Féminines | Or Norme #27

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AVEC NEXITY, VOUS AVEZ LE CHOIX !

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EDITO

DE LA BOÎTE DE PANDORE À L’ÉCRITURE INCLUSIVE...

Dans la mythologie grecque, Pandore, créée sur ordre de Zeus pour se venger des hommes pour le vol du feu par Prométhée, est la première femme… ornée de tous les dons, sa vocation est d’apporter le malheur sur les hommes, ce qu’elle fit en ouvrant sa boîte et en libérant ainsi tous les maux qu’elle contenait. Avec un mythe si ancien et d’une telle misogynie, on comprend mieux le long et pénible chemin que les femmes ont emprunté depuis des siècles, pour parvenir à affirmer une féminité différente, à ceux-là même qui ont créé cette femme attirante et pernicieuse, dans le but de mieux la soumettre : les hommes. Cette « libération de la femme » pour reprendre un terme très daté, a souvent eu des allures de véritable lutte, et, dans bien des lieux, encore aujourd’hui, qu’ils soient situés au sein de sociétés dites « modernes » ou sous l’influence de cultures ancestrales, le combat continue. Au sein de la société française, nous avons tristement réduit le débat sur l’égalité des sexes à des concepts aussi stupides que les quotas, ou bien encore à l’écriture inclusive, qui est d’une ineptie absconse !

Alors, sans quotas, et sans écriture inclusive, ce numéro d’Or Norme fait la part belle à beaucoup de femmes, qui ont, chacune, des choses à nous dire, des émotions à nous faire partager, et surtout à nous apprendre l’essentiel : nous apprendre à devenir des hommes dignes d’elles, simplement en les respectant et en les aimant, et en nous souvenant, puisque nous ne sommes pas à un mythe près, que le premier être créé par Dieu était à la fois masculin et féminin… Toute l’équipe d’Or Norme vous souhaite de très belles fêtes de fin d’année, et vous propose de profiter de notre dernier numéro de 2017 qui s’ouvre avec la pertinente intelligence d’Anka Wessang et se referme avec la poétique Pandore de Pauline Roeser.

Patrick Adler directeur de publication


CONTRIBUTEURS

OR NORME

VÉRONIQUE LEBLANC

ERIKA CHELLY

La plus française des journalistes belges en résidence à Strasbourg. Correspondante du quotidien « La Libre Belgique », elle est un des piliers de la rédaction de Or Norme, depuis le n° 1. Sa douceur est réelle mais trompeuse : elle adore le baroud et son métier. On l’adore aussi.

Elle hante les « backstages » parisiens (souvent) et alsaciens (parfois), elle est incollable sur l’art et les artistes contemporains. Malgré ses 35 ans, elle a tout lu de Kerouac et de la « beat generation » et elle écoute Tangerine Dream en boucle. Décalée avec son époque. Or Norme.

ÉRIC GENETET

ALAIN ANCIAN

Journaliste, il écrit aussi des livres édités par Héloïse d’Ormesson. Fan de football et de tennis, il a également touché à la radio et même à la télé. Enfin, grâce à son IPhone, vous le retrouverez aussi sur l’appli Or Norme.

Journaliste à Or Norme depuis le n° 1, il se passionne pour les sujets sociétaux et n’a pas son pareil pour nous expliquer en réunion de rédaction toutes les incidences de telle ou telle mesure sur la vie des « vrais gens ». L’honnêteté pousse à dire que les faits lui donnent rarement tort…

CHARLES NOUAR Journaliste, à Or Norme depuis le n° 1, il écrit également des pièces de théâtre et se passionne pour… la cuisine thaï. Fan de l’Ailleurs sous toutes ses formes, véritable citoyen du monde, il est capable de citer de mémoire des pans entiers de textes d’écrivains lointains.

BENJAMIN THOMAS Ce journaliste est d’une polyvalence rare tant sa curiosité personnelle et professionnelle est insatiable. Sport, culture, cinéma, opéra, théâtre, mais aussi pêche à la ligne, rando dans les Vosges, vététiste, acteur de théâtre amateur. Où s’arrêtera-t-il ?



ALBAN HEFTI

VINCENT MULLER

Ch’timi de naissance et alsacien d’adoption, ce jeune photographe est arrivé à Strasbourg il y a sept ans, sans la moindre ligne sur son carnet d’adresses mais avec une volonté de fer. La photo de presse et de reportage est sa passion, son œil est innovant et très créatif.

C’est avant tout l’un des plus réputés des photographes portraitistes en Alsace. Ses clichés des écrivains des Bibliothèques idéales ont fait le tour des réseaux sociaux. Il n’a pas son pareil pour, très rapidement, créer une ambiance particulière qu’on retrouvera sur les visages qu’il capture.

RÉGIS PIETRONAVE

JEAN-LUC FOURNIER

Son nom sonne comme celui d’un bandit corse mais il n’a jamais vécu sur l’Île de Beauté. Il est le responsable commercial de Or Norme, c’est dire si notre revue qui ne vit que grâce à ses annonceurs compte sur lui. Il a la pression mais son large sourire ne le quitte jamais.

ORNORME STRASBOURG ORNORMEDIAS 6 Rue Théophile Schuler 67000 Strasbourg CONTACT contact@ornorme.fr DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Patrick Adler patrick@adler.fr DIRECTEUR DE LA RÉDACTION Jean-Luc Fournier jlf@ornorme.fr

Directeur de la rédaction, il a créé Or Norme en 2010 avec une forte conviction : la presse gratuite n’a aucune raison de se cantonner à quelques vagues articles publi-rédactionnels au milieu de nombreuses pubs. Pari réussi : Or Norme est reconnu comme un magazine de journalistes.

RÉDACTION redaction@ornorme.fr Alain Ancian Erika Chelly Jean-Luc Fournier Éric Genetet Véronique Leblanc Charles Nouar Benjamin Thomas Nathalie Bach PHOTOGRAPHES Alban Hefti Vincent Muller Nicolas Roses Sophie Dupressoir

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JULIEN SCHLEIFFER Graphiste, animateur, généraliste 3D et développeur web, notre illustrateur Julien Schleiffer est aussi un spécialiste en image animée. Il développe également ses talents en écriture filmique. Outre son travail qu’il exerce en indépendant, il enseigne également à l’Université de Strasbourg.

PATRICK ADLER Directeur de la publication de Or Norme, il est aussi le co-fondateur de Aedaen Place et de Aedaen Gallery, deux lieux qui sont vite devenus le QG de la rédaction. Décidé à travailler « dans le plaisir permanent », il adore également écrire et la rédaction a accueilli bien volontiers sa belle plume.

ILLUSTRATEUR Julien Schleiffer

DISTRIBUTION Impact Media Pub

CONCEPT & CRÉATION GRAPHIQUE Izhak Agency

TIRAGES 15 000 exemplaires

CORRECTION Lisa Haller PUBLICITÉ Régis Pietronave 06 32 23 35 81 publicite@ornorme.fr IMPRESSION Gyss imprimeur

Tous déposés dans les lieux de passage de l’agglomération. Liste des points de dépôt sur demande. Dépôt légal : Décembre 2017. ISSN 2272-9461 Photo de couverture : Vincent Muller


03 88 24 88 24 | www.tns.fr | #tns1718

Je suis Fassbinder Texte Falk Richter Mise en scène Stanislas Nordey, Falk Richter

© Jean-Louis Fernandez

18 | 22 déc 2017


LE GRAND ENTRETIEN 12 ANKA WESSANG ‘‘Je suis comme un oiseau sur la branche…’’ OR SUJET 18 HÉLÈNE DE BEAUVOIR ‘‘Dites, mon œuvre, vous croyez qu’elle va rester ?’’

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38

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CLAUDINE MONTEIL ‘‘Simone et Hélène sont avec moi encore, chaque jour…’’

30

PAUL KLEE À LA FONDATION BEYELER ‘‘La couleur me possède. Je suis peintre !’’

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LE MOMA À LA FONDATION LOUIS VUITTON Ici, c’est New York !

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GAUGUIN AU GRAND-PALAIS Le terroriste de la réalité

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ST-ART 2017 Une édition qui a gagné en exigence

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CATHERINE JAVALOYÈS ‘‘Faire bouger les lignes’’

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DEUX ALSACIENS En pays cathare

52

SAMAËL STEINER Poème bleu

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ALAIN MOUSSAY La première classe, la vraie

62

MARIE VIALLE Label épopée de Bloody Mary

64

AUDREY BONNET Les mots du silence

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PHILIPPE GEISS Un saxophone dans l’espace

18

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SOMMAIRE

ORNORME N°27 FÉMININ∙E∙S

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OR CADRE 68 LES PRIX LITTÉRAIRES CHEZ DROUANT Un moment de douce folie strasbourgeoise ! 72

RUE89 STRASBOURG Le dur pari de l’indépendance

76

YANNICK LEFRANÇOIS Destin de presse

OR PISTE 80 FRANÇOISE PFERSDORFF Violée à 5 ans 82

DES DIACONESSES AUX HARAS L’histoire d’une renaissance exemplaire

86 #LEFUTUR ‘‘Ce qui est le plus marrant, c’est de rigoler’’ 88 82

92 RUSSIE Cent ans après 96

LE PIÉTON DE STRASBOURG

98

L’ALSACE EN HÉRITAGE ‘‘Des lieux aimés’’

102

MÉLANIE VIALANEIX Bilinguisme au clair de la lune

106

JEAN TEULÉ Alors on danse…

108

L’AVENIR DE FIP STRASBOURG La mobilisation, plus que jamais…

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LES ÉVENEMENTS OR NORME

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VU D’ICI

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SOMMAIRE

ORNORME N°27 FÉMININ∙E∙S

72

JEAN-PIERRE HORNECKER Le magicien du Neuhof

118 PORTFOLIO Simon Woolf 98

122

NOTEZ DÉJÀ

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OR CHAMP Pandore par Pauline Roeser



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OR NORME N°27 Féminin∙e∙s LE GRAND ENTRETIEN

Photos : Vincent Muller

Texte : Jean-Luc Fournier


GRAND ENTRETIEN

ANKA WESSANG

‘‘Je suis comme un oiseau sur la branche…’’ Déjà dix-sept ans que cette jeune quarantenaire a été recrutée par Michèle Bur, la regrettée présidente de cette institution qu’est le Club de la presse de Strasbourg. Du haut de son observatoire de la place Kléber, Anka Wessang est sans doute une des Strasbourgeoises qui vit au plus près les événements de la capitale alsacienne et qui excelle à décoder les plus subtiles des pulsations urbaines de Strasbourg… Pour être franc, il a fallu déployer tout un arsenal de persuasion pour convaincre Anka Wessang d’être la personnalité à qui le grand entretien de ce numéro de Or Norme serait consacré, car cette jeune femme cultive volontiers, et depuis toujours, une discrétion et une humilité non feintes, des qualités somme toute assez rares dans un who’s who strasbourgeois où les égos surdimensionnés ne manquent pas. Alors, on s’est accroché malgré les refus polis et courtois, on a insisté et Anka a fini par être d’accord. Et on n’a pas regretté notre opiniâtreté… Or Norme. Vous êtes devenue directrice du Club de la Presse au moment où ce siècle débutait. Vous vous souvenez bien sûr des conditions de votre arrivée…

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Oui… Ces dix-sept années ont passé très vite, d’ailleurs. C’est un journaliste qui, à l’époque, m’avait indiqué que le Club de la presse cherchait à recruter un directeur ou une directrice. J’avais alors vingt-trois ans et derrière moi des études en communication puis en histoire de l’art et j’avais déjà quelques stages à mon actif, à Arte et au Forum du cinéma européen, car j’ai souhaité très vite pouvoir travailler. Je ne me rendais sans doute pas bien compte à l’époque que ces stages ont en fait également servi à m’insérer dans les réseaux strasbourgeois sur lesquels je m’appuie d’ailleurs encore aujourd’hui. J’ai su un peu après mes débuts au Club que j’avais été la plus jeune des postulantes. Peut-être ma fraîcheur m’a-t-elle servi… J’espère l’avoir conservée, depuis (rires). En fait, je me sens encore aujourd’hui comme à mes débuts, je suis comme un oiseau sur la branche…

Or Norme. Gérer au quotidien un Club aussi important était un vrai défi pour vous ? C’en était un, en effet. Plusieurs centaines de journalistes, des communicants, des associations et un objectif fixé par la présidente de l’époque : gérer ce club sans un euro d’argent public. Je me sentais capable de prendre ce risque et cette responsabilité. Aujourd’hui, le Club de la presse compte 820 adhérents, dont 250 membres de la presse et des médias. Les adhésions représentent 90 % de notre budget, leur montant dépasse les 100 000 € annuels. Je ne suis évidemment pas seule pour gérer toutes les activités que le Club génère. Depuis dix ans, je travaille en très grande complicité et complémentarité avec Valérie Muller et nous bénéficions de trois stagiaires chaque année. Leur profil Sciences Po et leur polyvalence nous sont précieux. Le Club a bien sûr grandi depuis 2000, cela nous a donné plus de moyens : nous bénéficions aujourd’hui de nombreux partenariats avec des entreprises, ce qui nous permet d’être très actifs et surtout, plus visibles depuis notre déménagement dans nos locaux actuels de la place Kléber. Ce point a été essentiel : quelquefois, j’évoque nos locaux comme un mirador sur la vie de la ville… C’est ce qu’avait voulu Vladimir Vasak, un ex-président, journaliste à Arte et son action a été déterminante. Cette relation avec le président est aussi un point important de ma fonction, comme aujourd’hui avec Christian Bach qui, durant ces premiers mois de présidence, a été très à l’écoute et même enthousiaste quant à beaucoup d’événements.


Or Norme. Comment définiriez-vous la philosophie du Club ?

Photos :

Vincent Muller Jean-Luc Fournier

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OR NORME N°27 Féminin∙e∙s

LE GRAND ENTRETIEN

Texte :

C’est un mélange assez fin d’opportunisme et de relations construites sur la durée. Il faut en permanence saisir ce qui est dans l’air du temps, ce qui intéresse les membres, de façon à pouvoir créer des événements sur ces thématiques-là. Ça nécessite une veille permanente et c’est évidemment passionnant. Ça se traduit par un calendrier qui est mensuel, mais très souvent, on est capable de monter un événement en quelques jours, si l’occasion est là. Tout cela est bien facilité par notre antériorité : nous sommes en contact avec beaucoup de monde, y compris dans l’institutionnel. En fait, on s’entend bien avec tout le monde, c’est une grande satisfaction à mes yeux, cela permet souvent de mutualiser plutôt que de multiplier les rendez-vous. Tout ce qui remonte vers le Club profite intégralement à ses adhérents. Et quand le Club veut organiser un rendez-vous, que ce soit avec les institutions européennes, la Ville, l’Eurométropole, le Département ou la Région, tout se règle rapidement et efficacement : je pense que notre réputation de sérieux n’y est pas pour rien. Or Norme. Revenons sur ce que vous appelez joliment le mirador sur la vie de la ville. Nous avons quand même la chance de vivre et travailler à Strasbourg, qui est une ville qui possède une appétence particulière pour la vie intellectuelle, une ville qui est un champ d’expression des idées, le genre d’endroit qu’on rencontre au final assez rarement dans notre pays… C’est certain. Nous sommes très bien placés pour prendre le pouls de la ville. Et c’est tout à fait vrai qu’il y a ici énormément d’occasions de rencontres. Il y a vingt ans, nous organisions un déjeuner hebdomadaire et, par ailleurs, il y avait un ou deux déjeuners par semaine organisés par d’autres entités. Aujourd’hui, c’est l’inflation : il y a pléthore de rendezvous. Même si la profusion n’est pas toujours synonyme de qualité, je trouve que c’est néanmoins très stimulant : toutes ces choses qui s’organisent nécessitent d’être très créatif, ça demande de se renouveler et ça oblige souvent à mobiliser le meilleur de soi-même pour être à la hauteur... Je pense que ça provient de cette force de la culture à Strasbourg. On nous l’envie, je le vois bien quand je discute avec mes homologues des autres Clubs de la presse, comme celui de Reims par exemple. Et puis, à notre image est associée celle de l’Europe, nous avons les pieds en Alsace et la tête en Europe, comme je dis souvent. C’est un avantage énorme, ça autorise un champ des possibles considérable, de l’ultra-local à la dimension continentale et c’est fabuleux. Il faut ajouter à ça l’influence allemande, qui est très importante, car elle a longtemps fait de l’Alsace une région qui se portait merveilleusement bien, économiquement parlant. Ça allait plutôt bien, le chômage était moins important que dans d’autres régions, l’Alsace était donc beaucoup plus dynamique… C’est un climat général qui

a favorisé chez les gens l’envie de créer pas mal de choses. À Strasbourg, il y énormément d’acteurs qui, tous, ont envie d’exister, de produire. D’ailleurs, le budget Culture de la Ville de Strasbourg est un des plus importants de France. Tout cela fabrique un beau cocktail dynamisant, au final… S’il y a tant d’événements ici, c’est aussi parce que les intervenants nous rendent visite volontiers. Nous avons la réputation de très bien accueillir, la convivialité et la chaleur alsaciennes sont bien réelles et ça se sait. Enfin, ce qui fait l’appétence de Strasbourg pour les débats et la production d’idées proviennent aussi du fait qu’il y a beaucoup de communautés qui sont très bien représentées localement et qui se mobilisent bien pour répondre aux rendez-vous proposés.

« ‘Au Club de la presse, il y a une vingtaine de nationalités différentes qui sont représentées. Ça me rend très fière parce que le débat s’en trouve enrichi d’autant. »’ Notre vie sociétale est très bien structurée et elle est un élément qui favorise incontestablement le succès des manifestations. Moi, j’adore le cosmopolitisme de ma ville, quand je me promène dans les rues, dans les transports en commun… C’est une très grande richesse pour Strasbourg. Au Club de la presse, il y a une vingtaine de nationalités différentes qui sont représentées. Ça me rend très fière parce que le débat s’en trouve enrichi d’autant. C’est une chance d’avoir tant de journalistes qui viennent d’autres pays : ils ont une autre vision, une autre culture, ils en parlent et ça nous empêche finalement de tourner en rond. On quitte vite les problématiques alsaco-alsaciennes et même franco-françaises, on regarde tout ce qui se passe avec d’autres prismes, c’est très enrichissant. De la même façon, on a longtemps senti les institutions européennes comme un peu à l’écart de la ville : c’est en train de changer, là aussi, grâce à pas mal de gens qui sont là depuis maintenant suffisamment longtemps pour avoir envie de proposer eux aussi des événements, des rencontres… Or Norme. D’aucuns continuent néanmoins à reprocher à Strasbourg son manque d’audace, son conformisme. C’est le cas ? Sincèrement, je ne trouve pas. Je vois toute cette génération de jeunes gens qui font des choses extrêmement intéressantes et qui sont d’une richesse incroyable. Bien sûr, ils sont beaucoup présents sur les réseaux sociaux, il suffit juste de regarder ce qui s’y passe vraiment. Évidemment, il faut leur laisser la place à ces jeunes, car il y a quand même pas mal de gens qui se cramponnent à leur place et ne bougent pas de leur position, ça ne favorise pas la possibilité de donner de la visibilité à toute cette jeunesse qui est néanmoins là, et bien là… Ils ont tout à nous apprendre si on leur laisse la place.


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‘‘Personnellement, je connais beaucoup de personnes pour qui l’information n’est pas une priorité et qui ne s’informent carrément plus via les médias traditionnels. [...] Les journaux papier, les télés, les radios, tout cela ne les concerne pas.’’

Photos :

Vincent Muller Jean-Luc Fournier

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OR NORME N°27 Féminin∙e∙s

LE GRAND ENTRETIEN

Texte :

Or Norme. Quelle est votre vision de l’évolution du métier de journaliste, vous qui côtoyez cette profession au quotidien ? Au Club de la presse, on a des journalistes qui ont envie de bien faire leur métier et qui sont des passionnés. Après, il y a un problème français et qu’on retrouve partout en région, c’est celui de l’indépendance des médias vis-à-vis du pouvoir économique. C’est toujours très compliqué et donc, le souci est celui de l’autocensure. Il y a peu d’exemples de médias qui cherchent vraiment à faire de l’investigation. À Strasbourg, il y a Pierre France qui essaie avec son site Rue89 et c’est tout à fait louable. Je pense même, en ce qui me concerne, que le journalisme d’investigation est le journalisme d’avenir. Ces consortiums de journalistes qui sont détachés de leurs médias d’origine et qui se mettent en réseau pour produire des enquêtes style Panama Papers, ont un bel avenir devant eux. Or Norme. L’avenir de la presse quotidienne régionale est préoccupant. Le nombre d’exemplaires vendus chaque jour ne cesse de chuter… Effectivement, la PQR est restée sur un vieux modèle, avec des coûts de production et de fonctionnement qui sont absolument démentiels. Son avenir passe par la transition numérique, c’est évident, même si, à mon sens, le modèle papier doit subsister. Elle doit aussi renouveler son potentiel de lecteurs. Il y a aux DNA, à Strasbourg, de jeunes journalistes qui donnent du sang neuf à la rédaction en étant très présents sur internet et qui écrivent des papiers dans l’air du temps. Mais il y aura une mutation économique, il y aura pas mal de casse, ce sera douloureux. Or Norme. Le problème ne viendrait-il pas aussi du fait que les lecteurs d’aujourd’hui, particulièrement ceux qui n’ont pas encore quarante ans, ne trouvent pas dans le journal régional les contenus qui les intéressent ?

Je ne sais pas, mais je crois que la vraie question est de savoir s’ils cherchent vraiment à s’informer. Ils ont une telle défiance vis-à-vis des journalistes, une défiance très globale, ça va du présentateur télé jusqu’aux journalistes locaux. Personnellement, je connais beaucoup de personnes pour qui l’information n’est pas une priorité et qui ne s’informent carrément plus via les médias traditionnels. Et pourtant, ils vivent, ils travaillent, ils ont des enfants, mais ils se contentent des réseaux sociaux et des informations qui leur arrivent par ce biais. Les journaux papier, les télés, les radios, tout cela ne les concerne pas… Ils pensent que c’est possible de se passer de ça. Et d’ailleurs, objectivement, c’est possible et ça représente un danger majeur en termes de démocratie. Le problème n’est pas le support, mais l’information. Ceux qui la produisent ne vont pas forcément assez sur le terrain où vivent les gens qu’ils recherchent comme lecteurs. Ça vaut aussi pour la vie publique, de manière plus générale. Quand des grands débats sont organisés à Strasbourg, on va organiser des conférences, des expositions ou des avant-premières cinéma. Est-ce que l’ensemble de la population va se rendre à ces événements ? Non, en fait on ne fait très souvent que conforter des gens qui sont déjà d’accord avec nous, on ne va pas du tout sur le terrain des personnes qu’il faudrait aller convaincre, le problème est là. Pour sortir de cette espèce d’entre-soi, il faut tout faire pour quitter sa zone de confort. Au Club de la presse, nous avons créé par exemple les rendez-vous avec les prisonniers, en milieu carcéral. Quand, en septembre dernier, Jean-Claude Guillebaud, un journaliste reconnu, vient raconter sa vie et expliquer son métier à ces gens qui, eux, ne le connaissent pas, cela devient vite formidable. Car, à ce moment-là, le journalisme s’est retrouvé incarné par une personne qui racontait être passée par des lieux que ces gens connaissaient. Il faut aller là où il y a des publics qui ne sont pas acquis, c’est un enjeu majeur pour ceux dont le métier est d’informer. Or Norme. Un dernier mot. La parole des femmes s’est libérée depuis que le New Yorker a fait paraître ses informations sur le producteur Weinstein… Oui. C’est un point de départ, il faut maintenant qu’il y ait du suivi, il faut que les plaintes qui ont été déposées et qui le seront encore aboutissent, il faut l’application d’un arsenal législatif qui soit à la hauteur. Au départ, ce sont des personnalités connues qui ont initié ce mouvement, mais qu’en est-il des autres femmes, les anonymes, les femmes célibataires, celles qui vivent dans les cités ? On l’a déjà vu avec le dossier des violences faites aux femmes : elles se retrouvent souvent ensuite confrontées à elles-mêmes, quelquefois à leur bourreau. Peu de temps après avoir fait la Une du Parisien avec d’autres hommes qui soutenaient les femmes dans leur mouvement, l’un d’entre eux, un journaliste par ailleurs, a été dénoncé pour harcèlement. Ce cynisme est accablant.


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OR SUJET

Texte : Jean-Luc Fournier

Photos: Christian Kempf – Jean-Luc Fournier - Thomas Sing – Collection privée - DR

HÉLÈNE DE BEAUVOIR

‘‘Dites, mon œuvre, vous croyez qu’elle va rester ?’’ À cette question que lui posait Hélène de Beauvoir quelques jours avant sa disparition en juillet 2001 à Goxwiller, son amie Claudine Monteil répondit : « Bien sûr, Hélène ». Elle avait raison. À partir de janvier prochain, le musée Würth présentera une grande rétrospective de l’œuvre de cette artiste méconnue (du moins en France), sœur de la légendaire Simone. Mais « le talent était partout dans la famille… » comme l’a titré si joliment une monographie de cette artiste pour qui l’Alsace fut sa dernière patrie… L’exposition Hélène de Beauvoir qui est programmée du 28 janvier au 9 septembre prochains au musée Würth à Ernstein est le fruit d’une histoire peu banale où la passion de l’art tient une place centrale et que Or Norme Strasbourg vous a racontée en détail dans son numéro 15, daté de décembre 2014. Longtemps espéré à Strasbourg, jusqu’à ce que la directrice des Musées de la capitale alsacienne tranche d’un péremptoire (et bien injuste) « pas de valeur muséale », ce projet d’exposition a été repris au bond par le musée Würth d’Ernstein qui l’a soumis au comité scientifique du groupe industriel présidé par son propre PDG et fondateur, Reinhold Würth, un des plus grands collectionneurs d’art moderne et contemporain en Europe. Évidemment, outre-Rhin,

on ne s’y est pas trompé : il est vrai que la notoriété artistique d’Hélène de Beauvoir est infiniment plus développée en Allemagne (et dans de nombreux autres grandes villes d’art de par le monde) qu’en France. UNE BELLE HISTOIRE L’opiniâtreté de Margarethe et Martin Murtfeld a donc payé : ce couple de retraités allemands (lui : ex-directeur de la Banque européenne, elle : ex-galeriste réputée en Allemagne) a vécu une singulière aventure artistique après avoir acheté, sans avoir la moindre idée de qui les avait précédés dans ce lieu, la maison où vécut Hélène de Beauvoir à Goxwiller, près d’Obernai. Quand ils apprirent peu à peu l’existence d’Hélène de Beauvoir, ce fut comme un tsunami qui les submergea. Ils débutèrent leurs


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OR SUJET

Texte : Jean-Luc Fournier

Photos: Christian Kempf – Jean-Luc Fournier - Thomas Sing – Collection privée - DR

‘‘Entre les vaines contraintes de l’imitation et l’aridité de l’abstraction pure, elle a inventé son chemin.’’ recherches, contactant certaines personnes du village, se faisant confirmer tel ou tel récit, accumulant les ouvrages tant artistiques que biographiques. Au sein du couple Murtfeld, c’est Margarethe, experte en art, qui s’est investie totalement dans le recensement des œuvres d’Hélène et a littéralement « suivi à la trace » l’artiste-peintre de Goxwiller. Ses relations avec Ludwig Hammer, galeriste de Regensburg, en Bavière, qui possède l’essentiel de l’œuvre, sont devenues, au fil du temps, excellentes. « Je me sens française », avoue sans détour Margarethe. « Et ici, à Goxwiller, ce fut un retour à mes racines alsaciennes et lorraines qui remontent à cinq générations. Dès 1968, j’ai lu toutes les traductions en allemand de l’œuvre de Simone de Beauvoir. Alors, me retrouver ici, par le plus grand des hasards, dans la maison de sa sœur, retrouver dans le grenier un cartonnage et quelques affiches signées par Hélène a suffi pour que je m’engage dans ce qu’il faut bien appeler un travail de réhabilitation de son œuvre, tout en tentant de ne pas trop être aveuglée par l’aura de Simone. Au début, nous avons acheté quelquesunes des gravures d’Hélène au prix fixé par le Dépôt de Ventes aux Enchères des notaires du Bas-Rhin. C’est comme une piste que nous nous sommes attachés à suivre. Hélène a toujours eu la crainte d’être oubliée en tant qu’artiste, elle qui disait que son « vœu le plus cher était que son œuvre entre dans l’histoire de l’art ». À ce jour, aucun registre de ses œuvres n’existe, bien que les gravures et les tableaux d’Hélène soient connus en Allemagne, et un peu partout en Europe. Nous savons que beaucoup de gens ont connu et fréquenté Hélène à Strasbourg, durant les quatre décennies où elle a habité ici à Goxwiller. Martin et moi sommes fascinés par ce monde que nous côtoyons ici, dans nos murs. Quand on songe à Sartre, Simone et tous ces intellectuels d’une époque extraordinaire qui se retrouvaient régulièrement ici… Je me sens en totale empathie avec Hélène de Beauvoir qui avait dit un jour : « Les écrivains exploitent leur propre vie, c’est cela la littérature. Nous, les peintres, nous sommes plus discrets… » Alors oui,

Martin et moi nous avons ressenti comme une véritable obligation morale de promouvoir l’œuvre et le souvenir d’Hélène. Pour qu’on ne l’oublie pas… ». Loin de se laisser abattre par la réponse négative de Strasbourg pour accueillir une exposition consacrée à Hélène de Beauvoir, Margarethe et Martin Murtfeld ont renoué le contact avec Marie-France Bertrand, la directrice du Musée Würth. « L’enthousiasme de Margarethe, c’est quelque chose ! » confirme volontiers cette dernière qui ajoute avoir découvert les œuvres d’Hélène par l’intermédiaire du couple Murtfeld. UNE VIE Hélène Paye, une célèbre critique d’art, a dit d’Hélène de Beauvoir : « Le talent est sans doute inné chez ces deux sœurs. Hélène peint aussi bien que sa sœur écrit… » Le premier qui se rendit compte du talent d’Hélène fut un certain… Picasso. Dès le vernissage de sa première exposition, en 1936, il déclara : « Votre peinture est originale ! ». Inutile de commenter l’influence ultérieure de ce précieux viatique. D’autres mots, de Jean-Paul Sartre en personne (pourtant réputé très avare de compliments), furent eux aussi évocateurs, un peu plus tard : « Entre les vaines contraintes de l’imitation et l’aridité de l’abstraction pure, elle a inventé son chemin. […] De même que dans un poème les mots ne servent, chez Hélène de Beauvoir les couleurs et les formes sont l’envers d’une absence : celle du monde qu’elle fait exister en ne le représentant pas. » Très vite liée avec un ancien élève de Sartre, Lionel de Roulet, qui deviendra son mari, Hélène de Beauvoir passe les cinq années de la Seconde Guerre mondiale au Portugal, première étape de la carrière de son époux, diplomate, avant, après-guerre, l’Autriche, la Yougoslavie, le Maroc, l’Italie… Pendant qu’à Saint-Germain-des-Prés, autour des terrasses du Flore ou des Deux Magots, le couple


Sartre-de Beauvoir magnétise le tout-Paris (et écrit ainsi le début de sa légende), Hélène de Beauvoir peint ou grave au burin de superbes œuvres. Près de 3 000 seront ainsi peu à peu réalisées et exposées, à Paris, mais aussi Lisbonne, Milan, Vienne, Berlin, Venise, Mexico, Rome, Boston, New York, Kyoto, entre autres… Nommé au Conseil de l’Europe à Strasbourg, Lionel de Roulet découvre l’Alsace et le couple finit par emménager à Goxwiller. Bientôt, la maison deviendra comme une annexe de Saint-Germain-des-Prés et verra défiler la plupart de celles et ceux qui, autour de Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre, constituaient alors l’un des foyers intellectuels les plus célèbres au monde. C’est d’ailleurs là que vint se réfugier Jean-Paul Sartre, harcelé par les journalistes du monde entier après avoir refusé le Prix Nobel de littérature en 1964… UNE ŒUVRE AUDACIEUSE

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C’est dans son atelier de Goxwiller qu’Hélène de Beauvoir a réalisé l’essentiel de son œuvre. Les gravures d’abord. Experte du burin, Hélène en réalisa beaucoup et toutes dégagent une intensité remarquable. Seize d’entre elles illustrèrent même un livre de sa sœur Simone, « La femme rompue ». C’est à Strasbourg qu’Hélène et Lionel de Roulet vécurent Mai 1968. Les événements d’alors

marquèrent une rupture nette dans la peinture de l’artiste. Plus que jamais, Hélène de Beauvoir assuma sa rébellion (son exposition Joli mois de mai mainte fois déprogrammée à Paris, finit par être accrochée aux cimaises provisoires du Moulin Rouge en présence de Jacques Prévert). Un autre thème, directement issu du bouleversement de 68, révéla aussi une vérité quelque peu dérangeante pour… Simone. Des deux sœurs de Beauvoir, c’est à l’évidence Hélène qui se révéla le plus en pointe sur la question du féminisme. Dans son livre Souvenirs devenu aujourd’hui introuvable, Hélène écrit : « Féministe, je le fus bien avant Simone. (…) Elle a reconnu qu’avant d’écrire « Le deuxième sexe », elle ne s’était pas posé la question. Elle n’avait jamais souffert de sa condition de femme… » À Strasbourg, loin de la capitale, sans aucune aura médiatique (au contraire de Simone qui « surfait » sur les années MLF entourée de nuées de journalistes), Hélène n’eut de cesse de manifester en faveur de la condition des femmes, avec des actions très concrètes à la clé : « En 1975, j’ai pris réellement conscience de ce que pouvait être le sort des femmes entre les mains des hommes. C’est l’année où, à Strasbourg, quatre femmes furent tuées par leur mari, une jetée par la fenêtre, trois autres mortes sous les coups ». Très tôt militante active de l’association SOS Femmes Alternatives, Hélène fut le pilier


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Texte : Jean-Luc Fournier

Photos: Christian Kempf – Jean-Luc Fournier - Thomas Sing – Collection privée - DR

‘‘Hélène a beaucoup exposé en galeries, il y a très peu de catalogues d’expositions classiques qui nous auraient permis de mieux comprendre le cheminement de cette artiste méconnue en France.’’

de la création d’un centre pour femmes battues, devenant présidente de la Fondation Centre Flora Tristan. Oui, ce Centre qui aujourd’hui encore, en 2017, dispose de 14 appartements (39 places) à Strasbourg et dans l’Eurométropole et accueille et réinsère les femmes victimes de violences conjugales a été fondé et soutenu par Hélène de Beauvoir qui, au militantisme actif en faveur de la condition féminine, ajouta les actes… Ses toiles ne furent pas en reste : « Nombreux sont ceux qui n’aiment pas la peinture engagée » écrit Hélène « Pourquoi ne le serait-elle pas ? Le peintre est un témoin de son temps, au même titre que tous les autres créateurs, écrivains, compositeurs, dramaturges… » D’autres toiles de la même époque renforcent encore l’engagement total de l’artiste, notamment sur les thèmes de l’écologie et du nucléaire qui ne faisaient qu’émerger au début des années 70, mais qu’Hélène de Beauvoir avait sans aucun doute possible perçus comme une donnée essentielle de la fin du XXe siècle. C’était il y a quarante ans… Les deux sœurs restèrent unies jusqu’au bout. Hélène soutint formidablement sa sœur lors de la disparition de Jean-Paul Sartre, en avril 1980. Six ans presque jour pour jour après Sartre, Simone de Beauvoir quitta ce monde. Et, quatre ans plus tard, Hélène de Beauvoir fut de nouveau confrontée à d’immenses chagrins : la mort de son mari Lionel de Roulet, puis la publication de nombreuses lettres intimes de Simone, certaines faisant apparaître le peu d’estime artistique dans laquelle sa sœur la tenait, ce qui provoqua chez elle un traumatisme violent et insupportable. À 80 ans, ce choc fut quasi insoutenable et ses plus proches amies, dont Claudine Monteil, l’auteur du livre « Les sœurs Beauvoir », ne parvinrent pas à lui faire mesurer le fait que ces lettres avaient été sans doute écrites sous le coup d’un agacement passager, dont le Castor était coutumier.

Margarethe et Martin Murtfeld

Hélène passa ses dernières années seule dans sa belle maison de Goxwiller, peignant avec l’énergie du désespoir. Elle exposa encore, à Bruxelles, notamment, mais le déclin rapide de son état de santé (le diagnostic d’un souffle au cœur puis une opération cardiaque) l’affaiblit encore plus. Elle eut l’immense joie d’apprendre que ses tableaux peints au Portugal durant la Seconde Guerre mondiale, étaient pressentis pour être réunis dans une salle de l’Université d’Aveiro. Elle s’y rendit, ce fut son dernier grand voyage. Puis, de retour en Alsace, elle fut vraisemblablement victime d’une bande sans scrupule qui dilapida ses économies et finit par être mise sous curatelle. Elle légua cependant une vingtaine de ses œuvres à la Mairie de Goxwiller. Hospitalisée à Obernai, Hélène de Beauvoir rendit son dernier souffle le 1er juillet 2001, à l’âge de 90 ans. Dans l’une de ses dernières conversations, une de ses ultimes questions fut pour Claudine Monteil, qui l’avait accompagnée jusqu’au bout : « Dites-moi, mon œuvre, vous croyez qu’elle va rester ? » « Bien sûr, Hélène ! » s’entendit-elle répondre. L’EXPOSITION « Ce sera la première grande rétrospective de l’œuvre d’Hélène de Beauvoir depuis son décès, en 2001 » annonce Marie-France Bertrand. « Elle couvrira toutes les périodes de l’artiste, depuis ses premières gravures sur bois vers 1920 jusqu’à ses ultimes toiles autour de ses thématiques de prédilection, la cause des femmes, l’environnement et les questions sociales et les événements de mai 1968 avec les œuvres de son expo parisienne Joli mois de mai. Bien entendu, ses superbes gravures seront présentées ainsi que tout ce qui tourne autour de sa mythologie personnelle : les chevaux, les tigres… »


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« Les femmes souffrent, les hommes jugent », Hélène de Beauvoir

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Photos: Christian Kempf – Jean-Luc Fournier - Thomas Sing – Collection privée - DR


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Photos: Christian Kempf – Jean-Luc Fournier - Thomas Sing – Collection privée - DR Texte : Jean-Luc Fournier OR SUJET OR NORME N°27 Féminin∙e∙s

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La directrice du musée Würth avoue ne pas avoir pu s’appuyer sur les habituels documents accompagnant les expositions des œuvres des artistes : « Hélène a beaucoup exposé en galeries, il y a très peu de catalogues d’expositions classiques qui nous auraient permis de mieux comprendre le cheminement de cette artiste méconnue en France. »

Marie-France Bertrand, directrice du Musée Würth

‘‘J’ai vraiment découvert une femme avec un sacré caractère, très loin des schémas traditionnels de son époque et qui, à grands coups d’actes forts, a tout fait pour sortir du conformisme bourgeois que ses origines lui prédisaient.’’

C’est donc toute une alliance de bonnes volontés, rameutée en large partie par l’infatigable Margarethe Murtfeld, qui aura permis de bâtir ce projet : Karin Sagner, l’auteure allemande d’une superbe monographie consacrée à Hélène de Beauvoir, a accepté de co-réaliser l’exposition avec les équipes artistiques de Würth en collaboration plus qu’étroite avec la galerie bavaroise Hammer, beaucoup d’informations ont été communiquées par la Maison des ventes d’Entzheim, le Cercle des amis d’Hélène de Beauvoir, le fils de l’artiste, Sandro, et beaucoup d’Alsaciens qui ont connu Hélène depuis son installation dans la région. Sur cet étonnant « déficit de reconnaissance » d’Hélène de Beauvoir en France, son propre pays, MarieFrance Bertrand est persuadée que « son brusque éloignement de Paris, en 1960, quand son mari est nommé au Conseil de l’Europe à Strasbourg et que le couple décide de s’installer en Alsace, a beaucoup joué. Si elle était restée à Paris, sans doute en eut-il été autrement… ». « En tout cas, ajoute-t-elle avec conviction, une telle préparation d’exposition, c’est comme un oignon qu’on pèle, ça n’arrête jamais : le plus on découvre de choses, le plus d’autres apparaissent. J’ai vraiment découvert une femme avec un sacré caractère, très loin des schémas traditionnels de son époque et qui, à grands coups d’actes forts, a tout fait pour sortir du conformisme bourgeois que ses origines lui prédisaient. Son engagement pour les diverses causes qu’elle a soutenues a toujours été total et il se lit parfaitement dans ses œuvres. Pour le 10e anniversaire du Musée, on ne pouvait espérer mieux que faire découvrir cette artiste et son œuvre au public français » conclut-elle.


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Photos: Christian Kempf – Jean-Luc Fournier - Thomas Sing – Collection privée - DR Texte : Jean-Luc Fournier OR SUJET

‘‘Simone et Hélène sont avec moi encore, chaque jour…’’

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L’auteure des Sœurs Beauvoir, ouvrage de référence s’il en est, fut une militante féministe de la première heure aux côtés de Simone de Beauvoir et fut jusqu’à son dernier souffle aux côtés d’Hélène. Cinquante ans après les grandes luttes de 1968 et des années qui suivirent, elle se souvient… Or Norme. Comment Simone de Beauvoir est-elle entrée dans votre vie ?

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CLAUDINE MONTEIL

J’ai été une militante de la première heure en 1968. Mais à peine un an plus tard, je me suis éloignée des mouvements gauchistes à cause du machisme qu’ils

manifestaient. Je me suis intégrée à un groupe de femmes ouvrières. À cette époque, Simone de Beauvoir réunissait ses amies féministes autour du thé, le dimanche aprèsmidi. Il y avait là des femmes comme Delphine Seyrig ou encore Gisèle Halimi. Simone m’a contactée pour que je rejoigne ce groupe et nous avons mené toutes les luttes féministes ensemble : le Manifeste des 343, pour la reconnaissance du droit à l’avortement, dont le texte a été écrit par Simone de Beauvoir, fut l’un des plus célèbres épisodes de ces luttes. Il est paru en 1971 dans les colonnes du Nouvel Observateur. Il en a fallu des années de lutte pour que Simone Veil puisse faire passer sa loi trois années plus tard… Or Norme. Et comment avez-vous connu sa sœur Hélène ? Simone ne parlait jamais de sa sœur, jamais. Nous toutes, nous avions surnommé cette sœur invisible Totem et


‘‘J’ai été une militante de la première heure en 1968. ’’

que sa sœur, qu’elle appelait Poupette, devait être moins intelligente et incapable de réaliser une grande œuvre. Elle avait ce défaut de prétendre être la seule grande créatrice de la famille… Or Norme. Pensez-vous qu’Hélène aurait pu bénéficier d’une plus grande reconnaissance artistique si elle était restée à Paris au lieu de suivre son mari Lionel, muté à Strasbourg, et s’installer définitivement à la maison de Goxwiller ?

Hélène de Bauvoir, Sans titre, 1956

Tabou (rires). Puis, en 1975, au moment de la création du Centre Flora Tristan pour femmes battues à Strasbourg, Simone m’a demandé si j’acceptais de rencontrer sa sœur. Ce fut bien sûr un oui enthousiaste. Avec Hélène, nous avons connu toutes deux un véritable coup de foudre en amitié. Nous nous sommes immédiatement beaucoup parlé et un jour, quand je rentrais d’Alsace en compagnie de Simone, je lui ai dit que finalement, Hélène avait été féministe avant elle. Elle a eu une brutale réaction, elle a froncé les sourcils et elle s’est écriée : « C’est quand même un comble ! » Or Norme. La manifestation d’une vraie jalousie…

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Oui, absolument. Simone était très jalouse de sa sœur. Cela venait de loin, à mon avis : Simone était depuis toujours la grande sœur protectrice d’une petite Hélène qui avait beaucoup souffert depuis toujours de l’attitude de ses parents qui considérait Simone, à cause de son caractère, comme le « garçon de la famille » en quelque sorte. Elle avait d’autres raisons d’être jalouse : elle enviait les talents de dessinatrice et de peintre d’Hélène et elle jalousait aussi formidablement le beau couple qu’Hélène formait avec son mari, Lionel de Roulet. Elle enviait la stabilité affective d’Hélène et Lionel, elle qui avait une vie sentimentale très.. encombrée, disons. Simone était habituée à être dans la lumière et considérait

J’en suis certaine. Le milieu parisien est impitoyable et ça aurait été beaucoup plus facile pour elle, notamment en bénéficiant de ses amitiés dans le mouvement féministe. Hélène a peint une vingtaine de tableaux sur le mouvement de mai 68, ce sont largement les œuvres les plus représentatives de cette époque. Puis, à l’époque du MLF, elle a peint sur l’environnement, la pollution, le changement climatique, la défense des animaux… J’ai même servi de modèle dans un de ses tableaux les plus revendicatifs : « Les femmes souffrent, les hommes jugent ». Ça nous ramène à l’expo de janvier prochain au musée Würth : c’est formidable de lui rendre hommage de cette manière… Or Norme. Vous avez accompagné Hélène jusqu’à son dernier souffle, en 2001… Oui, absolument. Elle a connu une fin de vie épouvantable, entre sa maladie qui l’affaiblissait et ce groupe de jeunes gens qui l’ont véritablement spoliée, qui lui ont dérobé au moins 80 tableaux au prétexte de monter une exposition et vidé son compte en banque. Ce fut pour elle une bien triste fin… Or Norme. J’imagine que vous n’oublierez jamais ces pans de vie que vous avez passés en compagnie des deux sœurs Beauvoir… Ces souvenirs m’habitent chaque jour qui passe. J’ai fait une carrière diplomatique durant 36 ans, j’ai vécu sur trois continents différents durant la guerre froide. Simone de Beauvoir m’a tellement aidé à regarder le monde. Alors, encore aujourd’hui, je la sens qui est derrière mon épaule droite en train de m’aider à l’affronter. Elle est encore là aujourd’hui avec moi, elle n’a pas cessé de m’accompagner. C’est aussi le cas pour Hélène, tout comme ma propre mère qui s’est aussi extraordinairement battue pour les droits des femmes. J’avais deux générations d’écart avec Simone et Hélène : alors, ce sont mes grand-mères spirituelles…


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Texte : Alain Ancian

Photos : Fondation Beyeler / Robert Bayer / Peter Schibli

PAUL KLEE À LA FONDATION BEYELER ‘‘La couleur me possède. Je suis peintre !’’ Une fois de plus, Sam Keller, le directeur de la Fondation Beyeler et ses équipes présentent un nouveau bijou d’exposition avec une rétrospective d’une centaine d’œuvres abstraites du peintre suisse Paul Klee qui, durant toute sa vie, fit tout pour être inclassable… Vous avez jusqu’au 21 janvier prochain pour découvrir ce qui avait été très peu montré en aussi grand nombre (voire jamais) auparavant : les œuvres abstraites du prolifique Paul Klee (1879-1940), réunies grâce aux prêts d’une foule d’institutions et collections internationales, publiques ou privées, comme seule en Europe la Fondation Beyeler parvient à le faire aussi régulièrement. LE VOYAGE EN ABSTRACTION Cette facette du talent de Klee est assez méconnue pour une peut-être toute simple raison : aucune exposition n’a jamais été consacrée à son rapport avec l’abstraction. On connaît bien Paul Klee et sa détermination constante et pérenne de ne jamais se cantonner là où on l’attendait le plus. Ses près de 10 000 œuvres recensées en témoignent, il est inclassable : pas plus fauve que cubiste, encore moins figuratif, ni abstrait, ni surréaliste, mais… souvent l’un ou l’autre et l’un et l’autre, dans une liberté des plus totale. Sam Keller parle de lui comme « d’un acrobate entre abstraction et figuration, fasciné par ce nouveau mouvement de l’abstraction tout en le regardant de façon critique et ironique ». L’exposition révèle avec force cette capacité à s’emparer des codes de l’abstraction dès le début des années 1910, quand il fit la connaissance de peintres comme Kandinsky ou Robert Delaunay au sein du collectif avant-gardiste du Blaue Reiter, déjà célébré l’an passé par une formidable exposition dans ces mêmes murs (on saluera au passage la rare cohérence poursuivie ainsi sans relâche par la Fondation Beyeler). En fréquentant ces génies, Paul Klee explore alors sans

complexe cet art abstrait dont il paraissait auparavant si éloigné, en développant une belle constance pour tout un arsenal de figures géométriques qui caractérisent ses toiles ainsi reconnaissables entre mille. S’ouvre alors une quasi-décennie où il se mesure à la couleur, tout en gardant ce minimalisme qui le caractérise depuis l’origine, cette couleur qui lui inspire cette magnifique réflexion qu’il consigne dans son journal d’un voyage en Égypte : « La couleur me possède. Je suis peintre ! » Pour autant, ce voyage en abstraction ne constitua jamais pour lui l’objectif unique à atteindre, mais une simple facette de son exploration de l’univers pictural. Les vrais amateurs de Paul Klee éprouveront sans doute le besoin d’aller encore plus avant dans la découverte de cet artiste résolument inclassable. Pour cela, il leur faudra pousser un peu plus loin que Bâle et rejoindre les environs immédiats de Berne, où s’élève le Zentrum Paul Klee qui regroupe près de 4 000 œuvres de l’artiste dont une étonnante collection de marionnettes réalisées pour son fils et, un must, la reconstitution méticuleuse de son atelier avec une foule d’outils qu’il créa de toutes pièces pour réaliser ses toiles les plus célèbres. Expo Paul Klee jusqu’au 21 janvier 2018 à la Fondation Beyeler Baselstrasse 77 au centreville de Riehen près de Bâle. (Accessible par tram à partir de la gare centrale de Bâle) www.fondationbeyeler.ch Zentrum Paul Klee: Monument im Fruchtland 3 à Berne www.zpk.org

À droite : Le vase À gauche : Signe en jaune


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Photos :

MOMA – Fondation Louis Vuitton/Marc Domage Jean-Luc Fournier

LE MOMA À LA FONDATION LOUIS VUITTON Ici, c’est New York ! Après le succès monstre (et mérité) de la collection Chtchoukine, la Fondation Louis Vuitton propose jusqu’au 5 mars prochain un époustouflant voyage outre-Atlantique avec 200 chefs-d’œuvre du MOMA, le musée d’Art moderne de New York. C’est ainsi près d’un siècle d’art qu’on nous invite à visiter et c’est un régal !

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Texte :

EXPO TGV

Septembre – Gerhard Richter


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Photos :

MOMA – Fondation Louis Vuitton/Marc Domage

Texte :

Jean-Luc Fournier

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On vient bien sûr pour Picasso (même si on sait qu’il va bien falloir se résoudre à aller à Big Apple pour admirer « Les demoiselles d’Avignon », car cette toile ne sortira sans doute plus jamais de son temple new-yorkais de la 53e Rue), on vient aussi pour Cézanne, Signac, Rothko, De Kooning, Mondrian… car le bouche-à-oreille a déjà fonctionné et on sait que le MOMA possède parmi leurs toiles les plus célèbres et qu’elles sont là. On se doute bien qu’il y aura aussi du Roy Lichtenstein, du Warhol… Et on est vite rassuré : les icônes sont toutes là. DÉCENNIE APRÈS DÉCENNIE… Profitant habilement d’une longue période de travaux à New York, la Fondation Vuitton a donc mis les petits plats dans les grands en accueillant le MOMA dans ses murs : pas moins de quatre niveaux y sont consacrés.

‘‘Admirez, profitez et mettez-vous bien dans la tête que ce n’est qu’un début…’’ D’entrée, au rez-de-bassin (-1), la magie fonctionne : il faut dire que la première et immense salle, sur ces trois murs blancs, abrite Le Baigneur de Cézanne, L’Atelier de Picasso et Maison près de la voie ferrée de Hopper. Et c’est tout ! De l’art de signifier les choses : « Admirez, profitez et mettez-vous bien dans la tête que ce n’est qu’un début… » On déambule ensuite dans plusieurs salles qui évoquent les origines européennes de l’art moderne : un festival de Picasso, là encore, Matisse,


way of life » de Cindy Sherman. Plus avant encore, les fans de Mies van der Rohe et du Bauhaus se régaleront… Le niveau 1, joliment baptisé « L’art en action », présente les nouvelles formes artistiques nées des grands mouvements contestataires des années 19601970 et ce sont là des artistes tout droit issus des années tourmentées de l’Amérique que nous découvrons pour la plupart pour la première fois. Les questions raciales, la violence, le sida imprègnent les accrochages… Enfin, au niveau 2, sont mises en avant les acquisitions des deux dernières décennies où l’imagerie numérique, la performance, la vidéo se taillent la part du lion et on découvre ainsi une immense majorité d’artistes émergents (tous ou presque ont moins de quarante ans), parmi lesquels nombre d’artistes noirs et de femmes issus d’une géographie mondiale extrêmement variée. Si on a pu faire longtemps au MOMA le reproche de ne présenter que l’âge d’or de la peinture d’une part, et les seuls axes artistiques susceptibles de plaire aux fameux WASP (White Anglo-Saxon Protestants) qui le fondèrent en 1912 d’autre part, il semble bien que ce temps-là soit bel et bien révolu… « LE MOMA EST UN CORPS VIVANT »

À gauche : Le Baigneur – Paul Cézanne À droite : Portrait de M. Félix Fénéon, 1890 – Paul Signac

Cézanne et autres cubistes, futuristes, dadaïstes, surréalistes et abstraits des années 1920-1930.

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Puis vient le tour de l’Amérique, tout comme l’histoire de l’art moderne s’est déroulée, comme un glissement subtil vers l’expressionnisme abstrait. Voilà les Pollock (dont La Louve, acquis par le MOMA en 1944 et qui fut le tout premier tableau de Pollock à faire son entrée dans un musée), et toute la cohorte de l’Action Painting (dont De Kooning) et des fous de la couleur (Newman, Rothko…). Le rez-de-chaussée est entièrement consacré à l’art minimal et au Pop art. Au tour des Warhol, Jasper Johns, Lichtenstein de parader… Sur un mur de photos, on retrouve les Jumelles de Diane Arbus, presque familières des cimaises parisiennes, et qui n’ont rien perdu de leurs grands yeux interrogateurs… Voisinent les clichés faussement « American

Et au final ? Deux choses. D’abord, l’envie irrésistible, avant de quitter les lieux, de se refaire le niveau -1, juste pour bien incruster une nouvelle fois dans son stockage neuronal personnel les œuvres des grands maîtres européens de l’art moderne. On ne se refait pas… Et puis, raconter LA découverte, cette vraie émotion qu’il nous arrive de temps à autre et pas si souvent en fait, de vivre avec intensité. Là, c’est un tableau du niveau 2. On est presque à la fin du parcours et il surprend d’autant plus qu’il ne surgit pas face à nous au détour d’une énième salle. Non, il est là, accroché sur un flanc de mur. Et, surprise, de nombreux visiteurs sont magnétisés… De la dimension d’un écran télé (même pas géant, banal… et c’est bien sûr voulu), Septembre de Gerhard Richter a été peint en 2005 (voir pages 32 et 33). C’est une huile sur toile, très travaillée, volontairement floue qui hurle la tragédie des Twin Towers, qui rappelle la violence avec laquelle les terroristes ont arraché ces presque 3 000 vies humaines. Septembre est l’un des plus magnifiques tableaux exposés à la Fondation Vuitton. L’artiste allemand, dont la cote mondiale est au zénith, l’a offert au MOMA en 2008.


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Untitled, 1978 – Cindy Shermann

Vous avez bien lu, c’est un don. Là est sans doute la vraie spécificité de cette véritable institution qui vient de débarquer à Paris : une attraction pleine de vitalité et la marche en avant perpétuelle, viscérale, atavique. Ce qu’au fond a très bien résumé (dans un français impeccable) son directeur depuis plus de vingt ans, Glenn D. Lowry, lors du vernissage de l’exposition le 8 octobre dernier : « L’idée du MOMA, depuis 1929, est de s’intéresser à l’art vivant. C’est un métabolisme comme celui du corps humain. Le MOMA est un corps vivant… » S’il y a une expo à ne pas rater cet hiver à Paris, c’est bien celle-là.

‘‘...une attraction pleine de vitalité et la marche en avant perpétuelle, viscérale, atavique. »’


SOIS TOI

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NOUVEAUTÉ : PHENOM

Portée par Selena Gomez

PHOTOGRAPHIE RETOUCHÉE TOUJOURS PLUS RAPIDE


Photos :

RMN Grand-Palais (musée d’Orsay), R-G Ojéda – Ohara Museum of Art, Kurashiki – Albright-Knox Art Gallery Jean-Luc Fournier

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Texte :

EXPO TGV

GAUGUIN AU GRAND-PALAIS Le terroriste de la réalité « M. Gauguin, terroriste de la réalité, revendique toute licence de s’exprimer à son gré ». C’est un critique d’art qui a écrit ces mots en 1891. Il avait vu juste : l’obsession de se libérer de la tyrannie du visible a accompagné Paul Gauguin jusqu’à la fin de ses jours. Une belle expo au Grand-Palais à Paris rend hommage à l’Alchimiste. Quelle vie ! Né en 1848, quatre mois après la fin de la troisième Révolution française, Paul Gauguin avait à peine trois ans quand il dut fuir la France, avec tout le reste de la famille, après le coup d’État du futur Napoléon III. Six années passées en Amérique du Sud, l’Ailleurs, déjà… À son retour, trois années dans un séminaire puis le grand saut : il s’engage dans la marine marchande et parcourt les mers de

bien sûr où la petite ville de Pont-Aven, dans le Finistère, devint sous son influence le siège d’un véritable mouvement artistique, Arles où il rejoint Van Gogh pour une vertigineuse plongée dans la dépression, Paris de nouveau, puis la Belgique, le Danemark et enfin la Polynésie, l’ultime étape : à chaque fois, partout, une œuvre s’esquisse puis se réalise, gigantesque, toute entière tournée vers son obsession : « se risquer à un art autrement abstrait que l’imitation servile de la nature » écrira-t-il lui-même. Ne jamais oublier ; nous ne sommes là que dans les quinze dernières années du XIXe siècle, à une époque où l’académisme pictural est encore loin d’avoir rendu l’âme. Jusqu’à la fin, jusqu’à sa mort dans les îles à l’âge de 56 ans, ce révolutionnaire n’aura eu de cesse de pulvériser le visible pour mieux le triturer en explosions de couleurs et de formes. Il fut incontestablement le père de tous ceux qui, dans les premières décennies du XXe siècle, firent exploser les codes de la peinture. L’EXPLORATION SANS FIN…

« ‘Il décide de ne se consacrer qu’à la peinture et se jure que ce sera jusqu’à la fin de ses jours. » la planète. Une pause à son retour à Paris à l’âge de 24 ans : il exerce la profession d’agent de change, se marie et finit par se découvrir une vocation naissante pour la peinture qui ne se démentira jamais plus. Dix ans plus tard, c’est la passion qui l’emporte sur la sécurité bourgeoise : il décide de ne se consacrer qu’à la peinture et se jure que ce sera jusqu’à la fin de ses jours. Il devient alors comme un dément de l’art et part à la quête permanente de l’inconnu : Paris, la Bretagne

Il nous faudra revenir, à la fin de ce dossier, sur la teneur même de cette exposition « Gauguin, l’Alchimiste » qui se visite au Grand Palais jusqu’au 22 janvier prochain. Un peu plus d’une cinquantaine de toiles, dont beaucoup prêtées par le Musée d’Orsay voisin, cohabitent avec une profusion de céramiques, bois, gravures, le « bibelotage » de Gauguin comme l’avait écrit Camille Pissaro auprès de qui il travailla pendant cinq ans à Pontoise. Le tout illustre la manipulation permanente, l’association de matériaux les plus divers, la provocation de « l’accident artistique », toutes ces voies dans lesquelles Gauguin s’engagea résolument pour un voyage sans retour, sans cesse en quête du lieu idéal, définitif où il pensait pouvoir se trouver, exprimer son art dans la totale exaltation qu’il se souhaitait. Bien sûr, l’œil sera une fois de plus attiré par la magie des toiles « tahitiennes » qui magnétisent les regards. Pour autant, il faut s’intéresser à tout ce « bibelo-


tage » d’où émerge une très belle brochette de bois peints et sculptés, loin d’avoir été mis auparavant en évidence dans l’œuvre de Gauguin. Mais malheureusement, on se lasse assez vite et on perd patience à attendre son tour pour consulter les précisions sur chaque œuvre, car les visiteurs sont nombreux… VERS LA FIN DES TRÈS GRANDES EXPOS DES INSTITUTIONS PUBLIQUES ? Sans vouloir gâcher votre plaisir de visiter « Gauguin, l’Alchimiste » (il faut répéter qu’elle a le mérite de présenter spectaculairement le fondement même de l’expression artistique de ce géant de la peinture), l’honnêteté intellectuelle impose qu’on aborde à cette occasion un sujet qui fâche et surtout, inquiète.

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Pour qui se souvient de la précédente exposition Gauguin présentée il y a 28 ans dans ce même lieu, le constat est implacable : en 1989, pas moins de 280 peintures étaient offertes aux yeux des visi-

teurs. Autant dire qu’on avait là un parcours quasi exhaustif qui justifiait plus que pleinement son titre de rétrospective. L’exposition 2017 affiche à peine plus d’une cinquantaine de toiles. De plus, comme déjà souligné, nombre d’entre elles sont visibles depuis des décennies sur les cimaises d’Orsay, de l’autre côté de la Seine. Immanquablement, la comparaison est terrible et les interrogations se font jour : est-il encore possible, pour les musées publics, de proposer ces très grandes expos qui ont fait leur succès depuis des décennies ? Le record des visiteurs est détenu par un fort lointain événement, l’expo Toutankhamon de 1967 au Petit Palais, où les six mois de présentation d’un nombre invraisemblable de trésors égyptiens avaient attiré 1,241 million de visiteurs ! Le Grand Palais quant à lui a cumulé les succès : 911 000 visiteurs ont admiré l’expo Monet en 2010, devant Renoir et ses 790 000 visiteurs de 1985 et « Picasso et les maîtres » avec 783 000 visiteurs en 2009. À Beaubourg,

Paul Gauguin, Autoportrait au Christ jaune


Photos :

RMN Grand-Palais (musée d’Orsay), R-G Ojéda – Ohara Museum of Art, Kurashiki – Albright-Knox Art Gallery

Texte :

Jean-Luc Fournier

OR SUJET OR NORME N°27 Féminin∙e∙s

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Dali est en tête (840 000 visiteurs en 1979 et 790 000 il y a cinq ans) devant Matisse (734 000 entrées en 1993). Récemment close, l’expo Hockney à Beaubourg, a enregistré 620 000 visiteurs. On le sait, les budgets de ces grandes expos explosent littéralement d’une part et d’autre part, les musées du monde entier rechignent de plus en plus à se prêter les œuvres majeures qu’ils exposent en permanence. La demande touristique est si forte que se priver de ces œuvres pendant plusieurs mois devient un handicap insurmontable pour les établissements publics, par ailleurs soumis de plus en plus à la loi d’airain de la sacro-sainte rentabilité. Dans ce contexte, on peut légitimement s’inquiéter pour l’avenir de ces grands événements

à Paris. Et le privé pointe le bout de son nez, avec des arguments explosifs : le succès de l’exposition de la collection Chtchoukine l’an passé à la toute nouvelle Fondation Louis Vuitton du Bois de Boulogne a été salué par 1,2 million de visiteurs. Budget : 13 millions d’euros. À comparer avec celui de l’actuelle exposition Gauguin : 4 millions d’euros ! Les tout prochains mois diront si cette exposition Gauguin, intéressante, mais souffrant véritablement de tant d’absences d’œuvres majeures, ne faisait que préfigurer une triste tendance à la forte baisse pour les grandes expos publiques parisiennes. On peut craindre que ce soit le cas…

Au-dessus : Paul Gauguin, Manao Tupapau (L’esprit des morts veille)

À droite : Paul Gauguin, Te nave nave fuena (Terre délicieuse)


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ST-ART 2017

Une édition qui a gagné en exigence

Sophie Dupressoir Benjamin Thomas

Les plus de 20 000 visiteurs qui ont arpenté les allées de la foire européenne de l’art contemporain, qui s’est tenue du 17 au 20 novembre à Strasbourg, ont pu s’en rendre compte : cette édition a été beaucoup plus sélective et exigeante que les précédentes. La présence de directeurs d’institutions réputées et de critiques d’art dans le comité scientifique de la foire a vraisemblablement contribué à cette montée en gamme. La présence de la Venet Foundation en invité d’honneur a marqué les esprits avec des œuvres

importantes de sa collection parmi lesquelles certaines de Donald Judd, Sol LeWitt, Arman et Cesar. Pour la deuxième année consécutive, la Ville de Strasbourg s’est engagée auprès de la foire en décernant le « Prix Art de la Ville de Strasbourg ». Parmi la dizaine de nominés présélectionnés par la direction artistique de la foire, le jury, composé de Estelle Pietrzyk, conservatrice au MAMCS, et David Cascaro, directeur de la HEAR, a distingué Jean-Marc Lacaze, représenté par AEDAEN GALLERY, pour son œuvre Gilets 1re classe.

‘‘Cette édition a été beaucoup plus sélective et exigeante que les précédentes.’’

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Texte :

Photos :

Retour sur l’édition 2017 de la Foire européenne d’art contemporain qui s’est déroulée en novembre dernier…

Gilets 1re classe Jean-Marc Lacaze


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CATHERINE JAVALOYÈS

Raoul Gilibert – Alban Hefti Véronique Leblanc

Catherine Javaloyès dirige la compagnie strasbourgeoise Le Talon Rouge, un nom choisi pour son côté « festif, élégant et… audacieux ». De l’audace elle en a. Sans tapage, mais avec détermination. Elle nous parle d’elle et de sa dernière création Hippolyte, figure mythique revisitée par l’écriture incisive de Magali Mougel et les masques d’Étienne Champion. « Je tiens à mon accent grave », dit Catherine Javaloyès lorsque l’on écrit son nom sur le cahier, en début d’interview. Une phrase prononcée avec le sourire et dans les yeux, la pétillance qu’on lui a toujours connue. Jamais pesante, toujours présente, à la fois dense et légère, Catherine est tout entière dans ce moment où elle revendique sa « gravité » en une formule décalée. Cette gravité, elle dit « aimer la regarder », « la travailler en s’attachant à des états du monde en vertige », mais… « sur un mode plutôt ludique ». « La tragi-comédie », ça l’a « toujours bottée ».

OÙ EN EST-ON AVEC CETTE JEUNESSE ? La genèse de Hippolyte créé en novembre au TAPS Laiterie tient elle aussi d’un besoin de parler du monde, mais ici il s’agit d’une commande d’écriture faite à Magali Mougel rencontrée il y a plusieurs années autour du texte Varvara. « Elle allait très loin », se souvient Catherine… Alors, quand elle a décidé de reprendre la figure d’Hippolyte, fils de Thésée pris au piège de l’amour incestueux de Phèdre, elle a voulu le faire en convoquant l’écriture contemporaine de Magali.

Pour elle ‘‘ailleurs’’ est

aussi beau que ‘‘demain’’ et elle a gardé de ses

racines le ‘‘goût du souk organisé’’

« J’aime bien ne pas que pleurer la vie », dit cette fille de la Méditerranée, née à Oran, d’une mère d’origine espagnole et d’un père dont la mère était napolitaine. Catherine a beaucoup voyagé en Asie, à Madagascar… Pour elle « ailleurs » est aussi beau que « demain » et elle a gardé de ses racines le « goût du souk organisé », « un amour de la vie » qui l’a fait envers et contre tout « aller vers des auteurs avec lesquels elle se sent bien », de ceux qui « disent des choses sérieuses sans jamais se prendre au sérieux ».

Leur premier rendez-vous de travail a eu lieu à Paris. Catherine attendait son auteur, assise un matin devant un café du métro Saint-Paul. « Il y avait un carrousel, un parfum d’enfance…» se souvient-elle. «Et puis sont arrivés deux ados maquillés comme des voitures volées, avec la dégaine très théâtrale de ceux qui sortent de boîte… L’un a demandé : « File-moi cinq balles». « Pas envie » a répondu l’autre et j’ai eu l’impression que le monde s’écroulait pour le premier… Où en est-on avec cette jeunesse ? Qu’est-ce que ça dit de nous, adultes ? »

Au rang de ceux-ci, on compte Emmanuel Adely dont elle a mis en scène « Mad about the boy » et « Mon amour », Sylvain Levey avec « Petites pauses poétiques », William Pellier avec « Grammaire

Cette question sous-tend Hippolyte, personnage que Catherine définit comme « celui qui se tient au bord » d’un monde dont il n’est pas dupe, mais où il cherche sa place.

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« DIRE DES CHOSES SÉRIEUSES SANS JAMAIS SE PRENDRE AU SÉRIEUX »

des mammifères » et Martin Crimp avec « La Campagne »… Autant de créations du Talon Rouge qui jalonnent un parcours entamé en 2005.

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Texte :

Photos :

‘‘Faire bouger les lignes’’


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‘‘ Il faut être Shiva pour se

battre sur tous les fronts en se donnant à fond dans ce que l’on fait.’’

« SORTIR DU CONFORT »

Raoul Gilibert – Alban Hefti Véronique Leblanc

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Photos :

Un monde de masques de fer – ceux d’Étienne Champion, « métaphores de nos vies » et « compagnons de jeu » des trois magnifiques comédiennes, Pascale Lequesne, Stéphanie Félix et Marie Seux. Se souvenant du choc ressenti avec La Classe morte de Kantor, Catherine voulait expérimenter ce « rapport époustouflant de l’acteur à l’objet sur le plateau » et elle a franchi le pas, « pour faire bouger les lignes », « ne pas rester plan-plan ». Pour « sortir du confort et que ça tremble un peu ». Et l’on tremble au fil des dix-sept séquences scandant une nuit de la Saint-Sylvestre démultipliée, entre famille-désastre et forêt-refuge. On vibre au choc des mots écrits par Magali, des sons contrastés, mais subtilement fluides élaborés par Pascal Doumange, des lumières toujours justes de Xavier Martayan et du jeu saisissant des trois comédiennes. Distribuant la parole de ce chant choral, elles incarnent tour à tour Hippolyte, Phèdre, Thésée, les jumeaux Tom et Bert, Diane, la chienne chasseresse et Ebrou, la jeune étrangère qui mourra alors qu’Hippolyte survivra. Rôles interchangeables, les masques tiennent le fil et tout fonctionne dans ce monde hybride qui parle si bien du nôtre. Un monde fait de chair, de fer, de pierre, de rouille, de plastique… où la terre et l’humus deviennent matrice ou linceul. LE PARI D’« UNE COMPAGNIE QUI FAIT BOUGER LES LIGNES » Hippolyte a fait salle comble aux TAPS, il sera présenté au « Point d’eau » d’Ostwald, les 2 et le 3 février, à la Salle Europe de Colmar le 20 février et au musée Würth d’Erstein le 25. Les directeurs de ces structures ont fait confiance au Talon Rouge, convaincus que le public aime les propositions innovantes d’une compagnie « qui fait bouger les lignes et prend des risques ». L’espoir de Catherine c’est que d’autres diffuseurs soient conquis par le spectacle et l’accueillent dans

d’autres salles du Grand Est, un territoire plus vaste qu’auparavant, plus complexe à toucher, mais plus riche en opportunités. VOIX POUR ARTE, LECTURES D’ARCHIVES… « Il faut être Shiva pour se battre sur tous les fronts en se donnant à fond dans ce que l’on fait » dit-elle en évoquant son travail « passionnant » pour les voix d’ARTE, la collaboration au long cours qu’elle mène avec les Archives départementales pour rendre vie aux textes d’antan. On l’avait vue dans un spectacle insolite cet été à l’Hôtel du Département où les archives du Haut-Koenigsbourg étaient lues au miroir du « Seigneur des anneaux ». D’autres viendront sur « la musique en Alsace », « l’Alsace qui redevient française » et la révolution. Elle travaille en lycée auprès des ados qui la « revigorent » toujours. Et puis elle se souvient d’un grand nom de la scène alsacienne auquel ce numéro d’Or Norme rend hommage. Son ami, Alain Moussay qui, comme elle fit partie des voix françaises du film d’animation japonais « Dans un recoin du monde » signé par Sunao Katabuchi. « Ce fut la dernière prestation d’Alain », dit-elle.


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Texte : OR SUJET

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DEUX ALSACIENS en pays cathare Il y avait du vent ce premier week-end de septembre, au pays cathare. La tramontane évidemment… Mais qu’à cela ne tienne, l’inauguration du Théâtre de Ségure a bien eu lieu, dans un très ancien bâtiment restauré quelque part entre Tuchan et Palairac. Presque au milieu de nulle part… Aux manettes, les Chevalier, un couple de Strasbourgeois assistés d’une joyeuse bande de potes. Cela fait quatre ans qu’ils portent ensemble ce projet fou et le public était au rendez-vous de ces trois jours de théâtre époustouflants, de musique et de créations lumières. UN PUBLIC CONQUIS… « On savait qu’un lieu de culture allait être créé dans cette forge abandonnée depuis des lustres » commentaient deux dames à la sortie du spectacle

Animal , ultime opus de la compagnie strasbourgeoise Flash Marionnettes, alors que les vieilles pierres du tout nouveau théâtre s’animait de poétiques mises en lumière créées par d’autres Strasbourgeois, Jean-François Zurawik — maître d’œuvre de la Fête des lumières de Lyon — et Daniel Knipper, illuminateur estival de la cathédrale. « On savait que quelque chose se préparait, ont poursuivi les spectatrices, mais qu’il fallait surmonter les difficultés administratives, les craintes du voisi-


pas mal à l’époque. Jean-Pierre Vincent dirigeait le TNS, le TJP naissait, le Maillon allait apparaître un peu plus tard. Du beau monde musical passait par chez nous. On a accueilli les débuts de Bernard Lavilliers, mais aussi Catherine Sauvage en fin de carrière, de grands orchestres de jazz, Pierre Moerlen du groupe Gong, membre des Percussions de Strasbourg, batteur-percussionniste pour Mike Oldfield, sa sœur Geneviève flûtiste, son frère violoniste… toute la famille était musicienne. Côté théâtre, Bernard-Marie Koltès est venu avec La Nuit juste avant les forêts, quinze personnes dans la salle, on avait dix ans d’avance. Germain Muller faisait partie de nos habitués — il a très vite compris que quelque chose se passait — et Pierre Pfimlin réservait en toute discrétion, sous un faux nom. » NAISSANCE DES SCOUTS

‘‘ Du beau monde musical passait par chez nous. On a accueilli les

débuts de Bernard Lavilliers, mais aussi Catherine Sauvage en fin de carrière...’’

nage... Le type qui a fait ça est un peu fou et… c’est une bonne chose ! » À gauche : Claire, la fille de Patrick et Murielle, dans Petites musiques clandestines À droite : Patrick et Murielle Chevalier

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FOU DE THÉÂTRE Ce « type » est Strasbourgeois et s’il est fou, c’est de théâtre. Son nom est Patrick Chevalier, comédien depuis… pas mal d’années et fondateur avec son épouse Murielle de la Compagnie L’Ange d’or, en 1977, au Café théâtre qui portait ce même nom à la Krutenau, avant de devenir le Café des Anges. À dire vrai, ils étaient quatre, car leurs amis de toujours, Dany Chambet-Ithier et Patrick Missoffe, étaient de l’aventure. Patrick et Murielle racontent : « La ville bruissait

Souvenirs à foison… Et puis, en 1979, création de la Revue des Scouts juste parce que leur bande des quatre avait envie « de faire un truc très déconnant pendant l’été en parodiant la politique ». « Juillet-Août ont été remplis de chez remplis, alors on a repris à la rentrée. Murielle a été la première fille de la troupe, elle écrivait les textes à la main et devenait « Hamster jovial » sur scène. » Jaguars et Mercedes dans la rue des Orphelins, la revue a fait un carton ! Et Raymond Barre en a pris pour son grade… « En 1982, on s’est dit qu’on avait fait le tour, se souviennent Patrick et Murielle. On avait une fille, Claire, aujourd’hui comédienne, un deuxième enfant en route, plus possible de se coucher à deux heures du matin et se lever à sept. ». Murielle a été engagée au TJP et Patrick est entré à la radio pour animer avec Jean-Pierre Schlagg une émission satirique intitulée Les Cigognes en folie. Leur compagnie L’Ange d’or qui avait joué, outre ses propres créations, des textes de Molière, Ionesco, Tardieu, Obaldia, Grumberg, Albee, Pinget, Camus… fut mise en sommeil avant de renaître en 2001 avec Village cherche idiot d’après la nouvelle de Michel Rietsch. Viendront ensuite Des souris et des hommes de Steinbeck, J’avais rêvé d’une république de… Patrick Chevalier, La Victoire à Ventoux, ode au tour de France… mais aussi Le meilleur des trois, déclaration d’amour au foot et à ses champions


Alban Hefti - DR Véronique Leblanc

‘‘Le but est de ‘‘rêver à une société plus solidaire, plus fraternelle et qui, si elle doit se mondialiser, est censée n’oublier personne en chemin !’’ jouée en septembre au théâtre de Ségure en alternance avec d’autres spectacles parmi lesquels Animal, Petites musiques clandestines, un seul en scène de Claire Chevalier ou bien encore Doute de John Patrick Shanley dans lequel jouait Vincent Witz, l’un des nombreux et précieux amis de Patrick et Murielle, sans lesquels rien n’aurait été possible.

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Texte :

Photos :

Le théâtre de Ségure

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LA FORGE DES POSSIBLES

Pour en savoir plus et pourquoi pas rejoindre les « Compagnons de Ségure » : compasegure.wixsite. com/theatre-de-segure/accueil

Car ne l’oublions pas, ces deux Alsaciens de cœur et de vie que sont Patrick et Murielle ont fait souffler le vent de leur passion jusqu’au cœur du pays cathare. Une forge du XVIIIe siècle leur a tapé dans l’œil il y a quatre ans, ils savaient qu’elle serait idéale pour diffuser le théâtre vivant dans des lieux où il s’est fait rare, ils l’ont acheté et y ont mené d’impressionnants travaux pour y

aménager une salle de 50 places ainsi qu’un lieu d’hébergement pour des résidences d’artistes. Mené sans argent public, à l’huile de coude des propriétaires et de leurs amis d’Alsace ou des Corbières, ce projet fou n’a pas pour but de faire du profit. Il se veut à la disposition de « qui les investira » pour des projets publics ou privés, théâtraux ou musicaux. « Les utilisateurs paieront ce que ça coûtera, sans plus ». Le but est de « rêver à une société plus solidaire, plus fraternelle et qui, si elle doit se mondialiser, est censée n’oublier personne en chemin ! », dit Patrick… UNE PROGRAMMATION ENTRE ALSACE ET CORBIÈRES À la première AG, le dimanche matin, le nouveau maître de la Forge de Ségure a annoncé la couleur : « Les Alsaciens ne font jamais rien comme tout le monde, mais ils le font bien ». Il a parlé de son projet mêlant théâtre et cinéma, une saga de 80 ans en pays cathare entre Palairac, Tuchan, Ségure et le fier château d’Aguilar qui domine le paysage. Il a aussi lancé une invitation aux villageois venus l’écouter : la création de Roméo et Juliette en bilingue anglais-français, car, à Palairac, la moitié des 30 électeurs sont britanniques. Dans l’assistance, Kelly et Gabriel, tout nouveaux habitants de Tuchan en quête d’un nouveau sens à la vie étaient tout ouïe. On les verrait bien dans les rôles titres… D’ici là « une programmation se construit », entre l’Alsace et les Corbières, promettent Patrick et Murielle.


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Photos :

Morgane Ducord

Texte :

Nathalie Bach

OR SUJET OR NORME N°27 Féminin∙e∙s

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SAMAËL STEINER Poème bleu

Pour celui qui fut un temps Colmarien, puis Strasbourgeois, l’horizon semble désormais se fondre à la couleur de ses mots. Poème Bleu, le troisième opus de Samaël Steiner paraîtra aux Editions Théâtrales en janvier 2018. Lauréat du prix Jean-Jacques Lerrant, c’est la première pièce de théâtre de cet auteur dont l’œuvre impose sa magnétique poésie. Samaël Steiner est un jeune homme à l’allure si discrète que l’on pourrait y voir des tentatives d’effacement. À le lire, à l’écouter parler, on se dit qu’à 33 ans, il est au contraire déjà devenu son propre objet et l’écriture son décalque. C’est pourtant dans le département lumière qu’il fait son entrée à l’Ensatt en 2007 avant d’exercer son autre métier, celui d’éclairagiste, tout en continuant à écrire.

Loin d’être antagonistes, ces deux pratiques se nourrissent l’une de l’autre. Il rencontre et collabore avec le poète, acteur et metteur en scène André Benedetto au Théâtre des Carmes en Avignon, ainsi qu’avec Matthias Langhoff ou encore avec Emily Loizeau. Après avoir fondé dans un premier temps une compagnie étudiante à Strasbourg, il crée, avec d’autres, la compagnie L’Octobre théâtral et devient également l’un des organisateurs de la Nuit de la poésie à Crest (Drôme). L’année 2016 se distingue par la publication consécutive de deux ouvrages poétiques Vie imaginaire de Maria Molina de Fuente Vaqueros (Ed. de l’Aigrette) et Seul le bleu reste (Ed. Le Citron Gare) qui connaissent un accueil remarqué. « Poème Bleu est une pièce dramatique en dix tableaux. Son héroïne, Macha, est enfermée par le poids des générations et de tous les appareils idéologiques qui influent jusque dans notre sang. Elle décide de ne pas reproduire ce schéma. C’est aussi l’histoire d’une colère. Je me suis demandé comment je pouvais porter cette parole, ce combat, sans le rauque dans la voix. » L’écriture de Samaël Steiner, en tous cas, porte tous les souffles, et même ceux auxquels on ne s’était pas permis de rêver...


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OR NORME N°25 Sérénités

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ALAIN MOUSSAY La première classe, la vraie « La vie est un voyage. Le voyage est court. Essayons de le faire en première classe. » Si cette citation, qu’on prête à Philippe Noiret, dit vrai alors l’ami disparu aura souvent fréquenté cette première classe-là. Pas celle des sièges confortables, pas celle des moquettes profondes, la vraie première classe, celle du talent et de cette exigence totale et permanente du travail excellemment bien fait et du respect du public. Et des amis… Alain Moussay nous a quittés à la fin septembre dernier. Depuis près de trois ans, il faisait face à la maladie. Souvent, à l’entendre en parler, on visualisait parfaitement ce comédien sur les planches craquantes de cette grande scène où il se coltinait avec sa partenaire ultime. Il l’évoquait avec la flamme dans les yeux, il se décrivait lui-même humble, mais aussi rusé et stratégique, colérique parfois, empli jusqu’au bout d’une lucidité venue du tréfonds de son âme et jamais sans que le fol espoir qu’il entretenait ne le quitte tout à fait, du moins tant que ses forces l’ont soutenu. Et puis, il y eut ce moment du début du printemps dernier. Face à cette belle campagne près de Wasselonne où, ce jour-là, les rideaux des averses alternaient avec les éclats soudains d’un soleil digne d’une symphonie irlandaise, il eut ces mots : « Je voudrais parler de ce que je vis là, je voudrais témoigner. Avant de partir, tu vois… ».

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Il ne fallut pas longtemps pour convenir des modalités. Des rencontres aussi fréquentes que possible, comme autant d’entractes dans cette pièce sombre, très peu de questions, juste celles permettant de mieux comprendre, un respect total dans la trans-

cription, une publication dans le premier numéro d’Or Norme paraissant après le tomber du rideau… À un moment, juste avant de débuter le chemin que nous n’avions bien sûr tous deux jamais emprunté auparavant, Alain manifesta un vœu jamais encore exprimé : « Et rentre-moi dedans si je verse dans le pathos… » Il n’y a jamais eu besoin de ça. La première classe, la vraie… « Salut, c’est Moussay… ». C’est par ces mots que Robert Grossmann, le jour de l’adieu, a débuté son hommage. Et chacun de nous de se rappeler l’avoir entendu si souvent ce « Salut, c’est Moussay… » quand le téléphone sonnait et que le timbre grave et si particulier de sa voix caressait le tympan. Parmi tous les lecteurs, celles et ceux qui ont connu Alain entendront cette voix en lisant les mots de son ultime témoignage, publiés tels quels, dans les pages qui suivent… Chacun, il faut l’espérer, mesurera la force de ses propos. À la fin de cette transcription, nous publions, avec l’autorisation de Colette, sa compagne, les mots qu’Alain lui avait dictés très peu de temps avant sa disparition, pour qu’ils soient lus lors de la cérémonie d’adieu. Dire, témoigner, jusqu’au bout. Puis saluer, longuement, avant de s’éclipser élégamment derrière le beau rideau rouge. La première classe, la vraie…

Jean-Luc Fournier


HOHENGOEFT, FIN AVRIL 2017 Je peux dire que je vais bien. Bien sûr, je sais que la maladie est là, depuis deux ans j’ai eu le temps de m’habituer. Généralement, elle me fout la paix, tu vois, mais il faut dire que je fais gaffe à ce qu’elle ne s’occupe pas trop de mon cas. J’en viens à penser qu’elle et moi, on sait qu’on ne va pas se faire de cadeaux alors, on fait très attention à ne pas se provoquer. Moi, en tous cas, je suis certain que si je veux qu’elle me foute un peu la paix, je dois être prudent, je ne dois pas la réveiller quand elle dort, je dois la respecter.

Jean-Luc Fournier

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Ici, je suis en pleine nature, l’air est bon. Souvent, je sors dans le jardin, je profite du moindre rayon de soleil même quand il est intermittent comme aujourd’hui ; j’adore regarder ce paysage : on a beau dire, la campagne c’est plutôt cool. Ici, c’est la maison de Colette, je m’y sens bien. Je ne pense pas que ça serait mieux dans un appart, à Strasbourg. Côté bouffe, je me débrouille. Je me fais mes petits trucs, pépère… Comme tu vois, je n’ai pas trop perdu de poids et j’ai la pêche. J’attends que les beaux jours reviennent vraiment pour pouvoir décapoter la Saab et faire des balades au soleil. Finalement, je vais te dire : le seul truc qui me gonfle ici, ce sont les quelques appels des copains qui savent. Enfin, pas tous, ceux que je sens incapables de parler cash. Ils tournent autour du pot, c’est un peu pénible. Le pire, ce sont ceux qui te disent j’aurais bien aimé venir te voir, mais… y’a ci, y’a ça… Pfff, j’ai vraiment envie de leur dire qu’ils feraient mieux de me dire la vérité, qu’ils pètent de trouille de venir affronter la réalité, moi et ma maladie. Mais je ne dis rien, je ne leur dis rien… Ah ! Il y a un truc que je voulais te dire… Je voudrais que tu notes tout ce que je ressens, je voudrais que tu tiennes la chronique de ma maladie et des jours qui me restent. Je réfléchis très souvent au sens de tout ça. J’ai pensé à noter des trucs, mais je sais qu’un jour ou l’autre, je n’aurais ni la force ni l’envie de le faire. Toi, ton métier, c’est d’écouter et de rapporter. J’aimerais bien pouvoir faire passer des messages jusqu’au bout, témoigner de cette maladie, de ce que j’ai vécu ces derniers temps et de tout ce que je vais encore vivre. Un peu comme Nicholas Ray, le réalisateur, l’a fait avec Wim Wenders dans les années 80. Il se savait très malade et, après avoir été opéré trois fois dans la même année, il avait compris qu’il vivait ses dernières semaines. En fait, Wim Wenders a filmé son testament, tu vois… Moi, je voudrais juste témoigner de la réalité de ce qui va sûrement être la fin de ma vie. Peut-être que ça pourra servir à ceux qui liront. Bien sûr, je comprendrais que tu refuses, surtout ne te gêne pas pour me le dire. Si tu acceptes, je n’ai qu’une exigence : tu publies tout ce qui est important, même si ça choque je m’en fous… »

HOHENGOEFT, LA SEMAINE SUIVANTE, DÉBUT MAI 2017 Il faut que te parle de l’historique de la maladie. Il y a à peu près deux ans, je me souviens avoir été pas mal fatigué. J’avais pris l’habitude de tenir des carnets, comme des notes durant les tournages ou mes répétitions de pièces. Je les ai relus depuis : fatigué, mal de ventre, ces mots revenaient assez souvent. J’avais souvent des suées très importantes la nuit et beaucoup de démangeaisons sur les avant-bras. Et mon poids avait un petit peu diminué. En journée, j’avais d’énormes coups de barre, mais dans l’heure qui suivait, je retrouvais une pêche formidable. Évidemment, je m’en veux aujourd’hui : j’aurais dû écouter mes meilleurs potes, comme François Miclo par exemple, qui tous me disaient que je devrais aller voir un toubib. Mais moi, jamais de ma vie je n’étais allé voir un toubib, tu vois…

‘‘Bien sûr, je sais que la maladie est là, depuis deux ans j’ai eu le temps de m’habituer.’’ En fait, il m’aurait sans doute prescrit la révision totale du bonhomme et sans doute aurait-on vu plus tôt ce qui se passait. Moi, j’ai pensé que j’avais un ulcère ou une connerie comme ça, sans parler qu’à l’époque, ma vie privée était très compliquée et que cela générait un stress très fort… Au printemps suivant, j’ai fini par aller le voir, ce médecin. Il m’a fait passer une IRM, ou un truc de ce genre. Et, la radio en main, il m’a dit : j’ai un problème. Sur le coup, j’ai pensé qu’il y avait eu un problème technique avec l’appareil. Mais non, en regardant bien ses yeux, j’ai compris que le problème n’était pas avec l’appareil… Après, il m’a parlé d’un carcinome ou d’un truc comme ça, car tu vois, on ne te parle pas d’un cancer. Dans la continuité, il m’a parlé du pancréas, l’épouvantable cancer du pancréas. Évidemment, tu te précipites ensuite sur internet et tu apprends avec beaucoup de bonheur que c’est le pire. Encore que je le savais déjà… Ensuite, avec un chirurgien, on a mis en place des radiothérapies, chimiothérapies très fortes pour parvenir à faire diminuer cette saloperie de tumeur qu’ils avaient mesurée : 7 cm. Donc, pendant six mois, il a fallu tout mettre en place pour réduire ça, afin de pouvoir opérer


ensuite. Tu sais, le pancréas, il n’est pas facile à localiser, il se planque derrière plein de trucs et quand on s’aperçoit de quelque chose, c’est généralement un peu tard… C’est pas une maladie branchouille, c’est pas une maladie sexy, c’est une maladie chiante. Donc, ça a été parti pour des aller-retours innombrables. Toutes les deux semaines, je descendais à Strasbourg. Ça s’est plutôt bien passé, j’étais à peine fatigué. Je descendais et remontais à Hohengoeft avec ma voiture, et de temps en temps j’allais même me balader à la montagne. La fatigue n’était pas intense, ça allait…

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Ça a duré six mois. Puis, on s’est aperçu que la tumeur avait diminué de moitié. C’était en janvier 2017. On pouvait donc opérer. J’ai demandé à retarder ça d’un mois, car j’avais encore l’espoir de tourner un film, pendant quelques jours fin janvier. Finalement, le projet est tombé à l’eau et je suis passé sur la table en février. « Avec succès » m’a-t-on dit juste après. Je n’ai pas envie de parler des conséquences de cette opération, ça fait très mal, tu es très handicapé pendant longtemps. Puis, on refait une autre IRM et on s’aperçoit que ce cancer « repousse » comme on dit. Donc, on m’a proposé une chimio pour arriver jusqu’à Noël, comme on m’a dit.

Moi, je n’étais pas très chaud pour ça, mais bon, il faut se battre, tu vois… Là, aujourd’hui, je suis reparti dans tout ça. Ça ne se passe pas trop mal. Le corps s’habitue, il a des ressources ce qui te fait comprendre que le principe de vie est plus fort que le principe de mort, dans le sens où quand on n’est pas malade, après un dîner un peu arrosé, entre amis, on dit volontiers : « Moi, si j’avais une maladie grave, je sais ce que je ferais… » Et bien, moi, je l’ai cette maladie grave et je suis vachement content de me lever le matin. Dieu sait si je me sens parfois bien cassé dans ma tronche, mais, je le dis franchement, je n’ai jamais eu depuis un an la moindre idée de suicide. Tu te dis que tu as déjà mal, et qu’en plus, ainsi, tu te referais encore plus mal si tu te rates. Faut pas te rater, tu vois, parce que si tu te rates, les médecins n’aiment pas du tout ça et donc ils font tout pour te sauver ! Donc voilà, pour moi ces derniers temps ont été comme un voyage, certes pas en première classe, mais un peu comme avec un supersonique. Je vois tout de façon très rapprochée. Et surtout, j’en ai fini de m’emmerder avec rien. On ne se rend pas compte quand on est en bonne santé, mais il faut vraiment qu’on arrête de se faire chier avec tout ou rien !


Je vis tout ça comme une expérience, l’expérience ultime qui est bien sûr dure à vivre. On te regarde avec un regard d’amour, mais toi, tu y lis aussi comme une sorte de pitié. Mais ça, c’est dans la tête du malade, hein,… Tu préfères presque le rapport un peu viril que tu as avec tes potes masculins. Encore que… J’ai reçu hier un message d’un comédien, un ami, qui me disait : « J’ai su que tu es gravement malade. On compte sur toi ! ». J’ai souri : c’est un comble, c’est moi qui devrait plutôt compter sur lui, non ? Même ça c’est plus facile à gérer que le rapport de tendresse homme-femme, parce que bon, tu n’as vraiment pas grand-chose à donner dans ce cas-là. Cette maladie, c’est comme ces quelques films qu’il m’est arrivé de tourner. Pas beaucoup, heureusement.

‘‘ Je m’évertue à garder la

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tout, et à rester léger. ’’

Quelquefois, tu te dis : putain, ça sent la daube. On est parti pour une cata… Alors, tu finis par te dire que de toute façon, ce n’est pas si grave que ça. Et comme tu vois bien que c’est mal barré, alors tu vas tout faire pour que ce soit le moins mal barré possible. Entre le verre à moitié vide et celui à moitié plein, je choisis le deuxième… STRASBOURG, À LA TERRASSE D’UN CAFÉ À LA PETITE FRANCE, FIN MAI 2017 Les gens sont quand même très surprenants. Ça ne m’avait jamais échappé, mais là, je ne sais pas si c’est le fait d’être malade ou quoi, je regarde tout avec une grande acuité. Ce mec que tu connais, qui te demande des nouvelles et à qui bien sûr tu en donnes et qui finit par ne plus savoir quoi dire, qui reste là figé comme un vrai bêta. Et puis, il y a ceux aussi qui en rajoutent : c’est à celui qui aura eu le plus grave cancer. C’est : « ah oui, mais moi, quand même, ils m’ont enlevé ça, et moi je sais ce que c’est que la souffrance, moi, ils m’ont opéré pendant huit heures… ». C’est le concours du plus beau cancer ! Bien sûr, toi, tu trouves ça complètement vain et tu finis par te dire que les réflexes sont les mêmes dans la maladie comme dans la bonne santé. Pourquoi voudrais-tu que ce soit autrement ? Le je et le jeu sont toujours les mêmes. Les gens, quand ils font un enfant, c’est le plus beau ! Quand ils ont une cave, c’est la meilleure. Quand il te raconte qu’ils ont découvert un restaurant, c’est toujours le meilleur restaurant qu’ils aient

connu. Toi, tu ne le connais pas ; évidemment, puisque tu es un gros con… Humour ! La vie est une histoire qui finit toujours très mal… Et puis, il y a les malades que tu côtoies très souvent. On finit pas se connaître et se parler. Les femmes, je dois le dire, sont bien plus courageuses que nous, les hommes. Mais ceux qui sont d’un courage impressionnant, ce sont les enfants. Je me souviendrai toujours de ce petit môme, leucémique, qui a un jour planté ses yeux dans les miens et qui m’a dit : « Peut-être que le mois prochain, tu ne me verras pas ». Est-ce parce qu’ils n’ont pas conscience vraiment de ce qu’ils ne vont pas vivre, de ce qu’ils vont manquer ? Je m’évertue à garder la maladie à distance, malgré tout, et à rester léger. Sur un carnet, j’ai écrit au lendemain du jour où j’ai appris ce qui m’arrivait : « Merde, je suis malade, voilà autre chose ! » C’est peut-être très vaniteux, mais cette distance, cette légèreté, c’est pour moi la seule solution qui vaille. Sinon, ma vie serait effroyable… Alors j’essaie de ne pas en vouloir au monde entier et encore moins à moi-même et toutes celles et ceux qui me sont ou m’ont été proches. Là, tu vois, en ce moment, bizarrement, j’ai assez confiance, même si les médecins m’ont dit l’autre jour, en baissant les yeux : « Vous savez, M. Moussay, la maladie va vraisemblablement l’emporter… » Alors, toi tu demandes : « Dans combien de temps ? ». Et on te dit qu’on ne sait pas vraiment ; certaines parlent de plusieurs semaines, d’autres évoquent des mois… Mon pote médecin, lui, parle vrai : « on n’en sait rien, voilà… » Alors, moi je me redis que si j’arrête de le faire chier, ce cancer, il va sans doute finir par me lâcher aussi. Avant de penser de nouveau à mon cœur qui morfle, mon foie et cette fatigue qui va finir par me terrasser si je maigris trop. Alors, je ne peux pas faire grand chose à part me préserver de ceux qui me foutent le bourdon… Et tu penses souvent à toutes les circonstances de ta vie, ton métier, tes amours, tes amitiés, les excès de bouffe, d’alcool, de tabac, les troppleins de stress. J’ai fait un beau métier. Je songe à mon hypersensibilité souvent mal comprise, voire ignorée alors qu’à l’évidence, cela fait partie de la personnalité de tous les acteurs. Ça m’a mis plus d’une fois en vraie colère quand on en a douté. Je me souviens de mes angoisses récurrentes, celle de ne pas être à la hauteur et aussi celle de piquer le rôle à quelqu’un d’autre, eh oui ! Je ne suis jamais devenu une star tout simplement parce que je n’ai jamais eu envie d’être comme ceux qui le sont devenus. Tous avaient un point commun : ils ne doutaient pas d’eux-mêmes ou alors si peu. Ils avaient une formidable envie d’être en haut de l’affiche. Moi, je m’en foutais, bien sincèrement. Je suis parti de chez


moi vers l’âge de 17 ans avec un petit sac et voilà tout. Et j’ai fait ce que j’avais envie de faire. J’ai toujours vécu ce que je devais vivre. De toute façon, quand j’étais enfant et ado, je n’ai jamais reçu un cadeau, je fais partie de ces gens à qui leur propre famille n’a jamais proposé la moindre aide. Ma mère, aujourd’hui, vit dans la banlieue parisienne et a 91 ans. Ma sœur m’a demandé de la préserver le plus longtemps possible de l’annonce de mon cancer. Maintenant, elle sait. Elle sait que je partirai avant elle, vraisemblablement. Mais je ne veux pas trop m’emmerder avec ça, pour être tout à fait franc… Malade ou pas, j’ai bien l’intention de vivre ce qui me reste à vivre en étant heureux. Avec Colette, on envisage de partir pour Côme aux premiers jours de temps d’été. Malade ou pas, je le ferai. On le fera à l’inspiration, dans l’instant. On décidera tout au dernier moment… sans se prendre la tête. STRASBOURG — FIN JUILLET 2017 Je suis content, je viens de voir François Wolfermann. Il m’a confirmé qu’il comptait sur moi à la rentrée pour les Bibliothèques idéales, pour lire un ou deux textes lors de la soirée avec les philosophes, en compagnie de l’ami Enthoven. Voilà quelque chose qui m’aide à me battre, à continuer : une date bien temporelle, un rendez-vous à ne pas rater, souligné dans mon agenda. Je suis allé à Côme avec Colette. C’était bien. Il y a longtemps, quand j’ai tourné une série très bien payée pour TF1, je me suis retrouvé avec pas mal d’argent et j’avais pensé à investir dans un petit truc là-bas. J’aurais pu le faire. Je ne l’ai pas fait… J’ai un peu de regret d’être rentré trop tôt. J’avais mal. Mais j’aurais dû rester deux ou trois jours de plus. J’ai un peu manqué de sang-froid, j’aurais pu profiter un peu plus de toute cette beauté. Bien sûr, je me suis dit que ce seraient peut-être les dernières vacances. Tu y penses et puis tu réagis et tu te dis : mais pourquoi n’y en aurait-il pas d’autres ? Là, je suis sollicité par mon pote qui programme le festival de Phalsbourg, trois jours à cheval sur juillet-août. J’espère pouvoir y être, encore des dates soulignées sur mon agenda. Je bouge, je ne m’encroûte pas. J’ai découvert la petite station thermale de Plombières, dans les Vosges. Une petite ville de cure comme sur les cartes postales. Sais-tu que c’est un Romain qui a découvert les sources chaudes dans l’antiquité ? Son chien s’était perdu, il l’a longtemps appelé et quand le clebs est revenu près de lui, il s’est secoué et a projeté l’eau très chaude sur les pompes du Romain. Une vraie bouillotte ! Ah ! et puis il faut que je te dise : ça y est, j’ai vendu la Saab. Et je l’ai remplacée par une BMW d’occase, un coupé E36 en parfait état et qui tourne comme une horloge. Je vais la chercher demain. Quand tu vas la voir, tu ne vas pas y croire. Elle

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est de toute beauté, elle a pile 20 ans, ça m’amuse ! Je vais bosser un peu dessus, ça va me bien me brancher. Je me suis dit que si je vendais la Saab et que je ne rachetais pas une autre caisse tout de suite, ça allait me plomber le moral. Voilà : acheter une nouvelle voiture, s’occuper du changement de carte grise : c’est ce qu’il me faut. Des tâches bien concrètes, juste pour arrêter de parler de cette maladie, juste pour arrêter d’y penser tout le temps… À chaque fois, faire un pas de plus, un petit pas de plus, comme il y a quelques semaines, à la piscine de Wasselonne. Je n’ai fait que deux longueurs, mais ces deux longueurs-là, je les ai faites, tu vois… Sincèrement, là, je me plais mieux. Il y a encore deux mois, j’étais grisâtre, mais avec le soleil de l’Italie, je suis bien bronzé. J’ai bonne mine, non ? Bon, la bonne mine n’influe pas sur les statistiques de cette saloperie.


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Mon vrai problème reste l’attitude des gens : je sens la trouille que je leur inspire. Mais tant qu’on n’est pas mort, on est vivant, bordel ! Quelqu’un que je connais bien a perdu récemment sa mère. Quand je lui ai demandé comment ça s’était passé, cette personne m’a répondu : « Merveilleusement bien, elle est partie très paisiblement… » Mais, putain, ce n’est pas merveilleux, ça ! C’est merveilleux quand tu bois des canons, quand tu fais la fête, quand tu rigoles bien et que tu claques d’un coup en faisant un infarctus ! Les gens… Au point où j’en suis maintenant, je ne souhaite m’entourer que de gens vrais. Je sais bien que c’est très difficile d’affronter la maladie des gens que

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Mon médecin est en vacances. Lundi, je vais voir son remplaçant. Je ne suis pas si mécontent de l’évolution. Je n’ai pas si mal que ça, je faisais 73 kilos avant la maladie, aujourd’hui j’en suis à 55. Je m’iggypopise, tu vois [grand éclat de rire], comme Iggy Pop, l’Iguane quand il se mettait torse nu.

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Ça doit être un truc du genre 5 % qui ont eu quatre ans et 15 % deux ans… Les médecins ne t’en parlent jamais, mais je sais qu’ils les ont, ces statistiques…

l’on connaît bien, que l’on estime ou que l’on aime. Mais certains coups de fil sont vraiment pénibles quand je sens qu’ils dédouanent les gens du fait de venir physiquement me rendre visite. Tu sais, c’est compliqué pour moi, je sens vraiment que le temps m’est compté maintenant. Et puis, certains finissent par te dire : je te trouve bien, tu es rasé, impeccable. Et toi, tu penses, et alors, pourquoi serais-je dégueulasse, pourquoi devrais-je ne ressembler à rien ? Merde, je suis encore vivant, je veux être digne. Tu as envie de leur crier : de toute façon, quand je ne pourrai plus m’occuper de moi, j’en serais alors à un point où cela ne durera pas pendant des mois. Je vais vite m’épuiser, la maladie va pouvoir gagner tout le terrain qu’elle veut et ensuite, ce sera dodo ! Mais évidemment, tu te tais, tu ne leur dis rien. Je n’ai qu’un seul regret depuis que le cancer m’est tombé dessus. Il y a un an, j’aurais pu investir dans un petit appartement dans le sud, les pieds dans l’eau. Mais j’ai cru ce que je lisais sur internet, j’ai cru que j’avais moins de six mois à vivre et j’ai reculé devant les contraintes : les démarches, les paperasses… En attendant, merci la morphine ! Je me tape trois heures de sommeil le matin, je dors quand je veux… Pour une


fois qu’on peut se shooter gratos, autant en profiter, hein ! CLINIQUE SAINTE-ANNE — LA ROBERTSAU — 23 AOÛT 2017 Tu vois mon pote, c’est bientôt la fin. J’ai de plus en plus mal, je suis fatigué comme je ne l’ai jamais été, mais j’ai encore un peu de courage pour me raser et être propre, tu te souviens ? (sourire) Pendant qu’il me restait quelques forces début août, j’ai réussi à mettre les choses en ordre. J’ai revu ma maman, elle est venue avec mes sœurs. L’une d’elles m’a dit : « petit frère, je ne t’ai pas appelé souvent ces années dernières… j’étais loin de toi. » Je lui ai dit : « on s’en fout, c’est ce qu’on vit maintenant qui compte… » J’ai vécu avec ma famille ce que vivent beaucoup de ceux qui s’en sont éloignés longtemps, ceux que le boulot ou les hasards de la vie ont conduit très loin parfois : ceux qui sont restés se sont fait peu à peu des idées fausses, ils ont vite pensé qu’on se la jouait ou qu’on était plein aux as… C’est dommage. Tu sais, je ne vais pas pouvoir traîner très longtemps avec toi, parler me fatigue beaucoup. Ne m’en veux pas…

Caresser les chiens, caresser les chats, c’est d’une richesse infinie Les goûts et les saveurs… Les p’tits plats d’Italie ! Les p’tits plats entre amis. Les amis, les potes… Et… les voitures… plus… plus… plus ! – Tu écriras Colette – Oui Jaguar XK Cabriolet 1956— Lamborghini Miura LP 400 s 1971—Lancia Flaminia Cabriolet Touring 1962— Maserati Bora 4.7 l 1974 Je n’ai pas dû être parfait, mais j’ai fait de mon mieux. Souvent tout était comme chaque chose en son temps. Et puis, parfois, les temps se sont imposés simultanément. Tout compte fait, ce qui arrive est dans l’ordre des choses. Vous avez partagé aujourd’hui les musiques que j’aime, cette idée me rend heureux. Allez, je vous embrasse. Je n’aimais pas trop les applaudissements… alors, c’est vous qui voyez.

CONVERSATION TÉLÉPHONIQUE — 9 SEPTEMBRE 2017

Que chacun me souhaite bonne route me fait chaud au cœur.

Je ne vais pas pouvoir te parler très longtemps. Je suis très faible. Les forces me manquent. Je ne vais pas pouvoir être avec les philosophes pendant les Bibliothèques idéales. Ça me fait bien chier, mais c’est comme ça. Je t’embrasse mon pote…

À tous et à toutes qui m’avez soigné, qui m’avez aimé, qui m’avez fait confiance ; à tous et à toutes, tendrement, Alain

Alain nous a quittés le vendredi 22 septembre. Très peu de temps avant sa disparition, il a dicté un texte à Colette, sa compagne, pour qu’elle le lise le jour des obsèques. Nous le reproduisons ici avec son autorisation. UN PEU AVANT DE S’EN ALLER Je ne sais pas s’il pleut, s’il neige, ou si le soleil est là, Mais je sais que les gens que j’aime, eux, sont là. J’aurais voulu n’y être pas ici dans cette boîte, choisie La plus simple possible. À l’instant où je parle, ma tête fonctionne encore bien ; Cependant, je suis littéralement épuisé. Epuisé, oui, c’est le mot le plus précis de ce que je ressens.

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– Tu écris Colette ? – Oui. Ne soyez pas triste. Je crois bien que j’ai aimé cette vie. J’ai tant aimé jouer. Lire les poètes.

Le 28 septembre suivant, il faisait beau et doux sur la grande chapelle du cimetière nord de la Robertsau, baigné par un pâle soleil de début d’automne. Tous ceux qui t’aimaient étaient bien sûr là. Certains ont parlé. Vers la fin de la cérémonie, on a entendu ta voix qui lisait “Une saison en enfer” de Arthur Rimbaud : “J’ai créé toutes les fêtes, tous les triomphes, tous les drames. J’ai essayé d’inventer de nouvelles fleurs, de nouveaux astres, de nouvelles chairs, de nouvelles langues...” On s’est serré dans nos bras. On s’est embrassé, parfois. Puis, on est reparti. Avec ta voix dans la tête…


MARIE VIALLE Label épopée de Bloody Mary

Documents remis Charles Nouar

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Marie Vialle. Un nom qui commence à se répandre dans tout l’Est de la France. La fondatrice du label indé Bloody Mary Music and Records est une exception, presque, dans un monde très masculin. Une place qu’elle assume pleinement, forte d’une envie, d’une passion musicale et d’une pugnacité qui lui valent non seulement la confiance des artistes avec lesquels elle travaille, mais également d’un nombre croissant de ses aînés, jusqu’à Paris, temple clos de la scène musicale nationale. Entre-deux années. 31-1er. Brunch-dej-dîner-souper trendy-arty-stammtisch. « Ah, bah du coup tu vas enfin rencontrer Marie ! Ça fait combien de temps déjà ? » « Déjà quoi ? » « Que tu aurais dû la croiser. 20-25 ans ? » « Oui, depuis le temps que l’on se connait, toi et moi, ça doit faire ça ». Nuit, jour, re-nuit, plats, grands crus, moins grands grands crus, café, soupe, tout s’enchaîne, tout (y) passe. Sauf Marie, restée sans doute coincée entre deux espaces temps comme une jolie bande-son de The Last Morning Soundtrack. The Last Morning, l’autre moment : celui d’une soirée de bruine de fin d’hiver, Galerie No Smoking à un Zeplin de verre de distance de deux rangées de rails SNCF. « C’est donc toi, Marie. Ravi de faire enfin ta connaissance. Depuis le temps que j’entends parler de toi, de ton travail... ». Discussion, un peu, sous le haut-vent pleinement smoking de la petite galerie concert, alors que ses protégés d’un soir, de ceux qu’elle fait alors tourner, s’accordent avec le public. Premiers échanges, qui en amèneront d’autres. Deux ans après cette première rencontre, Marie a depuis gravi de nouvelles marches. Bloody Mary Music & Records s’est fait un petit nom et force le respect.

‘‘Marie, toi tu vas réussir dans le métier parce que tu es quelqu’un d’intègre et de pugnace’’

PRESQUE UNE CHAÎNE ALIMENTAIRE EN SOI. Un BTS en administration de la production audiovisuelle du Lycée Viette en poche, Marie débute pourtant loin de son aventure actuelle. Comme administratrice de compagnie en 2003 avant de s’intégrer progressivement dans le milieu du spectacle à Strasbourg, en accompagnant des trajectoires d’artistes de théâtre. Son rôle ? Diffuser, administrer, promouvoir. Presque une chaîne alimentaire en soi. Puis, passage par la couveuse de coopérative d’artistes Artenréel, où Marie devient entrepreneur salariée. Vient ensuite 2009, l’année du premier rêve assouvi : bosser pour la compagnie Flash Marionnettes. « Presque 10 ans, où j’ai pu voir tous les aspects du métier avec 150 dates par an à gérer : construction de tournées, paie, compta ». Là aussi, tout y passe. Mais reste encore un second rêve à Marie, encore inassouvi : « bosser dans la musique ». En 2013, elle sème alors ses premières graines. Intègre à titre bénévole le collectif KIM. Puis, parallèlement, la Fédération de musiques actuelles Hiero Strasbourg deux ans durant. Ces deux expériences cumulées lui permettent progressivement de créer son propre réseau jusqu’à se sentir plus ou moins prête à prendre son envol et de fonder Bloody Mary Music and Records. C’est là, qu’intervient cette curiosité d’entre deux ans, de Brunch-dej-dîner-souper trendy-arty-stammtisch. Découvrir celle – passée du statut de connaissance « virtuelle » de lycée à celui de jeune femme au parcours qui ne lasse pas de surprendre. INSTIGATRICE D’ÉPOPÉES POP Rencontrés via le collectif KIM, Adam & the Madams sont les premiers à la suivre dans sa nouvelle vie : création d’une association de valorisation de la scène musicale indépendante, passage de salons pro en salons pro, où Marie


renforce son fichier contacts. Des patrons de festivals, de café-concerts ou de scènes de musiques actuelles. Et la « chance », savoure-t-elle, d’entrer parallèlement dans le dispositif d’accompagnement Laiterie Artefact, qui ouvre à ses protégés les portes de ses deux salles. Premières parties d’artistes, « Scènes d’Ici », l’aventure est lancée.

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Qu’elle les accompagne tout au long de la chaîne artistique ou qu’elle ne les booke que quelques soirs par mois pour le compte d’autres labels, Marie gagne progressivement la confiance professionnelle de petites pépites de la scène indé : Pause Kino (électro pop), The Walk (rock), Marxer, Polaroïd 3 (trip hop), Manuel Etienne (indie pop) Julien Bouchard (indie pop), Claire Faravarjoo (électro pop), Solaris Great Confusion (indie folk), Féroces (post rock nouvelle vague), Toxic Kiss (rock), Kings love Jacks (électro instrumentale), Caesaria (électro pop rock), Ingmar (jazz rock cinématographique – sans cinéma), Toxic Kiss (rock). Tous, qu’ils intègrent directement son écurie ou travaillent en lien avec elle, lui accordent une jolie confiance et lui permettent de se positionner comme « une sorte d’instigatrice d’épopées pop » du Grand Est. Mieux, certains de ces groupes vont jusqu’à signer leur album chez elle : Adam and The Madams, dont le prochain sortira au printemps 2018, Pause Kino, à la même époque, ou encore Polaroïd 3 avec son très remarqué Rivers - en co-label avec Oh ! L’aventure aurait pu s’arrêter là, mais Marie franchit les marches sans discontinuer. Se voit offrir une fois par mois, une carte blanche à l’Espace culturel de Vendenheim. Une

« chance » qu’elle couple à la création de « Scènes de bus » en partenariat avec la licence de musiques actuelles de l’Université de Strasbourg et les photographes et vidéastes Manon Badermann et Emilie Fux. Le principe : proche des concerts à emporter de la Blogothèque ou des Scènes de Bain. À ceci près que les siens se jouent sur la route, sur le trajet menant à Vendenheim, afin de créer du lien entre les publics et les artistes. De pousser un peu plus loin encore la rencontre artistique. Le tout diffusé ensuite sur les réseaux sociaux. Deux heures que l’on discute. Frustration, presque de ne pouvoir tout retranscrire tant Marie a à dire. Sur un métier où l’investissement personnel et financier ne se compte pas, sur l’importance d’intégrer certains cercles fermés parisiens pour donner écho aux artistes qui la suivent, mais également sur cette bienveillance du milieu sur cette jeune femme quand au détour d’un déjeuner précédent notre rencontre, un professionnel reconnu du secteur la résumait finalement en une phrase : « Marie, toi tu vas réussir dans le métier parce que tu es quelqu’un d’intègre et de pugnace ». Deux mots qui, oui, la résument bien.

En savoir plus : www.bloodymarymusicandrecords.com


AUDREY BONNET

Les mots du silence

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Jean-Louis Fernandez Eric Genetet

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Actrice, dans laquelle Audrey Bonnet jouera en janvier prochain au TNS, raconte l’histoire d’une grande actrice sur son lit de mort, tandis que son entourage vient à son chevet. La pièce aborde les questions existentielles, l’argent, la vie, l’amour, la famille, l’attachement, la mort, l’art et sa nécessité comme toujours chez Pascal Rambert, auteur et metteur en scène. Elle arrive à l’accueil du TNS, un drôle de véhicule motorisé à la main. Elle s’excuse avec douceur d’un retard insignifiant. Un peu timide, un peu réservée, avec cette douleur-là, avec cette lumière dans les yeux, une lumière qui brille d’intelligence et de la fête de la veille au Fat Black Pussycat à Strasbourg. En octobre, au moment de notre rencontre, elle joue dans Le Pays lointain (de l’auteur Jean-Luc Lagarce) et ne sait pas encore grand-chose d’Actrice. Pas grave, on parlera du cours Florent, du Conservatoire, de la Comédie-Française, de son parcours sans faute. Une carrière riche et remplie de classiques, de créations, de quelques rôles pour le cinéma. Nous parlerons de sa façon de jouer, de respirer sur scène, du lien avec Stanislas Nordey qu’elle rencontre sur Clôture de l’amour en 2011 : pour elle, c’est l’homme qui marche de Giacometti : « il marche dans les villes avec la même inclinaison, un livre à la main, ses pas sont d’une grande amplitude. Stan, c’est un volcan pudique ». Comme elle, sur scène, il donne tout. Il y a le corps, tout entier, plus facile avec un auteur comme Pascal Rambert qui écrit pour les corps. Ceux qui étaient dans les fauteuils en velours du TNS pour Clôture de l’amour et Répétition du même Pascal Rambert, l’ont certainement trouvé fascinante, elle, fascinant, lui, Stan l’homme qui marche. On parle de tout cela, entre de jolis silences. CETTE VIBRATION INTÉRIEURE, CE PARTAGE… Et puis, cette question, aussi banale qu’indispensable, le théâtre ? Dans sa vie, le théâtre, ça vient d’où ? À chaque fois qu’on lui pose la question, elle fait un pas dans ses souvenirs, elle éclaircit ;

il y a une chose qui revient tout le temps, c’est le rapport au texte, à la lecture. Elle s’interrompt, cherche ses mots, regarde passer un insecte, un silence, et retombe sur ses pattes ; elle lisait quand elle était plus jeune, pour se créer son monde, il y avait des textes, de théâtre aussi. Il y a ce besoin de partager les mots, « qu’il soit dans l’air ». Elle ressent toujours des émotions fortes quand les gens prennent la parole, pas forcément au théâtre, dans la vie aussi, ces moments où l’on écoute quelqu’un, au-delà de ce qu’il est en train de raconter. Elle n’a pas encore compris pourquoi, pourquoi ça la bouleverse tellement ! Peut-être, si… Il y avait les « compliments » de son grand-père. On peut en parler un peu ? Oui, on peut en parler un peu. Son grand-père écrivait des compliments, de petits discours pour des événements de la vie, un anniversaire, un baptême. Un jour, pour un mariage il perd sa voix, elle a 15 ans, un peu plus. Il sait qu’elle est attirée par les textes : lis-le pour moi, il demande ! Elle lit pour lui. Difficile de décrire cette vibration intérieure, ce partage, elle est bouleversée, c’est comme un premier plaisir, le premier que l’on ressent, que l’on cherche ensuite, toute sa vie. Mais, il y a autre chose, avant, avant les « compliments » quelque chose qu’elle a sans doute oublié, un silence, un autre plaisir peut-être. Pascal Rambert est à cet endroit, à l’endroit du plaisir. Quand elle rencontre son écriture, elle comprend pourquoi elle veut faire ce métier. Une autre question : c’est le moment où elle a compris quelle comédienne elle était ? Non. Ça, elle ne le comprendra jamais, il faut faire


‘‘Elle n’a pas encore compris pourquoi, pourquoi ça la bouleverse tellement ! ’’ ACTRICES - du 24 janvier au 4 février 2018, TNS salle Koltès

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l’expérience de « ça », toute la vie. Trouver des réponses, c’est dangereux. Elle n’aime pas trop les réponses, elle préfère les questions. À part le texte, Audrey ne sait rien du projet d’Actrice, mais puisque c’est Rambert, elle y va, les yeux fermés. Elle dit : Pascal me donne son texte, je pleure et on y va. C’est difficile d’en parler ; bon, c’est aussi difficile de parler, déjà, elle dit, elle rit. Si ça résonne dans une forme d’inconscience, si ça ouvre des mondes inexplorés, des intériorités, des chemins, alors elle suit les intuitions de son cœur. Et parfois ça bat trop vite ? Avec Pascal Rambert ça bat toujours trop vite, elle est submergée

directement. Il est une partie d’elle, un frère, bien au-delà de ça, « une étreinte infinie ». L’étreinte de deux âmes. Avec lui, tout est lié, le théâtre et la vie sont liés, il n’y a pas autre chose, il y a la vie. Les acteurs ne se mettent pas à jouer quand il monte sur le plateau, ils sont dans la vie. Audrey a même parfois donné des petits pots à sa fille juste avant une scène, et peu importe ce que le cela modifie. Rambert donne cette confiance-là, « il dit ce n’est pas un art parfait, tu peux y aller, vas-y, respire, et cette confiance-là pour un acteur, c’est inestimable ». Elle pourrait dire des choses, d’autres choses qu’elle ne dit pas, des choses qu’elle va garder, et c’est bien si elle les garde finalement. Elle dit, je ne sais pas ce que vous allez écrire avec ce que l’on s’est raconté. Écrire sur les silences, que peut-on en dire, peutêtre que les silences se partagent autant que les mots…


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OR SUJET Photos : Documents remis

Texte : Eric Genetet


PHILIPPE GEISS

Un saxophone dans l’espace

Le voyage spatial de l’astronaute Thomas Pesquet a inspiré le saxophoniste strasbourgeois Philippe Geiss. De ce rêve extraordinaire et de leur amitié est né l’album Galaxsax.

Quelque part entre le jazz et le classique, en passant par les musiques traditionnelles, Galaxsax rassemble des pièces écrites ou arrangées par Philippe Geiss, et couvre la période 1961/2016, du 1er vol de Gagarine à celui de Thomas Pesquet. Grand ambassadeur mondial du saxophone et musicien de renommée internationale, Philippe Geiss donne des concerts et des master classes dans le monde entier. Son langage se situe entre la tradition classique, l’innovation contemporaine, les sons de la world music et le swing du jazz. Il a obtenu le prix de la meilleure musique de scène au Festival d’Avignon, le prix de l’Académie du disque français et le prix musique de l’Académie rhénane. Professeur au Conservatoire de Strasbourg et à l’Académie supérieure de musique de Strasbourg/Haute école des arts du Rhin, il est également professeur invité au Senzoku Gakuen College de Tokyo et membre du comité de pilotage scientifique du LabEx GREAM de l’Université de Strasbourg. Philippe Geiss est vice-président du Comité international du saxophone.

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UN SAXO VIA CARGO SPATIAL En 2015, il a assuré la direction artistique de Sax Open, XVIIe congrès & festival mondial du saxophone à Strasbourg. Pour cet événement, il imagine des saxophones dans des situations originales ; Thomas Pesquet qui est saxophoniste, rêve d’emporter son instrument dans l’espace. Le Strasbourgeois le contacte, l’astronaute répond immédiatement et participe au World

Streaming Show de Sax Open. Les deux hommes deviennent amis, Thomas est le président d’honneur de l’association « Sax&Co » créée par Philippe. Ce dernier participe à la vidéo qui

‘‘Thomas Pesquet

qui est saxophoniste, rêve d’emporter son instrument dans l’espace.’’

souhaite un bon voyage dans l’espace à l’astronaute. Dans ce film enregistré juste avant le grand départ, il y a aussi Bénabar, Tony Parker, Teddy Riner et quelques amis de l’astronaute, la Proxima family qui arrache des larmes. Pour le 39e anniversaire de Pesquet, célébré à bord de la station spatiale internationale, Geiss lui envoie un saxophone par cargo spatial, à son insu. Plus tard, il lui dédie Galaxsax qui réunit toute une galaxie de guests prestigieux comme Vincent David, Marija Aupy, Lars Mlekusch, Branford Marsalis, Barry Cockcroft, ou US Navy Band. Ce disque est le premier signé par le saxophoniste. Les conquêtes continuent…


LES PRIX LITTÉRAIRES CHEZ DROUANT

Nicolas Roses - DR Patrick Adler

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Texte :

Photos :

Un moment de douce folie strasbourgeoise ! À l’annonce, par Frédéric Beigbeder, du nom du lauréat du prix Renaudot 2017, tous les convives de la tablée d’amis invités par Patricia et Antoine Westermann chez Drouant, ont réagi d’un beau « Ouiiiiii » collectif et d’une salve d’applaudissements nourris. Il faut dire que la proportion de Strasbourgeois présents était appréciable et que ces derniers, dont nous faisions partie, ont su communiquer leur enthousiasme à l’instar de la princesse Hermine de Clermont-Tonnerre qui n’hésita pas à se revendiquer Alsacienne pour l’occasion ! LE « ROMAN-VRAI » DE OLIVIER GUEZ Plus sérieusement, c’est un moment délicieux d’émotion et de joyeuse excitation que nous avons vécu en compagnie d’Olivier Guez, qui, tel un enfant à qui l’on offre le cadeau dont il a toujours rêvé, nous confia dans une interview vidéo (plus de 32 000 vues sur notre page Facebook !) sa joie de voir à quel point « la vie littéraire est importante en France », et nous résu-

mant son sentiment par un « C’est magnifique ! » d’une sincérité si spontanée. Dans l’excitation du moment on en oublia presque le sujet un peu âpre du « roman-vrai » d’Olivier Guez, La disparition de Josef Mengele, et le fait que le Goncourt, décerné quelques instants plus tôt dans un silence de mort, à Eric Vuillard pour L’ordre du jour, qui décrypte la montée au pouvoir des forces hitlériennes, contribuait à ce que la newsletter TTSO (Time To Sign Off), connue pour son ton décalé, puisse parler d’une « grosse journée pour les nazis ». Pour notre part, nous vous avions fait partager dès notre numéro de septembre une interview d’Olivier au sujet de son roman que nous avions lu cet été, et dont, modestement, nous avions perçu la qualité sur un sujet vraiment pas facile à traiter. Sans doute une raison supplémentaire pour expliquer notre joie de partager avec l’écrivain strasbourgeois son immense bonheur, un 6 novembre 2017, Chez Drouant.

En haut : Olivier Guez Prix Renaudot 2017 En bas, à gauche : Bernard Pivot et le jury du Goncourt En-bas, à droite : Eric Vuillard Prix Goncourt 2017


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Photos :

Nicolas Roses - DR

Texte :

Patrick Adler

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071 070 En haut : Frédéric Beigbeder et Didier Decoin annonçant le prix Reanudot et le prix Goncourt En bas : Tahar Ben Jelloun et Bernard Pivot


Nous avons la perle qu’il vous manque…

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RUE89 STRASBOURG Le dur pari de l’indépendance

Jean-Luc Fournier – Emmanuel Jacob Jean-Luc Fournier

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Près de six ans après sa création, le site d’information Rue89 Strasbourg continue à labourer le sillon du journalisme d’enquête indépendant. Rencontre et tour d’horizon sans langue de bois avec son fondateur, l’ex-journaliste des DNA Pierre France…

En 1999, alors âgé de 28 ans, à sa sortie du CUEJ (le Centre universitaire d’enseignement du journalisme de Strasbourg), ce haut-savoyard d’origine avait déjà senti tout l’impact qu’aurait le numérique dans les années suivantes et particulièrement l’information véhiculée par le biais des sites internet (à l’époque les seuls supports techniquement éprouvés). C’est pourquoi il répondit aux sollicitations d’une filiale des DNA qui créait et hébergeait des sites pour le bénéfice d’entreprises : « J’avais espoir de contribuer au développement du propre site d’information du journal pour qu’il devienne une alternative crédible au papier. Pour moi, l’enjeu était déjà que les DNA proposent une véritable offre multimédia. Mais cet objectif n’a jamais été atteint, je suis allé de déception en déception, rien de crédible ne se mettait en place. J’ai très mal vécu cette situation, car je sentais que le journal allait accumuler beaucoup de retard et risquait de rater le virage du numérique… » Comme beaucoup d’autres dix ans plus tard, en 2011, Pierre France saisira donc l’opportunité de l’ouverture de la clause de conscience pour prendre le large. Ce dispositif, strictement encadré et hérité des lois sur la presse d’après la libération du pays en 1945, permet aux journalistes d’avoir l’opportunité de quitter le journal dès qu’un nouveau propriétaire l’acquiert. En l’occurrence, cette clause s’est ouverte après que le Crédit Mutuel soit devenu officiellement l’actionnaire du quotidien régional, après une longue bataille de procédure qui s’est terminée par un jugement du Conseil d’État. « Avec un collègue, nous avons été les seuls journalistes de moins de quarante ans à souhaiter bénéficier de cette clause »

se souvient-il. « Les plus anciens des journalistes qui l’ont négociée sont alors partis avec un chèque conséquent, puisque l’ancienneté est la variable prédominante. En ce qui me concerne, ce furent 40 000 €. Ils n’ont fait que transiter brièvement sur mon compte personnel. En fait, j’avais déjà mon idée et j’ai tout mis dans Rue89 Strasbourg. »

‘‘ Au contraire, ce sont les enquêtes, les interpellations du grand public ou de certains acteurs qui généreraient les idées d’articles qui constitueraient l’essentiel du sommaire publié.’’ LA RUDE BATAILLE DE L’INFORMATION VIA LE NUMÉRIQUE En 2011, Rue89 a déjà une histoire mouvementée derrière lui. Ce site « pure player », anglicisme signifiant qu’il ne produit que de l’information et n’est adossé à aucune entreprise marchande ou autre, venait d’être créé quatre ans plus tôt par une belle brochette de journalistes parisiens, réunie autour de Pierre Haski. Pierre France explique les origines de ce joli nom : « Rue, parce que c’était le parti pris de leur démarche d’alors. La ligne éditoriale ne s’élaborerait plus à partir des sacro-saintes confé-


Ci-dessus : Pierre France

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rences de presse auxquelles les journalistes sont invités à assister et qui, ensuite, servent de base à la rédaction des articles. Au contraire, ce sont les enquêtes, les interpellations du grand public ou de certains acteurs qui généreraient les idées d’articles qui constitueraient l’essentiel du sommaire publié. Et 89, en référence à un « chiffre plein de valeur, c’est la liberté, c’est la chute du mur » comme l’expliquera alors un des fondateurs, évoquant aussi la Révolution française deux siècles plus tôt. » Uniquement financé par la publicité, le site n’a jamais vraiment pu arriver à l’équilibre, malgré une levée de fonds de plus d’un million d’euros un an après sa naissance (les actionnaires d’origine restant alors majoritaires) et un soutien public via un fonds dédié au développement des médias. En cette fin d’année 2011, au moment où Pierre France réussit à faire labelliser son entreprise sous le nom de Rue89 Strasbourg, le site national est en train de négocier son rachat par le Nouvel Observateur. L’hebdomadaire, comme certains l’avaient commenté à l’époque, n’avait en fait pour seul but que de se hisser au sommet de la hiérarchie de l’audience des groupes d’infor-

mation en ligne. Très vite, Rue89, qui était leader, a été dépassé par son concurrent le Huffington Post puis est devenu ensuite un simple onglet du site de l’Obs. UNE FRAGILITÉ PERMANENTE À quelques semaines de son sixième anniversaire (en février prochain), Rue89 Strasbourg est toujours animé par le même esprit éditorial d’origine. « 90% de nos productions proviennent de tuyaux dont nous bénéficions ou d’enquêtes que nous réalisons. Notre équipe est bien sûr modeste : deux journalistes à plein temps et une demi-douzaine de pigistes dont les salaires, à eux tous, équivalent à un troisième plein temps. Notre chiffre d’affaires est aujourd’hui de 100 000 €, dont 80 000 € qui proviennent de la publicité. Le déficit est compensé par des rémunérations faiblardes, surtout la mienne » sourit-il. « Nous avons aussi lancé une formule d’abonnement à 5 € par mois, 300 personnes y ont répondu. Mais il nous faudrait mille abonnés pour être sereins. Personnellement, je crois encore à la formule abonnements + publicité, je pense qu’il ne faut plus grand chose pour que ça soit jouable… »


Photos :

Jean-Luc Fournier – Emmanuel Jacob

Texte :

Jean-Luc Fournier

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Le dispositif Rue89 Strasbourg lors des dernières élections régionales

Pierre France ne cache rien de la ventilation des recettes publicitaires du site : 40 % proviennent de la Ville de Strasbourg et de ses organismes publics satellites, 40 % des institutions culturelles locales (heureusement nombreuses et puissantes à Strasbourg – NDLR), 10 % du département du Bas-Rhin et le solde, soit 10 %, des promoteurs immobiliers. À la lecture de ces chiffres, on pressent sans peine que le pari de l’indépendance doit représenter un combat quotidien. « Quelquefois, on a des échos que ça grince… » dit-il avec un petit sourire aux lèvres. « Notre vocation est de sortir des trucs, de l’info qui est susceptible de ne pas plaire à tout le monde. Alors, souvent, notre commercial témoigne que cette ligne éditoriale ne favorise pas toujours les nouveaux contrats publicitaires. Une fois, on a sorti un article qui avait fâché la Ville de Strasbourg. Six mois sans pub ! Et puis, c’est revenu… Je pense que la Ville est très consciente qu’on peut disparaître en trois mois et qu’alors, les répercussions seraient assez moches pour son environnement médiatique direct… Pour moi, quelquefois, c’est tempête sous un crâne au moment de publier. Mais on publie, car j’ai trop vu les méfaits de l’auto-cen-

sure. Contrairement à ce que d’aucuns affirment, en dix ans de carrière au quotidien local, je n’ai jamais été témoin d’une censure venue de la direction et qui a empêché la rédaction d’un article. En revanche, je suis certain que l’auto-censure est souvent de mise. En vérité, je suis certain également que l’actionnaire principal des DNA étant devenu une société mondiale, il n’accorde pas une très grande attention à ce qui est publié quotidiennement dans son journal. Mais je comprends que ce soit un souci pour mes collègues journalistes qui y travaillent. Personnellement, et je ne me glorifie ainsi de rien, je suis né avec un vrai mauvais esprit, je suis fait ainsi, comme une sorte d’aiguillon permanent et j’assume ça tranquillement. J’ai conscience que j’agace tout le monde. Dans ces conditions, le fait d’être journaliste est une excuse bien confortable… » dit-il en se marrant, juste avant de conclure : « Mais l’aiguillon est aussi aiguillonné. L’aiguillon de l’aiguillon, ce sont nos pigistes, ils restent chez Rue89 Strasbourg entre un et deux ans et je peux vous dire qu’ils nous requestionnent en permanence. On est finalement très dépendants d’eux et ils nous évitent de nous endormir… »


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YANNICK LEFRANÇOIS Destin de presse Chaque lundi dans la célèbre rubrique Chuchotements des DNA (et le dimanche aussi, pour les lecteurs du cahier local de Strasbourg), le dessin de presse de Yannick Lefrançois est dégusté par les lecteurs qui ont bien compris qu’il en dit quelquefois beaucoup plus qu’un long article. Rencontre avec un pur talent...

Jean-Luc Fournier

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Texte et photos :

Il n’est Strasbourgeois « que » depuis l’automne 1989. « Parce qu’au fond, je ne suis de nulle part », sourit Yannick Lefrançois, en se souvenant que les fréquents changements de garnison de son militaire de père l’ont trimballé un peu partout, après sa naissance à Dijon il y a quarantehuit ans. Et donc, Strasbourg ? « Parce que j’ai été reçu aux Arts déco », répond-il du tac au tac. « Je me suis installé ici et je n’ai plus jamais bougé. J’aime beaucoup la ville, vraiment, je m’y sens chez moi, elle est très attachante. Ici, on bénéficie d’une

‘‘La politique, c’est tellement la commedia dell’arte que, vu comme ça, l’exercice est passionnant’’ formidable qualité de vie, car Strasbourg est restée à taille humaine. J’avais choisi les Arts déco de Strasbourg, car j’espérais intégrer l’atelier d’illustration de Claude Lapointe (ce célèbre dessinateur et enseignant a formé toute une génération d’illustrateurs à Strasbourg – NDLR). À mon entrée dans l’école, j’avais un beau petit coup de crayon, alors tout le monde me disait que je dessinais bien, que j’étais doué, et tout ça... Bien sûr, tu y crois. Mais dès le début des cinq ans de cursus, tu comprends vite que tu vas avoir beaucoup à apprendre. Donc, j’ai beaucoup appris… »

LA POLITIQUE, C’EST LA COMMEDIA DELL’ARTE Un an environ avant de terminer les Arts déco, c’est un triste événement qui va sceller le destin professionnel de Yannick. André Wenger, le grand caricaturiste du quotidien régional, un des membres de la « bande du Barabli » de Germain Muller, décède brutalement. Pour lui succéder, Claude Keiflin fait alors appel à Claude Lapointe pour lui conseiller le meilleur de ses élèves. Ce dernier lui en recommande huit qui, pendant plusieurs semaines, seront en compétition pour le dessin du lundi matin dans les Chuchotements. À l’issue de ces longs éliminatoires, c’est Yannick Lefrançois qui héritera de la très convoitée rubrique hebdomadaire. « Et depuis, je n’ai tout simplement jamais arrêté », dit-il. « Je n’ai pas compté le nombre de dessins publiés, en tout cas c’est plus que mille, à coup sûr. Chez moi, j’ai dix gros classeurs administratifs qui sont alignés sur une étagère, mes dessins sont tous classés dedans, semaine après semaine. Sincèrement, j’adore le dessin de presse et tant mieux, parce qu’il faut bien dire que je ne fais pas ça pour l’argent. Et d’ailleurs, je n’ai pas été augmenté depuis 1995, tu imagines ! J’ai essayé, mais ça n’a jamais marché ! (rires). La politique, c’est tellement la commedia dell’arte que, vu comme ça, l’exercice est passionnant. C’est du concentré d’humain et, comme tout est exacerbé, on distingue beaucoup mieux les défauts des gens. Et ça, ça me plaît bien. Je me suis alors dit que le dessin de presse pouvait vite devenir ma vitrine et m’amener d’autres boulots. Ce qui a été le cas. Je suis illustrateur tous azimuts, j’ai fait beaucoup de livres pour enfants en profitant de ce que j’ai appris aux Arts déco où l’enseignement est finalement beaucoup tourné vers la jeunesse. Les entreprises font également appel à moi pour la pub, pour leur communication interne. Avec l’informatique d’aujourd’hui, on exécute vraiment très rapidement nos dessins. On est très réactifs et les entreprises apprécient ça… »


RETRANSCRIRE L’AIR DU TEMPS

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Quand on lui fait remarquer que cela fait donc près d’un quart de siècle qu’il dessine pour la presse, Yannick soupire bruyamment (« C’est horrible… ! ») et feint de découvrir à quelle vitesse le temps passe. « Sincèrement, j’en ai évidemment beaucoup plus appris durant ces vingt-cinq ans qu’à l’école. En fait, je n’ai jamais eu un style de dessinateur de presse, un truc très enlevé comme Lefred-Thouron ou Pétillon,

un truc à la Charlie, quoi... Et je ne parle évidemment même pas de Cabu, qui fut un dessinateur extraordinaire. En deux traits, à peine, la ressemblance avec son personnage était fabuleuse... En ce qui me concerne, au niveau du dessin de presse, j’ai peu à peu réussi à supprimer tout ce qui ne servait à rien, j’ai épuré. Ça, c’est la maturité qui fait que tu arrêtes de vouloir à tout prix prouver des choses. En fait, tu y parviens quand tu réalises vraiment ce que


Jean-Luc Fournier

Texte et photos : OR CADRE

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les lecteurs attendent du dessin de presse qui trône au beau milieu de la page. Donc tu finis par aller directement à l’essentiel, tu clarifies ton propos et ça, évidemment, ça se ressent dans le trait, dans la mise en scène, dans la manière dont tu poses les choses. Mais là où cette démarche se ressent le plus, c’est sur le fond. Comme le disait Alain Kaiser, mon prof de photo aux Arts déco : «Tu veux faire de la photo ? Et bien, bouquine, va au cinéma, sors, va faire de la rando, nourris-toi de la vie, ça va te donner un regard !» Dans la vie, tu ne cesses donc d’acquérir de l’expérience. Mais pour autant, mes dessins ne représentent pas seulement ma perception personnelle de tel ou tel événement ou situation. Je ne donne pas mon opinion, je ne suis ni journaliste ni militant, je tente juste de retranscrire l’air du temps... tel que le vivent les gens, c’est-à-dire nous tous… » ET CÔTÉ RÉACTIONS ? Un sujet important restait à aborder : celui d’une éventuelle censure et, corrélativement, celui des réactions des hommes politiques croqués dans les dessins hebdomadaires. « Du côté du journal », commente Yannick, « je n’ai été victime d’un rejet

de dessin que de façon rarissime... Il faut dire qu’avec le temps, j’ai pris un peu d’épaisseur, et sans doute que je parviens ainsi à mieux imposer mon travail. C’est aussi parce que je connais mes limites, en quelque sorte, je sais bien qu’il y a des sujets hyper difficiles à aborder... De toute façon, ça reste un travail de funambule, il ne faut pas se leurrer. Et du côté des réactions des hommes politiques, jamais je n’ai eu une réaction en direct. Ils vont se plaindre au journal et, quelquefois, ça me revient par la bande. Après le fameux dessin sur la sortie de Philippe Richert, j’ai appris que certains membres de son entourage proche se sont plaints du dessin auprès du directeur général ou du rédacteur en chef. Mais aucun ne m’a jamais appelé. D’ailleurs, dernièrement, Robert Grossmann est passé me voir à mon bureau. Il m’a confié qu’il avait été assez souvent affecté par certains de mes dessins, et je peux le comprendre (sourire), mais jamais il n’est intervenu pour faire pression, et ça, il en est lui-même assez fier, au nom de la liberté de la presse. Et, c’est vrai, bien qu’il fut souvent au centre de mes productions, jamais je n’ai entendu parler de lui… »


23 septembre 2017 25 février 2018

Laboratoire d’Europe Strasbourg 1880-1930

Cette exposition est reconnue d’intérêt national par le ministère de la Culture / Direction générale des patrimoines / Service des musées de France. Elle bénéficie à ce titre d’un soutien financier exceptionnel de l’État.

Sophie Taeuber-Arp, Composition abstraite désaxée, vers 1926-1927. Vitrail. Strasbourg, MAMCS. Photo : Musées de Strasbourg. Graphisme : Rebeka Aginako

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Cette exposition-événement dévoile comment de nouveaux savoirs et formes artistiques inédites sont nés des rencontres et croisements entre cultures allemande, française et plus largement européenne, en un temps où Strasbourg fut un véritable laboratoire interculturel.


FRANÇOISE PFERSDORFF Violée à 5 ans

Photo :

Vincent Muller Eric Genetet

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À l’heure où, pour exister, certains étalent leur intimité sur les réseaux sociaux, machinalement, comme de la margarine sur leurs tartines du petit déjeuner, un voile sur les yeux, il est important de savoir jusqu’où il est possible d’aller dans la révélation de ses secrets, de sa vie privée… C’est justement sur Facebook qu’on a « appris » pour Françoise Pfersdorff, la conseillère départementale, Canton Strasbourg 4. Ses publications n’ont rien en commun avec le voyeurisme ambiant, les mises en scène pathétiques ou les étalages gluants d’autocongratulations de la toile. Non, le seul but de Françoise Pfersdorff est d’aider les autres, comme elle a pu être aidée. Depuis quelques mois, elle s’inscrit dans une chaîne humaine fantastique et pour cela, les moyens de communication d’aujourd’hui sont formidables. Venons-en au fait. LA SIDÉRATION Elle a cinq ans quand elle est agressée sexuellement ; c’est un homme d’âge mûr, elle le connaît, il vient parfois dans sa maison. Il lui propose un bonbon, elle le suit. Elle échappe à la surveillance maternelle et se retrouve avec lui au sous-sol. Tout se passe très vite. Et aussitôt, la peur, tellement intense, la douleur, trop forte, cet instant effroyable se cache au plus profond de sa mémoire. On dit que le cerveau se protège pour éviter la mort, il disjoncte, c’est la sidération. Une bombe ! Le temps passe. Sans connaître la cause exacte, elle a « oublié », la bombe se réactive, parfois, souvent. Ses réactions sont démesurées. Pendant longtemps, très longtemps, une vie, elle développe des procédures d’évitements, elle a peur du vide, des adultes, des hommes évidemment, elle ne supporte pas qu’on la touche pour une piqûre, un vaccin, ou une visite médicale pratiquée par un homme. Personne n’imagine ce qu’elle a vécu, personne ne sait qu’elle

est passée au rouleau compresseur. Elle ne dira rien, pas un mot, jamais ! Une cave, ça n’existe pas. ÊTRE VIOLÉE, C’EST ÊTRE MARQUÉE AU FER ROUGE Françoise devient journaliste, son métier l’apaise pour un temps, des rencontres passionnantes lui permettent de penser à autre chose. Elle se marie, fonde une famille, fait quatre enfants, mais ce que l’histoire ne dit pas, c’est qu’elle est en capacité de réaliser tout cela au prix d’une dépense d’énergie phénoménale. Elle lutte contre la peur, contre ses phobies, contre de multiples sources d’angoisse, elle avance avec des boulets à traîner. En fait, elle se sent constamment en danger. Elle met du temps à s’adapter, cherche des protecteurs, elle a des comportements inconscients, des conduites à risques, elle roule vite, très vite en voiture, elle se fait « disjoncter » avec de l’alcool, parfois certaines substances. C’est récurrent chez les enfants violés, pour échapper à des situations de détresse, aux attaques de panique intolérable, mis à part une dépression ou une tentative de suicide, à l’âge adulte, ils se mettent en danger pour trouver du soulagement : « Quand tu vis comme ça, tu es très seule, en permanence. Être violée, c’est être marquée au fer rouge ; il y a eu des périodes de rémission, mais globalement, jusqu’à un passé assez récent, j’étais coupée en deux ». Tout est compliqué, la vie de famille. Tout. Et cette bombe qui est toujours là, ce minuteur qui résonne partout en elle, qui ne s’arrête jamais vraiment. LA CHANCE D’AVOIR LE COURAGE Un jour, elle n’avance plus. C’est une vraie prise de conscience. Elle va consulter, un premier travail qui dure deux ans. Deux ans seulement, car elle ne peut pas aller plus loin, il y a des résistances, ça fait peur, toujours trop peur. Mais elle trouvera le courage de reprendre les consultations. Ce travail sur soi, aidé et guidé par un thérapeute formé, bienveillant et disponible, dure des années. Avec lui, elle remonte le fil de sa vie, jusqu’au traumatisme. En 2014, elle


LA LIBÉRATION DE LA PAROLE EST EMPIRIQUE Il lui a fallu une cinquantaine d’années pour comprendre et mesurer l’impact de l’agression. Tout ce temps pour se libérer, retrouver son énergie, dépasser ses blessures, la collision : « Aujourd’hui, je suis beaucoup plus forte, une guerrière avec un talon d’Achille dont je n’ai plus honte ». Avec une force immense, elle témoigne et milite pour briser cette loi du silence qui empêche les victimes de s’exprimer, de se libérer de leur fardeau et d’accepter l’affrontement avec un passé douloureux en s’engageant dans un parcours thérapeutique. Elle se bat pour faire mieux reconnaître les blessures psychiques des victimes de violences, pour dire que le viol n’est jamais un acte banal qu’il faut taire. Elle crie haut et fort qu’une prise en charge précoce multiplie les chances de résilience, pour supprimer les délais de prescriptions des crimes sexuels sur mineurs de moins de 15 ans, pour permettre aux victimes de porter plainte (le pédophile qui l’avait agressée n’a

‘‘ Aujourd’hui, je suis beaucoup plus forte, une guerrière avec un talon d’Achille dont je n’ai plus honte ’’ 81

« débarque » l’agression. C’est la mémoire traumatique. Ces moments sont extrêmement douloureux et violents, car, elle revit l’enfer de la cave. Tous les éléments du puzzle ne remontent pas à la surface, mais elle peut réintroduire sa mémoire traumatique dans sa mémoire autobiographique. C’est le fond du travail : « Une fois le trauma identifié et remis à la bonne place, il faut vivre avec le sentiment d’avoir été salie et abîmée. La honte s’installe. Je disais alors que j’appartenais à la famille des abîmés ».

pas été inquiété), même longtemps après les faits, quand la mémoire se réveille après un travail sur soi essentiel. Françoise Pfersdorff est sur tous les fronts, son expérience est un extraordinaire exemple de courage. La petite fille de cinq ans qu’elle est certainement encore n’est plus enfermée dans une cave, elle peut enfin parler ; finalement elle dira tous les mots, toujours.


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En-haut : Vue sur la façade sur cour en 1922 En-bas : La façade de la Brasserie des Haras

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Photos : DR- Hélène Hiilaire - Fonds Denkmalarchiv, Ministère de la culture, Freyermuth 1922, DRAC Grand Est, pôle des patrimoines

Texte : Patrick Adler


DES DIACONESSES AUX HARAS

L’histoire d’une renaissance exemplaire À l’origine, dans ce vieux quartier du Finkwiller, deux lieux emblématiques de Strasbourg : les Haras royaux et la Maison des Diaconesses. Un peu d’Histoire donc… C’est en 1756 que la grande écurie de la rue SainteElisabeth est créée et accueille trente-deux étalons pour le service du Haras, mais les lieux abritent également l’Académie d’équitation, de danse et d’escrime. Aboli par la Révolution, en 1790 le bâtiment des Haras royaux est transformé en magasin d’équipement militaire. L’administration des Haras est rétablie par un décret impérial en 1806 et à partir de 1845 seul le Haras national occupe encore les lieux. Après avoir frôlé plusieurs fois la fermeture, notamment dans les années 1960, les Haras, devenus également un lieu de création artistique et culturelle, voient en 2005 les derniers étalons les quitter et tous les Strasbourgeois se demander, à l’époque, ce que va devenir ce lieu historique…

‘‘J’ai toujours été fasciné par ce bâtiment que je considère comme l’un des plus beaux de Strasbourg !’’ Pr. Jacques Marescaux

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La Maison des Diaconesses, elle, dont la fondation remonte à 1836, a abrité une institution qui joua depuis, un rôle majeur dans l’éducation, la formation et la santé des Strasbourgeois. En effet, les sœurs diaconesses dont la vocation première était d’apporter des soins aux pauvres et aux malades, ont très vite enseigné aux enfants, puis formé elles-mêmes des institutrices et des gardes-malades.

En 1855 elles créent la première crèche de Strasbourg, en 1871 elles sont à l’initiative d’un premier pensionnat pour jeunes filles protestantes qui sera à l’origine du collège Lucie Berger. En 1949, le Diaconat ouvre son école d’infirmières et en 1969 un cours pour les aides-soignantes. En 1989 c’est la reconstruction du plateau chirurgical, puis la création du réputé « service d’urgences Main », suivi enfin d’un vaste chantier de rénovation de la clinique sur trois ans. Mais malgré ces travaux, la clinique du Diaconat sera à nouveau obsolète et finit par choisir d’intégrer le grand projet Rhéna en se regroupant avec la clinique Sainte-Odile et la clinique Adassa. RÉNOVATION, EXTENSION… DANS LE RESPECT DU PASSÉ Un homme et une institution sont à l’origine de la renaissance de ces deux lieux emblématiques de l’histoire de Strasbourg : le professeur Jacques Marescaux et l’IRCAD (Institut de Recherche Contre les Cancers de l’Appareil Digestif). À l’initiative d’un bail emphytéotique signé avec la ville et permettant à l’IRCAD d’assurer l’ambitieuse rénovation, Jacques Marescaux affirme « J’ai toujours été fasciné par ce bâtiment (NDLR : Les Haras) que je considère comme l’un des plus beaux de Strasbourg ! Passionné par les chevaux et par l’architecture équestre, je ne pouvais pas passer à côté de l’opportunité de restaurer ce site ». Et c’est ainsi que le premier projet de rénovation abrite aujourd’hui le Biocluster, la Brasserie et l’Hôtel des Haras.


Photos :

DR- Hélène Hiilaire - Fonds Denkmalarchiv, Ministère de la culture, Freyermuth 1922, DRAC Grand Est, pôle des patrimoines Patrick Adler

Texte : OR PISTE

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En-haut, à gauche : L’entrée de la Cour des Haras En-bas, à gauche : Vue du patio du projet Cour des Haras À droite : Georges Bousleiman

« La Cour des Haras, le dernier projet d’extension initié par l’IRCAD et lié à l’acquisition de la Clinique des Diaconesses, s’inscrit dans une suite logique » précise le professeur Marescaux. En effet la création d’un « hospitel » destiné à recevoir les malades au lieu de les maintenir trop longtemps en milieu hospitalier, l’agrandissement de l’hôtel des Haras et la construction d’un magnifique Spa, et enfin la réalisation d’un ensemble résidentiel de très grande qualité contribueront à valoriser l’ensemble du quartier, en respectant l’histoire des lieux.

‘‘ Il n’est pas aisé de s’attaquer au

remodelage du paysage urbain...’’ Georges Bousleiman

Georges Bousleiman, fondateur et PDG de la SAS-3B, grand promoteur strasbourgeois en charge du projet de la Cour des Haras évoque en

ces termes le challenge à relever : « Nous intervenons sur un site hautement historique occupé depuis la première moitié du XIIIe siècle par différentes activités humaines successives qui ont façonné la mémoire collective des lieux. Il n’est pas aisé de s’attaquer au remodelage du paysage urbain que produit la reconversion du site (…) en nouveaux immeubles de logements sans tenir compte du passé. » Et ce ne sont pas des mots en l’air puisque le dirigeant de SAS-3B est allé jusqu’à demander à une historienne d’éclairer ses équipes afin d’inscrire le projet architectural dans la continuité de l’histoire du site tout en osant faire appel à des designers de renom, capables de l’interpréter de manière intemporelle. Voilà une approche qu’on aimerait observer plus souvent s’agissant de projets touchant au patrimoine urbain, et il faut donc saluer la volonté du professeur Jacques Marescaux, comme celle de Georges Bousleiman, de viser l’excellence, et de se donner les moyens de l’approcher.


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#LEFUTUR

‘‘Ce qui est le plus marrant, c’est de rigoler’’

Christophe Urbain Charles Nouar

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Thomas Lafont, chef de projet - Adrien Moerlen, graphiste - Christophe Urbain, photographe. À eux trois ils forment LeFutur de la com’. Certes entre deux apéros, un concours de fléchettes et un chien qui se trimballe avec un chausson à l’effigie de Beyoncé dans la gueule, mais quand même…

« Ça va avec ton côté journaliste de t’habiller comme the Dude ? ». « Ouais. Je réfléchis à l’idée de me mettre au bowling, aussi. Mais bon, c’est sport... ». « Ouais, j’comprends ». « Et Faust (le chien mascotte de LeFutur, NDLR), quel est son rôle dans l’équipe ? ». « Il fait des croche-pieds », sourit Tom. « Sinon, à la question est-ce qu’on se la pète, la réponse est oui. Ah non, désolé : Pomme Z ». Débuter un entretien avec l’équipe de LeFutur peut avoir quelque chose de déroutant. Un peu comme interviewer Alain Chabat à la sortie de la Cité de la peur. Adeptes du second degré (et plus), Thomas Lafont, Adrien Moerlen et Christophe Urbain se sont initialement croisés autour de la musique : soirées DJ mariages pour Thomas et Christophe, concerts des Crocodiles et Bang Bang Cock Cock avec Adrien. Au début, reconnaît Tom, « c’est vrai, j’avais d’autres ambitions : devenir maire de Strasbourg. Enfin, non. Chronologiquement, j’ai d’abord voulu être député à 40 ans, mais j’ai quitté cet objectif pour me rapprocher des territoires et c’est vrai que la mairie m’a semblé la meilleure option. On m’a dit, commence par Bischheim ou Schilick, mais j’ai dit non. Eschau ? Pas inintéressant, mais... c’est bouillant ». Second degré et plus, qu’on vous avait dit. LÀ, J’AI FAIT WAOUUUH, P... ! C’EST DES PROS, LES MECS ! Tom-Christophe : première rencontre ? À des soirées mariage, donc. Bien qu’issus de cercles différents, tous deux s’y croisaient pour mixer. « Christophe s’est présenté à moi six années d’affilées : ‘Bonjour, Christophe Urbain. ‘Bah, oui, je sais’, à force. »,

s’amuse Thomas. « Quant à Adrien, on s’est rencontré via Benjamin Voiturier de l’agence VO, poursuit-il. VO était alors la seule boîte dans laquelle j’avais envie de bosser. » Musicien en parallèle de son activité de graphiste, Adrien avait de son côté monté avec Ben les Crocodiles avant de s’engager dans l’aventure Bang Bang Cock Cock. Le premier concert que voit Thomas se passe à La Grotte. « À l’époque, je n’écoutais pas de rock, mais là j’ai fait la groupie ! Les Crocos ont fini le concert de la plus belle des manières qui soit : gros riff à l’américaine et d’un seul coup, bam ! Plus rien. Là, j’ai fait waouuuh, p... ! C’est des professionnels, les mecs ! En fait, non, ce n’était pas voulu. Un type avait juste renversé une bière sur une triplette ! Mais j’ai adoré cet instant. On s’était déjà croisés avec Adrien, mais je crois que ce soir là il m’a trouvé sympa et on est devenu potes ».

‘‘[...] l’aventure LeFutur nous a permis de redécouvrir que la com’ est un métier noble

avec, dans nos cas, un fond, un message intéressant à proposer.’’


De gauche à droite : Christophe Urbain, Thomas Lafont, Adrien Moerlen

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« Potes » est sans doute l’un des mots clés de LeFutur. Mais « potes » talentueux. Pas un hasard, sans doute si V.O finit par intégrer Tom à ses équipes aux côtés d’Adrien et Christophe qui collabore également pour l’agence, entre deux reportages pour les plus grands titres de la presse nationale. Les liens se resserrent entre les trois au point de ne plus se quitter et de plancher entre deux journées de taff et trois apéros sur de l’expérimentation graphique, photo, visuelle. Histoire d’affiner, consciemment ou non ce que deviendra LeFutur. « LE COUP LE PIED AU CUL QUI NOUS MANQUAIT POUR RETROUVER LE FEU SACRÉ » Puis, pour Adrien et Tom, après 16 et 8 ans à travailler pour V.O, vient l’heure de la rupture conventionnelle de contrat. « J’avoue que je n’étais pas au mieux, à ce moment, confie Tom, mais Adrien m’a convaincu que c’était une super nouvelle. Peut-être le coup le

pied au cul qui nous manquait pour retrouver le feu sacré, sortir de notre train quotidien ». Restait alors à formaliser le saut administratif dans « LeFutur ». Quel statut, quelles démarches, quelles charges ? Le cauchemar ou presque de tout jeune créateur d’entreprise. Monter une société ? Non, coupe Tom : Il faut du volume pour que cela en vaille réellement la peine. Le « collectif à géométrie variable » associant illustrateurs, vidéastes, web agencies, motion designers, journalistes… aura leur préférence. « En fait, l’aventure LeFutur nous a permis de redécouvrir que la com’ est un métier noble avec, dans nos cas, un fond, un message intéressant à proposer. De travailler différemment, sur-mesure, aussi, en associant tout le monde, dès le début à la réflexion projet, photographe inclus, alors que celui-ci n’est la plupart du temps que contacté une fois que tout est figé ». www.lefutur.eu


JEAN-PIERRE HORNECKER Le magicien du Neuhof Dan Leclaire, le sympa, original, dynamique, entreprenant et punchy (rayez les mentions inutiles) Dan Leclaire. Il fut garçon-boucher puis magicien avant, plus récemment, d’animer des séminaires pour les entreprises. Mais sa passion de toujours pour l’illusion, il la doit pour beaucoup à un véritable personnage connu bien au-delà de Strasbourg et même des frontières nationales : Jean-Pierre Hornecker, le magicien du Neuhof…

Jean-Luc Fournier

MAGIX : STRASBOURG-NEUHOF Dans les années 80, un mystérieux (et superbe) catalogue était disponible sur simple envoi d’un coupon qui paraissait dans la presse nationale sous forme de publicité et qu’il fallait renseigner avec son adresse. Son nom claquait fort : Magix ! Tous ceux qui se sont intéressés un jour ou l’autre à l’illusion ont fini par le recevoir, et sans doute beaucoup ont-ils commandé, peut-être un jeu de cartes truqué, ou encore un

‘‘Il n’y a pas que le don et le

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goût de la magie. Il faut aussi

un travail sans répis, quotidien,

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Qui n’a pas rêvé un jour de devenir magicien ? Qui n’a pas rêvé de contempler les yeux ahuris d’un public bluffé par un de ces tours diaboliques qu’il n’oubliera jamais ? Qui n’a pas rêvé de manipuler à son tour ces jeux de cartes dont les possibilités infinies déjouent toutes les logiques préétablies et vous plongent dans une parfaite sidération ? Oui, qui n’a pas rêvé d’être celui qui entretient ce mystère-là : devenir, l’espace d’un instant, un personnage aux pouvoirs infinis…

dans cet art.’’

pour parvenir à l’excellence

rouleau à fabriquer de la fausse monnaie, ou bien la fameuse ficelle qu’on coupe à de multiples reprises et qui réapparaît intacte entre deux frottements de doigt... Quelquefois, ce fut la naissance d’une belle vocation, d’autres fois la simple découverte, au final décourageante, qu’il faut travailler, beaucoup travailler pour donner l’illusion... En septembre dernier, au moment de sélectionner un personnage Or Norme comme nous le faisons chaque trimestre, on s’est souvenu de cette époque et surtout de l’adresse de Magix : Strasbourg-Neuhof. Naturellement, on a demandé à Dan qui, selon nous, devait savoir. Et c’est là que c’est devenu… magique, car non seulement l’ami Dan connaissait très bien le magicien du Neuhof, mais ce dernier fut pour lui un véritable maître à penser… MAGIX ! HORNECKER, STRASBOURG ! Et, en route pour Magix au volant de sa voiture, Dan de nous raconter pêle-mêle, le nombre incalculable de voyages qu’il a dû accomplir, à l’âge de l’adolescence, entre son domicile au centre de Strasbourg et la rue de la Klebsau, aujourd’hui à quelques dizaines de mètres du centre culturel Django Reinhardt à l’orée du Neuhof, « À l’époque, il n’y avait que le bus, c’était long et compliqué, mais la hâte et le plaisir de la découverte sous la houlette de Jean-Pierre Hornecker étaient irrésistibles. Cet homme m’a appris un nombre incroyable de choses et surtout, grâce à lui, j’ai compris qu’il n’y a pas que le don et le goût de la magie, il faut aussi un travail sans répit, quotidien, pour parvenir à l’excellence dans cet art. Aucune improvisation n’est tolérée, c’est une véri-


table discipline qu’il faut s’imposer » résume-t-il en stationnant son véhicule devant la maison Magix. Juste avant de sonner, il ajoute : « Il faut bien que tu comprennes la notoriété de Magix. Il n’y a pas si longtemps, alors que j’arrivais à Las Vegas pour un congrès de magiciens avec Cédric, le fils de Jean-Pierre qui est mon ami d’enfance, celui-ci portait un t-shirt avec le nom de Magix bien apparent. « Ah Magix ! Hornecker, Strasbourg !.. » se sont mis à nous dire des dizaines de magiciens. Jusqu’à l’inventeur du tour du journal qu’on déchire et qui réapparaît intact, qui a dit ce jour-là à Cédric : c’est ton père qui a traduit mon bouquin ! Je te dis ça juste pour que tu mesures qui est le personnage que tu vas rencontrer… »

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Il ne faut pas longtemps à Jean-Pierre Hornecker, aujourd’hui âge de 75 ans, pour capter notre attention. Les coudes solidement calés sur une petite table évidemment revêtue de l’indispensable tapis sur lequel on imagine volontiers que des milliers de cartes ont sans doute déjà glissé, l’œil malin qui regarde très souvent juste par-dessus la monture de lunettes, M. Magix raconte sa « rencontre avec la magie vers l’âge de quinze ans, à une époque où il n’y avait pas de close-up (la magie de table — NDLR) et seulement la magie sur scène que j’ai ensuite pratiquée pendant une quinzaine d’années, en parallèle avec mon métier de typographe avec lequel je gagnais ma vie. Les samedis et les

De gauche à droite : JeanPierre Hornecker, son fils Cédric et Dan Leclaire


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connaissais bien et qui était passé me rendre visite » se souvient Jean-Pierre Hornecker. « Au restaurant, il me dit tout-de-go qu’au lieu de vendre des livres, je ferais mieux de vendre des tours de magie. Au début, je n’ai pas été très chaud avec cette idée-là, car vendre un tour, c’est aussi vendre l’explication du tour, la méthode pour le réaliser parfaitement. Et cette méthode, quelquefois, c’est dix ou vingt pages, on ne peut pas résumer, c’est quelquefois complexe. J’ai commencé par vendre un tour qu’il avait créé puis je me suis mis à acheter d’autres tours un peu partout et c’était parti ! Ceci dit, ce n’était pas si simple pour convaincre des magiciens de me vendre leurs créations, il fallait souvent les flatter, les travailler sinon ils ne te vendaient absolument rien. C’était un cercle extrêmement fermé… »

De haut en bas : Dan Leclaire et le tour de la fausse monnaie

dimanches, j’étais costumé en maharadjah hindou avec un turban et je travaillais à grands coups de nœuds voyageurs, avec des foulards, ou des cordes avec des lames de rasoir. Puis, passée la trentaine, au milieu des années 70, j’ai eu l’opportunité de racheter une petite machine offset d’imprimerie pour pas grand chose car c’était dans le cadre d’une faillite. Et là, j’ai édité un premier livre sur la magie, puis un deuxième… qui se sont bien vendus pendant une courte décennie. ». Dan Leclaire, qui depuis le début de l’entretien a quasiment retrouvé ses yeux d’ado ajoute : « Jean-Pierre est trop modeste, il a édité des livres qui sont devenus très vite de véritables références, comme le fameux Cartomania de Richard Vollmer : je ne pouvais pas venir ici à l’époque sans le feuilleter… » Au début des années 80, ce sera la rencontre décisive : « C’est un magicien parisien que je

Le petit business de départ va très vite connaître un développement encore inimaginable quelques mois plus tôt. Jean-Pierre va avoir une idée de génie : celle de décrypter et expliquer des centaines de tours (bien souvent après avoir traduit ceux proposés en langue étrangère), d’en écrire pour chacun une petite notice et de compiler le tout dans des catalogues paraissant régulièrement. « En plus d’écrire ces présentations et publier ces catalogues, j’ai innové en écrivant des notices vraiment complètes pour réaliser les tours. J’ai eu l’instinct qu’il fallait prendre grand soin d’être exhaustif, clair et précis. Ça a bien marché, j’ai continué… » ajoute Jean-Pierre. À notre question sur le nombre de tours décrits par cette véritable encyclopédie vivante de la magie, Jean-Pierre hésite. Son fils Cédric dit : « Ça se compte par milliers… ». Son père répond en rigolant à chaude voix : « À peu près !... » Et Dan d’opiner encore : « Pour entrer ici, au début des années 90, il fallait vraiment montrer patte blanche. Je me souviens qu’il y avait du matériel de tours absolument partout, par terre, dans la baignoire de la salle de bain, dans le moindre espace disponible… Il y avait des sacs postaux énormes, chacun d’entre eux pesait effroyablement lourd ». « À une époque, on a eu jusqu’à 140 fournisseurs du monde entier », se rappelle Cédric Hornecker, qui assiste à l’entretien.


L’AVENTURE CONTINUE SUR LE NET… C’est une véritable bouffée de nostalgie qu’on ressent quand on revoit ces catalogues mythiques, commandés et reçus par des centaines de milliers de Français, passionnés de magie. Et on est encore stupéfait, des décennies après, de réaliser que tout cela s’est toujours fait à partir de cette petite maison anonyme à la lisière du Neuhof… Mieux même, constatant le développement des cassettes VHS, Jean-Pierre Hornecker a alors édité quelques vidéos expliquant la réalisation de tours. « C’était vraiment artisanal », se souvient Dan Leclaire. « Chaque cassette durait 45 minutes et c’était quelquefois tellement complexe qu’il fallait bien cette durée pour expliquer un seul tour. Qui, sur scène, se déroulait en trois minutes… Au mieux, c’était filmé dans le garage, au pire dans la cuisine… » Et Jean-Pierre de nous faire nous gondoler de rire en précisant que « pendant que Ballarino, le magicien, montrait le tour, on entendait souvent le chien du voisin ou encore le Solex qui passait dans la rue ! »

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Jean-Pierre Hornecker, c’est finalement toute une vie consacrée à la magie de façon passionnelle, presque convulsive parfois, une véritable aventure qui se poursuit aujourd’hui sur le Net (« J’ai déjà réécrit 800 notices », précise-t-il). Et « le fruit n’est pas tombé très loin de l’arbre » comme le dit en souriant Cédric. Le fils fabrique aujourd’hui

en Chine, le pays d’origine de son épouse, le matériel des tours de magie qui continuent à se vendre un peu partout. « Les tours de magie sont souvent très anciens, ils ne changent pas, seul le matériel évolue. Et je garde le souvenir de nombreux magiciens, français et étrangers, qui ont débarqué un jour ici pour me montrer le tour qu’ils venaient d’inventer. Ensuite, à tête reposée, je couchais l’explication du tour sur le papier, c’était mon obsession… » « Tous les professionnels de la magie sont un jour ou l’autre passés par chez vous », fait remarquer Dan Leclaire. Jean-Pierre Hornecker, le magicien du Neuhof, approuve et sourit par-dessus sa monture de lunettes : « Facile à comprendre. Ils ont tous été un jour des amateurs… » Il faut l’avouer, on n’a pas quitté ce fantastique endroit (dans tous les sens du terme) sans que Jean-Pierre ne manipule les jeux de cartes devant nous, avec une dextérité absolument intacte. Quel spectacle ! Et à la demande de Dan, il nous a scotchés avec le fameux tour dit de « la planche à billets ». On est là, à trente centimètres du tapis, on est à 200 % attentif et paf ! le quart de seconde d’après, sans qu’on n’ait rien vu ni pressenti, on est ahuri ! Et Jean-Pierre de continuer de nous regarder, fier de lui, avec son œil de diable malin…


RUSSIE

Cent ans après

Photos :

DR Thierry Jobard

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Texte :

1917-2017. Nous qui sommes si entichés de commémoration semblons pourtant établir des priorités dans l’entretien du souvenir. Certes, les publications sur le sujet ne manquent pas. Véritables nouveautés ou réimpressions, les livres traitant de la révolution russe se comptent déjà par dizaines. Mais pour le reste, peu d’échos. En Russie même, le pouvoir est embarrassé par cet anniversaire. « Celui qui veut oublier l’URSS n’a pas de cœur. Mais celui qui veut la rétablir n’a pas de tête », dixit Vladimir Vladimirovich Poutine. Autrement dit, il faut faire un tri. L’Union soviétique a porté à son extension maximale la domination russe. Elle a fait d’un pays économiquement arriéré la seconde puissance mondiale, en concurrence avec les États-Unis, avec lesquels elle avait payé le prix du sang pour vaincre le nazisme. Elle lança le premier satellite artificiel (Spoutnik, en 1957). Surtout, elle proposa un contre-modèle au capitalisme occidental, faisant miroiter la possibilité d’une société égalitaire, débarrassée de la domination de l’argent, de la concurrence et de la marchandisation. On sait bien que la réalité fût tout autre. En fait de société sans classes (l’avènement du communisme étant sans cesse reporté), le pays était dominé par une oligarchie, soumis à un capitalisme d’État et à un système répressif tentaculaire. Il y eut la Première Guerre Mondiale et ses défaites, la Révolution de février, puis celle d’octobre (peu meurtrières en définitive) ; il y eut la guerre civile (gravement plus meurtrière) ; il y eut les privations, les réquisitions forcées, les famines. Et il y eut les prisons, les camps, le Goulag. Il y eut la délation permanente de tous par chacun, entre voisins, entre amis, entre membres d’une même famille. On aura du mal à réaliser ce que cela veut vraiment dire. Mais le Parti a toujours raison. Même contre la réalité. Les chiffres mensongers, les taux de productivité gonflés, les objectifs démentiels, une distorsion permanente de la vérité, la réécriture constante de l’histoire en fonction des intérêts du moment : tout concourrait à la tromperie. Bilan globalement négatif donc.

AUTANT BIEN NOMMER LES CHOSES Mais l’illusion perdura longtemps en Occident. Sans doute le besoin de croire est-il trop fort. Mais de croire en quoi ? En un monde meilleur ? Quelle idée ! Nos C.T.O.Q. (Cyniques Turpitudes d’Occidentaux Querelleurs) nous empêchent d’y voir autre chose que dangereuse naïveté. Les choses sont pourtant simples : communisme (+ Lénine + Staline) = Goulag.

‘‘Le régime qui fût à la tête de l’URSS de 1917 à 1989 était-il communiste ?’’

Est-ce vraiment ainsi ? Nous ne ferons certes pas nôtre l’hypothèse communiste d’Alain Badiou. Qu’on remette seulement un peu tout cela en perspective, à grands traits. Si l’on doit parler des choses autant bien les nommer. Le régime qui fut à la tête de l’URSS de 1917 à 1989 était-il communiste ? De son propre aveu non : Union des Républiques Socialistes Soviétiques. Il se réclamait de l’œuvre de Marx et Engels et donc marxiste. « Moi, je ne suis pas marxiste », disait… Marx à la fin de sa vie, voyant ce que l’on faisait de sa pensée. Et pour cause. Rappelons rapidement que selon Marx, si révolution il devait y avoir, celle-ci se produirait dans les sociétés les plus avancées écono-


Lénine

miquement, là où une classe ouvrière serait assez nombreuse pour prendre le pouvoir, mais après une première révolution conduite par la bourgeoisie. Cela pouvait-il être le cas dans la Russie tsariste de 1917 ? Certainement pas. Ni la classe ouvrière (concentrée dans quelques sites de production à Saint-Pétersbourg et Moscou) ni la bourgeoisie n’était assez développées. Comme dans bien des sociétés d’ancien régime, la paysannerie représentait l’immense majorité de la population. Et les paysans, quand bien même se révoltent-ils, ne sont pas révolutionnaires pour Marx. (Vers la fin de sa vie, il s’intéressera cependant au potentiel révolutionnaire de la paysannerie via l’étude des communautés russes). Ajoutons à cela que, même s’il reste assez évasif sur ce que serait une société sans classes, Marx pense qu’elle doit advenir grâce à la disparition de l’État. Peut-on dire que l’État fut à un moment donné susceptible de disparaître en URSS ? Bien au contraire ; il devint l’un des plus oppressifs qu’une société ait connu, surveillant et contrôlant chaque aspect de la vie de ses citoyens.

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LES LOIS DE L’HISTOIRE À tout prendre, l’appellation de léninisme, ou de bolchevisme, semble mieux convenir pour définir idéologiquement le régime soviétique. Mais Lénine est mort en 1924. La grande question est donc : Staline était-il déjà dans Lénine ? C’est-à-dire : les

conditions du régime tyrannique étaient-elles déjà posées dès 1917 ou les premières années de l’URSS ? En février 17, Lénine n’est pas en Russie. Il est exilé en Suisse et prend le train en marche à son arrivée en avril. Est-il en position de force ? Non. Divers courants s’opposent, diverses personnalités dans ces courants. Pour beaucoup, Lénine est à contre-courant. Mais il est le plus radical, réclamant la terre pour les paysans et la fin immédiate de la guerre pour les Russes (qui ne cessent de reculer face aux Allemands). Que prône-t-il ? La prise du pouvoir par une avant-garde révolutionnaire qui guidera les masses laborieuses en leur apportant à la fois son expérience militante, sa volonté et ses lumières. Sur quoi s’appuie-t-il ? À ses yeux, sur la vérité, tout simplement. Cette vérité est la suivante : il existe des lois de l’Histoire. Les connaître permet de réaliser la vérité de l’Histoire. Quelles sont ces lois ? Celles de la lutte des classes. Le mot n’est plus guère usité aujourd’hui, la réalité qu’il désigne est, elle, toujours présente. À savoir le conflit, plus ou moins déclaré, plus ou moins violent entre ceux qui ont le pouvoir et ceux qui ne l’ont pas : « Homme libre et esclave, patricien et plébéien, baron et serf, maître d’un corps de métiers et compagnon, bref oppresseurs et opprimés ». L’ultime affrontement devra opposer ceux qui n’ont rien que leur force de travail, les prolétaires, aux bourgeois. À cela s’ajoute l’inéluctable crise qui doit emporter le capitalisme.


DR Thierry Jobard

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Texte :

Photos :

Staline à gauche, et Lénine.

Tout ceci repose sur une conception dialectique de l’Histoire (un processus d’affrontements et de dépassements permanent des contradictions), celle-ci étant donc dotée d’un sens. Autrement dit, l’Histoire est progrès. Cette idée, Marx la tient de Hegel. Le grand philosophe allemand opère une conceptualisation du devenir des sociétés selon laquelle la liberté se réalise dans le temps. Les peuples figurent successivement les étapes de ce devenir ainsi que les grands hommes qui jouent (plus ou moins consciemment) le rôle de porte-flambeau. La fameuse expression hégélienne de « fin de l’Histoire » ne signifie pas pourtant que l’Histoire s’arrête (les philosophes ne sont pas si bêtes). Mais, dans ses principes, elle est close. Car une fois advenue l’idée de liberté, et, quels que soient les obstacles, les freins, les détours, elle ne s’éteindra pas. Les différents régimes politiques sont en nombre fini, ils peuvent muter, s’hybrider, se corrompre, le principe de la liberté ne disparaît jamais totalement. LE POSSIBLE EST UN CHAMP À CULTIVER Hegel écrivait au début du XIXe siècle, le chemin semblait encore long. Mais il avait vu, avec la Révolution française, ce qu’un peuple peut réaliser en abattant un régime d’ordres fondé sur des privilèges et une inégalité pensée comme naturelle. De fait, c’est au moment de la chute de l’URSS que l’expression de fin de l’Histoire réapparut, sous la plume

de l’historien américain Fukuyama. En un sens différent cependant puisqu’il entendait acter la disparition du dernier ennemi du capitalisme mondial. L’ennemi était terrassé, le (néo) libéralisme pouvait régner sans partage. Où l’on voit que les choses sont rarement aussi simples… La filiation remonte donc bien loin. Dès les Lumières, dès cette idée que l’homme peut être l’acteur du progrès, grâce à l’exercice de sa raison, contre les préjugés et l’obscurantisme. Sapere aude ! Ose savoir ! telle était la devise. Des Lumières à Kant, à Hegel, à Marx, c’est une tradition qui s’est poursuivie. Mais penser que les lois de l’Histoire relèvent d’une connaissance scientifique, et donc irrécusable, que des intellectuels éclairés peuvent mener un peuple au bonheur à marche forcée, que les chiffres importent plus que les hommes, c’est aller au désastre. Certes les circonstances étaient périlleuses. Certes l’époque était violente. Mais les choses auraient pu tourner autrement. Abattant en quelques jours un régime autocratique vieux de trois siècles, le peuple russe connut une ivresse de liberté. Elle leur a été volée. Cela n’enlève rien à cet incroyable besoin de croire qui semble aujourd’hui nous quitter. Cela n’enlève rien à l’idée que l’utopie n’est pas forcément délétère. Le possible est un champ à cultiver. De tout cela retenons cette vénérable aspiration au progrès et à l’égalité entre les hommes. Il semble que nous en ayons grand besoin.


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LE PIÉTON DE STRASBOURG Les dernières belles journées de l’automne ont réuni la chaleur et la lumière que l’été strasbourgeois ne nous a pas offertes. Arnaud Delrieu, le piéton de Strasbourg, en a profité pour figer ces instants de ville… Arnaud Delrieu : bizzneo@gmail.com


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LIVRES

L’ALSACE EN HÉRITAGE

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Documents Remis Véronique Leblanc

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Texte :

‘‘Des lieux aimés’’ L’Alsace en héritage est un beau livre et même un très beau livre. L’un de ceux où rien n’est laissé au hasard, où le fond et la forme se répondent avec une fluidité parfaite. Hommage tout en finesse à un patrimoine qui vibre encore et toujours dans onze belles demeures privées, dont les portes se sont ouvertes à Etienne Martin, conservateur du Palais Rohan et Marc Walter, photographe du patrimoine.


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Photos :

Documents Remis

Texte :

Véronique Leblanc

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L’un et l’autre se connaissaient et avaient déjà travaillé ensemble, assez pour s’apprécier et nourrir un projet commun qu’ils ont mené de bout en bout puisque Marc Walter est aussi le directeur des éditions Swan où l’ouvrage a été publié. Y alternent des vues frémissantes de l’Alsace au fil des saisons et des photographies de ces intérieurs toujours habités.

‘‘C’est d’une Alsace ouverte et

non pas fermée qu’il s’agit.’’ Extérieur et intérieur. Habiter ne se peut se faire qu’en un lieu lui-même enchâssé dans un cadre qui guide un art de vivre. ONZE BELLES DEMEURES Les vues s’enchaînent, l’une répondant à l’autre et l’on se promène de pièce en pièce, d’Osthouse au Reichenberg en passant par Le Châtelet, Truttenhausen, Saint-Léonard, Ittenwiller, La Verrerie, Schoppenwihr, Kintzheim, La Magnanerie et Kolbsheim. Bois des planchers, des meubles et marqueteries, verreries et porcelaines, chatoiement des tapis, ramages des tissus, raffinement des objets, présence des portraits, multitude de détails avec, parfois, des miroirs qui renouvellent le regard.

UNE ALSACE D’ÉLECTION Les deux auteurs ont aimé faire ce livre et cela se sent. Marc Walter « photographe de château » – « c’est la vie qui en a décidé ainsi », dit-il en souriant – s’est senti « dans son élément » et a aimé découvrir l’Alsace, « une région qu’il connaissait très peu ». « C’est une chance que ces maisons soient habitées depuis des générations » dit-il en rendant hommage à « l’art de vivre alsacien ». Etienne Martin quant à lui connaissait déjà toutes ces belles demeures du temps jadis qui respirent toujours au temps présent. Il signe les textes, en raconte l’histoire et parle de ces familles parfois venues d’ailleurs pour s’établir dans cette région si particulière, « entre Vosges et Forêt-Noire ». « C’est d’une Alsace ouverte et non pas fermée qu’il s’agit » raconte-t-il. « Une Alsace en héritage », une Alsace d’élection. « Ce livre est consacré à des lieux aimés ».

Etienne Martin et Marc Walter, L’Alsace en héritage, 304 pages, 250 photos couleurs, couverture plein papier, dos toilé, fer à dorer, tranchefile et signet relié sous étui couleurs avec gaufrage, tirage limité à 1 500 exemplaires numérotés, Swan Éditeur. 95 euros. Contact : Sabine Arqué - 09 67 57 08 03 sabine.studiochine@wanadoo.fr


infos & pop non-stop

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Leïla, pétillante, bouillonnante et toujours en musique !

EN FM PARTOUT EN ALSACE ET MAINTENANT SUR LA NOUVELLE APPLI


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Photos : Documents Remis

Texte : Véronique Leblanc


LIVRES

MÉLANIE VIALANEIX Bilinguisme au clair de la lune Magda parle français mais quand elle part à la recherche de la lune par une nuit-sans-lune, toutes ses rencontres se passent en allemand. Un phare, une panthère, un hibou… la nuit est habitée d’êtres et de mots, du bruissement des herbes « Wachsen, wachsen, wachsen », du soupir des feuilles dans les arbres « Rascheln, rascheln, rascheln »… Les langues sont rencontres, voyages entre mer et montagne, elles se teintent d’onirisme.

remier-né de la toute nouvelle maison d’édition KidiKunst créée en janvier 2017, Lunes… eine mondlose Nacht est l’œuvre de Mélanie Vialaneix, illustratrice diplômée de l’École supérieure des arts décoratifs (ESAD) de Strasbourg contactée par Barbara Hyvert.

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C’est à la faveur d’un congé de maternité que celle-ci s’est lancée dans l’édition jeunesse après avoir travaillé plusieurs années comme médiatrice culturelle à la Galerie Stimultania, Pôle photographique. Son axe est le bilinguisme, mais un bilin-

‘‘L’enfant accède à des mots en gardant la compréhension de l’ensemble du texte.’’

guisme « singulier et décalé » où « l’enfant accède à des mots en gardant la compréhension de l’ensemble du texte ». Elle voulait retrouver « le monde de la gravure, de la peinture, de l’illustration » approfondi à l’époque de sa formation en histoire de l’art, s’appuyer sur le « champs des possibles » représenté par l’univers des enfants pour « ouvrir la porte à un imaginaire » qui ne soit pas « encore des devoirs ». Elle connaissait Mélanie dont elle avait pu apprécier le travail « doux, très sensible » lors d’une exposition à Stimultania. Elle l’a contactée et l’ouvrage est né d’une anecdote d’enfance de l’illustratrice qui signe aussi les textes. La part de chaque langue est pesée. Prépondérant au départ, le français laisse peu à peu plus de place à l’allemand. Les polices de caractères sont identifiées et chacun parle


Photos :

Documents Remis

Texte :

Véronique Leblanc

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À la fois rêvé et pensé dans tous ses détails, didactique et onirique, Lunes… eine mondlose Nacht est né d’un financement participatif, il devrait précéder deux autres albums KidiKunst prévus en 2018. Pour entrelacer l’allemand et le français, croiser apprentissage et divertissement. « Pour que vivent les livres ».

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« sa » langue de part et d’autre du récit. Deux fiches, l’une intégralement en français, l’autre en allemand, restituent les textes en entier pour répondre aux questions qui pourraient se poser.

Mélanie Vialaneix, LUNES… eine mondlose Nacht, Editions Kidikunst, 15 euros www.kidikunst.eu Contact : info@kidikunst.eu I barbara.hyvert@gmail.com

Lune Rouge


TAPS SCALA

Fkrzictions Évènement théâtral et chorégraphique

JANVIER 2018

MAR 16 + MER 17 + VEN 19 20H30

Adaptation et mise en scène Pauline Ringeade

Autour du spectacle Siestes sonores, performance dansée, installation de réalité virtuelle…

TAPS ↓

Conception — Bentz + Brokism

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DIM 21 17H

THÉÂTRE ACTUEL ET PUBLIC DE STRASBOURG

03 88 34 10 36 TAPS.STRASBOURG.EU

JEU 18 + SAM 20 19H

Compagnie L’iMaGiNaRiuM Strasbourg


UN ROMAN SUR STRASBOURG EN FÉVRIER

JEAN TEULÉ Alors on danse…

Photo :

Nicolas Roses Jean-Luc Fournier

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ÉVÉNEMENTS

Texte :

Georges Wolinski disait de lui qu’il est un « homme charmant mais qui, dans ses livres, n’écrit que des atrocités ». On parie volontiers que le bon Georges devait adorer la décontraction vagabonde de Jean Teulé avec laquelle, de livre en livre, ce joyeux sexagénaire nous entraîne à la rencontre de personnages ébouriffants. Son prochain roman, qui sortira en février prochain, va particulièrement être lu à Strasbourg puisque l’action s’y déroule de la première à la dernière page… Quand il nous accueille avec un sourire XXL dans son bureau niché dans la courette de l’immeuble où il réside à Paris, à deux pas de la place des Vosges, on se dit, pour être tout à fait franc, qu’on ne le voit pas vieillir. Plus de trente ans déjà que ce grand escogriffe balade sa haute silhouette (et ses talents) de plateaux de télévision en albums de BD et, à travers de sa quinzaine de romans, figure parmi la shortlist des auteurs les plus imprévisibles, au point que certains voient en lui un Boris Vian contemporain. Pas faux, se dit-on, quand on l’écoute nous raconter la toute première fois où a germé chez lui l’idée de raconter cette histoire où chaque page recèle sa dose de découverte de la réalité quotidienne du Strasbourg d’il y a cinq siècles…

(rires). Donc, en novembre 2016, c’est Julien Bisson, qui fut longtemps le rédacteur en chef du magazine Lire et qui, aujourd’hui, dirige la rédaction de l’hebdomadaire Le 1, qui me parle pour la première fois de cette épidémie de danse qui s’est emparée de nombre d’habitants de Strasbourg, une danse folle qui a provoqué par épuisement ou autre des dizaines de décès. Il venait d’en entendre parler à la radio et s’était dit que ça pourrait bien être le sujet d’un roman pour moi. Comme il m’avait raconté ça avec les yeux brillants, je me suis dit : « Tiens, il est encore plus bourré que moi… » Mais le soir même, dans ma chambre d’hôtel, j’étais sur internet. Juste pour me rendre compte que je tenais effectivement là un bon sujet de roman… »

AU CŒUR DU STRASBOURG MOYENÂGEUX

Les faits sont bien documentés même s’ils se sont déroulés à l’orée du XVIème siècle. Pour écrire Entrez dans la danse, Jean Teulé a tout lu de ces événements, du plus récent ouvrage paru l’an passé (Les danseurs fous de Strasbourg de John Waller) au plus ancien des textes relatifs à la vie strasbourgeoise (Les Collectanées, chronique strasbourgeoise du seizième siècle -1890).

« C’est l’an passé que j’ai entendu parler pour la première fois de ce qui s’est passé à Strasbourg en 1518 » raconte-t-il, un sourire malin aux lèvres. « J’en ai un souvenir précis car c’était dans le train du cholestérol… On a surnommé ainsi ce convoi affrété chaque année au mois de novembre pour conduire les écrivains et les journalistes à la Foire du livre de Brive. Le train du cholestérol, parce qu’on ne voit pas passer les heures de voyage, entre restauration et boissons les plus fines… Au point que jusqu’avant l’arrivée à Brive, on en est à la vieille prune de Souillac !..

Le roman raconte donc cette épidémie soudaine survenue dans un Strasbourg ravagé par la famine (les greniers sont vides) et dont la population vit dans la peur panique d’être la proie des exactions


des Turcs qu’elle imagine aux portes de la ville, prêts à l’envahir. Une première femme, puis une autre, puis un homme qui seront suivis de centaines d’autres vont donc se mettre à danser, jusqu’à perdre haleine, jusqu’à plus soif. Certains mourront de crises cardiaques, d’autres d’épuisement. Habilement, Jean Teulé nous plonge au cœur de ce Strasbourg moyenâgeux en décrivant au plus près les protagonistes de l’histoire qu’il a inventée certes, mais qui repose sur des faits historiques avérés. « Quelquefois, les auteurs peuvent finalement être plus près de la réalité que les historiens » souligne-t-il malicieusement. « Mais j’ai tout fait pour rester au plus près de la réalité de l’époque, telle qu’elle a été rapportée. Je suis venu maintes fois à Strasbourg pour écrire ce livre, voir les lieux dont je parle, le pont du Corbeau, la petite-France, la rue du Jeu-des-Enfants – quel nom magnifique, j’aime

‘‘Quelquefois, les auteurs peuvent finalement être plus près de la réalité que les historiens’’ aussi Strasbourg pour ses noms de rues : la rue des Pucelles, des Serruriers, des Orfèvres…. Tout récemment, juste avant de rendre mon manuscrit, je suis revenu vérifier deux ou trois trucs comme par exemple le rayon vert de la cathédrale qui apparait à chaque équinoxe. J’ai pu rectifier ainsi une erreur puisque la figure du Christ n’est pas suspendue au-dessus de la chaire de la cathédrale mais sculptée dans la chaire elle-même. Du coup, j’y ai fait de très belles rencontres, comme Cécile Dupeux, la directrice de l’Œuvre Notre-Dame qui prépare une grande expo sur ce thème en 2018… »

bois qui reliaient Strasbourg à son fleuve, ruinant la ville puisque plus aucun commerce n’avait été possible durant des mois. Toutes sortes de maladies dont la syphilis, la lèpre, la peste, le choléra et aussi cette maladie dite de la Suette anglaise, extraordinairement rare et qui n’est plus jamais réapparue sur terre depuis ses méfaits à Strasbourg ; elle était d’une violence incroyable, deux jours après l’apparition des premiers symptômes, on n’était plus de ce monde. Régnait aussi une impitoyable famine : quand les femmes n’avaient plus assez de lait pour donner le sein à leur enfant, elles le balançaient à la flotte du haut du pont du Corbeau. Certaines familles se sont nourries du cadavre de leurs enfants, les cas d’anthropophagie étaient fréquents.» S’il écrit sur cet enfer sur terre sans concession, Jean Teulé a réussi néanmoins à parsemer son roman d’évocations très modernes : on y parle allègrement de flashmob, de techno parade, de dancefloor… et oui ! Au final, comme souvent dans ses livres, l’époque racontée et le destin des personnages éclairent aussi notre monde d’aujourd’hui. En 1518, quand des centaines de Strasbourgeois sont victimes de l’épidémie de danse, la Réforme du pasteur Luther est en marche et les élites de la ville s’apprêtent à y faire face tandis qu’on croit voir les patrouilles d’avantgarde d’une supposée armée turque prête à ravager la ville. Et quand on se résout à transférer tous ces malheureux du côté de Saverne, personne ensuite ne sait ce qu’ils sont devenus… Ce n’est pas le moindre des atouts de ce livre que de nous confronter aussi à tout ce qui nous entoure, ici et maintenant. Jean Teulé le souligne lui-même, avec un sourire entendu au coin des lèvres : « Il n’en faudrait peut-être pas beaucoup de nos jours pour que certains se remettent à danser… »

UN STYLE ENLEVÉ POUR UN ROMAN… TRÈS ACTUEL

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Ce roman, court, décrit sans concession le quotidien des habitants du Strasbourg du Moyen-Âge. « Je n’élude rien » reconnaît Jean Teulé. « À cette époque, il n’y avait évidemment pas de service de voirie. Les porcs se promenaient en liberté dans les rues et ils bouffaient toutes les ordures qui trainaient partout. Autour de cette date de 1518, Strasbourg a tout subi : quatre ans de météo complètement inversée –les arbres fruitiers bourgeonnaient en janvier, le gel arrivait brusquement en mars -, le Rhin avait débordé en masse de son lit, noyant les campagnes alentour et cette crûe avait détruit la succession de ponts de

Entrez dans la danse À découvrir lors de sa sortie en février prochain. La venue de l’auteur est d’ores et déjà prévue pour une rencontre à la Librairie Kléber.


L’AVENIR DE FIP STRASBOURG La mobilisation, plus que jamais… Ces dernières semaines, la mobilisation des auditeurs et des acteurs culturels de la région a été très intense. Belle soirée au TNS début octobre, naissance d’un très actif comité de soutien qui a rencontré Bérénice Ravache, la directrice générale de l’antenne lors de sa venue les 20 et 21 novembre derniers. Or Norme fait le point sur l’avenir de FIP Strasbourg, malgré le flou qui règne encore, en apparence, sur les projets du PDG de Radio-France…

Jean-Luc Fournier - Maxime Fleury Jean-Luc Fournier

ÉVÉNEMENTS

Texte :

Photos :

Les semaines passées ont vu la mise en œuvre d’une très belle mobilisation en faveur de FIP Strasbourg. Le premier épisode s’est déroulé début octobre dernier au TNS, sympathiquement mis à disposition par son directeur Stanislas Nordey et qui a accueilli 400 spectateurs (avec au moins 150 autres qui n’ont pu entrer dans la salle comble). Débat avec sur scène, autour de la Fipette Agnès Sternjakob qui a très bien résumé les périls et les dangers, Alain Fontanel, premier adjoint au maire de Strasbourg en charge de la culture, des acteurs culturels de Strasbourg et du Bas-Rhin, un sociologue, notamment… Dans la foulée, un comité de soutien a vu le jour où on retrouve acteurs culturels, journalistes, et auditeurs désirant se mobiliser autour de la défense de l’antenne et des animatrices strasbourgeoises. Ce comité de soutien donne désormais rendez-vous chaque mardi soir à 19 h pour participer à des soirées de soutien autour d’artistes offrant généreusement leur prestation. Le tout se tient au Mandala, un restaurant du faubourg de Saverne dont Fred Muller, le patron des lieux, avait déjà organisé une belle mobilisation le 1er mai dernier.

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LA VISITE DE BÉRÉNICE RAVACHE La nouvelle directrice générale de FIP, fraîchement nommée depuis l’été dernier, a souhaité rencontrer les Fipettes de l’antenne strasbourgeoise, les politiques locaux et les représentants du comité de soutien… Agnès Sternjakob, représentant les Fipettes, a fait un bref commentaire : « Le fond reste le même, l’emballage change. Le projet de la direction vise toujours à développer FIP sur Internet et de centraliser sur un programme unique venu de Paris : l’intention est de créer quatre pôles de production dont un à Strasbourg qui alimenteront FIP national avec des capsules sonores

Ci-desssus : Bérénice Ravache

relatives aux événements culturels des régions, concrètement, comme le projet vise toujours à supprimer les animations régionales telles que nous les connaissons actuellement, cela veut dire que les auditeurs strasbourgeois vont en être réduits à guetter les quelques secondes où on parlera de leur région. Voilà ce que Bérénice Ravache appelle la proximité. Si ce projet se concrétise, ça en sera fini de la belle et bonne radio que nous faisons depuis fort longtemps ici. Tout cela pour émettre via le Net : ce n’est même pas innovant : des sites qui diffusent musique et infos culturelles, il y en a déjà pléthore… » Évidemment, Bérénice Ravache, que nous avons rencontrée, défend mordicus le développement sur le numérique. « Plus de 80 % de l’audience globale de FIP en France se fait via l’écoute sur le Net », dit-elle. Elle ne commente pas quand on lui fait observer que


En-haut : Le débat du TNS À droite : Bruno Studer

sur la nouvelle nomination des actuelles Fipettes : des « ambassadrices » et plus des animatrices, donc… LA PRUDENCE DE BRUNO STUDER

‘‘[...] j’attends une meilleure communication et avec les politiques et avec les gens engagés en faveur de FIP dans les régions…’’

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c’est parfaitement normal puisque seule une dizaine de fréquences hertziennes diffusent FIP sur le territoire métropolitain. « Je ne veux pas commenter aujourd’hui un projet que je n’ai pas encore fini d’écrire » ajoute-t-elle, mais « la proximité, ce sera aussi la possibilité pour chaque station FIP locale de parrainer des soirées spéciales à destination des auditeurs et j’affirme que la promotion des événements culturels de Strasbourg et sa région continuera via le travail du pôle de production de Strasbourg ». À plusieurs reprises, la directrice générale de FIP aura insisté

Élu député (LREM) du Bas-Rhin en juin dernier, et surtout président de la Commission Culture et Éducation à l’Assemblée nationale, donc en charge directe de l’audiovisuel public, Bruno Studer a rencontré Bérénice Ravache : « La méthode et le timing du projet en construction se précisent et se clarifient » dit-il. « Sur le plan social, il n’y aura pas de licenciements, les personnels seront accompagnés par la maison-mère, Radio France. Maintenant, sur le plan des informations locales, elle a entendu notre souhait qu’elles perdurent. Un point que j’avais déjà personnellement abordé avec le président de Radio France. Mais j’observe que tout se bouleverse dans le monde de la radio, les usages des auditeurs changent et la tendance globale est de se développer via le net. Moi, j’attends de lire le projet définitif et Bérénice Ravache sait que je suivrai personnellement ce dossier de très près. Elle sait aussi que j’attends une meilleure communication et avec les politiques et avec les gens engagés en faveur de FIP dans les régions… » Bruno Studer a également indiqué que la directrice générale de FIP serait de retour à Strasbourg « avant la fin de l’année ». Elle sera de nouveau très attendue…


Jean-Luc Fournier -Maxime Fleury

Photos : OR ÉVÉNEMENTS BORD

OR NORME N°25 Sérénités

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OPINION

Pas touche !

Résumons : avec un argumentaire huilé comme une mécanique de course, la direction de FIP, qui reprend bien sûr intégralement les arguments de la présidence de Radio-France, parle « d’usages d’écoute qui changent et qui se traduisent par plus de 80% d’auditeurs qui écoutent FIP via le net ». Elle parle aussi de « maintien de la proximité » avec un « centre de production basé à Strasbourg qui produirait des capsules audio, voire vidéo (pour le site internet) pour alimenter le programme national » qui seul, subsisterait. Et ?..


Et bien, c’est tout, pour l’heure. Une garantie néanmoins (orale, c’est tout) : les actuelles salariées de FIP ne seraient pas licenciées, mais reclassées au sein du groupe Radio-France. Et les vacataires ? Pas de réponse… Continuons à résumer : jusqu’à ce jour encore, FIP Strasbourg émet sur un rayon de 40 km et diffuse le fameux ruban musical de FIP, entrecoupé très régulièrement d’informations sur les manifestations culturelles locales et régionales, un programme si parfaitement rodé et d’une telle qualité qu’il n’a aucune concurrence sérieuse sur sa zone de diffusion. Les Fipettes strasbourgeoises font depuis longtemps un boulot fabuleux, très largement reconnu par les auditeurs et les acteurs culturels concernés. Et c’est là justement que ça coince. Car, voyez-vous, ça n’est pas moderne. Pour les quelques technocrates qui président au destin du groupe Radio France autour de leur président Mathieu Gallet, ces trois villages gaulois qui subsistent (Strasbourg, Bordeaux et Nantes) et empêchent encore FIP de dérouler son programme unique (ou ses thématiques) via le net représentent autant d’incongruités à faire disparaître. N’allez surtout pas leur dire que les auditeurs de ces zones adorent leur radio, ils s’en foutent. N’allez surtout pas leur dire que les supprimer équivaudrait à des économies de bouts de chandelles dans les plus de 640 millions d’euros du budget de Radio France : ils le savent mieux que vous, ils s’en foutent, le débat n’est pas là.

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N’allez surtout pas leur dire que les auditeurs plébiscitent ces antennes et sont attachés au service public de radio qui les fabrique. Ils s’en foutent royalement de ce genre d’argument qu’ils jugent d’un autre siècle. Eux, ils sont modernes… Alors, parlons-en de cette modernité… FIP Strasbourg est riche de sa modernité, justement. Les Fipettes (quatre titulaires et une poignée de vacataires, l’équivalent d’un temps plein à elles toutes) sont au plus près du cœur culturel de toute notre région. Elles en connaissent tous les recoins, les habitudes,

les désirs, elles sont branchées en permanence sur ses pulsations : elles savent, elles racontent, elles font découvrir. Cet hyper professionnalisme ne souffre d’aucune nuance et n’est contesté par personne. Et les enquêtes d’audience le prouvent : FIP Strasbourg progresse, est de plus en plus écoutée, y compris par les plus jeunes et tant mieux si c’est aussi via le net. La directrice générale de FIP, une personne par ailleurs sympathique, pleine de bonne volonté et d’envie de bien faire, mais avec une marge de manœuvre personnelle dont l’épaisseur ne dépasse pas le nanomicron, n’avait à la bouche que la concurrence des Deezer et autres Spotify pour justifier ses intentions. Chère Madame, et cher Monsieur Gallet, président de Radio France, comment vous dire avec le plus de respect possible (parce que vous le savez, vous nous gonflez quand même bien en ce moment…) : vos délires de vouloir faire moderne et jouer dans la cour des « grands », on s’en tamponne un peu. Et votre intention de tout casser nous révolte ! Nous, ici, on a une expression qui, on en est certain, vous fera bien rigoler là où vous œuvrez : « Si FIP Strasbourg n’existait pas, il faudrait l’inventer ! ». On ne désespère pas de vous faire comprendre que la vraie modernité est ici, dans ce qui se passe sur cette fréquence et qui ne date pas d’hier. C’est performant, reconnu, attendu, écouté et dégusté chaque jour par des milliers et des milliers de citoyens et ça fait le bonheur de toute la culture locale et régionale et, en bonus, ça coûte à peine deux balles. La vraie modernité est ici. Alors, pas touche ! Vous lisez bien, pas touche ! Allez expérimenter vos obsessions de pseudo-modernité et de rationalisation à tout crin sur des territoires où c’est peut-être nécessaire, mais pas touche aux Fipettes strasbourgeoises et à la vraie proximité qu’elles ont su créer depuis longtemps. Pas touche à ce joyau ! Pas touche ! Jean-Luc Fournier


LES ÉVÉNEMENTS

Sophie Dupressoir - DR

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ÉVÉNEMENTS

Photos :

Le Club des partenaires Or Norme s’est réuni récemment autour de deux beaux évènements que nous vous faisons partager ici en images. Le 26 septembre pour une visite privée du patrimoine architectural des Galeries Lafayette et le 19 octobre, chez Louis Vuitton, autour de Michel Le Bris avec François Wolfermann et la Librairie Kléber.


Dans les affaires comme dans la vie, on a besoin de références. AV O C AT S D E P U I S P L U S D E 60 A N S, C’E S T S U R L E S VA L E U R S D E CONSTANCE ET DE RIGUEUR QUE NOUS AVONS FORGÉ NOTRE RÉPUTATION. C’est en assistant et défendant les entreprises, les particuliers du Grand Est, comme les multinationales souhaitant s’y implanter, que l’association d’avocats Alexandre-Levy-KahnBraun & Associés a su se distinguer au travers des décennies. Mais c’est peut être avant tout à des principes partagés et perpétués par chacun, que le cabinet doit tout son rayonnement : sens de l’écoute, engagement et culture du résultat. Une longévité et une attractivité qui reposent également sur une approche pluridisciplinaire et une réelle volonté de répondre aux problématiques les plus complexes d’une société en perpétuel mouvement. Le conseil est éclairé, pragmatique et précis, pour vous permettre à tout moment, d’avancer en toute confiance.

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ASSOCIATION D’AVOCATS AU BARREAU DE STRASBOURG / NOUVELLE ADRESSE AU 1ER AVRIL 2017 12, RUE DES PONTONNIERS 67000 STRASBOURG / TÉL. + 33 (0)3 88 32 30 75

alexandre-avocats.fr


VU D’ICI…

DR — ActuaLitté—strasbourg.eu—Le Grand Eicart Eric Genetet

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OR NORME N°25 N°27 Sérénités Féminin∙e∙s

ÉVÉNEMENTS

Texte :

Photos:

Le bloc-notes de l’actualité des derniers mois, malicieusement ou plus sérieusement revisitée par Or Norme. 27 AOÛT

27 SEPTEMBRE

Matt Pokora prend une licence dans le club du Plan-de-la-Tour, au neuvième échelon du foot français. Premier tour de Coupe de France, il ouvre le score, mais son équipe est éliminée.

Sortie de Barbara de Mathieu Amalric. Jeanne Balibar qui joue la chanteuse, articule en exagérant le mot ALLLSAAACCCIEN, l’origine du père de la chanteuse, alsacien et incestueux.

29 AOÛT

08 SEPTEMBRE Pierre Bergé est mort. L’ancien PDG d’Yves Saint-Laurent était aussi mécène, collectionneur et actionnaire au Monde depuis 2010. Il s’est toujours engagé dans la lutte contre le sida ; il produit 120 battements par minute, l’un des films de l’année.

Sortie de La serpe de Philippe Jaenada qui figurera dans les listes du Goncourt, Renaudot, Femina et Interallié. Extrait de la page 61 : « … Foutue loterie, les Girard ont été choisis pour accueillir l’asile des incurables et vieillards de Strasbourg. Le château est grand, cinquante mètres de long sur trois étages, mais dans la chaleur de l’été 1940, on s’y trouve à l’étroit et plutôt mal à l’aise, il est infesté de malades et d’éclopés, de débris qui râlent, de papis qui crachent du sang et de mémés qui pissent partout... /… J’imagine la scène, c’est poignant, Cécile allongée raide et froide dans la pénombre, vêtue de sa robe mortuaire, les mains jointes sur une croix, et dans la pièce voisine, une grande tablée de fêtards gâteux qui s’empiffrent, boivent et bavent, grattent leurs croûtes, chantent à tue-tête en alsacien et s’échangent des blagues salaces entre deux rots fétides — autant agoniser dans la bonne humeur, hopla ! »

13 SEPTEMBRE

Dans son « Livre blanc », Alsace Digitale dénonce les faiblesses de l’écosystème numérique à Strasbourg et déplore l’absence d’un « lieu totem » capable de fédérer. AD explique que le Shadok, lancé en 2015 ne remplit pas son rôle de soutien à l’entrepreneuriat. Tout était dans Or Norme trois mois auparavant… 20 SEPTEMBRE 2 000 jeunes gens ont envahi les rues du centre-ville et bloqué la circulation et le tram. Le rappeur Niska a annoncé sur Snapchat qu’il se trouvait à Strasbourg. C’est grave de dire que l’on ne connaît pas cet homme ?

10 SEPTEMBRE Irma a déjà tué une trentaine de personnes. Après avoir frappé Cuba, l’ouragan touche la Floride. Les Antilles, épargnées par José, pansent leurs plaies. Pendant ce temps, au parc animalier de Sainte-Croix, l’Alsacien Pierre Schmidt de Breuschwickersheim devient champion de France de brame du cerf. À quoi ça sert ?

Jake LaMotta est mort après un dernier long combat. Liliane Bettencourt raccroche elle aussi : aux dernières nouvelles, Mamie Zinzin, la femme la plus riche du monde qui valait 39,5 milliards de dollars, n’a rien emporté au paradis. Dans la rubrique des chiens écrasés, Philippot, petit roquet à la truffe toujours humide, digère mieux le couscous que les propos de Marine Le Pen, il quitte le parti. Les souverainistes aboient, la caravane passe, ce sont les identitaires qui conduisent.


115 Aurélie Martin, soutenue par la Région Grand Est dans son projet d'avenir

15-29 ANS, LA RÉGION GRAND EST SOUTIENT VOS PROJETS !


C’est l’Appel des Cent, la pelle pour enterrer le Grand Est, dit-on… Il y a des gens très bien dans la liste.

Le comédien Jean Rochefort est décédé à 87 ans. Une moustache, 150 films, trois Césars et une cote de sympathie inégalée. Télérama titrera « Salutations distinguées ».

27 SEPTEMBRE

11 OCTOBRE

Le tourisme se porte bien en Alsace. Presque 20 millions de visiteurs, ce qui place l’Alsace en deuxième position, après l’Île-de-France.

À la Foire du livre de Francfort, le prix 2017 du livre est attribué à Tomi Ungerer pour l’ensemble de son œuvre graphique.

30 SEPTEMBRE

15 OCTOBRE

À 64 ans, Philippe Richert renonce. Il s’y connaissait pourtant en changement de peau, mais il lui a fallu 35 ans de politique pour se rendre compte qu’il préférait les papillons. C’est un homme blessé qui annonce son départ. Le net se déchaîne, les insultes pleuvent, et on passe à autre chose.

Dernier week-end de l’été indien strasbourgeois, le Racing accueille l’OM, le premier gros choc de la saison. Les Supporters ratent Macron qui s’exprime à la télévision, mais assistent à un beau match nul (3-3).

26 SEPTEMBRE

beaucoup prendre une douche avec lui, mais un autre jour… » Alors, comme c’est un autre jour, le type s’est accroché, avant de finir par se lasser.

Photos:

DR — ActuaLitté—strasbourg.eu—Le Grand Eicart Eric Genetet

16 OCTOBRE

08 OCTOBRE Dimanche matin gris, mais rose, plus de 12 000 coureuses et marcheuses en petites foulées dans les rues de Strasbourg, c’est la 8e édition de la course solidaire La Strasbourgeoise, pour lutter contre le cancer du sein.

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ÉVÉNEMENTS

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17 OCTOBRE Le parcours du Tour de France 2018 est dévoilé. Les coureurs passeront par Strasbourg, mais au-dessus, en avion, entre Roubaix à 523 km et Annecy à 430 km. On ne pouvait pas faire plus loin de chez nous…

29 OCTOBRE L’Alsacien Paul-Henri Mathieu dispute le dernier match de tennis d’une longue carrière.

06 NOVEMBRE Les écrivains alsaciens se distinguent. La Disparition de Josef Mengele d’Olivier Guez remporte le prix Renaudot. Trois jours plus tard, Yannick Haenel est récompensé par le prix Médicis pour Tiens ferme ta couronne.

12 NOVEMBRE

09 OCTOBRE Sur sa page Facebook, l’actrice strasbourgeoise Laure Weissbecker publie l’article que les DNA lui consacrent autour de l’affaire Weinstein. Dans son livre Comment je suis devenue chinoise, elle raconte sans le citer, les singeries d’un producteur mondialement connu pour l’attirer sous sa douche. Elle refuse poliment en disant au « shower guy » qu’elle « aimerait

Un troisième sapin de Noël arrive à Strasbourg. Le feuilleton éclipse le Forum de la démocratie qui se tient pourtant beaucoup plus droit que ces pauvres conifères qui ne peuvent rien n’y faire. Rien d’illogique, cette année le thème du Forum était le populisme.


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NOTRE AGENCE À STRASBOURG : 1 AVENUE DE LA LIBERTÉ - 67000 STRASBOURG - 03 88 24 95 00


PORTFOLIO

C’est Sabine Trensz, photographe animalière et grande amie de notre rédaction, qui nous a mis sur la piste de cet étonnant photographe. Salarié d’un organisme public, Simon Woolf est chaque matin debout bien plus tôt que ne le voudraient ses horaires de travail. Ses outils : un vélo qui le faufile partout pour guetter l’instant décisif et… son téléphone mobile. « La technique est simple, photographier le plus possible en restant sur mon vélo, pour suggérer le mouvement. Ensuite, pour le traitement, je fais des incrustations de textures (des photos de vitres sales, sols, béton ou de sable que je prends et que je traite…) pour faire ressortir telles ou telles couleurs, et accentuer le côté « peinture » qu’on confère à mes images. » Les superbes photos de ce photographe de l’aube plongent les rues de Strasbourg dans un bain de poésie… stephan.woelfel@hotmail.fr


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NOTEZ DÉJÀ STRASBOURG MON AMOUR

Une belle expo des photos amoureuses de Doisneau en février

Documents remis Benjamin Thomas

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ÉVÉNEMENTS

Texte :

Photos :

Le Club de la presse Strasbourg croise encore les doigts mais c’est quasiment certain désormais : une exposition d’une vingtaine de photos grand format impressions numériques de Robert Doisneau sera présentée du 9 au 18 février prochains sur la terrasse du Palais des Rohan, en collaboration avec l’agence événementielle Passe-Muraille. L’entrée sera bien sûr libre, pour permettre au public d’admirer ces œuvres du « photographe de l’amour ». Un vernissage officiel en présence des filles de Robert Doisneau (Francine Déroudille et Annette Doisneau) sera organisé, le vendredi 9 février à la mi-journée.

Baisers casqués, Paris 1966 © Robert Doisneau

L’IMMOBILIER 3.0

Nexity ouvre son agence connectée à Strasbourg Un écran tactile de 55 pouces, une borne interactive avec un configurateur de logements neufs pour tous les programmes en cours, et enfin un casque de réalité virtuelle pour visiter des appartements comme si vous y étiez… alors qu’ils n’existent pas encore ! Voilà la panoplie que propose Nexity, depuis le 26 septembre, dans sa nouvelle agence de la place de l’Université à Strasbourg. « Au-delà des locaux, des aménagements et des technologies innovantes proposées, l’agence connectée concrétise la stratégie globale de Nexity » commente Mathieu Schweyer Directeur Immobilier résidentiel Nord Est, en apportant ainsi « toutes les réponses immobilières aux attentes de nos clients grâce à l’ensemble des métiers de notre groupe. »


De p u is 1 9 06 et p our toujours, da n s le cœ u r d e s Str asb ourg eois et d es A lsa ciens. Le Ra c ing crée l’ ém ot ion !

C’est qui Maurice ?

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OR NORME N°25 Sérénités


OR CHAMP Pandore Par Pauline Roeser

Pandore s’éveille dans le bruit, perdue Elle cherche sa boîte, à ses côtés, disparue Où sont passés ses maux, ses cauchemars, ses peurs ? Elle cherche dans le noir sa boîte à malheur Ses longs doigts tâtonnent Mais ne trouvent que poussière À la place du bois Sur quelques mottes de terre Pandore se lève, En furie : « Qui a volé ma boîte ? » La voilà qui crie « Où sont passés mes chagrins, mes douleurs, mes regrets ? Voyez ! Tous mes maux s’en sont allés ». Le visage d’un passant se tourne, Surpris, « Mais allez Madame, soyez heureuse ! » Pandore le regarde, Ahurie : « Ma toile est toute blanche,

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Photo par Vincent Muller

Sans mes maux pour l’habiter Je suis sans défense Et me retrouve sans passé. Mes chagrins donnaient du sens À ma marche forcée Où vais-je maintenant Si ce n’est pour les traîner ? Où est passée ma boîte Il me faut la trouver Une araignée y vit Elle mange les couleurs Et tisse patiemment, le défilé des peurs Qui pourra la nourrir ? Maintenant ma toile est blanche Et je ne sais plus où aller. Mes mots sont partis Tout comme l’araignée » Le passant, tirant de sa besace pots et chevalets Les tendit à Pandore : « Si les mots viennent à manquer, Arrosez de vers clairs le rouge coulant et les bleus saillants, Peignez votre histoire, Sans rime ni sens, Vous trouverez la juste nuance. »


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