LE MAGAZINE D’UN AUTRE REGARD SUR STRASBOURG
b GRAND ENTRETIEN
CAROLINE GUIELA-NGUYEN Faire bouger beaucoup plus les frontières du théâtre public.
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c DOSSIER
ARTISANS ET PME FACE AUX CRISES Covid, énergies, inflation…
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№49 JUIN 2023 ESCALES
S ACTUALITÉ
NE PAS OUBLIER CÉCILE Prisonnière depuis plus d’un an dans une prison en Iran.
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a CULTURE
CATHERINE MEURISSE (↓) Un monde sensible au Musée Tomi Ungerer.
Page 44
Escales
ete.strasbourg.eu
Du 4 juin au 3 septembre
Retrouvez les incontournables de l’été et de nombreuses animations…
Foire Saint Jean
Docks Malraux
Pause culture
Mise en lumière de la façade de la Cathédrale
Fête nationale
Œuvre d’art éphémère
Fête de la musique
Cinéma plein air
FARSe
Symphonie des arts
…et bien d’autres évènements partout en Ville et près de chez vous !
Welcome Byzance© Crédits photos : J. Dorkel, A. Hefti, E. Cegarra, G. Engel, JF. Badias, Nemeton UV LAB Scan et écoute la playlist de l’été
ESCALES
Par Patrick Adler, directeur de publication
ESCALE – DÉFINITION DU LITTRÉ :
Que vont donc trouver, dans la définition ci-dessus, les adeptes de la culture woke et les défenseurs de la « cancel culture » qui pourrait être de nature à blesser des minorités ethniques ou sexuelles et provoquer des polémiques ?
Au rythme où vont les choses, ils trouveront, sans aucun doute.
La réécriture des œuvres littéraires du passé par des sensitive readers, sous l’influence des idéologies inquiétantes et tellement arrogantes du mouvement woke, nous rappelle de manière frappante 1984 de George Orwell, où les livres d’histoire sont réécrits par le régime totalitaire en fonction de la nouvelle idéologie adoptée.
En France comme dans beaucoup d’autres pays « avancés », le niveau scolaire des jeunes à l’entrée du lycée, s’est effondré sur les trente dernières années.
Tant au niveau de la lecture, où selon les professeurs, les élèves arrivant en 6e, déchiffrent plus qu’ils ne lisent, sans comprendre le sens de leur lecture, qu’au
niveau de la culture générale, de l’Histoire ou de la géographie.
On fabrique ainsi des proies faciles pour être manipulées par les réseaux sociaux, leurs algorithmes consuméristes, et les idéologies, parfois délirantes, qui y sont facilement propagées (puisqu’elles génèrent plus de vues et donc plus de recettes publicitaires pour des apprentis sorciers qui mettent en œuvre un piège qui se refermera un jour, à coup sûr, sur ses créateurs), parmi lesquelles toutes les théories complotistes qui trouvent là un terreau bien fertile.
Avant vos escales estivales, votre magazine Or Norme , vous propose dans son N°49, une lecture garantie sans censure, sans réécriture, où chaque contributeur, qu’il soit journaliste, écrivain, philosophe, sociologue ou simple citoyen, peut exprimer sa pensée et son avis sans qu’il ait à craindre la censure ou la réécriture.
Cela semble évident, bien sûr... bien sûr ?
(è-ska-l’) s. f. « Terme de marine.
Ville maritime de la Méditerranée ou, plus particulièrement, des États barbaresques, où les navires du commerce abordent.
ÉDITO
4 №49 — Juin 2023 — Escales
Faire escale, relâcher ; pendant un voyage, dont le but est déterminé, s’arrêter dans un ou plusieurs ports sur sa route pour y décharger ou charger des marchandises, pour y trafiquer. »
SOYEZ QUI VOUS VOULEZ, VOUS ÊTES CHEZ VOUS !
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8-17 b Grand entretien Caroline Guiela-Nguyen
et les petites entreprises face aux crises
20 Jean-Luc Hoffmann
« Il est évident qu’il faut s’attendre à de gros dégâts chez les artisans… »
24 Manuel Rietsch
« J’estime m’être fait escroquer par Total Énergie… »
28 Jérémy Keil
« Si ces conditions démentielles perdurent, nous ne dépasserons pas 2025… »
32 Mickael Tonussi
« Ces crises ont marqué la fin d’une longue histoire familiale… »
a Culture
44 Catherine Meurisse Un monde sensible au Musée Tomi Ungerer (↓)
52 CEAAC « Le monde sans les mots »
d’Anne-Laure Sacriste
56 Une artiste strasbourgeoise à Cholet Natacha Caland
58 Musée alsacien Charles Fréger
62 Stéphane Clor Écouter les lignes, tracer les sons
66 Imparfaite perfection L’alchimie des premiers photographes
70 Portfolio Aude Boissaye
84 Le jour où... Les ouvriers du bâtiment se sont révoltés
90 Gamal Babouri Le semeur de livres
92 Le voyage du héros Autoproduction
132 Musique Dennis Wilson
134 Sélections Expos, festivals, livres...
S
108 Le parti-pris de Thierry Jobard De la pureté
114 Moi Jaja La manille et la révolution
120 Regard Jak Krok’ l’actu
E Société
122 Délice estival Terrasses
éphémères : souriez, c’est l’été !
126 Inflation : le vin aussi…
Suivre le train
130 Événement Or Norme
Q Or Champ
142 Sarah Barukh
Vous avez le droit de choisir la vie
Otage Alsacienne Ne pas oublier Cécile, prisonnière en Iran 40 Papiers d’identités Le cauchemar du renouvellement 98 Esthétique dentaire Sauver des sourires 102 Boxe thaï Bilal Bakhouche Chareuf (↗) 104 Mouchards Surveiller et ne pas le dire 106 Mari in borderland Impossible n’est définitivement pas français
Actualités 36
18-34
Les artisans
c Dossier
« Il faut faire bouger beaucoup plus les frontières traditionnelles qui existent dans le théâtre public… »
JUIN 2023 6 №49 — Juin 2023 — Escales
SOMMAIRE
Élue voiture de l’année 2023
Jeep® Avenger 100 % électrique : consommations d’énergie électrique (kWh/100 km) : 15,9-15,4 ; émissions de CO2 (g/km) : 0 ; autonomie électrique (km) : 400-390 ; autonomie électrique en ville (km) : 579-553. Freedom is electric = La liberté est électrique. The car of the year = Voiture de l’année. *Catégorie Distributeur multimarque automobile – Étude BVA – Viséo CI – Plus d’infos sur escda.fr
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Jean-Luc Fournier Zoé Forget
Caroline Guiela-Nguyen
Rencontre dans le cocon de son appartement douillet de Romainville, dans la proche banlieue parisienne, avec celle qui présidera aux destinées du Théâtre National de Strasbourg à compter de septembre prochain.
Caroline Guiela-Nguyen dévoile les contours de son projet, tout entier tourné vers l’ouverture la plus large possible à des publics qui n’ont pas encore poussé les portes du théâtre de la Place de la République…
« Il faut faire bouger beaucoup plus les frontières traditionnelles qui existent dans le théâtre public… »
b GRAND ENTRETIEN b GRAND ENTRETIEN — Caroline Guiela-Nguyen 9 №49 — Juin 2023 — Escales
Ce n’est pas un secret puisque vous l’avez déclaré clairement. A priori, la perspective de diriger un grand théâtre national vous laissait quelque peu réticente…
C’est exact. Diriger un grand théâtre, et même un théâtre tout court n’a jamais fait partie des choses que j’ai envisagées. Pour une raison assez simple : il me fallait du temps pour faire ce chemin-là. J’étais plongée dans le travail de compagnie et durant des années, je n’ai jamais pensé à diriger un lieu. Depuis ma sortie de l’école du Théâtre National de Strasbourg, j’avais plutôt besoin de me réaliser en tant qu’artiste, de trouver mon geste en quelque sorte. Pour moi, il m’a fallu tout ce temps pour découvrir ce qui allait m’intéresser : écrire mes propres histoires, déjà, avec des personnes qu’on voit peu, travailler en même temps sur le réel et avec un amour infini de la fiction. Après tout ce chemin, l’artiste que je suis s’est demandée ce qu’elle pouvait ambitionner pour un théâtre, en termes de projet…
Dès que l’idée de diriger un théâtre s’est faite jour, vous n’avez jamais rien imaginé d’autre que de présider aux destinées du TNS…
Carrément, oui. Je n’ai jamais candidaté à aucune autre structure…
Le fait d’être devenue la seule femme qui dirige un théâtre national a été très commenté. Comment vivez-vous cet état de fait ?
En souhaitant que ce mouvement se poursuive. Je ne dois à coup sûr pas rester éternellement la seule femme directrice d’un théâtre national : je déteste avoir une charge d’exemplarité d’une part, et puis je connais tellement d’autres femmes qui pourraient exercer ces fonctions. Dans les centres dramatiques nationaux, les choses bougent, mais ce n’est pas encore gagné. Reste qu’il faut que la parité s’impose partout…
Revenons à l’école du TNS dont vous êtes sortie en 2008. À ce moment, vous avez monté votre propre compagnie et pour
cela, vous vous êtes beaucoup appuyée sur vos camarades que vous aviez fréquentés à Strasbourg. Comment avezvous vécu cette période, sur les bancs de l’école et cet envol qui a suivi…
À mon arrivée à l’école du TNS, j’avais vingt-deux ans et je ne connaissais pas du tout la structure. J’avais grandi dans le sud de la France, j’avais fait des études de droit et de sociologie puis je suis entrée à l’École des Arts du Spectacle à Nice et je suis devenue comédienne au Conservatoire d’Avignon. C’est son directeur qui, mesurant ma volonté de devenir metteure en scène, m’a orienté vers l’école du TNS. En fait, je n’ai commencé à m’intéresser à ce théâtre que lorsque j’ai passé le concours. Concernant l’école, j’y ai vécu des moments puissants, beaux et quelquefois très violents. Puissants et beaux, parce que, effectivement j’y ai rencontré les personnes avec qui, après notre sortie, j’ai monté ma compagnie, Les Hommes Approximatifs. La force de l’école du TNS, c’est de faire travailler ensemble tous ses élèves, que ce soit
10 №49 — Juin 2023 — Escales b GRAND ENTRETIEN — Caroline Guiela-Nguyen
en termes de scénographie et de mise en scène, de dramaturgie, de jeu, de régie…, et de permettre à ces élèves-là de faire groupe, de les faire penser, réfléchir et rêver à des projets de théâtre. Et c’est ce qui s’est passé pour notre compagnie : avec Alice, ma scénographe, Benjamin, mon costumier, Jérémie, mon créateur lumières et tous les comédiens avec lesquels j’ai travaillé, on a ensemble imaginé quel serait notre théâtre. Nous sommes devenus des partenaires très forts les uns pour les autres. Nous le devons à cette école incroyable du TNS : il y a un théâtre dans l’école en plus d’une école dans un théâtre. Du coup, j’ai pu naviguer et découvrir absolument tout ce qui pouvait se faire théâtralement, à l’époque. À mon arrivée ici, j’étais au fond assez naïve visà-vis de tout ce que représentait le théâtre public, je connaissais Ariane Mnouchkine et c’était à peu près tout. Je ne connaissais pas les auteurs contemporains, et très mal les auteurs classiques. L’école du TNS s’est donc révélée être un outil très riche et très puissant pour découvrir Tchekhov,
Racine… mais aussi Jon Fosse que les gens adoraient à l’époque (cet auteur norvégien est considéré aujourd’hui comme un des plus grands auteurs contemporains – ndlr ).
Mais vous avez parlé aussi de moments violents…
Oui, car en même temps que je faisais mes premiers pas à Strasbourg, je me suis beaucoup perdue vis-à-vis de pas mal de choses qui constituaient la réalité profonde de ma vie : celle d’une fille d’immigrés, de la classe populaire, dont les parents étaient issus des colonies françaises, avec des accents à couper au couteau. Tout cela n’existait pas du tout sur les plateaux de théâtre, je me retrouvais dans une école où il n’y avait aucun enfant d’immigrés, où nous étions très peu issus de la classe populaire, et sur les plateaux, il n’y avait aucune histoire qui racontait l’histoire de nos familles. Je plongeais dans un monde qui m’attirait et me fascinait beaucoup et qui, en même temps, créait beaucoup de rejet…
De quelles origines étaient vos parents ?
Ma mère est vietnamienne, sa mère était indienne, née à Pondichéry en Inde. Elles sont arrivées en France en 1956, après la défaite de Diên Biên Phu, comme de nombreux Vietnamiens restés du côté de la France. Et, plus tard, elle a rencontré mon père, qui était pied-noir, et juif séfarade et qui avait quitté l’Algérie pour se battre au sein de l’armée du général Leclerc. Pour l’anecdote, il fut un des libérateurs de Colmar et il racontait toujours cette histoire quand il venait me rendre visite à Strasbourg quand j’étais à l’école du TNS. J’ai donc été une enfant qui est née dans le contexte profond de la colonisation française et c’est évidemment un sujet qui est très important pour moi…
D’où Saïgon , la pièce que vous avez écrite et montée et que nous avons vue sur le plateau du TNS, un vrai succès à Strasbourg, mais aussi un peu partout en France…
Oui et je me suis alors rendu compte qu’il m’avait fallu cette étape pour que je
b GRAND ENTRETIEN — Caroline Guiela-Nguyen 11 №49 — Juin 2023 — Escales
« Je plongeais dans un monde qui m’attirait et me fascinait beaucoup et qui, en même temps, créait beaucoup de rejet… »
me rende compte que j’avais enfin trouvé comment faire du théâtre. Bien sûr, j’avais déjà monté tous les tubes : Andromaque, Macbeth , Oncle Vania.. . J’ai adoré ces auteurs, à l’évidence, mais je n’y étais pas, je veux dire que je ne m’étais pas encore rencontrée dans mon geste artistique. J’ai donc été à la tête d’une des compagnies qui tourne le plus dans le monde et qui bénéficie d’un important rayonnement. Ce succès a compté pour une grande part dans ma nomination à la direction du TNS, ce n’est pas seulement parce que je suis une femme que j’ai été choisie…
À bien y regarder, on peut dire qu’il n’y a pas beaucoup d’auteurs ou metteurs en scène qui, comme vous, ont pu obtenir une telle notoriété une quinzaine d’années après leur sortie de l’école du TNS. Est-ce une source de fierté pour vous ?
Une source de bonne fierté, oui, celle qu’on éprouve en mesurant le chemin accompli et pour une raison très concrète, surtout. Vous avez vu Saïgon : ce n’était certes pas la première fois que nous avons
rencontré un beau succès, mais sur le plateau, si nous étions tous fiers de faire connaître ainsi le travail de la compagnie à un niveau européen et international, nous l’avons encore plus été d’obtenir le succès avec ces gens-là, qu’on ne voyait pas habituellement sur les plateaux de théâtre, ces personnes dont on n’avait jamais raconté l’histoire et qui mesuraient bien à quel point ce récit avait pu leur manquer. Pour eux, Saïgon est venu combler un manque béant…
Parlons de votre projet pour le TNS. On sait déjà que les pratiques du théâtre, du cinéma et de l’audiovisuel en général vont se retrouver mixées en quelque sorte… La formulation exacte que j’ai trouvée et qui me paraît la plus juste, c’est comment penser les questions du théâtre dans un même mouvement que celles du cinéma et de l’audiovisuel. Si ces pratiques vont intégrer au fur et à mesure l’école, il ne s’agira pas pour autant de former les élèves pour faire du cinéma. Non, le but sera de les former pour que leurs pratiques
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« La formulation exacte que j’ai trouvée et qui me paraît la plus juste, c’est comment penser les questions du théâtre dans un même mouvement que celles du cinéma et de l’audiovisuel. »
du théâtre puissent être augmentées d’une connaissance spécifique du cinéma et de l’audiovisuel. Il y a une bonne raison à cela : actuellement, il y a beaucoup de formes théâtrales qui s’inspirent des techniques et des dramaturgies du cinéma. Ça va bien au-delà des spectacles où il y a des écrans vidéo, ça concerne la narration, par exemple. Les techniques de montage pourraient intéresser pas mal de créateurs et d’auteurs. Pour le travail sur les musiques, on pourrait imaginer de belles collaborations avec les musiciens qui créent les bandes originales des films, idem pour le travail sur les lumières, sur le mixage…
Je pense qu’on aurait tout à gagner de réunir tout cela. Mais plus généralement encore, quand j’observe les élèves que nous sommes en train de recruter, je vois apparaître dans les propositions de mises en scène une autre grammaire qui est en train d’arriver, tout ce qui est lié à la performance, à la question de l’autofiction…
Je me dis que c’est ça le théâtre : il s’agit en même temps de faire état de ce qui est là, mais aussi d’accompagner ce qui arrive.
Je trouve ça génial, c’est largement ce qui me plaît le plus dans mon métier… Et puis, il ne faut jamais oublier une chose très importante : grâce à son école, le TNS est le seul théâtre national où, , chaque jour, il y a cinquante-deux personnes de moins de vingt-cinq ans dans ses murs. En permanence… Ça, ça crée quelque chose. En tout cas, pour ce qui me concerne, ça me pousse à imaginer différemment la programmation, à réfléchir sur ce lieu de vie et à imaginer son avenir…
On ne peut pas encore deviner à quoi va ressembler une saison programmée par la nouvelle directrice que vous serez à compter de septembre prochain, pour cela il faudra attendre janvier 2024, date à laquelle la programmation portera entièrement votre griffe…
J’ai pu constater à la lecture des articles qui ont déjà été consacrés à ma nomination que la question de la programmation de ce que l’on appelle le théâtre classique obsède pas mal de gens. Systématiquement, cette question m’a
été posée, ainsi que celle de l’enseignement des élèves au niveau de l’alexandrin. J’avoue que ça m’étonne parce que je ne sais pas ce que cela révèle, peutêtre une peur que quelque chose vienne à disparaître. Ce qui est certain, c’est que je ne suis pas spécialement là pour préserver le patrimoine : ce n’est pas ce que je pressens qu’on me demande et d’ailleurs, je n’aurais sûrement pas été la meilleure personne pour cette mission-là, si tel avait été le cas.
En revanche, je suis là pour créer une sorte de fête et de joie pour donner à voir ce qui est vivant, aujourd’hui. Et ce qui est vivant aujourd’hui, ça peut autant être quelqu’un qui va réussir à parler à travers les écrits d’un homme qui est mort depuis quatre siècles ou plus, comme Racine par exemple, qu’un auteur résolument serti dans l’époque que nous vivons de nos jours. C’est cela qui va être très important pour moi : je ne vais pas programmer des classiques parce que je vais devoir absolument préserver le patrimoine, je ne sens absolument pas en moi cette mission-là. Par
b GRAND ENTRETIEN — Caroline Guiela-Nguyen 13 №49 — Juin 2023 — Escales
contre, préserver et travailler ce qui est vivant et qui me paraît être essentiel pour ceux qui vivent aujourd’hui, oui, ça je vais le faire et je passerai par toutes les facettes de ce vivant-là.
Alors, en réponse à votre question de savoir à quoi ressemblerait une saison que j’aurais programmée, j’ai envie de répondre que je vais essayer de faire en sorte de faire découvrir aux gens qu’ils aiment beaucoup plus de choses que ce qu’ils aiment déjà. Il faut pouvoir faire bouger beaucoup plus les frontières traditionnelles qui existent
dans le théâtre public. Je serai attentive à ce que le TNS soit un vrai lieu de vie et qu’on n’y vienne pas seulement pour voir des pièces de théâtre, mais aussi pour y partager quelque chose, un moment de réflexion, un moment d’écoute. Je ne peux pas vous en dire beaucoup plus, car je ne suis pas encore nommée et je tiens absolument à réserver la primeur de ma réflexion et de mes projets aux équipes du TNS, mais, dans les grandes lignes, pour moi, une saison doit être résolument hospitalière. Alors, les portes seront grandes ouvertes pour
14 №49 — Juin 2023 — Escales b GRAND ENTRETIEN — Caroline Guiela-Nguyen
un public le plus large possible, des grands amateurs des programmations qui furent celles de Jean-Pierre Vincent par exemple jusqu’à celles et ceux qui ne sont jamais à ce jour entrés au TNS. C’est mon pari, ce serait tellement beau que dans la même salle il puisse y avoir ces deux publics-là…
Pardon de vous couper, mais on sait à quel point, dans les faits, ce pari-là est compliqué à mettre en œuvre…
C’est compliqué, c’est vrai. Mais ce n’est pas une raison pour lâcher quoique ce soit sur cette ambition, car sinon, je ne dirigerais pas ce lieu. Saïgon l’a prouvé : il y a tout à penser en collaboration avec les artistes. Que ce soit dans les salles où on l’a joué ou au festival d’Avignon, des gens qui n’étaient jamais allés au théâtre y sont enfin entrés. À compter du moment où on a le sentiment qu’on parle avec eux, pour eux, il faut se donner cette chance-là. Car sinon quoi : on va rester entre grands amateurs de théâtre ? C’est magnifique de se retrouver ainsi, je suis la première à valoriser ce public-là, mais j’ai encore plus envie qu’il y ait encore plus de personnes autour de la table. Je ne lâcherai jamais cet objectif. Ça n’a rien à voir avec une autodéclaration gratuite qui n’aurait jamais été en lien avec les réalités de mon métier. Cet objectif-là, je l’intègre au cœur même de mes créations. Par exemple, en prévision de mon spectacle Lacrima, qui sera ma première mise en scène que je présenterai en mai 2024 au TNS, je suis en train de caster une dizaine de femmes couturières qui ne sont jamais venues au théâtre de leur vie. Elles seront sur le plateau. Et bien, je suis à peu près certaine que leurs enfants, leurs familles et leurs amis viendront aux représentations. Vous avez raison de le faire remarquer, l’enjeu est de taille et ça fait des années et des années que beaucoup tentent d’y parvenir. Je ne prétends pas du tout avoir la recette magique, je dis juste que c’est le pouls même de ma création et c’est la raison pour laquelle j’exerce ce métier. Sans ça, sans cette conviction profonde qu’il faut encore plus de personnes autour de la table, je ne pourrais pas diriger de lieu. Je veux que ma mère puisse rentrer dans un théâtre, c’est très important pour moi…
Votre regard se dirige aussi vers le théâtre amateur. Il a sa place dans votre volonté d’ouvrir grand les portes du TNS ?
Oui, bien sûr, cette idée-là me parle. Je me souviens d’une fête de fin d’année à Reims où il y avait tous les centres
b GRAND ENTRETIEN — Caroline Guiela-Nguyen 15 №49 — Juin 2023 — Escales
« Sans ça, sans cette conviction profonde qu’il faut encore plus de personnes autour de la table, je ne pourrais pas diriger de lieu. »
faut-il
une
socioculturels et tous les collèges de la ville qui présentaient tout ce qu’ils avaient réalisé les mois précédents. Tout le monde était là et pendant des heures, les gens ont regardé ce qui était présenté sur scène, bien sûr la production de leurs propres enfants, mais aussi tout le reste. Ça raconte quelque chose, ce moment-là. En voyant ça, je me suis dit que cet amour du théâtre n’est sans doute pas si difficile que ça à conquérir et à amplifier… Peut-être nous faut-il essayer de trouver une forme de lieu où on puisse permettre à des gens de vivre leur envie de découvrir et pratiquer le théâtre. Je sais que je dois continuer à travailler sur cette question-là : il y a une piste à laquelle je crois beaucoup, c’est le festival scolaire. En ce qui me concerne, je me souviens
que c’est à l’école primaire que, pour la toute première fois, j’ai entendu parler du théâtre. L’idée serait donc de s’associer avec des profs qui ont la conviction que le théâtre est quelque chose d’important. À coup sûr, on pourra être rejoint par des artistes qui jugeront qu’il serait important pour eux de se retrouver dans ces lieux-là et du coup, on pourrait très bien ainsi mettre en route un important projet qui, sur un an, grâce au travail, à l’ambition, à l’exigence et à l’ambiance de fête permettrait de créer un moment où le TNS ouvrirait ses portes à ces pratiques-là. Il y a déjà des gens de nos équipes qui sont en train de répertorier les pratiques amateurs à Strasbourg : apparemment, elles sont nombreuses. Le terrain me paraît donc assez fertile…
Un mot pour terminer sur les moyens financiers dont vous allez disposer. Le contexte est de plus en plus tendu dans ce domaine…
La subvention de fonctionnement au titre de l’exercice 2022 s’élevait 9,75 M€. Au titre de l’exercice 2023, elle sera de 10,1 M€. Il y a cette question de l’augmentation du coût de la vie qui est très forte aujourd’hui. Tout cela est pris sur la marge artistique qui s’en trouve de plus en plus diminuée. Il y a là de vrais enjeux. En tout cas, je vais devoir trouver un juste équilibre entre la mission qu’on me confie qui est de produire et de créer tout en assurant le maintien d’une équité salariale et d’une forte justice sociale au sein du théâtre. Il va falloir beaucoup travailler, c’est certain… b
16 №49 — Juin 2023 — Escales b GRAND ENTRETIEN — Caroline Guiela-Nguyen
« Peut-être nous
essayer de trouver
forme de lieu où on puisse permettre à des gens de vivre leur envie de découvrir et pratiquer le théâtre. »
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Covid, énergies hors de prix, inflation… Ce grand stress qui n’en finit pas…
Pour beaucoup de TPE, d’entreprises artisanales voire de petites PME, c’est un long tunnel qui a débuté il y a plus de trois ans avec l’arrivée de la crise sanitaire et qui perdure aujourd’hui avec les conséquences de la guerre en Ukraine et cette terrible inflation sur l’énergie et les matières premières. Nous avons cherché à rencontrer ces entrepreneurs qui font front du mieux qu’ils le peuvent dans un contexte où leurs marges de manœuvre diminuent à vue d’œil, au fur et à mesure de l’accumulation des mauvaises nouvelles. Parce que les sociétés artisanales sont de loin, avec les TPE, les plus impactées, nous avons également demandé à Jean-Luc Hoffmann, le président de la Chambre des Métiers d’Alsace, de nous livrer son analyse de la situation. Il la livre sans langue de bois…
c DOSSIER — LES ARTISANS ET PME FACE AUX CRISES c DOSSIER — Les artisans et PME face aux crises 19
Jean-Luc Fournier Nicolas Rosès
Le président de la Chambre des Métiers d’Alsace vient de virer le cap du troisième anniversaire de sa prise de fonction survenue en urgence après le décès du regretté Bernard Stalter, emporté par le Covid 19 dès le printemps 2020.
Jean-Luc Hoffmann reconnaît lui-même que sa prise de fonction aura coïncidé avec le début d’une passe très difficile pour le monde de l’entreprise et particulièrement le milieu des artisans et des petites PME qui font l’objet de notre dossier de ce mois de juin 2023. Quels que soient les métiers, de sourdes menaces planent en effet sur la santé des entreprises alsaciennes qui, plus ou moins silencieusement, courbent l’échine et attendent impatiemment des temps meilleurs…
Ce sera bien sûr à grands traits, mais pouvez-vous dresser le tableau de ces trois dernières années ? Elles sont venues bouleverser totalement les prévisions les plus sérieuses et ce n’est pas raisonner de façon outrancière que de dire qu’elles ont douché beaucoup d’espoirs…
C’est une évidence. Je ne pouvais pas le pressentir, mais ma prise de fonctions, en 2020, a marqué le début des emmerdes, pardon pour l’expression. Je n’ai jamais connu, depuis, le début d’une normalisation en fait. Il y a donc eu cette crise sanitaire totalement inédite dont les effets se font encore sentir aujourd’hui, d’ailleurs. J’y reviendrai. Pour nous, nous avons dû ensuite gérer au mieux le dossier de la régionalisation des Chambres des Métiers. Il n’a rien eu d’anodin, j’ai dû défendre ardemment le droit local, notamment… Je dois reconnaître que ça se passe bien aujourd’hui, nous avons bien sûr des points de divergence, mais nous avons aussi des sujets qui nous réunissent et nous rapprochent… Pour poursuivre sur cette sorte de bilan sur lequel vous me questionnez, après ma réélection de fin 2021, je me suis dit que ça allait être beaucoup plus calme. Après la crise sanitaire durant laquelle les entreprises avaient été beaucoup aidées, l’économie repartait plutôt bien et badaboum !
c DOSSIER — LES ARTISANS ET LES PETITES ENTREPRISES FACE AUX CRISES
« Il est évident qu’il faut s’attendre à de gros dégâts chez les artisans… »
Jean-Luc Hoffmann
c DOSSIER — Les artisans et PME 20 №49 — Juin 2023 — Escales
Jean-Luc Fournier Nicolas Rosès
arrive le 24 février 2022 et l’invasion de l’Ukraine par la Russie… Les conséquences de cette guerre n’ont pas été mesurées tout de suite, mais après quelques mois, j’étais déjà bien conscient que le coût de l’énergie allait exploser, certains lanceurs d’alerte insistaient sur une fin d’année qui s’annonçait terrible à ce niveau-là. En fait, dès la clôture de la Foire européenne de Strasbourg, j’ai essayé de parler un peu partout de ce qui allait se présenter à nous, notamment au niveau de la Préfète de Région. L’impact a été subi en tout premier par les boulangers et le président de leur corporation, José Arroyo, qui est un homme très actif et engagé dans le Bas-Rhin, n’a cessé de relayer leur situation…
Comment les boulangers ont-ils fait face à la situation dramatique qu’ils ont été parmi les premiers à vivre, eux dont l’électricité est à la base même de leur activité et représente une part majeure de leurs coûts ? Ils se sont retrouvés dans une forme d’urgence dramatique, le mot n’est pas trop fort…
Ils ont dû en urgence, en effet, adapter drastiquement leur façon de travailler. Pour beaucoup, ils avaient pris l’habitude de mettre en route une dernière cuisson, vers 16 heures. Évidemment, il n’était
soudain plus question de laisser son four allumé toute la journée pour produire ainsi une cinquantaine de baguettes ! Et cette adaptation forcée a été le lot de l’ensemble des artisans en général, quelles que soient les professions. Leur obsession est devenue la traque à tout prix des économies d’énergie, encore plus qu’ils l’ont toujours fait auparavant. Mais bien sûr, personne n’a trouvé la bonne formule pour économiser deux tiers de l’énergie électrique qu’il consommait avant la guerre, c’était impossible ! Nos entreprises ont donc dû en urgence s’inscrire dans un futur où les économies d’énergie allaient devenir impératives et incontournables. On y arrivera partout, c’est malheureusement certain. Les entreprises qui ont besoin de beaucoup d’énergie pour fonctionner vont avoir du mal. Personnellement, j’estime à 15 ou 20 % l’énergie qu’on peut économiser grâce à des mesures relativement faciles à prendre…
Si on s’efforce de dépasser le stade des circonstances vécues si difficilement par le monde de l’entreprise face à cette hausse brutale et conséquente du coût de l’énergie, n’y a-t-il pas, au fond quelque chose de vertueux qui se met en place ?
« Personnellement, j’estime à 15 ou 20 % l’énergie qu’on peut économiser grâce à des mesures relativement faciles à prendre… »
c DOSSIER — Les artisans et PME 21 №49 — Juin 2023 — Escales
Jean-Luc Hoffmann, président de la Chambre des Métiers d’Alsace
Oui, tout à fait, on est entré dans le cycle de ce paradigme vertueux. Un signe ne trompe pas : nos futurs collaborateurs, ceux qu’on essaie aujourd’hui de recruter, sont entrés dans cette logique-là. On n’embauche plus aujourd’hui quelqu’un sur les seules bases du nombre d’heures à effectuer, des responsabilités et du salaire. L’immense majorité d’entre eux disent qu’il est important pour eux de savoir e que l’entreprise a entrepris pour préserver l’avenir de la planète. Ce sont des éléments très nouveaux et le monde de l’artisanat n’y échappe pas. Les entreprises qui ont déjà adopté de bonnes résolutions sur les problématiques des déchets, par exemple, ou sur l’emploi de véhicules électriques bénéficient d’un sacré avantage quant à leur recrutement, c’est un constat que nous avons fait…
Pour revenir aux conséquences des crises subies depuis trois ans par le monde de l’entreprise, faute de disposer déjà de statistiques précises, a-t-on une idée de l’état des sociétés artisanales ou des petites sociétés d’autres secteurs ?
En fait, pendant deux ans, les entreprises ont été sous l’assistance de ce
véritable respirateur artificiel que fut le PGE, le Prêt garanti par l’État. Nous en sommes aujourd’hui au stade du remboursement et ce remboursement se retrouve donc couplé avec l’explosion gigantesque du coût de l’énergie et les effets de l’inflation, aussi. On se retrouve donc avec des entreprises qui certes ont du travail donc font du chiffre, mais qui ne font plus de résultat. Tout se ligue contre elles, y compris l’augmentation du coût du transport, de celui des matières premières et bien sûr l’augmentation inévitable des salaires, car il est évident que les entreprises qui n’ont pas traité ce point en 2022 ont aujourd’hui perdu des collaborateurs. Concernant les défaillances d’entreprises, on avait retrouvé le niveau enregistré avant la crise sanitaire. Il est trop tôt aujourd’hui pour connaître l’actualisation de ce chiffre, mais il est évident qu’il faut s’attendre à de gros dégâts, malgré les facilités de remboursement du PGE mises en place par l’État. Face à l’immensité de ces difficultés conjuguées, il n’y a qu’une attitude possible : faire le dos rond, tout faire pour ne pas faire de pertes et conserver au maximum ses clients. Considérer que 2023 va être une année de transition…
Reste que l’avenir peut paraître bien incertain…
En Europe particulièrement, parce que nous avons pris en compte mutuellement des impératifs écologiques importants, nous sortirons certainement moins compétitifs de cette succession de crises que d’autres continents moins regardants sur ces aspects. Il faudrait que les mêmes règles s’appliquent pour tout le monde, mais c’est évidemment illusoire…
Parmi les chiffres positifs, on reste sur une vague haute en termes de créations d’entreprises. Et en ce qui concerne plus particulièrement la Chambre des Métiers d’Alsace, je me dois de souligner les bons chiffres de notre marque Artisans d’Alsace, bannière sous laquelle se sont labellisés un peu plus de 200 artisans. Cette cartographie étant réalisée, nous allons désormais nous adresser avec force au grand public… C’est un grand enjeu pour nos métiers, au moment où le monde artisanal est parvenu à gagner la confiance du consommateur.
Avec Jean-Luc Heimburger, votre homologue de la Chambre de Commerce et d’Industrie, vous êtes récemment
c DOSSIER — Les artisans et PME 22 №49 — Juin 2023 — Escales
« Aujourd’hui, je conclurais qu’on ne peut pas dissocier les problématiques liées à l’écologie de celles liées à l’économie. »
intervenu avec force sur des aspects liés à l’attractivité de notre territoire, particulièrement celle de la ville de Strasbourg…
Je n’ai fait que traduire un constat : les entreprises artisanales qui travaillent sur l’Eurométropole de Strasbourg, toutes corporations confondues, se posent beaucoup de questions et elles sont inquiètes. Depuis le 4 avril, la maire de Strasbourg a mis en place une augmentation drastique du prix du parking en surface, qui plus est couplée avec une augmentation des billets du tram. Comment peut-on ainsi inciter les usagers de la ville à se garer toujours plus loin du centre-ville et, en même temps, augmenter le coût de leurs trajets via les transports collectifs ? C’est incroyable, non ? Et le monde économique, pour essayer d’améliorer ce qui peut l’être, tu le réunis un mois plus tard ! C’est insensé… Il y a un peu plus de deux ans, j’ai appris un nouveau mot : la co-construction. Je ne savais pas que cela consistait à être associé à un processus de décision… une fois que la décision a été prise ! Sur la place de la voiture en ville, je peux comprendre qu’on veuille
l’éloigner de l’hypercentre. Je ne peux pas comprendre qu’on souhaite l’éliminer. Parce qu’il y a une vraie réalité économique derrière tout ça…
Et concernant les artisans, cette réalité économique se décline clairement : à leurs réelles difficultés économiques depuis 2020, on rajoute les effets de la ZFE (la Zone à Faible Émission, instituée depuis le 1er janvier dernier qui interdit année après année l’usage de certains véhicules selon leur degré de pollution – ndlr ), et on rajoute également le parking sur Strasbourg qui devient hors de prix… Il y a, en matière économique, quantité de facteurs sur lesquels on ne peut pas influer : la crise sanitaire, on n’y pouvait rien, la guerre de l’Ukraine et ses conséquences sur le prix de l’énergie et la reprise de l’inflation, on n’y pouvait rien non plus… En revanche, la ZFE on n’est pas obligé d’y aller à marche forcée, et on n’est pas obligé non plus d’être drastique sur les conditions de stationnement ou de déplacement à Strasbourg… Les élus strasbourgeois qui ont pris cette décision n’ont-ils jamais pensé aux nombreux artisans qui proviennent de l’extérieur
de Strasbourg ou de l’Eurométropole ? Croient-ils que devant l’accumulation des obstacles qu’on dresse devant eux ils vont continuer à vouloir travailler dans la ville et son agglomération ? Quand tu as une entreprise de peinture et que tu travailles dans des appartements en ville, tu vas déposer tes innombrables seaux de peintures à l’adresse du chantier, tu vas ensuite essayer de trouver une place de parking en périphérie dans les silos à usage puis prendre le tram pour enfin pouvoir se rendre sur son lieu de travail ? Et vice-versa dans le sens contraire ? C’est la garantie de perdre une heure le matin et une autre heure en fin d’après-midi dans les transports… Qui va les payer, ces deux heures-là ? Et je ne parle même pas des métiers de la restauration qui vont voir pas mal de clients les fuir, sans compter toutes les autres corporations qui interviennent dans leur écosystème… Aujourd’hui, je conclurais qu’on ne peut pas dissocier les problématiques liées à l’écologie de celles liées à l’économie. L’économie doit avoir son mot à dire quant aux décisions qui doivent être prises. L’attractivité de Strasbourg, ce n’est pas un gros mot ! »
c c DOSSIER — Les artisans et PME 23 №49 — Juin 2023 — Escales
Manuel Rietsch
Gérant du garage
MR AUTO Bernhard à Altorf :
En plus de se sentir accablé (comme tant d’autres) par l’importante inflation des coûts de l’énergie, ce chef d’entreprise de 39 ans, qui, en 2017, a repris les rênes d’une entreprise familiale en activité depuis six décennies, estime aussi avoir été « floué »
par son fournisseur qu’il soupçonne de lui avoir délibérément caché l’importance de la hausse à venir de ses tarifs.
Il raconte…
Alors que l’entreprise voguait dans des eaux plutôt calmes, il y a d’abord eu l’épisode du Covid qui a eu un impact considérable sur notre chiffre d’affaires. Mais nous avons réussi à passer le cap, notamment grâce aux aides de l’État. Avec le recul, je peux même pressentir que la crise sanitaire aura été moins difficile à surmonter que ce qui nous arrive aujourd’hui avec la crise de l’énergie. Notre exercice 2022 a été bon, nous avons retrouvé un bilan comparable aux années d’avant Covid.
Tout est parti d’un coup de fil de notre conseillère de notre fournisseur Total Énergie. Je m’en souviendrai longtemps, c’était en septembre dernier. Elle me contactait pour le renouvellement de notre contrat et m’annonçait « plus ou moins », ce sont ses propres termes, le maintien des tarifs. À la réception de ce contrat, je n’y ai pas compris grand-chose entre les mégawatts/heure, les kilowatts/heure et les m3/heure et des valeurs dans tous les sens. Je suis quand même quelqu’un d’assez
« J’estime m’être fait escroquer par Total Énergie… »
c DOSSIER — LES ARTISANS ET LES PETITES ENTREPRISES FACE AUX CRISES
c DOSSIER — Les artisans et PME 24 №49 — Juin 2023 — Escales «
Jean-Luc Fournier Nicolas Rosès
réfléchi, alors je l’ai recontactée pour qu’elle me précise très concrètement, en termes de pur montant de facture mensuelle, ce qui allait changer par rapport aux mois précédents. Sa réponse a alors été nette : à peu près une centaine d’euros de majoration mensuelle. Comme il y avait une forme de relation de confiance entre elle et moi, j’ai donc signé ce nouveau contrat. Je me sentais même rassuré au vu notamment des augmentations très fortes du coût du gaz, car c’est cette énergie que la société utilise pour le chauffage de ses locaux et aussi sa cabine de peinture.
Les paroles s’en vont, les écrits restent…
En janvier et février dernier, je n’ai pas reçu les factures de gaz comme à l’habitude. Je ne les ai reçues qu’en mars et là,
ce fut la douche froide ! Au lieu des 1000 € attendus, on me facturait 9200 €. C’était du x9 par rapport aux derniers mois précédents !! C’était tellement énorme que j’ai d’abord cru à une erreur. J’ai donc recontacté immédiatement notre conseillère. Elle s’est renseignée et m’a rappelé : « Non, il n’y a pas d’erreur, ça correspond bien au contrat que vous avez signé… » Pour mars, il y a eu carrément une erreur de relevé de compteur et à l’heure qu’il est (début mai - ndlr ), j’attends la facture d’avril. Je suis donc dans le flou total. J’estime m’être fait escroquer par cette conseillère, mais bien sûr, tout s’est fait oralement hormis la signature du fameux contrat. Je connais l’adage : les paroles s’envolent, les écrits restent. La survie de l’entreprise est en jeu. Nous sommes sept personnes qui travaillons ici. Dès la réception de ces deux factures, en mars, j’ai donné ordre de couper le chauffage
« La survie de l’entreprise est en jeu.
Nous sommes sept personnes qui travaillons ici. »
c DOSSIER — Les artisans et PME 25 №49 — Juin 2023 — Escales
Manuel Rietsch
ne peux m’empêcher de
que des
avec des pratiques semblables à celles de Total Énergie sont en train de tuer leurs propres clients. »
des locaux. Concernant la cabine de peinture, on travaille à plus basse température et on programme les travaux les après-midi afin de pouvoir bénéficier de quelques degrés naturels en plus. Techniquement, c’est possible, mais ça a une limite : en dessous de 45 degrés, la technique ne suit pas. On a aussi favorisé les regroupements de pièces à peindre. On a vraiment fait le maximum de ce qu’il nous était possible de mettre en œuvre par nous-mêmes. Aujourd’hui encore, je n’ai pas le recul pour savoir avec précision ce que nous avons pu ainsi économiser.
Total Énergie, pour l’instant, reste d’une intransigeance incroyable. Pour résumer, je n’ai que deux options : soit assumer ce contrat jusqu’à son terme, fin 2024, soit payer une forme de dédit qui s’élève à… 43 000 € hors taxes ! Après avoir bien sûr payé rubis sur l’ongle les premières factures de 2023.
J’en suis là à ce jour. Je restreins au maximum les consommations et si je suis obligé de malheureusement laisser courir ce contrat, je cherche une autre
source d’énergie pour ma cabine de peinture et peut-être aussi pour le chauffage des locaux…
Et sur le fond du dossier, je ne peux m’empêcher de penser que des sociétés avec des pratiques semblables à celles de Total Énergie sont en train de tuer leurs propres clients, en fait. Car, si rien ne se passe, les dépôts de bilan et les liquidations judiciaires risquent de se multiplier et dans ce cas, les fournisseurs d’énergie ne récupéreront rien sur les sommes restant dues.
Pour l’heure, ma seule marge de manœuvre reste donc, outre les économies d’énergie dont je vous ai parlé, de trouver d’autres fournisseurs d’énergie et de laisser ensuite le contrat Total Énergie s’éteindre de lui-même, en ne consommant plus rien jusqu’à son terme et en n’acquittant que le plancher prévu au contrat. Mais à ce jour, la plus grande inquiétude règne encore. Pour l’instant, je sollicite ma trésorerie qui est disponible, mais à long terme, ce n’est évidemment pas une solution… » c
« Je
penser
sociétés
c DOSSIER — LES ARTISANS ET LES PETITES ENTREPRISES FACE AUX CRISES c DOSSIER — Les artisans et PME 26 №49 — Juin 2023 — Escales
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Jean-Luc Fournier Nicolas Rosès
Jérémy Keil
Propriétaire de trois boulangeries à Strasbourg
Rencontre avec un bosseur et un passionné dans l’âme. À partir de son « historique » boulangerie de la rue Wimpheling, rachetée en 2006, Jérémy Keil, âgé aujourd’hui de 45 ans, a ouvert deux autres boutiques, une boulevard de la Marne et la troisième, lancée il y a deux ans seulement, dans un des immeubles flambant neufs du quartier d’affaires du Wacken. Avec son épouse à ses côtés, tous deux solidaires comme jamais, il fait front de toutes ses forces pour surmonter cette accumulation de crises qui impacte si fort sa profession et assombrit son avenir et celui de ses 25 salariés…
Mon propos ne tient pas compte de notre ouverture au Wacken, trop récente pour être encore analysée ici. Sur nos deux autres boutiques, avant le début de la crise sanitaire, entre notre activité classique de boulangerie, avec nos autres activités de traiteur pour le déjeuner et de snacking toute la journée, et nos fournitures de buffets pour les réceptions, on travaillait plutôt très bien. Le Covid est venu tout stopper net. Du jour au lendemain, on est passé de plus cent sandwichs par boutique à zéro. Le phénomène du télétravail a aggravé cette perte d’activité, et d’ailleurs, à ce jour encore, on n’a plus retrouvé l’activité normale pour la partie déjeuner. J’estime à 40 % notre perte de chiffre d’affaires depuis l’arrivée du virus. Aujourd’hui, elle est encore de moins 15 à moins 20 %. Pour la troisième boutique du Wacken, ce fut encore plus violent. Une semaine après notre ouverture, en mars 2021, Macron reconfinait tout le monde. Là-bas,
« Si ces conditions démentielles perdurent, nous ne dépasserons pas 2025… »
c DOSSIER — LES ARTISANS ET LES PETITES ENTREPRISES FACE AUX CRISES
№49 — Juin 2023 — Escales c DOSSIER — Les artisans et PME 28 «
d’un seul coup, il n’y avait plus personne dans les bureaux des très grosses sociétés présentes sur le site. Le siège du Crédit Mutuel, avec qui nous avions des accords, abrite en temps normal près de 1400 personnes. Pendant des mois, ils n’ont été qu’une centaine à être physiquement présents à leur bureau. Sur un chiffre d’affaires prévisionnel de 800 000 €, on a à peine réalisé 300 000 € la première année…
Sur les deux premières boutiques, on a tout tenté pour développer d’autres axes de produits, comme la tarterie par exemple ou certaines offres en matière de pâtisserie. On n’a pas tout de suite remplacé ceux de nos salariés qui nous ont quittés, ça a donné une bouffée d’air en matière de trésorerie.
Mais c’est l’annonce de l’augmentation incroyable du coût de l’électricité qui a été un coup de tonnerre pour nous : au total, ça faisait d’un seul coup 24 000 € supplémentaires par an pour notre premier
établissement, qui allait amputer directement notre bénéfice. Pour la seconde boulangerie, ce fut encore pire, notre facture gaz a été multipliée par huit dès le mois de janvier dernier !
Mon épouse et moi-même, nous avons alors redoublé d’efforts, nous nous sommes vraiment donnés à fond, corps et âme. On est passés du six jours sur sept à sept sur sept, de huit heures par jour à onze, voire douze heures, quelquefois. C’était la seule solution pour espérer survivre. On a remplacé ni la vendeuse ni le boulanger quand ils sont partis, pour nous, ça voulait dire travailler de cinquante à soixante heures par semaine ! Pas moyen de produire plus puisque pas de moyens pour embaucher du personnel supplémentaire. C’est l’histoire du serpent qui se mord la queue ! En boulangerie, une personne de plus doit se traduire par 100 000 € de chiffre d’affaires
« C’est l’annonce de l’augmentation incroyable du coût de l’électricité qui a été un coup de tonnerre pour nous. »
№49 — Juin 2023 — Escales c DOSSIER — Les artisans et PME 29
Jérémy Keil
supplémentaire. Ce n’est pas jouable ! Avec mon épouse, nous avons finalement trop tiré sur la corde. Maintenant, on a le revers du bâton : en ce qui me concerne, je suis atteint d’une sciatique sévère. Je ne devrais même pas travailler dans ces conditions-là, je devrais être à l’hôpital pour une infiltration… Notre vie privée, avec nos enfants de neuf et quatorze ans, s’est dégradée. Nous n’avons pas pris le moindre jour de vacances ces trois dernières années, nos boutiques ne ferment plus… et ce sont nos propres parents qui s’occupent de nos enfants, l’été…
Concrètement, on a senti arriver les gros problèmes avec la rapide augmentation des matières premières, immédiatement après le début du conflit en Ukraine. Le beurre est passé de 7,50 € le kilo à pas loin de 12 € aujourd’hui. Idem pour l’huile ou encore le lait. Même la farine a augmenté brutalement, de 12 % environ…
Et puis, tout se complique autour de nous et ça n’arrange rien. Prenez l’augmentation délirante du coût du parking décidée par la municipalité actuelle. Elle impacte directement nos salariés, dans la tranche 9h-midi essentiellement. Nos élus saventils qu’une autre solution que la voiture n’est pas toujours possible pour ceux qui travaillent en ville et habitent quelquefois loin de Strasbourg ? Il est déjà compliqué pour nous de conserver notre personnel,
mais cela devient impossible de le faire quand une boulangerie, à la campagne, propose à ses salariés de stationner leur véhicule dans sa cour !
L’avenir est peu lisible. Nous sommes encore protégés par un contrat jusqu’à fin 2023, en ce qui concerne ES. Idem pour le gaz dans l’autre boutique. Au-delà, on ne sait rien… mais j’espère qu’ils vont cesser ces augmentations de malades, car, à mon avis, la guerre de l’Ukraine a bon dos… D’autant qu’il n’est pas question pour nous de tout répercuter sur nos prix de vente : on a temporisé, au début, et ce fut d’ailleurs peut-être une erreur. On aurait peutêtre pu augmenter tout de suite nos prix à l’automne dernier, car tout le monde ne parlait alors que d’inflation. On a fini par réajuster nos prix de 10 à 15 % à la fin du mois d’avril dernier. Les clients râlent un peu, c’est sûr, il faut expliquer sans cesse que nous n’avons pas le choix et que nous avons fait de notre mieux pour leur éviter ces surcoûts aussi longtemps que nous avons pu. Nous leur expliquons aussi que nous ne concédons rien sur la qualité de nos produits, notre maison est depuis longtemps reconnue pour ça…
Si ces conditions démentielles perdurent, nous ne dépasserons pas 2025, au plus tard. Et encore, parce que nos réserves financières le permettent. D’autres collègues n’iront pas aussi loin, c’est une certitude… » c
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№49 — Juin 2023 — Escales c DOSSIER — Les artisans et PME 30
« Concrètement, on a senti arriver les gros problèmes avec la rapide augmentation des matières premières, immédiatement après le début du conflit en Ukraine. »
Mickael Tonussi
Associé-gérant de La
Plus de trente ans après le début de son essor (ce complexe sportif et de loisirs avait remporté dès son ouverture un succès assez bluffant), la Cour de Honau, toujours nichée dans la forêt entre Strasbourg et La Wantzenau) vient de subir trois années très compliquées. Rencontre avec Mickael Tonussi, qui, en association avec son frère Jimmy, gère l’établissement familial…
« Ces crises ont marqué la fin d’une longue histoire familiale… »
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Cour de Honau
Jean-Luc Fournier Nicolas Rosès
Nos difficultés datent de la crise sanitaire. Le premier confinement, on l’a plutôt bien surmonté, il y avait le soleil et malgré les circonstances, j’ai appelé ces deux mois les vacances des Français. Mais à l’issue, on a constaté que les gens avaient peur et ne revenaient pas. Tout l’événementiel, par exemple les mariages, restait interdit. On passe l’été, ça va un peu mieux puis survient le reconfinement d’octobre. Huit mois très, très longs et dès sa levée, en juin, on sait que ça va être très, très dur. Nous fonctionnons avec des abonnements, et dès que les gens perdent l’habitude de fréquenter un lieu, ils ne reviennent plus aussi spontanément. On a pris une vraie gamelle, notre trésorerie a quasiment été anéantie entre les mois de confinement et les mois où nous avons essayé de la reconstituer. Quasiment trois ans, en fait. Parallèlement, on a vite constaté le changement en matière d’habitude, mais aussi de mode de consommation. Les gens sont devenus d’un seul coup moins conciliants et plus agressifs. Malgré tout, après quelques mois, vers la fin de l’hiver 21-22, l’activité repart plutôt bien, on reprend espoir. Fin février 2022 éclate la guerre en Ukraine et assez vite, on découvre qu’on a des problèmes d’approvisionnement pour certains produits de base pour notre restaurant et les gens replongent dans cette forme d’ambiance angoissante qui caractérise l’époque. On rencontre aussi
des problèmes avec notre personnel, car la crise sanitaire a provoqué pas mal de bouleversements dans le rapport des gens avec le travail. On continue tant bien que mal à remonter la pente…
Et c’est l’appel d’ES en décembre dernier. Devant la flambée du coût de l’énergie, on nous incite à signer rapidement un contrat « pour sauver les meubles », en quelque sorte. On est chez eux depuis plus de trente ans, on travaille dans la confiance. Ce contrat, on le signe juste avant Noël dernier. En janvier et février 2023, on ne reçoit pas de facture. La première facture arrivera mi-mars, très largement après la fin du délai contractuel de rétractation qui est de 45 jours. Et là, ahuris, on constate que notre facture mensuelle passe de 12 000 € en temps normal à 48 000 €. Au téléphone, on nous sert des arguments du genre « C’est la faute de l’État avec un changement au niveau du calcul des prix… » Quand on rétorque que le délai de rétractation est expiré et que c’est un scandale puisqu’on n’a reçu la facture de janvier qu’en mars, on n’obtient pas le début d’une réponse convaincante. On essaie d’appeler les services de l’État, peine perdue, il ne se passe rien du tout.
À ce moment-là, on a une fausse bonne idée, que d’autres ont eue aussi : on publie nos factures avant/après sur les réseaux
« Et là, ahuris, on constate que notre facture mensuelle passe de 12 000 € en temps normal à 48 000 €. »
c DOSSIER — LES ARTISANS ET LES PETITES ENTREPRISES FACE AUX CRISES
Mickael Tonussi
№49 — Juin 2023 — Escales c DOSSIER — Les artisans et PME 33 «
sociaux. Mais, passés quelques jours, c’est l’effet boomerang : les gens se disent qu’on ne pourra jamais tenir dans ces conditions et ils ne se réabonnent plus ! Certains demandent même des remboursements… Sincèrement, on s’est alors pris une gigantesque claque derrière la tête.
On a ensuite décidé de commencer à payer nos factures à ES sur la base du prix de l’année précédente qu’on a majoré de 20 %, pour montrer notre bonne volonté. Et depuis, nous n’avons pas eu la moindre nouvelle… Juridiquement, ES ne peut pas nous couper l’électricité puisqu’on paye un montant qui est quand même conséquent. On sait que les attaquer sur le plan du délai de rétractation complètement inopérant après leur envoi tardif de la facture de janvier serait une démarche peu efficace : derrière eux, il y a l’État, ça serait trop long et bien trop coûteux pour une toute petite PME comme la nôtre, d’après notre Conseil.
Ce qui aurait pu être peut-être plus efficace, c’est de monter un collectif d’artisans et de
chefs d’entreprise victimes de ces pratiques, mais l’expérience montre qu’il ne faut pas se leurrer, je ne crois pas trop à cette action de solidarité entre commerçants.
Nous avons donc vendu notre affaire et nous avons déjà informé nos clients que notre activité s’arrêterait en 2025. En plus des changements en matière d’habitudes de consommation que j’évoquais tout à l’heure, le coût de l’énergie a fini de nous convaincre de procéder ainsi. À la base, avant la crise sanitaire, nous avions prévu une enveloppe de 3 à 5 millions d’euros de travaux pour tout rénover. Mais aujourd’hui, il y a de grandes chances pour que ce modèle de club tel que le nôtre devienne obsolète, hormis peut-être à Paris. D’ailleurs, aucun des nouveaux propriétaires n’a souhaité que cette activité de club perdure…
Les crises ont marqué la fin d’une longue histoire familiale. C’est bien sûr dommage qu’elle se termine ainsi, mais on n’a pas eu le choix, il nous était impossible de surmonter cette perte de trois millions d’euros qui a débuté en 2020 avec le confinement… » c
c DOSSIER — LES ARTISANS ET LES PETITES ENTREPRISES FACE AUX CRISES
№49 — Juin 2023 — Escales c DOSSIER — Les artisans et PME 34
« Nous avons donc vendu notre affaire et nous avons déjà informé nos clients que notre activité s’arrêterait en 2025. »
Ne pas oublier Cécile
« L’appel en visio a été très bref, car la connexion était mauvaise, mais j’ai pu voir que Cécile gardait sa force intérieure », racontait Noémie Kohler, le 11 mai dernier, deux jours après avoir été en contact avec sa sœur incarcérée depuis plus d’un an dans la prison de haute sécurité d’Evin dans la banlieue de Téhéran.
S ACTUALITÉ — SOUTIEN
Véronique Leblanc DR
Prisonnière en Iran 37 S ACTUALITÉ
Depuis un an, quatre appels en tout. « Les trois premiers avaient été échangés avec nos parents », raconte Noémie, sa soeur, encore bouleversée d’avoir eu Cécile en direct.
Elle en donne les dates sans hésitation : 18 décembre, 22 février, 17 avril. Comme autant de repères dans une vie désormais suspendue aux bon vouloir des mollahs. « En décembre et février, Cécile est apparue les traits tirés, extrêmement fragilisée psychologiquement et cela nous avait énormément inquiétés », « depuis avril, on sent qu’elle s’accroche et qu’elle se bat. Elle a demandé des nouvelles de tout le monde et, quand nous lui en donnions, son visage s’illuminait ».
Du quotidien de sa sœur, Noémie ne connaît que peu de chose puisque tous les appels sont étroitement surveillés. Elle sait juste que trois sorties hebdomadaires lui sont accordées dans la cour de cette terrible prison où elle a passé plusieurs mois à l’isolement strict sans pouvoir parler à personne.
« Aujourd’hui », raconte Noémie, « Cécile a des codétenues, mais elles changent régulièrement, ce qui est vécu comme une torture psychologique nous ont expliqué d’anciens détenus et otages : tout changement rompt l’équilibre précaire que l’on tente de construire derrière les barreaux ».
« En ce qui nous concerne, notre vie a basculé dans un décalage avec le monde qui se poursuivra tant qu’elle restera détenue. Nous échangeons avec d’anciens otages et leur famille et, pour ma part, je me préoccupe beaucoup du retour de ma sœur. Quel sera son état à ce moment-là ? Et nous, serons-nous assez forts pour l’aider à se reconstruire ? »
NOUS LA SOUTIENDRONS AUSSI LONGTEMPS QU’IL LE FAUDRA
C’est aussi le sens des actions de soutien organisées par le comité dont Noémie a pris la tête en novembre dernier : « il faut qu’une fois en France, elle voit que des gens se sont battus pour elle. »
Plusieurs événements ont eu lieu en mai, un an après son arrestation et celle de son compagnon Jacques Paris. L’accusation était le traditionnel prétexte des régimes dictatoriaux : espionnage
Il y a eu un rassemblement place Gabriel Perri à Nanterre le 7 mai, une conférence de presse organisée par la bâtonnière de Bergerac-Sarlat le 10 et un grand concert de soutien dédié à Cécile et Jacques, à Paris au Champ-de-Mars, le 14.
« D’autres actions suivront aussi longtemps qu’il le faudra », dit Noémie.
« Le Quai d’Orsay fait son travail et nous entoure au mieux, de notre côté nous faisons notre part notamment, en soutenant Cécile ici et là-bas, et en lui envoyant des livres sans même savoir si elle, agrégée de Lettres modernes passionnée de littérature les reçoit. ».
« Nous lui avons envoyé Proust qu’elle adore ainsi que de très épais romans, en espérant qu’ils soient pour elle de vrais compagnons, des portes ouvertes vers d’autres histoires, loin des quatre murs de cette geôle où elle est enfermée depuis le 7 mai 2022. » S
38 S ACTUALITÉ №49 — Juin 2023 — Escales
« Notre vie a basculé dans un décalage avec le monde qui se poursuivra tant qu’elle restera détenue. »
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Pour renouveler ses papiers d’identité
Il n’y a plus de « bon » moment… 40 S ACTUALITÉ №49 — Juin 2023 — Escales
Depuis fin 2021, c’est vraiment la galère pour obtenir un rendez-vous de renouvellement de ses papiers d’identité. Il faut compter trois mois en moyenne. La demande a littéralement explosé sur le territoire entre 2021 et 2022, de l’ordre de 64,5%, et de 30% rien qu’à Strasbourg. Mais pourquoi des délais si longs ? Et comment trouver un rendez-vous malgré tout ? Explications et recommandations.
Il n’y a pas à dire, c’est stressant ! Quand on a vraiment besoin d’un renouvellement de carte d’identité ou de passeport et que tous les rendez-vous sont grisés à trois mois, c’est même le flippe total. Mais on va commencer cet article par les bonnes nouvelles : des solutions existent.
La première, c’est de rafraîchir tôt le matin ou tard le soir le planning des rendez-vous. Il y en a forcément un qui se libère comme par magie à un moment donné. L’autre solution, c’est d’élargir son champ des possibles et de consulter les offres de rendez-vous dans d’autres communes du territoire via le site rendezvouspasseport.ants.gouv.fr lancé fin novembre. Le hic : toutes les communes ne s’y sont pas encore inscrites, à l’instar de Strasbourg. « Cela prend un peu de temps de se raccorder au système, mais l’État fait en sorte d’accélérer le pas », précise Djemel Kharradji, adjoint
au chef de service accueil de la population. Après, à la date de bouclage de cet article, le 10 mai, le premier rendez-vous proposé sur ce site était le 25 août, à Wasselonne. Adios les vacances à Ibiza… Dernière solution, testée pour vous, lancer un appel à l’aide sur les réseaux sociaux. Finalement, parmi vos amis, ou les amis de vos amis, il y a une probabilité que quelqu’un annule son rendez-vous à la dernière minute. Il suffit de signaler à la mairie que vous prenez son créneau, et le tour est joué !
PRISE EN COMPTE DES SITUATIONS PARTICULIÈRES
Enfin, l’administration n’est pas aussi fermée qu’on peut le penser. « Outre les motifs d’urgence – professionnels, médicaux, humanitaires – nous tenons compte des situations particulières et étudions
les demandes, par exemple en cas de perte ou de vols de papiers, assure Djemel Kharradji. Nous recevons énormément de demandes par écrit : 70% d’entre elles ont obtenu à ce jour un rendez-vous. L’an dernier, nous avons ouvert un guichet dédié aux dispositifs d’urgence. On pensait qu’il serait temporaire, mais il perdure. »
Mais comment expliquer une telle tension dans le système sur tout le territoire ? Deux facteurs : le COVID, encore lui, et le lancement en 2021 de la nouvelle carte nationale d’identité (CNI) plus compacte, plus pratique. « 2020 a été une année blanche, alors que nous étions ouverts, se souvient Djemel Kharradji. En 2021, on a connu une reprise d’activité, mais timide, en raison des deux confinements partiels. Ce souvenir peut sembler lointain, mais les gens n’avaient pas de perspectives de voyage, les frontières étaient fermées. Et fin 2021, les demandes ont explosé. Courant 2022, la
S ACTUALITÉ — LE CAUCHEMAR DU RENOUVELLEMENT
41 S ACTUALITÉ №49 — Juin 2023 — Escales
Barbara Romero Nicolas Rosès – DR
la tension est telle que l’on peut se demander quel est le bon moment pour prendre rendez-vous. »
situation s’est dégradée, avec une forte attente des usagers qui avaient envie de prévoir des vacances ou tout simplement avaient besoin de papiers pour les choses du quotidien. À cela se sont ajoutés tous ceux qui ont attendu le lancement de la nouvelle carte d’identité pour renouveler leurs papiers. »
Résultat : au premier semestre 2022, les demandes de CNI ont explosé, suivi en fin d’année des demandes de passeport. « En 2021, sur le territoire national, nous avons fabriqué 7,3 millions de CNI et de passeports. En 2022, on est passé à 12,1 millions, précise Djemel Kharradji. À Strasbourg, nous avons enregistré une hausse de 30%, soit 60 000 titres édités en 2022, ce qui n’est pas anodin en termes de charge de travail. Cela se répercute forcément sur la capacité de rendez-vous. »
Et cela n’est pas près de s’arranger : le premier semestre 2023 suit la même tendance, « et l’État estime que cette surcharge durera trois ans. »
UNE ESQUISSE DE SOLUTIONS
Des mesures ont bien été prises pour diminuer l’attente. En mai 2022, l’État a déployé un plan d’urgence, avec une enveloppe de 22 millions d’euros supplémentaires pour ouvrir de nouveaux guichets dans les communes non dotées de système biométrique ou soutenir les
collectivités dans le recrutement d’agents en renfort. « Mais ce n’est pas si facile de recruter, car il faut former les agents, les profils doivent répondre aux enjeux de sécurité liés au traitement de données personnelles », rappelle Djemel Kharradji. Strasbourg a renoncé à ouvrir pour cette période estivale un centre temporaire d’activité. « Le recrutement est trop compliqué, mais dans la Région, deux ont été ouverts à Metz et Nancy. »
Autre mesure prise : permettre de passer examens et concours (permis inclus) avec des pièces d’identité expirées depuis moins de cinq ans. Afin de réduire les flux, le renouvellement de papiers pour changement d’adresse est suspendu de manière temporaire depuis le 12 avril.
« Aujourd’hui, la tension est telle que l’on peut se demander quel est le bon moment pour prendre rendez-vous, reconnaît Djemel Kharradji. Le conseil donné à Paris est de refaire ses papiers quand on n’en a pas besoin, car cela génère du stress pour l’usager. Mais cela fonctionnait bien quand nous avions des périodes de pics et de creux, ce qui n’existe plus. » Une solution : si vous n’êtes pas pressé-pressé, vous pouvez envoyer un courriel à la mairie afin de solliciter un rendez-vous au-delà des 90 jours glissants ouverts en ligne. Comptez ensuite en moyenne entre quatre et six semaines pour récupérer vos précieux sésames. S
42 S ACTUALITÉ №49 — Juin 2023 — Escales
« Aujourd’hui,
levaisseau.com
CATHERINE MEURISSE UN MONDE SENSIBLE AU MUSÉE TOMI UNGERER
Sous l’ombrée portée de Virgina Woolf dans sa chambre à soi, il faut aller voir les illustrations, dessins au crayon, dessins de presse tous plus fins et poétiques les uns que les autres qu’offre Catherine Meurisse, l’auteur, entre autres, de deux magnifiques albums, La légèreté et Les grands espaces (Dargaud), au Musée Ungerer jusqu’au 3 septembre, sous le haut commissariat de Morgane Magnin.
À gauche :
Dessin pour l’affiche de l’exposition, 2022. Graphite et pastel sur papier.
Double page suivante :
Sempé, dessin pour un hors-série de Philosophie magazine, 2022. Encre de Chine, encres de couleur et collage sur papier.
a CULTURE — EXPOSITION
Isabelle Baladine Howald Collection privée © Catherine Meurisse – Portrait : Nicolas Trouillard
45 №49 — Juin 2023 — Escales a CULTURE
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Dessin pour l’exposition Tomi Ungerer Forever, 2016. Encre de couleur et gouache sur papier.
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L’exposition se nomme Une place à soi. En effet, quand on a échappé à l’attentat contre Charlie pour qui l’on travaille depuis 12 ans parce qu’on est juste arrivée en retard, on ne doit plus savoir qui on est, où l’on est.
Mais la dessinatrice sait d’où elle vient, et elle vient aussi bien de l’enfance (« le dessin est la patrie perdue de l’enfance », dit-elle) que des grands peintres, Delacroix en tête, ou des grands écrivains, Proust étant l’autre grande référence. Mais on voit aussi dans l’exposition quelques merveilles d’Hiroshige ou d’Hokusaï dont la délicatesse côtoie la sienne et la porte littéralement…
Dans le monde très masculin de la bande dessinée et de l’art en général, Catherine Meurisse dessine sa place à elle, avec infiniment de sensibilité. Les animaux, venus parfois de La Fontaine ou de Gustave Doré peuplent les dessins autant que les personnages qui peuvent parfois rappeler la poésie de Sempé, à la manière dont ils sont positionnés, petits,
« DANS LE MONDE TRÈS MASCULIN DE LA BANDE DESSINÉE ET DE L’ART EN GÉNÉRAL, CATHERINE MEURISSE DESSINE SA PLACE À
49 a CULTURE №49 — Juin 2023 — Escales
ELLE, AVEC INFINIMENT DE SENSIBILITÉ. »
solitaires, comme en retrait dans l’image trop grande pour eux, rapidement croqués. « Il ne faut jamais ralentir de l’œil », ditelle quelque part !
Catherine Meurisse a illustré de nombreux livres pour les enfants, sa vision est celle d’un regard tendre posé sur les êtres humains, la nature est prépondérante, qui nous sauve de toute l’absurdité actuelle, tant du moins que nous la laissons exister…
Le regard très attentif des visiteurs de l’exposition est frappant, un enfant s’était couché sur un siège la tête en bas pour voir les dessins à l’envers, les autres s’arrêtaient longuement, comme pour goûter une autre respiration le temps de leur visite. Celle-ci s’intègre parfaitement dans ce petit musée calme et plein de charme, aux côtés des
merveilleux jouets en métal ou en bois de Tomi Ungerer.
Catherine Meurisse a son monde à elle, habité par d’autres avec un mélange de force et de de tendresse, elle a su proposer une place à tout ce qui est petit et fragile, son pinceau ou son crayon sont tout de légèreté. Une vidéo sur le mur la montre rieuse et profonde, disant sa dette à ses aînées Claire Bretecher ou Florence Cestac. Elle peut à son tour faire exister son monde à elle, et ce monde nous touche au cœur… a
« SA VISION
EST CELLE D’UN
REGARD TENDRE
POSÉ SUR LES ÊTRES
HUMAINS, LA NATURE EST PRÉPONDÉRANTE, QUI NOUS SAUVE DE TOUTE L’ABSURDITÉ ACTUELLE. »
Catherine Meurisse, Une place à soi
Musée Tomi Ungerer
Centre international de l’illustration
2 avenue de la Marseillaise à Strasbourg
Jusqu’ au 3 septembre 2023
Dessin pour Zadig, 2022. Encre de Chine, encres de couleur et gouache sur papier.
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Véronique Leblanc CEAAC
AU CEAAC LE MONDE SANS LES MOTS
D’ANNE-LAURE
SACRISTE
Par son travail de copiste, Anne-Laure Sacriste introduit un geste manuel ouvert à l’accident et à l’irrégularité saisissant ainsi une essence des choses, un indicible surgissement parfois sublimé par des pigments iridescents…
Parler ou faire parler de peinture, mais sans les mots. Parler ou faire parler de peinture parfois même sans peinture, mais en usant de la sculpture, de la céramique ou de l’installation.
JSe défier des styles, abstrait ou figuratif, mais y puiser sans distinction pour poser sans cesse la question du mythe des origines des êtres, des images
a CULTURE – EXPOSITION
Anne Laure Sacriste, Copper Circle I, 2023, 185 cm, production du CEAAC. Composition de vingt-trois tapis de yoga et neuf plaques de cuivre.
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« DE CE FRAGMENT EXTRAIT D’UNE REPRÉSENTATION DU PÉCHÉ ORIGINEL [...]
NAIT SANS MOT DIRE UN INFINI DE QUESTIONS. »
Jet par extension du langage en creusant toujours plus avant celle de l’épiphanie de la peinture.
Et le faire au travers d’œuvres en parfait accord avec l’espace Art nouveau du Centre européen d’actions artistiques contemporaines qui les accueillent jusqu’au 3 septembre.
L’exposition d’Anne Laure Sacriste y débute par un tout petit format peint représentant des pieds nus sur un parterre fleuri prélevé d’une œuvre emblématique de la peinture occidentale : L’Annonciation de Fra Angelico. De ce fragment extrait d’une représentation du péché originel, mais « repeint » par l’artiste – écrit Alice Mottard, directrice du CEAAC – nait sans mot dire un infini de questions. Celle de la codification de la nature et du paysage, celle des grands récits religieux, mais aussi celle du cadrage, de la copie, du détail.
TOUTES IRRIGUENT L’EXPOSITION
S’y côtoient un grand triptyque juxtaposant motifs de fleurs tirés du parterre
de Fra Angelico et bandes longitudinales reprenant sa palette, une œuvre plus petite reproduisant un motif d’impression créé par William Morris chef de file du mouvement Arts and Crafts, une Composition aux tapis de yoga et plaques de cuivre dont le damier rappelle la perspective des pavements de la Renaissance italienne, des œuvres de bois, de cuivre, de rubans qui toutes se répètent et se répondent.
Un parcours tout en sensibilité esthétique sur lequel veillent deux tortues et une chouette en céramique, symboles de longévité et de sagesse. a
Anne Laure Sacriste, Le monde sans les mots
7 rue de l’Abreuvoir
CEAAC
Entrée libre du mercredi au vendredi, 14h-18h
Visites commentées gratuites, tous les premiers samedis et dimanches du mois à 15h
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a CULTURE – EXPOSITION
54 a CULTURE №49 — Juin 2023 — Escales
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BELLIS
NATACHA CALAND « JE CRÉE DES OBSTACLES POUR RÉVÉLER LA LUMIÈRE »
« Je fabrique des dispositifs toujours monochromes », précise la plasticienne strasbourgeoise Natacha Caland.
« À la lumière d’en faire ce qu’elle veut, de l’infiniment sombre à l’infiniment clair. C’est par l’obstacle qu’elle se révèle. À moi de créer ces obstacles… »
J’avais deux règles, explique Natacha Caland en décrivant Moving Blue , l’œuvre qui sera exposée cet été au musée d’Art et d’Histoire de Cholet : avoir chaque module en nombre égal et ne jamais placer deux modules de hauteur identique l’un à côté de l’autre. »
Constituée de deux panneaux faisant au total 200/90 cm, celle-ci se structure par des carrés de 49 pièces – sept modules identiques multipliés par sept – assemblés de manière aléatoire pour créer au final un horizon infiniment mouvant.
Le regard se perd dans le monochrome bleu vibrant sous la lumière, il voyage au cœur de ce paysage géométrique jamais figé, toujours prêt à jouer avec la lumière pour emmener le spectateur dans sa danse.
Pour Natacha, il s’agit de créer « plusieurs tableaux en un seul impossible à appréhender en une seule fois. Et de travailler avec les vibrations… », poursuit
a CULTURE – UNE ARTISTE STRASBOURGEOISE À CHOLET
№49 — Juin 2023 — Escales 56 a CULTURE «
Véronique Leblanc Alban Hefti – Ueli Gantner
cette artiste diplômée d’architecture, mais aussi musicologue.
De l’architecture, elle garde le goût du « construit » et celui des maquettes ; de la musique, elle conserve le sens des rythmes et des modulations infinies. Tout se révèle au travers de l’épurement d’une abstraction jouant de décalages et d’alignements, de trames et de ruptures, d’ordre et d’aléatoire.
INDICIBLE POÉSIE DE LA GÉOMÉTRIE
« Mes œuvres démarrent toutes d’un dispositif que j’ai en tête avant de le fabriquer pour le mettre dans la lumière. Des surprises peuvent surgir, il peut arriver que rien de ce je pressentais n’advienne, mais il peut aussi arriver que des lumières imprévues naissent d’“accidents”. L’important c’est de “faire”, de se confronter à la matière.
C’est ce qui m’occupe en permanence dans l’atelier.
Le “non programmé” fait avancer. L’art est une aventure humaine avec sa part d’inconnu y compris lorsque l’on sait ce que l’on fait et que l’on suit une direction. Il y a une ligne, ce n’est pas une errance, mais on ne sait jamais complètement où l’on va. »
Consacrée aux liens entre art et mathématiques, l’exposition de Cholet est d’ailleurs intitulée « Comme par hasard », un titre qui ravit Natacha.
Elle réunira les œuvres d’une quinzaine d’artistes franco-allemands tous inscrits dans cet art concret dont fut précurseur François Morellet, natif de la ville, maître de l’abstraction géométrique et propagateur de l’art cinétique.
Une salle du musée lui est dédiée depuis 2017 et donne le ton aux expositions qui y sont présentées, tout sauf « par hasard ».
Revenant sur cette notion, Natacha poursuit évoque la « neutralité active » de ses œuvres, « la géométrie est rigou-
reuse, dit-elle, mais elle porte en elle une indicible poésie qui s’éveille, à chaque fois de manière singulière en fonction de la personne qui regarde la composition, de l’histoire de cette personne, de son humeur et des modulations de la lumière ».
« Les œuvres sont des portes ouvertes. Les miennes ne provoquent pas, elles n’écorchent pas. Elles apaisent et ramènent au rituel de la méditation par ce geste de répétition qui est le mien et auquel le spectateur ne peut pas être indifférent. »
« Il y a une dimension un peu hypnotique dans mon travail, conclut cette artiste qui se définit comme “une tricoteuse de bois”, “maille par maille, rang par rang”, “module après module, ligne après ligne” en quête d’émotions esthétiques sans cesse renouvelées par la lumière.
En quête d’infini, par et par-delà les contraintes. a
57 a CULTURE №49 — Juin 2023 — Escales
Moving Blue
CHARLES FRÉGER
SOUVENIR D’ALSACE, LA FACE SOMBRE DE LA CARTE POSTALE
ET LES IMAGINAIRES IDENTITAIRES
À la tête du Musée Alsacien depuis 2018, Marie Pottecher s’émerveille encore de la conjonction de ses propres préoccupations avec le projet que lui a présenté le photographe Charles Fréger, quinze jours après son entrée en fonction...
Charles Fréger
a CULTURE — MUSÉE ALSACIEN
58 a CULTURE №49 — Juin 2023 — Escales
Véronique Leblanc Musées de la Ville de Strasbourg – Fondation Hermès – DR
Une des raisons pour lesquelles j’avais postulé était de creuser plus avant la question des identités et de leur instrumentalisation », se souvient-elle, « et cet artiste de renommée internationale me proposait, en lien avec La Chambre, de prendre l’iconographie de l’Alsace pour point de départ d’un travail autour des constructions identitaires. J’ai tout de suite été partante. » S’en est suivie une résidence artistique de deux ans qui ont été doublés, car Charles Fréger voulait « aller plus loin » tant la matière était dense.
C’est donc le résultat de quatre ans de « résidence passionnante » qui est
présenté au Musée Alsacien jusqu’au 1er avril 2024, dans un parcours qui « va crescendo ». Une première salle pose la problématique et précise qu’il s’agit d’explorer « le côté sombre de la carte postale », d’autres lui succèdent dont un espace essentiel qui met en lumière ce qui a nourri le travail de l’artiste : la question des nationalismes menant à la haine de l’autre ; la souffrance, le deuil, mais aussi les espérances liées à la guerre.
Un « pôle plus atypique » est consacré au traitement des sujets en silhouettes, technique déjà expérimentée par Charles Fréger pour des projets antérieurs consacrés, notamment, aux iden -
tités bretonne et basque. « Pour lui, il s’agit d’une forme de “non-dit”, explique Marie Pottecher, il en use beaucoup pour évoquer sans tout dévoiler, permettre la projection de chacun dans une silhouette pourtant identifiée ».
Une série de ces « silhouettes » s’intitule Alsaciennes. Presque abstraites, elles se déploient sur une série d’assiettes qui se réfèrent au célèbre service Obernai de Charles Loux, mais le dépassent pour se faire œuvres d’art.
« Charles Fréger a travaillé sur différents supports », précise la conservatrice, la photographie bien sûr, mais
Charles Fréger, assiette de la suite Alsaciennes.
59 a CULTURE №49 — Juin 2023 — Escales
aussi la céramique, le verre, la broderie ou bien encore la sculpture en travaillant à chaque fois avec des interlocuteurs privilégiés, la manufacture de Saint-Clément en Moselle pour les assiettes, le musée de Sarreguemines, la verrerie de Meisenthal, des artisans de Düsseldorf, etc.
LES IMAGINAIRES IDENTITAIRES SE COGNENT
« Une centaine de personnes se sont mobilisées autour de lui et il a aussi beaucoup travaillé avec des “groupes de reconstitution” folkloriques ou historiques français et allemands dont les membres se sont faits modèles pour le photographe. »
Ainsi en a-t-il été pour une série autour de Hansi et des illustrateurs qui se sont inscrits dans sa mouvance. Intitulée Les Boches d’après Hansi, elle met en scène des modèles affublés de masques de bois réalisés par un sculpteur de la Forêt Noire d’après un modèle de Charles Fréger.
Une autre suite est consacrée à l’imaginaire médiéval du Château du HautKoenigsbourg interprété avant 1914 par Léo Schnug et réinterprété par un groupe de reconstitution contemporain. Hansi pro-France, Schnug pro-Allemagne, les imaginaires identitaires se cognent et mèneront à la propagande haineuse de la Première Guerre mondiale.
« L’autre » devient « l’ennemi » et du désastre naîtront d’indicibles souffrances.
À partir de lettres échangées en 1916 par deux femmes qui évoquent un soldat français mort au Hartmannswillerkopf, l’artiste a mené un travail d’enquête, retrouvé les descendants, collecté des objets et réalisé un film d’animation qui retrace ce drame aussi intime qu’universel.
L’une des femmes était la sœur du soldat, l’autre lui était très proche sans que l’on sache si une relation amoureuse les liait. La première était française, l’autre une Allemande de la ville de Saint-Amarin.
« Aborder la question de la guerre prend un sens particulier aujourd’hui, alors même qu’elle a repris pied sur le continent européen », observe Marie Pottecher. « L’exposition questionne les identités et la manière dont elles ont été manipulées. C’est fondamental et passionnant que le musée s’en empare. Notre rôle est d’inviter les visiteurs à se poser des questions, bien plus que d’y répondre ». a
Charles Fréger, Souvenir d’Alsace, Exposition jusqu’au 1er avril 2024
Musée Alsacien – 23-25 quai Saint-Nicolas
Ouvert en semaine de 10h à 13h et de 14h à 18h
Samedi et dimanche de 10h à 18h
Fermé le mardi.
Une exposition associée Silhouettes de Charles Fréger sera présentée à La Chambre 4 Place d’Austerlitz, à l’automne prochain.
Marie Pottecher, directrice du Musée Alsacien.
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« L’EXPOSITION QUESTIONNE LES IDENTITÉS ET LA MANIÈRE DONT ELLES ONT ÉTÉ MANIPULÉES. C’EST FONDAMENTAL ET PASSIONNANT QUE LE MUSÉE S’EN EMPARE. »
crédit photos :
D.R.
LE CRÉDIT MUTUEL DONNE LE MERCI À NOS FIDÈLES PARTENAIRES & SPONSORS MASCARADE DIM 29 OCT 50 CENT MAR 31 OCT CLAUDIO CAPEO SAM 18 NOV CASSE NOISETTE DIM 10 DÉC SEIGNEUR DES ANNEAUX 3 VEN 20 OCT DJADJA & DINAZ SAM 02 DÉC BOODER DIM 21 JAN 2024 MICHAEL FLATLEY’S VEN 06 OCT BERNADETTE DE LOURDES MER 20 & JEU 21 DÉC BIGFLO & OLI VEN 03 NOV PAT PATROUILLE DIM 28 JAN 2024 M POKORA SAM 14 OCT & DIM 15 OCT SHAKA PONK SAM 25 NOV 500 VOIX POUR QUEEN SAM 13 JAN 2024 NEJ VEN 08 DÉC MICHEL SARDOU MER 22 NOV SOFIANE PAMART SAM 16 DÉC INFAMOUS FESTIVAL SAM 21 OCT DAMIEN SAEZ DIM 03 DÉC TRIAL INDOOR SAM 27 JAN 2024 CHRISTOPHE MAÉ VEN 13 OCT KAAMELOTT - 1ER VOLET VEN 22 DÉC IBRAHIM MAALOUF MER 07 NOV MAXIME GASTEUIL MER 18 OCT GLORIOUS DIM 26 NOV TOP MUSIC LIVE 2023 JEU 16 NOV PASCAL OBISPO VEN 17 NOV DISNEY 100 ANS SAM 09 DÉC JOB DATING 2023 MER 20 SEPT SALON MER & VIGNE 29 & 30 SEPT - 01 & 02 OCT
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LA MUSIQUE POUR LA TRANSMETTRE ÉCOUTER LES
LIGNES, TRACER
LES SONS
62 a CULTURE №49 — Juin 2023 — Escales
Stéphane Clor est artiste, musicien, poète de lignes sonores sur papier. Il est de ces personnes qui souhaitent offrir au monde. Transmettre. Tout le monde ne sait pas lire la musique, ces partitions sèches, millimétrées et enfermées dans les carcans immuables d’un art trop souvent réservé aux classes supérieures. Son projet Écouter les lignes, tracer les sons a été construit avec cette volonté d’ouvrir la musique à celles et ceux qui n’en ont pas les codes. Stéphane Clor dessine les sons, les sentiments. Et nous accueille dans son atelier du Bastion 14…
Son atelier, lumineux et rempli de projets, est occupé par quelques plantes et un curieux instrument à cordes... Il est le compagnon de route de celui qui a commencé la musique sur le tard, vers 17 ans, en dernière année de lycée. En 2007, il passe les concours d’entrée au conservatoire. Sa réflexion sur la démocratisation de la musique commence peut-être à ce moment, celui où, devant ses partitions, il ne sait les déchiffrer, contrairement à ses camarades. Loin de rester un obstacle, cette difficulté le nourrit, et il poursuit jusqu’au Diplôme national Supérieur de Musicien Professionnel, qu’il obtient en 2013. Son parcours, en improvisation jazz, l’emmènera notamment à Vienne, à l’Universität für angewandte Kunst (l’Angewandte), puis sur plusieurs résidences à travers l’Europe, dont Gdansk (portée par Apollonia).
L’ART EST POLITIQUE, POURQUOI PAS SOCIAL ?
Les expériences de Stéphane Clor le mènent à s’intéresser aux projets de
terrain, à réfléchir à l’inclusion de l’art dans le quotidien des gens : « je voulais déjouer les lieux habituels de diffusion des arts. Il y a souvent ce mythe de l’artiste mystique, avec une forme de génie qui lui vient d’ailleurs… Ce que je crois c’est qu’il s’agit en fait d’un travail très concret, et même politique. La façon dont nous nous inscrivons dans nos pratiques parle de cela. Lorsque j’avais travaillé avec des gens du quartier durant ma résidence à Gdansk, sans parler un mot de polonais, c’était une prise de position. », expliquet-il. La médiation, la création-médiation, sur le terrain lui tiennent à cœur pour jouer de la sempiternelle cage dorée de l’art : la scène, la galerie, les expositions…
Cette dimension sociale, sociétale, se retrouve constamment sur un fil de sa pensée. Pour parvenir à démocratiser la musique, s’adresser à des personnes qui ne lisent pas le solfège, il développe un « Atlas phonographique ». Les lignes, les formes s’étalent sur la feuille. Qu’est-ce donc ? « C’est un support de jeu, de déclenchement d’un travail collectif, un nouveau mode de transmission ».
CARTOGRAPHIER LA MUSIQUE : MATHÉMATIQUES ET SENTIMENTS
Le musicien suit la graphie sonore exposée derrière lui : « Les lignes sont des sons continus, les cercles des battements harmoniques… Chaque élément graphique a des correspondances sonores. Le dessin est à la fois signifiant, et abstrait. ».
Abstrait ? Il s’agit alors de dynamique, une inspiration, une application. L’idée est de travailler sur la représentation du son, pas de le cadrer à la manière d’une partition. Cette idée de paysage sonore, on la retrouve par ailleurs chez John Cage. Les travaux de Stéphane Clor
a CULTURE — MUSIQUE, SCIENCES ET SOCIÉTÉ
63 a CULTURE №49 — Juin 2023 — Escales
Marine Dumeny Nicolas Rosès
font appel à une certaine synesthésie. D’ailleurs, la volonté de rendre une approche plus émotionnelle au musicien, qui se contente de mécaniquement jouer une partition, se retrouve. Une forme de relance de créativité. Le dessin est une passerelle entre l’improvisation et l’écriture.
« Je travaillais sur ma dernière résidence avec un mathématicien, et il amenait la question de l’inconscient dans la création ». Inconscient pour lequel l’influence sur ce projet de l’exercice depuis deux ans du field recording, l’enregistrement d’un milieu (forêt, marécage, ville…), par l’artiste, ne semble pas être imperméable. Un parallèle établi puisque l’art reste de la recherche, intuitive, sensible… Et finalement assez proche de la recherche en mathématiques. « Nous avons étudié ensemble l’œuvre d’Alexandre Grothendieck*, mathématicien discret ayant travaillé sur la géométrie algébrique abstraite, pour établir une façon didactique de construire une transmission efficace. » Le scientifique souhaitait voir son œuvre accessible à tous. Une volonté qui résonne fortement chez Stéphane Clor.
Rendre la musique abordable, l’amener dans les quartiers populaires, est un enjeu que le musicien transposera de nouveau cet été, avec son équipe, dans le festival Les Habitées : Expériences artistiques en lieux multiples, paritaire et inclusif, à retrouver du 21 au 24 juillet. Un festival qui, malgré son originalité et la réputation de ville au premier budget culture de Strasbourg, subit également la tendance à la baisse des subventions et aides au secteur culturel. a
*Récoltes et Semailles, pendant longtemps un PDF trouvable uniquement par sections, a été édité aux éditions Gallimard en deux tomes augmentés en janvier 2022 – ndlr
1rueduRempartàStrasbourg.
solo à suivre
leshabitees.net
StéphaneClorestàretrouverauBastion 14,
SurYouTube(StéphaneCl-) Sursatournée
sur : stephaneclor.net Festival :
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« JE TRAVAILLAIS SUR MA DERNIÈRE RÉSIDENCE AVEC UN MATHÉMATICIEN, ET IL AMENAIT LA QUESTION DE L’INCONSCIENT DANS LA CRÉATION. »
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AUDE BOISSAYE
L’ALCHIMIE DES PREMIERS PHOTOGRAPHES
L’auriez-vous déjà remarquée ? Une femme de caractère, à la beauté sensible et concentrée.
Derrière la grande verrière de la gare de Strasbourg, de mars à mai 2022, son portrait, 5x5 mètres, était affiché parmi une série de photographies d’artisans d’art, qu’elle avait réalisées à la demande de l’Institut national des Métiers d’art. On n’aurait pas distingué le sien des autres, tous en noir et blanc, arborant un grain et une texture particulières. Avec son tablier et ses gants, derrière ses bocaux de produits chimiques, la photographe contemporaine
Aude Boissaye, originaire d’Alsace, apparaissait elle-même en vraie artisane d’art.
a CULTURE — IMPARFAITE PERFECTION
Eleina Angelowski Aude Boissaye – Studio Cui Cui
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Aude Boissaye
epuis que je travaille avec le procédé ancien du collodion humide datant de 1850, j’ai la sensation de m’être transformée en ouvrière de la photo : je ne prends pas de photographies, je les fabrique. Chaque geste compte et chaque image raconte une histoire. La main de l’artisan y est aussi importante que l’œil du photographe. Utiliser cette technique pour pénétrer dans les ateliers de création des artisans à la recherche de la beauté du geste était d’autant plus pertinent que l’on partage la même passion : faire corps avec la matière, prendre le risque d’affronter ses aléas, expérimenter et se laisser surprendre… »
« Attention, on ne bouge plus ! » Aude retire doucement le bouchon de l’objectif et compte : « une seconde... deux secondes... trois secondes… », une éternité… et flash ! La lumière pénètre à travers l’optique de la chambre ancienne imprimant ses traces sur la plaque en verre ou en métal, induite d’une fine couche de collodion. « Je fabrique moi toute la chimie quelques jours avant pour une juste maturation, explique Aude Boissaye. Pendant la Première Guerre mondiale, on utilisait le collodion pour cicatriser les plaies et il est toujours disponible en pharmacie. J’y rajoute des sels et d’autres composants à partir d’une recette datant de 1851 pour arriver à un mélange jaune doré. » Le procédé exige une concentration maximale. La plaque, qui ne reste humide que pendant dix minutes, doit être préparée juste avant de la prise de vue. La chambre noire, où l’alchimie se poursuivra, est obligatoirement à côté. Plongée consécutivement dans un bain de nitrate d’argent, puis dans un révélateur, de l’eau et enfin dans un fixateur, avec des séquences où chaque seconde compte, la surface sensible fera enfin apparaître l’image.
DES BEAUTÉS ENFOUIES, INACCESSIBLES
À NOS APPAREILS CONTEMPORAINS
« La discipline et l’excitation se renforcent l’une l’autre au pas de danse avec le temps et la matière, poursuit Aude. La lumière transforme les sels d’argent en argent pur fixant l’image sur le matériel inaltérable du métal (ferrotype) ou du verre (ambrotype). Évidemment, il est possible d’en produire ensuite des tirages papier ou des images numériques, mais le sup-
QUESTION À MÉDITER À L’HEURE OÙ LES ALGORITHMES ET LES ROBOTS PROMETTENT DE SUPPRIMER NOS DROITS À
L’ERREUR, À LA RÉVÉLATION
INATTENDUE DE LA BEAUTÉ VIVANTE – IMPARFAITE PERFECTION. »
port initial assure une pérennité matérielle, si rare de nos jours. »
Pourquoi se tourner vers un mode de production aussi laborieux, lent et risqué à l’heure du numérique et de l’Intelligence artificielle dont les performances semblent illimitées ? Pour se distinguer des autres ? Par nostalgie du passé ? Non, la réponse est loin d’être aussi banale.
« Avec Sébastien Randé, mon ancien associé au studio Cui Cui à Paris, originaire d’Alsace comme moi, on rêvait de travailler à la chambre pouvant réaliser des plaques jusqu’à 20x25cm, ce qui est déjà considérable si l’on compare au format de nos capteurs 24x36mm. En 2013, nous avons été initiés au collodion par le photographe alsacien Éric Antoine. Petit à petit j’ai découvert que le langage imparfait du collodion fait remonter à la surface des beautés enfouies, inaccessibles à nos appareils contemporains. La technique elle-même, mais aussi la manière d’organiser le processus de prise de vue, créent un autre rapport au temps et à l’humain. À commencer par le lien d’intimité qui se tisse avec les personnes qui viennent se photographier à l’atelier. »
Chaque plaque évoque les souvenirs d’une rencontre unique. Les gens sont impressionnés par la chambre de l’appareil « vintage » : elle est en bois, avec son soufflet, son objectif à l’avant, un verre dépoli à l’arrière, le tout fermement posé sur un lourd trépied. La prise de vue se transforme
d’autant plus facilement en rite de passage dont la lenteur permet de marquer un moment solennel et important de la vie.
« Je me souviens de cette jeune femme, venue à l’atelier après une perte de poids significative. Elle n’avait pas encore intégré le changement de son corps. La séance était pour elle une manière de valider, d’appréhender sa nouvelle image. Parfois il s’agit de réunir une famille éparpillée à l’occasion d’un évènement familial. J’ai même un contrat sur vingt ans avec des clients dont je photographie les quatre enfants à différentes étapes de leurs vies… On apprend un tas de choses sur leurs parcours et leurs rêves pendant la préparation de la mise en scène. En buste ou en pied ? De face ou de profil ? Les yeux dans l’objectif ou plus loin dans le vague ? Les gens prennent conscience de leur pose, de ce qu’ils voudraient faire apparaître de leurs traits, de leurs désirs ou de leurs rapports aux autres. Prenons ce portrait de mère et fille qui ont débarqué au studio avec une valise de tenues et de bijoux. Elles avaient envie de souligner leur parenté au sens propre et figuré avec la sensation d’imprimer leur lien pour l’éternité… »
Le collodion a comme une capacité d’intensifier les traits de caractère à travers le
D
« UNE
POUVOIR TOUT CONTRÔLER
ON SE LAISSE SURPRENDRE PAR LE RÉSULTAT SANS
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contraste, la luminosité et une très haute définition de l’image. Les reflets de l’argent créent une profondeur insoupçonnée, tout en faisant apparaître un tas de détails qui font vibrer portraits et paysages. Le visage de cet ancien pilote de l’armée de l’air dont les moustaches, telles des ailes blanches, dépassent les contours de sa figure, saisit le regard par une présence intense, un silence parlant au-delà des mots. « Il me disait que notre société se meurt en essayant d’éviter à tout prix les prises de risque, reprend Aude. Pendant sa carrière, il a été éjecté trois fois de son avion. » La photographe se rappelle aussi de l’histoire et du charme de ce médecin d’origine ghanéenne, venu se faire photographier en tenue traditionnelle pour son 85e anniversaire, de la jeune fleuriste qui voulait apparaître avec une couronne de fleurs sur ses cheveux…
« Travailler pour le cinéma, comme récemment avec des acteurs tels que Jean Dujardin et Pierre Arditti, pour certaines marques comme Chanel ou pour une campagne sur les agents de la propreté de la commune de Pantin, ou encore avec des particuliers, la pratique du collodion est toujours une forme de méditation active, où l’on se laisse surprendre par le résultat sans pouvoir tout contrôler. Les altérations, parfois même les erreurs créent une texture, une atmosphère impossible à rééditer. Le présent s’y installe dans toute sa puissance créatrice. On est loin de la reproductible qualité des images des appareils contemporains dont les objectifs sont calibrés en séries identiques. »
Crée par des opticiens en 1890, l’optique de la chambre ancienne d’Aude est en effet unique.
Retrouver les gestes, les matériaux et les outils des premiers alchimistes photographes du XIXe siècle lui procure la sensation de voyager dans le temps. « On se rappelle les portraits de Baudelaire, de Hugo et de tant d’artistes de l’époque, réalisés par le photographe Nadar avec la même technique. Roger Fenton partait “couvrir” la campagne de Crimée en 1855 avec son chariot photographique rempli des mêmes fragiles plaques de verre…
N’est-ce pas justement cette fragilité, la prise de risque, la conciliation avec nos limites et l’éphémère, qui intensifient et humanisent la puissance créatrice ? Une question à méditer à l’heure où les algorithmes et les robots promettent de supprimer nos droits à l’erreur, à la révélation inattendue de la beauté vivante –imparfaite perfection. a
Le studio Cui Cui
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AUDE BOISSAYE L’IMPARFAITE PERFECTION DU COLLODION
Loin de la dictature de l’immédiateté engendrée par l’écrasante domination du numérique, il est des photographes qui ne se lassent pas d’explorer les vertigineuses possibilités techniques que la photographie a développées dès son origine. Parmi elles, le collodion, cette technique laborieuse et incertaine que la photographe d’origine alsacienne Aude Boissaye explique avec passion à notre journaliste Eleina Angelowski dans les pages précédentes.
Elle nous a confié quelques-unes de ses superbes réalisations pour ce port-folio exceptionnel que nous sommes fiers de publier…
Aude Boissaye est basée depuis plus de vingt ans à Paris où elle a fondé en 2010 son Studio Cui Cui, actuellement situé 1 rue Meissionier à Pantin.
contact@studiocuicui.fr
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LE JOUR OÙ… LES OUVRIERS DU BÂTIMENT SE
SONT RÉVOLTÉS
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était un jeudi, l’heure importe peu. Ce qui compte, c’est qu’à Strasbourg en ce 3 août 1933, l’ambiance est électrique. Comme un animal qui pressent et qui s’agite, la ville sait que l’orage va éclater. Voilà des mois qu’il tourne et qu’il gronde, que flotte dans l’air ce parfum de révolution que l’on a déjà connu en 1917, ce n’est pas si vieux alors, quand les Soviets avaient brièvement pris le pouvoir et que sur la flèche de la cathédrale avait été hissé le drapeau rouge.
Dès le matin de ce 3 août, le bruit de la cité n’est pas le même, l’atmosphère est autre. Une sorte d’excitation qui grandit et c’est un peu difficile à décrire 90 ans après les faits, autant dire un siècle, mais chacun sent bien que quelque chose va se passer parce qu’on est arrivé à un point de rupture ou de bascule. La tension a tellement monté qu’elle ne peut que redescendre ou exploser.
Voilà deux mois maintenant que les ouvriers du bâtiment sont en grève. Ils protestent contre les baisses de salaires progressivement imposées par
le patronat et réclament une augmentation de 50 centimes de l’heure. Aux maçons viennent rapidement s’agglomérer les autres corps de métiers, les terrassiers, les charpentiers, les tailleurs de pierre, les peintres, les ardoisiers et d’autres encore qui subissent depuis trop longtemps des conditions de travail inhumaines.
Au fil des semaines, le mouvement s’amplifie encore malgré les tensions, on pourrait tout aussi bien parler de divisions, syndicales entre la CGT-U (communiste) et les syndicats réformistes et chrétiens. Bientôt les rejoignent les ouvriers des tanneries de Lingolsheim, les cheminots de Bischheim, les employés des brasseries ou encore les conducteurs de tramway. À Colmar des ouvriers débrayent, à Mulhouse aussi. Même si le mouvement ne fait pas tache d’huile, il s’étend indubitablement. De 2000 grévistes fin juin on est passé à 18 000 et même 20 000 début août et, chaque soir dit la chronique syndicale, des échauffourées ont lieu dans les rues de Strasbourg entre la police et les manifestants.
L’époque en effet est à l’affrontement. Dans « lutte des classes », il y a lutte et ce n’est alors pas un vain mot.
LE PATRON EST CHEZ LUI...
La classe ouvrière réclame des droits, a obtenu celui de grève, des avancées sociales importantes et ne compte pas en rester là : finies les cadences infernales, les journées de 12 heures, les semaines de 48 h où seul le dimanche est chômé, « Prolétaires de tous les pays, unissons-nous ! ». De son côté, le patronat s’arc-boute quant à lui tant qu’il peut, résiste à la montée des syndicats et se montre extrêmement solidaire : il n’est pas rare qu’un chef d’entreprise confronté à une grève licencie tout son personnel (Aussperrung) pour embaucher des ouvriers du Frioul italien, de Pologne ou même de Russie ; des agences spécialisées se chargent du recrutement de ces « jaunes » et de leur acheminement. Il arrive aussi que, grâce au soutien financier et moral de ses confrères, ces mêmes patrons ferment leur usine pendant six mois ou plus, jusqu’à ce
C’
À l’été 1933, Strasbourg est dans une situation quasi insurrectionnelle. Depuis le mois de juin, les ouvriers du bâtiment sont en grève et les affrontements violents se multiplient. Le 3 août 1933, c’est l’émeute.
a CULTURE — HISTOIRE Alain Leroy DR
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que les grévistes, aux abois, renoncent à leurs prétentions. Le patron est chez lui, c’est son outil de travail, ses employés sont une partie de cet outil de travail sur lequel il estime avoir tous les droits.
L’État, lui, a clairement choisi son camp, il est aux côtés du capitalisme et de la bourgeoisie. Pas question de laisser le bolchévisme s’installer dans les usines et amener la révolution dans ce pays. La classe ouvrière est considérée comme une masse dangereuse, mouvante qu’il faut mater et contrôler. Quand la troupe est dépêchée, c’est pour disloquer les piquets de grève et rétablir l’ordre « républicain » manu militari, quitte à tirer dans la foule.
Le rapport de force est permanent. Nous sommes à un point de l’histoire où se forment les équilibres. Chaque mouvement social a valeur d’exemple, celui qui lâche a perdu, le plus fort l’emporte.
LE MALAISE ALSACIEN
C’est particulièrement vrai en Alsace où la situation sociale et économique est rendue encore plus complexe par les
blessures de l’histoire. Après la guerre et la libération par les troupes françaises en novembre 1918, l’euphorie a ainsi rapidement fait place à ce que les historiens appelleront « le malaise alsacien ». Comme un enfant de l’amour tard reconnu, l’Alsace avait été très vite déçue par cette France fantasmée, idéalisée qui n’avait pas beaucoup d’égards pour elle et se montrait même violente.
La France des années 20 et puis des années 30 n’était pas celle d’avant 1870, l’Alsace non plus. La première voulait purger l’ex-province perdue et désormais retrouvée de ses racines germaniques, gommer son accent, extirper tout corps étranger pour la réintégrer pleinement dans le giron national, mais pour ça il fallait qu’elle marche au pas. La seconde s’était battue sous le Second Reich pour faire reconnaître sa spécificité et en un sens y avait un instant réussi, ce n’était pas pour se retrouver brimée, elle en avait soupé des diktats.
En avril 1920, une grève générale pour la défense des droits sociaux propres à l’Alsace, les Heimatrechte, et notamment
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« LA FRANCE DES ANNÉES 20
ET PUIS DES ANNÉES 30
N’ÉTAIT PAS CELLE D’AVANT 1870, L’ALSACE NON PLUS. »
le système d’assurance maladie et de retraites par répartition acquis en 1889, avaient déjà été un avertissement pour le gouvernement qui avait fini par négocier le maintien d’un droit local pour les ouvriers.
En 1933, il ne s’agissait donc pas seulement de salaires ou de conditions de travail, il s’agissait de bien plus que ça, d’identité, d’idéologie et de dignité. Cette grève représentait l’affrontement de deux mondes à la charnière d’une époque incandescente : de l’autre côté de la frontière Hitler venait de prendre le pouvoir, en Italie le fascisme s’épanouissait et, à Paris, les ligues affutaient leurs cannes-épées, rêvant de mettre à genoux la République, la « gueuse ».
« Une première constatation s’impose, c’est que la population ouvrière et paysanne d’Alsace-Lorraine subit le double joug du grand patronat capitaliste et de l’impérialisme français », écrit quelques années plus tard sous le pseudonyme de Ragamond un dirigeant de la CGT-U qui préface le livre du camarade Frachon qui retrace les grèves de Strasbourg de 1933. « Le peuple travailleur
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Saison ’23’24 © Paul Lannes
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d’Alsace-Lorraine, soumis tour à tour, selon le résultat des guerres impérialistes, au joug des capitalismes rivaux, réclame le droit de s’administrer lui-même et de mener l’action contre sa propre bourgeoisie pour arracher ses revendications et préparer sa libération définitive. » Quand la cause est plus grande que l’individu…
LE POING LEVÉ...
Le grand meeting organisé ce 3 août 1933, auquel participent plus de 10 000 personnes, est donc le point d’orgue de ce mouvement. On l’a dit, l’ambiance est électrique. La foule est surchauffée par les discours et les échauffourées avec la police qui ont émaillé les jours et les nuits précédents. Aussi, quand les gardes mobiles qui ont été disposés autour du lieu de réunions s’interposent, la situation dérape. Le camarade Frachon raconte : « Les grévistes résistent courageusement. Les pavés arrachés des rues, les matériaux de construction, les bocks de bière, les chaises ripostent aux matraques et aux mousquetons des gardes mobiles. Toute la journée, et une
« C’EST SUR LE PONT DU CORBEAU QUE LES ÉVÉNEMENTS DÉGÉNÈRERONT. »
partie de la nuit, la bataille se poursuivra dans divers quartiers de la ville. »
C’est sur le pont du Corbeau que les événements dégénèreront. Submergées par la foule, les forces de l’ordre se retrouvent encerclées. Pas question à l’époque d’utiliser les gaz lacrymogènes, le souvenir des tranchées est encore trop présent, il faut aller au contact à coups de crosses et de matraques, au corps à corps. Les rares photos prises sur l’instant montrent des scènes hallucinantes sur lesquelles on voit des policiers jeter des vélos sur les manifestants et les gardes mobiles à cheval charger et pousser les manifestants dans l’Ill. Il n’y aura par miracle aucun mort, mais plus de 150 blessés.
Le 4 août, Strasbourg se réveille en état de choc. Le front plus ou moins unitaire ne va pas tarder à se fissurer et puis exploser. La grève prend fin le 10 août sans qu’aucune avancée notable n’ait été enregistrée, mais la colère elle n’a pas disparu. Elle surgira à nouveau quelques années plus tard. Le 14 juin 1936, près de 30 000 manifestants défileront entre la place de la Bourse et le parc du Contades. Le poing levé. a
J 88 a CULTURE №49 — Juin 2023 — Escales
GAMAL BABOURI LE SEMEUR DE LIVRES
Beaucoup se souviennent de Gamal Babouri, qui a dirigé durant plus d’un quart de siècle la remarquable librairie d’occasion Au coin littéraire, quai Saint-Jean, qui existe toujours vaillamment !
a CULTURE – BOUQUINS
90 a
№49 — Juin 2023 — Escales
Isabelle Baladine Howald DR
CULTURE
Gamal venait de Cronenbourg, connaissait peu la ville, encore moins les livres. Il les a découverts tardivement par Le voyage au centre de la Terre de Jules Verne où par ses connaissances, il a collé sa prof sur un détail ! Il a beaucoup voyagé, aime marcher et couper du bois, mais ses grandes passions sont les livres et les gens.
Depuis une demi-douzaine d’années, par amour de la liberté et pour alléger un quotidien devenu lourd, il est bouquiniste, un métier complémentaire de celui de libraire sauf que les ouvrages sont plus anciens. Il officie les mardi, jeudi et samedi, place Kleber où il vend essentiellement des livres d’art très choisis, des livres illustrés et d’autres épuisés. Les fidèles et bien des nouveaux visages se penchent sur son stand, à la recherche d’un cadeau, d’un livre rare ou d’une découverte ou d’une discussion.
À l’écouter, on se dit qu’il aime autant donner que recevoir : « j’aime autant les livres que les gens ». L’équilibre est parfois précaire entre l’achat et la vente plus tardive, le stock à renouveler pour ne pas lasser, les demandes pointues à satisfaire, mais il reste extrêmement attentif dans ses nombreuses lectures à ce qu’il appelle « l’écho d’un livre » en lui. Cet écho, on peut aussi l’appeler transmission, puisque grâce à lui et à ses collègues tous très engagés à travailler de façon qualitative sur ce Marché de Livre – dont on espère qu’il aura sa place développée à Strasbourg Capitale Européenne
AUTANT LES LIVRES QUE LES GENS. »
du Livre en 2024 –, toute une tradition d’échanges continue d’avoir lieu, malgré les écrans, les jeux vidéos et autres laveurs de cerveau.
Il arrive que Gamal aille dans des maisons où l’on vend la bibliothèque d’une personne disparue. Il faut, là, avoir du tact jusque dans le geste de manipuler les livres, me raconte-t-il avec une émotion qui est contagieuse. Son regard et ses mots aident alors à passer le seuil, les livres vont continuer de vivre.
C’est un métier fragile, au marché fluctuant où l’adaptation et la recherche sont constamment nécessaires. Mais Gamal aime cet aspect des choses, travailler selon son humeur et le désir de ses clients. Cet homme auquel l’école a tout apporté aime à penser avec Françoise Dolto qu’il cite plusieurs fois : « tout est déjà là », il suffit de semer.
Il aime aussi à citer Jules Renard : « Quand je vois le nombre de livres qui me restent à lire, je sais que je vais être heureux ». a
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« J’AIME
LE VOYAGE DU HÉROS EN SIDE-CAR SUR LE CHEMIN VERS SOI-MÊME
Ce sont deux voisins obernois dont l’amitié, déjà ancienne, a permis de réaliser un projet un peu fou qu’ils ont fini par mettre en œuvre dans le plus strict respect des normes professionnelles du secteur de l’audiovisuel. Le résultat : un film de 52 minutes, déjà projeté deux fois au 13e Sens, le cinéma du pôle culturel d’Obernai.
Les deux complices cherchent désormais à convaincre une chaîne télé de s’intéresser à Héros, le voyage de notre vie, le film sur lequel ils ont travaillé durant six ans…
Le hasard, qui n’existe pas, fait bien les choses… ». C’est une des paroles prononcées par un des quatre témoins interviewés dans le film et il y a fort à parier que ces mots ont dû alors aller droit au cœur de Bruno Laurent et Christophe Tessier, les deux coproducteurs de ce documentaire très surprenant.
Bruno Laurent, consultant en ressources humaines et management – également diplômé en hypnothérapie – explique avec précision les thématiques développées par le film : « Je travaille depuis longtemps sur ce concept de “voyage du héros” développé dès 1949 par Joseph Campbell, un professeur américain spécialiste de mythologie. Grosso modo, ce concept, qu’on appelle aussi le monomythe, s’applique aux contes et légendes du monde entier. De façon plus contemporaine, il existe nombre de films dont le mode narratif est construit
a CULTURE – AUTOPRODUCTION
« 92 a CULTURE №49 — Juin 2023 — Escales
Jean-Luc Fournier Nicolas Rosès – Obernoise de Production
sur ce voyage du héros comme la plupart des films Disney ou encore, Matrix, Star Wars, Harry Potter, Le Seigneur des Anneaux et même Le fabuleux destin d’Amélie Poulain… »
Et Bruno de détailler méthodiquement les douze étapes de ce voyage, du monde ordinaire où, au départ, vit le personnage (la première étape) jusqu’à son retour, partie intégrante du voyage qui se sera entre-temps déroulé, et durant lequel la découverte d’un mentor et surmonter quantité d’épreuves auront fait partie du quotidien du héros.
« Il est évident que chacun de nous peut vivre un tel voyage, dans sa vie intime mais aussi professionnelle, par exemple » poursuit Bruno Laurent.
« Prendre conscience de l’enchaînement de ces étapes permet de se confronter aux épreuves qu’on rencontre, voire les
surmonter. Au final, parcourir ce chemin permet de discerner peu à peu le nouveau sens qu’on finit par vouloir donner à sa vie… »
Christophe Tessier, réalisateur et producteur de films institutionnels depuis une quinzaine d’années (après une longue et prolifique carrière dans l’automobile) abonde bien sûr dans le même sens, avant de décrire les ambitions poursuivies par les deux compères : « Avec Bruno, nous avons créé une société, l’Obernoise de Production, pour pouvoir auto-produire et réaliser ce documentaire. Pour nous, l’important a toujours été que ce film existe concrètement, pour pouvoir dans un premier temps espérer être programmé dans un réseau de salles de cinéma, avant de l’être également par une chaîne de télé. Mais il y avait aussi une autre raison : je m’étais toujours dit que si 80% des gens qui verraient le film en salle
« AU FINAL, PARCOURIR CE CHEMIN PERMET DE DISCERNER PEU À PEU LE NOUVEAU SENS
QU’ON FINIT PAR VOULOIR DONNER À SA VIE… »
93 a CULTURE №49 — Juin 2023 — Escales
ressortaient en se disant : “Et moi, j’en suis où dans ma vie personnelle ?”, et bien, ce serait gagné ! Le chemin de tous les possibles leur serait alors ouvert… Ce serait une sorte de point de départ, en quelque sorte. Mais il fallait pour ça que le film interpelle, que ce ne soit pas seulement un truc pour nous faire plaisir, avec de belles images mais sans grandchose d’autre… »
CAR, PARFOIS, IL Y A EU DES LARMES...
À la vision du film, et à l’écoute attentive des quatre témoins que Bruno et Christophe ont su dénicher et mettre en confiance pour qu’ils racontent chacun leur propre voyage et les changements qui ont suivi dans leur vie personnelle, on devine très vite que les deux coproducteurs ont eux aussi entrepris de marcher sur ces chemins non balisés, à la recherche de cette part assez mystérieuse d’eux-mêmes qui permettrait, éventuellement, à l’issue du voyage, de réorienter leur vie.
Bruno Laurent (à gauche) et Christophe Tessier.
« LES DEUX COPRODUCTEURS ONT EUX AUSSI ENTREPRIS DE MARCHER SUR CES CHEMINS NON BALISÉS, À LA RECHERCHE DE CETTE PART ASSEZ MYSTÉRIEUSE D’EUX-MÊMES. »
J 94 a CULTURE №49 — Juin 2023 — Escales
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À PARTIR
PAR PERSONNE PAR MATCH
Quand on les questionne sur l’importance manifeste du vécu personnel qui leur a permis d’entreprendre ce projet, ils n’éludent pas : « Pour moi, c’est la notion de partage qui a tout déclenché » résume Bruno. « À l’origine du projet, ce n’étaient que quelques minutes destinées à sensibiliser de jeunes étudiants de l’École de Management de Strasbourg auprès desquels j’intervenais et attirer leur attention sur tout ce qui tourne autour de la construction de soi. Mais très vite, au fur et à mesure que les idées d’un format et un public différents prenaient de l’ampleur, la nécessité de mettre des mots sur des choses qui ne sont pas évidentes est apparue de façon lumineuse… Et puis, et ça me tenait à cœur, j’ai mis les quatre témoins sous état hypnotique pour pouvoir les interroger. Ça s’est fait en toute transparence vis-à-vis d’eux évidemment. Tous quatre étaient d’accord. Cette méthode les a mis en bien meilleur état de résonance avec ce qu’ils avaient de plus intime en eux. Le résultat a été impressionnant, on a d’ailleurs coupé tous les passages où nous aurions pu être accusés de voyeurisme. Car parfois, il y a eu des larmes… »
UNE DIFFUSION EN SALLE À STRASBOURG ?
Christophe argumente lui aussi : « Si Bruno s’est réellement immergé sans difficulté aucune dans la thématique générale du film, au départ, pour moi, c’était plutôt un film comme un autre. Et puis, j’ai pris une véritable claque quand nous avons rencontré un thérapeute suisse, grand spécialiste de ces questions » (il s’agit de Denis Jaccard, expert reconnu du concept du « voyage du héros – ndlr). Je me suis alors plongé avec beaucoup plus de passion dans le scénario, car cette rencontre m’a grand ouvert les yeux sur ce qui s’était passé jusqu’alors dans ma propre vie... »
« Christophe n’a jamais voulu être devant la caméra » intervient Bruno, avec un petit sourire complice au coin des lèvres… ce qui est une astucieuse façon de nous faire remarquer que c’est pourtant le cas, puisque c’est lui qui conduit le side-car avec lequel les deux coproducteurs sillonnent ensemble le Piémont des Vosges, ces séquences formant le véritable fil rouge de la narration du film. « Le sidecar et la salle de cinéma où on projette les extraits des films célèbres, ce sont les deux idées de génie de Christophe » souligne Bruno…
« On a fait nos propres images, on a utilisé aussi des drones…, bref on a imposé notre véritable signature. » confirme Christophe.
« Et aujourd’hui, le film existe… » conclut Bruno Laurent.
Ce film, nous l’avons vu (et même revu) avant de questionner longuement ses deux concepteurs. Très honnêtement, on ne peut qu’espérer qu’une chaîne de télévision (Arte ? La Cinq ? ) décide de le programmer. Les contacts sont en cours… En attendant, Héros, le voyage de notre vie a entrepris son chemin en salles. Un cinéma de Strasbourg pourrait-il envisager une diffusion ? « Pourquoi pas, nous sommes prêts… » disent en chœur Bruno et Christophe… a
96 a CULTURE №49 — Juin 2023 — Escales
La Tendresse
Julie Berès, Lisa Guez, Kevin Keiss, Alice Zeniter | Julie Berès
Oui
Thomas Bernhard | Célie Pauthe
Radio live − La relève
Amélie Bonnin, Aurélie Charon
Le Voyage dans l’Est
CRÉATION AU TNS
Christine Angot | Stanislas Nordey
Il Tartufo
Molière | Jean Bellorini
Évangile de la nature
CRÉATION AU TNS
Lucrèce | Christophe Perton
Le Iench
Éva Doumbia
La Chanson [reboot]
Tiphaine Raffier
La Langue de mon père
Sultan Ulutas Alopé
Sans tambour
Samuel Achache
Great Apes of the West Coast
PREMIÈRE EN FRANCE
Princess Isatu Hassan Bangura
Fajar
Adama Diop
Amours (2)
Joël Pommerat
SAIGON
Caroline Guiela Nguyen
Cosmos
Kevin Keiss, Maëlle Poésy | Maëlle Poésy
Vielleicht
Cédric Djedje
LACRIMA EN AVANT-PREMIÈRE
Caroline Guiela Nguyen
Le Chant du père
Hatice Özer
Koudour
Hatice Özer
03 88 24 88 24 | tns.fr | #tns2324 T NS Théâtre National de Strasbourg Saison 23-24 Audrey Bonnet © Jean-Louis Fernandez | Licence No L-R-21-012171
« Sauver des sourires » La facette esthétique des chirurgiens -dentistes
Heureusement, l’esthétique dentaire est une spécialité qui ne cesse d’innover. Et, à Strasbourg, la faculté de chirurgie dentaire compte même un jeune primé de la discipline, en concours national : Bilal Balbzioui. L’
appartement dans lequel vit le futur docteur en chirurgie dentaire témoigne de son côté manuel : tableaux, dessins et maquettes décorent la pièce principale. « J’ai toujours aimé travailler de mes mains », explique Bilal Balbzioui, 25 ans. « Dentiste me permettait de lier manuel et intellectuel ». Cette démarche le mène à s’intéresser à l’esthétique dentaire, après son entrée en clinique.
De quoi parle-t-on exactement ? « L’esthétique dentaire, c’est faire la réhabilitation de la bouche, avec parfois de la prothèse. Nous sommes là pour corriger des problèmes avec lesquels les gens sont nés, ou qui sont apparus plus tard. Ils
S ACTUALITÉ — ESTHÉTIQUE DENTAIRE
Dumeny Nicolas Roses – DR 98 S ACTUALITÉ №49 — Juin 2023 — Escales
Bilal Balbzioui
Marine
Mettez
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le cap sur votre futur
n’ont rien demandé. Bien sûr, il arrive que des personnes avec de très belles dents viennent pour des améliorations, mais ce n’est pas le ciment de ce métier. »
CONCOURIR EN ESTHÉTIQUE DENTAIRE : UN ATOUT FUTUR
« J’ai pris connaissance de l’existence du concours par des étudiants autour de moi, qui avaient participé. Je me suis rapproché d’un professeur pour lui signifier mon intérêt pour le concours. Le concept consiste à soigner des patients, photographier le travail effectué, coller au cahier des charges du concours, et le présenter devant un collège de praticiens. »
Les étudiants sont encadrés, critiqués et soutenus par des professeurs tuteurs, afin de gagner en précision et en efficacité. Pour le classement, l’innovation des pratiques et l’intérêt des cas traités sont retenus. La présentation du travail effectué entre aussi en compte. À l’aide de résines diverses, de techniques comme les facettes, la confection de prothèses… Les chirurgiens-dentistes modèlent de nouvelles dents, ou une bouche complète, à leur patientèle en demande. « Le challenge aide à la progression et la rigueur dans le soin aux patients », il s’agit pour Bilal Balbzioui d’une réelle formation supplémentaire qui alimente une passion.
Le concours passe tout d’abord par une étape nationale, où un jury de praticiens évalue le cas présenté puis des sélections amènent au niveau international. Les présentations sont standardisées pour qu’il ne reste qu’à les traduire en anglais. En 2022, Bilal Balbzioui a d’ailleurs été classé 1er national et 2nd international. Il retente sa chance cette année. « C’est un peu un sport de perfectionnisme », rit-il, tout en rappelant que « le mieux peut être l’ennemi du bien ». En effet, s’il s’agit d’un concours avec des présentations de posters et de travaux (du case report, en recherche), il ne faut pas oublier le patient sur la chaise.
REFAIRE UN SOURIRE, C’EST CONSERVER SON NATUREL
Pour ne pas travailler une idée qui ne correspondrait pas au patient, il faut pour les jeunes participants aux concours –nationaux et internationaux – « garder une éthique professionnelle et ne rien faire que la nature ne ferait pas en temps normal ».
Traduction : rester loin du business instauré dans certains pays, où l’on s’éloigne aujourd’hui drastiquement d’une pratique de santé.
Comme dans toute discipline, tomber dans l’excès doit être évité : uniformiser les sourires en les tirant vers le blanc le plus blanc de la palette chromatique, le fameux sourire hollywoodien, par exemple. Toutes proportions gardées bien entendu puisqu’il persiste une vision sociétale de la « beauté » d’un sourire.
« Après tout », explique le praticien, « le sourire, c’est quelque chose de très personnel, qui influe beaucoup, sur la sociabilisation d’une personne. Donc, lorsqu’on réfléchit à un projet, que ce soit pour le concours ou en dehors, on le fait avec le patient. »
Le cas qui l’a le plus marqué est celui d’une patiente, sans dents, qu’il suivait depuis un an et demi : « Lorsque je lui ai mis le dentier construit pour elle, elle débordait de joie ! Elle souriait à n’en plus pouvoir parce qu’elle n’avait plus honte de le faire ».
Mission accomplie : c’est un sourire de plus sauvé sur les terrasses estivales ! S
Avant la réforme de 2020, pour mener des études d’odontologie, le parcours était le suivant :
• PACES
• 1er cycle (trois ans) : apprentissage des fondamentaux
• 2e cycle (deux ans) : approfondissement et moitié du temps passé en pratique
• 3e cycle : en cycle court (un an), sanctionné par une thèse d’exercice, ou internat (trois ou quatre ans, sur concours)
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« Le challenge aide à la progression et la rigueur dans le soin aux patients. »
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« J’ai appris la sérénité »
Bilal Bakhouche Chareuf
L’entretien a lieu dans le nouveau bureau de Bilal, à Mundolsheim dans le centre de sport-santé qu’il vient d’ouvrir. Ou plutôt une pièce abritant un bureau, le meuble, un ring, l’outil de travail habituel, et une impressionnante collection de médailles et de trophées. Et trois immenses ceintures, le Graal pour tout champion de boxe.
Souriant, Bilal se raconte avec aisance. Mais avec aussi cette étonnante réserve : parler de lui, mais avec une humilité confondante. De ses débuts en boxe anglaise, gamin, à Hautepierre. « J’étais complexé, je bégayais, incapable d’aligner deux mots. » De sa famille, aussi. Son frère, sa sœur. Et sa maman, aujourd’hui fière de son parcours, quand elle est complimentée dans la rue sur Bilal Le Boxeur. Mais qui n’a jamais vu un seul de ses combats. « Même en replay ou sur YouTube, sourit-il avec beaucoup de candeur. Parce que le sport de combat continue de lui faire peur. » Bilal, lui, a appris à maîtriser cette peur. Au point de devenir une référence en muay thaï.
S ACTUALITÉ — BOXE THAÏ
Emmanuel Didierjean DR
102 S ACTUALITÉ №49 — Juin 2023 — Escales
Il prépare d’ailleurs son combat de septembre en Thaïlande, là où est né ce sport de prisonniers. Un sport dans lequel la force et la puissance sont liées à la spiritualité et au respect.
UN RETARD FRANÇAIS
Aujourd’hui, Bilal sourit de sa plus belle victoire. Hors du ring. Sa carrière est une victoire. Au collège, les profs l’avaient engagé à suivre la voie d’un BEP ou d’un CAP. Maintenant, il est le seul sportif strasbourgeois de haut niveau à gérer à 100 % sa carrière, en étant l’athlète, le promoteur, le communicant, l’organisateur de ses combats. Tout ça, après son diplôme à l’EM. Surtout, le champion
pointe un retard français. Trop souvent, on lui a dit que ce serait soit le sport, soit les études. Pas pour lui, qui a su concilier les deux. C’est ce caractère qui a forgé le champion. Et sans oublier de rendre à son quartier d’origine, Hautepierre, ce qu’il lui a apporté. « Même si je n’y vis plus aujourd’hui, j’y suis toutes les semaines. J’apporte mon aide aux enfants, via une association. C’est important pour moi la valeur de la transmission. »
Parlez-lui enfin de la violence d’un combat de muay thaï. Et il vous répondra que plus il frappe sur le ring, plus il est non-violent au quotidien. Apaisé. Serein. S
« Trop souvent, on lui a dit que ce serait soit le sport, soit les études. Pas pour lui, qui a su concilier les deux. »
Bilal Bakhouche Chareuf
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Mouchards
Surveiller et ne pas le dire.
Peut-être pas très avouable, la pratique se répand : les parents sont de plus en plus nombreux à garder un œil sur les déplacements, les fréquentations et l’emploi du temps de leurs rejetons grâce à des mouchards numériques. Une habitude qui pose plein de questions…
Le nez en l’air ou le regard vissé à la pointe des sneakers, les parents interrogés pour préparer cet article ne se sont pas pressés pour témoigner. Certains reconnaissent hésiter, d’autres estiment qu’ils ne maîtrisent pas assez leur smartphone, les derniers jurent que jamais on ne les y prendra : bref, à la ronde, par un daron pour avouer que oui, il (ou elle) espionne sa marmaille grâce aux merveilles d’internet.
Pourtant, les outils sont nombreux. Ça démarre avec les classiques logiciels Pronote et autres « ENT » – comprendre Environnement numérique de travail – qu’on met dans la main, de gré ou de force, de n’importe quel parent de collégien. Ensuite, il y a les montres connectées accrochées aux poignets des mômes et que leurs responsables légaux peuvent relier à leur téléphone, ou plus sournois, les « AirTag » dans le sac. D’un coup d’œil au GPS lové dans la poche de notre jeans, on peut ainsi toujours savoir où se trouve la chair de notre chair. « Ça peut rassurer, quand même… », suggère une mère qui ne veut pas se dévoiler.
EN MODE FURTIF
Rassurer : le mot est lâché. L’argument commercial aussi, du coup. Et l’offre de se dérouler d’elle-même, tel un tapis rouge : alertes dès que le traceur embarqué de Loulou franchit une limite géographique déterminée, outils pour accéder aux textos et conversations
S ACTUALITÉ — PARENTS ESPIONS
Lisette Gries DR
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WhatsApp des ados en mode furtif, voire pour capter leurs conversations téléphoniques à leur insu, informations en temps réel sur l’utilisation de leur argent de poche numérique (lequel était promu, au départ, comme une aide à la prise d’autonomie, permettons-nous de le souligner), etc.
Et voilà comment savoir, sans jamais en discuter directement avec l’intéressé : qu’il a eu une note miséreuse au dernier contrôle d’histoire, qu’il n’a pas « révisé avec Adam samedi » mais plutôt claqué 7 euros pour un burger et un coca ou que sa copine Alicia lui a confié une peine de cœur dans un échange de messages trop mimi… Les parents ont beau avoir des pudeurs de jouvenceaux quand on leur pose la question directement, aux enquêtes sociologiques, ils le reconnaissent : 41% ont déjà utilisé un logiciel d’espionnage. C’est ce que révèle, notamment, l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique dans son rapport 2022.
MONDES HOSTILES
La présomption de bonne foi universelle nous pousse à croire qu’il n’y a pas un agent de la Stasi qui sommeille en chaque chef(fe) de famille. Mais alors, qu’est-ce qui explique le succès de ces mouchards numériques ? Peut-être, en premier lieu, les risques du virtuel : comment se prémunir des individus malveillants ? « Savez-vous avec qui votre enfant parle vraiment sur internet ? »,
interpellait une campagne il y a quelques années ? L’association e-enfance rappelle que plus de 8 mineurs sur 10 ont été exposés à du contenu pornographique en ligne, et souvent avant l’âge de 15 ans.
Le monde réel, du dehors, ne fait pas toujours meilleure impression. De faits divers sordides en micro-agressions du quotidien, la tentation est forte de voir dans le premier passant une créature hostile. Dès lors, n’est-il pas de la responsabilité des parents de surveiller, tant bien que mal, les fréquentations de leur progéniture ?
Mais au fond du fond, ne serait-ce pas aussi l’aveu de notre profond sentiment d’impuissance ? Tellement largués devant des univers qu’on ne maîtrise qu’en surface, si ébaubis face des (pré-)ados qui nous échappent, qu’on en vient à une frénésie du contrôle, quitte à rogner un peu sur notre morale éducative… « Avant j’avais des principes, désormais j’ai des enfants » : impossible de jeter la pierre aux adeptes du périscope virtuel.
Tout juste peut-on mentionner que la Défenseure des droits a consacré son dernier rapport annuel « enfance » au droit à la vie privée des mineurs. « Les nouveaux défis liés au numérique imposent de trouver un équilibre entre la protection des enfants et adolescents et le respect de leur vie privée », y précise-t-elle.
Bon courage, croirait-on l’entendre ajouter… S
105 S ACTUALITÉ №49 — Juin 2023 — Escales
« La présomption de bonne foi universelle nous pousse à croire qu’il n’y a pas un agent de la Stasi qui sommeille en chaque chef(fe) de famille. »
MARI IN BORDERLAND Impossible n’est définitivement pas français
S ACTUALITÉ — MARI IN BORDERLAND
Maria Pototskaya
106 S ACTUALITÉ №49 — Juin 2023 — Escales
Risquer un isolement linguistique complet : voilà ce que fut peut-être ma plus grande crainte en venant m’installer à Strasbourg. Moi, la journaliste ukrainienne capable d’évoluer dans mes deux langues maternelles : le russe et l’ukrainien. En anglais, aussi, même si ma pratique s’était quelque peu amenuisée depuis mes années universitaires, au point de n’en avoir principalement conservé qu’un accent slave rendant sa compréhension pour autrui similaire à celle d’un chauffeur de taxi de Glasgow ou d’un Pakistanais éjecté dans les rues de New York.
ôté français, le néant total était sorti de quelques mots piochés sur Google, parmi lesquels « bonjour », « merci » ou « croissant », mon signe distinctif. Certes, ma fille fait partie de cette génération pleinement tournée vers l’ouest, capable de vous avaler une série Netflix sans le moindre sous-titre. Mais en dépit de tout l’amour que je lui porte, apprendre à me débrouiller seule était inscrit en haut de la liste de mon nouveau manuel de survie.
Entrer chez Paul non accompagnée de mon chaperon de 16 ans fut un merveilleux exercice de ce point de vue. Armée de quelques notes phonétiques que j’avais préparées en amont afin de me donner un semblant d’assurance je tentais ce jour-là de commander un croissant, et, afin d’y ajouter un peu plus d’enjeux, un éclair.
« Mmmmh... Bonjor, peux-je demhandé à vous... » « Priviet ! Vous parlez russe ? » vint à mon secours le plus naturellement du monde le vendeur du jour, alors que mes muscles faciaux luttaient pour sortir un son compréhensible dans ma nouvelle langue d’adoption. « Oui. Je suis ukrainienne. Vous parlez vraiment russe ?? ».
« Oui. Un croissant et un éclair, c’est ça ? ».
« Da... Spaciba ».
Le plus incroyable est que ce genre de scène ne cesse de se reproduire au quotidien. À la boulangerie au coin de notre logement, tenue par une famille d’origine
moldave. À l’arrêt de bus où une dame âgée m’aide à m’orienter en russe. Jusqu’à la réceptionniste de l’école où j’envisageais d’inscrire ma fille pour son année de baccalauréat ukrainien ou à l’agent d’accueil de l’OFFII : un homme d’une quarantaine d’années, d’origine nord-africaine, qui venait tout juste de revenir d’Ukraine où il avait séjourné ces dernières années. Comment cela est-il possible ?
LA VACHE ET LE TVOROG
Bien plus difficile à trouver, au moins au cours des premières semaines de notre arrivée, certains produits alimentaires slaves, à commencer par le Tvorog : une sorte de fromage blanc, obtenu par fermentation du lait, chauffé au four avant d’être versé dans un sac en lin et mis sous presse jusqu’à en obtenir sa texture définitive. Un produit usuel chez nous, introuvable ici, finis-je par penser, au point de m’imaginer arpenter les champs de la périphérie urbaine pour y trouver une vache et la traire de mes mains manucurées pour obtenir ce fichu Graal nécessaire à la confection de Sirniki, ces galettes rissolées que nous mangeons au petit-déjeuner et que je m’étais promis de cuisiner pour mes amis strasbourgeois.
Alors que j’étais à deux doigts de me lancer dans cette improbable aventure champêtre, la communauté ukrainienne de Strasbourg vint idéalement à mon
secours sur Telegram : direction quartier Hautepierre, chez Mag Market, petit supermarché russophone aux allures de caverne d’Alibaba tenue par des Tchétchènes. Comment ceux-ci parviennent à s’approvisionner en produits aussi périssables reste une autre énigme, mais le fait est que, décidément, rien ne me semble plus impossible ici.
DÎNER AUX CHANDELLES
Rien, sauf peut-être une certaine compréhension des us et coutumes locaux. À commencer par la gestion du temps, entre grèves, jours fériés et RTT. Le mois de mai est de ce point de vue un magnifique sujet d’étude pour l’Ukrainienne que je suis. Tout comme la lutte syndicale made in France : couper le courant pendant un match de rugby ou celui d’une clinique, à l’occasion d’un déplacement présidentiel pour se faire entendre a quelque chose de fascinant quand l’on vient d’un pays où l’on s’efforce de profiter de la vie et de ne pas mettre les autres en danger.
De l’idée que je me faisais du charme à la française, l’option dîner à la chandelle avait quelque chose de plus intime, de bien moins politisé. Comme quoi, impossible n’est pas français, jusqu’à passer un moment romantique sur une terrasse de café parisien, cerné de feux de poubelles incendiées et de photojournalistes immortalisant l’instant… S
C
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De la pureté (idéal et idéologie)
Jadis un homme d’esprit a écrit que la langue était la meilleure et la pire des choses. Langue de bois, langue de coton, langue de belle-mère ou langue de pute (pour ces deux dernières, c’est parfois tout un), les variantes ne manquent pas. Mais ce sont davantage les récents débats sur l’évolution de la langue (écriture inclusive, réformes orthographiques, appauvrissement lexical) qui suscitent les questions. Parce que la langue, c’est politique.
S ACTUALITÉ — LE PARTI-PRIS DE THIERRY JOBARD Thierry Jobard DR
108 S ACTUALITÉ №49 — Juin 2023 — Escales
En ces temps moroses, il est bon de savoir être égoïste. Se recentrer sur soi, se reconnecter à ses émotions, retrouver le sens de l’essentiel, renouer avec son enfant intérieur1, c’est important. Pour ce, chacun a ses préférences. Moi j’aime relire les classiques. Je m’étais donc installé confortablement avec l’un de mes livres favoris : Les Cinq contre le Masque Noir, une des aventures les plus palpitantes du Club des Cinq d’Enid Blyton. Je me faisais une joie de retrouver François, Mike, Claude, sans oublier Dagobert, leur fidèle compagnon quadrupède, toujours facétieux.
Après tant de relectures, mon exemplaire, annoté et surligné, était en piteux état. Je surmontais donc mon aversion pour la hideuse couverture bariolée de la dernière édition et m’offrit un nouvel exemplaire. Constatant au passage que l’ouvrage était passé de la Bibliothèque rose (pour les plus jeunes) à la Bibliothèque verte (pour les plus moins jeunes), tout heureux, j’entamais ma lecture. Mais très vite un sentiment diffus me gagna. Une sensation étrange s’installa et le doute m’étreignit : je ne retrouvais pas mon plaisir habituel, le texte me
semblait terne, sans relief. Avais-je perdu mon âme d’enfant ? Sans frémir, je ne pus souscrire à cette idée2
Afin d’en avoir le cœur net, je me munis de mon antique bouquin et quelle ne fut pas ma surprise de constater que le texte avait été modifié. Qu’on en juge sur pièce. Ancienne version : « Les enfants la remercièrent d’un mot gentil et s’attablèrent joyeusement. Bientôt, tout en se régalant, ils bavardèrent à bâtons rompus ». Nouvelle version : « Les enfants la remercient d’un mot gentil et s’attablent joyeusement. Bientôt, tout en se régalant, ils bavardent à bâtons rompus »3. Exit le passé simple. Et ceci pour tout le livre, entièrement réécrit au présent. D’où mon modeste hommage à ce temps de la conjugaison ainsi néantisé dans les phrases précédents les extraits.
POURQUOI
S’EMMERDER AVEC LE PASSÉ SIMPLE ?
Après tout, c’est vrai : pourquoi s’emmerder avec le passé simple ? On ne s’en sert même plus. J’aurais beau jeu d’avancer que la langue parlée n’est justement
109 S ACTUALITÉ №49 — Juin 2023 — Escales
pas la langue écrite et que seule cette dernière importe réellement. Mais cela n’est pas l’essentiel. Je n’entonnerai pas davantage l’antienne du vieux con nostalgique. J’entends plutôt renvoyer cul à cul les « idiots de gauche » et les « canailles de droite », comme disait Lacan. Que vouliez-vous que je fisse ? J’ai la fibre égalitaire.
L’entreprise de réécriture est de bien plus vaste ampleur ainsi qu’on a pu le constater par exemple avec le changement de titre du polar d’Agatha Christie : Ils étaient dix. Et la suppression des 74 occurrences du mot devenu ordurier. Mais pour s’en tenir à la littérature jeunesse, hormis l’omniprésent présent, ce sont des descriptions qui ont été sabrées (trop longues, trop chiantes), le vocabulaire simplifié (trop compliqué) et certains mots supprimés (trop offensants). Ce grâce au travail des sensitive readers (lecteurs de sensibilité ou démineurs éditoriaux, selon la cocasse expression du Ministère de la Culture) dont la fonction consiste à repérer les contenus offensants pour les membres de minorités ethniques, sexuelles et culturelles. Ceci nous vient, bien entendu, d’outre-Atlantique. Les versions anglaises de Roald Dahl ont été de même tout récemment expurgées et les personnages « pas plus hauts que mon genou » sont devenues « petits », les « hommes-nuage » le « peuple nuage ».
Qu’il faille se renseigner avant de traiter d’un thème, prendre garde à ne pas écrire n’importe quoi, éviter de manquer
de justesse ou de sensibilité vis-à-vis d’un sujet est souhaitable. Mais la question est, ici comme ailleurs, jusqu’où aller ? On peut ne plus parler des g…, des h…, des l…, des p…, des s… pour ne pas les offenser. Mais comment déterminer à partir de quand on est offensé ? Jusqu’où l’offense peut-elle se nicher ? Si l’on parle de microagressions, quand la violence commence-t-elle ? Y a-t-il une norme universelle dans le domaine ? On a ainsi vu apparaître des safe places dans les universités américaines, afin que les étudiants puissent s’isoler pour ne pas être exposés durant les cours à des idées qu’ils jugent « offensantes ». Sachant par ailleurs que nous vivons actuellement une épidémie de cas d’hypersensibilité (sans doute faut-il se coller une étiquette sur le front pour se sentir exister), j’appréhende les syncopes. En toute confidence, j’ai bien peur, hélas, que la réalité elle-même soit foutrement et intégralement offensante.
ON PASSE AISÉMENT DES CONSIDÉRATIONS
LINGUISTIQUES À DES CONSIDÉRATIONS MORALES
Ce travail de réécriture qui consiste à éliminer toute trace d’irrespect peut mener loin et l’on aura tôt fait de crier à la censure et/ou à l’autocensure. C’est pourtant avec les meilleures intentions du monde qu’on entend épurer la langue. L’idée n’est d’ailleurs pas nouvelle. Dès 1578, Henri Étienne dans ses Deux dialogues du nouveau langage françois italianizé, se
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« Mais pour s’en tenir à la littérature jeunesse, hormis l’omniprésent présent, ce sont des descriptions qui ont été sabrées (trop longues, trop chiantes), le vocabulaire simplifié (trop compliqué) et certains mots supprimés (trop offensants). »
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plaignait de la vogue des mots italiens à la Cour. Qui plus est, alors que la prononciation françoise est « robuste et virile », celle d’outre-monts aurait traduit une forme de lascivité horrifiante.
Plus tard, Jean-François Laharpe, homme des Lumières, a dénoncé dans Du fanatisme dans la langue révolutionnaire (1797), la surenchère du langage jacobin, à une époque, la Terreur, où toute qualification menait à une accusation. Ce caractère performatif de la langue transforme le dire en faire et fait passer de la vie à la mort. Ici c’est le corps social qu’il s’agit d’épurer. Où l’on voit qu’on passe aisément des considérations linguistiques à des considérations morales. La langue est donc dite pure selon deux acceptions. Soit sans mélange (de termes étrangers, dialectaux, argotiques) ; soit sans défauts moraux. Or quelle fut la norme retenue ? Celle de Paris, celle de la Cour, celle de l’élite. Certes il faut bien établir des canons. Il n’en demeure pas moins que la question ne se restreint pas à l’aspect purement linguistique. Comme l’a écrit Benveniste, le langage « est non seulement la condition de transmissibilité, mais d’abord la condition de la réalisation de la pensée »4
La langue ne sert pas qu’à exprimer le monde, elle est ce par quoi nous le percevons. Je ne suis pas certain que nous soyons des animaux rationnels, en revanche nous sommes des animaux symboliques, ou plutôt qui symbolisent. Et qui symbolisent pour combler l’écart entre nous et le réel, toujours inaccessible en définitive, à moins de sombrer dans l’émotionnel pur, par nature incommunicable. Voir dans l’extase et l’indicible le summum de l’expérience humaine n’est qu’une impasse en ce qu’ils marquent la fin du langage. La pureté d’au-delà des mots, c’est seulement celle de la mort.
ON A SA CONSCIENCE
POUR SOI PUISQU’ON
AGIT POUR LE BIEN
Il y a donc eu régulièrement la tentation de purger la langue de ses impuretés afin d’atteindre une forme d’idéal. Idéal de transparence et de concordance, idéal d’unité et de conformité. La question demeurant : jusqu’où aller ? Laisser vivre une langue, qui évolue en permanence est une chose ; vouloir la forcer à changer en est une autre. Et le risque est grand de passer de l’idéal à l’idéologie. Je prends ce dernier terme au sens large et non péjoratif de système
d’idées et de représentations induisant un comportement individuel et collectif. L’idéologie affirme un idéal et mène donc à la fois à se détacher du réel et à le transformer. À celui ou à celle qui y adhère elle fournira également une identité. Et quoi de mieux que de se sentir investi d’une mission, bardé des meilleures intentions ? On a sa conscience pour soi puisqu’on agit pour le Bien. Mais l’autre aspect de l’idéologie, reflet de son effet structurant, c’est la clôture qu’elle opère vis-à-vis de ceux qui ne s’en réclament pas. Le perfectionnement individuel que nécessite l’idéologie passe par la purification des autres. Les exemples historiques ne manquent pas. Saint-Just disait qu’un révolutionnaire doit être « jaloux de sa pureté ».
Alors on désignera, on exclura, on supprimera ce qui n’aurait même jamais dû exister : les mous, les faibles, les déviants (ou déviationniste pour les staliniens), au nom de ceux-là mêmes qui excipent de leur souffrance pour justifier leurs actes. Alice Coffin en a donné il y a peu un bel exemple en affirmant ne plus lire ni écouter d’œuvres produites par des hommes. Hommes forcément vicieux, violents et violeurs. Même en faisant la part d’une forme de provocation, la cause n’en sort pas grandie.
Comme l’écrit Jankélévitch « Cette puretélà n’existe pas, et pourtant la pureté définit notre vocation» 5. Dilemme insoluble ? Plus que cela, impossibilité radicale de celui ou celle qui dit, ou croit « Je suis pur ». Car l’humanité c’est précisément l’impureté et dire « Je suis pur » n’a pas plus de sens que de dire « Je suis mort ». À l’instant même où elle s’énonce, la pureté s’abolit. Et la pureté affichée des intentions n’y change rien. Cette phobie de l’Autre n’est rien d’autre que ce que Hegel appelait « la furie du disparaître ». Nous n’en avons pas besoin. S
1. Et autres foutaises du même tonneau. On aura compris qu’il s’agit là d’un procédé rhétorique.
2. Alexandrin racinien.
3. Les Cinq contre le Masque Noir, Enid Blyton, p. 14 dans les deux éditions.
4. Benveniste, Problèmes de linguistique générale, T1, p.64.
5. Jankélévitch, Le pur et l’impur, Flammarion, p. 25.
« Je ne suis pas certain que nous soyons des animaux rationnels, en revanche nous sommes des animaux (...) qui symbolisent. »
112 S ACTUALITÉ №49 — Juin 2023 — Escales
La Terre demande toute notre attention
D’ÉMISSIONS CARBONE -15% 2023
CARBONE NEUTRALITÉ
2050
La Terre demande toute notre attention, est l’engagement de chacun d’entre nous à être, chaque jour, totalement impliqué à atteindre nos objectifs, ambitieux et passionnants, éthiques et pragmatiques, pour l’environnement.
Au programme : neutralité carbone en 2050, recyclabilité et réutilisation à 100% de tous nos nouveaux produits et préservation de la biodiversité dans tous nos sites. Parce que notre engagement doit être durable, nous avons créé notre programme d’actions collaboratives « Tous engagés pour la Terre ».
wienerberger.fr
SOLUTIONS TERRE CUITE | MUR-TOITURE-FAÇADE
La manille et la révolution Moi Jaja...
Quatre ans. C’est l’âge que j’aurai le 30 août prochain. Quatre petites années de ma nouvelle vie post-triades. Quatre ans, ce n’est rien : tout au plus le temps d’un mandat présidentiel aux États-Unis. Deux tiers d’un municipal, ici. Une crise des Gilets jaunes, une pandémie de Covid, une guerre en Ukraine et une réforme des retraites qui se finit en session BBQ dans les rues de Paris. En fait, ces quatre ans me semblent une éternité…
bien y réfléchir, si j’adapte mon âge à celui des humains, cela devrait me faire dans les 20 ans d’immersion au pays de ceux qui pensent que les Égyptiens pouvaient déjà regarder TPMP et les vidéos de Maître Gims en se connectant au sommet d’une pyramide.
D’un autre côté, quand on sait que, selon une enquête IFOP menée auprès des 11-24 ans, un jeune Français sur six pense que la Terre a la rondeur d’un iPad et qu’un sur quatre doute de la théorie de l’évolution, s’étonner que certains puissent imaginer que le premier PDG d’EDF ait été nommé par Kheops n’a finalement rien d’incongru.
1664 VS 1793
Quatre ans : le temps de passer d’une 1664 à une soif de 1793 au son bon enfant de « Louis XVI, on l’a décapité. Macron, on peut recommencer ! »... On
S ACTUALITÉ — MOI JAJA
Pink Jaja Charles Nouar À
114 S ACTUALITÉ №49 — Juin 2023 — Escales
peut détester Macron – ce n’est pas difficile – même s’il faut lui reconnaître un certain talent éditorial : donner une interview dans Pif, et Marlène en Gadget dans Playboy ; mais le fait est qu’il a été élu et que n’en déplaise au conseiller régional LFI Christophe Prudhomme, chef de chœur de cette « douce » mélodie révolutionnaire, appeler à une décapitation, même « symbolique » – parce que « ce n’est pas l’homme (bien sûr) qui est attaqué, c’est la fonction » – n’a rien de rassurant quant au virage que prend la France. Surtout, quand d’autres, plus à droite, savourent l’instant, pop corn aux lèvres en attendant que vienne leur heure.
Bien sûr, rejouer indéfiniment le match électoral comme Tato et moi une partie de FIFA quand la console à décidé de tacler notre joueur vedette et de l’écarter des terrains pendant plusieurs mois est techniquement envisageable. Mais force est de constater que cette option est
bien plus proche du modèle biélorusse ou nord-coréen que des acquis révolutionnaires. Parce qu’à ce rythme-là, Julien Stephan aurait tout aussi bien pu demander à rejouer le début de saison quand le Racing comptait plus de ballons dans ses filets que de joueurs en capacité de courir après.
EXEMPLARITÉ : 11 LETTRES, MOT COMPTE DOUBLE
Par contre, ce que ne peut faire FIFA est de vous offrir une rénovation de stade. Qui plus est à la Meinau, à deux fois sa mise initiale. À 80 millions HT, tout le monde hurlait, les écologistes en tête. Après inflation et procrastination, à 160 millions HT tout le monde applaudit, à commencer par Petit Poney Rose, mal élue – tout comme notre Chef de l’État – pour prendre en charge de notre destin, cette fois local. La raison
« À 80 millions HT, tout le monde hurlait, les écologistes en tête. Après inflation et procrastination, à 160 millions HT tout le monde applaudit (...) »
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de son engouement, le lancement d’un projet désormais « exemplaire d’un point de vue environnemental et social ». À 32 000 euros HT le coût de la chaise supplémentaire, « ‘vaut mieux », a soupiré Tato, toujours sidéré que l’on puisse valider une telle option budgétaire en pleine flambée du coût des matériaux. Qui plus est dans une ville où le secteur associatif ne cesse de voir ses budgets amputés et ses emplois lourdement menacés, sinon déjà détruits.
Peut-être le Racing, dont le montant de l’investissement ne dépasse pas 9,1 M€ + 14 M€ dédiés à l’aménagement des espaces commerciaux, recrutera-t-il à des fins compensatoires parmi ces plus précaires que notre maire avait promis de sortir de l’ornière. Un moyen de valider, en ce cas, cette fameuse exemplarité en faisant reposer la charge des engagements électoraux sur le secteur privé.
L’argent : le nerf de la guerre. Que l’humain soit de gauche ou de droite. Du centre ou d’ailleurs. À bien y réfléchir, les réseaux sociaux n’ont pas tort, eux qui ne cessent de reposter cette réflexion : l’humain est le seul animal à payer – ou à faire payer – pour vivre sur terre.
LE SYNDROME MCKINSEY
Férocement critiqué pour ses liens troubles avec le cabinet McKinsey, notre Président pourra au moins ironiser en songeant à ces 8 millions d’euros eurométropolitains destinés, selon France Bleu et France 3, à des « études préparatoires » attendues pour fin 2024. Sujet : « rénovation intégrale du centre administratif de la place de l’Étoile ». Entre autres motifs et objectifs déclarés : trouver le moyen de réduire la note de chauffage de 75 %, la consommation électrique de 20 % et la révision de fond en comble de l’agencement du bâtiment, des bureaux du personnel au parcours du public. Calculette sous mon aile gauche philosophiquement militante, je me suis alors pris d’envie de confronter cette dépense aux reproches présidentiels de la NUPES, dont se revendique notre exécutif local.
En partant de la base tarifaire journalière d’un directeur associé senior chez McKinsey – compris, selon France info, entre en 8 000 et 12 000 euros –,
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« À bien y réfléchir, les réseaux sociaux n’ont pas tort, eux qui ne cessent de reposter cette réflexion : l’humain est le seul animal à payer – ou à faire payer – pour vivre sur terre. »
l’investissement représenterait entre 666 et 1000 journées de travail. Sur la base des 2 500 euros d’un « simple consultant » du géant américain, 3200 jours. Soit, à 8 millions l’enveloppe, entre de 9 à 10 ans, pour une livraison de l’étude dans 18 mois, si le consultant s’octroie quelques weekends en famille. 18 mois se limitant à 547 jours, je suis alors reparti sur l’idée qu’un pôle de 8 à 10 consultants puisse être constitué pour rendre l’étude réalisable dans les temps. Résultat : même dans une telle configuration, sur une base McKinsey, la note individuelle a de quoi motiver jusqu’aux plus rétifs à compiler sous Excel et PowerPoint toutes sortes de données protéiformes pour commencer à étudier un projet de rénovation estimée à 100 M€ à l’horizon du prochain mandat, si second mandat il y a.
Ajoutez à cela le coût de rénovation du Pont de l’Europe de 2 M€ assumés conjointement par l’Allemagne et
l’Eurométropole, une pincée de trams Nord qui devrait relier Strasbourg à Schiltigheim et Bischheim à l’horizon 2027 avec un réaménagement de la place de Haguenau et de l’Avenue des Vosges pour un coût global estimé de 147 millions d’euros, et votre état d’esprit budgétaire commencera à se situer entre le « Winter is coming » incarné par John Snow et le « Ça craint du cul, chef ! » de Habib, dans Kabul Kitchen . Même Pouxit en est venu à ressortir de son étui sa calculatrice de conseiller référendaire à la Cour des comptes à mesure que flambait parallèlement ce qui ressemble de plus en plus à des droits d’octroi au « bénéfice » du mieux vivre la ville : « +47 % du tarif horaire en zone rouge pour les automobilistes ; +167 % pour l’abonnement mensuel ; + 81 % pour l’abonnement CTS ; +11,8 % pour le ticket (…) Même le tarif des concessions dans les cimetières flambe ! (…) +5 % l’an dernier de la taxe foncière ville ; + 300 % de la taxe foncière métropolitaine (...) Avec ces choix, Strasbourg devient la ville la plus inflationniste de France ! ». Côté restaurateurs et cafetiers, l’on fait aussi ses comptes : +5 % d’imposition des
emplacements des terrasses de moins de 25m 2, depuis avril. +10 % pour celles de plus de 50m 2, +20 % pour celles de plus de 100m 2, pourcentages évidemment répercutés sur qui aura encore moyen de fréquenter leurs établissements en période de forte inflation.
Face au délirium budgétaire local digne du Astérix de Guillaume Canet, Pouxit, a même annoncé lâcher l’affaire pour les prochaines élections municipales. Afin de passer le relais à quelqu’un susceptible de réussir là où il a toujours échoué. Un renoncement pour le bien des Strasbourgeois, je me suis dit, revoyant dans l’instant mon jugement sur l’ambitieux mal aimé qu’il avait toujours été. C’est là que Tato a joué une vieille chanson de France Gall – La manille et la révolution – en me tendant son smartphone. Sur l’écran, une simple brève qui illustre à elle seule l’incapacité d’un e élu e à dire clairement les choses, à jouer d’un peu d’honnêteté, quand bien même cela aurait été pour une fois tout à son honneur : « Marie Fontanel », épouse de Pouxit et mère de leurs trois enfants, « a été désignée mi-avril ambassadrice aux Philippines ». S
« ÇA CRAINT DU CUL, CHEF ! »
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t r e t a len t
L'actuJak Krok'
S ACTUALITÉ — REGARD
120 S ACTUALITÉ №49 — Juin 2023 — Escales
Retrouvez chaque semaine sur notre page Facebook le regard sur l'actualité de l'illustrateur Jak Umbdenstock !
TERRASSES ÉPHÉMÈRES : SOURIEZ, C’EST L’ÉTÉ !
Depuis quelques années déjà, les terrasses éphémères s’installent aux quatre coins de la ville offrant comme un air de vacances aux Strasbourgeois. Adaptées aux familles, elles font autant le bonheur des enfants que des grands. Notre sélection Or Norme.
Jusqu’au 29/07. 23 rue George Wodli. Du mercredi au samedi de 17h à 0h30 le dimanche de 16h à 21h. Toute la programmation sur lagrenze.fr
La Grenze a fêté ses cinq ans fin avril, et ses aficionados étaient fidèles au poste. « Dès l’ouverture, on était complet tout le week-end, sourit François Freundlich, responsable communication. Chaque année, on se demande si on ne va pas être oubliés, mais on se rend compte que nous sommes bien implantés. »
La Grenze, c’est un lieu alternatif, vivant, joyeux, alliant concerts, DJ sets, apéro vélo, pratiques sportives ou créatives. Si le lieu pilote la programmation sur la friche ferroviaire, il est un vrai terrain d’expressions pour les associations locales. « C’est un espace ouvert où tous les Strasbourgeois doivent pouvoir se retrouver, confie-t-il. Le public se mélange, entre les passionnés de théâtre, les fans d’électro, les rockers, les personnes âgées qui aiment l’ambiance fête de village des soirées
tartes flambées, les familles et les gens du quartier. » Pour cette édition, la Grenze a programmé 30 dates de concerts dans son cube scénique pouvant accueillir 300 personnes et des ateliers tous les jours d’ouverture. Le dimanche, c’est journée bien-être avec cours de yoga et ateliers massage. Le mercredi, place à un atelier d’éveil musical pour les tout petits et à un atelier d’écriture créative. On profite aussi des Apéros-vélos pour apprendre à réparer son biclou, des après-midis friperies, des ateliers de création d’objets durables avec Créative vintage, entre autres rendez-vous.
L’an dernier, la Grenze a attiré 20 000 visiteurs de tous horizons. Son rêve ? Devenir la graaaaande terrasse culturelle à l’année, une fois les freins administratifs levés. E
E SOCIÉTÉ — TERRASSES
DÉLICE ESTIVAL LA GRAAAAANDE TERRASSE CULTURELLE
Barbara
Romero Nicolas Rosès – Apollonia – DR
122 E SOCIÉTÉ №49 — Juin 2023 — Escales
LA GRENZE
AMBIANCE JARDIN ARTY
Jusqu’au 15/09. Du mardi au dimanche de 16h à minuit selon les conditions météo. Jardin Apollonia 23 rue Boecklin Strasbourg.
Dans le jardin bordant la galerie Apollonia à la Robertsau, le Bart’garden offre des airs de campagne aux citadins en mal de verdure. Dans un espace clos, les parents savourent leur cocktail en toute quiétude, pendant que les gamins profitent d’un grand espace dédié au fond du jardin avec toboggan, cabane et tout l’espace nécessaire pour se défouler. Au Bart’garden, on profite aussi des soirées tartes flambées ou tapas-sangria. Derrière le concept depuis trois ans, Éric Husser, le patron du Hoop et du Legends, le premier à avoir lancé le concept de bar éphémère aux abords du Château de Pourtalès, il y a six ans. « Les propriétaires ont décidé de reprendre le concept, alors j’ai créé le Bart’Garden il y a trois ans, et j’ai bien fait. On bénéficie du relais-tram, d’un parc à vélos, on est en face des institutions européennes. Bref, c’est un carton ! » Les week-ends, place aux concerts, aux spectacles, aux ateliers magiciens. En bonus, on en profite pour se faire une petite expo à la galerie Apollonia. Au programme de cet été, la deuxième partie de l’expo photos « À un cheveu près », consacrée à l’Iran, qui se tient jusqu’à début septembre. (Voir page 136) E
DÉLICE ESTIVAL
TERRASSES FLOTTANTES
Ouverture jusqu’au 15/09. Le Lavoir 12 quai St-Jean. La Côte flottante quai Kléber. De 17h à 1h30, selon la météo.
Àl’origine du Lavoir, un week-end entre potes à Amsterdam. « À l’inverse de Strasbourg, l’eau est exploitée, les quais sont ultra vivants, alors que les nôtres ne sont pas assez mis en valeur, commente Guillaume Chatelot, également gérant de la Côte Flottante et du restaurant Chez Marcus. On a eu l’idée il y a cinq ans de créer cette barge flottante, ce qui a tout de suite plu à l’adjoint au maire d’alors, Paul Meyer, et été validée par les Voies Navigables de France (VNF). » Une idée lumineuse que cette terrasse flottante vivant au rythme du clapotis de l’eau, des verres qui trinquent et des rires de ses passagers…
Peu avant le COVID, Guillaume souhaite remettre les couverts, mais cette fois quai Kléber. « Nous avions répondu à l’appel d’offres des Voies navigables de France avec Alexandre Bureau, le regretté Rob, et finalement nous nous sommes lancés avec Nicolas Fabbian, son associé. Si le concept est le même, La Côté flottante, c’est aussi une autre ambiance, avec un gros coup de projecteur sur la cuisson au barbecue, que ce soit de la viande ou des légumes. » Là où le Lavoir est plus en mode petits encas veggie à partager. Deux terrasses flottantes, un même boss, deux ambiances et un dénominateur commun : ici et là règne comme un air de vacances à savourer. E
LE LAVOIR – LA CÔTE FLOTTANTE
LE BART’GARDEN
E
SOCIÉTÉ — TERRASSES
Barbara Romero Nicolas Rosès – Apollonia – DR
LA BAIGNEUSE
PÊCHE AUX CANARDS
Tous les jours jusqu’en septembre selon la météo de 16h30 à 23h30.
Initiée par l’Elastic Bar en partenariat avec Pasta & Ravioli et Végéman, La Baigneuse, c’est la terrasse éphémère de la place de Zurich en mode transats, cabanes en bois et pêche aux canards ! On s’y retrouve pour chiller dans le quartier de la Krutenau à l’ombre des arbres, en profitant d’un petit plat à emporter des restaurateurs du quartier partenaires de l’opération ultra conviviale. E
K-BEACH
ET AUSSI… K-BEACH, LE RETOUR !
DÉLICE
Sable fin, piscine pour les enfants, transats et parasols… Le K Beach a fait son grand retour de l’autre côté du Rhin, au pied du pont Beatus Rehnanus. L’endroit rêvé pour les amateurs d’ambiance Beach club, avec en ligne de mire, le Rhin. E
POURTALÈS PLAGE
VAMOS A LA PLAYA
Premier du genre, Pourtalès Plage reste le plus bucolique des concepts de terrasses éphémères. C’est dans un esprit guinguette, aux abords du château, que l’on se détend sur des transats ou autour de tables à refaire le monde. Au programme, des journées pétanque, beach-volley ou ping-pong, des concerts aussi, notamment le 14 juillet avec Brocken Arrows, et un espace jeux pour enfants agrémenté de temps à autre de structures gonflables. Au menu, une petite restauration type burgers, tartes flambées ou salades et une ambiance chill. Si l’endroit reste super agréable, mieux vaut penser à l’antimoustiques ! E
Jusqu’au 3/09. 161 rue Mélanie. 7/7 de 16h à 22h selon la météo.
Infos page Facebook.
124 E SOCIÉTÉ №49 — Juin 2023 — Escales
ESTIVAL
SUIVRE LETRAIN
INFLATION : LE VIN AUSSI…
Sous le marteau des enchères circulent des vins rares. Véritables morceaux d’histoire, ils se retrouvent sur le marché de l’art, et s’envolent à des prix stratosphériques. Une bouteille ou un Banksy. Au-delà de la spéculation, le prix du vin augmente dans son ensemble. Une réalité économique qui sélectionne ceux qui piochent la terre.
En Alsace, le prix du vin a un train de retard. C’est que le consommateur local ne veut pas payer cher ; une vieille habitude. Jusque dans les années 50, il était commun d’avoir un lopin de terre dans la famille. On en profitait pour y planter quelques vignes, et réaliser le vin de consommation courante à la bonne franquette. Face à une grande accessibilité, et une culture du coude levé qui se rapprochait davantage de celle de la bière, le prix du vin était modeste. Dans le même ordre d’idées, les Belges et les Allemands venaient régulièrement charger le coffre de flûtes alsaciennes, et ce, jusqu’au début des années 2000. Ainsi, le souhait ou le besoin d’aller à la rencontre de nouveaux marchés se sont globalement révélés sur le tard.
UNE NIAQUE DE VENDRE QUASI NÉVROSÉE
Depuis quelques mois, les vignerons bondissent devant des coûts de production qui frôlent l’irrationnel. La hausse du prix de l’énergie impacte la fabrication des matières sèches – verre, bouchon, papier, carton – et les frais de transport qui s’y
rattachent. Les frais d’expédition, les frais de déplacement, les frais bancaires… un crescendo qui fait mal à leur marge.
Il existe, en Alsace, une niaque de vendre quasi névrosée liée à la peur de perdre un client. Pérennisé par des anciens qui font fi de rogner leur bénéfice, ce profil de vigneron s’apparente à celui qui prend soin de vendre dix centimes de moins que chez son voisin. Or, celui qui boit un prix sera tôt ou tard séduit par le catalogue de grandes enseignes au détriment de l’indépendant qui ne pourra plus s’aligner.
E SOCIÉTÉ — VIN
Jessica Ouellet Caroline Paulus - Witi De TERA/Opale/Leemage
J
126 E SOCIÉTÉ №49 — Juin 2023 — Escales
JMalgré des marges qui s’effritent, quelques entreprises à forte valeur ajoutée suivent leur petit bonheur de chemin. Elles portent une singularité, un type de vin en vogue, une image décalée… et ajoutent leur lot d’attractivité à la région. C’est le cas des vins natures du Domaine Motz, des vins Niderwind réalisés à Strasbourg, ou du collectif de vignerons engagés Les Vins Pirouettes. Les prix de ces bouteilles suivent l’inflation, et se vendent.
Après une période de grande solidarité envers le commerce local – une ère qui s’en est allée avec la fin de la Covid –l’obligation d’augmenter les prix angoisse les entreprises qui tardent à suivre le train. Parce qu’au final, le consommateur qui souhaite des vins bradés finit toujours par en trouver. Le discount gagne du terrain. Paradoxalement, les vins plus onéreux aussi. Dans Les Aventures d’un gourmand vagabond, Jim Harrison écrit : « […] ouvrir une bouteille de vin a apporté davantage de bonheur à l’humanité que tous les gouvernements de l’histoire […] ». Et si l’humain qui vous permet de trinquer vit dignement de son travail, le bonheur de l’humanité n’est que plus grand. E
« OUVRIR UNE BOUTEILLE DE VIN A APPORTÉ DAVANTAGE DE BONHEUR À L’HUMANITÉ QUE TOUS LES GOUVERNEMENTS DE L’HISTOIRE. »
128 E SOCIÉTÉ №49 — Juin 2023 — Escales
Jim Harrison, dans Les Aventures d’un gourmand vagabond
É V ÉNEMENTO R EMRON
CLUB DES PARTENAIRES OR NORME
Le vendredi 21 avril dernier, le Club des partenaires Or Norme s’est réuni au Carton, rue des aveugles, nouvel établissement du groupe AEDAEN. Ce fut l’occasion d’y découvrir ce bar hors normes et d’y échanger avec Laurent Maennel, manager du centre-ville, interviewé par Jean-Luc Fournier.
130 E SOCIÉTÉ №49 — Juin 2023 — Escales
E SOCIÉTÉ — ÉVÉNEMENT OR NORME
Hefti
Alban
tournée des la terroirs
Baréphémère
Ateliers inédits
Chaque dimanche du 23 avril au 30 juillet de 10H à 19H
Dégustations de vins de TERROIRS
Food locale
sets
DJ
CRUS L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ, À CONSOMMER AVEC MODÉRATION 15 DATES au coeur des vignes 23.04 | Scherwiller 30.04 | Wintzenheim 07.05 | Dambach-la-Ville 14.05 | Nothalten 21.05 | Orschwihr 28.05 | Sigolsheim 04.06 | Molsheim 11.06 | Ribeauvillé 18.06 | Wuenheim 25.06 | Kaysersberg 02.07 | Reichsfeld 09.07 | Thann 16.07 | Orschwiller 23.07 | Ammerschwihr 30.07 | Bergbieten
5€ www.latourneedesterroirs.fr
vos
& GRANDS
Entrée
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places
MUSIQUE
DENNIS WILSON Pacific Ocean Blue (pop – 1977)
Peu de disques auront eu un destin aussi particulier que Pacific Ocean Blue, unique album solo publié de son vivant par Dennis Wilson. Si le nom ne vous est pas inconnu, c’est parce que Dennis Wilson est l’un des frères Wilson, qui donneront naissance aux mythiques Beach Boys. S’il est le seul surfeur de la bande, il n’est pas très doué en batterie. C’est maman Wilson qui l’imposera à son frère Brian dans le groupe…
Playlist
Dennis Wilson aura toujours vécu dans l’ombre du créateur de Pet Sounds. Vie facile, rencontres interlopes, il finira les 60’s à héberger de temps à autre un apprenti chanteur folk au talent douteux. Lequel lui offrira une chanson pour les Beach Boys : Cease to exist, devenue Never not learn to love. Seul fait de gloire artistique de ce colocataire terrifiant : Charles Manson.
Flashez le QR Code ci-dessus et retrouvez le BEST OF des titres de Dennis Wilson et du rock californien.
Et si l’on évoque le serial killer c’est parce que Pacific Ocean Blue, publié en 1977, porte encore les stigmates de cet été 69. Les meurtres de la Family, donc. Mais aussi la tuerie d’Altamont, festival monté à la va-vite entre les Rolling Stones et les Hell’s Angels en réponse à Woodstock.
Pacific Ocean Blue s’affirme malgré lui comme la fin d’une ère bénie, le rock californien. Mélange de soleil, de pop et de country, dont les principaux héros s’appelaient Gram Parsons, Doobie Brothers ou Beach Boys.
Disque sombre et lumineux, c’est un contrejour du travail de Brian Wilson. Un piano à la Elton John et des chœurs ouvrent River Song Puis arrive la voix de Dennis Wilson. Un grain,
une émotion particulière. En douze chansons, il clôt le flower power par un requiem pop, alors que punk et disco prennent le pouvoir.
Impossible de ne pas frissonner sur le fragile piano-voix de Toughts of you. D’espérer sur le quasi disco You and I. D’avoir une larme sur la dernière chanson, End of the show. Et cette voix qui cherche la lumière. Qui s’abîme. Car oui, Dennis est abîmé. Il mourra six ans plus tard, noyé et alcoolisé. Il préparait alors son second album, dont quelques chansons seront publiées à titre posthume.
Quant à Pacific Ocean Blue, sa première version en CD en 1991 fut arrêtée en raison de désaccords sur le copyright. Les copies existantes se sont alors envolées pour plusieurs centaines de dollars. Réédité en 2008, il se doit de figurer aujourd’hui au même rang que Smile, l’album mythique de Brian Wilson. Lequel a d’ailleurs déclaré qu’il n’a jamais réussi à écouter l’album de son frère. « Trop de mauvais souvenirs ». Même s’il en avait entendu quelques prises, puisque Dennis avait enregistré Pacific Ocean Blue dans le studio des Beach Boys
132 a MUSIQUE №49 — Juin 2023 — Escales
Emmanuel Didierjean DR
FESTIVAL, LIVRES GALERIES,
Petite sélection tout à fait partisane de quelques cadeaux à faire et à se faire (même en juin…), juste façon de ne pas perdre nos très bonnes habitudes culturelles !
1KFESTIVAL
La superbe programmation de La Voix des Forges
La Voix des Forges est née en 2020 et s’élève comme le porte-parole musical d’un lieu et d’une histoire, celle des Forges de Jaegerthal. Cette association, localisée dans la réserve naturelle du parc des Vosges du Nord, a pour but la valorisation du patrimoine historique industriel local par la création, la diffusion et la production de spectacles vivants et de projets artistiques accueillants à la fois artistes de haut niveau et acteurs de la vie locale. Le cru 2023 présente une superbe programmation : Mozart, Schubert, Puccini, Verdi… entre autres seront
au programme de la soirée d’ouverture le 7 juillet prochain. Le Barbier de Séville en format condensé sera présenté 9 juillet. Enfin, les 15 et 16 juillet, La Grande duchesse de Gerolstein, l’œuvre incontournable de Offenbach, s’installera sur la scène de la Voix des Forges. a J.L.F.
a CULTURE — SÉLECTION SPECTACLES
ETC.
Véronique Leblanc – Lisette Gries – Jean-Luc Fournier – Isabelle Baladine Howald DR
À45 mndeStrasbourg(direction Paris–Haguenau–Niederbronn)
www.billetweb.fr/la-voix-des-forges
Billetterie :
№49 — Juin 2023 — Escales 134 a SÉLECTION
S a u n a P U R E e n n o y e r
Femme aux longs cheveux arrosés, série Kate Moss Family, Masha Alikhani
Mémorial d’Alsace-Moselle à Schirmeck
La relève est assurée ! » Que l’on soit parent convaincu par ses valeurs, professionnel engagé pour la sauvegarde de son exercice, ou finalement, n’importe quel passionné, depuis la pêche à la mouche jusqu’à la littérature chilienne, ne nous mentons pas, voir des enfants reprendre le flambeau réchauffe le cœur – et calme l’angoisse de la finitude. L’ennui, c’est qu’il n’y a pas plus passionnés que les idéologues, surtout si leur paroisse est mortifère. C’est ainsi que les Nazis ont eu l’idée d’ancrer rapidement leur réécriture du monde dans l’imaginaire de la jeunesse, afin que celle-ci construise son identité avec un référentiel solide. Cet endoctrinement des enfants et des adolescents, en Allemagne comme en Alsace, fait l’objet d’une exposition remarquable au Mémorial d’Alsace-Moselle de Schirmeck, présentée jusqu’au 12 novembre. En s’appuyant sur des documents d’archives, officiels ou tirés de collections personnelles, le parcours démontre combien ce projet d’embrigadement était méthodique. « L’Alsace vit sa jeunesse intoxiquée par une idéologie totalitaire », décrit Marcel Spisser, commissaire de l’exposition et président de l’association des amis du Mémorial d’Alsace-Moselle. « Les enseignants alsaciens sont encadrés par des collègues allemands fanatisés, afin d’être rééduqués eux-mêmes ». Le matériel scolaire est à l’avenant. Et quand sonne la cloche, les enfants continuent à entendre les mêmes discours lors des activités organisées par les Jeunesses hitlériennes ou dans les lectures qu’on leur propose. Avec des propositions adaptées à tous les publics, l’exposition sonne aussi comme un avertissement pour peu que l’on jette un œil vers ce qui se passe quelques frontières plus à l’Est… a
Intoxiquée !Lajeunessesouslabottenazie
Appolonia L’Iran
près un premier volet consacré en avril aux œuvres très sensibles de Maryam Firuzi et Babak Kazemi, l’Espace Apollonia présentera cet été le deuxième volet d’une opération d’envergure consacrée à la photographie iranienne contemporaine. Entreprise de longue haleine entamée par un travail de prospection mené à Téhéran en 2018, cette manifestation est née d’une volonté de la Commission européenne de lier ses subventions à un élargissement du champ d’action de l’Espace Apollonia. « Il s’agissait de tisser des liens culturels au-delà du continent, explique Dimitri Konstantinidis, directeur de la structure et nous avons choisi l’Iran parce que – qu’on le veuille ou non – la civilisation perse a énormément contribué à notre culture ». Médium agile par excellence, la photographie s’est imposée par son rapport intime à la vie et sa capacité d’user d’Internet pour dépasser censure et problèmes administratifs. « Nous avons travaillé autour du contexte social et urbain », précise le directeur d’Apollonia : « le voile bien sûr et le titre de notre manifestation le souligne, la liberté des femmes – comment aurions-nous en faire abstraction ? – mais aussi les violences urbanistiques infligées à une capitale iranienne transformée en mégalopole dévorée par la pollution avec, en parallèle, la question du paysage et de la province abordée sous les mêmes thèmes urbanistiques et sociétaux. » La question du voile sera posée au cœur du Parlement européen, dans l’espace central du parcours emprunté au quotidien par quelque mille visiteurs individuels, tandis que les aspects plus sociologiques et environnementaux se déploieront dans l’Espace Apollonia à la Robertsau. a V.L.
«
A
Apollonia,Échangesartistiqueseuropéens,23RueBoecklin.Ouvertdu mardiaudimanche,de14hà18h, jusqu’au10 septembre.
,jusqu’au 12 novembre,touslesjoursde9h30à18h.MAM,Allée duSouvenir67130Schirmeck.Visitelibregratuite.
L.G.
Intoxiquée ! La jeunesse sous la botte nazie
136 a SÉLECTION №49 — Juin 2023 — Escales
« À un cheveu près »
EXPOS2K
La mémoire de l’eau Pascal Doumange
Les notes d’Inner Spaces tombent comme de précieuses gouttes d’eau, sur un fond de cordes. Des gouttes délicates, une ambiance propice aux voyages. À l’autre bout du monde. Ou en notre for intérieur. « L’eau est un marqueur de mon parcours » se réjouit Pascal Doumange. Le Strasbourgeois est ingénieur du son, créateur de musique pour les autres (plusieurs documentaires ou spectacles). Mais cette fois, il a décidé de créer pour lui. « Et pour les autres, parce que la musique, c’est du partage », rectifie-t-il dans un sourire complice. L’eau comme marqueur, la douceur comme fil conducteur. Si Inner Spaces est divisé en huit plages, c’est bel et bien une œuvre à écouter d’une traite. Un moment suspendu, tant l’effet apaisant de l’eau coule dans nos oreilles. Si quelques touches électroniques semblent fendre l’ensemble, ce n’est pas anodin. « J’aime autant le classique que l’électronique. Ici clairement je suis dans le classique, mais jamais je ne me fermerai à un autre style », précise le compositeur, qui cite aussi volontiers Claude Debussy ou Erik Satie que Pierre Schaeffer et la musique électronique concrète. Mais surtout le compositeur islandais Jóhann Jóhannson, figure de proue de la musique contemporaine, alliant classique et musiques électroniques. a
Orchestre Philarmonique de Strasbourg
John Nelson dirige Roméo et Juliette et la cantate
Cléopâtre
de Berlioz
ALBUMS3K C
e nouvel enregistrement, réalisé en juin 2022 à l’occasion de concerts donnés à Strasbourg au Palais de la musique et des congrès, illustre à nouveau la complicité qui unit John Nelson et l’Orchestre philharmonique de Strasbourg. Il vient enrichir un catalogue de disques déjà riche parus chez Erato/Warner, qui compte Les Troyens (2017), La Damnation de Faust (2019), Harold en Italie et Les Nuits d’été (2022). Joyce DiDonato revient dans le rôle de Cléopâtre, rejointe dans Roméo et Juliette par Cyrille Dubois, Christopher Maltman, le Chœur de l’Opéra national du Rhin et Coro Gulbenkian. a J.L.F.
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pascaldoumange.bandcamp.com
InnerSpaces,PascalDoumange, disponiblevialapageBandCampdel’artiste
138 a SÉLECTION №49 — Juin 2023 — Escales
Le jardin sous la neige
Jean-Michel Maulpoix
Très beau recueil de petites proses poétiques au ton élégiaque, dans lequel le poète se livre comme jamais, à la recherche d’un l’équilibre fragile, chaque jour… Ce volume est d’une grande douceur lyrique sans jamais verser dans le sentimental. S’y mêlent l’inquiétude, les atermoiements du cœur mais aussi l’émerveillement, sur un ton intime qui fait naître un silence attentif dans le lecteur. La neige tombe, la fatigue habite le corps, la finitude hante l’esprit, « je vous parle depuis mon ombre », mais il reste les fleurs, toujours objet d’amour et d’émerveillement. D’autres poètes habitent ce livre pour accompagner l’écrivain, et le tout premier chant est constamment présent, celui d’Orphée. Comme l’écrit Jean-Michel Maulpoix ailleurs : « “poète” n’est (…) rien d’autre que le nom donné à une qualité d’attention ». Ça n’a jamais été aussi vrai. Il faut lire ce livre seul, dans le silence et l’écouter faire son chemin en soi, et repartir un peu plus riche de beauté. a
I.B.H.
2K
LIVRES
Éditeur (Arfuyen) et traducteur (allemand, italien, anglais, turc…), Gérard Pfister est aussi poète, avec plus de trente ouvrages parus. La poésie est au cœur de son travail dans tous ces domaines. Paraît actuellement Le Livre, dédié aux Essais (de Montaigne), aux Élégies (de Duino, Rilke) aux Vagues (Virginia Woolf), avec cette belle idée de dédier un livre à d’autres livres. 500 petits poèmes pour le livre, l’expérience du lecteur, tout habité de tant d’autres livres, la rencontre avec les mots, ce « mouvement » infini que provoque la lecture comme l’écriture, « portés/par l’unique insistante/vibration ». C’est un beau livre doux et sensuel, beaucoup plus proche du silence que d’un bavardage quelconque. La nature l’entoure en tous points, la fragilité de l’homme point entre les espaces. « Un livre n’est rien/ que le lieu/du possible » et c’est toute sa grâce, toute son éternité, à saisir avec douceur. a
I.B.H.
Le livre Gérard Pfister GérardPfister,LeLivre,
L’excellente collection Les enquêtes rhénanes du Verger Éditeur publie la huitième enquête du détective strasbourgeois Jules Meyer, cette fois-ci lancé dans une course contre le temps, centrée sur la célébrissime horloge astronomique de la cathédrale de Strasbourg. Nous sommes au début des années trente et, sous la plume érudite et alerte de Jacques Fortier, l’action devient vite haletante, que ce soit dans les ruelles du vieux Strasbourg ou dans les wagons du train de nuit pour Paris. Quelle belle idée que ce scénario tout droit surgi du passé et qui nous fait découvrir cette merveille d’ingéniosité qu’est le « comput ecclésiastique » serti au cœur de l’horloge astronomique qu’on peut sans doute considérer comme le plus ancien des ordinateurs. Inventé en 1815, entièrement mécanique, ce comput ecclésiastique était destiné au calcul compliqué de la date exacte de Pâques. Tout est passionnant dans ce polar historique fort bien documenté.
Le maître des horloges Jacques Fortier JacquesFortier,Lemaîtredeshorloges, Ed.LeVergerÉditeur,12 €
Jean-MichelMaulpoix,Lejardinsous laneige,Ed.Mercure de France,16 €
a
J.L.F.
140 a SÉLECTION №49 — Juin 2023 — Escales
Ed.Arfuyen,17 €
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avenue des Champs-Élysées
PAR SARAH BARUKH
Cette réalisatrice et romancière a mené une enquête de deux ans pour identifier et retrouver 125 familles de victimes de féminicides. 125 personnalités ont raconté leurs témoignages dans le livre 125 et des milliers Anthony Quittot
VOUS AVEZ LE DROIT DE CHOISIR LA VIE
Un mois et demi que 125 et des milliers chemine de mains en mains, de librairie en libraire, de bouche à oreille.
Un mois et demi que mon passé est discuté, analysé, médiatisé.
Un mois et demi que des personnes que je ne connais pas imaginent mon ancien quotidien de menaces, de douleur et de tortures régulières. Elles se représentent aussi ce que les chiffres taisent à travers les 125 portraits de victimes de féminicides que mes ambassadrices et moi avons tenté d’écrire, guidées par un unique but : tant que l’on parle d’eux, les morts ne le sont pas vraiment.
Un mois et demi aussi, que mon père ne dort plus, que ma mère s’inquiète.
Si le silence après Mozart est encore du Mozart, le bruit après la violence, même emplie de force, en est encore l’écho délicat.
Pour ma famille, me regarder promouvoir un livre où je tente de cloisonner dix ans de ma vie génère un sentiment ambigu. Ils sont fiers m’ont-ils dit, mais…
– C’est vraiment difficile, Sarah.
– Pourquoi papa ? Tout va bien, tu sais.
– Parce que je m’en veux.
Leurs amis, leurs cousins ne cessent de leur demander comment ils ont pu laisser faire, se taire, rester chez eux tandis que je m’enfonçais. Moi, je suis habituée à ce que l’on me demande sans arrêt pourquoi je suis restée si longtemps avec un compagnon violent. Pourquoi j’ai fait un enfant avec lui. Pourquoi je n’ai pas fui plus tôt. Toutes ces questions inutiles et blessantes de ceux qui ne veulent pas affronter la complexité des situations, l’ambivalence des sentiments, l’âpreté de la peur, la culpabilité que suscite
l’abandon, la machine écrasante qu’est le quotidien et ses mille petites urgences qui font oublier tout le reste. Et surtout, surtout l’épuisement qui anéantit l’élan de survie.
Quand tout a été dit. Quand on s’est disputés cent fois et qu’on ne veut pas se perdre. Quand la personne qui souffre n’est pas prête à affronter son vide parce qu’au moins, cette souffrance qu’elle connaît si bien la rassure, elle s’est habituée à être remplie des contraintes de la terreur domestique.
– Dans son chapitre, ta psy parle du rôle du père sur les failles narcissiques. Dismoi franchement, qu’est-ce qu’elle pense de moi ?
– Papa, elle ne pense rien de toi, elle m’a aidée à réfléchir, à ordonner ce que je comprenais de ce que j’ai vécu. La représentation que je me faisais de toi, pas toi.
– Personne ne te connaît mieux que moi, tu sais ? Ça fait 40 ans que je t’observe, a ajouté mon père avant-hier, la voix éraillée.
Au milieu de la nuit, il m’avait envoyé un curieux message, qui traduisait une remise en question profonde. Je l’ai rappelé sitôt levée.
J’ai voulu dédramatiser, je lui ai chanté du Céline Dion (écrit par Goldman tout de même).
On ne change pas
On met juste les costumes d’autres sur soi
On ne change pas
Une veste ne cache qu’un peu de ce qu’on voit
On ne grandit pas
On pousse un peu, tout juste Le temps d’un rêve, d’un songe Et les toucher du doigt Mais on n’oublie pas
L’enfant qui reste presque nu Les instants d’innocence Quand on ne savait pas
Une façon de lui dire que je serais toujours sa fille qui me reliait à lui pour toujours, que cette petite brunette pleine de boucles à l’air coquin serait toujours en moi, dans mon cœur, et que je n’ai pu m’en sortir qu’en cessant de la nier. Mieux, en lui promettant que j’allais lui offrir une vie douce désormais. On a raccroché, mais j’avais encore un pincement au cœur.
J’ai cherché à relativiser mon état : tous ces messages que je reçois de femmes désemparées se reconnaissant dans ma vie d’avant, le procès de l’assassin de Myriam et les arguments si dégueulasses de l’avocat de l’accusé auquel j’ai assisté il y a quelques jours, ce sentiment que je fais de mon mieux, mais que ce n’est pas encore assez puisque je lis aussi les commentaires agressifs de ceux et celles qui croient que je n’avais qu’à régler mes histoires de couples comme une grande, la pression inhabituelle d’être écoutée malgré tout, ça fatigue un peu… C’est une fatigue utile bien sûr, une fatigue dont je suis fière, mais qui brouille parfois mes aptitudes à prendre du recul.
Ce matin donc, j’ai tout fermé. Je me suis glissée dans ma bulle en quête du juste diagnostic pour ce pincement émotionnel.
Je crois que je vis aujourd’hui ce que mes parents ont vécu pendant dix ans, quand j’acceptais chez moi l’inacceptable, qu’ils le savaient, mais qu’ils n’avaient aucune solution pour m’en sortir. J’essaie d’aider des personnes qui ne souhaitent pas l’être. Qui voudraient,
CHAMP
OR
№49 — Juin 2023 — Escales
142 a OR CHAMP
qui savent que ça ne va pas, mais qui ne peuvent pas envoyer leur vie valser, la faire voler en éclats.
Je réponds, je parle chaque jour à des femmes qui me rappellent qui j’étais, le temps que j’ai donné à la souffrance, au désespoir, et qui n’ont pas encore la force de dire non. De choisir la vie.
Je dois apprendre qu’aimer n’est pas toujours agir. Qu’on fait parfois plus en se contentant d’être là, de le faire savoir, qu’en bousculant. Que le temps n’existe pas, qu’il s’étire et rétrécit selon l’intensité des moments, les chocs, les grandes décisions. Et que le temps qui reste compte double.
Alors à vous, mes sœurs, vous les « une femme sur cinq » en France qui ont vécu, vivent ou vivront des violences au sein de votre couple, vous qui vous sentirez trahies par l’amour, je vous le redis, je suis là. Je ne vous juge pas. Vous avez le droit d’avoir besoin de temps, d’avancer et reculer, de douter, de l’aimer malgré tout, de lui pardonner et de comprendre que ça n’exclue pas de vous faire passer en premier.
Tout ne se résume pas à être AVEC lui ou CONTRE lui. Vous êtes POUR vous-même. Vous existez. Vous comptez.
Vous n’êtes pas seule. Au bout du chemin, il y a les possibles, la joie, la force.
Vous avez le droit de choisir la vie. a
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Or Champ est une tribune libre confiée à une personnalité par la rédaction de Or Norme. Comme toute tribune libre, elle n’engage pas la responsabilité de la rédaction de la revue, mais la seule responsabilité de sa signataire.
143 a OR CHAMP №49 — Juin 2023 — Escales
125 et des milliers, Sarah Barukh (Éditions HarperCollins)
Directeur de la publication
Patrick Adler 1 patrick@adler.fr
Directeur de la rédaction
Jean-Luc Fournier 2 jlf@ornorme.fr
Photographie
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Caroline Paulus 20
Nicolas Rosès 21
Ce numéro de Or Norme a été tiré à 15 000 exemplaires
Dépôt légal : à parution
N°ISSN : 2272-9461
JUIN 2023
Rédaction
Alain Ancian 3
Eleina Angelowski 4
Isabelle Baladine Howald 5
Erika Chelly 6
Marine Dumeny 7
Jean-Luc Fournier 2
Emmanuel Didierjean
Alain Leroy
Jaja 8
Thierry Jobard 9
Véronique Leblanc 10
Aurélien Montinari 11
Jessica Ouellet 12
Barbara Romero 13
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Dessin de Catherine Meurisse (© Collection privée de l'artiste)
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№ 47 DÉCEMBRE 2022 ISLANDE Merveilles b GRAND ENTRETIEN JEAN-LUC BARRÉ Page a CULTURE ALICE DÉCONSTRUITE Surréalice et Illutr’alice, deux expositions à Strasbourg. Page 36 c DOSSIER EXPOS TGV PARIS Le cru 2022 est exceptionnel et l’art scintille de toutes parts. Page 12 c DOSSIER ISLANDE Destinations de légende. Page 44
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