EDITO
SÉRÉNITÉS ‘‘Dans la sérénité, je joins mes mains et j’attends Sans soucis du vent ou des marées, Je ne m’emporte plus contre le temps ou le destin, Car je sais que ce qui m’appartient vient à moi. Je ralentis ma course, je prends mon temps, Car à quoi sert ma précipitation ? Je suis au cœur même de l’éternité, Et ce qui m’appartient me sera donné. (…)’’ Attendre – poème de John Burroughs (1837-1921)
La Mer de la Sérénité se trouve loin de nous, très loin même. Giovanni Riccioli, astronome italien du XVIIème siècle l’a placée sur la face visible de la Lune. Chaque soir donc, quand la météo et le cycle de notre satellite naturel le permettent, nous pouvons l’observer, si proche et si lointaine à la fois.
parvient, quand on a appris de la vie qu’à tout moment, chaque chose, chaque émotion existe en même temps que son contraire, son complément. Que le Monde ne fonctionne finalement que par ce subtil équilibre entre le Bien et le Mal, le bonheur et le malheur, entre le Yin et le Yang du Tao.
Le chaos du monde, dans lequel nos sociétés dites « civilisées » évoluent, nous a inexorablement éloignés de cet état de paix intérieure, qui pourtant, si on se réfère aux Sages les plus anciens, est notre nature profonde.
La posture qui permet d’accepter sa propre dualité autant que celle des autres et du Monde est, sans aucun doute, une voie privilégiée pour atteindre la sérénité, en respectant la loi de l’équilibre.
On ne compte plus les ouvrages consacrés aux méthodes, plus ou moins orthodoxes, pour nous aider à vivre l’instant présent, à nous reconnecter, et à pratiquer la compassion et la bienveillance envers les autres, et surtout envers nous-mêmes. Autant de vertus qui seraient indispensables sur le chemin vers la sérénité.
Dans ce numéro 25 d’Or Norme, vous trouverez, je l’espère, matière à satisfaire cet équilibre, en découvrant, parmi d’autres, la révolte de Fatou Diomé, la joie de Marc Keller, la fraternité des Cogitore… et la belle sérénité de Kankyo Tannier.
Pas si loin finalement de la vision bouddhiste de l’équanimité, il y a la place pour d’autres sérénités. Celles, peut-être plus en phase avec notre histoire occidentale, auxquelles on
Patrick Adler directeur de publication
CONTRIBUTEURS
OR NORME
VÉRONIQUE LEBLANC
ERIKA CHELLY
La plus française des journalistes belges en résidence à Strasbourg. Correspondante du quotidien « La Libre Belgique », elle est un des piliers de la rédaction de Or Norme, depuis le n° 1. Sa douceur est réelle mais trompeuse : elle adore le baroud et son métier. On l’adore aussi.
Elle hante les « backstages » parisiens (souvent) et alsaciens (parfois), elle est incollable sur l’art et les artistes contemporains. Malgré ses 35 ans, elle a tout lu de Kerouac et de la « beat generation » et elle écoute Tangerine Dream en boucle. Décalée avec son époque. Or Norme.
ÉRIC GENETET
ALAIN ANCIAN
Il a rejoint Or Norme à l’automne dernier. Journaliste, il écrit aussi des livres édités par Héloïse d’Ormesson. Fan de football et de tennis, il a également touché à la radio et même à la télé. Enfin, grâce à son IPhone, vous le retrouverez aussi sur l’appli Or Norme.
Journaliste à Or Norme depuis le n° 1, il se passionne pour les sujets sociétaux et n’a pas son pareil pour nous expliquer en réunion de rédaction toutes les incidences de telle ou telle mesure sur la vie des « vrais gens ». L’honnêteté pousse à dire que les faits lui donnent rarement tort…
CHARLES NOUAR Journaliste, à Or Norme depuis le n° 1, il écrit également des pièces de théâtre et se passionne pour… la cuisine thaï. Fan de l’Ailleurs sous toutes ses formes, véritable citoyen du monde, il est capable de citer de mémoire des pans entiers de textes d’écrivains lointains.
BENJAMIN THOMAS Ce journaliste est d’une polyvalence rare tant sa curiosité personnelle et professionnelle est insatiable. Sport, culture, cinéma, opéra, théâtre, mais aussi pêche à la ligne, rando dans les Vosges, vététiste, acteur de théâtre amateur. Où s’arrêtera-t-il ?
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VINCENT MULLER
Ch’timi de naissance et alsacien d’adoption, ce jeune photographe est arrivé à Strasbourg il y a sept ans, sans la moindre ligne sur son carnet d’adresses mais avec une volonté de fer. La photo de presse et de reportage est sa passion, son œil est innovant et très créatif.
C’est avant tout l’un des plus réputés des photographes portraitistes en Alsace. Ses clichés des écrivains des Bibliothèques idéales ont fait le tour des réseaux sociaux. Il n’a pas son pareil pour, très rapidement, créer une ambiance particulière qu’on retrouvera sur les visages qu’il capture.
RÉGIS PIETRONAVE
JEAN-LUC FOURNIER
Son nom sonne comme celui d’un bandit corse mais il n’a jamais vécu sur l’Île de Beauté. Il est le responsable commercial de Or Norme, c’est dire si notre revue qui ne vit que grâce à ses annonceurs compte sur lui. Il a la pression mais son large sourire ne le quitte jamais.
ORNORME STRASBOURG ORNORMEDIAS 6 Rue Théophile Schüler 67000 Strasbourg CONTACT contact@ornorme.fr DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Patrick Adler patrick@adler.fr DIRECTEUR DE LA RÉDACTION Jean-Luc Fournier jlf@ornorme.fr
Directeur de la rédaction, il a créé Or Norme en 2010 avec une forte conviction : la presse gratuite n’a aucune raison de se cantonner à quelques vagues articles publi-rédactionnels au milieu de nombreuses pubs. Pari réussi : Or Norme est reconnu comme un magazine de journalistes.
JULIEN SCHLEIFFER Graphiste, animateur, généraliste 3D et développeur web, notre illustrateur Julien Schleiffer est aussi un spécialiste en image animée. Il développe également ses talents en écriture filmique. Outre son travail qu’il exerce en indépendant, il enseigne également à l’Université de Strasbourg.
PATRICK ADLER Directeur de la publication de Or Norme, il est aussi le co-fondateur de Aedaen Place et de Aedaen Gallery, deux lieux qui sont vite devenus le QG de la rédaction. Décidé à travailler « dans le plaisir permanent », il adore également écrire et la rédaction a accueilli bien volontiers sa belle plume.
RÉDACTION redaction@ornorme.fr Alain Ancian Erika Chelly Jean-Luc Fournier Éric Genetet Véronique Leblanc Charles Nouar Benjamin Thomas
ILLUSTRATEUR Julien Schleiffer
DISTRIBUTION Impact Media Pub
CONCEPT & CRÉATION GRAPHIQUE Izhak Agency
TIRAGES 15 000 exemplaires
PHOTOGRAPHES Alban Hefti Vincent Muller
IMPRESSION Valblor - Illkirch-Graffenstaden
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Tous déposés dans les lieux de passage de l’agglomération. Liste des points de dépôt sur demande. Dépôt légal : JUIN 2017. ISSN 2272-9461 Photo de couverture : Alban Hefti
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LE GRAND ENTRETIEN 012 FATOU DIOME Le cri du cœur OR SUJET 018 #ESPRITSTARTUP L’esprit startup souffle-t-il sur Strasbourg ?
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022 JÉRÔME SCALIA Awaken Car 026 RÉMY PERLA Epopia 028 LAURENT SCHMOLL i-Nside et TokTokDoc 030 SÉBASTIEN DERIVAUX Alsace Business Angel 032 DO YOU SPEAK STARTUP ? 040
034 OSOSPHÈRE 2017 Chasseur d’an-nuit 038 LA COOP, POUR NE PAS MANQUER LE BON TRAIN. 040 MARC KELLER ‘‘Le plus dur commence, on va maintenant nager en haute mer…’’
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OR CADRE 046 PETER KNAPP ‘‘Je dessine comme d’autres fument’’ 048 STANISLAS NORDEY ‘‘Si l’on enferme le théâtre dans une chose muséale, il va mourir’’ 052 DR. FINBERG & Mr E 034
048
054 JULIEN TÉHÈME Écrire, pour être heureux 058 KANKYO TANNIER Chut…
SOMMAIRE
ORNORME N°25 SÉRÉNITÉS
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066 LES COGITORE Une famille ‘‘faiseuse d’hommes’’
WEDNESDAY AgENcY - 44 gL 552 116 329 RcS PARIS - Photo REtouchéE
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Du lunDi au sameDi De 9h30 à 20h
OR PISTE 072 YVES ZEHR Le cri de vérité d’un homme en souffrance 078 PRESSE ÉTRANGÈRE Strasbourg et l’Alsace passés au scanner danois 072
082 FIP STRASBOURG EN ALERTE Il va falloir se mobiliser ! 086 CROSSCHECK Combattre les fausses informations : un vrai challenge pour la presse 090 DÉCOLLAGE L’ISU et l’Université de Strasbourg à la conquête de l’espace 094 1PIC4PEACE Une image peut changer le monde
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096 RICHARD TEYSSIER ‘‘Je suis allé courir en Jamaïque avec Usain Bolt’’ 0100 LE PIÉTON DE STRASBOURG OR BORD 0102 ANNABELLE KREMER Extra terrestre
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0108 MINE GUNBAY Carnet de voyage OR D’ŒUVRE 0112 CÉDRIC KUSTER - RESTAURANT LA CASSEROLE ‘‘Je suis locavore’’ 0114 ÉVÉNEMENTS OR NORME 0118 VU D’ICI
0102
SOMMAIRE
ORNORME N°25 SÉRÉNITÉS
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0120 PORTFOLIO Nicolas Cytrynowicz 0126 OR CHAMP À l’aveugle, entre les lignes… par Thierry Danet
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C’est qui Maurice ?
GRAND ENTRETIEN
Sandrine Roudeix – Léa Crespi / Flammarion - DR Jean-Luc Fournier
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OR NORME N°25 Sérénités
LE GRAND ENTRETIEN
Texte :
Photos :
FATOU DIOME Le cri du cœur Rencontre avec l’auteure strasbourgeoise Fatou Diome au lendemain même du second tour de l’élection présidentielle. Quelques semaines auparavant, son dernier livre, joliment titré « Marianne porte plainte ! », écrit dans sa veine habituelle avec une langue follement inventive, avait fait une entrée en fanfare sur les étals des librairies françaises. Dialogue sur le même ton, sans langue de bois…
Or Norme. « Marianne porte plainte ! » a été reçu comme un véritable cri du cœur face au danger alors représenté par une possible victoire de la candidate du Front national. Marianne porte plainte, en effet, parce qu’elle est très mécontente de ce que l’on fait de sa devise. Cette devise est depuis toujours généreuse, mais certains, sous prétexte de défendre l’identité de notre pays, se mettent à la rogner, à la rétrécir. Dire « La France ce n’est pas ceci… la France ce n’est pas cela… », je trouve ça très frileux. Ce serait infiniment plus beau de dire : « La France, c’est ça, puis ça, puis encore ça… » Ça provoquerait du plaisir, de la passion, et la France, on pourrait l’aimer plus facilement. Ce sont ces discours de ces identitaires sévères qui m’ont heurtée… Or Norme. Le livre a donc été écrit en prévision d’un moment stratégique, l’élection présidentielle. Elle vient de se tenir et la candidate du Front national a échoué, malgré les quelques onze millions de voix qui se sont portées sur elle. Et heureusement. J’ai été soulagée. La grande inquiétude a été levée. Une preuve de plus que la France a de belles valeurs et qu’elle sait les défendre. Les loups peuvent toujours hurler, il y a des millions de gens qui se lèvent et qui disent : « Nous ne voulons pas de ça, de cette France du rejet, de la peur
et de l’angoisse. » Je suis heureuse du vote des gens, ils se sont prononcés pour quelque chose d’optimiste… Écrire ce livre, c’était monter au combat, pour moi. Mais je savais que je ne serai pas seule, que mes compatriotes seraient vigilants et que nous serions pléthore de combattants. Et nous l’avons tous prouvé aux urnes, en choisissant une France des droits . Or Norme. On se souvient qu’en amont du premier tour, un candidat, François Fillon, avait déclaré que la France n’était pas une nation multiculturelle… Lui, du coup, on l’a rendu monoculturel, dans sa défaite (grand éclat de rire) ! Le coup de la peur, ça n’a pas marché. Quand nous les Alsaciens, nous fréquentons des amis corses, bretons ou auvergnats, c’est toujours la même France, mais avec des cultures et des particularités régionales différentes qu’on apprécie et qu’on adore découvrir, non ? C’est ça, la richesse de la France. On a tous adhéré à des valeurs pour être ensemble. C’est ça la Constitution de notre pays : elle ne se préoccupe pas de la couleur, de la langue, des origines. Elle s’est appliquée d’abord pour des gens d’origine européenne puis ensuite pour des gens venus d’ailleurs qui s’engagent à respecter ces valeurs-là aussi. Or Norme. Lors de quasiment chaque interview, vous ne manquez jamais de parler de votre grand-père et de votre grand-mère qui vivaient tous deux au Sénégal quand vous étiez encore enfant, puis adolescente. Que vous ont-ils appris de la France ? Je parle en effet souvent d’eux car, en matière d’éducation, il faut rendre à César ce qui lui appartient. On parle de l’école, du lycée, de l’université, mais il n’y a pas que ces institutions, il y a aussi la famille. Moi, mes piliers, mes fondamentaux, étaient mes deux grands-parents maternels. Ils m’ont éduquée et m’ont appris une façon de voir la vie que l’école et l’université sont venues ensuite enrichir. Ils m’avaient appris des valeurs, et les années scolaires qui ont suivi les ont confortées. Ces valeurs-là sont universelles : la liberté, l’égalité, la justice, la fraternité… Quand je suis arrivée en France, je n’ai pas fait d’effort pour me rappeler de ça, j’ai constaté que ces valeurs-là s’appliquaient ici aussi. La France a fait partie intégrante de mon éducation. L’oncle de ma grandmère maternelle est rentré médaillé de la guerre 14-18, avec ses chansons de guerre et sa marche au pas.
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OR NORME N°25 Sérénités LE GRAND ENTRETIEN
Photos : Sandrine Roudeix – Léa Crespi / Flammarion - DR
Texte : Jean-Luc Fournier
Il s’est toujours souvenu de tout ça. Chez nous, les ancêtres comptent énormément et son souvenir s’est donc perpétué comme celui d’un héros. J’ai toujours entendu parler de lui. Plus tard, c’est l’oncle de mon papa qui est venu en France pour la Seconde Guerre mondiale. Lui, je l’ai vraiment connu, il se rappelait encore du « Chant des partisans » et comme il ne parlait pas très bien français, quand il ne savait plus les paroles, il fredonnait l’air… Et il parlait du général de Gaulle non pas comme d’un chef d’État étranger, il parlait de Gaulle comme de son chef de guerre, comme de l’homme qui défendait la liberté des Français. Et il disait : ils ont gagné leur liberté là-bas, ils nous donneront la nôtre ici, au Sénégal. Cette valeur-là, magnifique, les Africains l’avaient en commun avec les autres soldats français. Quand la guerre a été terminée, cette fierté-là, ils l’ont gardée en eux. Il y a donc au Sénégal une affection particulière pour la France et on me l’a transmise. La terre que mes ancêtres ont défendue, je ne pouvais que l’aimer. En 1994, je me suis mariée avec un Français, au Sénégal, et je suis venue vivre à Strasbourg avec lui. Par amour, pour continuer mes études. En tant que Sénégalaise, je savais bien tous ces points communs que j’avais avec la France. Or Norme. Donc, aujourd’hui, c’est votre part de France que vous défendez. C’est exactement ça. Je me suis en quelque sorte ajoutée à la France, pour aimer ce pays et participer pleinement à la défense de ses valeurs. C’est comme si j’étais arrivée dans un village où les gens étaient en train de coudre ou de faire une plantation : eh bien moi, j’ai pris une aiguille, un petit seau et une pioche et j’ai commencé à participer à la construction, voilà… Or Norme. Vous citez des phrases terribles dans le livre. Comme celle-ci : « Face de chocolat, rentre chez toi, mange des bananes ! Ainsi s’expriment les souches dès qu’une branche s’agite », écrivez-vous. J’ai souvent entendu ce genre de choses. Aujourd’hui, ça ne me fait ni chaud ni froid. Le racisme est partout : il y a des gens qui vont vous détester parce que vous êtes noir, ou parce que vous êtes homo, ou encore parce que vous êtes gros ou bien petit. Les gens qui ont envie de détester ont toujours mille raisons
15pour cela. Et c’est pour cela que je pense que les gens qui
se font détester doivent développer mille techniques pour résister à ça. Moi, quand j’entends « face de chocolat, retourne dans ta forêt », je réplique aussitôt : « OK, viens avec moi, ce sera un bain de jouvence pour toi, ça te fera économiser un lifting ! » (énorme rire). Je l’ai écrit dans un de mes livres, « La préférence nationale ».
J’ai connu le rejet très tôt dans ma vie, depuis toute petite. Mes grands-parents m’ont élevée parce que les gens qui m’avaient fabriquée ne voulaient pas de moi. Quand on me dit ce genre de phrase, si on croit m’ébranler, alors c’est qu’on n’a rien compris. Tout est affaire d’éducation au fond. Moi, j’ai toujours aimé étudier et j’ai senti très tôt que là était ma chance. Et je continue aujourd’hui : tiens, hier, je suis allée acheter six livres de la collection Café Voltaire où je suis éditée par Flammarion, juste pour lire ce que ceux qui m’avaient précédée dans cette collection avaient déjà écrit. C’est la connaissance qui nous améliore. Quand on connaît bien quelque chose, ça devient moins étrange et on l’apprécie mieux. Apprendre, ce n’est jamais assez : il y a toujours un livre qui nous étonnera, il y a toujours une musique que vous allez découvrir et qui vous fera vous demander : « Mais comment ai-je pu vivre jusqu’à maintenant sans connaître ça ? » J’ai eu souvent des professeurs qui m’ont aidée pour rencon-
‘‘Je me suis en quelque sorte ajoutée à la France pour aimer ce pays et participer pleinement à la défense de ses valeurs.’’
trer les livres : « Tu devrais lire « Les raisins de la colère » de Steinbeck ou « Le vieil homme et la mer » d’Hemingway… » Vous découvrez qu’assurément ce sont les plus modestes qui souffrent le plus sur cette terre et alors, vous avez choisi votre camp pour combattre. Or Norme. Vous dites souvent également : la langue, c’est ma béquille, c’est mon arme. C’est une arme, oui, car il n’y a rien de pire que l’impuissance. Quand je suis devant une réalité injuste, je n’ai aucun pouvoir. Je ne suis pas une élue, je ne suis pas un législateur, je ne suis pas milliardaire et je ne peux rien faire d’autre que déplorer. Alors, dès l’âge de treize ans, j’écrivais déjà, mais souvent un adulte m’envoyait une baffe et me disait : « Il ne faut pas écrire ce genre de choses. » Donc j’ai pris l’habitude de tout noter sur un cahier, parce qu’au moins, un cahier ça
Photos :
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LE GRAND ENTRETIEN
Texte :
‘‘Moi, mes piliers, mes fondamentaux, étaient mes deux grands-parents maternels. Ils m’ont éduquée et m’ont appris une façon de voir la vie que l’école et l’université sont venues ensuite enrichir.’’ ne donne pas de gifles ! J’en ai noirci des tonnes, ma grandmère était ma complice, elle les a tous gardés jusqu’à ce que les mites en aient mangé la plus grande partie… (rire). Après avoir écrit « Le vent de l’Atlantique », j’ai retrouvé un de ces cahiers et je me suis aperçue alors que j’avais écrit dans ce roman exactement la même métaphore que j’avais imaginée toute jeune, vingt ans auparavant, celle des cocotiers qui dansaient et balançaient leur chevelure… Or Norme. L’écriture, cette arme pour proclamer à la face du monde : « Je suis Fatou Diome. J’existe, j’écris… » À la face du monde, non… Quand j’ai publié « Le vent de l’Atlantique », je n’imaginais même pas que j’allais être connue dans mon quartier de Koenigshoffen, je vous jure que je ne mens pas ! J’ai parlé de ce livre presqu’en catimini. À l’époque, je donnais des cours à la fac et pour gagner ma vie, je faisais aussi des ménages. Quand j’ai été interviewée par France 3, j’ai dit à la journaliste : « Dépêchons-nous, je vais être en retard pour faire le ménage chez ma cliente. » Ils m’ont dit : « Ça, c’est bon pour le marketing ! » J’étais stupéfaite, je n’aurais jamais imaginé ça. Eh bien, si j’avais su que j’allais être lue autant et de si près, peut-être que j’aurais eu peur, peut-être que je n’aurais pas eu l’inconscience de montrer mon travail. D’ailleurs, avant de signer le bon à tirer de mon premier livre, « La Conférence nationale », j’ai tout gardé, je les ai mis en retard car j’ai vraiment eu peur de passer pour une cinglée après avoir écrit tout ça. J’ai gardé l’enveloppe avec moi jusqu’à l’aéroport car je devais aller au Sénégal. À Entzheim, je ne me suis pas résolue à la mettre dans la boîte. C’est à Roissy que je l’ai fait. Deux semaines après, quand je suis rentrée, le livre était déjà imprimé. L’éditeur m’avait demandé de participer au Salon du Livre à Paris et c’est là que j’ai trouvé la pile qui m’attendait. Je regardais tous les autres écrivains qui étaient là et je ne me suis pas sentie des leurs, c’était comme si j’étais en excursion. J’avais presque l’impression d’une imposture. Ça m’a pris des années avant d’accepter que les gens parlent de moi comme d’un écrivain.
Or Norme. Il n’est pas rare, dans une interview, que vous prononciez quelques mots en alsacien. Du genre « Salut, bisamme ». Vous vous sentez manifestement alsacienne. Oui, ce coup-là, je l’ai même fait à France Culture. C’est une histoire de sincérité avec soi-même, une histoire de loyauté. Si je meurs demain matin, j’aurais passé plus de la moitié de ma vie en Alsace. Ce n’est pas rien ! Même morte, je voudrais qu’on le sache : cette terre-là, je ne sais pas si elle m’aime ou pas, je ne sais pas si elle m’adopte ou pas, je ne sais pas si elle me revendique ou pas, mais moi, je lui reconnais d’avoir hébergé une très grande partie de mon histoire personnelle, et ça, pour moi, c’est très important. L’endroit où j’écris, ça a du sens pour moi. J’éprouve le plaisir, et la coquetterie aussi, de toujours évoquer Strasbourg dans tous mes livres, même quand il n’y a aucune raison de le faire. Je trouve toujours une pirouette pour parler de ma ville. Dans « Inassouvies nos vies », je n’y parvenais pas. Alors, j’ai trouvé une raison pour que la mamie qui promène Betty lui fasse découvrir Strasbourg durant la période de Noël. La voiture roule avenue des Vosges, tourne à droite vers la place de la République pour qu’elle puisse admirer les lumignons… Il n’y avait aucune raison dans la narration d’écrire une telle scène mais tant qu’à parler des villes européennes à Noël, autant que ce soit Strasbourg, non ? C’est une façon aussi de remercier mes amis qui m’ont adoptée ici, qui m’ont aidée : ils méritent que je souligne ce lien, c’est presqu’une révérence que j’adresse à ma ville.
Fatou Diome Marianne porte plainte ! Flammarion
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Photos :
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Texte :
Jean-Luc Fournier
OR SUJET OR NORME N°25 Sérénités
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#ESPRITSTARTUP L’esprit startup souffle-t-il sur Strasbourg ? Comme toutes les grandes agglomérations françaises, Strasbourg recèle nombre de ces « jeunes pousses » qui se sont emparées à bras-le-corps des infinies possibilités de la nouvelle économie et occupent ces territoires boostés en permanence par les vents du numérique. On peut certes aligner les points de satisfaction avec des innovateurs au premier plan. Mais les aspects budgétaires et l’hétérogénéité collaborative restent des obstacles majeurs au vrai développement. Il est déjà très loin le temps où Or Norme, dans son tout premier numéro (en décembre 2010) évoquait les soucis de Stéphane Becker, alors un pionnier, qui cherchait désespérément à convaincre ses interlocuteurs publics de l’aider à créer un espace de travail partagé pour qu’une poignée de jeunes aspirants startupers puisse s’y retrouver et collaborer. Aujourd’hui, sept ans plus tard et à l’instar de toutes les grandes agglomérations françaises, la capitale alsacienne regorge de jeunes structures qui, toutes, avec un enthousiasme et une passion qui forgent le respect, explorent les voies de l’économie de demain.
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Photos :
Alban Hefti – Michel Caumes – Awaken Car – Epopia - DR Jean-Luc Fournier
En haut : Francis Blanrue, le créateur (entre autres) de Incroyables Startups
OR SUJET
Texte :
L’INCROYABLE CRÉATEUR AU FOUR ET AU MOULIN
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OR NORME N°25 Sérénités
9400 C’est le nombre de jeunes pousses recensées en France. Un tiers d’entre elles sont concentrées en Île-deFrance, tandis que les deux tiers restants se répartissent en régions. L’écosystème est très dynamique : le nombre des startups s’est envolé de 30% entre 2012 et 2015, soit 6 fois plus que les entreprises traditionnelles. Source : Agence du numérique
Ces structures, un homme les connaît quasiment toutes. À 36 ans, Francis Blanrue ne parle jamais de son « business », il évoque plutôt sa « quête » : « Je me définis comme quelqu’un qui aide les porteurs de projets à grandir avec leur public. D’ailleurs, ce ne sont pas tous des startupers, j’aide aussi des entrepreneurs traditionnels et même des institutions publiques. Une de mes armes est le «content marketing» : j’incite les entreprises qui ont déjà des choses à vendre et les porteurs de projet qui y aspirent à évoquer bien autre chose que leurs produits. Ce sont des conseils, de l’inspiration, l’évocation de leurs problématiques autres que le promotionnel et la commercialisation. Tout cela débouche généralement sur de vraies remises en cause : ils se rendent compte qu’il faut peut-être cesser de gaver les gens de catalogues, de pubs, de messages auto-promotionnels et plutôt parler du fond, des valeurs, des enjeux, des usages. Par exemple, si je suis promoteur immobilier, je ne vais pas dire que j’aide les primo-accédants ni dérouler mes programmes, mais je vais leur donner des infos pour qu’ils puissent prendre la bonne décision en fonction de leur situation. Peut-être même qu’ils ne feront pas forcément affaire avec moi, c’est le jeu… »
Outre cette première activité, Francis Blanrue donne également des cours à l’European Communication School de Strasbourg (ECS) à des étudiants qui, bien sûr, sont plongés en immersion dans la nouvelle économie du numérique. « Une vraie et formidable expérience », dit-il. « Ça prend du temps, certes, mais le contact avec ces jeunes est essentiel pour bien comprendre ce qui se passe aujourd’hui ». Autre corde à son arc, Francis est aussi un des associés de la startup Awaken (lire plus avant) et, surtout, le créateur et l’organisateur de plusieurs événements qui sont tous orientés vers les startupers de l’agglomération strasbourgeoise et même au-delà. Parmi eux, « Incroyables startups », qui vient de vivre sa deuxième édition à Strasbourg après sa création en avril 2016 : cet événement, qui invite les sélectionnés à présenter le pitch de leur projet de façon concise et dynamique (en 2 minutes 30 !) devant les spectateurs qui, ensuite, votent en direct via les smartphones, veut mettre en lumière ces projets encore inconnus du grand public. Il a rencontré un tel succès qu’il s’exporte depuis peu : huit autres villes françaises vont l’organiser également, et une grande finale aura lieu à Paris. Autre événement né dans l’esprit enthousiaste et inventif de Francis Blanrue : « Strasbourg,
En haut : La Metro Map de Sébastien Derivaux : pour s’y retrouver dans l’écosystème strasbourgeois.
Wake’Up ! » (tout un programme…) qui est le « festival des nouveaux modes de vie en ville. » « L’idée est de faire vivre aux Strasbourgeois et aussi aux touristes qui sont nombreux l’été une expérience créative et participative autour de ces nouveaux modes de vie urbains et de tous les thèmes qui les inspirent : les mobilités, l’alimentation, la santé, les sports, les loisirs… On souhaite mettre le public en immersion dans une ambiance qui représente un futur souhaitable. La deuxième édition aura lieu les 15 et 16 juillet prochains, toujours dans le quartier Docks’Étoile », précise Francis. Le succès assez phénoménal de « Incroyables startups » a donné des idées à son concepteur. Francis Blanrue va animer l’opération « Incroyables agents » au sein de l’Eurométropole de Strasbourg, un concept qui vise à impliquer les fonctionnaires dans un processus d’innovation, bien sûr en relation directe avec leur métier au sein de la collectivité. « On va faire grandir » les projets sélectionnés toujours par votes directs « en les confrontant à des citoyens, par exemple dans des lieux publics stratégiques », commente Francis. La collectivité s’engagera à mettre en œuvre les trois premiers projets, à l’issue du vote final (agents et grand public).
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À gauche : La deuxième édition de Strasbourg Wake’up aura lieu les 15 et 16 juillet prochains
L’ÉCOSYSTÈME STRASBOURGEOIS LIÉ AUX STARTUPS Francis Blanrue a accepté de nous servir de guide pour visiter la planète strasbourgeoise des startups. Et comme tout bon guide, il a sa précieuse carte, qu’il distribue volontiers. La Metro Map a été réalisée il y a six mois par Sébastien Derivaux (lire aussi page 30), qui est administrateur d’Alsace Business Angels, organisme qui finance le développement des startups. L’idée (lumineuse et intelligente) a été de représenter l’écosystème startup strasbourgeois sous la forme d’un plan de métro, avec ses différentes lignes, ses stations et ses interconnexions. En un clin d’œil, on peut donc se faire une idée assez précise de la géographie actuelle de cet écosystème que nous allons visiter grâce à notre guide qui nous a également conseillé nombre de rencontres d’acteurs qui « possèdent un bon jugement sur ces questions. »
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des investissements : les régions à la traîne Si la France occupe une bonne place dans l’échiquier européen de l’investissement en capital-risque en faveur des startups, l’Ile-de-France en mobilise plus des deux tiers ! Seulement 32% de ces investissements sont réalisés dans les régions.
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Ci-contre : Jérôme Scalia et son petit boîtier performant
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« Un startuper est avant tout quelqu’un de super motivé, qui a observé complètement un système et est prêt à prendre des risques pour fabriquer et commercialiser des solutions pour des problèmes réels » : voilà comment Francis Blanrue définit le startuper « type ». Il semblerait bien que Jérôme Scalia, 26 ans, le co-fondateur et CEO de Awaken Car corresponde parfaitement à cette définition. Titulaire, au départ, d’un simple bac d’électro-technicien et firmware complété plus tard par un DUT technologies du multimédia, c’est au fil de ses jobs sur le terrain (webdesigner, ingénieur marketing et web strategy, notamment) que l’idée a jailli.
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Texte :
JÉRÔME SCALIA Awaken Car
200 millions € C’est la capacité d’investissement du fonds French Tech Accélération sur cinq ans, d’ici 2020. Géré par Bpifrance, il a pour but de favoriser l’émergence d’accélérateurs privés sur le territoire français, qui en compte déjà plus de 300.
« Le petit boîtier que je vous montre contient tout notre savoir-faire et nous a entièrement mobilisés depuis trois ans », commente Jérôme Scalia. « En fait, il se connecte sur chaque véhicule à la prise diagnostic pré-installée par le constructeur. Il répond à trois besoins que nous avons identifiés. Il diminue considérablement le temps d’intervention des secours en cas d’accident. Il contient un accéléromètre qui va permettre de déterminer précisément l’intensité du choc, mesuré en G
(l’unité de mesure internationale de l’intensité d’une accélération –ndlr). Le SAMU est immédiatement averti du choc et l’interface web qui équipe les secours pointe avec une très grande précision le lieu de l’accident et même le sens de circulation du véhicule, ce qui est un renseignement précieux sur l’autoroute par exemple ; tout ça grâce aux performances du GPS embarqué dans le boîtier. » Inutile de préciser qu’un tel système, grâce au temps d’intervention des secours considérablement raccourci, peut sauver de précieuses vies. En outre, si le véhicule est volé, on peut suivre ses déplacements en temps réel et toujours avec la même précision. Et pour clore les incroyables avantages de posséder un tel système à bord de son véhicule, « le boîtier permet également d’anticiper les pannes moteur en produisant un diagnostic complet à chaque démarrage du véhicule », conclut Jérôme. Installée au sein de la pépinière d’entreprises de Hautepierre, Awaken Car n’a pas perdu de temps et a entamé la commercialisation de son boîtier dès septembre dernier. La startup compte
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Jean-Luc Fournier
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déjà plusieurs centaines de clients en France, en Allemagne, au Canada, aux États-Unis, et même au… Pakistan. Jusqu’à présent, le boîtier n’a été vendu qu’à des particuliers (300€ l’unité) mais Jérôme Scalia travaille avec des garagistes pour qui ce système serait sûrement un très bon moyen de fidéliser la clientèle. En outre, Awaken Car travaille en parallèle sur un même système pour les motos : « C’est plus complexe », reconnaît Jérôme, « car la prise diagnostic n’existe pas sur ces véhicules. » L’accidentologie des deux roues est en constante augmentation : ce point n’a pas échappé à Awaken Car…
est un vrai handicap pour l’écosystème strasbourgeois. Dans les incubateurs ou chez les institutionnels, les staffs sont au complet, c’est indéniable, mais ces gens ont-ils déjà créé une société, que connaissent-ils des ressorts du créateur d’entreprise ? On peut légitimement se poser la question. Enfin, on parle beaucoup de notre excellente situation géographique, à proximité de l’Allemagne et de la Suisse. Mais concrètement, il ne se passe rien ou pas grand chose et c’est bien dommage. Tout ça c’est un peu du blabla : derrière les mots, pas grand chose de concret.
« L’esprit startup commence un peu à souffler sur Strasbourg », analyse Jérôme. « Mais c’est très perfectible, à mon sens. Le coworking existe, les lieux comme les pépinières aussi, il y a des acteurs de plus en plus reconnus et une foule d’événements se met en place tant en direction du grand public qu’en BtoB, pour nous les startupers : tout ça va dans le bon sens. Mais en fait, on voit très vite les limites de ce système. Côté argent, d’abord. On trouve très facilement de petites aides, il existe des fonds disponibles au-delà des 100 000 € mais au-delà du million d’euros, c’est tout de suite Paris. Inutile de chercher en Alsace, il n’y a rien. Dans un autre ordre d’idée, l’absence d’un accélérateur
On manque également cruellement de grandes entreprises référentes. À Paris, mes collègues peuvent compter sur les boss de Price Minister, Ventes Privées, Free… Pour eux, c’est du pain béni. Les startups qui le veulent peuvent bénéficier de coachings très compétents. Chez Awaken Car, nous avons jusqu’à présent financé quasiment tout notre développement avec des fonds propres et les gains de quelques petits concours remportés. Ce n’est pas plus mal car monter des dossiers, c’est long, c’est fatiguant et pour tout dire, c’est ch… Je ne perds pas de temps avec ça, je ne mendie rien, j’essaie d’aller
droit au but car, là-dedans, le piège de perdre de vue notre objectif est très grand. » Et Jérôme Scalia de rêver grand en souhaitant que les startupers se fédèrent plus, comme cela s’amorce avec Strasbourg Startup qui réunit déjà une cinquantaine de membres qui partagent « à cœur ouvert » les expériences et abordent « les sujets les plus délicats. » Une force pour faire bouger les choses ? « Peut-être, il faut voir… », concède Jérôme, qui, pour terminer, souhaite fortement que plus d’industriels alsaciens (voir la ligne grise de la Metro Map) donnent un coup de pouce aux startups déjà lancées ou se lançant sur un marché porteur. « En février dernier, Awaken Car a obtenu un important prix de la Sécurité routière. Son travail en a été légitimé. L’événement a été remarqué au niveau national. À Strasbourg, rien ou pas grand chose », commente Francis Blanrue (par ailleurs associé chez Awaken Car). La communication, autre problème pas formidablement traité par ces individualistes dans l’âme que sont généralement les startupers. Contact : jerome.scalia@awaken.fr
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RÉMY PERLA Epopia
Epopia fait elle aussi partie des startups primées, puisqu’elle est double médaillée d’or du Concours Lépine (pas moins). Il faut dire que le domaine et l’idée de départ (ce stade si important comme n’aura cessé de nous le répéter Francis Blanrue durant cette enquête au long cours) ont particulièrement été mitonnés par l’équipe réunie autour du président-créateur, Rémy Perla (34 ans). On y retrouve le meilleur des nouvelles technologies au service de ce qu’il y a peut-être de plus ancien dans l’histoire de l’humanité : (se) raconter des histoires, devenir son propre héros, faire fonctionner à plein son imaginaire. Un beau jour, votre enfant découvre donc dans sa boîte aux lettres un courrier envoyé par les habitants d’un lointain pays. Il se retrouve alors investi d’un rôle central dans un nouvel univers où de nombreux personnages vont réclamer son aide. Ils lui demandent conseil pour des décisions à prendre, des énigmes à résoudre, des missions à réaliser. Votre enfant va devoir répondre par écrit et du coup, au fil de ses correspondances, il va vivre une aventure palpitante… Derrière cette superbe idée et pour la faire vivre,
Rémy Perla (au centre, t-shirt bleu ciel), au milieu de son équipe
toute une équipe d’écrivains et de pédagogues lisent chaque lettre reçue et adaptent en permanence la suite de l’aventure aux goûts, aux questions et aux choix de chacun des enfants, qui peut donc avancer à son propre rythme et au gré de ses envies. Les lettres sont accompagnées de multiples « goodies » comme des cartes à compléter, des fiches pédagogiques, et des cadeaux issus de l’histoire… « «Rêve aux lettres» (le premier nom de la startup) a vu le jour suite à un Startup Week-end organisé par Alsace Digitale en 2012 à Strasbourg », raconte Rémy Perla. Dyslexique et dysorthographique, ce créateur dans l’âme a connu des difficultés scolaires durant toute son enfance et n’a pas hésité à quitter son emploi d’informaticien pour plonger jusqu’au cou dans l’aventure de sa startup. « L’équipe s’est vraiment créée en 2013 », dit-il, « et notre première tâche a été d’organiser un crowdfunding qui nous a permis de recueillir nos premiers fonds mais aussi de constituer une communauté de départ, ce qui s’est révélé important plus tard car du coup, un vrai buzz s’est mis en place. On a beaucoup travaillé ensuite pour passer à la phase beta-test en 2014 puis nous lancer concrètement en septembre de cette même année… »
Le succès a vite été au rendez-vous, couronné donc par cette double distinction. 1 million d’euros de chiffre d’affaires a déjà été engrangé depuis la création. L’an passé, ils étaient plus de 12 000 enfants à vivre les aventures proposées par l’équipe d’Epopia, ils sont plus de 20 000 aujourd’hui (!). « Il ne faut jamais s’arrêter, il faut tout le temps se mettre en danger sinon on arrête de grandir », proclame Rémy Perla. «Très récemment, on a changé à peu près tout : nouveau logo, rénovation du marketing, et profonde amélioration du produit : on ne s’est pas reposés sur nos lauriers… » Quel est le regard que porte le créateur d’Epopia sur l’écosystème numérique strasbourgeois ? « Tout d’abord, il faut dire qu’au niveau de l’institutionnel, on rencontre beaucoup de bienveillance. On ne manque pas d’actions de toutes sortes, de manifestations toujours utiles pour se présenter et se fréquenter. Bref, il y a plein de monde pour aider les startups
à grandir, c’est certain. À Strasbourg, à l’image de ce qui se passe au Shadok, les institutions sont peut-être plus portées sur l’artistique et le culturel, et c’est un peu au détriment du business des startups. Parfois ce même institutionnel se montre frileux face à l’émergence de nouvelles structures privées concurrentes alors qu’évidemment, leur existence est une très bonne chose. Le gros problème reste celui du financement des startups. Dès qu’on dépasse certains apports de base, on a du mal à trouver les fonds dont on a besoin. Il faudrait vraiment que se démultiplient les fonds d’investissement et les business angels. L’idéal serait aussi de motiver celles et ceux qui paient l’ISF. J’identifie un autre gros obstacle à l’épanouissement de l’écosystème strasbourgeois : le manque cruel d’ingénieurs formés sur place, à Strasbourg. La seule école qui le faisait, l’ENSIIE (École nationale supérieure d’informatique pour l’industrie et l’entreprise) à Illkirch, va fermer définitivement ses portes dans les jours qui viennent. C’est un vrai handicap car
nous cherchions déjà, mais en vain, des développeurs sur le marché local… » Rémy Perla avoue que Nantes et son « écosystème très mûr » le fait rêver. « Là-bas, la plupart des startups se concentrent dans des lieux très emblématiques et parfaitement identifiés car rassemblés sur un même périmètre. Elles sont donc très visibles, du coup ça foisonne d’initiatives et de collaborations. C’est tout un quartier qui fait vivre l’écosystème nantais et c’est pour cela, à mon avis, que le cercle vertueux s’est bien enclenché là-bas… », conclut Rémy Perla. Une façon, à l’instar de nombre de startupers rencontrés, de pointer l’absence d’un véritable quartier des nouvelles technologies qui pourrait à lui seul faire naître l’accélérateur dont tout le monde souligne la cruelle absence. Contact : remy.perla@crealettres.fr
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Ci-contre / Laurent Schmoll nous présente son application et son concept
À 57 ans, Laurent Schmoll, médecin ORL de son état, passerait presque pour le père spirituel de tous les jeunes startupers de Strasbourg. Rien que cette évocation le fait rire à gorge déployée.
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LAURENT SCHMOLL i-Nside et TokTokDoc
Le Hacking Health Camp Cet évènement international organisé sur 3 jours chaque début mars vise à briser les barrières de l’innovation en santé. L’Ircad (Institut de Recherche contre les cancers de l’appareil digestif) du Professeur Marescaux, n°1 mondial du secteur, est très étroitement impliqué dans la mise sur pied du Hacking Health Camp.
Attention, on a affaire là à un startuper atypique mais qui, expérience oblige, a la tête solidement rivée sur les épaules. « En fait, tout est parti de ma découverte de l’iPhone. Sans forfanterie, dès sa première version, j’ai compris qu’on tenait là un instrument qui allait révolutionner beaucoup de choses. Le smartphone a été pour moi un vrai facteur déclenchant. Je vous passe les premières périodes où j’ai bricolé avec des tubes de plastique et des lentilles d’horlogers. Ça m’a permis de déposer un premier brevet et de pouvoir montrer le
prototype à la société Karl Storz, le leader européen de l’endoscopie avec lequel l’IRCAD travaille beaucoup. Contre l’avis de son staff, la PDG a décidé de tenter l’aventure avec moi. Un premier vrai prototype en 2014, grâce à ma participation à un Health Camp organisé par Sébastien Letellier et Alsace Digitale, la création de ma première startup, i-Nside en 2015 et le premier Smart Scope faisait son apparition cette même année, mariant les deux mondes de l’endoscopie et du smartphone, puisque le produit se clipse sur l’iPhone. Ainsi, je peux photographier en haute définition l’oreille d’un malade, et l’afficher en un clic sur l’écran d’un spécialiste à l’autre bout du monde. C’est formidable, l’endoscope est devenu un outil intelligent et communicant.
Puis on a créé TokTokDoc, avec cinq autres associés qui ont tous entre 25 et 31 ans. C’est une application de télémédecine à l’intention des résidents des EHPAD (Établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) de la région. Aujourd’hui, le concept est sur le point d’être mis en place pour le Groupe Saint Vincent qui comporte huit établissements conventionnés par l’Agence régionale de santé et la région Grand Est. Je peux donc entrer en rendez-vous à distance avec une personne âgée depuis sa chambre en EHPAD. Elle est assistée d’une infirmière de l’établissement qui nous envoie en temps réel tous les résultats des examens cliniques du patient (tracés cardio, scans, tension, taux de glycémie… il n’y a pas de limite à l’envoi des résultats d’examens). On pose ainsi un vrai diagnostic à distance, sans que le patient soit obligé de se déplacer en se faisant prendre en charge par une ambulance.
‘‘Les saupoudrages de 5 000 € des institutions, c’est bien gentil mais ça ne sert pas à grand chose, au fond.’’
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Sauf en cas de pathologie vraiment lourde, se déplacer n’a ainsi plus de sens. Il est évident que se profile ainsi la notion de « médecin augmenté », en l’occurrence c’est l’intelligence artificielle qui sera au centre de ce processus. Et il est inutile de préciser à quel point cette application peut révolutionner le problème des coûts supportés par la Sécurité sociale. Les économies en matière de déplacements sont considérables… » Laurent Schmoll s’est donc complètement investi dans le phénomène startup et il ne se fait pas prier pour pointer les handicaps dont souffre Strasbourg. « Nous sommes en très grand
manque de leaders, malgré l’Ircad qui remplit bien sa mission mais héberge ses propres startups au sein de son Biocluster. Nous manquons également très cruellement de développeurs de bon niveau ; ces ingénieurs du digital sont rares et quand ils existent, Strasbourg ne peut pas les retenir. Tout cela nous empêche d’attirer les talents comme là encore l’Ircad y parvient, en utilisant évidemment son énorme renommée internationale. Il y a plein de structures qui sont en fait des guichets pour orienter les startupers au début de leur parcours : elles ne manquent pas, mais on distingue très vite leurs limites… » C’est côté finances que là encore, les manques sont les plus pointés. « Je passe sur les concours type Tango&Scan, leur apport, en ce qui nous concerne, ne suffirait même pas pour couvrir nos frais d’avocats pour le dépôt des brevets. Le fonds Action Alsace de la Fondation Alsace est plus générateur de communication qu’autre chose. La bourse French Tech que nous avons reçue (30 000 €) nous a permis de bien développer notre application. Dans le domaine de la santé où nous évoluons, un startuper a besoin avant tout d’argent pour payer tous les frais des process qu’il doit engager. Pour ce type de startup, les besoins de financement vont de 200 000 à 500 000 €. Sur ce type de budgets, seuls des packs d’actionnaires pourraient se déployer et formeraient alors un fantastique accélérateur. Aller les chercher, les motiver, puis les convaincre de se réunir en pools d’investissement, voilà ce que devraient faire les politiques. Pour cela, il faut améliorer et développer les avantages fiscaux qui leur sont destinés. C’est à cette condition que l’Alsace et Strasbourg plus particulièrement décolleront. Ces besoins de financement sont vraiment la clef du développement et je ne pourrai répondre oui à votre question de savoir si Strasbourg a l’esprit startup que le jour où ils seront résolus. Si TokTokDoc marche, c’est avant tout parce que j’ai un métier et que j’accepte d’être le seul à ne pas être payé. Les saupoudrages de 5 000 € des institutions, c’est bien gentil mais ça ne sert pas à grand chose, au fond. Ceci dit, Strasbourg n’est pas la seule grande ville dans ce cas. Si on enlève évidemment Paris, ainsi que Nantes et Lyon, partout ailleurs les conditions ne sont pas réunies. En tout cas, ici, avec plus d’informaticiens et d’ingénieurs numériques et des budgets de privés permettant de créer et faire tourner un accélérateur de startups, on y serait ! » Contact : toktokdoc.com | i-nside.com
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SÉBASTIEN DERIVAUX
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Alsace Business Angel
L’argent étant évidemment le nerf de la guerre, comme nous l’ont dit et répété la totalité des interlocuteurs que nous avons rencontrés pour publier ce dossier, nous ne pouvions pas conclure sans questionner un acteur important dans ce domaine, Sébastien Derivaux, qui préside le 3e fonds Alsace Business Angels. ‘‘[...] en dehors du secteur médical, on n’investit que dans des structures qui ont déjà des clients [...]’’
Tout sauf le look d’un financier, une casquette quasi guévariste vissée sur la tête, il nous a donné rendez-vous à la terrasse d’un bar-restaurant flambant neuf tout près du Shadok, sur les quais de la presqu’île Malraux. « Alsace Business Angels est une association de droit local qui est composée d’une soixantaine de membres », précise Sébastien Derivaux. « Ce n’est pas l’association qui investit directement, elle n’est là que pour réunir les gens qui veulent investir. Elle crée des fonds d’investissement, qui sont des sociétés de droit privé de type SAS qui capitalisent l’argent de tous les membres. Ainsi, dans le 1er fonds Alsace Business Angels, en 2008, les membres ont investi dans une dizaine de participations, le fonds étant alors capitalisé à hauteur de 890 000 €. En 2010, lors de la levée du second fonds, aux alentours de 600 000 € ont été investis et le troisième fonds, que je
préside donc depuis 2014, a commencé avec 500 000 € et il vient juste de se clore avec 1,08 million d’euros. Il a déjà investi dans quatre participations. En moyenne, on investit 100 000 €. Il nous reste donc à ce jour un peu plus de 600 000 € à investir… » ABA SIBA 3, c’est le nom de ce fonds, ne craint pas les investissements à long terme, ceux qui bloquent les fonds des investisseurs durant de longues années avant de se voir rétribués… si tout se passe bien. Sébastien Derivaux cite volontiers un des tout premiers investissements des business angels alsaciens sur la très prometteuse société mulhousienne de recherche Cell Prothera, dont l’objectif était (et est toujours) de régénérer les cellules cardiaques lésées par un infarctus. « Nous avons investi en 2008 et le premier test humain a été réalisé en 2016 », explique Sébastien. « Mais, en dehors du secteur
médical, on n’investit que dans des structures qui ont déjà des clients ou, dans le cas du secteur des applications, dans celles qui bénéficient déjà d’une audience certaine en utilisateurs actifs. Nos investissements se font en fonction de la structure sous forme de prise de participation à son capital… » Sébastien précise ensuite que l’Alsace n’a pas obtenu le label French Tech, alors si convoité. Deux « sous-labels » ont été obtenus, néanmoins : centrés sur l’industrie du futur à Mulhouse et sur les sociétés du médical à Strasbourg. « 99% des startups déjà créées ne s’inscrivent ni dans l’un ni dans l’autre de ces deux domaines. Mais le secteur médical, on a quelques chiffres qui le montrent bien, lève beaucoup plus de fonds que le secteur numérique, tant en volumes qu’en montants. C’est évidemment une des forces de l’Alsace. Pour le secteur numérique, il y a plein d’événements comme le Health Camp, les Startups weekends, Incroyables Startups et tant d’autres. Tous permettent de créer du dynamisme mais après, il faut reconnaître qu’on a beaucoup de mal à passer au stade de la première levée de fonds… » Le simple exemple de la Metro Map qu’il a seul et bénévolement initié prouve selon Sébastien Derivaux « qu’on a parfois bien du mal à savoir qui est qui et qui fait quoi à Strasbourg. Il y a peu de moments où tous ces acteurs, ou du moins les principaux, peuvent se réunir pour créer un schéma directeur cohérent. » Et, quand on lui fait remarquer qu’il y a des villes comme Bordeaux ou Nantes qui ont compris avant beaucoup d’autres que la géographie d’implantation des startups et leur concentration dans un même grand lieu ne pouvaient qu’être très bénéfiques en termes d’émulation et d’innovation collaborative, il opine de la tête et confirme : « C’est évident. Il faut une cohérence et nous ne l’avons pas à Strasbourg. À deux pas d’ici, il y a le Shadok mais bien que ce lieu soit le bâtiment-totem de la French Tech, il ne répond pas à la logique business des
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startups. J’ai pu l’éprouver moi-même : à un certain moment, j’ai dû me réunir avec quelques startups mais c’était au beau milieu du salon du tatouage, alors ça ne l’a pas vraiment fait. Ça n’allait pas du tout pour une discussion
aussi une Démo Night où les jeunes startups peuvent pitcher trois minutes sur leur idée ou leur projet naissant. Ce sont au final les seuls moments où nous pouvons nous retrouver tous ensemble, mais c’est sûr qu’ils ne suffisent pas
‘‘Il y a le Shadok mais bien que ce lieu soit le bâtimenttotem de la French Tech, il ne répond pas à la logique business des startups. J’ai pu l’éprouver moi-même : à un certain moment, j’ai dû me réunir avec quelques startups mais c’était au beau milieu du salon du tatouage, alors ça ne l’a pas vraiment fait.’’ business… », se désole-t-il. « La municipalité a souhaité marier créativité et numérique. Mais ce sont deux secteurs qui ne se marient pas bien, alors il y a plein d’expos et d’initiatives liées à la créativité, mais il est clair qu’on n’est pas là pour bosser. D’ailleurs, même pour des rendez-vous ponctuels, je ne les prévois pas là-bas parce que d’abord, ce n’est jamais ouvert le lundi et le mardi, et le reste des jours de la semaine ça n’ouvre qu’à 14 heures, bref le Shadok manque d’opérationnalité et n’est pas là pour accueillir du business au jour le jour. » Un tiers lieu entièrement dédié aux sociétés de la nouvelle économie numérique est-il un Graal introuvable ? Sébastien acquiesce quand on évoque le quartier de la Coop qui, pour beaucoup, aurait pu représenter le lieu idéal « pour fédérer tous les acteurs et créer en permanence du lien », comme il le dit joliment quand il fait remarquer que « tous les experts qui écrivent sur l’univers et les écosystèmes des startups disent tous que ce qui est hyper important, ce sont les connexions qui doivent être permanentes. Alors, faute de ce lieu, on se rabat sur des événements comme Strasbourg Meet Up, organisé par Strasbourg Startups, qui commence par un exposé assez complet sur un thème précis, mais se poursuit et se termine sur un grand événement networking où on peut se retrouver tous pour élaborer des projets. Il y a
pour attirer les investisseurs. Chez Alsace Business Angels, on est très conscient de cela et d’ailleurs, on est en train de mettre sur pied pour la fin d’année un événement qui permettra de mettre tous les acteurs autour de la même table pour essayer de se parler. Ce qui veut dire qu’on pourra peut-être un jour briser la logique de l’éclatement de l’écosystème que nous constatons aujourd’hui et pouvoir enfin parler d’une seule et même voix… » Contact : alsacebusinessangels.com
Au final, puisque nous avons nousmême choisi de poser la question-titre de ce dossier : « L’esprit startup souffle-t-il sur Strasbourg ? », que pouvons-nous répondre, après avoir rencontré tant d’acteurs passionnants ? Et bien, même si de superbes événements parviennent à attirer l’attention et faire épisodiquement bouillonner le système, la réponse serait plutôt non. Et c’est bien dommage tant il existe de potentiels et de passion. À mots couverts, certains nous ont confié que l’argent public qui est pour l’heure consacré à ce secteur pourrait largement être redéployé plus efficacement dans le sens d’une orientation plus business. Et puis, il y a ce souhait général et ce besoin incontournable d’un lieu entièrement dédié à ceux qui s’efforcent de bâtir l’économie de demain. Pas sûr que cette idée puisse rapidement être prise en compte. Et pourtant, elle est vitale. (voir commentaire page 38).
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Do you speak startup ?
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Francis Blanrue nous traduit les principaux termes de la novlangue que le petit monde qui gravite autour des startups utilise volontiers, par facilité ou par snobisme… CEO (CHIEF EXECUTIVE OFFICER) Cette personne est généralement celle qui a eu l’idée du projet au départ et qui l’incarne le mieux. Parfois, elle conserve son ancien job au début de l’aventure (histoire de tester avant de tout plaquer). Bref, cette personne est souvent au bout du rouleau ! BUSINESS ANGEL Cette personne physique veut du bien aux startups. Mais pas à n’importe quel prix ! Elle est prête à investir une part de son patrimoine dans un projet après examen attentif de ce dernier, de l’équipe et de projections financières. Elle peut aussi fournir aussi des conseils, un réseau…
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BUSINESS MODEL Le modèle d’affaires décrit la façon dont une startup prévoit ou parvient à générer de la valeur ajoutée, à fonder sa rentabilité. Trouver son modèle d’affaires prend souvent du temps. Certaines startups ne le trouvent jamais et doivent mettre fin à leur projet malgré son utilité. PITCH Pitcher c’est disposer d’une minute ou d’une minute trente pour susciter l’envie d’en savoir plus auprès d’un interlocuteur ou d’une assemblée. Un startuper doit maîtriser l’art du pitch pour déclencher des RDV, partena-
riats et investissements. De nombreux événements invitent les startupers à pitcher. DISRUPTER Cette intention consiste à vouloir révolutionner les codes de consommation existants sur un marché, en apportant une nouvelle solution à un problème qui demeure (comme Airbnb ou Blablacar l’ont fait avec l’hôtellerie ou le transport par exemple). GROWTH HACKING Cette stratégie marketing vise à pirater - ou plutôt accélérer - la croissance d’une startup en utilisant des stratégies créatives et d’analyse de données sur les façons d’attirer, d’intéresser, de faire revenir et de transformer des prospects en clients. BOOTSTRAPPING Cette posture consiste à « se serrer la ceinture » et à optimiser l’utilisation de ses ressources propres (y compris financières) pour lancer un projet. Un startuper espère ainsi disposer de suffisamment d’éléments de preuve du potentiel de son projet pour aller séduire ensuite des partenaires et investisseurs. LEAN STARTUP Cette stratégie est utilisée pour tester/ valider la pertinence d’un projet auprès
d’utilisateurs potentiels, à différentes étapes successives (idée, marché, concept, profils utilisateurs, prototype…). Le principal commandement du lean startup c’est de remplacer ses certitudes et convictions personnelles par des hypothèses à tester. TRACTION C’est la capacité d’une startup à aller au-delà de son cercle de connaissances pour toucher ses premiers clients, mobiliser la presse et les influenceurs, et attirer de plus en plus d’utilisateurs. Chaque startuper qui se respecte est en quête de traction une fois que son prototype a été testé par des connaissances. LEVÉE DE FONDS C’est une étape du projet où la startup parvient à collecter de l’argent auprès d’investisseurs pour aller plus loin dans son développement. Souvent, cet argent sert à financer des salaires pour développer la communication, les ventes voire de nouvelles fonctionnalités d’un service ou produit. Et aussi, pour aller plus loin (tout est sur le web) : scalabilité, communauté, pivot, viralité, roadmap, MVP, crowdfunding, Business plan, A/B Testing, capital développement, capital investissement, capital risque, closing, incubateur, coworking, love money, web apps…
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OSOSPHÈRE 2017 Chasseur d’an-nuit
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Quartier Port du Rhin. Zone Coop. Début de printemps 2017. Sous une fine bruine de fin d’hiver, les pas s’enchaînent au cœur d’une petite allée de terre. Sur ces quelques dizaines de mètres, quelques graphs post-industriels cohabitent avec de vieilles pierres et pousses d’herbes humides sur fond de vestiges ouvriers. Feu industrie 1.0… Puis, au bout du tracé, des containers, dômes géodésiques, constructions ad hoc en échafaudages ou matériaux trouvés in situ, qui forment un pop-up district pensé sur fond de flexibilité, modularité, réemploi et partage des espaces et des dispositifs. Un lieu, jusqu’à son hinterland culinaire, que l’on imaginerait presque sorti d’un univers post-apocalyptique, où, pour paraphraser le philosophe Jean-Luc Nancy, s’inventeraient de nouveaux « instants de ville », communs et ouverts. Ouverts parce qu’à l’image d’une zone portuaire, sans véritables frontières ; communs parce que lieu de rencontres, d’échanges, d’interpellations et de co-construction d’un avenir « disrupté » à chaque nouvelle naissance d’octets. « LA SPHÈRE POLITIQUE EST DANS UN ÉTAT CATASTROPHIQUE » Sous l’un des dômes blancs de cet univers « enkibilalien », citoyens, artistes, représentants des pouvoirs publics, entrepreneurs, industriels échangent, se passent le « mic » le temps de quelques heures. Pensent, analysent, cherchent à anticiper ces ruptures. Abordent ces codes bouleversés, ces nouveaux modes de co-construction et de financement à (ré)inventer dans le domaine de l’art, de l’urbanisme et du sociétal. Nouvelles pratiques, nouveaux outils, mécénat, sponsoring, publicité : tout ou presque y passe, mais une phrase, une réflexion sort peut-être alors plus qu’une autre du lot, portée par Jean Hansmaennel, président de l’Industrie Magnifique : « La sphère politique est dans un état catastrophique, ce qui est inquiétant.
Elle a perdu sa crédibilité. L’entreprise, elle, se rend progressivement compte qu’elle est davantage qu’un acteur économique. Le monde de l’art, quant à lui, manque de moyens » - une tendance accélérée en France par le « détricotage du système Malraux ». Le regard qu’il pose est sans concession : « Cela déconne de partout, alors que nous disposons pourtant de ressources à tous niveaux. » « Cultureux », citoyens lambda, simples curieux avides de s’inscrire dans une démarche citoyenne et constructive enregistrent le propos, acquiescent, non sans une certaine tristesse de ne pouvoir établir un autre constat : « Le rôle de l’économique est de créer de la valeur, de la richesse, du pognon », reprend alors Hansmaennel. « Celui des artistes est de créer du sens. Celui des politiques, de faire en sorte que l’on vive ensemble, à l’image de cette devise : Liberté, Égalité, Fraternité. L’artiste apporte une œuvre, l’entreprise l’argent, la collectivité l’écrin. » Réunis dans une démarche commune, les possibles pourraient alors ne plus être inaccessibles. « LE NUMÉRIQUE EST UNE DES SIGNATURES DE L’ÉPOQUE » Construite autour de ces trois assises, l’Ososphère est un exemple caractéristique de cette démarche. « Le numérique est une des signatures de l’époque », analyse Thierry Danet, quelques jours plus tard, sur un autre sol en bois couru du Tout-Strasbourg. « Ce que l’on doit comprendre est que le numérique n’est pas juste un progrès technologique. Il reflète,
Ci-dessus : L’expo Ososphère a été plébiscitée par le public (voir aussi pages suivantes)
induit une logique immersive par rapport à l’époque. Très concrètement, nous sommes tous pris à de multiples endroits de nos vies par le numérique. » Au travail, dans nos activités de loisir, dans nos usages culturels, notre rapport à l’enseignement, la création, l’architecture, nos mobilisations citoyennes, voire « hacktivistes ». Et puis, en se saisissant de ces enjeux, en les questionnant, « l’art est d’une certaine manière ce qui rend la vie plus intéressante que l’art », poursuit Danet, paraphrasant l’« artiste-
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poète » et « génie sans talent » Robert Filliou. « Pas plus belle, plus intéressante, ce qui montre bien quelle part d’activation, de fabrique peut être celle des artistes », via leur confrontation discursive, transversale dans leurs réflexions plasticiennes ou musicales, lors d’échanges « conversatoires », que ceux-ci concernent les villes productives, la réappropriation citoyenne – utopique ou réelle – de l’espace urbain, dont celui du quartier du Port du Rhin. Lors de nuits électroniques,
aussi, où raisonnent les vérités sonores d’aujourd’hui mais aussi des années à venir, qu’elles soient portées par Fakear, Salut c’est cool, Synapson, ou Sven Väth. Mais, peut-être plus important encore, dans l’écho que se renvoient l’ensemble de ces communautés artistiques et citoyennes, au travers d’un cheminement commun vers un ailleurs anticipé, en avance non pas sur son temps mais sur celui du politique. 1998-2017 : vingt ans bientôt que les équipes à penser de la machine à
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Charles Nouar
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penser 2.0 infusent la ville et démultiplient les foules et les envies numériques. 26 000, qu’ils étaient cette année, à se joindre à ce parcours presque initiatique, à chercher à vivre une expérience artistique sur trois étages alimentés d’œuvres d’une quarantaine d’artistes digitaux. 13 000 en sus, si l’on intègre les entrées des deux nuits électroniques. DESSINER LA « TRAM » D’UNE DESTINÉE COMMUNE
26 000 C’est le nombre de visiteurs enregistré au mois de mai dernier pour l’édition 2017 de l’Ososphère. Un succès qui aura même surpris Thierry Danet et ses équipes.
26 000 sur huit jours contre 15 000 sur dix jours il y a un peu plus de deux ans. Preuve, s’il en est, de l’adéquation ososphérique avec les attentes d’une société en quête de vision long termiste, saluée jusqu’au ministère et à l’école d’art Le Fresnoy pour lesquels nulle autre manifestation hexagonale ne saurait mieux porter l’idée d’un festival des arts numériques à vocation européenne, mieux interroger nos « work in
progress » sociétaux redimensionnés à l’échelle d’un laboratoire territorial des possibles, où deux rives d’un fleuve convergent aussi, s’ouvrent l’une à l’autre pour dessiner la « tram » d’une destinée commune que n’ont pas manqué d’emprunter parmi les premières les populations ososphériques. Tout l’ADN du numérique, ou presque, transverse, multiple, ouvert, fédérateur, à même de bousculer, d’interroger, de repenser les codes humains. Des Nuits, aux cafés conversatoires aux travaux exposés de ces quarante artistes digitaux aux multiples IP, françaises, belges, allemandes, simplement européennes, voire canadiennes ou australiennes. « Il n’y a qu’à voir cette mise en mouvement qu’inspirent ces journées, voir le nombre de sollicitations de gens hyper jeunes qui sont en train de monter des trucs, d’introduire la dimension du temps réel dans l’urbanisme pour se rendre compte de l’importance de ce qui est
fait ici », revient Danet. « Il n’y a qu’à voir, encore, comment ces personnes proposent, chacune à son échelle, une autre manière de rentrer dans l’espace public en créant des espaces. » Comment ces gens « peuvent finalement être tentés de participer à la création de leur ville », « de favoriser l’entrée de nouveaux espaces, de nouveaux champs des possibles, dans la ville », de réveiller nos envies, nos désirs et nos énergies. Et si Bohringer laissait le mouvement de sa plume écrire « C’est beau une ville la nuit », sans doute est-il plus beau encore de repousser l’an-nuit d’une ville pour mieux l’aider à écrire ses futures lignes de vie.
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Pari ici immanquablement réussi. Revivre les Cafés conversatoires sur Ososphère radio : www.radioenconstruction.com
COMMENTAIRE
La Coop, pour ne pas manquer le bon train. Les pages qui précèdent évoquent le dossier sur l’esprit startup à Strasbourg et le retour sur le superbe événement de l’Ososphère 2017. L’occasion est ainsi offerte de confier notre incompréhension. Parmi les nombreux interlocuteurs que nous avons rencontrés pour brosser le portrait de ceux qui font l’économie numérique à Strasbourg, une quasi unanimité s’est exprimée sans détour : il manque un lieu, un quartier plus précisément, qui pourrait constituer ce fameux accélérateur de startups qui semble faire si cruellement défaut dans la capitale alsacienne. Un lieu où dans un espace géographique homogène et ramassé pourraient quotidiennement se côtoyer, se rencontrer, échanger, « coworker » et phosphorer ensemble tous les acteurs et les jeunes pousses qui constituent l’avenir de l’économie des décennies à venir. Tous les spécialistes sont unanimes, c’est dans cette collaboration permanente et ce dynamisme sans cesse régénéré que s’élaborent et se concrétisent les réussites et donc se matérialisent les emplois. Pour cela, il faut être proches, voisins même : ainsi, les énergies s’additionnent, se démultiplient, les projets s’élaborent en commun, les compétences se dénichent plus vite et mieux. Chacun crée, façonne, fabrique et installe les briques de la réussite de tous…
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Alors, pourquoi pas la Coop ? Pourquoi ne pas imaginer d’ores et déjà ce nouveau et important « morceau de ville » déjà tourné vers le futur et déjà si emblématique du XXIème siècle avec ce tram transnational qui le dessert merveilleusement ?
Des logements, des ateliers d’artistes, des lieux de vie (bars, restaurants, notamment) sont déjà prévus, comme la présentation du site lors d’un des Cafés conversatoires de l’Ososphère l’a illustré. Parfait. Mais pourquoi ne pas utiliser les lieux de cette gigantesque friche industrielle pour y sertir cet accélérateur de startups dont l’absence se fait si cruellement sentir ? Le modèle existe déjà. À Bordeaux, sur des dizaines de milliers de m2 au sein des bâtiments éco-rénovés d’une ancienne caserne militaire et de gigantesques ex-entrepôts commerciaux voisins, l’écosystème Darwin déploie une programmation mixte : bureaux partagés, espaces de coworking, commerces responsables, skatepark, club nautique, ferme urbaine… Darwin regroupe plus d’une centaine d’entités : startups de l’économie numérique, entreprises de l’économie verte et créative, représentants de l’économie sociale et solidaire, acteurs des cultures urbaines, associations de quartiers, porteurs de projet… « L’écosystème Darwin est né sur ces berges de la rive droite de la Garonne longtemps réputées «malfamées» dans l’inconscient collectif bordelais. De «de l’autre côté de l’eau» dans ce Bordeaux portuaire et ouvrier des «petites gens» de la Bastide, quartier attachant à la fois par son unité et sa diversité. » Nous sommes allés sur le site internet de Darwin pour reproduire ce descriptif exact du site. Relisez attentivement : cette description n’est-elle pas l’exact copier-coller de ce bon vieux quartier portuaire de la Coop et du Port du Rhin ? Alors, oui, pourquoi pas la Coop ? Cet enjeu est bien plus vaste que le simple réaménagement de la friche industrielle qui va s’amorcer dans les mois à venir. Il y va peut-être de l’ancrage de la nouvelle économie à Strasbourg. Pour que dans une ou deux décennies, on n’en vienne pas à regretter de n’avoir pas su, dans les années 2010, prendre à temps le bon train. Jean-Luc Fournier, Directeur de la rédaction de Or Norme
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MARC KELLER
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‘‘Le plus dur commence, on va maintenant nager en haute mer…’’
Lundi 22 mai. 72 heures déjà que le Racing a retrouvé la Ligue 1. Dans l’enceinte du stade, les traces de la méga-fête du vendredi soir ne sont pas encore effacées. On a rendez-vous avec le président. Cette fois-ci, il ne pourra pas rester mutique : la montée est acquise. De quoi sereinement converser avec un homme enfin libéré de l’énorme pression qui a longtemps reposé sur ses épaules. ien sûr, le week-end aura été ultra-court. C’est bizarre, le football pro : quand tu perds, les heures s’écoulent interminablement, tu te refais les actions, tu ressasses les événements en te morfondant. Quand tu gagnes, tout est lumineux et paisible. Alors, quand tu montes, c’est le nirvana. Et quand tu montes et que tu te souviens que six ans avant, le club était scotché au cinquième sous-sol, alors là… Tout ça pour dire que ce lundi en fin d’aprèsmidi, la fête est déjà loin. Toute la journée aura été consacrée aux entretiens avec l’entraîneur, les joueurs, ceux qui vont partir, ceux qui vont rester… La check-list n’est pas épuisée mais Marc Keller est ponctuel au rendez-vous. Dernier soubresaut médiatique (les 72 heures précédentes n’en ont pas été avares), il est suivi comme son ombre par un journaliste reporter d’images de l’Equipe TV qui ne l’a pas quitté de la journée. C’est l’angle choisi par la rédaction de la chaîne pour enregistrer un long reportage sur l’homme qui préside depuis cinq ans au renouveau lumineux du Racing Club de Strasbourg… LES VALEURS DU PATRIMOINE RACING À la question du jeune journaliste sur les sollicitations médiatiques depuis le triomphe du dernier
match, Marc reconnaît que « cela s’est bien accéléré et c’est normal compte tenu du retour du Racing en Ligue 1, après neuf ans d’absence dans l’élite ». On sourit un peu : c’est peu dire qu’il aura été d’une prudence de sioux sur ce sujet depuis trois ou quatre mois, quand il est devenu évident qu’au pire, le Racing se mêlerait quasiment jusqu’au bout à la lutte pour la montée. Et au mieux ? Là, le sujet était tabou, carrément interdit d’évocation. D’ailleurs, l’intéressé reconnaît : « Je ne cours pas après les interviews, généralement. » C’est un euphémisme… Une dernière réponse à l’ultime question du journaliste télé sur le nombre incalculable de coups de fil reçus par le président strasbourgeois durant ce lundi : « On sent bien que la montée du Racing ne laisse personne insensible en France. L’Alsace est une terre de foot et notre retour au plus haut niveau est salué de toutes parts, même à l’étranger ». Quand on se retrouve enfin entre quatre oreilles, Marc Keller revient sur ce fameux vendredi soir, quand l’arbitre a sifflé la fin de la rencontre. « Trois jours plus tard, il reste un grand bonheur » confie-t-il. « Un grand bonheur pour les dirigeants qui étaient tous là il y a cinq ans quand nous sommes repartis de CFA, un an après le dépôt de bilan, un grand bonheur pour toute l’Alsace et nos magnifiques supporters. Il reste ce sentiment que le Racing est de retour à la maison, car sa place est clairement en Ligue 1. Et je ne pense pas qu’à moi quand je dis ça. Je pense à tous ces gens qui n’ont jamais vu jouer Cavani, Mbappé, Lyon, Marseille… Ce dépôt de bilan il y a six ans nous a fait repartir de zéro, une immense page toute blanche allait devoir s’écrire. Ce club, avec les dirigeants qui m’entouraient déjà, on a donc pu le formater comme on le souhaitait. Nous savions bien où nous mettions les pieds, on le connaissait notre Racing ! Nous nous étions tous entendus sur une condition majeure à respecter :
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CET ÉTAT D’ESPRIT QUI A FAIT LA DIFFÉRENCE
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‘‘Certes, durant cette saison, on a tous très bien travaillé, y compris le public, mais le grand artisan de cette montée est bien notre entraîneur.’’
tirer les enseignements du passé et faire différemment. Ce qui voulait dire profiter du dépôt de bilan pour installer une gouvernance différente. Je pense sincèrement qu’aujourd’hui, cette base-là est non négociable. Le Racing est une institution en Alsace, au même titre que la cathédrale de Strasbourg. Donc ses dirigeants ont un devoir de cohérence, de travail et de droiture car si le Racing appartient juridiquement à ses dirigeants, quand on est audité financièrement par la DNCG par exemple, dès qu’on est dans la rue, le Racing appartient en fait à l’ensemble des Alsaciens. L’équipe de dirigeants est juste porteuse d’un patrimoine qu’un jour, on transmettra mais en attendant, nous qui sommes à la tête de ce patrimoine-là, nous nous devons de le gérer avec les valeurs que je viens d’exprimer. Au niveau de notre public, ça a été la même chose. Il y a eu tout de suite un engouement hors norme dû au fait qu’on repartait de tout en bas et, du coup, est arrivée une nouvelle génération de jeunes supporters. Ce qui m’a le plus frappé personnellement, c’est qu’avant cette aventure, je pensais comme beaucoup d’autres que pour remplir la Meinau, il fallait jouer contre le PSG, Lyon, etc. En réalité, on a eu Colmar, Mulhouse, Colomiers et, vendredi, Bourg-enBresse. Le stade a toujours été plein. Ça montre clairement qu’au-delà de l’équipe visiteuse, c’est l’émotion de la Meinau que les gens viennent vivre, même si on est en National, à la condition bien sûr de ne pas s’y enliser… »
Dans ce bilan improvisé trois jours après la montée, Marc Keller n’oublie bien sûr pas d’évoquer les groupes de joueurs et les entraîneurs qui ont permis cet aboutissement magique. Son long passé de joueur resurgit opportunément quand il commente quelques épisodes, pas tous forcément agréables : « Que ce soit mon frère François, Jacky et aujourd’hui Thierry, tous les entraîneurs ont été des serviteurs du club, ils se sont adaptés au moule Racing. François est monté deux fois, il est directeur du centre de formation. Jacky est monté lui aussi et il est resté proche du club. Et Thierry vient de les rejoindre dans ce palmarès. C’est exceptionnel, je trouve… A la base de ces relations apaisées, il y a aussi le fait qu’au moment où les choses devaient se dire, elles se sont dites avec une honnêteté et une clarté permanentes et totales. Rien de tel pour éviter les problèmes humains…», proclame Marc Keller. Et quand il revient à cette saison magique qui vient juste de se clore avec ce « grand bonheur » pour tous, le président reste très précis sur les mots qu’il prononce : « Certes, durant cette saison, on a tous très bien travaillé, y compris le public, mais le grand artisan de cette montée est bien notre entraîneur. Son travail a été remarquable et dans le vestiaire, on avait un superbe état d’esprit. Bien sûr, comme dans tous les clubs, il y a bien eu deux ou trois petits clashs, quelques moments où ça a pu être tendu mais tout a été très, très bien géré par le coach. On l’avait recruté lui et pas un autre parce qu’on voulait quelqu’un d’expérimenté tant dans les moments positifs que dans les moments négatifs et dans le but que cette expérience lui serve ici à Strasbourg. Résultat : on vient de vivre une saison complète où on a été en permanence sur le fil du rasoir. Eh bien c’est toujours l’entraîneur qui a permis au groupe de continuer à espérer. Clairement, on avait une bonne équipe. On a longtemps pensé que cela permettrait de se maintenir, puis, très sincèrement, au bout d’une quinzaine de matches, on a commencé à se dire qu’on pouvait viser mieux. Mais entre avoir une bonne équipe et une équipe qui joue la montée, il y a un sacré écart. Et cet écart, il a été comblé par l’état d’esprit que l’entraîneur a su mettre en place et auquel les joueurs ont adhéré. Il y a trois semaines, on mène 2 à 0 contre Le Havre. Anthony Gonçalves se blesse en première mi-temps. Il reprend la seconde mi-temps en étant toujours blessé. Le coach demande alors à Jérémy Grimm, qui est sur le banc, d’aller s’échauffer. À un certain moment, Anthony veut rejoindre le médecin et passe devant Jérémy qui doit le remplacer. Et ce dernier lui crie : « Anthony, accroche-toi on a besoin de toi ! » Alors qu’il aurait pu lui dire : « Sors, je vais te remplacer… » Il a privilégié le collectif à son intérêt personnel. Pour moi, cette anecdote est très révélatrice de l’état d’esprit que j’évoquais. À la fin, c’est bien cet état d’esprit qui a fait la différence. »
‘‘On aura un budget entre 28 et 30 millions d’euros, ce qui va nous placer dans les six ou sept clubs les moins riches du championnat’’
DEMAIN ET… HIER Le Racing de retour en Ligue 1, son président délivre déjà des messages forts. « D’abord, on annonce clairement que le maintien sera l’objectif », précise-t-il d’entrée . « La fête est finie, il faut être réaliste. On aura un budget entre 28 et 30 millions d’euros, ce qui va nous placer dans les six ou sept clubs les moins riches du championnat. Huit ou nouveaux joueurs vont nous rejoindre, l’entraîneur y travaille bien sûr déjà. Il va falloir recréer cet esprit d’équipe dont on parlait, et ça c’est un challenge qui ne se réussit pas en appliquant une formule qu’on trouve dans les bouquins. Cette alchimie est très subtile… Et puis bien sûr, il va falloir gagner des matches et traverser du mieux possible les inévitables périodes difficiles. Donc le plus dur commence, on va nager maintenant en haute mer, avec de très gros poissons, mais ça on le savait… Côté public, on vise les 10 000 abonnés et on continuera dans ce domaine à travailler sur les valeurs qu’on souhaite voir perdurer : convivialité, esprit populaire et l’accueil des familles… »
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Le stade est au cœur des préoccupations des dirigeants strasbourgeois. La Meinau accuse son âge (plus de trente ans) et si une étude de faisabilité est en cours sur les deux options (un nouveau stade ou le réaménagement de l’existant), c’est clairement cette dernière qui tient la corde. « Tous les aménagements que nous ferons seront axés sur les ressources que nous comptons en tirer car si l’on veut se pérenniser en Ligue 1, il faudra franchir un pas important en termes de budget, c’est-à-dire passer de 30 à 40, voire 45 millions d’euros. Donc le stade devra être mieux aménagé pour l’accueil du public, avec des places de parking supplémentaires, il devra comporter plus
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Alban Hefti - DR Jean-Luc Fournier
On ne pouvait pas conclure cet entretien de lendemain de triomphe sans évoquer l’incroyable destin personnel de Marc Keller, lui qui est arrivé dans le football de haut niveau à l’âge de 18 ans, sans même être passé par le moindre centre de formation. Il ne faut pas longtemps pour que la boîte à souvenirs se rouvre : « Je pense que je suis toujours resté fidèle aux valeurs que l’éducation que j’ai reçue m’a apportées. De Mulhouse où j’ai joué mes quatre premières années professionnelles, j’ai conservé de très bons souvenirs et aussi de solides amitiés comme Claude
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d’espaces de convivialité, il devra être plus lumineux, plus connecté, plus moderne. Tout cela fait partie du cahier des charges. Cette rénovation est impérative si on veut exister à ce niveau. J’espère que le nouveau stade pourra être opérationnel dans les trois ou quatre ans à venir. Voilà notre challenge : nous maintenir durant ces trois années pour pouvoir ensuite nous pérenniser avec les outils du nouveau stade, les droits télé qui joueront à plein pour nous et aussi avec les jeunes joueurs qui sortiront alors de notre centre de formation… » prévoit le président.
Fichaux, Mouche Bouafia, et même Pierre Menès que j’ai connu là-bas à l’époque ou Pierrot était très ami avec André Goerig, le président du club. Je n’oublierai pas de citer également Fred Johansen, mon pote de jeu au FCM, qui est décédé tragiquement dans un accident de la route fin 1992. Je venais de signer au Racing et son talent était immense, nous avions prévu tous les deux qu’il me rejoindrait une fois la montée du Racing acquise. C’est vrai que j’ai connu une carrière formidable avec le FCM, le Racing, l’Allemagne, l’Angleterre, l’équipe de France. Mais le temps passe, les années s’écoulent, ça fait déjà quinze ans que je suis dirigeant… Je crois que j’ai pu mener cette carrière grâce à de belles rencontres mais aussi en m’appuyant sur ma personnalité et mon caractère. Je suis quelqu’un qui, une fois qu’il s’est fixé un objectif, essaie de l’atteindre sans trop se préoccuper des à-côtés. Quand ça ne marche pas, je ne panique pas et quand ça marche bien, ça ne m’émeut pas, ça ne m’enflamme pas parce que je reste quoiqu’il arrive concentré sur l’objectif final. Il y a des hauts et des bas dans le football comme dans tant d’autres secteurs mais je pense avoir cette qualité de ne jamais rien lâcher. »
ENCORE PLUS OR NORME Retrouvez Marc Keller en interview vidéo sur le site www.ornorme.fr Propos recueillis par Jean-Luc Fournier
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The Weeknd
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THE WEEKND PORTE LA TSUGI SHINSEI
TOUJOURS PLUS RAPIDE
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PETER KNAPP
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Alain Forgeron – Peter Knapp – Musées de la Ville de Strasbourg Véronique Leblanc
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‘‘Je dessine comme d’autres fument"
Photographe, graphiste, peintre, directeur artistique… le suisse Peter Knapp est un « faiseur d’images » qui n’a jamais cessé de dessiner. Le musée Ungerer consacre une très belle exposition à cette part de son œuvre spontanée, épurée et tellement captivante. Jusqu’au 2 juillet. « Je dessine comme d’autres fument. » La phrase de Peter Knapp est malicieuse comme l’étaient ses yeux lorsqu’il l’a prononcée le 23 mars dernier, la veille de l’inauguration de l’exposition que lui consacre le musée Tomi Ungerer. L’artiste était heureux ce jour-là. « J’adore ce musée, disait-il. J’y suis venu pour l’exposition Steinberg et je m’étais dit que jamais ses dessins n’avaient été aussi bien exposés. Y voir les miens, c’est… grandiose ! » On lui parle de sa carrière d’artiste inclassable, graphiste, typographe, directeur artistique, photographe, peintre, dessinateur, réalisateur… On évoque les Galeries Lafayette dont il a notamment redéfini le logo, le magazine « Elle » qu’il a révolutionné dans les années 1960 en libérant les mannequins de leurs poses figées et en bouleversant les mises en page, de la mythique
émission « Dim Dam Dom »… Et puis on se rend compte que c’est une maladresse. L’heure est au dessin, à cette respiration qu’il a représentée pour un artiste qui n’a, dit-il, « jamais eu l’impression de faire une œuvre » tout comme il n’a « jamais eu de commande pour illustrer un livre ». TRAQUER L’HUMAIN Pas de commande mais une impulsion tout comme celle qui le fit s’emparer de « L’Écriture ou la vie » de Jorge Semprun qu’il avait lu « ici, à Strasbourg, dans un hôtel » alors qu’il terminait le montage de films pour France 3. Et Peter Knapp s’est lancé, trouvant dans ce livre un sens proche de l’ultime à cette obsession qui le taraude : la quête de l’humain traquée ici au travers des mots allemands gardés dans l’ouvrage parce que justement, ils disent la déshumanisation théorisée par le nazisme. Knapp et Semprun se connaissaient. « Quand je lui ai montré mon carnet de croquis lors d’un repas que nous avons partagé, il les a trouvés « très durs ». « Mais est-ce que tu as relu ton propre livre ? » lui ai-je répondu. » Cette quête de l’humain est omniprésente dans l’exposition. Pas un dessin qui ne la traque, même dans ses expressions les plus invisibles. La série « Lot et ses filles » est de cette veine. Elle est née d’un vol transatlantique que Peter Knapp ne voulait pas faire sans la compagnie d’un livre. « Je ne souhaitais pas pour autant m’encombrer, raconte-t-il et j’en ai pris un petit dans la bibliothèque de ma fille qui vit en Amérique. C’était l’Ancien Testament où j’ai trouvé fantastique mais incomplète l’histoire de Lot. Le destin de ses filles
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était occulté, ce qui m’a interpellé ». 65 dessins en sont nés et ils sont aujourd’hui publiés par le strasbourgeois Emmanuel Abela aux Éditions Chic Média dans la collection « Desseins ». L’exposition leur consacre un mur saisissant où l’on retrouve le « geste Knapp » dynamique, très libre, pur, confinant pourtant à une dimension presqu’expressionniste. DES TECHNIQUES TOUJOURS À RÉINVENTER L’artiste se qualifie lui-même de « faiseur d’images » et sa carrière en témoigne : graphisme, typographie, direction artistique, photographie, vidéo, peinture. Avec toujours le dessin en fil conducteur comme dans ses « chemins de fer » composés de petites cases aquarellées ou contrecollées de photographies qui déroulent les pages du magazine ou du livre à venir. Des œuvres à part entière. Le noir et blanc dominent l’exposition mais il est parfois éclairé d’un lavis d’encre de couleur, d’une touche de gouache ou d’un effet de matière né de la brillance d’un collage ou d’un jeu avec le feu d’un fer à souder car l’artiste est curieux et facétieux. Pour lui, les techniques sont toujours à réinventer. L’exécution est spontanée, proche de la calligraphie. Tout est dans la tête avant de jaillir sur le papier. « Très souvent, mes dessins prennent plus de temps à être pensés qu’à être faits », confie Peter Knapp. Ils surgissent et nous happent par leur force et leur évidence. Parfois sertis d’un humour acéré car « il faut rire pour être vraiment humain ».
STANISLAS NORDEY ‘‘Si l’on enferme le théâtre dans une chose muséale, il va mourir’’
Photos :
Jean-Louis Fernandez / TNS - DR Charles Nouar
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À quelques mois de l’ouverture de sa troisième saison, bilan à mi-mandat avec Stanislas Nordey, directeur du TNS. Sur la programmation passée et à venir mais également sur des projets moins médiatisés, mais qui participent tout autant à la renaissance du lieu. Or Norme. Stanislas Nordey, deux ans après votre arrivée, de nombreux projets ont été amorcés. Où en est-on en termes de formation, d’ouverture du théâtre à de nouveaux publics ? Disons que l’on a commencé à semer des graines et que l’on continue de le faire, en attendant la moisson qui, je l’espère, donnera des choses relativement spectaculaires. Je pense notamment ici à la troupe Avenir, qui regroupe une vingtaine de jeunes d’horizons extrêmement différents et qui reflète une mixité sociale à laquelle je suis très attaché. L’un des objectifs que nous nous sommes fixés est que ce dispositif leur permette de mettre le pied à l’étrier pour éventuellement postuler par après à un autre groupe comme 1er Acte, destiné aux jeunes gens issus de la diversité, ou auprès d’écoles nationales de théâtre comme celle du TNS. Et puis il y a aussi ces rencontres que nous avons initiées entre des lycées généraux et des lycées techniques. Ici, les élèves se retrouvent sur des ateliers pratiques, débattent des pièces qu’ils vont voir ensemble. L’enjeu est finalement presque celui de la rencontre entre une forme de confort et d’inconfort. Je pense que cela est très important parce que plus on travaille sur la mixité, plus cela brouille les lignes et fait avancer un certain nombre de choses au sein même de notre société. Or Norme. Les élèves de l’École du TNS sont-ils associés à cette démarche ? Bien sûr, ils y sont même très sensibilisés parce que ce sont eux qui, demain, vont prendre le relais, être les professionnels qui auront à conquérir de nouveaux publics. Et, pour cela, je les incite beaucoup à se rendre à tous ces processus de travail. Pareil pour les jeunes metteurs en scène, que nous encourageons à aller sur le terrain pour y monter des résidences, en milieu rural ou dans les collèges, par exemple. Il est important qu’ils apprennent que le TNS n’est pas qu’une
grande institution avec des ors mais également un endroit où l’on invente la suite de la décentralisation. Or Norme. Vous êtes très attaché à la notion d’écriture contemporaine et au regard qu’elle pose sur le monde d’aujourd’hui... C’est essentiel. La fonction du théâtre est de nous faire entendre différemment l’actualité. Pas d’un point de vue journalistique, mais littéraire. Cette année, nous avons eu par exemple plusieurs représentations allant en ce sens, que ce soit « Neige », sur la Turquie, ou « Des roses et du Jasmin », sur la réalité israélo-palestinienne. On est là complètement dans le théâtre et, en même temps, on raconte le monde d’aujourd’hui. Et ça c’est extrêmement important parce que si l’on enferme le théâtre dans une chose muséale, il va mourir. Bien sûr que c’est beau d’entendre « Bérénice » de Racine ou « Le Cid » de Corneille, mais ce n’est pas comme cela que l’on fait vivre le théâtre. Or Norme. La saison 2017-2018 en sera-t-elle un nouvel exemple ? Oui. Y sera par exemple programmé « Le pays lointain », de Jean-Luc Lagarce qui est un classique contemporain, « Le Camion », de Marguerite Duras – qui est à la fois une auteure classique et contemporaine et d’une certaine manière assez inclassable. Mais, dans cette dynamique, seront surtout présentées des pièces de jeunes auteurs que peu de gens connaissent encore comme Julien Gaillard, Simon Diard, Stefano Massini, ou encore Alexandra Badea. Hormis un Tchekhov et un Gorki, chacune des seize pièces programmées relèvera résolument de l’écriture contemporaine, ce qui est un véritable pari, parce que ce n’est de loin pas ce qui se fait dans l’ensemble des théâtres.
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Jean-Louis Fernandez / TNS - DR
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Charles Nouar
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Oui. Arnaud Meunier montera par exemple un texte de Stefano Massini, un « seul en scène » qui mettra en relief trois points de vue de femmes sur le terrorisme. Avec les élèves, et pour ne citer que ces deux exemples, Julien Gosselin abordera quant à lui ce qui se passe à Calais dans le milieu des skinheads. Or Norme. Qui dit adéquation du théâtre avec son époque dit aussi nouveaux auteurs. Comment les trouvezvous ? Quel est, d’une certaine manière, leur processus de sélection ?
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Tout d’abord, le TNS dispose d’un comité de lecture. Après, je suis quelqu’un qui lit énormément. En tant que metteur en scène je n’ai d’ailleurs pratiquement monté que des auteurs vivants, ce qui me donne une certaine connaissance du milieu. Et puis, partie sans doute la plus délicate, face à la difficulté de trouver des co-producteurs qui vont encore plus facilement sur un Shakespeare ou un Brecht, il y a tout un travail de conviction à mener auprès des directeurs de théâtres en les prenant un par un pour leur dire : « Ça, il faut que tu le lises et que tu t’en empares. » Et pour le moment ça fonctionne. Or Norme. Et donc auprès du public...
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Or Norme. Contemporaines et, pour certaines, très inscrites dans l’actualité...
Pour la première saison, nous avons en effet enregistré 70 000 entrées environ, la meilleure fréquentation de l’histoire du TNS. Cette année nous avons encore atteint nos objectifs alors qu’elle était marquée par une plus grande prise
‘‘La fonction du théâtre est de nous faire entendre différemment l’actualité. Pas d’un point de vue journalistique, mais littéraire.’’
de risques, avec neuf créations dans les murs sur un total de seize spectacles. C’est tout bête mais cela crée aussi une dynamique qui redonne au TNS une forme d’aura en France. Je le vois bien avec des journalistes parisiens qui viennent à nouveau, sans même qu’on ne les sollicite, ce qui est très bon signe, parce qu’ils comprennent que, désormais, « c’est là que ça se passe. » Or Norme. Un dernier projet hors norme dans les cartons pour les années à venir ? Un rêve, plutôt. Faire une saison où il n’y aurait que des actrices sur le plateau. Ce serait beau. J’y pense, mais chaque chose en son temps.
VOUS ÊTRE UTILE C’EST FAIRE LE LIEN ENTRE LE PATRIMOINE DU CHEF D’ENTREPRISE
ET CELUI DU CHEF DE FAMILLE
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DR. FINBERG & Mr E
Documents Remis Charles Nouar
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Eli dans la vie de tous les jours. Mr. E on stage. Mais que sait-on vraiment du parcours de celui auquel on associe les aventures ArtDistrict, Blockstop ou F-R-E-E-Z, fleurons de la scène rap locale ? Rien ou presque n’aurait dû mener Eli Finberg, aka Mr. E, à une carrière de MC/slameur. Encore moins à Strasbourg, lui le gars issu d’un petit village de 1000 âmes entouré de montagnes. Les « Vosges new-yorkaises ». École primaire, collège, lycée : 18 premières années d’une vie figée au même endroit. Sa culture musicale ? Nourrie à l’éclectisme familial et au son des radios rap new-yorkaises qu’il captait alors via le câble. Puis vient ce départ au Brésil : une année d’échange au Motiva Colegio e Curso de Campina Grande, avant de rejoindre le Juniata College de Huntingdon, en Pennsylvanie, où il décrochera quelques années plus tard une licence de civisme international. ELI TENTE LE COUP Le Brésil bouleverse alors pas mal de choses : « C’est là que j’ai découvert mes envies, mes passions, d’autres manières de faire qu’aux States », et une addiction pour le voyage. L’écriture ne viendra que progressivement, au contact de ses colocs musiciens de deuxième année de fac, une fois de retour sur son sol natal. Au début, quelques bœufs d’appart au cours desquels Eli se risque au freestyle « sur des chansons qu’on aimait bien. » « Ça m’a donné le goût de participer à la création musicale », et d’écrire des textes en amateur. « À cette époque, Bush était au pouvoir, ça me dégoûtait. Écrire était pour moi une façon d’évacuer cela, sous forme de slam. » Puis vient le temps de la troisième année universitaire, au pays de Galles. Un soir de pub, un songwriter se produit devant quelques buveurs de bière. À la pause, Eli tente le coup, lui explique qu’il écrit, lui demande s’il l’autoriserait à prendre le micro durant son break. Le gars accepte, Eli déroule. C’est là qu’Eddy Scissorhands
Eli Finberg
fait son entrée dans la vie de Mr. E. Il vient le voir, lui dit qu’il est DJ hip-hop, lui propose de se joindre à lui et à EyeBX, un MC local, le weekend à venir, le temps d’un concert. Hors de sa zone de confort, ce jour-là, Eli a son carnet posé à côté des platines, mais le set se passe bien et en induit d’autres, jusqu’à une première affiche mentionnant son nom et de premiers enregistrements en home studio. « RICAIN LAMBDA EN SHORT ET CLAQUETTES » L’année suivante, Eli est à Séville, se met à écrire en espagnol. Petits poèmes avec des jeux de mots. Se fait des potes « qui me voient au départ comme le ricain lambda en short et claquettes avec l’accent mi new-yorkais mi andalou. » Mais des gars avec lesquels il tissera des liens très forts au cours de ces quatre mois, précédent une dernière année US, puis Strasbourg, l’étape suivante : une histoire de cœur initiée en UK mais finalement sans lendemains chantants. Venir quand même dans la capitale européenne, ne pas venir ? « J’avais décroché un stage de 7 mois d’enseignant en langue anglaise et je ne me voyais pas revenir en zone
Mr E.
rurale. » Là, tout est à reconstruire : les amis, les contacts, une vie. Pas simple, jusqu’à ce soir d’octobre où Eli se « retrouve par hasard avec des musiciens hispanophones place Gutenberg, pour la fête des vignobles. » « On échange un peu. L’un appelle son contrebassiste, puis part chercher sa guitare. » Bœuf improvisé au départ de la fanfare franco-allemande. Eli chante du Bob Marley et du Manu Chao. Les gens présents sur place jettent quelques pièces. « Premier moment où je me sens bien à Strasbourg », se remémore-t-il. Puis, la soirée s’enchaîne : direction place d’Austerlitz avec la petite troupe qui s’élargit à un type qui joue des percu, deux rappeurs. « C’est là, pour la première fois, que j’ai dû dire que j’étais moi-même rappeur. Sans doute parce que je ne connaissais personne, parce que je pouvais échanger en espagnol, parce que les mecs étaient curieux de ce que je faisais. »
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Les jours, les semaines passent. Période 2006-2007. Et les belles rencontres s’enchaînent : GPhil du Mudd qui accepte de le laisser poser des textes sur des faces B de 45 tours, Gaston, aka Nautilus, de La Fanfare en Pétard, Nico, le batteur des Blockstop qui lui propose également de « faire des trucs avec lui », le beatboxer
d’ArtDistrict ensuite, groupe emblématique de la scène hip hop strasbourgeoise au début des années 2010 et dont il deviendra rapidement la figure de proue. Autant de rencontres aux formes presque d’accélérateur de particules, qui le mèneront à plus de 200 concerts en Europe, aux États-Unis et au Maroc à compter de 2007, du Printemps de Bourges aux Eurockéennes, Francofolies, Zéniths de Lille et Strasbourg, et autres Jazzdor. ArtDistrict s’est dissous depuis, mais de nouveaux projets ont émergé ou se sont renforcés : Blockstop qui a sorti un premier album très remarqué l’an dernier, F-R-E-E-Z, groupe mêlant jazz et hip-hop, projet Isma Hill à Paris sur lequel apparaît entre autres Eric Truffaz entre deux tracks d’Eli, Big Nowhere à Bruxelles, Caterva, Collectif Oh. Tout ça peut-être via un Ricain en short et claquettes, mais en rien lambda.
Eric Genetet
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JULIEN TÉHÈME Écrire, pour être heureux 7 mai 2017, 18h. Deux heures avant le verdict. Être ici est peut-être une façon d’oublier l’angoisse d’un dimanche d’élection présidentielle qui pourrait mal tourner, histoire de se marrer une dernière fois avant 20h. Dans la grande salle de la Choucrouterie, il n’y a plus une place de libre pour la dernière représentation de « Faut qu’on parle », la première pièce écrite et interprétée (avec Marie Gelis) par Julien Téhème…
Julien est un drôle de type qui conduit des trains dans la vraie vie, son vrai métier. Et sinon, il invente des histoires de trains qui arrivent en retard avec la noble idée de faire rire. Il a trouvé sa voie, sans abandonner l’autre, celle qui lui permet d’être tranquille dans la vie, avec un salaire à la fin du mois comme parachute. Mais cette quiétude avait besoin d’un compagnon de route, d’une alliée, et ce fut l’écriture, car pour Téhème, il faut bien que le cerveau exulte : « Je deviens fou si les choses ne sortent pas, je suis comme un lion en cage. J’ai été malheureux jusqu’à 26 ans, je ne comprenais pas ça. Dans ma jeunesse, personne n’a encouragé ma créativité, au contraire. Du coup, mon métier était mon essentiel, ce que je vivais très mal. »
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TROP GENTIL, PAS ASSEZ « CONNARD » Alors il se lance avant que n’arrive la trentaine : un peu d’impro, un peu de radio à RBS, de la télé, il écrit des spectacles entiers, monte sur scène à la Java souvent, puis propose des textes à Roger Siffer. Aujourd’hui, il écrit 25% des sketches de la revue de la Chouc’. Julien Téhème étale ses idées sur papier, une droite, une gauche ou un uppercut, une façon de maîtriser l’animal sauvage, le « sociopathe » qui dort en lui. La suite est logique, il décide d’écrire une pièce de théâtre, mais sans compromis : pour la mise en scène, il veut Sébastien Bizzotto, personne d’autre : « S’il m’avait dit non, je n’aurais pas fait la pièce. Pour ma première comme comédien, je voulais travailler sans stress. Je savais qu’avec lui je serais rassuré, que la mise en scène serait ambitieuse. » Bizzotto accepte, donc il écrit, très vite, forcement très vite : « Je déteste l’acte d’écrire, alors avant de m’y mettre, il faut que tout soit en place dans ma tête. J’ai écrit les six premiers sketches de « Faut qu’on parle » en dix heures, je n’ai presque pas corrigé. »
Eric Genetet
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Sa pièce est l’histoire de deux célibataires qui, sans grande conviction romantique, vont se « mettre ensemble » comme on dit. Pourtant, le jazz entre les scènes, avec un peu d’imagination, nous transporte dans une comédie new-yorkaise, dans une ambiance
« allenienne ». Le héros est certainement trop gentil, pas assez « connard » pour séduire les femmes, mais il « s’entraîne », avant de rencontrer, enfin, celle de sa vie, sans avoir besoin de jouer les connards finalement. Un couple soumis aux rudes épreuves de la relation à deux. On pense à la série « Sex and the City », à la chanson de Benjamin Biolay « Brandt Rhapsodie » qui fait défiler la vie d’un couple en trois minutes de SMS ou de post-it, là c’est en une heure. Ça va vite, ça déménage, des hauts et des bas, fragiles. Pour Téhème, un couple ne peut pas fonctionner sur des compromis, ce sont des sources de souffrance, mais sur des consensus. Il pourrait faire de la politique, il ne serait pas le seul sociopathe de la bande, mais Téhème cultive une sorte de détachement, une philosophie proche du bouddhisme, « du balooisme plutôt », rectifie-t-il, du genre « Il en faut peu pour être heureux. » Comme depuis le début des représentations, les applaudissements sont nourris, l’animal sauvage a gagné son pari, les spectateurs ont été heureux. Sa joie est mesurée, il pense déjà à écrire la suite de sa vie d’auteur. 19h15. Il est temps de rentrer et d’allumer la télé. La soirée fut doublement réussie.
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KANKYO TANNIER
Chut…
Sa présence avait irradié la scène du TEDx Alsace en janvier dernier. Et son livre, « Ma cure de silence : et si on essayait le calme ? » cartonne déjà. On a voulu essayer. Et ça a marché. Rencontre apaisante avec un grand sourire bienveillant.
Alban Hefti Jean-Luc Fournier
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L’endroit n’a rien de secret et se découvre facilement, un peu plus haut que le minuscule village de Weiterswiller, à cinquante kilomètres au nord de Strasbourg. On est au cœur du Parc naturel des Vosges du nord, au beau milieu de plusieurs milliers d’hectares de magnifiques forêts où le soleil printanier fait resplendir le vert tendre des feuillus et celui, bien plus profond, des grands résineux. D’entrée, à même le petit parking, on entend déjà le chant des oiseaux. Et deux heures durant, la paix du lieu nous entourera… On pénètre facilement dans le temple du monastère Ryumon Ji : pas besoin de sonner ni de
‘‘Dès l’adolescence, je me
suis éloignée de la religion catholique car l’aspect
dogmatique me rebutait. Et
puis, je devais avoir dix-huit
ans, je suis tombée par hasard
sur un livre du dalaï-lama et là, ça a été l’émerveillement.’’
pousser un quelconque portail, juste suivre l’allée qui s’offre immédiatement à nos pas. Et en haut de quelques marches, le grand sourire de Kankyo Tannier nous souhaite la bienvenue… COMME UNE ÉVIDENCE… Pour tout dire, c’était un des rares jours de grand soleil du début de mai dernier, alors on a préféré réaliser l’interview sur la terrasse de bois gris, chaudement caressés par les rayons solaires. Installée sur une chaise en position du lotus, Kankyo (c’est son prénom bouddhiste qui signifie « miroir cosmique »), la boule quasiment à zéro et revêtue de son traditionnel kesa, la robe des moines zen, nous apprend que ses parents l’ont prénommée Isabelle il y a 42 ans, à Clichy-sousBois, en banlieue parisienne, là où elle est née et a grandi. « D’une famille catholique pratiquante », ajoute-t-elle, « de ce catholicisme issu du monde ouvrier, ce qui était fréquent à l’époque. Mon enfance et mon adolescence, je les ai passées là-bas entre Clichy et Le Raincy pour le lycée. J’avais seize ans quand toute la famille a déménagé à Besançon. Puis j’ai suivi des études supérieures en droit public où j’ai obtenu une maîtrise, que je n’ai jamais utilisée d’ailleurs… » Côté spiritualité, Isabelle situe son éveil « très tôt, mais dès l’adolescence, je me suis éloignée de la religion catholique car l’aspect dogmatique me rebutait. Et puis, je devais avoir dix-huit ans, je suis tombée par hasard sur un livre du dalaï-lama et là, ça a été l’émerveillement. J’y ai retrouvé beaucoup des valeurs catholiques comme la compassion, l’attention à l’autre, pas mal de choses sur l’infini, l’inconnaissable, mais il y avait toute la philosophie bouddhiste, explorez par
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OR CADRE Photos : Alban Hefti
Texte : Jean-Luc Fournier
‘‘Je me suis dit que si moi, je n’aimais pas avoir
l’impression qu’on me donne
une leçon, et bien il en serait de même pour mes lecteurs. Alors, je raconte mes expériences et
surtout mes pratiques de façon très simple et le lecteur a tout
loisir de se les approprier et de les mettre en œuvre lui-même comme il l’entend.’’
profiter de l’enseignement du maître Olivier Wang-Genh. Et je suis passée ici de l’idéal, du besoin de paix, de la sérénité à la réalité, c’est-àdire l’apprentissage de la vie en communauté. Et ça, apprendre à vivre avec les autres, à apaiser les tensions, à lâcher prise, c’est un sacré morceau (rires), le chemin est très long ! Mais c’était le bon endroit : ici, les retraites et les méditations intensives, c’est à peu près tous les quinze jours, on est donc vraiment invité à être face à soi… » Kankyo reconnaît que le doute ne l’a jamais vraiment habitée : « À un moment, on a envie d’aller à la source, c’est-à-dire au Japon car, ici, on vit finalement un bouddhisme européen. Cette expérience là-bas m’a encore plus confortée dans ma foi… » ÉCRIRE…
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vous-même, trouvez votre chemin, soyez votre propre lampe… Pour une adolescente un peu révolutionnaire comme j’étais à l’époque, ça, ça résonne beaucoup, évidemment : il y a bien sûr une théorie mais après, il faut aller l’expérimenter. Pendant une dizaine d’années, ensuite, j’ai multiplié les expériences, les rencontres. En 2000, je suis allée faire une retraite spirituelle dans un temple bouddhiste, à la Gendronnière près de Blois, pendant dix jours. À l’issue, je n’ai pas réfléchi plus longtemps. Le calme, la méditation : j’ai eu la sensation tout à fait physique que je « rentrais à la maison », comme si j’avais vécu longtemps juste à côté. Tout à coup, tout se posait, en quelque sorte. J’étais chez moi… Je le pressentais un peu ce moment-là, avant cette retraite, mais là-bas dans cette atmosphère très douce où tout le monde s’entraide, ce fut comme une évidence… » Un an plus tard, Kankyo trouve en Alsace le monastère zen (une des familles du bouddhisme – ndlr) qu’elle cherchait : « Il n’y en a pas tellement », dit-elle, « je suis venue ici deux ou trois fois et j’ai décidé ensuite de m’y fixer pour
Désormais nonne, et tout en continuant bien sûr les longs moments de cette méditation à la base même de sa religion, Kankyo s’investit beaucoup dans la vie du monastère Ryumon Ji. Elle apprend le zazen, la médiation active, aux plus récents arrivés, au Centre zen de Strasbourg, rue des Magasins. Elle assure également la communication via les réseaux sociaux notamment (« ça paye », reconnait-elle, « le monastère est très connu, même internationalement… »). Pour gagner sa vie, elle était jusqu’à l’automne dernier « professeur de voix » (chant, prise de parole en public - ndlr) mais cette thérapie « peut être très longue et demander finalement beaucoup de temps », avoue-t-elle. « Je suis donc devenue hypnothérapeute, j’accompagne les gens victimes de deuils, de phobies, de dépression… » De plus en plus connue et donc de plus en plus sollicitée, Kankyo voyage beaucoup mais revient le plus souvent possible « à sa base, car mes chats et mes chevaux me manquent beaucoup et très vite. » On en vient donc doucement à son livre, publié aux Editions First, « Ma cure de silence. Et si on essayait le calme ? » qui, à peine sorti, cartonne.
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Alban Hefti Jean-Luc Fournier
Texte : OR CADRE
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« Il s’est déjà bien vendu dans les circuits des foires internationales : un seul chapitre a été traduit en anglais et mon éditeur a immédiatement signé six éditions étrangères, et son parcours en France s’annonce très bien, la presse se succède ici », s’enthousiasme Kankyo. « Il faut dire que l’époque s’y prête car on vit dans un brouhaha grandissant, tout va trop vite et tout est trop connecté. Dans ce livre, je n’ai pas voulu aborder tout cet univers de façon dogmatique. Je me suis dit que si moi, je n’aimais pas avoir l’impression qu’on me donne une leçon, et bien il en serait de même pour mes lecteurs. Alors, je raconte mes expériences et surtout mes pratiques de façon très simple et le lecteur a tout loisir de se les approprier et de les mettre en œuvre lui-même comme il l’entend… » On est en effet très loin de la plupart des ouvrages, et ils sont nombreux, de développement personnel. Kankyo Tannier cherche à nous faire prendre conscience de notre silence intérieur qui nous permet de nous concentrer sur nous-même en reprenant le contrôle de nos
pensées. Une façon de se déconnecter volontairement, plus ou moins brièvement, et de parvenir rapidement à une forme de sérénité tout à fait salvatrice, bienvenue en tout cas. De très nombreuses notes d’humour ponctuent en permanence le livre : le comité de rédaction, par exemple. Dans un « inventaire à la Prévert », on y apprend qu’y siègent « Lala, ma princesse féline, une petite dame de 93 ans rencontrée au salon de thé voisin, le soleil, les amis, les oiseaux, le vent, les cafés, les chevaux, les réseaux sociaux et puis des tombereaux de livres avalés depuis l’âge de cinq ans… » Les plus de deux cents pages enchaînent les thématiques et les propositions d’exercices : les vertus du silence, faire silence de tout, le silence des yeux, le silence des mots, le silence du corps, le silence des actes, la spiritualité éthique et une méthode de cure de silence à la maison. À la fin du livre, un petit catalogue de toutes les références identifiées permet de prolonger l’aventure : que du bon, on y retrouve, entre
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‘‘Tout est bon pour remettre de la vie dans notre petit corps oublié. Danser, courir, se rouler dans le foin ou marcher sous la pluie. Tout pour sortir de notre unité de fabrication de pensées automatisée, j’ai nommé ‘‘la tête’’. Tout pour reprendre pied dans la magie d’un souffle de vent sur la joue ou du spectacle d’un chat qui s’étire.’’
Alban Hefti Jean-Luc Fournier
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‘‘Ma cure de silence’’ — Kankyo Tannier
plein d’autres, Mathieu Ricard et son « Plaidoyer pour les animaux », « L’Homme qui plantait des arbres », le merveilleux roman de Jean Giono, « Le Manifeste animaliste » de Corinne Pelluchon et le « Mouvement des Colibris » de l’indispensable Pierre Rabhi. On n’a pas quitté le monastère Ryumon Ji sans une petite balade en contrebas de la salle de prière. Un vrai havre de paix, comme il se doit. Le soleil jouait à cache-cache avec les feuilles que le printemps avait apportées, le glou-glou
du cheminement naturel des eaux de pluie était presque imperceptible et Lala, la féline au poil noir qui brillait, rôdait subtilement aux alentours. Devant partir tôt le lendemain matin pour le monastère ligurien de la Gendronnière, Kankyo n’avait plus trop de temps devant elle et s’est prêtée néanmoins gentiment aux exigences du photographe de Or Norme. Il a bien fallu se quitter finalement, car en ce qui nous concerne, on aurait bien passé une grande partie de la soirée dans ce lieu d’exception…
ENCORE PLUS OR NORME Retrouvez Kankyo Tannier en interview vidéo sur le site www.ornorme.fr Propos recueillis par Jean-Luc Fournier
Retrouvez tout Or Norme sur notre site internet www.ornorme.fr et via notre application gratuite.
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NOTRE AGENCE À STRASBOURG : 1 AVENUE DE LA LIBERTÉ - 67000 STRASBOURG - 03 88 24 95 00
Photos :
Documents Remis Patrick Adler
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LES COGITORE Une famille ‘‘faiseuse d’hommes’’
Dans la vallée de Kaysersberg, au lieu-dit La Bohle, se trouve la Répandise. C’est là qu’ont grandi les six frères Cogitore, dans cette maison « qui répand ce qu’elle est. » Clément, Romain, Baptiste, Colin, Quentin et Valentin ont aujourd’hui tous quitté ce canton vert qui les a forgés, mais leur enfance au coin du lac blanc, près du col du Bonhomme, les a marqué chacun, de manière intime. Je connaissais le travail de Clément grâce à son film « Ni le ciel, ni la terre », nominé pour la Caméra d’Or à Cannes et pour le César du meilleur premier film. J’avais également entendu parler du travail de cinéaste de Romain et notamment de son film « Nos résistances ». Et puis j’ai appris ce que produisait Baptiste aux côtés de sa compagne Claire Audhuy dans le cadre de leur collectif Rodéo d’âme qui mène des actions
artistiques engagées, et un très beau travail documentaire de mémoire. Et enfin, je rencontre Quentin il y a quelques mois... Intrigué par cette fratrie si créative, dont je n’avais effleuré que les deux tiers, j’ai demandé à Quentin de me faire découvrir « son » clan Cogitore. Carnet de famille donc !
Au dessus : Jacques Cogitore (le père, à gauche) et ses fils Clément, Colin, Baptiste, Quentin, Valentin et Romain (de gauche à droite)
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CLÉMENT : «LE GRAND» Il a toujours eu la fibre artistique et s’est naturellement dirigé vers les Beaux-Arts à Strasbourg puis au Fresnoy-Studio national des arts contemporains. Déjà récompensé par de multiples prix, et présent dès 2011 à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes avec un documentaire étonnant sur un couple de collectionneurs russes (Biélutine), Clément est cinéaste et réalisateur de documentaires… souvent très expérimentaux. « C’est l’aîné, et il a ce truc en plus… Il me surprend toujours : il sait faire la différence ! Il fait mille trucs à la fois et ce sera toujours surprenant. »
Et Quentin, les yeux brillants d’admiration, de me lâcher : « Il m’épate ! Il m’émerveille ! C’est un vrai artiste mais… c’est mon frère. Il a deux entités : c’est mon frère et c’est un artiste. Enfant, il concevait des machines à peindre dans le grenier. Il est toujours à la frontière entre le réel et l’irréel et j’adore son travail expérimental de cinéaste. Pour moi c’est « le Grand ! »
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Documents Remis Patrick Adler
Texte : OR CADRE
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Au-dessus : La plaque de la Répandise : la maison familiale
ROMAIN : «LE PAPA»
BAPTISTE : «LE GRAND FRÈRE»
Actuellement sur son deuxième long-métrage, il est cinéaste et cumule au moins autant de récompenses que son aîné, mais c’est avant tout un raconteur d’histoires. « C’est aussi le plus caustique et sarcastique d’entre nous. Dès le lycée il a choisi une option cinéma puis est parti pour Nantes. Il a démarré comme assistant réalisateur et à 18 ans, il a écrit la trame de son premier film, inspiré par une photo de notre grand-père du temps où il était résistant. Sur cette photo notre grand-père et ses camarades ont tous moins de 20 ans… Voilà de quoi il est parti pour écrire et créer « Nos résistances ».
Journaliste reporter d’images, basé à Strasbourg, il travaille beaucoup pour France Télévisions. De formation très littéraire, deux licences et deux masters en lettres modernes, il écrit beaucoup. Avec Claire Audhuy, il s’intéresse au devoir de mémoire, à la poésie, aux récits de voyage. Claire est metteur en scène. Ils œuvrent ensemble avec leur collectif Rodéo d’âme, à la fois compagnie de théâtre, maison d’édition et incubateur de projets pluridisciplinaires. « Baptiste a fait un travail extraordinaire autour des anciennes synagogues en Alsace, qui a donné naissance à un livre magnifique, « Les gardiens des lieux ». Il se sent investi d’un devoir de transmission. Pour moi c’est le «Grand Frère» ; on est très proches, d’abord parce qu’il est à Strasbourg comme moi, mais aussi parce qu’en politique, sur la nature, sur la vie, c’est un peu mon référent, parce qu’il est révolté mais pas paniqué. Il a une capacité à prendre de la hauteur, et pas seulement à cause de son physique longiligne. On aime marcher ensemble… parce qu’on marche au même rythme ! »
Romain c’est la force tranquille… Je suis le parrain de son fils, et pour moi c’est «le Papa» : il est toujours pour moi une source de conseils avisés. »
Le Camion
Marguerite Duras | Marine de Missolz 12 | 23 sept 2017
Tarkovski, le corps du poète Julien Gaillard | Simon Delétang 19 | 29 sept 2017
Le Pays lointain
Jean-Luc Lagarce | Clément Hervieu-Léger 26 sept | 13 oct 2017
Interview
Nicolas Truong | Nicolas Bouchaud | Judith Henry 29 sept | 7 oct 2017
Nathan !?
Nicolas Stemann 8 | 17 nov 2017
Les Bas-fonds
Maxime Gorki | Éric Lacascade 23 nov | 1er déc 2017
Je suis Fassbinder
Falk Richter | Stanislas Nordey 18 | 22 déc 2017
Soubresaut
Théâtre du Radeau | François Tanguy 9 | 19 janv 2018
Actrice
Pascal Rambert 24 janv | 4 fév 2018
À la trace
Alexandra Badea | Anne Théron 25 janv | 10 fév 2018
La Fusillade sur une plage d’Allemagne Simon Diard | Marc Lainé 14 | 23 fév 2018
Le Récit d’un homme inconnu Anton Tchekhov | Anatoli Vassiliev 8 | 22 mars 2018
Au Bois
Claudine Galea | Benoît Bradel 14 | 28 mars 2018
1993
69
Aurélien Bellanger | Julien Gosselin 26 mars | 10 avril 2018
Alan
Mohamed Rouabhi 10 | 21 avril 2018
Saison 17-18
03 88 24 88 24 | www.tns.fr | #tns1718
Je crois en un seul dieu Stefano Massini | Arnaud Meunier 24 mai | 3 juin 2018
Laurent Poitrenaux, acteur associé © Jean-Louis Fernandez
QUENTIN : «LE CURIEUX»
Ci-contre : Quentin Cogitore
Son rêve d’enfant était d’avoir une ferme auberge. Et puisqu’il est déterminé c’est ainsi qu’il commence ses études dans un lycée hôtelier, puis il rentre en fac d’histoire où il obtient une licence en histoire de l’art, avant une année de césure consacrée à des voyages lors desquels il découvre la photographie. Quentin s’intéresse ensuite à la philosophie. Puis il intègre l’ISCOM à Paris pour un master en marques et management de l’innovation. Cinquième de la fratrie, curieux de nature, il s’est déjà essayé sur plusieurs chemins et il a aussi, sans doute, voulu tester ce que faisaient ses frères…
Documents Remis Patrick Adler
dans ce que je fais parce que je m’intéresse aux autres,
et je crois que c’est ce que font tous mes frères ! ’’
COLIN : «LE MÉDIATEUR»
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OR CADRE
Texte :
Photos :
‘‘Je me sens à ma place
Liens utiles : clementcogitore.com www.romaincogitore.com www.rodeodame.fr eplo.org/colin-cogitore equipe.izhak.fr/quentincogitore
Colin habite à Bruxelles, il travaille pour le European Peacebuilding Liaison Office (EPLO), un réseau d’ONG européennes investies dans la consolidation de la paix et dans la prévention des conflits violents. Il a fait ses études à l’Université libre de Bruxelles en sciences politiques puis a obtenu un master en gestion des conflits à l’Université de Grenade en Espagne. « Il est capable de maîtriser toutes les situations et il a aussi beaucoup de recul sur les événements. C’est quelqu’un de nuancé qui cherche toujours le compromis, mais sans jamais céder sur ses valeurs. Il est engagé dans le mouvement européen fédéraliste et a vraiment cette vocation de se positionner toujours au-dessus des conflits. C’est un pacificateur ! »
« Aujourd’hui je suis spécialiste en analyse des comportements et notamment sur les réseaux sociaux au sein d’Izhak agency à Strasbourg… C’est ma voie pour l’instant, après on verra. Je me sens à ma place dans ce que je fais parce que je m’intéresse aux autres, et je crois que c’est ce que font tous mes frères ! Je suis peut-être aussi un peu artiste, mais je veux savoir où je vais et avec qui ! » VALENTIN : «LE PETIT FRÈRE» « Il a 21 ans, c’est notre petit frère et il se cherche sans doute encore. Il est très intelligent et sensible. Il n’a pas besoin de mots pour comprendre une situation et c’est celui qui a la plus grande intelligence émotionnelle, c’est un hypersensible et ça peut parfois le desservir pour avancer. Je suis convaincu que c’est un musicien mais qu’il a encore du mal à se dévoiler. Il a un énorme potentiel mais je crois qu’être artiste, c’est aussi d’abord se confronter à l’échec et, du fait de son âge et de sa sensibilité, il est, pour l’instant, dans cette période-là… mais j’ai confiance en lui pour traverser cette période qu’on connaît tous plus ou moins au sortir de l’adolescence. » Dans les mots délicats et bienveillants de Quentin pour ses frères, on sent l’importance des racines de cette famille, qu’elles soient liées à cette enfance dans la nature et à l’abri de cette ferme vosgienne de la Répandise à laquelle ils sont si attachés, et peut-être surtout, à ce grand-père, Antoine Cogitore, résistant à 18 ans dans le maquis de la Chartreuse. Une figure familiale qui a toujours impressionné ses petits-fils, pour qui résistance et indépendance sont des valeurs qui ont son visage.
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YVES ZEHR
Le cri de vérité d’un homme en souffrance
Photos :
Or Norme - DR Jean-Luc Fournier
70 ans, l’homme s’est voûté et se déplace aujourd’hui d’un pas beaucoup moins alerte qu’avant. Avant : c’était le temps où il était l’emblématique et incontournable numéro un de Coop Alsace : dans son bureau un rien suranné du siège du Port du Rhin, Yves Zehr travaillait beaucoup mais recevait tout autant. Dans cette aile du bâtiment aujourd’hui désaffecté, les vieilles boiseries cirées, si elles pouvaient parler, auraient bien des secrets croustillants à raconter : politiques, dirigeants sportifs, culturels et associatifs en quête de budgets de sponsoring, publicitaires et artistes, tout ce que Strasbourg et alentours comptaient de gens en recherche de soutiens financiers savait alors trouver le chemin de la Coop.
On lui rappelle brièvement un souvenir qui remonte à six ans, à peu près, quand, en notre présence, venus pour présenter notre magazine alors juste naissant, un coup de fil reçu dans son bureau, justement, avait confirmé la signature d’un pivot américain à la SIG que la Coop soutenait alors fortement. On lui remémore le sourire éclatant qui avait alors barré son visage et la passion qui s’était exprimée dans les mots qui avaient suivi, durant de longues minutes. Dans un soupir, Yves Zehr lâche d’une voix un rien éraillée : « La passion… La seule passion que j’aie jamais eue, c’est celle des gens. Moi, j’aime les gens, j’aime autant le jeune autiste qui est
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L’AMOUR DES GENS
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Il vient de sortir un livre, son « livre-vérité », sur ce qu’il est convenu d’appeler « l’affaire Coop Alsace ». Quatre ans après sa condamnation et après avoir été détenu vingt et un mois à la prison de l’Elsau, Yves Zehr, l’ancien président et directeur général de Coop Alsace, a accepté de parler à cœur ouvert pour Or Norme. Confidences d’un homme qui se bat…
employé ici à la plonge (l’entretien se déroule au CIARUS, le superbe hôtel-restaurant associatif du Fossé des Treize dont Yves Zehr a été le président - ndlr) que l’Américain de la SIG qui pesait alors 250 000 $ par an. Ce sont les gens qu’il faut aimer. Souvent, ils vous le rendent et d’autres fois, non, mais ce n’est pas parce qu’on n’a pas de retour qu’il faut cesser de les aimer. Je suis un protestant agnostique (sourire), oui agnostique, du moins aujourd’hui, parce que probablement, au dernier jour, je vais forcément croire formellement en Dieu, comme tout le monde. Mais nous sommes tous Dieu l’un pour l’autre, pour l’amour de l’autre, au sens le plus noble du terme. Dieu est dans tous ceux qui tendent la main pour offrir ou recueillir une aide ou une explication. » LA PERSONNE LA PLUS IMPORTANTE DU MONDE Et Yves Zehr de se lancer dans une profonde réflexion sur l’homme qu’il était avant tous ces remous et celui qu’il est devenu aujourd’hui, après ce long séjour en prison : « Auparavant, avec toutes ces responsabilités qui pesaient sur mes épaules, je réfléchissais déjà sur leur corrélation, le pouvoir. Il peut déboucher sur un vrai enrichissement de l’homme quand on veut faire le bien. Mais le pouvoir est aussi dangereux, il peut rendre narcissique, voire fou. Ce qui m’a sans doute permis d’éviter ce sort, c’est que je n’ai jamais perdu le fil des petites gens.
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Or Norme - DR
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Jean-Luc Fournier
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D’ailleurs, ce terme est impropre, il n’y a pas de petites gens, tout le monde est important. Quand j’avais vingtneuf ans, jeune directeur d’hypermarché à Colmar, je me souviens d’un homme assez âgé dont le travail consistait toute la journée à ramasser les nombreux emballages et à les comprimer dans la presse à cartons. Entre parenthèses, il était fou de football et n’hésitait pas à faire Colmar-Strasbourg et retour en solex pour voir les matches du Racing ! Un jour, cet homme a été absent assez longuement pour cause de congé maladie. Eh bien, les cartons se sont très vite entassés
‘‘Auparavant, avec toutes ces responsabilités qui pesaient sur mes épaules, je réfléchissais déjà sur leur corrélation, le pouvoir. [...] il peut rendre narcissique, voire fou. Ce qui m’a sans doute permis d’éviter ce sort, c’est que je n’ai jamais perdu le fil des petites gens.’’
un peu partout, on ne pouvait plus se déplacer tellement il y en avait. A son retour, il m’a dit en alsacien : « Quand toi tu n’es pas là, ça ne se remarque pas mais
quand Jean-Paul n’est pas là, ça se voit tout de suite ! » J’ai retenu une chose de cette anecdote : quand vous parlez à quelqu’un, qu’il soit ingénieur, prix Nobel ou balayeur, il faut que ce quelqu’un soit pour vous, et pas de façon feinte, la personne la plus importante du monde. Parce qu’elle vous enrichit. Et c’est tout sauf de la flagornerie, pour moi. Ce n’est évidemment pas toujours facile quand vous êtes chef d’entreprise, quelquefois vos responsabilités vous amènent à faire des choses qui peuvent être l’antithèse de cette affection pour les autres… Alors, dans ce domaine, je peux dire que la prison n’a rien changé pour moi. Je ne déteste toujours pas le genre humain. La proportion d’imbéciles est à peu près la même derrière les grilles qu’en dehors. Ce qui ne m’a pas empêché de les respecter aussi. » LA PENSÉE-VELCRO En prison, Yves Zehr a bien sûr été brutalement éprouvé par la réalité carcérale : « Je n’hésite pas à le dire, l’Elsau est une vraie catastrophe, tant les budgets sont insuffisants. De toute façon, quand vous avez un minimum d’intelligence, en raison de cette promiscuité constante, vous ne pensez qu’à une chose : le suicide. Heureusement, l’Elsau faisait partie des quatre prisons françaises où Mme Taubira (alors ministre de la Justice – ndlr) avait décidé qu’y seraient expérimentés ce que l’on appelait les codétenus de soutien. Par ailleurs, c’est l’aveu que le système carcéral est incapable par lui-même d’empêcher les suicides en prison, qu’il a besoin des prisonniers pour cela… Dans ce cadre,
j’ai passé une semaine avec le professeur Jean-Louis Terra, un psychiatre, Lyonnais je crois, spécialiste de ces questions. Moi, épicier, face à un professeur de médecine, je me suis senti soudain très petit. Il m’a appris que chaque individu a dans sa tête au moins une pensée-velcro comme il disait. Si tu parviens à trouver cette pensée-là, tu peux tout attacher là-dessus et il ne se suicidera pas. Tu découvres que le type a un chien qu’il adore. Tu commences à lui dire à quel point le chien sera content de le revoir, à sa sortie. Penséevelcro ! Ensuite, tu lui parles et tu lui fais parler du chien à chaque fois que tu peux. Croyez-moi, la semaine que j’ai passée avec le professeur Terra est sans doute la plus formidable semaine de ma vie en prison ! Du coup, en devenant codétenu de soutien, je n’ai plus pensé à mes propres idées de suicide… Redevenir utile a été déterminant pour moi. Cela s’est prolongé avec les responsabilités que j’ai été amené à prendre à l’atelier. À un certain moment, on m’a demandé, ordonné même, de reprendre la gestion de cet atelier. En réorganisant gentiment le travail, on a considérablement gagné en productivité. Cela a eu une incidence immédiate sur les revenus des détenus : certains qui gagnaient 100 € par mois ont quasiment doublé cette somme. Le bonheur absolu, pour eux. Je suis vite devenu très populaire avec ça… » Cette rude expérience de la prison n’a pas empêché Yves Zehr de regarder intensément autour de lui, toujours avec cet œil bienveillant : « Je disais tout à l’heure qu’il y a du bon en chaque personne. Cependant, je suis extrêmement inquiet sur l’avenir de notre société. D’une certaine manière, je suis presque heureux d’être âgé. J’ai rencontré en prison des jeunes gens qui, à peine âgés de vingt-cinq ans, sont devenus des habitués de la maison. Je sais qu’ils ne feront jamais autre chose que ce qui les a amenés là. Quand tu gagnes 2500 € au black par mois juste à faire le chouf (guetter –ndlr) pour favoriser les trafics… Je suis très inquiet parce que nous avons tous démissionné : la famille, la religion, l’école, tous ! Et je ne vois pas comment on peut rattraper tout ça… »
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LA LUTTE POUR SURVIVRE Dans son livre, Yves Zehr revient bien sûr sur les circonstances de l’affaire qui l’ont conduit en prison. Une détention beaucoup plus longue que la normale, analyset-il. « Je n’ai pas le droit de parler d’acharnement. Je constate juste que ma détention a battu tous les records des vingt dernières années, dans ce domaine. Je constate juste que mes successeurs à la tête de l’entreprise ont fini par liquider la Coop durant mes vingt et un mois de détention. De là à lier ces deux choses, je ne peux pas le dire mais évidemment, si j’avais été alors présent au conseil d’administration, je me serais
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fermement opposé à pas mal de décisions… »
Or Norme - DR
Photos :
Yves Zehr en prison, ça arrangeait finalement tout le monde ? « J’ai le sentiment que oui », répond-il après un long silence. « Sur une telle affaire », poursuit-il avec des propos fermes et assurés, « la justice veut des têtes, des noms, elle veut entendre ce qu’elle a envie d’entendre. Alors, plus tu la braques, plus tu t’enfonces. La police et la justice n’aiment pas les gens qui leur résistent. Je sais bien qu’il y a eu un lobbying sérieux de la part de certains de mes successeurs à la tête de l’entreprise pour que je reste en prison. C’est simple à comprendre : j’étais l’empêcheur de démanteler en rond. Sans ma présence, il leur était facile de manipuler les membres du conseil d’administration qui, pour la plupart, étaient de braves gens pour qui le dernier qui parlait avait raison, surtout s’il parlait mieux français qu’eux. Un resto et une bonne choucroute plus tard, tout était oublié… Avant qu’ils ne me flinguent, j’ai quand même réussi à dégommer l’un d’entre eux mais ça n’a pas suffi. Avec la réflexion, j’aurais dû dans la foulée convoquer une conférence de presse. Mort pour mort, j’aurais dû expliquer publiquement leur plan de démantèlement, les sommes astronomiques qu’ils étaient en train de dépenser pour des sociétés de consultants, l’un d’entre eux ayant même des parts dans l’une d’elles ! J’ai sans doute manqué de courage pour le faire, et puis j’étais si
QUI A TUÉ COOP ALSACE ?
Jean-Luc Fournier
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OR PISTE
Texte :
Ed. Jérôme Do Bentzinger – 21 €
fatigué, si usé que je n’en avais plus la force physique ni la force morale. Cela s’est d’ailleurs traduit pour moi par un accident de santé très grave en 2009… » On connaît la suite, et le livre la détaille au plein jour. Condamné en première instance à cinq ans de prison ( « La réquisition du procureur fut du grand art », souligne-t-il), Yves Zehr, qui s’est ensuite pourvu en appel, a écopé finalement de trois ans de détention (ramenés donc à vingt et un mois, par le jeu des remises de peine), son épouse étant condamnée pour recel à dix-huit mois avec sursis avant d’être relaxée en appel. Aujourd’hui, sur le strict plan des suites judiciaires de son affaire, Yves Zehr détaille une situation personnelle qui est devenue bien sûr catastrophique : « Tous mes biens sont saisis. Au titre du préjudice au civil, je dois 400 000 €. Le fisc, quant à lui, se basant sur le seul jugement de première instance, et je me demande bien pourquoi, me réclame 1,9 million d’euros. Je suis en train de contester cette somme au niveau du tribunal administratif. Une partie de ma retraite est saisie au bénéfice des parties civiles, l’autre le sera par les impôts le moment venu. Je me bats de toutes mes forces pour conserver au moins ma maison. Si on y parvient, avec 1000 € chaque mois, on pourra s’en sortir… », espère-t-il avec un pâle sourire…
En près de 160 pages, le livre détaille les péripéties rencontrées par Coop Alsace au moment où, dès le début des années 2000, la société cherchait à se rallier à une grande centrale d’achats, Leclerc, Casino étant sur les rangs. Devenue alors la proie de nouveaux dirigeants sans scrupule, Coop Alsace a subi mille maux : bradages d’actifs pour renflouer à tout prix la trésorerie, plans de renflouement et plans de départs volontaires mis sur pied à grands coups de somptueux honoraires (près de 11 millions d’euros en trois ans) à des consultants quelquefois totalement incompétents, jusqu’à une chamane embauchée pour aider le comité de direction à prendre les bonnes décisions (!). Yves Zehr n’oublie également pas de revenir, dans un chapitre entier, sur les fameux bons d’achats, qui lui ont été particulièrement reprochés en le
suspectant d’enrichissement personnel. « Un système ancien et connu de tous », continue-t-il à affirmer contre vents et marées et qui ne représentait « que 0,035 % du chiffre d’affaires de l’entreprise. » Évidemment écrit avec les tripes « et sans aucune prétention littéraire », « Qui a tué Coop Alsace ? » est le récit du démantèlement méthodique de cet ex-fleuron de la grande distribution régionale et la descente aux enfers d’un homme qui a tenu à placer en exergue de son livre cette simple mais éclairante phrase : « Je me suis rendu compte, hélas trop tard, que dans le monde des entreprises, l’amitié et la fidélité n’ont pas de place. » Le livre est sorti le 13 juin dernier dans toutes les librairies. L’auteur a renoncé à ses droits d’auteur issus des ventes au profit d’une association caritative.
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PRESSE ÉTRANGÈRE Strasbourg et l’Alsace passés au scanner danois
Photos :
Emilie Thejll Madsen/Politiken Jean-Luc Fournier
OR PISTE
Texte :
Alertés par la montée des populismes en Europe, les journalistes du quotidien danois Politiken ont suivi les deux tours de la dernière élection présidentielle en s’immergeant à Strasbourg. Les écouter relater cette expérience exceptionnelle provoque un effet miroir et nous oblige à regarder quelques réalités bien en face… On ne l’a sans doute pas bien mesuré vu d’ici, mais la récente élection présidentielle, avec les hauts scores dans les sondages de la leader du Front national (et aussi la « curiosité » Macron) a généré une mini-ruée de médias étrangers à Paris, bien sûr, mais aussi à Strasbourg, statut de capitale européenne oblige. CNN, BBC News, des chaînes italiennes, allemandes, espagnoles… ont été aperçues, enregistrant des micro-trottoirs un peu partout. L’expérience la plus originale dans ce domaine a été l’initiative des journalistes du quotidien danois, Politiken, qui tire à 150 000 exemplaires par jour (550 000 pour son édition du week-end) et qui est en quelque sorte l’équivalent du journal Le Monde en France. Un de ses journalistes, Thomas Lauritzen, parfait francophone, a passé deux semaines complètes à Strasbourg et en Alsace, accompagné de deux de ses confrères et d’une vidéo-journaliste et photographe. Leur mission : cerner au plus près le vote Front national en essayant de comprendre et de décrypter les raisons profondes de cette montée sondagière. Écoutons-le avec attention, il parle de nous et c’est passionnant…
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LE CHOIX DE STRASBOURG Âgé de 47 ans, Thomas Lauritzen est un solide gaillard et un journaliste expérimenté, lui qui vit depuis plus de vingt ans à Bruxelles où il travaille pour le compte de la radio-télévision publique danoise en occupant également le poste de rédacteur européen pour Politiken. Son épouse étant francophone, il maîtrise parfaitement les arcanes de la politique hexagonale, lisant chaque jour la presse française et regardant les chaînes de télévision de notre pays. « À Copenhague, à la rédaction centrale de Politiken, on s’est assez tôt demandé comment on allait couvrir l’élection présidentielle en France », raconte-t-il. « La situation politique du pays nous paraissait tendue, on mesurait bien
la progression du vote populiste et la percée du Front national. Une grande interrogation nous angoissait, en quelque sorte : après Trump aux USA, le Brexit à Londres, la France allait-elle basculer à son tour ? Vu de notre porte, faire sans la Grande-Bretagne, pourquoi pas, mais sans la France, impossible ! À partir de là, l’idée d’envoyer des journalistes sur le terrain s’imposait d’elle-même mais en même temps, pas question de séjourner un ou deux jours dans une ville et d’en repartir aussitôt. Ce « parachutisme journalistique » ayant été écarté, l’immersion longue a été adoptée. On a hésité longtemps sur la ville : Paris, pas question, surtout pas. Lyon, Marseille, Bordeaux ? Pourquoi pas, mais la balance a penché plutôt pour Strasbourg. J’avoue que j’étais un peu sceptique au départ, malgré le fait que je suis souvent ici puisque je couvre les affaires européennes. Mais on s’est très vite rendu compte que c’était sans doute le bon choix. Il y a tout à Strasbourg et en Alsace : les problématiques d’emploi avec les usines qui ferment, les dualités riches/pauvres, ville/campagne, les rivalités politiques droite/gauche avec, en prime, les institutions européennes, la frontière avec l’Allemagne, la proximité entre le centre-ville opulent et les quartiers défavorisés. À partir de la capitale alsacienne, on pouvait aborder et illustrer tous les sujets de la campagne. On a décidé que ce serait Strasbourg et on s’y est immergés durant deux semaines, un avant le premier tour et celle, décisive, avant le deuxième tour. Via Airbnb, on a déniché une grande maison dans une belle rue calme du Neuhof et on s’est lancé avec l’objectif de publier sept ou huit grands reportages par semaine pour le journal papier et de publier plusieurs courts textes par jour pour le site du journal avec un maximum de petits reportages de webTV. » « IL FAUT QUE ÇA RESTE COMME AVANT… » « Très tôt le matin, j’attaquais par l’inévitable et classique revue de presse », se souvient Thomas. « D’ailleurs, j’ai eu souvent un mal fou pour trouver des endroits ouverts. Puis on entamait nos rencontres avec les citoyens français de toutes conditions : de gauche ou de droite, issus de milieux défavorisés ou plus huppés, peu importe. On a toujours été très bien accueillis. Chez tous, absolument tous, le sentiment dominant était une grande inquiétude par rapport
Thomas Lauritzen commence sa journée à Strasbourg
à une foultitude de changements, dans la vie de tous les jours, dans la société dans sa globalité mais aussi une inquiétude pour la France, plus généralement. Les gens que nous avons rencontrés n’étaient pas des râleurs, non, c’était bien au-delà, ils étaient, je le répète, extrêmement inquiets. Beaucoup nous ont dit qu’ils n’avaient plus la moindre confiance envers la classe politique dans son ensemble, beaucoup disaient ouvertement qu’aucun candidat ne les inspirait vraiment… Sincèrement, à plusieurs reprises, on n’était pas loin de constater une rébellion d’une grande partie de la population contre l’élite politique du pays. »
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Thomas Lauritzen souligne un point qui l’a surpris : « On nous avait dit que les Alsaciens étaient un rien pudiques pour exprimer ce qu’ils pensent. Il n’en a rien été, sur le terrain. On a toujours discuté avec eux avec une belle et grande ouverture d’esprit. Je le savais déjà, mais on a pu une nouvelle fois constater à quel point la France est un pays multiple et cela se traduit par un côté très moderne et un autre un peu archaïque sous certains aspects. Beaucoup de gens dans votre pays souhaitent profondément que rien n’évolue trop fort ni trop vite, que ça reste « comme avant », comme on l’a souvent entendu. Ceci dit, il n’y a pas qu’en France qu’on entend cela mais ici, ce sentiment est beaucoup plus aigu et s’exprime de façon beaucoup plus claire que dans nombre d’autres pays européens. La modernisation vous fait peur, c’est certain, et cette peur est compréhensible quand on voit la richesse de la culture
française. En ce qui me concerne personnellement, je peux comprendre ça… », ajoute Thomas. L’IMMERSION À HAUTEPIERRE ET AU POLYGONE « Notre visite et nos rencontres à Hautepierre nous ont beaucoup impressionnés », raconte notre confrère danois. « On nous avait prévenus que cela allait être difficile de travailler là-bas, que les jeunes que nous souhaitions rencontrer étaient souvent méfiants et même agressifs et que généralement, ils ne voulaient pas parler. Eh bien, ça a été l’exact contraire. Bien aidés par un membre du centre socio-culturel du quartier qui nous a beaucoup aidés pour démarrer nos rencontres et nos conversations, nous avons vite noué le dialogue avec les jeunes. Ils nous ont longuement parlé de leur peur de voir le FN accéder au pouvoir. « Si elle devait être élue présidente de la République, où allons-nous pouvoir vivre ? », disaient-ils. Nous les avons trouvés plutôt ouverts, mais aussi fragiles et inquiets, mais sans agressivité. Ils nous disaient que rarement des journalistes venaient parler avec eux et ne leur posaient jamais les questions importantes sur leurs désirs, leurs espoirs, leurs attentes. Ils étaient très étonnés que ce soient des journalistes étrangers qui s’intéressent à eux. Au final, ils nous ont dit énormément de choses intelligentes. Franchement, ils m’ont beaucoup impressionné. Il en a été de même avec les gens du voyage que nous avons rencontrés au Polygone, grâce à cet ancien directeur d’école qui préside
Photos :
Emilie Thejll Madsen/Politiken
Texte :
Jean-Luc Fournier
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A gauche : Macron pulvérise LP : les leaders européens poussent un grand ouf A droite : Les adolescents de banlieue : si MLP passe, c’est une catastrophe pour nous
l’association Lupovino qui tente de leur venir en aide depuis vingt ans, après que des femmes l’ont contacté pour qu’il les aide à défendre leurs droits. Nos rencontres avec ces familles ont été incroyables et passionnantes, elles se sont traduites notamment par un très beau reportage photo. Franchement, ces gens représentent un autre monde, si près de l’hypercentre de Strasbourg. Elle est incroyable, cette histoire… », se souvient Thomas. ET LE MODÈLE SCANDINAVE ? Bien sûr, on n’a pas pu s’empêcher de se pencher avec Thomas Lauritzen sur ce fameux modèle scandinave, pas loin de devenir une référence à travers toute l’Europe. « J’ai vraiment conscience de cette fascination grandissante pour notre modèle social et cette notion de flexi-sécurité que nous avons mise en œuvre mais je pense qu’il est quelque peu idéalisé par la presse française. Le Danemark, c’est 5,5 millions d’habitants, avec une population assez homogène. Ce qui marche chez nous serait intransférable en l’état en France, car les problèmes rencontrés par les Français sont énormes. En revanche, je pense que la France pourrait peut-être s’inspirer utilement du statut des politiciens au Danemark. Selon moi, la France présente sur ce sujet un sacré paradoxe : la République française a été créée à la base par une révolution contre la monarchie. Mais vous avez conservé une énorme fascination pour l’homme providentiel, le grand leader. Votre président est placé sur un piédestal et ça, c’est tout simplement inconcevable au
Danemark, tout comme les palais de votre République. Tout cela serait tout simplement considéré comme ridicule chez nous. Nos politiciens sont infiniment plus proches de la vie réelle de leurs concitoyens, de la vraie vie. C’est une des premières attentes de mes compatriotes, cette notion de proximité et d’humilité. » Depuis le retour de l’équipe de Politiken à Copenhague, la rédaction du journal a pu mesurer l’impact des reportages strasbourgeois en termes de satisfaction pour les lecteurs. « L’intérêt a été bien plus grand que nous l’avions imaginé », résume Thomas. « Nos lecteurs ont compris qu’il se passait quelque chose d’important en France par rapport aux enjeux de ces élections. Le résultat du deuxième tour, l’élection d’Emmanuel Macron, a permis à l’audience de notre site d’exploser. Un grand succès ! Nos articles sur Strasbourg ont été abondamment cités dans les revues de presse du pays. Je crois que notre travail aura permis de casser le mythe l’image de marque du Français qui n’est pas un Parisien avec un béret et sa baguette de pain sous le bras (rire)… »
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Photos :
Moha
Texte :
Jean-Luc Fournier
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FIP STRASBOURG EN ALERTE
Il va falloir se mobiliser ! C’est sans doute une des fréquences préférées des Strasbourgeois et l’une des plus proches des attentes de ses auditeurs pour tout ce qui est actualité des sorties, spectacles, expositions, manifestations et on en passe. Mais voilà, les pseudos experts parisiens du groupe Radio France ignorent tout de son impact en Alsace et veulent éteindre les belles voix des « fipettes » strasbourgeoises. À Or Norme, on n’est pas d’accord.
Les Strasbourgeois sont très attachés à FIP et l’ont déjà prouvé à plusieurs reprises, en se mobilisant pour éloigner les dangers qui régulièrement menacent cette station du groupe Radio France. Outre sa superbe programmation musicale qui fait découvrir toutes les musiques et offre une immense ouverture sur le monde (sans équivalent sur la bande FM), l’ancrage local de FIP Strasbourg est un modèle du genre. De 7h à 19h et toutes les dix minutes, une des célèbres voix suaves des animatrices annonce une manifestation culturelle ou un rendez-vous événementiel à Strasbourg ou en Alsace, apportant ainsi une aide formidable en termes de communication à l’ensemble des organisateurs d’événements culturels de sa zone d’audience. Les troupes de théâtre, les ensembles musicaux et les artistes en tous genres, ainsi que les directeurs de centres culturels ont depuis longtemps pris l’habitude de communiquer sur leurs événements par le biais de la fréquence strasbourgeoise et ont pu mesurer l’ampleur de son audience.
Ci-dessus : Frédéric Muller a organisé avec conviction le rassemblement du 1er mai dernier devant le Mandala, son restaurant-lieu culturel du Faubourg de Saverne. Avec Agnès Sternjakob, une des voix féminines de FIP Strasbourg, il est très actif dans la mobilisation populaire autour de l’antenne strasbourgeoise.
LES CRÂNES D’ŒUF PRÉFORMATÉS
C’est ce modèle que le président de Radio France, Mathieu Gallet, veut éradiquer. Et cette fois-ci, l’attaque est particulièrement fourbe : il s’agit tout simplement de ne pas remplacer le départ à la retraite des animatrices en CDI. Radical : Nantes sera la première touchée, dès septembre prochain, et est menacée de perdre ses décrochages régionaux. Inéluctablement, Bordeaux et donc, Strasbourg suivront. Seules les informations locales à portée nationale « remonteront », adieu la promotion régionale de la vie culturelle !
Opéra
CRÉA T FRAN ION ÇAIS E
kein licht PHILIPPE MANOURY
DIRECTION MUSICALE • JULIEN LEROY MISE EN SCÈNE • NICOLAS STEMANN United instruments of Lucilin Dans le cadre du Festival Musica
On va rappeler utilement à ces crânes d’œuf préformatés quelques évidences : ils croient sans doute être dans l’air du temps alors qu’ils ont tout faux ! Ils méconnaissent considérablement la réalité de la vie citoyenne en région et ignorent tout de l’économie de la connaissance que génère FIP Strasbourg. Agnès Sternjakob, une des Fipettes strasbourgeoises (que nous vous avions présentée dans Or Norme n° 17 de juin 2015) le dit avec passion : « Quand on annonce les repas partagés de l’association Alsace-Mali, on facilite formidablement la relation à l’autre. Écraser ça, c’est scandaleux. Que devient la notion de service public ? Elle est bafouée. Et dire qu’on nous raconte qu’on veut inciter les gens à cliquer sur internet…! »
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Commande de l’Opéra Comique. Création mondiale le 25 août 2017 dans le cadre de la Ruhrtriennale, Allemagne. Production Opéra Comique / Coproduction Ruhrtriennale, Opéra national du Rhin, Festival Musica de Strasbourg, les Théâtres de la Ville de Luxembourg, Croatian National Theater in Zagreb, Münchner Kammerspiele, IRCAM, United Instruments of Lucilin et 105 donateurs individuels. Prix Fedora 2016 / avec le soutien du Fonds de Création Lyrique et de Impuls Neue Musik
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Au fil des décennies et de l’attribution ou non de fréquences locales, le réseau FIP, outre sa tête de pont nationale diffusée sur la région parisienne, ne comporte plus que neuf fréquences en province dont six ne font que diffuser la programmation musicale nationale. Seules les fréquences de Nantes, Bordeaux et Strasbourg décrochent toutes les dix minutes donc, pour promouvoir la vie culturelle, artistique et événementielle de leur bassin de diffusion.
il a, avec l’accord du premier adjoint de la Ville de Strasbourg, Alain Fontanel, installé tables et bancs de brasseur à même les rails traversant la station Faubourg de Saverne, juste devant son établissement. Malgré un temps gris et tristounet, 800 auditeurs de FIP Strasbourg sont venus faire la fête, puisqu’une petite scène avait également été installée pour recevoir des groupes musicaux locaux, tous bénévoles bien sûr. « Ce fut une organisation à l’arrache car il m’a fallu consacrer 80% de mon énergie à gérer en amont les problèmes de sécurité », dit aujourd’hui Frédéric Muller, « mais le bilan est très positif. » Agnès, la Fipette, est bien de cet avis et reconnaît même avoir été « étonnée par la moyenne d’âge des auditeurs présents. Nous ne pensions pas avoir tant d’auditeurs de la tranche 30-40 ans », dit-elle. ET MAINTENANT ?
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UNE STATION DE TRAM « PRIVATISÉE » Le concept de FIP a toujours été révolutionnaire, dès sa création dans les années 70 et l’est encore davantage aujourd’hui. Avec quatre animatrices en CDI à Strasbourg, il ne coûte quasiment rien, rapporté au gigantesque budget du groupe Radio France. Et l’attachement des auditeurs est devenu quasi légendaire. De génération en génération, on soutient à fond le phénomène FIP. À l’image, aujourd’hui, de Frédéric Muller qui a en quelque sorte « sonné le tocsin » le 1er mai dernier, en organisant magistralement une grande réunion populaire des auditeurs et soutiens de FIP Strasbourg. Ce jeune (38 ans) propriétaire du Mandala, un restaurant-lieu culturel ouvert il n’y a que quelques mois Faubourg de Saverne, a vu juste : partant du principe que le tram strasbourgeois ne circule pas le jour de la Fête du Travail,
Communiquant en permanence avec les autres Fipettes de Bordeaux et Nantes, Agnès Sternjakob, toujours épaulée par Frédéric Muller et quelques autres soutiens déterminés, envisage maintenant une grande opération à la rentrée de septembre. L’idée est de programmer une soirée spéciale FIP Strasbourg, le même soir, dans tous les centres culturels de l’agglomération strasbourgeoise ainsi que dans les lieux culturels privés comme l’Espace K, le Camionneur ou… Le Mandala. Chaque lieu programmerait un artiste, un groupe, une troupe théâtrale qui viendrait jouer bénévolement et les animatrices strasbourgeoises se partageraient en quatre pour rendre visite à chaque lieu ce soir-là, et brièvement rappeler les enjeux afin de mobiliser les auditeurs pour défendre les décrochages régionaux de la station. Or Norme soutient sans réserve une telle initiative et apportera le moment venu sa pierre à l’édifice. FIP Strasbourg doit pouvoir continuer sa belle mission de service public et promouvoir (et donc soutenir) l’ensemble des structures culturelles et artistiques de Strasbourg et sa région. La rédaction de notre magazine va d’ores et déjà tenter de mobiliser des contacts au plus haut niveau possible pour empêcher cette absurdité de se mettre en place. Forte de ses talents et de sa superbe modernité, FIP Strasbourg doit pouvoir poursuivre sa mission de service au public…
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CROSSCHECK
Combattre les fausses informations : un vrai challenge pour la presse
Photos :
Documents Remis Jean-Luc Fournier
« Tout est parti d’une initiative d’une ONG britannique, First Draft News, spécialiste en fact-checking et projets collaboratifs entre médias », explique Marie Bohner, administratrice de projets et organisatrice d’événements (elle a largement contribué, auprès de Thierry Danet, à l’organisation et au succès de l’Ososphère 2017), qui est aussi journaliste
‘‘[...] aujourd’hui, n’importe qui peut en produire, il y a plein de sites prêts à l’emploi pour les mettre en ligne et créer du buzz. Et ça ne va pas s’arrêter, c’est une évidence. ’’
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CrossCheck est un réseau de rédactions qui s’est constitué en marge de l’élection présidentielle en France pour traquer les fausses informations véhiculées de toutes parts par le net. Deux Strasbourgeois y ont participé en première ligne…
37 C’est le nombre de rédactions qui ont collaboré à CrossCheck. Parmi elles, outre Rue89 Strasbourg, Le Monde, Libé, Les Echos, plusieurs quotidiens régionaux – aucun en Alsace -, LCI, la rédaction d’Explicite – les ex de i-Télé mais aussi BBC News, Channel Four, etc…
bénévole depuis plusieurs années sur le site Global Voices. « Cette ONG m’a contactée pour coordonner nationalement son projet CrossCheck qui a consisté à mettre en réseau près de quarante rédactions françaises durant les mois qui ont précédé l’élection présidentielle. J’ai donc été amenée, dans le cadre de cette mission, à faciliter les rapports entre ces rédactions et leur lien avec First Draft News et à organiser une formation à Paris pour les collaborateurs qui ont été délégués dans chaque rédaction. J’ai également géré les demandes d’interviews qui nous sont parvenues d’un peu partout dans le monde, ce qui confirme d’ailleurs que la presse mondiale est
bien consciente du défi qu’elle doit relever concernant ces sujets… » RUE89 STRASBOURG EN ÉTAIT… « Ce qui nous a séduit, c’est l’opportunité de pouvoir travailler sur ce sujet en réseau », dit Pierre France, fondateur et rédacteur en chef du site d’information en ligne Rue89 Strasbourg. « Jusqu’à présent, seules les grosses rédactions pouvaient assumer cette tâche très chronophage et compliquée de décoder et contrer les fake news. Avec nos deux journalistes, on ne pouvait évidemment pas faire grand chose. Avec le réseau CrossCheck, plusieurs journalistes étaient immédiatement mobilisables, et on pouvait à tout instant être sollicités ou nous-même solliciter nos confrères. À notre petite échelle, on a même pu décoder une information « locale » : la rumeur a circulé, notamment via le quotidien Le Parisien que l’enfarineur de François Fillon au PMC était fiché S (atteinte à la sûreté de l’État –ndlr). Ce n’était plus le cas, CrossCheck a pu l’établir et le rectifier. Pour un média comme le nôtre, c’est évidemment vital de lutter contre la propagation de ces fausses nouvelles : aujourd’hui, n’importe qui peut en produire, il y a plein de sites prêts à l’emploi pour les mettre en ligne et créer du buzz. Et ça ne va pas s’arrêter, c’est une évidence. Alors, on a tous intérêt à ce que ce type de collaboration entre médias perdure pour affiner nos techniques de traque des fakes… », conclut Pierre France. Sam Dubberley a piloté l’ensemble du projet CrossCheck depuis Berlin, où ce journaliste anglais travaille pour le compte de plusieurs chaînes de télévision européennes. « On a bien observé ce qui s’est passé dans le
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Documents Remis Jean-Luc Fournier
domaine du fake lors des élections américaines en novembre dernier. Pour les élections françaises, l’ensemble du réseau est parvenu à contrer quatre fausses nouvelles par semaine en moyenne. En tout, durant l’ensemble de l’opération, ce sont soixante-sept fake news qui ont été signalées. Le tout a généré 180 000 likes sur Facebook et plusieurs milliers de citations ».
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Ci-dessus : Sam Dubberley Ci-contre : Marie Bohner
fr.globalvoices.org Des centaines d’informations venues de tous les continents et rédigées par des journalistes indépendants. Une mine d’exploration pour qui cherche à comprendre le monde tel qu’il va sans se contenter de l’information mainstream. Passionnant !
A-t-on vraiment fait ouvrir en grand les yeux du public sur la désinformation ? « Je ne sais pas… », s’interroge le journaliste, « mais le point positif a été que cette quarantaine de médias ont collaboré ensemble, et qu’ils ont ainsi pu mesurer l’importance de cette démarche. » À la question de savoir s’il y aura une suite concrète, Sam répond que « les coûts générés par cette grosse équipe à la rédaction centrale et dans les médias concernés (12 éditeurs de projet ont été recrutés,
dont un basé à Rue89 Strasbourg –ndlr) sont trop importants pour perdurer. « Cependant », dit-il, « on espère avoir créé un vrai système pour ces médias. Maintenant qu’ils ont appris à travailler ensemble, ils se connaissent, ils vont pouvoir continuer à collaborer. Les petites graines sont semées… », conclut Sam Dubberley. Le mot de la fin sera pour Marie Bohner : « Cette opération a notamment été financée par Google. Évidemment, il faut être très attentif aux problèmes de déontologie car c’est quand même via ce moteur de recherches que tout circule. Je ne suis pas sans méfiance, c’est certain, il n’y a pas de blanc-seing, mais les rapports que nous avons eus avec eux nous ont permis de constater qu’ils jouaient le jeu… » Le net, là où le pire côtoie à chaque seconde le meilleur.
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DÉCOLLAGE L’ISU et l’Université de Strasbourg à la conquête de l’espace
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Véronique Leblanc - NASA - DR Véronique Leblanc
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C’est d’une collaboration exemplaire qu’il s’agit : celle qui s’est nouée pour la première fois entre l’International Space University basée à Illkirch et l’Université de Strasbourg. Une première mission a été menée à partir de Cap Canaveral, une autre se prépare.
a question est celle de la vie sur Mars, plus exactement celle de la possibilité d’une première manifestation de ce qui a contribué à l’évolution de la vie sur terre. Point de petits hommes verts à l’horizon donc, mais un projet tout ce qu’il y a de plus scientifique dont la presse s’est déjà fait l’écho en février dernier lorsque la boîte rouge comprenant trois modules contenant chacun quatre « chambres » de 5 ml de volume est partie à bord d’une fusée Space X à destination de la station spatiale internationale (ISS).
‘‘La boîte rouge est de retour à Strasbourg depuis mars après avoir passé quatre semaines dans l’espace’’ Le lancement s’est fait de Cap Canaveral en Floride mais le module envoyé dans l’espace a été assemblé et conditionné à Strasbourg par l’ajout d’un micro-organisme modèle produisant du méthane au cours de sa croissance. DU MÉTHANE SUR MARS Tout est parti de la découverte de méthane sur la planète rouge. Détecté par le robot Curiosity de la NASA en 2014, ce gaz n’a pas pu être prélevé et ramené sur terre pour être analysé, on ne peut donc – à ce stade - déterminer son origine. Or celle-ci peut être soit géologique et correspondre, par exemple, à un processus de dégra-
dation des roches, soit biologique et suggérer la présence de micro-organismes vivants. La perspective est vertigineuse et… stimulante. L’International Space University (ISU) basée à Illkirch s’est emparée de la question et le spationaute Jean-Jacques Favier a réuni sur le projet des compétences allant des ingénieurs d’Airbus Defence aux chercheurs de l’Unité mixte de recherche génétique, moléculaire, génomique et microbiologie de l’Université de Strasbourg et du CNRS. Il a ainsi créé entre l’ISU et l’université une première synergie dont Or Norme s’était déjà fait l’écho dans son numéro de septembre dernier, quelques mois avant le lancement de l’expérience.
LE MICRO-ORGANISME DONNE LE RYTHME Où en est-on aujourd’hui ? « La boîte rouge est de retour à Strasbourg depuis mars après avoir passé quatre semaines dans l’espace », expliquent les enseignants-chercheurs Stéphane Vuilleumier et Thierry Nadalig rencontrés le 23 mai dans leurs locaux. La première étape d’analyse a été de reproduire en laboratoire l’expérience menée dans l’ISS afin de comparer ce qui s’est passé en conditions spatiales avec ce qui se passe en conditions terrestres. « Et ça ne pouvait être fait qu’après avoir récupéré les paramètres de la mission, la température notamment. » Jour après jour au rythme de la croissance du micro-organisme et de sa production de méthane, l’analyse de l’expérience suit donc son cours. Ce 23 mai a cependant marqué une étape
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Stéphane Vuilleumier (à gauche) Thierry Nadalig, les deux chercheurs de l’ISU
car, le matin même, « on a commencé à analyser l’atmosphère contenue dans les modules ramenés de l’espace pour voir si elle contenait – ou non – du méthane. On espère finir en juin et ensuite confronter les résultats des différentes analyses. » MMARS 2 DÉJÀ EN PRÉPARATION
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Véronique Leblanc - NASA - DR Véronique Leblanc
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« La mission MMARS 1 est une expérience préliminaire, précisent les deux chercheurs. Nous préparons d’ores et déjà la suite en collaboration étroite avec Jean-Jacques Favier qui est le porteur du projet. » Au programme : MMARS 2, une mission de quatre mois qui sera consacrée à des tests d’utilisation de micro-organismes pour l’extraction de minerais dans l’espace, une perspective aux enjeux essentiels. Soutenus par l’Eurométropole, ces projets sont exemplaires de l’ouverture au monde des entreprises et des décideurs politiques voulue par l’université. Les visions s’ouvrent et se croisent, société civile et recherche collaborent en temps réel sur des questions aux dimensions bien plus larges que celles auxquelles on pense de prime abord puisque, comme le signale Stéphane Vuilleumier, le méthane correspond à un questionnement plus vaste encore que
Ci-dessous : La boîte rouge dans l’espace
celui – sidéral et sidérant – de la vie sur Mars. « Il s’agit d’un gaz à effet de serre, rappelle-t-il, et il est partie prenante de la microflore intestinale, son étude est donc un enjeu à la fois d’ordre environnemental et de santé humaine. Toute recherche qui le concerne connaît aujourd’hui un regain d’intérêt. » « ÇA EMPÊCHE DE RONRONNER ! » À l’université en tout cas, le sujet passionne y compris les étudiants « ravis de discuter sur la question du méthane revenu de l’espace ». « Ça les fait rêver», confie Stéphane Vuilleumier, « et c’est génial, ça empêche de ronronner ». La situation a beaucoup évolué en dix ans, conclut-il en évoquant non seulement ce superbe partenariat avec l’ISU mais aussi la rapidité avec laquelle les projets peuvent désormais se monter. « Cette expérience a montré que c’est jouable et que ça peut être fait vite », s’enthousiasme-t-il. Et cela grâce aux « facilitateurs » qui sont apparus lorsque la NASA a décidé de « sous-traiter » la commercialisation des missions scientifiques. Des interlocuteurs tels que SpaceX, SpaceTango, Airbus Defence sont désormais essentiels dans une exploration de l’espace où Strasbourg veut jouer un rôle.
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Jean-Marc de Balthasar Alain Ancian
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Le photographe strasbourgeois Jean-Marc de Balthasar s’était déjà fait un nom en publiant sur les réseaux sociaux nombre de portraits de personnalités ou d’inconnus posant lors de grands événements ou de rencontres publiques avec des objets emblématiques : livres, logos, mascottes en peluche… Mais l’été dernier, presque par hasard, une nouvelle idée, lumineuse, est née… « J’ai rencontré le grand maître yogi Akshar lors d’un stage qu’il animait à Strasbourg l’été dernier », se souvient le photographe. « Je travaillais alors sur un nouveau projet, « Yoga in the city », et l’idée était de montrer le contraste entre l’immobilisme de la méditation et l’agitation urbaine tout autour. J’ai décidé de choisir la place de la Cathédrale comme cadre et d’attendre le bon moment avec Akshar. Soudain, j’ai vu les militaires qui patrouillaient et le reste a été question de vitesse de réaction. D’ailleurs, on sent bien que la photo n’est pas parfaite, les militaires sont trop flous à l’arrière-plan, mais c’est une photo de l’instant… » (photo en noir et blanc au centre de la page 95) UN GESTE BIENVEILLANT Une image inspiratrice en fait, car elle a généré le projet joliment appelé 1PIC4PEACE : dans la rue, en France, à l’étranger, chaque personne repérée par l’œil attentif de Jean-Marc de Balthasar est invitée à prendre la même pose qui symbolise la méditation et la paix. « Le geste est naturel et bienveillant, il est connu sur tous les continents », commente-t-il. « Le nom s’est imposé de lui-même, j’ai immédiatement déposé les noms de domaine sur le net et commencé à travailler. Je laisse faire le hasard, en fait. Même
les lieux viennent à moi. En novembre dernier, à Londres, j’ai découvert ce gigantesque buste de Mandela à la sortie d’une station de métro, tout près de la grande roue sur les berges de la Tamise. La jeune fille passait là, elle a accepté de poser : c’est une de mes plus belles photos à ce jour. Le but est bien de faire tourner les portraits d’un maximum de gens qui posent pour la paix. Ils véhiculent ensuite ces images par leur photo de profil sur les réseaux sociaux, par exemple. Je veille bien sûr à ce que personne ne se retrouve dans une situation qui pourrait être jugée gênante. Et ces gens sont très réceptifs en général, bien souvent je ne fais que leur montrer la carte que j’ai éditée et sur laquelle figure la photo de Strasbourg. Ils comprennent très vite et posent volontiers… » « C’EST LA PHOTO QUI M’A PRIS » Les mois passés ont permis à JeanMarc de Balthasar d’affiner le projet et de faire mûrir quelques idées de développement. « Je vais me rendre dans un maximum de capitales européennes pour générer une base de portraits la plus importante possible. Le but sera notamment de constituer un dossier de presse conséquent de façon à faire parler un maximum de 1PIC4PEACE. L’idée n’est pas forcé-
ment de faire de l’argent avec tout ça. L’image d’origine est arrivée à moi toute seule, en un instant. Ce n’est pas moi qui ai pris la photo, c’est elle qui m’a pris. Aujourd’hui, ce projet, je le ressens plus comme une sorte de mission personnelle de vie. Je suis payé par l’enthousiasme de celles et ceux qui posent. Mon rêve est de parvenir à créer une communauté de gens qui tous sont dans l’éveil, autour du yoga et de la méditation. » Un des développements plus locaux imaginés par Jean-Marc de Balthasar se situera à Strasbourg. « Je vais organiser des spots de pose avec des heures précises de rendez-vous. « Samedi prochain, je serai à tel endroit et à telle heure. Je vais réaliser votre portrait, venez poser pour la paix… » » Le photographe strasbourgeois a manifestement l’intention de faire grandir au maximum son beau projet et il étudie toutes les possibilités (diffusion en masse sur les réseaux sociaux, abécédaire avec les mots-clés liés à la paix, expos…). « Je ne m’interdis pas de voir les choses en grand », conclut-il joliment. Contact : jmdebalthazar@gmail.com
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Photos : Documents Remis
Texte : Jean-Luc Fournier
RICHARD TEYSSIER ‘‘Je suis allé courir en Jamaïque avec Usain Bolt’’ Le directeur général de Puma France nous reçoit à son siège d’Illkirch, alors que tous les show-rooms sont en plein réaménagement pour accueillir les collections… été 2018. 1h30 avec ce passionné de sport, ça passe vite, très vite. Rencontre avec un homme heureux…
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Or Norme. Un mot tout d’abord sur Puma France. La société a un statut un peu particulier au sein de la galaxie mondiale de la marque.
Or Norme. Où en est le marché du sport et des loisirs ? On le dit peu impacté par les soubresauts économiques des années passées.
Puma France, c’est un peu plus de 200 employés dont une petite centaine travaillent ici, au siège, qui est implanté à Illkirch depuis 1986. Nous sommes une vraie filiale qui importe, stocke et distribue une gamme spécifique pour la France, qui s’insère dans un catalogue international. Nous concevons également des produits spécifiques pour de grandes enseignes de distribution. Bien sûr, toute la partie commercialisation et marketing est pilotée depuis Illkirch. Traditionnellement, Puma a toujours été fortement implanté dans notre pays et la France est donc un pays-clef pour nous. Cela se traduit à travers notre structure géographique : Puma se structure en cinq zones européennes, chaque zone regroupant plusieurs pays. La France fait exception, notre pays est une zone à lui seul. Nous possédons sept magasins en France, notre « flag ship » étant boulevard de Sébastopol à Paris, le reste étant des « outlets » comme à Roppenheim, par exemple. Notre marque est bien sûr essentiellement vendue à travers les grands réseaux de distribution du sport en France.
C’est exact. C’est un des très rares marchés qui ne cesse de croître depuis des décennies et qui va le faire pendant les décennies à venir (sourire) car les gens ne cessent de faire de plus en plus de sport, en s’équipant de plus en plus correctement. Et comme le nombre de sports se développe fortement aussi, beaucoup de marques arrivent sur une foule de micro-segments et cela contribue au dynamisme d’un marché finalement très atomisé. Sur le secteur de la chaussure de sport ou de la chaussure de loisirs directement issue du sport, un tiers du marché est détenu par deux marques (Nike et Adidas – ndlr). Dans un second tiers, on trouve une dizaine de marques, dont Puma, et le troisième tiers concerne des centaines d’autres marques. Le monde des équipementiers du sport est très agréable à fréquenter, je l’avoue. Nous sommes tous mus par la passion du sport et quand on se retrouve autour d’un stade ou d’une piste d’athlé, on a tous comme premier intérêt de regarder la compétition. Une fois qu’elle est terminée, on peut bien sûr parler business, mais pas avant…
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Or Norme. Sur votre CV, y a-t-il quelques lignes sur un sport éventuellement pratiqué ? Je suis né le 1er avril 1968 à Nîmes, où j’ai passé toute mon enfance et mon adolescence. J’ai en effet pratiqué la natation à haut niveau et j’ai même été membre de l’équipe de France quand j’étais jeune. Après le bac, j’ai dû me consacrer beaucoup plus à mes études et j’ai abandonné le sport de haut niveau. Licence d’éco à Nice, Sup de Co à Sophia-Antipolis. En février 1992, je suis entré presque par accident chez Mars et ça a duré 17 ans, dans le secteur de la vente et du marketing. En 2002, je suis devenu directeur commercial chez Mars-Haguenau, puis directeur général de Mars-Portugal pendant trois ans. Pendant tout ce temps, je suis resté un fou de sport, dingue de biathlon et d’athlétisme. Je pouvais passer dix heures de temps devant la télé, lors des grandes compétitions comme les Jeux olympiques par exemple. Dans mon boulot, j’étais régulièrement contacté par les chasseurs de têtes et je leur disais que le seul truc qui pourrait un jour me faire envisager de quitter mon job chez Mars était le sport. L’opportunité est arrivée début 2010 : en juin, je suis devenu directeur commercial de Puma puis directeur général en janvier 2012. À mon arrivée, la situation de Puma France était compliquée, il a fallu se caler sur un agenda rigoureux pour se redresser. Ça ne m’a pas empêché de vivre ce nouveau job comme une véritable passion. Et depuis fin 2014, ça a bien redécollé. En 2016, la croissance a été superbe : + 35% sur les chaussures de sport. C’est exceptionnel, bien sûr… Or Norme. À vous écouter, on ressent bien cette passion qui vous habite. J’imagine qu’entre les excellents résultats économiques et les événements que vous vivez au plus près grâce à cette passion, justement, le plaisir doit souvent être au rendez-vous… C’est très exactement ça. Entre le business qui va très bien et le plaisir que je prends avec mes collaborateurs et les clients, j’avoue que je prends mon pied ! L’an passé je suis allé courir en Jamaïque avec Usain Bolt, un des garçons les plus adorables que je connaisse. C’était vraiment génial ! En juillet, j’étais à la finale de l’Euro de foot en France. J’ai plein d’opportunités comme celles-là, elles me donnent l’impression que je ne suis pas tout le temps au travail, vous voyez… alors que je suis payé pour y être, bien sûr… (grand sourire). Mais j’ai aussi mes galères de directeur général, avec des situations délicates à gérer, des décisions à prendre, des clients difficiles… Or Norme. Le sport est-il votre seule passion ? Non. Au-dessus du sport, bien avant, il y a Mathis, mon fils qui a neuf ans. Et puis, il y a une autre passion, que j’ai
toujours eue, aussi loin que je me souvienne : la littérature. Je suis un fan absolu des romans de Victor Hugo, j’ai dû tous les lire au moins vingt fois ! Ils font partie des ouvrages les plus modernes que je connaisse, je n’arrive même pas à imaginer comment quelqu’un de son époque a pu écrire tout ça, avec autant de rythme et de talent. J’adore aussi Romain Gary que j’ai découvert il y a très longtemps et je me dis souvent qu’il faudrait que je le relise… Or Norme. Récemment, il y a eu comme un coup de tonnerre dans le milieu du foot français : Puma va devenir en juillet 2018 l’équipementier de l’OM qui vous a préféré à Adidas, le partenaire historique… Sans pouvoir disposer, peut-être, du budget le plus important, comment parvient-on à un résultat aussi brillantissime ? Écoutez, je ne peux pas parler à la place de Marseille. Sur les motivations qui ont poussé l’OM à choisir Puma, j’en comprends quelques-unes car, tout simplement, je les ai défendues, mais les autres n’appartiennent qu’à ses dirigeants. Tout s’est fait dans le cadre d’un appel d’offres très classique dans notre milieu : lorsqu’un club avec un impact tel que le sien dans le football français et international se déclare, on ne peut pas ne pas y aller, évidemment. Ce que j’ai ressenti, c’est qu’il y avait une adéquation forte entre ce que la nouvelle équipe dirigeante de l’OM voulait faire et ce que Puma voulait entreprendre en France. Vous savez, on parle beaucoup d’argent, mais le ticket d’entrée, tout le monde est plus ou moins prêt à l’aligner. Après, c’est une histoire d’hommes qui sont capables ou non de s’entendre sur une stratégie. Nous avons expliqué que le cœur de notre action serait les joueurs et les fans du club. En fait, selon moi, la décision nous a été favorable parce que les dirigeants du club ont senti une immense envie de Puma France de s’investir et de les accompagner dans le nouveau projet de l’OM. C’est ça qui a fait la différence… Or Norme. On ne peut pas ne pas évoquer le Racing, qui remonte en Ligue 1…Puma pourrait s’y intéresser ? Aujourd’hui, le Racing a un partenaire (sourire). Le Racing est un très beau club qui fait partie de l’élite du football français. On est implanté à Illkirch, alors évidemment on s’intéresse à sa progression. Mais, je le répète, ils ont un partenaire. J’ai le plus grand respect pour mes concurrents, et ce concurrent, de plus, a son siège au bout de notre rue. Je n’ai pas du tout envie d’entrer en conflit avec eux car ce sont des gens adorables et qui font bien leur métier. Mais c’est évident que le Racing peut redevenir un très grand et un très beau club, tous les ingrédients sont là… Tous mes vœux, bien sûr, l’accompagnent.
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LE PIÉTON DE STRASBOURG L’œil comme un scanner, Arnaud Delrieu est pour Or Norme « le piéton de Strasbourg ». Deux amis qui ne sont pas d’accord ou qui s’engueulent déjà ? La question posée par l’affiche de la saison de l’Opéra du Rhin n’aura jamais de réponse… Arnaud Delrieu : bizzneo@gmail.com
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OR BORD
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ANNABELLE KREMER Extra terrestre Pendant que l’on se gelait à Strasbourg, elle se gelait en Antarctique, même si là-bas, en janvier et février, c’est l’été. Depuis, elle est rentrée à la maison et partage son expérience. Pour Or Norme, c’est autour d’un café qui lui donne un coup de fouet, car Annabelle Kremer a du mal à retrouver le sommeil, à cause du changement de rythme et du travail de titan qu’elle a entrepris depuis.
Dehors, on entend le tonnerre. Elle est habillée d’une combinaison d’un autre temps, comme une cosmonaute qui serait de retour après sa première expérience dans un Nouveau Monde. La terre est bleue… comme les yeux d’Annabelle Kremer. Dès le début de notre conversation, elle sourit à pleines dents, aussi blanches que le continent austral. La fonction du sourire. SUR LES TRACES DE « LA MARCHE DE L’EMPEREUR » Elle est de ceux qui pensent que le système éducatif français ne valorise pas assez les enfants, car « on teste toujours les mêmes compétences. » Elle trouve que l’école n’est pas assez ouverte sur la société, les élèves qui restent assis sans bouger ce n’est pas son truc.
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Documents Remis
Texte :
Eric Genetet
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Elle rêve d’établissements scolaires où chacun aurait le droit de s’exprimer, plus encore. Alors, elle monte ce genre de projets, pour faire bouger les lignes d’écoliers. La fonction de la transmission. Annabelle est agrégée, prof de SVT et à mi-temps à la Maison pour la Science qui a porté, avec le Muséum national d’Histoire naturelle et l’Institut polaire Paul Émile Victor, sa mission sur la base François Dumont d’Urville, sur les traces de « La Marche de l’empereur ». L’organisation de cette aventure n’a pas été simple ; pendant deux ans, elle s’est parfois heurtée à de mauvaises volontés, mais elle a trouvé sur son chemin une centaine de personnes qui n’ont pas hésité à s’impliquer. 900 élèves dans toute la France ont suivi son voyage. Les soutiens de l’Académie des sciences et de l’université ont été essentiels. Pour le reste, elle n’est ni susceptible ni rancunière. Pas d’orage. Elle ne laisse paraître que sa force de conviction : « Il faut savoir convaincre. Quand je m’adresse aux gens, je sais où je vais, je sais ce que je veux, je ne lâche pas, même si, en fait, dans ce
type de projet, on arrive à persuader des personnes qui sont quand même un petit peu comme nous, qui nous ressemblent, c’est un cercle vertueux. » Elle reste dans l’Éducation nationale, qu’elle pourrait quitter, parce qu’elle forme des enseignants et qu’elle n’imagine pas le faire sans avoir d’élèves elle aussi. Et puis, le contact avec les collégiens lui manquerait. C’est quoi un bon prof ? « Si les élèves arrivent à retranscrire ce que tu leur apprends, alors tu peux dire que tu es un bon prof. » Et pour faire passer les messages, elle monte des projets collectifs, pas forcément dans le programme. Elle cherche le lien, les connexions, les jonctions, un maelström de sensations, pour éliminer la routine. Elle aime voir les gens en action, le partage des métiers. Annabelle s’entoure d’humains qui essayent, qui vont, qui tentent autre chose, un peu plus loin, jusqu’en Terre-Adélie, s’il le faut. Annabelle Kremer n’est pas une rebelle, mais une femme engagée et audacieuse. La fonction du dépassement.
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L’idée de cette équipée à l’autre bout de la planète était de croiser le monde de l’enseignement et de la recherche, de former des enseignants au contact de la science vivante sur un temps long. Ce qui a émergé de ce voyage en Antarctique, ce sont « les invisibles », tous ces métiers associés à la recherche : « Dans un milieu extrême, on se rend compte à quel point la technique est indispensable, il y a des gens qui sont dans l’ombre, le pâtissier ou les cuisiniers… Le plombier avait un rôle extraordinaire à jouer, c’était un créatif, obligé d’imaginer des conduites dans un milieu où tout est différent. » Elle a trouvé là-bas un bel état d’esprit, des gens enthousiastes, dans l’action. Sur cette base scientifique, ils étaient cinquante-neuf humains autour des manchots, dont le plombier qui, vous l’avez compris, ne l’était pas. Elle se sentait portée dans ce milieu où la
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Texte : OR BORD
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routine est forclose. Sans contrainte du quotidien, elle était à l’œuvre douze heures par jour sans fatigue et sans stress. La fonction du paradis. L’AVENTURE DE SA VIE ? La vie communautaire et le travail allaient ensemble. Tous les jours, trois personnes offraient leur journée à la collectivité en nettoyant les tables du petit-déjeuner ou la vaisselle, en épluchant quinze kilos de patates s’il le fallait, en faisant une multitude de choses au service des autres, comme dans un kibboutz, avec un super état d’esprit. Comme il ne fait jamais nuit, les repas étaient organisés à des heures précises, ce qui permettait de garder un rythme : « Il y avait aussi beaucoup de moments d’échanges, comme le goûter du mercredi où le pâtissier régalait tout le monde, les discussions avant le dîner, les jeudis de la science où l’on présentait nos travaux, les samedis déguisés, des soirées vikings, mexicaines, ou extraterrestres. » C’est marrant, il y a une lumière différente dans ses yeux quand elle évoque ces moments-là. C’est l’aventure de sa vie ? Elle dit que non, qu’elle ne sait pas ce qui l’attend, qu’elle est toujours très confiante pour la suite, qu’elle sait qu’il y aura plein de belles choses : « Mais c’était quand même un petit peu fou cette aventure. » La fonction de la folie. Elle se raconte, je me demande si elle est forte ou fragile. Je pense que la vie l’a fragilisée, mais qu’elle a dépassé tout
ça. Qu’elle s’est construite sur la base « scientifique » de ses blessures. L’écriture l’a beaucoup aidée. Auteure de « Charles Darwin, une révolution » chez Acte Sud Junior, elle reviendra sur cette expérience en Antarctique dans un livre épistémologique et didactique sur ce qu’elle nomme « une communauté d’apprentissage ». Il existe aussi un deuxième ouvrage en préparation, plus pédagogique, sur toutes les ressources du projet et les exploitations qu’en ont faites les enseignants. Enfin, un travail plus personnel : sur place elle a pris 4000 photos et rédigé 450 pages de manière très factuelle et spontanée. Un projet tentaculaire. La fonction de l’écriture. À notre rendez-vous, elle est arrivée fatiguée, mais elle s’est confiée plus d’une heure et son visage s’est détendu dans l’échange. Dehors, l’orage s’est calmé. À la fin, elle évoque ses enfants, ils lui manquaient, mais partir c’est aussi transmettre des valeurs, c’est dire que tout est possible. Du coup, ils ont envie de découvrir le monde et sont fiers de leur maman, de leur maman héroïque. C’est peut-être cela sa plus belle réussite, que tout se passe formidablement bien avec les siens, même quand elle est aussi loin d’eux pendant deux mois. Au retour de sa prochaine mission, il est probable qu’elle portera encore sa combinaison de cosmonaute. La fonction d’une terrienne du tonnerre.
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LE CARNET DE VOYAGE DE MINE GÜNBAY
LES MÈRES DE LA PLACE DE MAI 40 ans de lutte pacifique pour la mémoire, la vérité et la justice ! JEUDI 9 FÉVRIER 2017. LA CHALEUR EST ÉCRASANTE À BUENOS AIRES.
Mine Gunbay
Mine Gunbaï poursuit son périple en Amérique du Sud (lire Or Norme n°23 et 24). Pour elle, relater le combat historique des mères de la place de Mai, c’est témoigner de l’actualité récente en Argentine, faire la lumière sur les conséquences des régimes fascistes plusieurs générations plus tard mais aussi, à l’heure où la France a échappé au pire, prendre la mesure de notre héritage.
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OR BORD
Texte et photos :
Ci-contre / Mine Günbay
QUI SONT CES FEMMES, CES MÈRES, CES GRANDS-MÈRES ? QUELLES SONT LEURS REVENDICATIONS ? Le 30 avril 1977, en pleine dictature militaire, quatorze femmes se réunissaient devant le palais présidentiel, pour exiger la vérité sur leurs enfants disparus. Les militaires les surnommeront avec mépris les « folles de la place de Mai ». Depuis cette date, elles se réunissent chaque jeudi, à 15h30, sur la Plaza de Mayo, en face de la Casa Rosada (siège du gouvernement) à Buenos Aires, où elles effectuent une ronde hebdomadaire autour de la statue centrale. Parmi les 30 000 disparus de la dictature, certains seront exécutés, d’autres jetés par-dessus bord durant ce qui sera nommé les « vols de la mort ». 500 enfants seront alors enlevés aux disparus et confiés à des proches du régime, parfois même élevés, sans le savoir, par les bourreaux de leurs parents biologiques.
15h, la place de Mai se remplit lentement de touristes et d’activistes politiques qui se pressent avec des banderoles et des tracts. Sur le côté, j’aperçois un chapiteau. Je me fraye un chemin pour y accéder. Sur les tables sont exposés à la vente des ouvrages, des pots de confitures, des journaux, des foulards blancs. J’aperçois alors une grand-mère. Je l’observe longuement, émue de voir une des figures vivantes de ce combat. Les traits de son visage sont tirés, fatigués, mais son attitude transpire la dignité, la détermination. Je n’ose pas la déranger car la foule se fait de plus en plus importante, des médias s’agitent autour du stand. Je me mets un peu en retrait pour observer. Je ne m’attendais pas à un dispositif et une organisation d’une telle envergure parce que maintenir une telle mobilisation hebdomadaire depuis 40 ans est incroyable, unique ! L’usure du temps n’a donc pas eu prise sur leur détermination et leur soif de justice. 15h30, les grands-mères, têtes couvertes de leurs foulards blancs symbolisant les langes des enfants, se placent derrière une banderole sur laquelle est inscrit : « Le manque de travail est un crime ». Une centaine de personnes se placent derrière elles et entament une ronde autour de la statue. Je les observe, surprise par le contenu très politique des slogans (chômage, inflation...). Je me glisse alors dans le cortège pour échanger avec des personnes afin d’essayer de comprendre le lien entre ces slogans et les « bébés disparus de la dictature ». Un homme d’une quarantaine d’année me donne cette explication : « Les disparus étaient engagés pour les droits sociaux et les droits humains, ils auraient aimé que ce combat soit poursuivi. Nous le poursuivons. » 15h45, la ronde se finit et le cortège se met en retrait à côté du chapiteau, dégageant le
Un
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A V I G N O N
DU 7 AU 30 JUILLET 2017 1 4 CO M PAGNIES / 7 LIEUX
Théâtre - Cirque - Marionnette - Musique - Danse - Poésie - Théâtre équestre
Caserne des Pompiers
7 - 23 juillet - Relâches 10 et 17 CIE LES BESTIOLES // Sous la neige CENTRE DE CRÉATION POUR L’ENFANCE // Petit théâtre nomade CIE MAVRA // Dans les rapides CIE ASTROV // Je t’écris mon amour CIE LES OREILLES ET LA QUEUE // La dernière bande CIE ORMONE // Combat CIE LE BREDIN // Le garçon incassable
Chapeau d’Ebène Théâtre
O’BROTHER CIE // Le dîner
7 - 30 juillet – Relâches 12, 19 et 26 ENSEMBLE FAENZA Polichinelle et Orphée aux enfers
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Présence Pasteur
La Manufacture
6 - 26 juillet – Relâches 12 et 19 MUNSTRUM THÉÂTRE Le chien, la nuit et le couteau
11 • Gilgamesh Belleville
7 - 28 juillet – Relâches 10, 17 et 24 CIE LES MÉRIDIENS L’apprenti
6 - 28 juillet – Relâches 11, 18 et 25 PARDÈS RIMONIM Un siècle, un portrait du XXe siècle et de ses enfants
Île de la Barthelasse
Île Piot - Occitanie fait son cirque en Avignon
8 - 23 juillet – Îlot chapiteau - Relâches 10, 13, 17 et 20 CIE EQUINOTE FaceCachée
11 - 23 juillet – Relâches 14 et 19 COLLECTIF PORTE 27 Autour du domaine
En savoir plus : www.grandest.fr
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Texte et photos :
Depuis 40 ans, les mères manifestent sur la place de Mai à Buenos Aires.
centre de la place. Un plus petit groupe d’une trentaine de personnes se met aussi à faire une ronde cette fois-ci en scandant au mégaphone les noms des disparus. En réponse, la foule répond « Presente » (présent), pour signifier que les disparus sont encore dans les esprits. Je comprends à ce moment-là qu’il existe deux cortèges aux revendications distinctes. Pour comprendre leur différence, je me glisse aussi dans le second cortège. Il se nomme le groupe « La ligne fondatrice ». Deux femmes avec lesquelles j’échange m’expliquent refuser toute récupération politique : « Notre combat c’est la recherche de la vérité et la justice pour nos enfants disparus, nous ne voulons aucune récupération politique de notre combat. » J’apprends ainsi qu’en 1986 le groupe se scinde en deux suite à des divergences. Quels que soient les choix opérés sur les modalités de lutte, ces femmes forcent le respect par leur combativité, leur pugnacité ! Elles sont des figures de la résistance et ont obtenu des avancées concrètes. La création de la banque de données génétiques, un musée de la mémoire, un procès, une loi... Sur les 500 bébés, 119 auraient été retrouvés. Mais certaines des grands-
mères résistantes sont décédées sans avoir pu retrouver leurs petits-enfants. Alors qu’en avril l’Argentine célébrait les 40 ans de ce combat, une décision de justice a provoqué un véritable tollé. En effet, la Cour suprême de justice a permis à l’ex-militaire Luis Muiña de bénéficier de la loi dite du « 2x1 ». Cette loi qui réduit par deux une peine de prison avait pourtant été abrogée en 2001. Ancien tortionnaire de la dictature, Luis Muiña avait été condamné à 13 ans de prison pour sa participation à des séquestrations et des tortures. En réaction à cette décision, les organisations de défense des droits humains et les grands-mères ont appelé à une manifestation le 10 mai dernier. Un demi-million de personnes a répondu « Presente » à Buenos Aires, mais aussi dans tout le pays. Au-delà des spécificités de la dictature argentine, la résistance des grands-mères de la place de Mai nous raconte une histoire universelle, plus que jamais contemporaine. Elle nous dit la fragilité des démocraties, des droits humains, mais elle nous dit aussi l’espoir et la force incroyable que représente la lutte collective pour ne plus permettre ces horreurs ; Nunca mas ! (Plus jamais !)
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Or Norme. Il y a une vraie tendresse dans votre façon de parler de votre jeunesse. Votre enfance fut-elle heureuse ?
Paola Guigou – Eric Genetet Eric Genetet
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OR D’ŒUVRE
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Extrêmement heureuse, oui. J’ai rapidement eu beaucoup de liberté, beaucoup d’autonomie. J’étais un peu plus mature que les autres. À 15 ans, je suis parti en apprentissage au Vieux Couvent à Rhinau dans la famille Albrecht, j’étais logé sur place toute la semaine. J’y suis allé parce que Lucienne, la propriétaire à l’époque, était la première apprentie en coiffure de mes grands-parents. J’avais d’abord fait un stage quand j’étais au collège, et c’est là que je suis vraiment tombé amoureux : cela ne faisait aucun doute, je voulais faire ce métier.
R E S TA U R A N T L A C A S S E R O L E
CÉDRIC KUSTER
“Je suis locavore’’
Un fond de classique, une playlist bien sentie, musique de chambre, Mozart, des morceaux d’opéra. Un mur de cuir élégant dans lequel sont gravés des magnolias. La lumière est travaillée, l’ambiance feutrée. C’est bientôt l’heure du service. Juste le temps d’attraper Cédric Kuster, le jeune patron des lieux. En 2015, quand il reprend l’établissement, au pied de la cathédrale, il n’a que 28 ans. Le pari est audacieux, mais il n’a pas reçu de coup sur la casserole pour en arriver là. Deux ans plus tard, l’étoile au guide Michelin n’est pas encore au rendez-vous, même si la qualité de son restaurant est unanimement reconnue. Une frustration qui devrait néanmoins s’effacer dans les prochaines années, malgré le départ du chef Marc Weibel. La Casserole a tout l’avenir devant elle.
Or Norme. Pour commencer, un mot sur votre jeunesse. Vous êtes du quartier du Neudorf, que faisaient vos parents ? Je suis né dans une famille de commerçants, j’ai grandi dans la coiffure. Moi, je voulais tout faire, sauf ça. Toucher les gens, ce n’est pas mon truc, ou alors d’une autre manière. Toucher leur cœur. À 12 ans j’aimais recevoir, j’aimais préparer la table. Or Norme. Quelqu’un cuisinait dans votre famille ? Ma grand-mère, ma mère aussi, j’étais tout le temps dans leurs jambes. J’adorais faire des surprises, me lever, aller chercher le pain et les petits pains, préparer le petit-déjeuner du dimanche. Ma mère restait dans son lit pour me laisser faire.
Or Norme. Vous êtes en salle, chaque soir, ce qui est rare pour un établissement de ce standing. D’habitude le propriétaire est plutôt en cuisine, ou à des milliers de kilomètres, non ? En fait, j’ai toujours voulu être en salle, c’est mon truc depuis tout petit, je ne voulais pas faire la cuisine. Or Norme. Mais vous avez été obligé d’apprendre, en entrant au Crocodile à l’âge de 17 ans. Oui, je n’ai pas eu le choix pour mon cursus. Mais j’étais malheureux. Au premier étage, je n’avais pas de contact avec la clientèle. C’est dur de faire à manger, de faire de belles choses et de n’avoir aucun retour. Or Norme. Vous avez passé douze ans au Crocodile, cette période fut essentielle pour la suite de votre jeune carrière. Parlez-nous de cette expérience. C’est une période qui s’est déroulée en deux temps ; d’abord l’apprentissage, six années avec Émile et Monique Jung, une vision à l’ancienne de la restauration, des codes bien précis. Madame Jung était une grande maîtresse de maison, un grand modèle pour moi. À un moment, à 23 ans, j’avais décidé d’arrêter, je voulais
partir, apprendre autre chose, ailleurs, mais le jour où j’ai quitté le Crocodile, j’ai été très malheureux. Finalement, je suis resté, j’ai gravi les échelons rapidement. En fait, j’ai commencé en tant que commis et j’ai fini comme directeur, avec Philippe Bohrer. J’étais libre de faire ce que je voulais, j’étais comme le propriétaire, parce qu’il avait une très grande confiance en moi. Or Norme. Vous étiez très très jeune. Comment avez-vous gagné votre crédibilité de directeur ? Grâce à Gilbert Mestrallet, le sommelier historique de la maison. Il me mettait en avant. Souvent il faisait de belles choses, mais il disait que c’était moi qui les avais faites, pour m’aider à avancer ; il était vraiment dans la transmission. Je lui avais promis de rester au Crocodile jusqu’à son départ à la retraite, mais je n’ai pas pu tenir cette promesse. Or Norme. Car vous avez repris la Casserole, au moment où le Crocodile avait perdu l’étoile. L’actionnariat allait changer, c’était une opportunité que vous ne pouviez pas rater ? J’avais envie d’ouvrir ma propre maison, de la faire à mon image ; un peu plus petite pour m’occuper de la même façon de tous les clients, échanger, les emporter. Quand j’ai su que la Casserole se libérerait, je me suis lancé, tout est allé très vite. Le 3 juillet 2017, cela fera deux ans. Or Norme. Votre carte est réduite… Trois poissons, trois viandes, deux menus de saison et un menu déjeuner qui change toutes les semaines. 700 références sur notre carte des vins, et je suis locavore.
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Or Norme. Vous n’avez pas d’étoile, c’est une déception ? Oui, clairement. Or Norme. Votre cuisinier, Marc Weibel, que vous avez connu sur les bancs de l’école, qui était votre ami,
est parti il y a six mois. C’est un coup dur ? De mon point de vue, nous sommes toujours amis, même si nous n’avons plus de contact pour l’instant. Il est parti pour de bonnes raisons. Il avait autant que moi l’ambition de devenir son propre patron, comme je l’ai fait pour venir ici. Je comprends. Son second a pris la suite, nous sommes restés dans la même lignée. Or Norme. Alors j’imagine que pour votre première étoile le plus tôt sera le mieux. Avez-vous le potentiel pour… Pour deux étoiles ? Pour trois ? Pas avec cette structure, elle est un petit peu trop réduite, mais si ça ne se fait pas dans la profondeur de l’établissement, cela pourra peut-être se faire dans la hauteur : je rêve de monter dans les étages dans les années à venir. Or Norme. Vous souhaitez devenir un homme riche ? Je m’en fous. Je n’ai pas envie d’être riche, j’ai envie d’entreprendre. Or Norme. Êtes-vous là où vous rêviez d’être ? Oui, oui, oui. Je suis vraiment à ma place, totalement. Mais je ne me
contente jamais de ce que j’ai. Je suis un homme heureux, mon travail me fait oublier les difficultés parce que c’est une pièce de théâtre que nous jouons ici chaque soir. Or Norme. Quelles sont les plus belles qualités humaines pour vous ? La tolérance. La patience. Or Norme. Votre équipe composée de huit personnes est très jeune, que dites-vous à celles et ceux qui sont en salle ? Je leur dis “ soyez simples, faites-le avec le cœur et tout ira bien. ’’ Or Norme. Quelle est votre plus grande fierté ? Je n’en ai pas. Pas encore. Parce que je veux toujours plus. Or Norme. Vous êtes un éternel insatisfait ? Bon, j’arrive à me satisfaire de ce que j’ai. Or Norme. Vous venez de vous contredire à l’instant… Oui. Je suis d’accord. Alors, disons que ma plus grande fierté est de faire vivre huit personnes. Nous avons commencé à quatre, je suis fier de ça.
LES ÉVÉNEMENTS Lors du dernier trimestre, Or Norme a organisé la soirée de lancement de sa nouvelle formule chez AEDAEN Gallery où a été également accueilli Brice Teinturier.
Alban Hefti & Vincent Muller
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ÉVÉNEMENTS
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Or Norme a été présent aux Internationaux de Strasbourg 2017 avec « Terriennes », son numéro hors-série.
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Dîner Club des partenaires avec Brice Teinturier 1. Brice Teinturier (Ipsos) et Jean-Luc Fournier (Or Norme) 2. Christophe Schalk (Mediarun et Top Music) et Maxime Knoch (Mazda) 3. Pascal Wespiser (Groupe Link) et Jean-Luc Delanoue (RCSA) Soirée de lancement du nouvel Or Norme 4. Joaquim Armindo (Sté Joaquim Armindo) et Patrick Adler (Or Norme) 5. Mickaël Ben David (IZHAK) et Patrick Adler (Or Norme) 6. Marie-Claude Waechter et Sally Patti (Galeries Lafayette)
infos & pop non-stop
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Leïla, pétillante, bouillonnante et toujours en musique !
EN FM PARTOUT EN ALSACE ET MAINTENANT SUR LA NOUVELLE APPLI
Alban Hefti & Vincent Muller
Photos : ÉVÉNEMENTS
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Internationaux de Strasbourg 2017 1. Anka Wessang (Club de la Presse) et Jean-Luc Fournier (Or Norme) 2. Kathia Martin (Groupe Link) et Anne Grumbach-Herrmann (Villa Sturm) 3. Francis Hentz (Espace H) Robert Herrmann (Président de l’Eurométropole) Patrick Adler (Or Norme) 4. Michel Bedez (PasseMuraille) Vincent Léopold (Groupe Flam’s) Thomas Azan (Goodway) 5. Natacha Adler (Pluriconseil) François Wolfermann (Librairie Kléber) et Anka Wessang (Club de la Presse) 6. Sabryna et Marc Keller (RCSA) et Richard Teyssier (Puma)
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VU D’ICI…
Jean-Louis Fernandez/TNS – Strasbourg mon amour - DR Eric Genetet
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Le bloc-notes de l’actualité des derniers mois, malicieusement ou plus sérieusement revisitée par Or Norme.
4 AVRIL
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Jean-Luc Mélenchon, le candidat de La France insoumise, est jugé le plus convaincant lors du grand débat télé. L’info est vérifiée. Pendant ce temps, un article partagé plus de 4 500 fois sur Facebook présente Strasbourg comme la « ville la plus dangereuse de France » en 2016. L’information est fabriquée de toutes pièces via un site spécialisé, Toutelinfo.fr qui incite à s’exprimer librement en rédigeant des blagues ou des news fictives. Le temps des fake news est arrivé.
Elle court, elle court la maladie d’amour… Quel dommage pour Strasbourg : Lille est choisie pour accueillir l’Agence européenne du médicament. Strasbourg a le moral dans les chaussettes Labonal. Il fait froid. Pourtant, s’ouvre officiellement la saison de l’asperge, le légume annonciateur du printemps. Le même jour, Julia Roberts est élue plus belle femme du monde. Pas d’Alsacienne dans le classement.
5 AVRIL Stanislas Nordey, le directeur du TNS, déclare dans Télérama : « Le silence des candidats à la présidentielle sur la culture est frappant. »
6 AVRIL Royal monte au créneau. La ministre de l’Énergie a mis en garde les administrateurs d’EDF sur le « coup » qu’ils porteraient à l’entreprise s’ils ne donnaient pas leur feu vert à une nouvelle étape vers la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim. Dans le même temps, grâce aux grands malins de Strasbourg, ici, on sait recevoir. Comme Manuel Valls en décembre, François Fillon, « cible d’un acharnement impitoyable », a été victime d’une attaque à la farine. L’histoire ne dit pas si c’était de la farine alsacienne. Parfois, ici, nos moulins, nos moulins vont trop vite…
12 AVRIL La dernière de Baal au TNS. Une poignée de spectateurs quittent la salle, les réseaux sociaux se déchaînent. Stanislas Nordey plus jamais ! Heureusement, il a aussi des partisans, qui ne sont pas tous sur Facebook. Sur le sujet, le silence de la ministre de la Culture est frappant.
17 AVRIL Seule agglomération française du classement, la capitale alsacienne figure parmi les « dix villes les plus romantiques du monde sans foule », c’est-à-dire des villes encore méconnues ou sous-estimées par les touristes, pour passer un moment tranquille en amoureux. Personne n’imaginait ici que Strasbourg était une ville sans foule. Pierre Bardet déprime et essaye de contacter Édith Piaf pour allumer le sapin de la place Kléber !
21 AVRIL Deux jours avant le premier tour, une attaque terroriste sur les ChampsÉlysées, un homme a tiré sur des policiers en faction à l’arme automatique. Xavier Jugelé ne se relève pas. Son compagnon lui rend un hommage vibrant dans un discours très digne.
23 AVRIL Au soir du premier tour, à Strasbourg, les résultats donnent Macron à 27,75%, Mélenchon à 24,35%, Fillon à 19,83%, Le Pen à 12,16% et Hamon à 9,42%. Dans le reste de l’Alsace, la leader du Front national pointe souvent en tête ou occupe très souvent la seconde place… 29 AVRIL 4h24 au départ de la Rotonde, première rame de la ligne D du tram à destination de la station Kehl-Bahnhof. Français et Allemands se retrouvent à bord pour vivre un « moment historique », 10 000 personnes prennent le tram dans la matinée. La CTS n’en espérait pas tant. Macron était invité, il n’est pas venu.
1ER MAI Un cortège de 2500 personnes défile dans Strasbourg. La mobilisation est faible, c’est dix fois moins que le 1er mai 2002, avant le second tour qui allait opposer Chirac et Le Pen. Ce jour-là, il pleuvait aussi. 2 MAI L’usine Suchard de Strasbourg quitte le giron de Mondelez pour rejoindre le groupe Carambar & Co. Ce n’est pas une blague.
119 7 MAI Marine Le Pen est élue présidente de la République. Non, je déconne… Blague Carambar de mauvais goût. Strasbourg se distingue avec un score « chiraquien », 81% pour Macron.
17 MAI Macron et Philippe ont choisi une équipe de 22 personnes, avec notamment Nicolas Hulot à la Transition écologique et solidaire et l’éditrice Françoise Nyssen ministre de la Culture. Toujours pas d’Alsacien dans le gouvernement, mais Alex Lutz, notre ministre de l’humour est à Cannes dans les bras de Monica Belluci. La maîtresse de cérémonie, dans une longue robe de tulle transparente, danse avec l’Alsacien sur Piensa Me. Almodóvar sourit derrière ses lunettes noires. Quand Monica embrasse Alex, c’est l’Alsace qui éprouve du plaisir.
tions de santé et de solidarité. Alain est heureux de la nomination de Marie, mais aussi de la montée du Racing en L1. Il était l’un des 27 500 supporters présents au stade de la Meinau pour fêter la victoire. Neuf ans après sa descente aux enfers, Strasbourg redevient le Racing.
22 MAI 18 MAI La Cour de cassation a rejeté les pourvois, Tapie est condamné et « consterné ». 404 millions d’euros, ça fait une drôle de somme ! Il paye en quoi ? En épaves de Peugeot ou en vieux maillots Adidas de Basile Boli ? 19 MAI Les températures sont passées de 29°C à 14°C en deux jours, mais Strasbourg est en haut de l’affiche. Pas de ministre, mais une consolation, une autre Alsacienne entre à l’Élysée : Marie Fontanel, l’épouse d’Alain, premier adjoint au maire de Strasbourg, est conseillère du président sur les ques-
Il fait chaud et beau sur les 31e Internationaux de Tennis de Strasbourg. Le numéro hors série d’Or Norme, joliment titré « Terriennes », s’arrache. Ce même jour, la rédaction « boucle » le numéro que vous avez dans les mains. Tout ce qui se sera passé depuis cette date ne pourra figurer ici…
PORTFOLIO Nicolas Cytrynowicz
Nicolas Cytrynowicz est tout sauf imbu de sa personne (au point de refuser de nous communiquer son visage en portrait, pour ce port-folio). « Je ne suis d’aucune école, n’en sers aucune, en tout cas consciemment. Je travaille complètement seul, très retiré. Mais très peu en studio. La plupart du temps en voyage… « Ce n’est pas ce que je montre qui importe, c’est ce que je mets de moi, dans ce que je montre. » Courbet disait cela de sa peinture. Je voudrais pouvoir dire cela de ma photographie. » ‘‘Si tu as eu la liberté de créer, à chacun de se créer sa propre liberté de comprendre. Plus on en en parle, moins on laisse les gens libres de choisir.’’ — Bernard Plossu
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Légende : 1. Sienne | L’ombre de ma vie 2. Sienne | Une lumière insensée 3. Bologne | Où sont passés les dieux ?
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1. Padoue — La nuit était très floue, la nuit était partout 2. Colle Di Val d’Elsa — La vie est-elle énigmatique ? 3. Padoue — Y a-t-il eu un âge d’or ? 4. Colle Di Val d’Elsa — J‘aurais aimé revoir ton corps 5. Padoue — Mes souvenirs glissaient dans la nuit
OR CHAMP
À l’aveugle, entre les lignes…
Texte et photo par Thierry Danet
Invité à m’immiscer à la fin de ce Or Norme, j’ai tenté d’en extraire, à l’aveugle, quelques petites propositions à l’usage de tous pour une expérience de la ville qui, paradoxalement parfois, sait généreusement alimenter nos tentatives de flirter avec la sérénité à laquelle est dédié ce numéro. # proposition 1 : Arpenter, les yeux sur le cœur et offert au rapport amoureux ; arpenter pour que le corps y croie autant que l’esprit. Marcher, déambuler, flâner à grands pas ; retrouver l’élasticité du geste et la douce manie du sampling du flâneur, s’abandonner à la synthétique syntaxe de la promenade. Arpenter également les paysages pixels qui offrent le regard des autres à notre contemplation. # proposition 7 : S’exposer autant que possible à être victime d’un miraculeux accident de parcours. Laisser le temps au temps de fabriquer l’horlogerie qui active la dérive poétique et chorégraphique de nos corps dans la ville. Ne pas trouver ce que l’on était venu chercher mais vivre, sans distance, le moment pour ce qu’il est. Faire taire quelques minutes le second degré, ce lâche et séduisant tue-l’amour. Prêter attention à un monument comme à un pas-grand-chose qui se raconte bien mal mais s’avère réel, et peut-être même crucial.
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OR NORME N°25 Sérénités
# proposition 18 : S’arrêter un instant là où flotte ce qu’il faut de déséquilibre et de fêlures pour échapper au pastel. Sans vergogne mais amoureusement, mixer les perspectives puis s’abandonner aux beautés poétiques de la myopie pour lire la ville et l’époque entre les lignes floues d’un technicolor rêveur. # proposition 26 : Guetter les lieux où les mouvements du paysage deviennent le motif d’un suspense cinématographique sans final cut. Chercher, le long des façades miroirs de la mutation constante, le reflet fugace de l’âme éternelle des fondations enfouies et le témoignage fragile des tendresses persistantes des fantômes ; y pister également les figures de la romantique, opiniâtre et généreuse indiscipline de la création, qui se nichent dans les interstices pour y envisager l’avenir en situation. # proposition 38 : En quête d’invisibles mais indélébiles traces silencieuses et souveraines du temps qui bat à nos côtés, fréquenter les contre-allées dans la palpitation relâchée d’une fin d’heure creuse. Rêver la bouche ouverte face à la douce cruauté des constructions délaissées et des
fenêtres aveugles. Guetter le soleil qui, se coudant pour franchir la chicane du carrefour, force les vitres sales pour tracer des perspectives. Se laisser dérêver dans la relecture des plans et des cartes en y découvrant des histoires qui n’ont pas besoin d’être vraisemblables pour être vraies. Oser répondre aux œillades du peuple des statues, figures familières et pourtant impénétrables qui, silencieusement, habitent avec nous la ville dans des éternités communes qui nous sont chères. # proposition 55 : Traversé, grâce à une greffe verbalisable, par des harmonies qui agrandissent le cœur, se laisser flotter nuitamment parmi les balises de la ville-archipel : lumières réverbérées, pulsations des leds, vintage des néons esseulés, vitrines en mode veille plein feux, présences intérieures de bord de nuit, lueurs post cathodiques et impacts de l’éclairage urbain sur les carrosseries et les humeurs, signalétique et trafic. # proposition 74 : Savoir à nouveau nous dire ce que nous avons à faire ensemble parce que nous savons encore aimer ce que nous sommes. Faire confiance au verbe éternellement et communément re-ciselé pour amener les algorithmes à faire société, par amour de ce que nous pouvons écrire ensemble. Participer par la voix et l’index et même en remontant la rue, du jouissif télescopage des conversations qui, sans cesse, déséquilibrent d’un mot l’ordre en place l’instant précédent. # proposition 83 : So much to answer for… D’un clic, glisser en temps réel jusqu’à St Ann’s Square et, la gorge plus serrée encore de décennies d’intimes Brotherhood, partager le « Don’t Look Back in Anger » spontanément entonné à l’issue de la minute de silence pour les victimes de l’attentat de l’avant-veille, par une voix nue de Manchester, avant d’être repris par la foule comme évidente réponse commune à l’explosion de sentiments qui a suivi la déflagration.
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