nous nous sommes rencontrés et bien mis d’accord. J’ai toujours dit qu’il fallait que Strasbourg soit le siège de la nouvelle grande région. Et j’ai ajouté que Strasbourg, en tant que capitale, serait à la fois le siège de la Préfecture de Région et celui du Conseil régional. Dans ces conditions-là, je n’ai fait que réaliser ensuite ce que j’avais dit auparavant. Et ça n’a pas fait débat car sincèrement, j’avais construit tout ça avant même d’être élu et aujourd’hui, tout se décline avec l’accord de tous. C’était plus qu’important que tout fonctionne très vite et avec un maximum d’efficacité : il ne faut quand même pas oublier que la
Après Frédéric Bierry, président du Conseil départemental du Bas-Rhin, (lire notre numéro n°20 d’avril dernier), Or Norme a rencontré le président de la nouvelle Région Grand Est six mois après son élection de décembre dernier qui a donné le top-départ d’un intense meccano institutionnel visant à fédérer le plus vite possible les trois anciennes régions et leurs personnels. Tour d’horizon, perspectives, ambitions…, les sujets à aborder n’ont pas manqué.
Vous ne l’aviez pas envisagé avant ce premier tour ? Pas à ce point, pour être franc. Je connaissais ce risque. Je m’étais engagé notamment pour battre le Front National et je n’ai cessé d’en parler aux gens autour de moi, ceux-là même qui composaient pourtant des listes solides, avec des élus engagés depuis longtemps dans leurs territoires. Ce que l’on avait craint est arrivé… Evidemment, j’ai ensuite été heureux de la position prise par les Socialistes ou les Ecologistes, du moins la plupart, localement par Roland Ries, Catherine Trautmann, Robert Hermann, mais aussi par leurs leaders des autres régions. Finalement, on avait tous l’ambition que la grande région ne soit pas dirigée par le Front National. ça aurait été une véritable catastrophe. Au-delà de ma personne, j’ai été heureux qu’il y ait eu ce mouvement, cette vraie mobilisation audelà des partis concernés. Mon analyse, six mois plus tard, c’est qu’entre les deux tours, les gens ont vraiment pris conscience de ce qu’allait signifier la victoire du Front National. La meilleure preuve en est qu’au deuxième tour, nombre d’électeurs qui ne
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ENTRETIEN région Grand Est, c’est aujourd’hui 7500 salariés, que notre budget qui est de 2,5 milliards d’euros va passer cette année à près de 3 milliards avec les transferts venus des différents départements. Il faut donc mettre tout cela en place, revoir tous les projets. Il a fallu réorganiser les services, aménager les directions, répartir les présences sur le territoire et tout ça avec un maître-mot : être le plus rigoureux possible dans l’utilisation de l’argent public. C’est cette logique qui a prévalu quand on a décidé de rester sur les trois sites : Strasbourg, Metz et Châlons-en-Champagne. C’est exactement la même organisation que notre Land allemand voisin, le Bade-Wurtemberg. Le siège est à Stuttgart mais ils ont conservé le Regierungspräsidium de Karlsruhe et le Regierungspräsidium de Fribourg… Avant même l’élection, j’avais dit qu’on conserverait sur les trois sites une Maison de la Région, avec à sa tête un directeur général secondé par un secrétaire général. Et j’avais aussi précisé que toutes les directions des services seraient maintenues sur les trois sites. Toutes les politiques que nous mettons en place, sur les lycées, les transports ferroviaires, l’accompagnement de l’économie, l’apprentissage et tant d’autres sont quand même dans les faits extrêmement territorialisées. Elles avaient donc besoin de cette proximité-là… Se pose donc la question des économies à réaliser, ce qui était un des arguments gouvernementaux au moment de l’élaboration des nouvelles régions…
volontaire et deux directeurs alsaciens ont choisi d’aller travailler à partir du site de Metz… Nous allons mettre en place également de nouvelles agences pour répondre aux problématiques des compétences nouvelles qui vont nous être attribuées, comme les transports scolaires par exemple. C’est évident que là, il faut une proximité maximale… Reste qu’aujourd’hui, après que chacun ait pu prendre totalement connaissance des différentes politiques qui étaient menées dans les anciennes régions, on est déjà entré dans cette nouvelle étape qui consiste à construire les politiques de la région Grand Est. Et dans ces politiques, les caractères particuliers et les sensibilités de chacun vont bien sûr continuer à exister : l’Alsace restera l’Alsace, bien sûr. On a par exemple créé ici l’Agence d’Attractivité de l’Alsace, 3000 entreprises privées y adhèrent, on va bien sûr conserver cette agence. En Lorraine, le Conseil Départemental de Moselle crée une agence d’attractivité par la fusion de son agence de développement économique et son Comité départemental du Tourisme. J’ai invité Patrick Weiten à réfléchir à l’extension de cette démarche à l’échelle Lorraine. Il y a aussi une agence d’attractivité à Reims et Troyes a également des ambitions à cet égard… Ensuite, à partir de cette organisation multipolaire respectueuse des territoires, il y aura une vraie démarche pour construire des réussites communes : la véritable et réelle identité de la région se fera sur cette base de ces réussites communes. De Wissembourg à Saint-Louis, il y a cependant une forte majorité de gens qui considèrent que cette fusion n’est absolument pas une bonne chose pour l’Alsace… Et certains vous accusent même de trahison… Je le sais bien. Je le dis moi-même : je pense que cette loi a été mal faite et trop hâtivement élaborée… Mon rôle est de m’atteler maintenant à faire de cette région, une région forte. Il faut savoir avancer avec des bases peu solides comme l’a été cette loi. C’est ce que je fais tous les jours. Et certains ajoutent que si le référendum visant à établir une collectivité unique et qui s’est soldé par le refus des Alsaciens il y a trois ans avait été gagné, jamais l’Alsace ne se serait retrouvée dans la situation institutionnelle dans laquelle elle est aujourd’hui… Ces mêmes vous reprochent d’avoir perdu ce référendum… J’aimerais qu’on se souvienne bien qu’à l’époque, j’avais prévenu : nous avons une occasion unique de nous prendre en main nousmême mais si nous ratons cette étape, un jour, demain, je ne sais pas quand… nous serons sans doute amenés à le regretter.
“ La politique, c’est aussi
donner du sens, donner des
valeurs, faire évoluer
la société et ne pas seulement subir les évolutions qui
Et pendant que je disais ça, d’autres, dont Charles Buttner, qui étais alors président du Conseil général du HautRhin, menait en réalité une campagne contre la collectivité unique. Malgré tout ça, on avait quand même fait 58% de « oui » en Alsace mais ça ne suffisait car dans le Haut-Rhin, seuls 45% des électeurs ont voté « oui ». Tout ça parce que des forces d’opposition sont nées dans mon propre camp… Quelquefois, l’Alsace est comme ça, elle passe son temps à râler contre tout ce qui vient de Paris mais quand l’Etat lui donne la possibilité de décider de son destin, elle n’a pas le courage d’aller jusqu’au bout !.. Quand le gouvernement a décidé que ce serait Alsace – Lorraine – Champagne-Ardenne, les autonomistes alsaciens m’ont accusé en effet de traîtrise. Mais la réalité n’est pas celle-là, en fait, j’ai fait le job. On ne pouvait pas faire un nouveau référendum car une consultation populaire répond à des règles précises pour être légale. Et ces règles n’étaient pas être remplies. Passer outre, comme ils me le demandaient, c’était se mettre à raconter des histoires aux gens, et ce n’est pas ma manière de faire de la politique. Je n’ai jamais perdu de vue mon objectif : celui d’aider l’Alsace et les Alsaciens…
nous sont imposées. ”
L’idée est de supprimer les doublons. On va ainsi se répartir l’instruction des dossiers et réorganiser les directions. Dans la pratique aujourd’hui, il y a huit directeurs en Alsace, huit en Lorraine et quatre en Champagne-Ardenne. Ces vingt directeurs chapeautent des personnes qui travaillent à Châlons, d’autres qui travaillent à Metz et enfin d’autres qui travaillent à Strasbourg. C’était là aussi un engagement en amont de la campagne et il a été tenu. De même qu’a été tenu un autre engagement: il n’y aura pas de mobilité forcée. Six mois plus tard, il n’y a eu aucun départ à Châlons, une seule personne a quitté Metz pour Strasbourg de manière
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Il est difficile de croire une seule seconde à ce scénario d’une nouvelle majorité issue des élections présidentielle et législatives dans un an qui reviendrait sur ce découpage… Non, à l’évidence. Il faudrait un accord unanime dans tout le pays et c’est bien sûr impossible. Le pays est dans une telle fragilité aujourd’hui qu’il ne peut certainement pas se permettre de perdre deux ans de plus sur ce sujet comme sur d’autres, d’ailleurs… Une dernière question : la parole de l’homme politique est complètement démonétisée dans notre pays et jamais le fossé n’a été aussi grand entre les citoyens et leurs élus, de quelque parti qu’ils proviennent. Vous qui avez exercé de nombreux mandats depuis le début des années 80, comment vivez-vous cette situation ? Une conviction, tout d’abord. Nous nous devons d’être encore plus exemplaires que le citoyen lambda. En même temps que nous devons avoir un comportement dans lequel nos citoyens se reconnaissent, être abordable, rester simple, il faut aussi qu’ils respectent l’élu et la fonction. En ce qui me concerne, ça veut dire que si je m’efforce d’être ainsi et qu’ensuite j’entends dire que je suis le fossoyeur de l’Alsace alors que toute ma vie, je me suis battu pour ma région, et bien ça peut faire vraiment mal, croyez-moi. Au point que quelquefois, j’ai pu me demander ce que je faisais encore là. Et en même temps, malgré toutes ces questions que je me posais, je me suis représenté car je me suis alors dit que si je ne le faisais pas, c’était de l’abandon de poste, purement et simplement, devant les risques d’une victoire du Front National dont la tête de liste avait clairement indiqué que l’Alsace n’aurait plus rien. Voilà, je suis là aujourd’hui avec cette obligation de regarder la réalité en face – le parlement a voté ainsi le découpage de ces nouvelles régions, des élections s’en sont suivies –, je reste concret, lucide et j’agis du mieux que je le peux. Quand je regarde ce qu’Adrien Zeller et moi avons réalisé en faveur de l’Alsace, et bien je préfère que ce soit ce modèle-là qui soit mis en œuvre aujourd’hui plutôt qu’un autre. La politique, ça ne peut pas être juste que des gesticulations, ça ne peut pas être juste que l’inauguration de quelques salles polyvalentes. La politique, c’est aussi donner du sens, donner des valeurs, faire évoluer la société et ne pas seulement subir les évolutions qui nous sont imposées. Sinon, ça n’est plus la peine de faire de la politique. On commande des sondages et on demande aux énarques de mettre en œuvre ce qui sort de ces sondages ! Mon engagement personnel, c’est d’abord les valeurs. C’est comme ça. A la primaire de votre camp, vous allez soutenir qui ? Je n’ai pas encore décidé. Ca va se jouer sur les valeurs justement. Je vais être attentif à cette dérive droitière qui semble se profiler. Certains pensent que la gauche a tellement déçu qu’il faut encore plus aller à droite. Non, justement, il faut au contraire se reconcentrer sur ce qui est le plus important : les valeurs justement… Et ça, les gens le sentent, incontestablement. Quand on fait de la politique, si à un moment on ne se sent pas animé par quelque chose qui nous dépasse, alors il vaut mieux rester à la maison… » ◊
OPINION
Détours de phrase Pour une greffe du R hin (contre la dissolution de l’Alsace)
Décembre 2015 : les élections régionales redessinent la carte de France. L’Alsace perd son statut politique, celui de 1982 ; et un peu de son autonomie, comme diraient les Corses ou les Bretons… Elle rejoint le grand Lego de la grande région du Grand Est, celle que l’on a tant peiné à nommer tant elle est impensable, l’affublant d’acronymes provisoires sonnant comme des noms de médicament... L’inquiétude est de mise et la question est permise : l’Alsace est-elle soluble dans l’ACAL ou ALCA ou ACLA ? Dans le Rhin Champagne ou l’Austrasie… et finalement le Grand Est ? On peut le craindre, on peut le nier ; on peut l’imaginer, comme on peut en prédire le contraire : c’est une affaire politique, profonde, une question de volonté. Et la réponse qu’elle appelle est de même nature, volontaire, visionnaire.
fertile entre une montagne primaire et un fleuve européen, une histoire au long cours, charriant un esprit, un cœur et une volonté bien à elle. Cela ne fait pas un pli : l’Alsace est Haut et Bas-Rhin (et même Territoire de Belfort), l’Alsace est rhénane, de la tête au pied, corps et âme. Après tout, aujourd’hui est peut-être une chance historique pour les Alsaciens, de faire vivre et rayonner l’Alsace en ce qu’elle est et doit être : la part française de la vallée rhénane, la part rhénane de la France, une région capitale européenne, reconnue mondialement. Libérée de son corset institutionnel, elle a le choix : se
Voilà donc la région alsacienne dépouillée de son enveloppe administrative, bientôt orpheline de ses corps constitués, livrée à une prévisible et inéluctable crise d’identité. Qu’est-ce que l’Alsace sans autorité, sans représentation ? Une plaine
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fondre dans la grande région médicament ou s’accrocher à sa ligne de vie, celle qui irrigue ses terres comme celles du grand voisin d’en face, mais aussi des Pays-Bas, de la Suisse, du Lichtenstein, de l’Autriche et même du Nord de l’Italie. L’Alsace dispose de l’espace de son rayonnement. Le Rhin n’est pas une frontière, le Rhin est un territoire. Il est le lit de l’Europe, son cœur bleu. Des confins de ses sources suisses au delta de la Mer du Nord, le Rhin nourrit une vie économique, sociale et culturelle dense et profonde, dont l’Alsace participe. A elle maintenant de trouver le temps de son rayonnement, celui de la modernité de son génie constitutif, génie mystique, humaniste, capitaliste ; un génie créateur polymorphe, spirituel, économique, social : le génie rhénan, aujourd’hui. ◊ /// Jean Hansmaennel est écrivain.
Dernier livre publié : Les Prisons mobiles (Ed. Cherche Midi) PHOTOS : DR
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ENQUÊTE
Nuit Debout Strasbourg est mort vive Nuit Debout !
Nuit Debout Strasbourg s’est asphyxiée toute seule, faute d’être en mesure de proposer et de s’ouvrir. Ceux qui voulaient co-construire sont partis, laissant pour seuls acteurs celles et ceux qui ne voulaient que dénoncer. Mort, Nuit Debout Strasbourg ? Oui, mais c’est peut-être un mal pour un bien… /// TEXTE CHARLES NOUAR PHOTOS Mediapresse
Nuit Debout Strasbourg aurait pu être une formidable aventure. Un processus de co-construction, fédérateur, dépolitisé, utile. Susceptible de déboucher sur de véritables propositions. Beaucoup y ont cru, d’ailleurs, au cours de sa première semaine d’existence. Rare, en effet, de voir autant de gens d’horizons divers se mêler. Des illustrateurs de la Haute école des arts du Rhin, des sociologues, des politistes, des entrepreneurs, des ouvriers, des chômeurs, des punks à chiens, des artistes, des architectes, des geeks, des communicants, des journalistes. Tous rassemblés entre le grand arbre de la place de la République et les marches du Palais du Rhin. Les premières rencontres, les gens s’écoutaient, apprenaient les codes gestuels. Ces mains qui se lèvent, s’agitent, se croisent, pour acquiescer, s’opposer, demander la parole, voter. Bien sûr, la scène avait parfois quelque chose d’absurde, tant elle renvoyait à
l’image du théâtre de Guignol. Mais les gens jouaient le jeu et s’écoutaient, partageaient : des envies, des colères, des parcours de vie, des idées. Oui, tout comme à Paris, Nuit Debout Strasbourg avait quelque chose de séduisant. Pour la première fois, certains avaient l’impression d’être entendus, de ne plus être seuls dans leur bulle de solitude citoyenne face à des partis politiques nationaux de plus en plus déconnectés des réalités sociales. De cette société, aussi, qui se fatigue à ne toujours pas être directement associée aux choix politiques, à la construction de notre société. L’héritage geek des années 2000 Historiquement, les années 1980, on l’oublie trop souvent, ont ouvert une première brèche, dans la construction de mouvements tels que Nuit Debout, avec
la généralisation des « open spaces », dans nombre d’entreprises. La fin des années 1990, avec l’arrivée d’Internet, ce « Village global », en a créé une seconde en ouvrant nos fenêtres, nos discussions sur le monde, en facilitant et généralisant le dialogue partagé à l’échelle internationale. Les années 2000, avec l’émergence d’une blogosphère citoyenne influente, furent un autre tournant sociétal, né d’une conjoncture d’événements : la généralisation de l’accès à Internet, mais surtout - peutêtre - la réaction de quelques journalistes, rédacteurs, vidéastes, reporters citoyens à un phénomène de blocage professionnel. Là où cette génération s’était vue promettre un plein emploi lors de ses études avec l’effet papy-boom, les postes annoncés n’ont été que très rarement remplacés. Pis, le passage de témoin, dont avaient pu bénéficier leurs aînés, ne s’opérait plus. Le raisonnement
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Les radicaux, seuls, avec « leur » Nuit Oui, la Nuit strasbourgeoise, depuis une ville symbolique, de par son histoire, de par la présence de la seule institution européenne élue au suffrage universel ou de la Cour européenne des droits de l’Homme, de par la présence, aussi, de l’une des plus prestigieuses universités européennes, aurait pu prendre valeur d’exemple. Qui mieux qu’elle en France aurait pu fédérer au-delà de ses frontières géographiques, brasser des compétences venues de toute l’Europe, nouer un débat dépassant les limites étriquées de l’Hexagone, transpartisan, transnational, et, surtout, dans cette optique, proposer et ne pas se contenter de s’opposer ? Mais voilà, aucune suite véritable donnée aux geeks, aucune volonté réelle de se mettre au travail et de proposer des pistes de réformes. Non, l’important à Nuit Debout Strasbourg était de préserver le début de ZAD, comme si le monde ne pouvait se (re)penser qu’autour d’un campement de fortune alors que rien n’empêchait matériellement de faire vivre cet espace, différemment, chaque nouvelle Nuit. Les radicaux, les extrêmes se sont finalement aujourd’hui retrouvés seuls, avec « leur » Nuit. Et ont tué eux-mêmes la Nuit strasbourgeoise. Une société ouverte où l’acte de citoyenneté ne se limite pas à déléguer de cette nouvelle génération fut alors simple pour une partie d’entre elle : attendre indéfiniment que ce passage s’ouvre, pointer à Pôle Emploi sans grand espoir d’y trouver une porte de sortie ou bien tenter l’aventure du web, de créer ses propres médias, ses propres outils, ses propres structures. Car quitte à ne rien se voir proposer, plutôt que de mendier un avenir incertain, autant essayer... Le rapport avec Nuit Debout ? Les outils digitaux de la Nuit, l’esprit transversal, le croisement et la mise en commun des compétences, sans savoir ce que cela donnera ou non, est un héritage de ces années précédentes : l’« open space », l’esprit Mojo (Mobile Journalists), les geeks, les graphistes, c’est en grande partie à eux que l’on doit la pérennité de la Nuit. Periscope, Facebook Live n’en sont que de nouveaux outils que d’autres, après cette première vague de « digital native » explorent, utilisent, développent aujourd’hui au profit du mouvement. Demain, dans d’autres sphères, dans d’autres actions… Bien sûr, le changement ne peut se faire sans tous ces autres gens qui composent le gros des troupes de la Nuit. Mais l’écrin, la mise en forme, la mise en valeur, la circulation de l’information, la viralité de la mobilisation, la réappropriation et le développement du débat public, passent et continueront à passer par ces « digital native » rejoints pas les Y, par les Z ou les C – pour génération « Communication, Collaboration, Connexion et Créativité ». Ce sont eux qui ont fait tomber ACTA, Hadopi, permis qu’une presse plus indépendante, de Médiapart, Rue89 au Jours, aujourd’hui, prenne vie en France. Ce sont eux, aussi, qui font que la French Tech émerge progressivement. Tous issus de la même mouvance geek d’origine. On pourrait parler indéfiniment des casseurs, des dérives policières, des zadistes, de Fakir, des militants d’extrême-gauche - qui, les premiers jours de la Nuit strasbourgoise, comme pour rassurer, se refusaient à afficher leur identité militante... Mais là n’est pas le plus important. Parce que l’essentiel vient de cette lame de fond née de l’open space. De cette opposition entre société ouverte et société fermée. De l’opposition entre deux projets de société.
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Nuit Debout Strasbourg : un échec, un gâchis ? Objectivement oui. Mais croire à l’inverse que celui-ci enterre la réappropriation de l’espace public en France ou ailleurs serait proportionnellement utopique. Le mouvement entamé par les Nuits est une étape. Plus visible, peut-être, que d’autres avant elle mais avec cette même logique : celle de se tourner vers cette société ouverte où l’acte de citoyenneté ne se limite pas à déléguer mais à co-décider, co-construire. Une remise à plat de notre démocratie ? Sans doute. Du moins de son mode actuel de fonctionnement, bien trop fermé au regard des attentes citoyennes. Un doux rêve ? Sans doute, à ce stade encore. Mais les outils, progressivement, se démocratisent, l’espace public s’ouvre de plus en plus à mesure que se développent de nouveaux outils citoyens, qu’ils se nomment DemocracyOS, Civocracy, Stig, Avaaz, Change ou, à une échelle plus institutionnelle, Initiative citoyenne européenne. De nouveaux médias, aussi : après les blogs, les pure players, les réseaux sociaux, les Debouts ont désormais leur radio, leur télé, leurs journaux en ligne. D’autres, dans la même veine, composent déjà leurs listes électorales, co-législatives, comme #MaVoix (lire pages suivantes). Et, inévitablement, cela pèsera dans les années à venir. D’autres pays, plus en avance, en Europe, ont déjà affiché la direction : l’Islande, pour ne citer qu’elle avec sa constitution en ligne qui, si elle fut bloquée in extremis au Parlement de Reykjavik, marque elle-aussi le franchissement d’une étape vers une démocratie plus ouverte, gage, somme toute de sa propre survie. Parce qu’à défaut de co-construction entre citoyens et entre citoyens et élus, à force de lassitude, d’abstention, d’autres Nuits risquent de nous attendre : bien plus sombres et d’un autre temps... Strasbourg a encore une chance de ne pas passer à côté de cette petite révolution copernicienne. Mais il serait temps, ici, que l’on tire enfin les leçons des échecs, et de comprendre que rien ne sera possible sans rassembler au-delà des clivages partisans et sans l’implication des geeks, seuls à même de créer les outils du changement. ◊
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ENQUÊTE
#MaVoix
L ab démocratique
Ils s’appellent, Daniel – candidat tiré au sort de #MaVoix sur la législative partielle de Strasbourg – Marc, Marion, Abdel, Didier, Bernard, Maria... Tous n’ont pu être cités dans cet entretien mais parlent d’une même voix. Celle de citoyens qui ont fait le choix de couper avec le système de partis traditionnels, avec les professionnels de la politique, et de se, nous, vous représenter, ensemble, tel un miroir de notre société, le temps d’un mandat. /// INTERVIEW CHARLES NOUAR PHOTOS MaVoix
Au-delà du résultat (4,25% des voix au premier tour –ndlr), #MaVoix n’était-elle pas surtout une élection laboratoire ? Marc : « Bien sûr, parce que l’objectif de #MaVoix était d’être présent aux législatives de 2017. Strasbourg était l’occasion pour l’ensemble du mouvement de tester ses outils, dont numériques, en grandeur nature. C’est la plus grande critique que l’on fait à #MaVoix. Les outils, certes, mais pour quel projet ?.. Abdel : Déjà, proposer une autre façon de faire de la politique : pour et par les citoyens. Pas par des professionnels de la politique qui ne représentent finalement plus qu’eux-mêmes, dans un système à bout de souffle. Dire que nous avons besoin d’une alternative dans le paysage politique est une évidence mais encore faut-il se donner les moyens de la
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construire. C’est ce que tentons de faire. Il est grand temps. Et, en soi, c’est déjà un projet politique d’ampleur. Vous dites vouloir aussi rétablir la confiance, jusqu’aux abstentionnistes, premier « parti » de France ? Didier : Oui. Tout ce qui touche de près ou de loin à la politique est basé sur la défiance et non sur la confiance. Il est temps de renverser ce schéma. Cette législative partielle fut un premier pas pour proposer un autre rapport à la politique. De mettre en place le cadre pour investir progressivement l’Assemblée nationale pour y changer les choses de l’intérieur. Marc : Notre objectif est clair. Ne pas nous contenter de parler mais de faire ainsi évoluer le système. De ne pas uniquement nous opposer mais de proposer. N’oubliez pas que l’an
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prochain, vous aurez des candidats #MaVoix dans toute la France et que quelques élus peuvent à eux seuls initier un changement. Quant à la progression d’année en année de l’abstention elle est le plus grand danger de notre démocratie. Parce que, dans l’indifférence des partis « professionnels », les gens ne participent plus au débat public et cela peut ouvrir la porte à toutes les dérives. Marion : Comprenez que le champ politique est aujourd’hui confisqué par une petite élite – toutes tendances confondues – dans laquelle les gens ne se retrouvent plus, qui se bat en son sein pour conserver ses postes. Nous ne pouvons plus continuer à cautionner cela, car cela va à l’encontre de l’intérêt général. Marc : Ne serait-ce que sur ce point, la question du tirage au sort des candidats mis en place par #MaVoix résout cette
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pourront à leur tour porter au sein de l’Assemblée nationale. En gagnant des élus, en adoptant de telles règles de fonctionnement, nous pouvons être le grain de sable qui changera positivement les choses de l’intérieur, parce qu’il n’y a que de là que nous pourrons le faire de manière démocratique.
question des luttes électorales. Un élu #MaVoix s’il veut un jour se représenter, ne pourra le faire que s’il est à nouveau tiré au sort, ce qui rend la chose certes possible mais peu probable. Ceci est fondamental car cela permet à l’élu de se concentrer exclusivement sur son mandat et la représentation des citoyens. Vous prônez aussi l’horizontalité entre élus et citoyens. Qu’entendez-vous par là ? Marc : C’est là un autre projet essentiel. Les élus de #MaVoix ont pour vocation de travailler avec les citoyens sur des dossiers. Ceux-ci sont invités à débattre avec leurs élus #MaVoix, à leur proposer collectivement des amendements sur tel ou tel dossier. Voire de leur soumettre un projet de proposition législative qu’ils
Ne pensez-vous pas que, même séduits, les électeurs ne craignent finalement le changement ? Le système actuel ne fonctionne plus, certes, mais le laisser en place a aussi quelque chose de rassurant...
Daniel : Finalement, la première question que nous devrions tous nous poser est la suivante : qui nous représente le mieux ? Pourquoi chaque citoyen ne participerait pas directement à la vie politique et législative ? La réponse, je crois, est dans cette affiche de campagne : un miroir qui renvoie à ce qui serait possible si, au-delà des partis, tous ensemble, nous nous mettions à prendre en main notre avenir. Et #MaVoix rend cela possible… » ◊ /// WWW.MAVOIX.INFO
Marion : Bien sûr. Mais regardez ce qui se passe. Des mouvements citoyens émergent partout dans le monde, jusqu’à la co-écriture d’une nouvelle constitution en Islande. Certes, ce projet a été bloqué in extremis mais la tendance de fond est là. Les citoyens ont envie d’être à acteurs de leur destin. On le voit aussi avec Podemos en Espagne, Nuit Debout et bien d’autres encore. Peu importe d’ailleurs le nom ou la forme. La tendance est là : se réapproprier le champ politique et en revenir à l’intérêt général. Cette transition démocratique prendra peut-être encore une ou deux générations à se mettre en place, mais nous y viendrons et #MaVoix participe de cet avenir.
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54 Benoit Tock, doyen de la faculté d’Histoire.
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INITIATIVE
Mieux conna î tre les mondes musulmans
L’université de Strasbourg E N P OIN T E
Avec la création d’une nouvelle licence en « Histoire et civilisation des mondes musulmans », l’Université de Strasbourg prend sa part dans la lutte contre la radicalisation et l’incompréhension mutuelle. Elle le fait avec ses armes : l’approche en profondeur et le refus des simplifications dangereuses. Un peu d’intelligence dans ce monde de brutes, ça fait du bien… /// TEXTE Véronique Leblanc PHOTOS Catherine Schröder - Unistra - DR
Janvier 2015 à Paris et puis novembre. Mars 2016 à Bruxelles… Les attentats se multiplient, les tensions s’exacerbent, les experts n’expertisent pas toujours pour le meilleur. On cherche des réponses rapides voire expéditives, des solutions prêtes à l’emploi. On veut aller vite. Répondre à l’urgence par l’urgence, au risque d’oublier le long terme en omettant de s’interroger sur les outils de compréhension du monde que nous proposons aux adultes de demain. Education et enseignement ne sont pas de vains mots et l’évidence s’est imposée en hauts lieux puisque, lors de son déplacement strasbourgeois en mars 2015, le premier ministre Manuel Valls a demandé au monde universitaire de prendre sa part dans la lutte contre la radicalisation et le morcellement qui
menace la société française. Demande confirmée par une requête conjointe des ministères de l’Intérieur et de l’Enseignement adressée trois mois plus tard à l’Université de Strasbourg pour la création d’un cursus qui débutera à la rentrée prochaine. « A quoi ça sert ce que vous faites ? » Son nom : « Licence en histoire et civilisation des mondes musulmans ». Son objectif : « analyser ces mondes musulmans - le pluriel est important dans leur profondeur historique en se fondant sur une démarche scientifique naturellement critique », explique Benoît Tock, doyen de la Faculté d’histoire qui abritera cette nouvelle formation.
Le fait que le gouvernement se soit tourné vers une faculté de sciences historiques est essentiel à ses yeux. « On nous demande régulièrement : « à quoi ça sert ce que vous faites ? », raconte-t-il. « Eh bien ça sert à mieux comprendre la société dans sa diversité et ses nouveautés. Chaque individu a une histoire. Individuelle bien sûr mais aussi collective car il appartient à un groupe familial, social, géographique et parfois religieux. L’histoire fait partie de soi et la compréhension historique de l’autre permet de mieux le comprendre en luimême. Il est donc essentiel de mieux comprendre d’autres mondes que ceux auxquels nous sommes habitués si l’on veut pacifier les relations au sein même de la société française. »
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INITIATIVE
Une perspective comparative Concrètement, cette licence comprendra 1 500 heures d’enseignement sur trois ans et jouera la carte de l’interdisciplinarité. L’histoire sera évidemment prépondérante, celle des mondes musulmans « partout dans le monde » mais en la reliant à celle de l’Europe et en incluant - dans une perspective comparative des cours d’histoire des religions. « Nous poserons par exemple la question de savoir ce qu’est le sacré, le clergé, le sacrifice, la morale, le jeûne, etc... », précise Benoît Tock. L’art et l’archéologie seront également présents ainsi que les langues, en lien avec le département d’études arabes, turques et persanes. Sans compter, car c’est une exigence universitaire, une langue vivante à choisir entre l’anglais, l’allemand et l’espagnol. Ouverte aux jeunes après le Bac, elle ouvrira à des formations et des carrières très diverses.
P ourquoi L ’ U niversité de Strasbour g ? Guillaume Ducœur, Maître de conférences en histoire comparée des religions, précise que « l’Université de Strasbourg a une longue tradition d’études orientales depuis la période allemande. Dès 1930, elle a reçu l’autorisation de faire passer une licence d’arabe dont le contenu portait sur le Coran, les commentaires coraniques ainsi que la littérature arabe. En parallèle a été fondé, en 1919, l’Institut d’histoire des religions afin de faire contrepoids aux enseignements des deux facultés de théologie et d’assurer une connaissance historique, non-confessionnelle et dépassionnée des religions (hindouisme, mazdéisme, judaïsme, christianisme, islam, etc.). La licence « Histoire et civilisation des mondes musulmans » est certes une nouveauté, mais elle s’inscrit dans une tradition continue d’études orientales. Il est heureux que l’Université de Strasbourg puisse renouer aujourd’hui avec la recherche scientifique sur l’histoire de l’Islam et de ses textes fondateurs en un temps où seul le savoir historico-critique pourra de nouveau assurer un contrepoids à l’obscurantisme et au fondamentalisme religieux » conclut Guillaume Ducœur. ◊
Alain Beretz (photo ci-dessus), président de l’Université, voit en cette nouvelle licence « une arme très puissante pour lutter contre la radicalisation et aider à une meilleure intégration républicaine ». Elle est pour l’heure unique en France. Strasbourg est donc en pointe et l’on ne peut que s’en réjouir en espérant, pour le bien de tous, qu’elle ne gardera pas trop longtemps cette exclusivité. ◊
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CULTURE
Quatorze compag nies régionales
à Avignon
Chaque jour de juillet, les compagnies rivalisent d’astuces pour mettre en avant leur spectacle
La Région Alsace Champagne-Ardenne Lorraine accompagne quatorze compagnies régionales en juillet prochain au festival Off d’Avignon : de quoi leur offrir une belle vitrine durant de temps fort de l’année théâtrale et favoriser la diffusion de leurs spectacles… /// TEXTE Benjamin Thomas PHOTOS DR
Le festival Off d’Avignon attire chaque année plus d’un millier de programmateurs de scènes nationales, salles publiques et privées ainsi que des centaines de journalistes, tous en quête de dénicher le ou les spectacles qui vont nourrir leur programmation à partir de la future saison 2017-2018, la saison à venir étant bouclée depuis des mois maintenant. Ce rendez-vous est donc incontournable pour les compagnies régionales, en quête de visibilité. Sur place, entre les 7 et 30 juillet prochains, elles vont vivre, à un rythme souvent exténuant, plus de trois semaines durant lesquelles elles joueront et rejoueront leurs productions, tout en en assurant chaque jour la promotion par tous les biais possibles : flyers distribués de la main à la main sous la canicule, affiches, extraits joués dans la rue quelquefois, avec comme seul objectif qu’un programmateur ou un critique se retrouve assis dans leur salle et en ressorte convaincu d’inscrire leur spectacle dans sa future programmation…
visibilité pendant ce festival reconnu au plan national et international. Ce soutien à la diffusion est, pour la Région, l’occasion de témoigner de la vitalité et de la diversité de la création artistique de son territoire et de la faire rayonner pendant un des plus grand rendez-vous du spectacle vivant. Plus de 238 000 € leur ont été attribués afin de participer à leurs frais, à la location des salles et à l’organisation de l’opération. Grande Région oblige, La Caserne des pompiers (lieu emblématique du Off), qui était investie depuis vingt ans par les artistes de Champagne-Ardenne, est devenue brusquement trop étroite. Les quatorze spectacles se répartiront donc entre la Caserne et huit autres salles, toutes situées au cœur de la ville. La Caserne des pompiers abritera également l’exposition de photos « Scènes du Grand Est », présentant les lieux emblématiques du spectacle vivant d’Alsace ChampagneArdenne Lorraine. Le soutien à la diffusion La Région Alsace Champagne-Ardenne Lorraine va donc accompagner quatorze compagnies professionnelles lors du Off et leur permettre de bénéficier d’une
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Or Norme sera présent au Off 2016 d’Avignon pour suivre de près l’actualité des compagnies strasbourgeoises et plusieurs pages seront publiées dans notre numéro de début septembre prochain. ◊
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L’incroyable séductrice /// TEXTE Jean-Luc Fournier PHOTOS MEDIAPRESSE - DR
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L a dolce-vita
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Difficile de résister à l’envie d’utiliser un superlatif à chaque paragraphe tant la Toscane est une séductrice redoutable. Sa lumière si belle et si spéciale est mondialement connue, sa campagne regorge à chaque virage de paysages incroyables et époustouflants, ses villes ne sont pas en reste et concentrent des trésors artistiques et architecturaux uniques au monde. Quant à sa gastronomie et son art de vivre, on touche là au quasi divin. Elle nous est si proche et si facile à atteindre que tarder encore pour la découvrir serait bien stupide… /// TEXTE Jean-Luc Fournier PHOTOS Mediapresse - DR
La Toscane échappe à toute tentative de classement et c’est peut-être ça qui est le plus attirant. Elle n’est pas au nord de l’Italie (là-bas, autour de Milan, Turin, Parme…, il y a trop souvent du brouillard et il y fait souvent froid…), elle n’est pas au centre (elle laisse volontiers cette position à l’Ombrie, sa voisine), elle se niche juste au-dessous de l’EmilieRomagne à l’exacte latitude de la Corse dont elle emprunte avec élégance cette beauté si particulière. La Toscane est unique et elle le sait : ici, on est d’abord florentin avant d’être italien, ici, quand le tam-tam du Calcio propage son boum-boum, on est d’abord supporter de la Fiorentina avant d’encourager la Squadra Azzura et, quand le Pape s’en vient en visite à Florence comme ce fut le cas en novembre dernier, le maire et Sa Sainteté discutent d’égal à égal, en chefs d’Etat ! Elle est fière, la Toscane, elle a une personnalité susceptible et elle n’aime pas être anonyme au milieu du peloton. Sa destinée est d’être en tête… Si elle était une femme, elle rendrait folle de jalousie ses congénères tant elle est belle et lumineuse en toute circonstance. Des rives de la mer Ligurienne et ses
plages blanches qui restent encore à découvrir, le fleuve Arno nous sert de guide pour rejoindre Florence que l’Histoire a façonnée en capitale culturelle, artistique et politique et où, à chaque coin de rue aux alentours du Ponte Vecchio on sent encore la présence de la vieille dynastie des Médicis. Florence, que Nicolas Léger, un jeune alsacien professeur de philosophie et d’histoire vous fait (re)découvrir dans les pages qui suivent. Au sud et à l’ouest de la capitale toscane, on pénètre dans la splendeur des paysages de la campagne toscane et de cette lumière exceptionnelle, réellement exceptionnelle, qui baigne tous ces écrins démentiels de beauté. Il y a bien sûr Sienne, dont Katharina Schlaipfer qui dirige désormais le Hilton Florence après des années passées à Strasbourg, dit à quel point cette ville la magnétise encore et encore, sans répit. Il y aussi ces villages comme San Gimignano qu’on a surnommé un peu facilement le Manhattan toscan à cause de ces tours médiévales si élevées qu’on les dirait frêles et graciles ou encore Monteriggioni, ce superbe petit village
cerné par des remparts devant lesquels ont échoué bien des baronnies locales moyenâgeuses. Et enfin il y a le Val d’Orcia qui déroule ses paysages panoramiques sous nos yeux, cette terre toscane si belle, si élégante, si racée. Des tons verts du printemps à l’ocre de l’automne, ce moment où les vignes du chianti se parent de couleurs incroyables, oui, cette Toscane-là est une incroyable séductrice à laquelle il ne nous viendrait pas une seule fois à l’idée de refuser de succomber. Au moment où ce numéro de Or Norme paraîtra, à la mi-juin, ce sera la période idéale pour programmer votre séjour à l’automne prochain. Entre les derniers jours d’octobre et les premiers de novembre, le climat toscan est d’une douceur irréelle, les couleurs des vignes flamboient sous le soleil, les terrasses de Florence, de Pise ou de Sienne sont autant de promesses de moments de bonheur et la Toscane rayonne littéralement. N’hésitez pas une seconde… ◊ (lire nos « Bons plans Toscans » page 74)
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FLORENCE Florentine d’abord, italienne ensuite...
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N icolas Lég er
La mia Firenze
*
* Mon Florence
L’alsacien Nicolas Léger est prof de lettres et de philo au lycée Victor Hugo de Florence, dirigé par M. Pinto, son proviseur, que nous remercions pour son accueil chaleureux. Le lycée français de Florence a trouvé sa place via della Scala, dans les bâtiments de l’académie néo-platonicienne où Machiavel a lu ses Discours sur la décade de Tite-Live. Passionné de la ville où il enseigne depuis deux ans, Nicolas, qui collabore régulièrement avec le magazine de cinéma La 7ème Obsession et la revue Esprit, nous parle de son Florence de cœur…
ARNO ///
C’est le maître de Florence : il scinde majestueusement la cité en deux. Les promenades sur ces berges souvent battues par le vent sont toujours une perspective plaisante. Il suffit d’ailleurs pour quitter les méandres de touristes et des cannes à selfies, de traverser un des ponts pour découvrir des quartiers très vivants et plus apaisés. Au passage, une perspective éclatante dominée par le ciel toscan surgit, comme un défi de la nature aux toiles de maître. La place Santo Spirito reste éveillée toutes les nuits du printemps et de l’été alors que
la librairie-café La Cité et ses canapés entourés de rayonnages de livres, elle, accueille les florentins tout au long de l’année. Mais la littérature hante aussi les murs de Florence : Lamartine, Dostoïevski achevant L’Idiot face au palais Pitti avait élu domicile de ce côté de la ville. Un peu plus loin, le quartier San Niccolo et son Jardin des Roses, baigné de silence, avec une vue imprenable sur le Dôme et sur le fleuve. À quelques pas de là, dans la rue sombre San Niccolo, a vécu le grand cinéaste Tarkovski… Les hommes passent mais l’Arno continue de couler et nous le savons indomptable. On raconte même que Machiavel et De Vinci ont parcouru ensemble la campagne toscane pour construire un canal entre Florence et Pise. Mais les travaux prométhéens ont été interrompus par une crue du maître des lieux. En parcourant Le Prince,
La Cité - Libreriacafé
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le lecteur tombe sur une comparaison de la Fortune à la colère d’un fleuve imprévisible et impétueux qui bouleverse nos plans de vie : la leçon de l’Arno n’aura pas été vaine. Pour se faire une idée de l’ampleur de ses colères, lire L’année du désastre de Kressman Taylor.
CALCIO ///
Le foot. Si je n’en suis pas amateur, la ferveur des florentins pour leur équipe m’impressionne. C’est bien simple : les soirs de match, l’humeur de la ville dépend intégralement de la victoire ou de la défaite de la viola. Le violet, couleur officielle, se porte ici fièrement. Montres, pulls, mobilier des bars et même scooters : tout est là pour nous rappeler cet amour inconditionnel pour la Fiorentina. Le même homme charmant qui vous sert le café avec un sourire la veille pourra vous maudire le lendemain si vous avez le malheur de passer devant l’écran un soir de match. Le foot s’inscrit dans un héritage lointain à Florence. Sur la place Santa Croce, on peut assister l’été à des matchs de Calcio Storico
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durant lesquels s’affrontent les quartiers de la ville. Loin des matchs policés de nos stades modernes, le Calcio storico tient plus du pugilat collectif : pas moins de 54 joueurs et tous les coups permis pour mettre la balle dans le camp adverse. Au delà du côté folklorique, un trait local se dessine là : le florentin défend avant tout son quartier, puis Florence, puis la Toscane et enfin l’Italie (surtout pendant l’Euro ou la Coupe du monde).
Osteria Pastella
Mercato Centrale
gastronomie. Ou encore un tour à Cent Ori, trattoria conviviale de San Niccolo. L’Osteria Pastella sur la via della Scala près de la gare est imparable, même si un peu onéreux. Seule petite ombre à ce tableau idyllique pour le français à Florence : le pain toscan est consommé de préférence dur et, hérésie, sans sel.
Gastronomie ///
Il est inutile de s’attarder sur l’art toscan de la table: il n’a plus de preuve à faire. Un simple tour au Mercato Centrale, surtout au premier étage, confirmera la réputation mondiale de cette
Littérature Livres ///
Boccace, Dante, Machiavel… Ils ont fait cette ville plus qu’ils ne lui ont appartenu. Si Florence doit bien évidemment beaucoup à ses chefs d’œuvre de la Renaissance, elle doit son aura mystérieuse à l’imaginaire littéraire qu’elle convoque. Ses jardins où l’on philosophait, ses ruelles labyrinthiques gardent cette empreinte. Dieu s’est absenté mais le paysage toscan, constellé de monastères, et cette ville ponctuée d’églises et de Madone ont gardé les traces splendides de l’amour des hommes pour le mystère de l’Infini et du Beau. Le monastère franciscain du
Cent Ori
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village de Fiesole (photo ci-dessus) sur les hauteurs, nous vaut une des plus belles pages de Camus dans Noces. Une de ses questions majeures - et on le comprend devant ce cloître- aura été peut-être de savoir si l’on peut être un Saint, sans Dieu. Pour ce qui est des livres eux-mêmes, la première bibliothèque humaniste de San Lorenzo et ses ouvrages aux reliures de cuir attachés aux bancs par des chaînes est un bijou parmi d’autres. Les rayons de la Librairie française et de la médiathèque de l’Institut Français (le premier au monde avec une bibliothèque en conséquence !) sur la place Ognissanti, quant à eux, sont là pour subvenir à l’appétit spirituel dans la langue de Molière.
Signes ///
Flâner dans les rues de Florence est sans fin. On peut parcourir une rue et la voir sous un œil différent à chaque nouveau passage, en prêtant attention à l’infinité de signes qui la peuple. Etonnamment, comparée à d’autres villes italiennes comme Venise ou Rome- et surtout s’il pleutFlorence peut dégager une certaine austérité. Eaux brunes de l’Arno, pierres massives du palais Strozzi, créneaux du palais Riccardi ou façades médiévales du sinistre Bargello (où Machiavel subit l’estrapade) et du Palazzo Vecchio rappellent le passé tumultueux de la cité. Si les splendeurs du Duomo ou des statues de la loge de la place de la Seigneurie s’offrent immédiatement au regard, nombre de trésors sont derrière les murs. Le pouvoir médicéen savait faire un étalage parcimonieux de ses richesses, insufflant ce mélange de discrétion et d’élégance, de brutalité et de raffinement désormais propre à la ville. Lever simplement la tête peut être l’occasion de découvrir au travers de fenêtres, un plafond orné de superbes fresques. Dans de petites alcôves, des Madone veillent sur chaque carrefour au milieu du bruit et de la circulation. Les portes de bois massif sont gardées par des heurtoirs aux visages de faunes ou de dieux antiques le front plissé. Ici et là, des plaques de marbre blanc sont gravées des citations de la Divine Comédie, nous rappelant qu’Enfer et Paradis ont trouvé leur inspiration ici.
VÉLO ///
Moyen de transport idéal pour contempler la campagne toscane (Fiesole, toujours) et les rues florentines. Simplement, pour survivre, il faut accepter de se soumettre à la loi du plus fort. Hiérarchie à retenir : bus – voiture – moto – scooter et enfin, vélo. C’est toujours mieux que piéton. ◊
Adresses ///
LA CITÉ – LIBRERIACAFÉ Borgo San Frediano 20 R +39 055 21 03 87 Plein de micro-événements
www.lacitelibreria.info OSTERIA PASTELLA Via Della Scala 17/R +39 055 267 0240 CENT’ORI Via San Niccolo 48r Florence, Italie +390552638897
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sienne L’indomptée
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Sienne et son Palio ///
Cet événement qui attire des spectateurs venus du monde entier a eu lieu pour la première fois autour de l’année 1650 sous sa forme encore actuellement organisée. Mais ses origines sont sans doute encore plus lointaines… Deux courses ont lieu : l’une en juillet mais la course la plus prisée est la seconde, le 16 août, au lendemain de l'Assomption et est dédiée à la Vierge Marie. L’événement vaut autant pour tout le cérémonial qui le précède - défilé haut en couleurs et en son des différents contrade (les quartiers) - que pour la course elle-même, qui se tient en très peu de temps. Les spectateurs arrivent tôt le matin, et emplissent peu à peu le centre de la place, à l'intérieur de la piste jusqu'à ce qu’il soit saturé (les places ici sont gratuites). Des places assises, vendues là prix d’or longtemps à l'avance, sont également disponibles de même qu’il est possible de louer des places sur les balcons des immeubles qui cernent la piazza di Campo. Dix chevaux, et leur cavalier qui monte à cru, c’est à dire sans selle, s’élancent pour trois tours de piste où, chaque année, les accidents sont au rendez-vous. La piste est très glissante et la vitesse excessive projette les chevaux et leurs cavaliers sur les extérieurs où, malgré les protections, les chutes sont spectaculaires et très dangereuses. A noter que les cavaliers ont le droit de frapper avec leur cravache non seulement les montures mais aussi leurs propres concurrents. Le vainqueur est le premier cheval qui termine la course avec ses ornements de têtes intacts, même si son cavalier n’a pas réussi à passer la ligne d’arrivée sur sa monture. Le quartier vainqueur reçoit le Palio, le drapeau en soie qui sera exhibé fièrement toute l’année suivante. Chaque année, de violentes critiques viennent des associations de défense des animaux et des vétérinaires qui protestent contre les mauvais traitements faits aux chevaux. ◊
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VAL D’ORCIA
De splendeur en splendeur
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K ATH A R I N A SCHL A IPFE R
SON CRI D’AMOUR P OUR L A TO SCA N E
Déjà plus de deux ans que Katharina Schlaipfer a quitté notre ville. Elle qui fut directrice commerciale de l’Hilton Strasbourg il y a déjà dix ans avant de diriger l’Hilton Bruxelles puis de nous revenir avec cette fois-ci le titre de directeur n’a laissé que des bons souvenirs ici. Un signe qui ne trompe pas : quand certains de ses ex-collaborateurs strasbourgeois ont su que nous allions la retrouver à Florence, ils ont rempli nos bagages de plein de bises à lui faire… Pour elle, l’appel de l’Italie a été le plus fort… « L’Italie et moi, c’est déjà une longue histoire » nous confie-t-elle très tôt le matin sur la terrasse de l’Hilton Métropole Florence où on vient de nous servir un copieux petit-déjeuner. « J’ai passé sept ans à Rome à l’hôtel Cavalieri et trois autres années à Venise, dans un des plus beaux établissements de la chaîne Hilton, dans l’écrin de l’île de la Giudecca. J’en suis donc à ma douzième année italienne et je ne me lasse pas de cette ambiance où l’art, la gastronomie, l’art de vivre font partie intégrante du quotidien. C’est bien sûr le cas ici en Toscane, et particulièrement à Florence. Cette ville a tout d’abord une immense originalité, surtout en Italie : son hypercentre est entièrement fermé aux voitures alors, pas le choix, j’ai acheté un scooter ! Sans lui, inutile de se risquer au centre
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ville tellement c’est compliqué. Cette ville regorge de merveilles : la Piazza Michelangelo, la colline San Miniato, les jardins di Boboli, je ne m’en lasse pas. J’aime profondément l’ambiance de cette ville, ses petits théâtres innombrables et surtout ses restaurants. Florence a une gastronomie qui lui est propre mais l’Italie, comme la France, c’est un vrai bonheur à ce niveau-là : j’aime les trattoria, les osterias tout autour de la piazza del Carmine, il n’y a là-bas que des Florentins qui font la cuisine. Quelquefois, ces restaurants sont minuscules mais ce qui nous est offert dans l’assiette est une vraie splendeur. J’adore ! » « La Toscane tout entière est une merveille » poursuit Katharina. « Depuis toujours, j’adore Sienne si bien
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symbolisée par sa cathédrale à la façade sublime et son intérieur, ces dalles qui racontent des histoires extraordinaires. Je pourrais y passer des heures et des heures. Ce prochain été, je vais participer au Palio sur la piazza di Campo. Je n’ai jamais osé jusqu’à présent le faire seule, ça m’aurait trop fait peur mais en août, un collègue siennois va m’accompagner. Tout l’intérieur de la Toscane est merveilleux : San Gimignano est un village perché d’une beauté irréelle dont l’histoire est marquée par les riches familles qui l’ont habité et qui ont rivalisé pour construire ces hautes tours. J’aime aussi Lucca, cette petite ville pittoresque près de Pise et bien entendu tout le val d’Orcia, là où la campagne toscane nous offre ses plus beaux paysages. Mais plus récemment, j’ai découvert une autre
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Toscane, celle près de la côte ligure entre Livourne et Follonica. Elle est bien moins connue que la Toscane de l’intérieur mais ses vignes produisent des vins fantastiques comme le Sassicaia ou encore l’Ornelailla qui sont devenus très à la mode aujourd’hui. Le cépage San Giovese ne pousse qu’en Toscane, on ne peut pas le trafiquer car seul le sol toscan lui donne sa saveur unique. Cette région possède aussi d’immenses plages de sable blanc peu connues des visiteurs. J’y vais souvent. J’aime cette terre car j’aime les Toscans et leur amour pour leur région. Leur terre, ils en prennent soin, ils n’autorisent pas qu’on fasse n’importe quoi, ils la protègent et la chérissent » conclut Katharina qui nous a si bien et si chaleureusement accueillis dans l’hôtel qu’elle dirige à Florence, au cœur de cette Italie qu’elle vénère… ◊ /// Hôtel Hilton Florence Métropole
Via del Cavallaccio, 36, 50142 Firenze Tél : +39 055 7871 www.hiltonflorence.com
Le relais Borgo Scopeto ///
C’est le bon plan exclusif que la rédaction de Or Norme souffle à votre oreille si vous séjournez aux environs de Sienne. Les amoureux des vieilles pierres vont être comblés, ceux du luxe et du charme aussi. Au cœur d’un domaine de vergers et au bout d’une superbe allée où les ifs et cyprès vous font une inoubliable haie d’honneur, le Borgo Scopeto Relais propose ses chambres d’un confort haut de gamme dans une ancienne bâtisse de maître entièrement rénovée sans que pour autant l’authenticité n’en souffre. Piscine de rêve, terrasses ensoleillées ou, le soir, sonorisées par le concert des cigales, l’endroit est d’un paisible absolu. Une nuit là-bas vous retape le stressé le plus harassé. A partir de deux nuits, c’est le nirvana… ◊ /// 53019 Vagliali di Castelnuovo Berardenga
Sienna Tél : +39 0577 320 001
info@@borgoscopetorelais.it www. borgoscopetorelais.it
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LES BO N S PLAN S
TOSCANS Y A LLE R AVION
Easyjet (depuis Bâle-Mulhouse) propose plusieurs vols par semaine dans les deux sens à destination de l’aéroport de Pise. Tarif intéressant : à partir de 70€ A/R. Aucune autre compagnie low-cost ne dessert la Toscane à partir de notre proche région. On peut atterrir directement à Florence si on accepte de se rendre à Paris pour décoller. Cinq compagnies desservent la capitale toscane : Vueling, Iberia, British Airways, Alitalia et Air France. Les prix « à partir de… » s’étalent entre 100 € et 192 € (aller simple).
Les aéroports et les gares abritent tous les principaux loueurs de voiture. L’engin est incontournable pour visiter la Toscane profonde (le réseau local de chemin de fer est plus que rudimentaire et les bus rares). Attention : si la voiture est indispensable dans 90% des cas, elle est à bannir si vous séjournez à Florence. La ville a été la première (et est pour l’instant la seule en Italie) à agir drastiquement contre la voiture dans son hyper-centre. Il est rigoureusement inaccessible et surveillé 24h sur 24. Les non-résidents ont l’interdiction de circuler et de stationner dans l’hyper-centre du lundi au vendredi de 7h30 à 19h30 et le samedi de 7h à 18h. Les limites de la zone interdite sont bien définies. Aux points d’accès, des indicateurs électroniques spéciaux, bilingues, indiquent à l’aide de feu vert ou rouge si l’accès est autorisé ou pas, selon l’heure. Ces points d’accès sont contrôlés par des caméras de surveillance qui détectent automatiquement le numéro de plaque d’immatriculation des véhicules qui y circulent. Attention : ne jouez pas au plus fin, les PV (120 €) sont envoyés en France par courrier recommandé avec accusé de réception (on sait de quoi on parle…)
DORM I R
TRAIN Via Bâle et Milan (les deux changements incontournables), on peut rejoindre Florence en moins de 9h et il vous en coûtera entre 123 € et 265 €, selon les dates de voyage et la classe choisie (aller simple). Pas de train de nuit possible.
VOITURE Le trajet depuis Strasbourg est relativement direct et n’emprunte que les autoroutes allemandes, suisses et italiennes. Comptez à peu près 9h de route pour effectuer les 783 km, à peu près 150 € de carburant, plus les péages en Italie et la vignette autoroutière suisse, obligatoire pour traverser l’Helvétie (40 CHF). Attention au point noir du tunnel du Gothard (évitez les départs scolaires allemands, néerlandais, belges et autres…). En été ou au début de l’automne, on peut choisir de monter le col. C’est long, sinueux en diable mais là-haut, la vue est unique. La descente sur le Tessin italien est vertigineuse et un poil stressante.
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La réputation de l’hôtellerie italienne s’est considérablement améliorée depuis deux décennies. A Florence, les restrictions d’accès en voiture au centre-ville (voir ci-dessus) vous inciteront sans doute à préférer l’immédiate périphérie. La plupart des grandes chaînes d’hôtel comme l’Hilton dirigée à Florence par Katharina Schlaipfer l’ont bien compris et proposent de généreux parkings pour abriter votre véhicule et des navettes régulières (chaque demi-heure) pour rejoindre le centre-ville ou en rentrer, même tard dans la soirée. La navette de l’Hilton Florence Métropole vous dépose près de la gare centrale, à deux pas de la magnifique église Santa Maria Novella. Là, vous êtes à dix minutes à pied du fameux Duomo, une des merveilles proposées par cette ville. A Sienne, la capacité hôtelière est bien moindre qu’à Florence et les accès au centre-ville sont là aussi compliqués par des interdictions nombreuses et surtout des interdictions de stationner à proximité immédiate de votre hôtel. Les garages proposés par les établissements sont rarissimes et hors de prix, la plupart du temps. On préférera s’éloigner et séjourner dans la splendide campagne siennoise où l’on déniche facilement des joyaux comme le Borgo Scopeto Relais évoqué page 77. Tous les villages de la campagne toscane dont nous parlons peuvent être facilement visités depuis Florence avec retour en soirée ou au début de la nuit. Attention : si vous désirez absolument y séjourner, les hôtels sont rares et avec une capacité de chambres réduite quand ils existent. On peut avantageusement séjourner dans les chambres d’hôtes, nombreuses et garanties de bonne qualité quand elles sont réservées via le site www.agriturismo.net/toscane
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A DÉCOUVRIR (en plus des merveilles bien connues...)
F LOR EN C E
Autres restaurants que ceux déjà cités par Nicolas Léger (page 62) Si vous souhaitez déjeuner ou diner dans une authentique osteria de quartier, avec ses habitués, son folklore, sa cuisine familiale exceptionnelle et l’accueil convivial et « sans façon » qui va avec, l’Osteria i Riffaioli et son Chef Andrea Siviero vont vous caresser les papilles avec une cuisine labellisée Slow Food (c’est dire) où vous retrouverez ce que la Toscane produit de plus magique. Un peu excentrée mais la table est réellement excellente !
La colline de Fiesole
/// Osteria i Riffaioli Via Ponte alle Riffe 4/r Tél. +39 55 5088070 - info@osteriairiffaioli.com - www.osteriairiffaioli.com
(Bus Ligne 7 depuis le centre-ville). Depuis le sommet, la campagne toscane est resplendissante de beauté. Une découverte Or Norme : l’Institut Universitaire Européen est un véritable havre de paix et de tranquillité. Son cloître et ses jardins sont des endroits divins. Sa terrasse est un must. L’accès y est contrôlé et normalement réservé aux étudiants et aux professeurs mais une grande amie de Or Norme, la grecque Anna Triandafyllidou, y est directeur de recherche et enseigne la diversité culturelle. Elle nous a fait savoir qu’elle serait prête à vous faciliter les choses, si elle est disponible. Cette délicieuse amoureuse de Florence adore également Strasbourg qu’elle connaît bien grâce à l’épouse de Spyros Tsovilis, l’écrivain et grand ami de notre rédaction à Strasbourg. Son français est excellent et son punch et son sourire légendaires. Anna peut être contactée, en se référant de Or Norme, via le mail anna.triandafyllidou@eui.eu. /// Institut Universitaire Européen de Florence Via Roccettini, 9, 50014 San Domenico di Fiesole Tél. +39 055 46851
Une boutique-atelier où, depuis 1926, on produit devant vous livres, albums-photos, agendas, carnets de notes et de dessins.. en papier et en cuir. L’artisanat et sa noblesse sont ici élevés au pinacle. Divine surprise : les prix sont tout à fait accessibles (un carnet de notes, reliure cuir patiné, est 30% moins cher qu’un produit industrialisé de marque Moleskine vendu en France). Et, en prime, le sourire de la patronne est charmant !
/// Sogni in Carta Via della Scala 65r Florence Tél. +39 338 9663650 www.sogniincarta.com
La Terrasse de la Galerie des Offices Fatigué par les centaines de mètres de salles et de couloirs d’exposition d’un des plus beaux musées du monde, un peu saturé de tant d’or et d’enluminures typiques du quattrocento italien, cette terrasse est faite pour vous. Son imposant environnement historique est remarquable... /// Galeria degli Uffizi - Piazzale degli Uffizi, 6 Florence - www.uffizi.com
Au sommet de la colline San Miniato Contigue au parking public sur le sommet de cette célébrissime colline florentine, la vue est somptueuse et imprenable sur l’Arno, le Duomo et tous les monuments du centre-ville de Florence. Un must pour qui veut capter une des photos les plus emblématiques de la ville en soirée, quand le coucher de soleil habille la ville de ses couleurs dorées…
S I ENNE Une institution : le CONSORZIO AGRARIO SIENA.
SOGNI IN CARTA Une boutique précieuse et unique
Deux terrasses à la vue extraordinaire
Dans un même lieu à l’orée des rues piétonnes du centre-ville de Sienne, les caves coopératives et certains paysans indépendants de la campagne siennoise se sont réunis pour proposer à la vente et à la dégustation sur place le meilleur de leurs produits. C’est un festival de charcuteries, de vins, de légumes finement préparés, de pâtisseries et de dolci divers et variés qu’on a du mal à imaginer quand on n’y a jamais mis les pieds. Evidemment, on peut aussi se contenter de l’inévitable (et gigantesque) part de pizza mais elle aussi est à la hauteur du reste de l’établissement car préparée par la maison Menchetti, réputée depuis 1948 comme servant parmi les meilleures pizzas de la botte italienne (et Dieu sait si la concurrence est rude !). /// Consorzio Agrario Siena - Via Pianigiani 5 - Siena
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PORT FOLIO LU CAS A DL E R
Un jour, on lui a offert un Nikon D3000 et il a soudain découvert, sans complexe, toutes les possibilités du numérique. Son truc, c’est le ciel (orages, grands vortex nuageux, voie lactée, aurores boréales…) qui le plonge aussi dans un « abîme de poésie et de philosophie ». Sans complexe encore, il adore utiliser Photoshop, « pas pour tricher » mais pour mieux nous communiquer la profondeur de ce qu’il voit et que nous ne ne savons plus regarder… (lire aussi page 30) lucas.adler.photo@gmail.com
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ours numéro 21 / juin 2016
ORNORME STRASBOURG 11 Boulevard de l’Europe 67300 Schiltigheim CONTACT josy@mediapresse-strasbourg.fr DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Josy Falconieri josy@mediapresse-strasbourg.fr DIRECTEUR DE LA RÉDACTION Jean-Luc Fournier jlf@mediapresse-strasbourg.fr RÉDACTION Alain Ancian Erika Chelly Jean-Luc Fournier Véronique Leblanc Charles Nouar Benjamin Thomas GRAPHISME Julie juliefournier.designer@gmail.com
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Dépôt légal : JUIN 2016. ISSN 2272-9461 magazine.ornorme.strasbourg Crédit photo de Couverture : LTPHOTOGRAPHY
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