OR NORME STRASBOURG N°5 | avril 2012 | L’INFORMATION AUTREMENT
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de légende israël • inde • kazakhstan
| dossier spécial : À LA DÉCOUVERTE D’israël - 44 pages | | LA TRAVERSÉE DE L’inde DU SUD | LE kazakhstan d’almira | | entretien avec JULES HOFFMANN | L’ALSACE, TERRE DE TOURNAGE | | les combattants du livre | la philharmonie |
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La lettre de l’éditeur
OR NORME STRASBOuRG N°5 EST éDITé PAR L’AGENCE DE PRESSE ASP 25, boulevard Wilson - 67000 Strasbourg Tél. : 03 68 41 80 60 CONTACT : Corinne Geudin - corinne@asp-presse.fr DIRECTEuR DE LA PuBLICATION : Pascal Candiotto DIRECTEuR DE LA RéDACTION : Jean-Luc Fournier - jlf@asp-presse.fr CHEF D’éDITION : Aude Muller - aude@asp-presse.fr RéDACTION : Alain Ancian - Erika Chelly - Jean-Luc Fournier Véronique Leblanc - Charles Nouar - Benjamin Thomas Hervé Weill - Antoine Spohr - Patrick Adler - Stéphane Louy SECRéTARIAT DE RéDACTION ET ADMINISTRATION : Corinne Geudin - corinne@asp-presse.fr PuBLICITé : Adeline Guvercin - pub@asp-presse.fr - 03 68 41 80 62 MAQuETTE : Fanny Mourot - vektorielle.fr MISE EN PAGES : Fanny Mourot - fanny.mourot@gmail.com IMPRESSION : IDS IMPRESSION SELESTAT ids@ids-impression.fr DISTRIBuTION : Impact Media Pub info@impactmediapub.com TIRAGE : 20 000 exemplaires 15 000 exemplaires sont distribués en boîtes aux lettres (distribution solo sans autres documents publicitaires) et 5000 exemplaires sont déposés dans les lieux de passage de l’agglomération (liste des points de dépôt sur demande). Dépôt légal : avril 2012. ISSN : en cours Retrouvez notre actualité sur Facebook : www.facebook.com/magazine.ornorme.strasbourg
Le printemps est (enfin) là et les 20 000 exemplaires de Or Norme Strasbourg n°5 (la plus importante distribution de la presse indépendante gratuite d’Alsace) débarquent dans vos boîtes aux lettres et dans les dépôts de la capitale alsacienne avec des pages pleine de soleil. L’an passé, notre numéro de printemps était déjà consacré aux « Destinations de légende ». Il avait été formidablement accueilli. Alors, nous récidivons… Quand nous avons décidé de partir à la découverte d’Israël (et des Alsaciens qui y vivent…), nous étions en janvier. Nous avions réussi à convaincre Patrick Adler (qui fut le tout premier interviewé de notre numéro 1) de nous accompagner là-bas, lui qui connaît si bien ce pays. Nous avions un unique parti-pris (dicté par notre seul flair) : nous étions persuadés que ce que l’on écrit ou ce que l’on nous montre à longueur d’année sur Israël était loin de refléter la réalité du terrain. Bien nous en a pris : nous avons rencontré là-bas des gens fantastiques (le mot est pesé…) qui, au quotidien et souvent dans la discrétion, travaillent à édifier des passerelles entre les religions et les peuples. Le mot qui revient le plus souvent dans leur bouche : la Paix. Nous avons également (et grâce à eux) découvert un pays aussi beau que compliqué, aussi étrange que magnifique. Nous y consacrons plus de quarante pages… Nous sommes également allés en Inde, de la mer d’Arabie au golfe du Bengale. à Astana, la capitale du Kazakhstan, nous avons retrouvé Almira, une jeune femme qui a découvert l’Occident à Strasbourg et qui rêve d’une planète sans frontières. Le voyage fut moins long pour faire la connaissance d’Eric Humbert, ce joaillier strasbourgeois pour qui le monde est un terrain d’humanisme et de découverte permanente de l’Autre. Destinations et destins de légende… Saviez-vous que Strasbourg, en 1262 (plus de cinq siècles avant la Révolution Française !) a inventé le concept de ville libre ? C’est dans Or Norme n°5… De quoi rêve Jules Hoffmann, prix Nobel et néo-Académicien ? La réponse est dans une interview exclusive, la seule qu’il a accordée depuis sa consécration de l’automne dernier. C’est dans Or Norme n°5… Et savez-vous que la plus belle campagne de pub consacrée en 2011 à Strasbourg n’a pratiquement rien coûté à la collectivité ? Ce n’est pas une agence qui l’a réalisée, c’est un Lorrain ! C’est page 96… Beaucoup d’autres sujets vous attendent également dans ces 108 pages que vous lirez tranquillement, au fil de vos envies. Car Or Norme Strasbourg n’est pas aussitôt abandonné après avoir été simplement feuilleté, comme tant d’autres. Nous le savons puisque vous nous le dites… Alors, bonne lecture. Et rendez-vous fin juin pour un numéro qui vous surprendra encore… Restez Or Norme ! JEAN-LuC FOuRNIER
SOMMAIRE Interview | Jules Hoffmann • page 7
DOSSIER 44 PAGES
God trotter...
à la découverte d’Israël La traversée de l’Inde du Sud • page 64 Découvrez le Kazakhstan avec Almira • page 69 Eric Humbert, le chercheur d’opales • page 74 Les combattants du livre • page 77 Strasbourg en chantier • page 82 Les cinémas indépendants • page 87 L’Alsace, terre de tournage • page 92 La Philharmonie • page 96 Le saltimbanque et l’historien • page 98 Fresque • page 100 Le bloc-notes d’Hervé Weill • page 102 Port-folio | Sylvie Mattlé • page 103
JOHN GALLIANO OSCALITO CHANTAL THOMASS LA PERL A PRIMA DONNA FERAUD SIMONE PéRèLE PAIN DE SUCRE CHRISTIES LISE CHARMEL ...
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RéMI VOGEL
Le prix nobeL de L’humiLité Prix Nobel à l’automne, puis élu à l’Académie française au printemps… Qui dit mieux ? Jules Hoffmann nous a reçus dans son modeste bureau de l’Université de Strasbourg. Ses interviews sont rarissimes tant il fuit comme la peste le grand cirque des médias. Il a fait une exception pour les lecteurs de Or Norme Strasbourg. Lisez cette conversation avec ce grand chercheur qui est aussi l’être le plus modeste qui soit et qui n’a qu’une obsession : partager sa réussite…
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RéMI VOGEL
Or Norme : Professeur Hoffmann, maintenant que le rush de l’obtention du Prix Nobel est un petit peu passé, quels souvenirs conservez-vous de l’automne dernier ? Jules Hoffmann : « Au risque de vous surprendre, je vous dirais que ce n’est toujours pas facile pour moi d’en parler. J’ai eu un mal fou à vivre les jours et les semaines qui ont suivi l’annonce. Des centaines et des centaines de demandes d’interviews sont arrivées et il a fallu que nous déléguions une personne à plein temps pour s’occuper de tout ça. Pour moi, ça a représenté un changement de vie indiscutable et, même avec le recul, les conséquences de cette notoriété soudaine restent difficiles à gérer. Cette distinction fut une bonne surprise pour moi, bien sûr, mais également pour mes collaborateurs. Ce qu’on ne dit jamais assez, c’est que ce prix Nobel a été décerné à une thématique qui est l’immunité innée. Trois laboratoires dans le monde se le partage, dont le nôtre. Bien sûr, je suis à l’origine des travaux sur cette thématique ici, à Strasbourg, mais je veux insister sur le fait que c’est un travail de nombreux chercheurs pendant de très nombreuses années qui a été ainsi récompensé. O.N : C’est néanmoins vous qui avez créé le laboratoire Réponse immunitaire et développement chez les insectes. Vous l’avez dirigé jusqu’en 2006, au sein de l’Institut de biologie moléculaire et cellulaire du CNRS à Strasbourg…
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J.H : Permettez-moi d’être beaucoup plus précis. En fait, j’ai pris la succession de Pierre Joly qui était mon patron, mon directeur de thèse. C’est lui qui m’a suggéré le sujet des réactions antimicrobiennes chez les insectes pour ma thèse. Quand il est parti à la retraite en 1978, j’ai vécu à ce moment-là une des plus grandes crises de ma vie professionnelle parce que l’université a voulu fermer ce laboratoire. Enfin, je dis l’université, mais c’est un mot abstrait : ce sont les responsables scientifiques de l’université qui se posaient la question de l’intérêt que l’institution avait à s’impliquer dans ces questions-là. Pour eux, il y avait sans doute à leurs yeux des choses plus importantes à soutenir. Le laboratoire était déjà associé au CNRS et il y a eu vraiment quelques semaines où il était dans la balance… Heureusement, avec le soutien du CNRS, on a été sauvé par Pierre Carly, le président d’alors. Il avait une vision beaucoup plus large que beaucoup d’autres membres de l’université, je lui en suis toujours extrêmement reconnaissant.
Ensuite, effectivement, nous avons pu continuer nos recherches dans deux directions, jusqu’à la fin des années 80 : les hormones des insectes et leurs conséquences sur leur développement et aussi leurs réactions de défense antimicrobiennes. à la fin des années 80, nous avons tous réalisé qu’il était extrêmement difficile de rester à l’avant-garde dans deux domaines aussi différents et j’ai vraiment poussé pour que nous nous concentrions tous nos efforts sur les réponses immunitaires… O.N : Ce que vous venez de dire prouve à l’évidence que rien n’est jamais simple, qu’il faut toujours être dans la bagarre pour obtenir ce que l’on souhaite. Le monde de la recherche scientifique est-il toujours confronté à ce genre de réalités bien concrètes ? J.H : Absolument. En 1989, quand nous avons pris cette décision de nous focaliser sur l’immunité, nous avons rencontré l’opposition du directeur du département des sciences de la vie au CNRS, René Monnier. Il nous disait que nous étions bien connus pour nos travaux sur les hormones stéroïdes mais se demandait s’il y avait une immunité chez les insectes. L’immunité innée était vraiment le parent pauvre, tous étaient focalisés autour de l’immunité adaptative, c’est à dire les anti-corps, la vaccination, la mémoire, etc… Ces deux crises successives, en 1978 et en 1989, ont failli changer le cours des choses. Elles auraient pu faire qu’on ne se rencontre pas ce matin. Donc, en vous racontant tout cela, je réponds à votre question : oui, c’est un combat perpétuel et je vais même vous dire qu’il n’est toujours pas terminé actuellement. Je me bats encore pour obtenir certaines choses, je le fais en m’impliquant et je le fais avec beaucoup de plaisir pour aider mes successeurs et les autres personnes qui travaillent en laboratoire…
O.N : J’imagine qu’un chercheur de ce niveau, c’est comme un artiste. Toujours concentré sur une méthode, un process… Est-ce que ces rappels à la réalité, le fait que vous ayez dû régulièrement vous lancer dans d’autres combats vous a perturbé, voire découragé ? ça doit être épuisant, comment avez-vous géré ces moments-là ?
portant dans le développement de la biologie moléculaire dans notre pays. Globalement, j’ai le sentiment que dans les sciences du vivant, la France est vraiment excellente. On peut bien sûr toujours faire mieux, c’est évident mais pour un pays de 60 millions d’habitants, on tient bien notre rang, je trouve…
J.H : Je n’ai jamais eu à ressentir du découragement mais de l’angoisse, oui. Avec ces questions qui tournent dans la tête : est-ce qu’on va pouvoir y arriver ? Est-ce que… est-ce que ?.. Mais je ne voudrais pas que notre entretien ne se focalise que sur moi et mes recherches. C’est le même combat pour les thèses, ou pour les jeunes chercheurs qui se demandent s’ils vont bénéficier d’un poste. C’est effectivement un combat permanent et qui demande un grand engagement. Au fond, si je n’ai jamais été découragé, j’ai été quelquefois très angoissé et, en tout cas, je ne me suis jamais départi d’une certaine inquiétude…
O.N : ça nous amène à un sujet qui est souvent évoqué. On parle volontiers de l’excellence qui est reconnue aux chercheurs français mais beaucoup seraient attirés irrésistiblement par l’étranger et pourraient se laisse séduire par des budgets sans commune mesure avec ce qui est possible en France. Est-ce que nous courons ce risque de mettre en route un système de recherche, de former nos chercheurs et de les voir s’échapper au moment où ils atteignent leur plénitude ?
Je n’ai Jamais eu à ressentir du découragement mais de L’angoisse, oui. avec ces questions qui tournent dans La tête : est-ce qu’on va pouvoir y arriver ? O.N : Vous avez vécu cinquante ans dans le milieu universitaire français, vous avez donc été le témoin de beaucoup d’évolutions. Quel est l’état de la recherche en France ? J.H : J’ai vécu une époque privilégiée, j’en ai bien conscience. J’ai eu la chance de vivre une révolution spectaculaire dans le domaine de la science du vivant. Certains disent que la biologie et la science de la vie ont davantage évolué en cinquante ans qu’entre le néolithique et les années 50. C’est peut-être un peu exagéré mais la révolution moléculaire a eu un impact formidable à tous les niveaux. Et aujourd’hui, la situation n’a plus rien à voir avec ce que nous connaissions lorsque j’ai commencé ma thèse. Et je pense qu’on peut sincèrement dire que la France a très bien suivi cette évolution avec quelques grandes personnalités, dont notre strasbourgeois Pierre Chambon, qui ont joué un rôle très im-
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- Le Petit PrinceTM © Succession Antoine de Saint Exupéry - 2005 - crédit photo : Corbis - Retouches K. Parent
J.H : On constate deux hémorragies. une première, qui est intrinsèque et presque napoléonienne, concerne le cas des gens qui se sentent si fort et si ambitieux qu’ils ont tendance à aller vers les grandes écoles. Et dans les grandes écoles, globalement, on ne faisait pas de recherche, de par le passé. C’est en train de changer. La deuxième hémorragie, c’est les gens auxquels vous faites allusion, qui ont 40-45 ans, qui sont de bons chefs d’équipes, qui ont bien publié, qui ont montré leur capacité et
OR NORME • SP PPR • 205 x 268 mm • Visuel : Confettis Biarritz/Montp/Venise • Parution : 25/avr./2012 • Remise le : 29/mars/2012
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qui, à un moment donné, se disent que le système n’est quand même pas assez reconnaissant… Alors, ils se laissent attirer par l’étranger. Cela, je l’ai vécu à plusieurs reprises… Il faut bien avoir conscience que pour un jeune qui entre maintenant dans la recherche ou dans l’enseignement supérieur, c’est loin d’être facile. Cas classique, il est marié ou il vit avec quelqu’un, et il a un ou deux enfants. Et bien, il ne peut plus se payer un loyer dans Paris même, par exemple. Son traitement ne suffit plus. Ce qui n’était évidemment pas le cas il y a vingt ans…. O.N : Dans le secteur de la recherche, la compétition est devenue sévère entre les pays développés… J.H : Oui, et c’est pourquoi il faut œuvrer dans l’excellence et pour ça, il faut choisir avec beaucoup de soin les domaines où on peut viser cette excellence. Cette recherche de l’excellence vaut dans toute la société. Si vous êtes maçon, si vous êtes boulanger, c’est la même chose. J’habite à la Robertsau, je connais un boulanger excellent mais je suis sûr qu’il y en a d’autres. Ils se doivent tous d’être excellents s’ils veulent développer leur commerce. Donc j’approuve la notion d’excellence même si je sais qu’elle n’est pas acceptée par tout le monde. Et qui dit excellence dit aussi compétition. Il y a des gens qui pensent qu’on pourrait remplacer la compétition par de la collaboration : l’un n’exclut pas l’autre, certes. Mais quelque part, nous n’échappons pas à la compétition, comme notre boulanger à la Robertsau. C’est quelque chose qui vous pousse, dans la mesure où vous savez que d’autres laboratoires se démènent eux aussi. S’ils publient avant vous, c’est fini.. O.N : Vous avez 71 ans. Vous avez passé quasiment toute votre vie à étudier les insectes, une passion que votre père vous avait transmise. Pardonnez-moi cette question qui vous paraîtra sans doute stupide, mais, à un certain moment, après toute une vie consacrée à un tel domaine jusqu’à en devenir un spécialiste mondial, n’avezvous pas craint que ça tourne à l’obsession ? J.H : Non, ce moment n’est pas venu et ne viendra jamais. Je m’intéresse à plein d’autres choses, je vous rassure… J’ai une vraie passion pour l’histoire, par exemple, notamment l’histoire des religions. Et quand je pars en vacances, je n’emmène jamais un livre de biologie, et encore moins un livre sur les insectes… O.N : Quand on est un chercheur au fond de l’âme, est-il envisageable qu’un jour, on cesse totalement de chercher ? J.H : Là encore, je crois que c’est assez facile de vous répondre. Il y a différentes phases dans une vie de chercheur. Et vous finissez par rencontrer un stade où vous êtes un peu en recul par rapport à la recherche directe et quotidienne. En ce qui me concerne, il y a plusieurs choses qui sont en train de bouger : l’ambiance dans notre laboratoire est
excellente, les gens qui le dirigent aujourd’hui m’ont tous rejoint à un moment donné et je m’entends extrêmement bien avec eux, je reste très impliqué. J’ai deux personnes qui travaillent beaucoup plus spécifiquement avec moi, directement. Je commence à prendre un peu de recul et je me dis qu’avec le temps, je verrai bien. Je me donne encore quelques mois d’ici l’été pour prendre vraiment des décisions plus conséquentes… En tout cas, je serai toujours au service des chercheurs, ne serait-ce que pour les aider à promouvoir leur métier auprès des jeunes universitaires. Ce métier ressemble à la vie d’un moine, d’une certaine façon : il faut être prêt à beaucoup prier, prier signifiant en l’occurrence travailler beaucoup. Il faut renoncer à beaucoup de choses : j’ai dû travailler au moins les deux tiers des week-end, à part le dimanche après-midi. Ce métier est comme celui d’un « gambler », quelqu’un qui prend des paris, qui gagne, qui perd, qui gagne, qui perd, etc… La science a tellement évolué que nous disposons aujourd’hui de techniques, de méthodes, mais aussi de concepts dont on ne pouvait pas rêver il y a cinquante ans. Et nous sommes donc à un moment extrêmement favorable pour entrer dans la recherche, notamment dans les sciences du vivant. Il y a des perspectives qui s’ouvrent actuellement et elles sont fantastiques… O.N : Sur un plan plus personnel, y a-t-il un vrai rêve que vous n’avez pas encore réalisé ? J.H : Ce que j’aimerais à tout prix faire, c’est m’impliquer plus dans l’histoire ancienne de la Grèce et de l’Italie. Et mon épouse aimerait beaucoup s’intéresser à l’Espagne, également. Alors, on va beaucoup voyager, mais avant, il faut qu’on se prenne le temps de bien préparer tout ça. Je suis en train de lire un livre, en ce moment, sur les origines de la guerre de Troie, par exemple. Donc, j’aimerais beaucoup réapprofondir l’histoire. Le premier livre que j’ai lu de ma vie, à 10 ans, évoquait les dieux, les tombeaux et les mythes. Oui, voyager à la rencontre de cette histoire-là est un rêve que je vais réaliser… » ENTRETIEN RéALISé PAR JEAN-LuC FOuRNIER
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RÉDACTION : Jean-Luc Fournier, Patrick Adler, Stéphane Louy ICONOgRAPhIe : Patrick Adler - Jean-Luc Fournier - dr Merci à toi, Patrick, d’avoir osé être de ce voyage… Or Norme et de t’y être autant impliqué.
GOD TROTTER POuR cE numéRO « DEStInAtIOnS DE léGEnDE », nOuS SOmmES PARtIS à lA DécOuvERtE D’ISRAël. à lA fAçOn « OR nORmE » : SAnS œIllèRES, l’ESPRIt lE mOInS PERtuRbé POSSIblE PAR tOut cE quI S’écRIt Ou SE DIt SuR cEttE RéGIOn jAmAIS vRAImEnt cAlmE Et SuR cE PAyS quI nE RESSEmblE à Aucun AutRE, hIStOIRE Et GéOGRAPhIE OblIGEnt… Et nOuS En SOmmES REvEnuS ImPRESSIOnnéS, éblOuIS, PERPlExES quElquEfOIS, Et… AmOuREux DE cES cOmmunAutéS humAInES quI vIvEnt EnSEmblE DAnS un DES EnDROItS lES PluS… hORS nORmES DE lA PlAnètE.
3h30 de vol et l’Airbus d’Air France a entamé sa descente vers Ben Gourion, l’aéroport de Tel-Aviv. Sous les ailes, le bleu profond de la Méditerranée et les éclats de soleil qui scintillent déjà sur l’écume des milliers de vagues, à perte de vue… Dans les haut-parleurs de la cabine, ce message : « Nous venons d’entrer dans l’espace aérien d’Israël. Les passagers sont informés qu’à compter de maintenant, ils doivent rejoindre leur siège et ne plus circuler dans l’avion, en raison des dispositions particulières de la loi israélienne »… Les mots sont inhabituels et ils questionnent. Ce ne sera pas la seule surprise de ce voyage dans un pays fascinant où l’on mesure à chaque heure de chaque jour, la complexité de l’âme humaine… En foulant pour la toute première fois le sol d’Israël, on ne peut s’empêcher de penser que l’histoire est ici chez elle. Cette terre est celle du judaïsme, de l’islam et de la chrétienté qui cohabitent au sein d’un « mille-feuille » religieux sans aucun équivalent sur la planète. Des Nabatéens à l’aube des temps jusqu’aux Anglais, en passant par les égyptiens, les Babyloniens, les Perses, les Grecs, les Romains, les Croisés, les Arabes et les Mamelouks, la Palestine est un concentré d’histoire unique au monde. Cette terre magnétise bien sûr les croyants des trois religions monothéistes, le judaïsme, l’islam et la chrétienté mais elle fascine également tous ceux, athées et agnostiques compris, qui savent que la religion a ciselé l’humanité et ne peut être ignorée par qui est passionné par l’Homme. Pour cette découverte Or Norme, nous avons longuement préparé notre séjour là-bas en nous appuyant sur deux parti pris sans aucun compromis : avoir l’esprit le plus libre possible vis à vis des « informations » qui nous parviennent habituellement sur Israël et, ceci étant la conséquence de cela, rencontrer ces êtres humains si différents mais si proches qui vivent au quotidien sur ce petit morceau de terre où se concentrent toutes les passions humaines, les pires comme les plus belles.
nOtRE PORtE D’EntRéE : un cOuPlE lumInEux…
DR
Il est des destins qui transcendent ceux qui les vivent… André Chouraqui naît en Algérie en 1917 (un jour de shabbat, à midi), durant la première guerre mondiale. Il grandit dans la petite ville d’AïnTémouchent, à 70 km au sud-ouest d’Oran. à cette époque, trois communautés vivent l’une à côté de l’autre : les Juifs, les Musulmans et les Chrétiens, ces derniers venus de France et qui gouvernent l’Algérie. Dans son livre « L’amour fort comme la mort » (toutes les citations que vous lirez dans les pages qui suivent en sont extraites) André Chouraqui, élevé selon les préceptes de la religion juive, décrit ces êtres qui se frôlent sans vraiment vivre ensemble : « L’Arabe était la langue de mes grands-parents et de mes parents – comme de tous mes ancêtres depuis des siècles. Nous étions parfaitement insérés dans ce milieu musulman dont nous faisions partie intégrante en tant que fils d’Israël. (…) Mon grand-père, mon père, mes oncles étaient en constant rapport avec les Arabes du pays. Affaires et amitiés les réunissaient dans les fermes et les marchés où s’écoulait le plus clair de leurs vies. (…) Les Arabes habitaient trop loin pour que nous nous associions à leurs jeux, mais nous partagions souvent ceux de nos petits voisins chrétiens, dans notre rue ou à l’école. »
Naissance d’une conscience universelle ? Sans aucun doute, comme la suite de sa vie le prouvera… à l’âge de 7 ans, André Chouraqui est victime de la poliomyélite, une maladie à l’époque très souvent mortelle. Il en réchappe cependant, grâce à sa famille qui se mobilise. « Ma jambe était amaigrie, ma cheville était folle, mon mollet avait à peu près disparu, mon genou était sans force, ma hanche si affaiblie qu’elle ne réussissait plus à maintenir l’équilibre de mon torse. Mais à la rentrée des classes, un an après, je ne sais par quel miracle, je tenais sur mes jambes. (…) Ma claudication était forte, mais je pouvais me déplacer à mon gré, sans avoir besoin d’aucune aide extérieure. Je cessais d’être un infirme, un paralytique pour devenir un handicapé : les portes de la vie pouvaient s’ouvrir devant moi. » De fait, les portes de la vie vont s’ouvrir. Béantes…
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De belles études, sanctionnées par le bac de philo puis une licence de droit à l’université de Paris. Inscrit au barreau d’Oran, le jeune avocat en est chassé en 1940 par les lois raciales du régime de Vichy. Réfugié en France, à Clermont-Ferrand, André Chouraqui, en compagnie de son
épouse Colette, rejoint les maquis de la Haute-Loire où il coordonne les actions de l’OSE, une œuvre clandestine qui vient au secours des enfants juifs traqués par les nazis. à la fin de la guerre, épuisé et gravement malade, André Chouraqui rentre en Algérie où il devient juge de paix. En 1947, il fait une rencontre déterminante avec René Cassin, président du Conseil d’état et de l’Alliance Israélite universelle qui l’engage en tant que secrétaire général adjoint. Ce sera le début d’innombrables voyages de par le monde, pour des tournées de conférences ou d’inspection des écoles de l’Alliance. Il fera notamment partie de la délégation du Conseil consultatif des organisations juives auprès de l’Assemblée générale des Nations unies qui travaille sur la rédaction de la Déclaration des droits de l’homme. Interviews, conférences sur tous les continents (80 pays seront ainsi visités), rédaction de livres et d’articles se succèdent sans trêve… En 1956, André Chouraqui est reçu en audience privée par le pape Pie XII. Il évoque avec lui les relations entre l’église, le monde juif et Israël. Se dessine alors le début d’une relation plus apaisée entre les deux religions… Cette même année 1956, d’août à novembre, il est invité une nouvelle fois en Israël par le gouvernement. Durant ce séjour, il décide de s’installer définitivement à Jérusalem. Ce sera chose faite deux ans plus tard, après son mariage avec Annette Lévy, de mère haguenauvienne, (voir encadré), son exépouse Colette ayant décidé de revenir à sa foi chrétienne et de vivre à l’ombre de la communauté des Petites Sœurs de Jésus. Pendant plus de quarante ans, elle continuera de correspondre avec André. Et le jour de sa mort, en 1981, c’est dans les bras d’André qu’elle rendra son dernier soupir… Le couple Annette et André vit une lumineuse histoire d’amour : cinq enfants naîtront et ils continueront de parcourir le monde entier, main dans la main.
Fin 1959, André Chouraqui devient le conseiller du leader sioniste historique David Ben Gourion pour la fusion des communautés. Son salaire : une livre symbolique… à la présidence du Conseil, il fait adopter un programme de gouvernement qui va modifier fortement les tendances alors dominantes, notamment en matière d’intégration des émigrants et d’éducation, secteur dont le budget se verra doublé. Il est élu au Comité central du Parti travailliste, membre de plusieurs comités de gouvernement et de l’Agence juive, délégué et membre du tribunal arbitral de l’Organisation sioniste mondiale. Les années qui suivront seront intenses : il poursuivra avec constance la rédaction de ses ouvrages, recevra notamment la Légion d’honneur pour son œuvre d’écrivain et ses actes de résistant sur proposition d’André Malraux, ministre de la Culture du général de Gaulle. Au départ du gouvernement de Ben Gourion en 1964, il démissionnera de son poste de conseiller. En revanche, il acceptera le poste de numéro deux sur la liste de Teddy Kolek pour les élections municipales de Jérusalem dont il deviendra le vice maire. André Chouraqui n’aura de cesse de rapprocher les deux religions chrétienne et juive, multipliant les rencontres et les audiences au Vatican. En 1971, il publie « Lettre à un ami chrétien ». L’ouvrage aura un formidable retentissement.
l’écRItuRE DES écRItuRES* En 1970, André Chouraqui entreprend la traduction de la Bible, au cœur de sa retraite à l’abbaye cistercienne de Latroun. Publié en 1974, son premier volume aura une audience mondiale et sera épuisé en quelques semaines… Dix autres volumes suivront cette même année tandis que ses autres ouvrages sont désormais traduits en quinze langues, y compris le japonais, le catalan et le braille. Les vingt-six volumes de la Bible hébraïque et du Nouveau Testament achèveront de paraître au tout début 1977. Cette même année, il est invité au Maroc par le roi Hassan II. Il s’y rend avec Annette du 4 au 13 mars. Son entretien avec le roi est déterminant : Hassan II amorce ensuite le processus de paix entre Israël et les Arabes qui aboutira, le 19 novembre suivant, au voyage de Sadate, le président égyptien, à Jérusalem et au traité de Camp David. Entre-temps, reçu au Vatican par le pape Paul VI à qui il remet les 26 volumes de sa traduction de la Bible, il sollicite l’appui du souverain pontife et le met au courant des efforts que les diplomates déploient en égypte, au Maroc, aux états-unis et en Israël en vue de la paix. Le 12 mars 1979, il renouvellera la même démarche avec Jean-Paul II qui publiera une première déclaration sur les relations de l’église avec le monde juif. Les années 80 verront plusieurs rencontres importantes avec des dirigeants français : François Mitterrand à l’Elysée puis à Jérusalem, Valéry Giscard d’Estaing, Mme Pompidou, Laurent Fabius à Tel-Aviv, Raymond Barre… En 1984, André Chouraqui entreprend sa traduction du Coran mais poursuit ses conférences et rencontres dans le monde entier, en compagnie d’Annette. En trois années, la traduction et le commentaire du Coran sont achevés après avoir été révisés par une commission pluridisciplinaire et multiconfessionnelle. Les traductions des trois écritures auront un retentissement mondial, consacrant l’œuvre globale d’André Chouraqui qui participera notamment le 17 janvier 1989 à une nouvelle rencontre israélo-palestinienne à Strasbourg, sous l’égide du Conseil de l’Europe.
Jusqu’à sa mort le 9 juillet 2007 à Jérusalem, André Chouraqui aura donc labouré le terrain du rapprochement entre juifs, musulmans et chrétiens. Son autobiographie « L’amour fort comme la mort » (Editions Robert Laffont) permet de découvrir ou redécouvrir cet homme de lumière qui, s’il fut historien, bibliste et même contemplatif, fut surtout un homme d’action doublé d’un très grand œcuméniste. Il suffit de passer quelques heures dans son bureau pour comprendre la grande aventure humaine vécue par André Chouraqui : la grande baie vitrée donne sur les murailles de la vieille ville de Jérusalem, l’hébraïque, la chrétienne et l’islamique qui brille sous le soleil…
* Ce terme est aussi le titre du très beau film réalisé par Emmanuel Chouraqui sur la vie de son père.
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LISEz CES QuELQuES LIGNES QuI OuVRENT SON AuTOBIOGRAPHIE : « Toute vie commence au seuil d’une tombe. Ma tombe, je l’espère, se situera sur le mont des Oliviers, non loin de la maison que j’habite de l’autre côté de la vallée de la Géhenne. Ce mont est habité depuis des millénaires par des myriades d’habitants de Jérusalem qui ont, eux aussi, pris le parti des pierres. Là, se sont-ils enfin réconciliés ? Ils sont silencieux, mais non muets : leurs tombes, dans la sobriété des rocs, parlent. Seront-elles un jour ombragées par la forêt d’oliviers qui les recouvrait jadis ? Pour l’instant, le soleil y déverse ses feux, donnant aux rochers, avec leurs couleurs changeantes, leur flamboyante chaleur. Les squelettes qu’ils cachent appartiennent à plus de prophètes et d’apôtres que n’en comptent les écritures. Leurs voisins acceptent-ils enfin de les écouter sous terre comme au ciel ? Le lieu est paisible. Il surplombe la vallée du Cédron où, selon les certitudes locales, les morts du monde entier se réuniront à l’heure toujours prochaine de leur résurrection. Maintes tombes l’affirment : ceux qui y reposent n’en sont que de très provisoires locataires. Leurs squelettes se revêtiront de muscles et de chairs. (…) un monde nouveau, des ciels neufs, une terre et un homme aussi différents de nous que l’est le jour de la nuit répondront à l’appel du Créateur. Quand nous nous réveillerons, nous les découvrirons de nos yeux émerveillés. Notre nuit souterraine nous semblera n’avoir duré qu’un jour ou qu’une heure… en cela, Muhammad –dans son Coran– est bien d’accord avec les rabbis d’Israël comme avec les porte-parole du Christ… ».
l’Esprit d’André chouraqui Le corps d’André Chouraqui est enterré sur le Mont des Oliviers, face à la Jérusalem terrestre et « en face de chez lui » comme il le disait lui-même avec humour quand on l’interrogeait sur son souhait d’être inhumé en ce lieu biblique. Depuis le 9 juillet 2007 il repose où il le désirait ; sur sa pierre tombale, selon sa volonté, on peut lire : Nathan André Chouraqui… « Mort de joie ». Israël est le pays des miracles et Jérusalem en est le centre : ainsi nous pouvons témoigner que si André Chouraqui a bien quitté son enveloppe terrestre, son esprit plane toujours audessus des toits de la vieille ville, et surtout, dans le cœur des femmes et des hommes que nous y avons rencontrés. Chouraqui, homme de trois mondes, de trois cultures, des trois Livres (ses traductions de la Bible, des Évangiles et du Coran sont devenues des références), œuvra toute sa vie au dialogue entre les frères humains que nous sommes ; il écrivit ses fameuses Lettres à un ami arabe et à un ami chrétien, et proclama « l’Amour fort comme la Mort ». Cet homme donc, avant de partir pour la Jérusalem céleste, a légué son esprit au cœur de la ville, afin que d’autres puissent y puiser de quoi renforcer leur authenticité et l’amour qu’ils donnent autour d’eux. Ce legs d’une valeur inestimable est géré et bonifié par deux « gardiennes du Temple » ô combien légitimes dans cette tâche. Ainsi, Annette Chouraqui, qui partagea la vie d’André durant plus de cinquante ans, ne se contente pas d’être la digne dépositaire de l’esprit de son mari. Cette femme, pleine d’humilité et de douce intelligence, dont la beauté intérieure se voit à l’extérieur, fut notre « bonne fée », et nous montra le chemin vers les « belles personnes » rencontrées au cours de cette semaine israélienne et que vous allez découvrir dans ces pages. Ces hommes et ces femmes sont Israéliens, Palestiniens, Arabes, Bédouins, Musulmans, Chrétiens, Juifs…que sais-je encore ! Ils sont les témoins de ce qu’une fraternité humaine est possible, dans le pays même que les médias nous décrivent, à longueur d’année, comme celui du conflit permanent. Ainsi encore Élisabeth Chouraqui-Chemla, fille aînée d’André et Annette, qui dirige l’association Misholim, qui accompagne par l’art-thérapie des enfants et des jeunes ayant des problèmes graves de communication avec les autres. Cette association travaille aussi bien à Jérusalem-ouest qu’à Jérusalem-est où elle a établi une antenne ; les enfants y sont juifs et arabes, ainsi que les éducateurs et les thérapeutes. en plantant son regard intense et bienveillant, hérité de son père, dans le nôtre, elle nous explique ce que nous découvrirons tout au long de nos rencontres : les hommes et les femmes de ce pays vivent ensemble, travaillent ensemble, souffrent ensemble et aspirent à vivre en paix. Alors, puisse, dans des temps très prochains, l’esprit d’André Chouraqui toucher également les responsables politiques israéliens et palestiniens afin qu’ils offrent à leurs peuples les conditions qui permettront de supprimer définitivement de leurs têtes et de leur Terre, les murs qu’ils y ont érigés. PATRICK ADLER
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ce sont les idéaux d’André qui m’ont poussée dans ses bras ! annette Chouraqui, 78 ans (mais elle en paraît facilement dix de moins) vit toujours dans sa maison de la rue aïn roguel. elle nous parle de sa rencontre avec l’homme qui a bouleversé sa vie… Or Norme : Comment avez-vous fait la connaissance d’André ? Annette Chouraqui : - « Tout simplement en assistant à plusieurs conférences qu’il a données à la synagogue de la rue Copernic à Paris mais aussi - en Sorbonne. Je peux avouer que j’ai été subjuguée par son charisme exceptionnel. J’ai fait mon premier voyage en Israël en 1953, j’avais dix-neuf ans et Israël était créé depuis huit ans. Ce voyage avait été organisé par un mouvement de jeunesse. C’était exaltant… Comme au Far West, on était des pionniers. On parcourait le pays dans un bus avec un guide armé d’une mitraillette. J’ai passé huit jours dans un kibboutz occupée à la cueillette des fruits, c’était étonnant. Tous ensemble, on voulait inventer une nouvelle société, plus égalitaire, avec une échelle de salaires plus réduite. Oui, c’était incroyablement exaltant !
ran en 1991. Bien sûr, il n’a jamais cessé pendant ce temps ses nombreux voyages de par le monde. Mais quand il était à son bureau, attelé à son œuvre, c’était beaucoup d’heures assis sur son derrière (rires) dès 5h du matin, chaque jour. Au départ, après avoir traduit une œuvre d’un penseur mystique juif du XIe siècle, il avait réalisé que beaucoup de citations de la Bible n’étaient pas traduites exactement. Alors, il a débuté cette traduction, puis celle du Nouveau Testament et enfin celle du Coran. Il voulait démontrer la continuité des écritures. Ce fut une œuvre gigantesque, en effet…
O.N : Vous vous êtes mariés cinq ans plus tard. À Jérusalem… A.C : L’année précédente, nous avions fait là-bas notre premier voyage ensemble. La vie en Israël n’avait évidemment rien à voir avec ce que nous connaissons aujourd’hui. Il y avait des restrictions de toutes sortes, du marché noir et des conflits entre les Juifs de l’est de l’Europe et ceux de l’Afrique du nord. Les russo-polonais ne nous reconnaissaient pas, les heurts étaient fréquents au gouvernement… Pour André et donc pour moi-même, tout s’est accéléré après les émeutes de Haïfa. Le journal Le Monde lui a commandé un important article sur ces événements. Ben Gourion l’a lu et a convoqué André pour lui proposer de devenir son conseiller pour l’intégration. André a accepté à condition de ne percevoir qu’une livre symbolique par an pour ce travail. Il voulait garder sa liberté de penser et d’agir. une des choses qui m’a le plus fascinée chez André, c’est sa liberté de langage. Avec lui, c’était vraiment zéro langue de bois et je crois bien que c’est cette qualité qu’avait remarquée René Cassin quand il l’avait embauché auprès de lui à l’Alliance Israélite universelle.
O.N : Et vous y avez participé. Dans son autobiographie, votre mari vous rend hommage : il révèle que vous avez relu tous ses manuscrits, page après page. Il dit que vous avez révisé mot par mot, sur l’hébreu, quelques vingt millions de caractères. Et qu’à ce jour, on n’y a relevé que deux coquilles! C’était donc une superbe aventure commune… A.C : Oui, cela nous a pris beaucoup de temps. Et nos vacances, on les passait dans tous les pays du monde où il donnait ses conférences. Nous partagions les mêmes idéaux qui m’avaient poussée dans ses bras après notre rencontre. André a eu jusqu’à la fin de sa vie une énergie et un charisme vraiment incroyables. En 1996, il a fait un accident vasculaire cérébral alors qu’il séjournait à Paris. Moi, j’étais à Jérusalem… Il en a perdu la parole. Mais il s’est rééduqué à la parole, à l’écriture et à la marche aussi. Il s’est battu comme un lion pour retrouver ses facultés d’expression. Je crois que de son premier à son dernier jour, André est toujours allé au bout de ses passions… »
O.N : Comment était la vie quotidienne, aux côtés d’une telle personnalité ? A.C : Oh ! moi je m’occupais de mes enfants et de l’intendance de la maison. Et j’assurais les nombreuses réceptions que nous donnions à l’époque où il est devenu vice-maire de Jérusalem… O.N : Excusez-nous mais vous êtes bien trop modeste. Vous avez fait beaucoup plus que ça… A.C : C’est vrai que nous avons beaucoup voyagé ensemble. Nous partagions vraiment cette forme de militantisme qu’est le rapprochement entre les religions. André et moi, nous étions en totale harmonie…
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O.N : Plus tard, il a entrepris la traduction de la Bible, du Nouveau testament et celle du Coran, ce qui l’a vraiment fait connaître au monde entier. Ce fut un travail gigantesque dont on peine aujourd’hui à mesurer vraiment l’ampleur… A.C : Ce travail lui a pris une vingtaine d’années du début de sa traduction de la Bible en 1970 jusqu’à la parution de sa traduction du Co-
Ici, une synagogue. là, une église. Plus loin, une mosquée… jérusalem la Sainte est un véritable mille-feuille de religions, campée au beau milieu de la sécheresse de la judée. Sa découverte fascine, intrigue et séduit. car c’est ici que se côtoient juifs, musulmans et chrétiens qui savent tous que ces lieux sont le berceau de leur foi. les pages qui suivent parlent d’une ville unique au monde…
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Le mur des lamentations.
Porter pour la première fois son regard sur Jérusalem du haut du Mont des Oliviers… Ce matin de janvier dernier est calme et lumineux. un vent froid et sec balaie le ciel de la cité sainte. Porter pour la première fois son regard sur Jérusalem, c’est aussi tenter vainement de ne pas laisser le flot des connaissances historiques envahir tout l’esprit. Nous sommes venus en Israël pour découvrir ce petit pays si particulier et, surtout, pour côtoyer de près celles et ceux qui y vivent ensemble, dans un équilibre souvent si précaire et dangereux qu’il peut à tout instant se rompre. Mais ils y vivent, ensemble… Alors, ce matin-là, du haut du Mont des Oliviers, nos yeux se sont perdus sur cette ville magnétique. Peu à peu, les paroles de notre guide, Ariel, ont fini par se diluer dans l’air sec, avant de devenir peu à peu inaudibles pour quelques minutes. Et nous avons fini par voir ce qui a construit, depuis des millénaires, la ville sainte de Jérusalem.
lE ROmAn DE jéRuSAlEm
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Il y a quatre mille ans, à l’aube des temps humains, Jérusalem n’était qu’un petit village sur le Mont Moriah, là où l’ancien Testament raconte qu’Abraham aurait conduit son fils Isaac pour le sacrifier. Ce sont les Jésubéens, il y a 3800 ans, qui fortifièrent la ville pour la protéger des convoitises. Début d’une longue histoire de tensions et d’événements tragiques (Jérusalem fut conquise et reconquise dix-huit fois !). Treize siècles avant notre ère apparaissent les tout premiers Israélites. Les archéologues en attestent formellement : aucune trace d’élevage de porc, facilement repérable, n’a jamais été retrouvée. Les Israélites étaient
alors les seuls, en Palestine, à ne pas consommer cet animal… Vers 1004 avant Jésus-Christ, Jérusalem est prise par le roi David et devient ainsi la capitale politique et religieuse du Royaume d’Israël. C’est le fils de David, Salomon, qui fit construire le premier Temple de Jérusalem. La ville ne comptait alors que quelques centaines d’habitants, vivant modestement des maigres ressources de l’agriculture. Mais une dynastie royale venait de naître… C’est à partir de l’époque du Royaume de Juda, neuf siècles avant notre ère, que les écritures bibliques se mettent en correspondance avec les preuves archéologiques relevées sur le terrain. Il n’en était pas de même auparavant où les évocations concernant Abraham, Moïse et l’exode, voire même le royaume de Salomon, ne peuvent qu’être retrouvées via les recherches archéologiques. L’histoire réelle du Royaume d’Israël conservera sans doute à jamais tous ses mystères…
Plus tard, au gré des guerres et des conquêtes, Jérusalem sera babylonienne, perse, grecque, hasmonéenne et romaine. Pompée et surtout Hérode ont marqué cette période, ce dernier ayant rénové le Temple en doublant la superficie de son esplanade. On en voit encore aujourd’hui les traces grâce aux vestiges du mur occidental. En l’an 33 de notre ère, un certain Jésus de Nazareth est condamné à mort à Jérusalem et crucifié sur une colline proche de la cité, le Golgotha… Trente ans plus tard, les Juifs se révoltent. En l’espace de trois ans, Jérusalem se retrouve quasiment entièrement détruite par les Romains. S’en suit un exil de plus pour le peuple juif… Les siècles qui suivront verront de nombreux massacres : les chrétiens sont pratiquement tous décimés en deux décennies, à l’aube du VIIème siècle. Après un siège de deux ans, Jérusalem est conquise par les Arabes en 638. Les musulmans érigent, en une vingtaine d’années, le Dôme du Rocher et la Mosquée Al-Aqsa. Mais, sagement, Harun alRashid garantit à Charlemagne la protection des lieux saints. De nombreux pélerins affluent alors à Jérusalem. Il faudra de nombreux massacres générés par les Ottomans à l’aube du deuxième millénaire pour que l’occident se lance dans trois croisades successives. à l’issue de la première, les juifs retrouvent droit de cité. La deuxième croisade aboutit à une cohabitation grâce à l’intelligence du sultan Saladin qui rend à l’islam la mosquée Al-Aqsa, garantit l’accès du Saint-Sépulcre aux chrétiens et restitue aux juifs le Mur des Lamentations et leurs synagogues, qui avaient été interdites par les Croisés. à la fin de la troisième croisade, le même Saladin et Richard Cœur de Lion signent un traité en 1192 : Jérusalem reste musulmane mais est ouverte aux pèlerins chrétiens. Après quatre siècles de domination ottomane, Jérusalem est placée sous mandant britannique à partir de 1917. une période très instable s’en suit, juifs et musulmans se disputant le territoire après que nombre de réfugiés juifs, originaires de l’Europe centrale, se soient installés à Jérusalem. Le tournant se situera à l’issue de la Seconde Guerre mondiale. En 1948, durant l’après-midi du 14 mai, le vieux leader sioniste David Ben Gourion proclame l’indépendance de l’état d’Israël. Le lendemain, les Britanniques se retirent. Les Israéliens et les Arabes s’entretuent pour la possession de la ville. Deux semaines plus tard, la Légion arabe impose aux Israéliens l’évacuation de la vieille ville. Il faudra attendre le 7 janvier 1949 (après des centaines de victimes) pour que l’ONu ordonne la fin des combats. C’est le partage de Jérusalem. La partie ouest est contrôlée par les Israéliens, la partie orientale (qui inclut tous les lieux saints) par la Jordanie. Le tout séparé par un no man’s land meurtrier dont Jérusalem conserve encore les traces à ce jour. Toutes les synagogues et de très nombreuses églises sont alors saccagées par les Arabes. En 1967 éclate la Guerre des Six Jours. La victoire éclair d’Israël fige à la fois les frontières de l’état que l’on constate aujourd’hui et permet à l’état hébreu de contrôler l’ensemble de Jérusalem. L’accès aux lieux saints des chrétiens et des musulmans est garanti mais Jérusalem est proclamée « capitale éternelle et indivisible de l’Etat d’Israël ». L’annexion de certains territoires palestiniens suivra en deux grandes vagues, en 1982 puis en 1993. Dans les dernières années, des implantations juives à l’Est de Jérusalem seront de plus en plus tolérées par le gouvernement israélien (certains disent suscitées…). ultime avatar du destin tragique de cette terre à la fois sainte et de tout temps meurtrie, ce mur (« la barrière de sécurité », terme officiel) qui zèbre aujourd’hui les environs de Jérusalem, séparant les quartiers arabes des quartiers juifs, censé empêcher attentats et violences. une balafre de plus pour cette terre inondée de soleil, riche de tant d’histoire et de spiritualité avec deux peuples dont l’immense majorité ne souhaite qu’une chose : de son vivant, fêter l’arrivée de la paix…
Quand, du haut du mont des Oliviers, nous avons découvert Jérusalem dans ce froid mais lumineux matin de janvier dernier, nous n’avons pu nous empêcher de nous remémorer tous ces événements, dont les plus anciens remontent aux origines de l’humanité. Mais nous savions également qu’Israël ne se résume pas aux tensions qui l’agitent périodiquement. Sous nos yeux, ce matin-là, les toits et les rues de Jérusalem ; quelques kilomètres à peine derrière nous, les check-points sur l’autoroute qui traverse les territoires palestiniens ; plus au nord, Tel-Aviv, Haïfa… ; plus loin encore, les côtes jordaniennes que l’on croirait pouvoir toucher du doigt du bord de la Mer Morte ; l’étrange magnétisme de la forteresse de Massada… Tout autour, Israël…, miracle d’un pays construit de toutes pièces sur la rocaille du désert. Enfin, partout, des femmes, des hommes et des enfants qui se côtoient tous sur le même territoire et qui n’aspirent qu’à y vivre en paix. Nous sommes alors partis à leur rencontre…
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La mosaïque de JérusaleM
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la vieille ville de jérusalem est moins vaste que la Place de la concorde à Paris ! Et pourtant, on pourrait facilement se perdre dans cette mosaïque de religions, de peuples et de vestiges hors du temps. Aperçu du dédale…
C’est une expérience unique, Jérusalem la Sainte s’aborde par l’une de ses sept portes ancestrales et, immédiatement, la vieille ville vous happe. Et tout vous interpelle brusquement… Ce dédale de rues et de quartiers paraît inextricable mais très vite, on ne craint plus de s’y perdre totalement. Les repères correspondent à ce mille-feuille de religions qui se dévoile en permanence sous nos yeux : les dômes des trois religions monothéistes nous resituent sans cesse sur la carte de la vieille ville.
DES quARtIERS quI vIbREnt à l’intérieur des remparts construits par Soliman le Magnifique, au milieu du XVIe siècle, quatre quartiers qu’on aborde chacun leur tour, presque sans s’en rendre compte. Le Dôme du Rocher, sur l’esplanade des Mosquées, est l’épicentre du quartier musulman. Son toit doré scintille sous le soleil d’Israël. C’est au détour d’une petite porte du quartier juif, dans le prolongement du Mur des Lamentations, qu’il se découvre de la façon la plus surprenante. Car on n’a pas le droit de la traverser, un vigile la surveillant jour et nuit. Mystère du découpage de cet entrelacis de ruelles, et surtout, accords internationaux obligent… Tout juste une photo est-elle permise… Le Dôme du Rocher abrite le rocher où Abraham a sacrifié son fils, d’après le Livre reconnu par les trois religions. Plus loin, via le Chemin de Croix (la Via Dolorosa), c’est le quartier chrétien, dominé par le dôme de la basilique du Saint-Sépulcre. Là se trouvent les sites de la religion chrétienne, ceux qui situent la sépulture du Christ et sa résurrection. De longues files de pèlerins (et de touristes de toutes religions) s’y pressent tous les jours de l’année… Plus bas, mais à deux pas, le Mur des Lamentations se dresse là où bat le cœur du quartier juif. Il s’agit d’un vestige du second temple achevé par l’empereur romain Hérode, en 515 avant Jésus-Christ. Le Mur des Lamentations se prolonge sur sa gauche par une zone de prières aux voûtes fraîches et accueillantes, rendez-vous des ultra-orthodoxes juifs qui passent là des heures à prier, selon la tradition juive. Plus à gauche encore, moins connu, le petit Mur, autre zone de prières ferventes mais beaucoup moins fréquentée.
Le quatrième quartier de Jérusalem est, de loin, le moins connu. Il s’agit du quartier arménien, quasiment une petite ville dans la vieille ville, cachée par les murs du couvent, avec sa vaste cour qui tranche avec les ruelles environnantes. Difficile de décrire exhaustivement ces venelles qui serpentent à travers souks et marchés et qui convergent toutes vers des lieux saints parmi les plus vénérés de l’histoire humaine. L’ambiance est elle aussi un curieux mélange de ville moyen-orientale classique, avec ses couleurs, ses odeurs et ses marchands, et d’innombrables lieux de culte et de piété. Cette ferveur religieuse se manifeste à tout moment : là, une petite chapelle qui correspond à chacune des stations du Chemin de Croix, plus loin une procession de mystiques venus du monde entier pour vivre leur foi à Jérusalem, ailleurs encore les misérables bâtisses occupées par les premiers « falashas », les juifs noirs rapatriés d’éthiopie… C’est la vieille ville de Jérusalem, mystique, inspirée, vibrante de foi, née de trois religions il y a trois mille ans et qui, étrange et complexe, ne cesse de fasciner le monde entier, athées ou agnostiques compris.
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Ils vivent à Jérusalem
Forsan hussein Il symbolise la voie à suivre
Parmi toutes celles et tous ceux que nous avons rencontrés, le directeur de l’Auberge de Jeunesse YMCA de Jérusalem est sans doute celui qui, à lui seul, représente la voie de l’espoir d’une paix prochaine. Rencontre avec un véritable symbole. L’abord est d’un sympathique tout… américain. « Take a seat, gentlemen… » L’accent est parfait, la poignée de mains franche, le look « trendy », et les yeux noirs vous scrutent avec une empathie non feinte. L’ordinateur, connecté au wifi, n’est jamais très loin… Nous sommes dans le bureau de Forsan Hussein, 35 ans, le directeur de la principale auberge de jeunesse de Jérusalem, le YMCA (Young Men Christian Organisation). Immédiatement, en réponse à nos premières questions, on sent l’homme habité, convaincu par son job (sa mission ?) et avide de communiquer le sens de son existence.
un PARcOuRS IncROyAblE « Je suis né en 1977 dans un minuscule village tout au nord d’Israël. Je suis palestinien et musulman, comme pratiquement tous les enfants de cet endroit. Au village, il y avait aussi quelques chrétiens et une seule famille juive. Mon arrière-grand-père était le maire de ce village mais il avait dû se réfugier au Liban. à son retour, il était seul, sa famille était restée là-bas. Heureusement, notre village n’avait pas été détruit par la guerre mais, de 1949 à 1956, la loi militaire israélienne s’y était appliquée : check-points, plus de maisons et de biens, tout avait été confisqué au profit du kibboutz. J’ai donc grandi avec cette histoire. Je regardais la télévision jordanienne et syrienne et mes pensées envers les juifs étaient très négatives, j’avais une mauvaise image d’eux… »
Je me rappelle encore la peur que j’avais à la simple idée de rencontrer pour la première fois un juif.
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En 1988, Forsan Hussein, onze ans, va vivre un événement qui va définitivement bouleverser l’ordre naturel des choses : « Avec quelques élèves et un prof, palestinien bien sûr, nous sommes allés à la rencontre d’une communauté juive qui vivait à une vingtaine de minutes de marche de notre village. Je me rappelle encore la peur que j’avais à la simple idée de rencontrer pour la première fois un juif. Je pensais en moi-même que j’allais découvrir un ennemi, armé jusqu’aux dents…
Au lieu de ça, nous avons rencontré un homme qui avait dans les mains un panier rempli de chocolats. Ils étaient pour nous… Sur la tête, il avait une kippa, pas un casque. Et sa barbe était la même que la barbe de mon grand-père… J’étais troublé : pas d’arme, aucune agressivité, seulement de l’humanité et de la gentillesse. La vision de cet homme a changé ma vie. Quelques semaines plus tard, je plantais des arbres et je jouais au foot avec de jeunes juifs. On ne parlait pas la même langue mais on communiquait quand même, avec des gestes… un an plus tard, je faisais partie de la première organisation de coexistence entre de jeunes palestiniens et juifs et je n’ai alors pas cessé d’évoluer dans l’environnement de la paix. J’ai même dirigé, un peu plus tard, un camp de la paix. En 1997, j’avais à peine dix-neuf ans, le gouvernement israélien a accordé une bourse d’études supérieures à un israélien juif et un israélien arabe de mon village. J’ai été choisi et suis immédiatement parti aux Etats-unis, à l’université de Brandeis. Je ne parlais pas anglais, je l’ai appris là-bas grâce à l’aide de Harry Rhodes et Debra Momis, deux juifs américains. En 2000, je suis devenu le seul arabe diplômé en économie de Brandeis. Ce furent de très belles années, j’ai beaucoup appris. Arabes et Juifs, nous avons créé une radio ensemble et animé des groupes de dialogues entre
Au pied de l’entrée du YMCA de Jérusalem, cette phrase qui dit tout : « Ici se situe un endroit dédié à la paix, où les rivalités politiques et religieuses peuvent être oubliées et où l’entente internationale peut être enracinée et développée… »
les deux communautés, aux uSA et au Canada. à New-York, j’ai intégré les rangs d’Abraham Ford, une association de coexistence entre Arabes et Juifs. De 2003 à 2005, j’ai obtenu un Master en relations internationales. Puis j’ai intégré les rangs d’Harvard, d’où je suis sorti en 2007 avec un MBA (Master of Business Administration). J’ai bien sûr été sollicité par nombre d’organismes financiers américains mais mon but était de revenir en Israël pour travailler dans la finance. Pas n’importe quel job : j’étais convaincu que de nouvelles règles financières et économiques pouvaient contribuer à construire la paix et de meilleures relations entre les deux peuples palestinien et israélien. Mon idée était de créer un Private Equity Found (un fond éthique privé – ndlr) consacré à ces objectifs mais, à mon retour, en 2009, la crise financière venait d’éclater. J’ai vite compris qu’il fallait m’y prendre autrement… »
S’y PREnDRE AutREmEnt Pour Forsan Hussein, le poste de directeur du YMCA de Jérusalem était la rampe de lancement idéale. Il devint ainsi le premier musulman directeur d’un YMCA dans les 138 pays qui accueillent ces auberges de jeunesse (d’origine chrétiennes, faut-il le préciser) dans le monde… à Jérusalem, le YMCA dirigé par Forsan Hussein est incontournable. Sa situation d’abord : face à l’un des plus prestigieux hôtels de la ville, le King David. un peu comme si, à Paris, la principale auberge de jeunesse se situait en face du George V, à deux pas des Champs-Elysées. Vous imaginez cela ?.. Son architecture, ensuite : les deux ailes de la façade se rejoignent pour être dominées par une tour effilée de plus de 30 mètres, du haut de laquelle on découvre une vue fabuleuse sur la vieille ville. Ses équipements, enfin. un restaurant, fort correct ma foi, une réception digne des plus grands palaces et trois étages dédiés à l’hébergement, où toutes les nationalités et les religions se côtoient. Plus loin, une piscine mais aussi une salle de spectacle. Son aspect est certes un tantinet défraîchi mais, sur sa scène, les plus grands artistes mondiaux ont joué et joueront encore… L’outil parfait pour Forsan Hussein qui y déploie une activité qui fait l’admiration de toute la ville… Et qui ne regrette pas une seconde d’avoir abandonné ses projets financiers…
lA PAIx, cOmmE unE ObSESSIOn Dans son bureau niché au deuxième étage du YMCA, les mots prononcés par ce jeune homme pénétré par sa mission ont éclairé d’un jour nouveau notre perception de la réalité israélienne d’aujourd’hui : « La paix est
obligatoire, je répète : obligatoire. Aucune autre option n’est possible. Les juifs ont le droit légitime de vivre ici, les palestiniens également. Il y a deux façons possibles de parvenir à la paix entre ces deux peuples : par le haut, par le leadership des hommes politiques et par le bas, par les peuples eux-mêmes. Les leaders ont échoué, c’est très net. Les peuples sont déboussolés par cet échec. Le manque d’efficacité de nos gouvernants est un des grands problèmes de notre société, aujourd’hui. Les conséquences sont graves car chacun est piégé dans sa vieille mentalité. Les juifs sont dans la paranoïa, notamment à cause de la Shoah. Et les palestiniens sont encore victimes du complexe de la
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victimisation. Il y aussi cette autre vieille mentalité, celle d’une issue qui désigne immanquablement un gagnant et un perdant, en toutes choses. C’est catastrophique, cette mentalité-là. Appliquée entre juifs et palestiniens, voilà ce que ça donne : le pouvoir juif, piégé par la peur, construit des murs. Les murs sont aveugles, tu sais… Et un leader sans vision n’est pas un leader… Quant aux Palestiniens, ils répètent sans cesse qu’ils sont des victimes. Bon sang, on ne pourra jamais progresser si on reste ainsi toujours piégé par le passé... On doit voir plus loin, beaucoup plus loin, on doit progresser ! Le mur construit par les Israéliens procure une illusion de sécurité. Je peux t’emmener quand tu veux de la Palestine à Israël sans qu’on rencontre le moindre check-point. Ce qui veut dire qu’un terroriste pourrait exercer sa sinistre mission avec une facilité déconcertante. Le mur n’est
Les murs sont aveugles… Et un leader sans vision n’est pas un leader… pas un argument, c’est une illusion. S’il n’y a plus d’attentats ou d’agressions en ce moment, c’est parce que le Hamas a cessé ses actes de terrorisme et cet arrêt n’a rien à voir avec la construction du mur… » à ce stade des propos de Forsan Hussein, notre guide, Ariel Hassaf, un français d’origine alsacienne qui a fait son retour en Israël depuis quasiment trente ans, sioniste convaincu, approuve les propos de son interlocuteur: « C’est vrai, ce mur ressemble à du pipeau. C’est pour la galerie ! Il rassure les habitants de Jérusalem, il rassure le gouvernement qui, ainsi, a l’impression de faire quelque chose. Si le Hamas et le Fatah ont réduit considérablement leurs attentats, on le doit bien plus à Tsahal (l’armée israélienne-ndlr) qui, depuis la deuxième intifada (la guerre des pierres-ndlr) est retournée de nouveau dans les villes palestiniennes pour patrouiller et monter des actions de police. Les quelques terroristes potentiels ne sont ainsi plus libres de leurs mouvements… »
Et DEmAIn ?
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un autre rendez-vous -important, il s’agit ni plus ni moins de la numéro 2 internationale des YMCA !- est inscrit dans l’agenda (surchargé) de Forsan Hussein, mais il n’hésite pas une seconde à le retarder un peu pour continuer à développer avec nous ce qu’il faut bien appeler son credo : « Je pense vraiment que les gens de bonne volonté sont nombreux ici, à Jérusalem, et qu’on les rencontre dans tous les camps. Et je te le dis, ils ne sont pas dans les partis politiques. Ce que nous faisons ici, au YMCA, est très important. Je m’appuie sur le modèle que j’ai connu aux états-unis, durant mes années à Brandeis et à Harvard où nous étions si nombreux à nous côtoyer, dans l’amitié et dans l’action, entre juifs, musulmans, chrétiens et autres croyants… Ici, nous leur donnons les clés pour dialoguer et œuvrer ensemble sur leurs ressemblances. On y parle de problématiques de santé, de culture, de développement, d’économie et de tant d’autres choses encore. Nous avons ouvert un jardin d’enfants. 120 gosses juifs, musulmans, chrétiens s’y retrouvent, et leurs parents se mélangent aussi. Comme quand j’étais tout jeune en Palestine, les gosses jouent au foot ensemble… Des groupes de dialogue accueillent les adultes. Nous hébergeons aussi la première école bilingue d’Israël… » Avant de quitter Forsan (à regrets…), une question nous brûlait les lèvres. Et demain ? Il n’a pas esquivé la réponse : « Mon rêve est d’aider à connecter économiquement le Moyen-Orient. Oui, je pense que c’est
l’une des clés de la paix. L’économie peut permettre de rapprocher Israël du monde arabe. à commencer par la Jordanie… Et si ta question fait allusion à la politique, oui, j’y pense. Quand ma famille sera stable, quand mes enfants auront grandi, à terme donc, je pense m’investir dans la politique, même si je signe et je persiste aujourd’hui en affirmant que nos leaders politiques ont échoué… » Vint ensuite le moment de nous quitter. Il faisait un doux soleil sur Jérusalem quand nous nous sommes retrouvés sur le trottoir devant le YMCA. Juste avant de prendre congé, Forsan Hussein nous a lancé : « A bientôt, j’espère qu’on se reverra très vite… » Ce n’était pas qu’une simple formule de politesse. Résumons : c’est l’histoire d’un petit palestinien musulman qui est né et a grandi dans un village spolié par les conséquences des événements qui ont conduit à la proclamation de l’état d’Israël, c’est l’histoire d’un gosse né dans la poussière et qui a été élevé dans la peur des juifs voisins. Jusqu’à rencontrer l’un d’eux, les bras chargés d’un panier rempli de chocolats et sans le moindre casque sur la tête… Le gamin palestinien n’a cessé ensuite de rire, jouer au foot, planter des arbres et partager tous les bons moments de l’enfance avec ses nouveaux copains juifs. Israël l’a ensuite formidablement aidé avec l’attribution d’une bourse qui lui a ouvert les portes du monde. Revenu bien plus tard dans son pays, bardé de diplômes prestigieux, le jeune homme n’a pas cédé aux sirènes du grand cirque financier. Il est devenu directeur d’une prestigieuse auberge de jeunesse, financée par une association d’origine chrétienne et il œuvre désormais chaque jour pour la rencontre, la compréhension et l’amitié entre juifs, chrétiens et musulmans. Et tout cela se passe dans la magnifique Jérusalem… Ces jeunes qui œuvrent ainsi fabriquent jour après jour, nous en sommes convaincus, la paix qui s’imposera demain. Et nous espérons bien fêter son arrivée avec eux…
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Ils vivent à Jérusalem
Élisabeth Chouraqui-Chemla
Il n’y a que des enfants…
Nous étions à la recherche de celles et ceux qui, en Israël, travaillent au quotidien pour réunir les communautés et montrer ainsi la voie. Nous n’avons pas cherché longtemps… Elisabeth Chouraqui-Chemla et Chaïm Erenthal œuvrent chaque jour pour que la vie soit moins dure pour les enfants de Jérusalem. Pour eux, il n’y a pas d’enfants juifs, musulmans ou chrétiens. Il n’y a que des enfants, sans adjectif. Et ce qu’ils font est admirable, nous en avons été les témoins… Elisabeth Chouraqui-Chemla, 52 ans, est la fille d’André et Annette Chouraqui (voir page 18). Elle termine pour l’instant une longue formation de psychanalyste, après avoir été psychothérapeute dans l’âme durant les trente dernières années. Elle nous reçoit près du Centre Misholim auquel elle consacre l’essentiel de ses journées. Et, volubile et passionnée, elle nous raconte son parcours : « Avant Misholim, j’étais… maman, tout simplement. C’est la meilleure formation, au fond, en tout cas ce fut la voie que j’ai choisie pour devenir psychothérapeute bien plus tard. Ma sœur a été le facteur déclenchant : à l’époque, elle m’a inscrite à mon insu à cette formation. Et cela m’en a fait faire du chemin. Je me souviens encore avec émotion que j’avais alors rencontré Françoise Dolto, lors d’un congrès à Strasbourg. un souvenir inoubliable… » En 1980, quatre thérapeutes israéliens, sensibilisés à l’art, fondent le centre Misholim à Jérusalem. En travaillant en hôpital psychiatrique, ils avaient décelé chez les enfants un syndrôme qui ne pouvait pas être alors traité via les méthodes traditionnelles : celui de l’isolement social, qui les entraînait très souvent jusqu’à l’autisme. A l’évidence, ni le lieu dans lequel ils se trouvaient ni l’ambiance dans laquelle ils vivaient au quotidien ne pouvaient leur convenir pour guérir. Il leur aurait fallu un centre dédié permettant une psychothérapie individuelle et verbale et ce centre n’existait pas. Alors, tout simplement, ces quatre psychothérapeutes ont créé le Centre Misholim et ont axé leur travail sur l’art : le dessin, la peinture, la sculpture, la danse, le théâtre, les marionnettes, la photo entre autres sont devenus des médias pour que ces jeunes enfants expriment le monde intérieur dans lequel ils vivaient et puissent ainsi communiquer, enfin… En deux ans, Misholim est devenu un endroit de référence unique. Peu à peu, les méthodes ont été validées et ont porté leurs fruits.
lE tOuRnAnt DE 1982 28
Deux ans après la création de Misholim, le gouvernement israélien supprime brutalement ses subventions. une véritable catastrophe. « C’était dramatique, tout risquait de s’écrouler » se rappelle Elisabeth. « La directrice d’alors m’a confié tous les dossiers… J’ai regroupé le Comité, j’ai appris qu’il n’y avait que
300 000 shekels (60 000€ -ndlr) sur le compte de Misholim mais cela n’a rien freiné. Nous nous sommes lancés pour un an en nous disant qu’on n’irait pas au-delà de cette période, qu’on ne prendrait aucun risque de plus. Et… ça a marché ! Misholim a survécu et s’est développé. Et Elisabeth de nous conduire vers le Centre qui occupe désormais une splendide petite propriété au cœur d’un beau quartier résidentiel de Jérusalem. Ses trois niveaux et son aile adjacente accueillent une centaine d’enfants, tous habitants de Jérusalem et sa proche banlieue. Musulmans et juifs confondus. « Chaque enfant que nous recevons passe au moins 1h30 par semaine à Misholim. Et tant qu’il le faut, ils viennent et reviennent. En moyenne, c’est au moins deux ou trois ans, chaque semaine. Ils sont pris en charge par des psychothérapeutes qui leur font découvrir l’art comme un extraordinaire moyen de communication. Pour cela, nous travaillons aussi en direction et avec leurs parents. D’ailleurs, les parents sont là pour se découvrir eux-mêmes, c’est une évidence… Le véritable changement pour les enfants se situe exactement là. C’est leur chance… Et nos résultats sont excellents, notre démarche ne cesse de se valider, jour après jour. un ancien
élève de Misholim est devenu pilote dans l’armée de l’air. Il nous a appelés récemment, nous racontant à quel point, avant Misholim, il se sentait isolé, sans ami… une autre de nos élèves était née avec un problème au cerveau qui se manifestait par de violentes crises d’épilepsie. un cas incurable, pour la médecine traditionnelle… Depuis son séjour ici, tout va bien. Elle s’est mariée, elle a eu un bébé et elle est devenue prof d’anglais. Elle aussi nous a rendu visite, il y a peu, avec son enfant. Pour nous, c’est bien là la meilleure récompense… »
RéunIR lES cOmmunAutéS Misholim fonctionne aujourd’hui avec un budget de 2 millions de shekels (400 000 € -ndlr) et salarie une vingtaine d’accompagnateurs qui encadrent la centaine d’enfants qui fréquentent le Centre. Le gouvernement israélien abonde désormais son budget à hauteur de 11%. 60% du budget provient des familles et le solde, soit 29%, provient des donations. « Nous avons un fundraising –un système de levée de fonds- grâce à une de mes voisines qui a beaucoup de relations à l’étranger, car son mari était un ambassadeur connu. J’ai réussi à la convaincre d’aider Misholim et je consacre une grande part de mes activités à voyager à l’étranger pour lever ces fonds qui nous sont indispensables. une vingtaine des élèves fréquentant le Centre est d’origine arabe, soit exactement le pourcentage des arabes vivant à Jérusalem. « ça ne me satisfait pas pour autant » précise Elisabeth. « Je voudrais que ce pourcentage augmente. Nous nous occupons d’eux en les traitant directement à JérusalemEst, en nous délocalisant en quelque sorte, malgré les difficultés que nous rencontrons en pratiquant ainsi. Nous mettons en œuvre avec eux la co-thérapie, un homme et une femme. On va vraiment tout faire pour qu’on puisse, à terme, tous fonctionner ensemble, sur un même lieu. Je me donne 10 ans pour y parvenir. Ce sera une opération hors-norme, une opération-pilote basée sur une évidence pour nous : il y aura un thérapeute juif et un thérapeute arabe qui fonctionneront ensemble… » Au fur et à mesure qu’Elisabeth nous faisait découvrir ce lieu exceptionnel qu’elle dirige, nous avons visité des salles d’activité coquettement aménagées et peintes avec de belles couleurs pastel, nous avons souri devant des marionnettes utilisées par les enfants de Misholim, nous avons bien remarqué les dizaines et les dizaines de dessins exposés sur les murs, dialogué avec deux professionnels qui attendaient le groupe d’enfants avec lequel ils allaient travailler. Nous sommes sortis par l’arrière de Misholim, via un jardinet qui doit être merveilleux à fréquenter en été (« il fait partie de la thérapie » nous a-t-on précisé). Et, au moment de nous quitter, nous avons noté une nouvelle fois la petite flamme qui brille dans les yeux d’Elisabeth. Pas de doute : cette femme passionnée dégage un tel charisme qu’il est évident que son chemin avec Misholim ne va pas en rester là.
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Ils vivent à Jérusalem
FONDATION ZiChron MenaheM* * En souvenir de Menahem
Ce qui est normal ici, c’est ce qui est différent ailleurs... Sa vie a basculé depuis la mort de son fils Menahem, victime d’une lente mais implacable leucémie. C’était il y a 36 ans. Depuis, avec son épouse, Chaim Erenthal consacre sa vie, son énergie et son amour aux enfants qui sont atteints par la maladie. Et ce que nous avons découvert, en lui rendant visite à sa Fondation, Zichron Menahem, est incroyable… L’homme qui nous reçoit dans les très beaux bâtiments modernes qui abritent la Fondation zichron Menahem dans la proche banlieue de Jérusalem pourrait facilement passer inaperçu sur n’importe quel trottoir de sa ville. Il ne fait pas partie de ceux qui acceptent l’ultra-médiatisation endémique qui galvaude les meilleures intentions et les plus belles actions humaines, à l’ère du tout-à-l’égo sur tous les écrans. Chaim Erenthal, modeste, rieur, si incroyablement humain, s’assoit tranquillement au bout d’une longue table de réunion, glisse un DVD dans un lecteur pour nous présenter la Fondation, puis se prête à nos questions pour y répondre paisiblement. D’abord et avant factuel. Puis, peu à peu, le cœur parle. Et ce qu’il nous dit est superbe…
unE vIE quI bASculE
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La vie aurait sans doute pu être très simple pour ce fils de bijoutier qui avait repris le commerce de son père à Jérusalem. un mariage, un enfant qui arrive, l’apprentissage du rôle de parents, le jeune couple Erenthal se sentait prêt à mordre la vie à pleines dents. une histoire ordinaire… « Nous étions effectivement ce jeune couple-là quand Menahem, notre premier enfant, est tombé malade à l’âge d’un an » se souvient Chaim Erenthal. « C’était il y a 36 ans de cela… Menahem a lutté pendant
quinze années contre sa maladie, une leucémie, quinze années durant lesquelles il a subi cinq rechutes. La médecine n’était pas autant développée qu’aujourd’hui, à cette époque. De nos jours, plus de 90% des enfants de cet âge, victimes de cette maladie-là, guérissent… Mais, à ce moment-là, nous étions seuls pour l’accompagner. Les enfants aussi gravement malades étaient soignés, bien sûr, mais pas accompagnés pour lutter contre la maladie. Personne ne nous a jamais rien proposé dans ce sens. Avec mon épouse, nous avons alors pris l’initiative de nous adresser à des gens pour nous aider à accompagner notre fils. Nous nous sommes basés de façon presque empirique sur ce qu’il aimait le plus. Par exemple, la musique, en faisant
venir des chanteurs… Peu à peu, en soutenant notre enfant dans la traversée de sa maladie, nous avons accumulé beaucoup d’expérience. Et, quand il est décédé, nous nous sommes dit qu’il ne nous fallait surtout pas perdre ce capital acquis et en faire profiter les autres, autour de nous. C’est ainsi que la Fondation zichron Menahem est née… »
lA chAlEuR humAInE AvAnt tOut Sous la conduite de Chaim Erenthal, nous avons visité longuement les locaux de zichron Menahem. Et nous avons été à la fois bouleversés et subjugués par ce qu’on nous avons vu et ressenti. à chaque étage, de l’animation, des enfants malades avec le sourire, et des adultes très attentifs qui les entourent avec une belle chaleur humaine : la vie… Et partout, des équipements dernier cri : studio d’enregistrement, instruments de musique, jeux (des plus sophistiqués aux plus ordinaires), bibliothèques, salles de travail,…) rien n’est trop beau pour adoucir le malheur et l’injustice de la maladie. un choix parfaitement assumé par l’éthique même de la Fondation : offrir le meilleur pour accompagner les enfants malades. Et n’attendre qu’une seule récompense : leur sourire et leur joie… Les équipements high-tech installés à la Fondation ne sont que la partie visible de l’essentiel. « Il faut bien comprendre ce qui se passe quand la maladie frappe l’enfant » poursuit Chaim. « à ce moment précis, le monde semble détruit. Tout s’écroule autour du malade et de sa famille. Et soudain, des questions très concrètes surgissent : l’enfant malade perd son indépendance, il ne peut plus s’habiller seul par exemple ; pour ceux qui le peuvent encore, l’école est un lieu d’échanges et rompt la solitude mais, après l’école, que fait-on ? Peu à peu, au fur et à mesure de l’évolution de la maladie, tout le monde se met à décider pour lui. Tout le monde se permet ça : son corps finit par ne plus lui appartenir. L’enfant se referme sur lui-même, il n’écoute plus ce qui se dit autour de lui et les parents finissent par ne plus rien obtenir de leur enfant. Ils perdent la main sur le quotidien tandis que leur enfant, de son côté, voit ses amis s’éloigner quand ce n’est pas lui qui provoque lui-même cet éloignement en se réfugiant dans sa solitude intérieure. L’enfant malade n’a que faire de la pitié de ses proches, il n’en veut pas, elle lui est insupportable ! Si insupportable que certains d’entre eux deviennent manipulateurs, jouent un rôle… » Manifestement, les gens de zichron Menahem travaillent en priorité pour combattre l’isolement des enfants malades qui fréquentent chaque soir la Fondation. « Chez nous », assure Chaim Erenthal, « les enfants se remettent à sou-
rire et à s’amuser car ils se sentent compris par celles et ceux qui les entourent. Quand on est à zichron Menahem, on enlève les chapeaux ou les perruques qui cachent les crânes chauves, il n’y a plus de honte, pas la moindre gêne. Et, parce que de nombreuses activités très ludiques sont accessibles en permanence, l’enfant malade n’a pas le temps de penser et de se plaindre. En somme, ce qui est normal ici, c’est ce qui est différent ailleurs... » La Fondation prend également en charge les familles des jeunes malades. C’est, là aussi, un des acquis de l’expérience vécue il y trente-six ans, quand le couple Erenthal a dû faire face à la maladie de leur fils Menahem. « Notre réflexion porte aussi sur l’ensemble de la famille de l’enfant, sa fratrie, ses parents et nous essayons d’agir positivement sur tous ces paramètres. D’ailleurs, à l’heure où je vous parle, mon épouse est dans un bureau voisin, elle dialogue avec la famille d’un enfant » nous apprend Chaim. « Nous avons mis en place un système de groupes de parole niveau par niveau : les parents des enfants malades rencontrent régulièrement les autres parents qui sont dans le même cas, les fratries se rencontrent aussi, et bien sûr, les enfants malades se côtoient sans cesse. Il y a une vraie dynamique qui se met alors en place. De l’extérieur, personne ne peut comprendre, mais nous savons bien que les parents, eux, se comprennent à demi-mot. La compréhension, voilà le maîtremot. une des causes majeures de la douleur psychologique, c’est l’impression de ne pas être compris. La simple question : comment ça va ? et les mots qui suivent, c’est une incompréhension qui renforce encore un peu plus la douleur et la pénibilité de la situation !
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nI SOcIAl, nI RAcE, nI POlItIquE, nI RElIGIOn… une énergie peu commune émane en permanence de ce que nous avons vu, entendu et vécu dans les locaux de zichron Menahem à Jérusalem. Devant ce déploiement d’attentions pour les enfants, devant le respect de cette méticuleuse méthode, nous n’avons bien sûr pas pu nous empêcher de demander à Chaim Erenthal de s’engager sur le plan du spirituel. Quel sens ont donc toutes ces souffrances que lui-même et ses équipes tentent d’adoucir au quotidien depuis 21 ans que la Fondation existe ? Sa réponse est sans ambiguité aucune : « La religion n’entre pas dans ces bâtiments, elle n’a pas la moindre importance. Même si nous constatons que les familles pratiquantes gèrent quelquefois mieux la perte d’un enfant que les familles laïques, nos convictions personnelles, notre foi, ne franchissent pas les portes de ce bâtiment. Nous accueillons des enfants de familles musulmanes, juives, chrétiennes et cela n’a aucune influence sur ce qui se passe à la Fondation. Nous agissons ainsi beaucoup plus facilement, seul l’accompagnement des enfants malades et de leurs familles nous motive et nous concerne. Tout le monde se retrouve avec tout le monde, peu importe : ici, il n’y a pas de mur entre les enfants et leurs familles, ni social, ni politique, ni racial, ni religieux. Seulement des enfants et des familles dans la souffrance qu’il nous faut aider… La politique, au sens traditionnel du terme, ne m’intéresse pas. Je n’ai pas le temps de regarder la télé et de me poser les questions habituelles à ce sujet. Pas le temps… Et, pour tout vous dire, je me sens au-dessus de tout ça. J’agis seulement pour les enfants malades et leurs familles, de quelque origine ou religion qu’ils soient. Vous savez, il y a un service de notre organisation qui est la Banque du sang. Et
bien, quand j’arrive à faire venir des élèves juifs des colonies pour qu’ils donnent leur sang à des enfants musulmans, ça veut bien dire que le conflit est au-delà des personnes humaines, non ?.. En plus de vingt ans, il n’y a eu aucun refus de donner son sang pour un enfant arabe, pas le moindre refus ! Je pense, moi, que des deux côtés, c’est l’ignorance et le manque de connaissance d’une part, ainsi que le leadership d’autre part, qui posent problème. Et la propagande… Et je suis convaincu que les peuples s’arrangeraient bien entre eux s’il n’y avait pas cette volonté de leurs dirigeants d’envenimer en permanence les choses… »
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les camps de vacances
Un pari fou, un pari gagné ! Chaque été, zichron Menahem organise un camp de vacances en Europe. Quand Chaim Erenthal raconte ce pari fou, on peine à y croire. Et pourtant… Et pourtant, le camp de vacances d’été organisé par la Fondation représente une merveilleuse bouffée d’air pour les 120 enfants malades accueillis par l’organisme. « Dès que l’avion s’envole, les enfants savent qu’ils ne verront plus l’hôpital durant la durée du camp. Cet événement, ils en parlent déjà des mois et des mois auparavant et ils en parleront longtemps ensuite. En même temps, nous savons aussi que pour les familles concernées, ce sera l’occasion de récupérer un petit peu, de s’occuper un peu plus de la fratrie, comme une belle respiration. C’est en fait la famille entière qui profite des bienfaits de ce camp d’été » précise Chaim. Cet avion qui s’envole vers le camp d’été ne transporte pas seulement les enfants malades de la Fondation. C’est toute une équipe d’encadrement médical qui est à bord, ainsi qu’une logistique impressionnante -bénévoles, psychothérapeutes, moniteurs, équipe technique-, « tous des gens qui viennent nous proposer leurs services dans le cadre du volontariat, mais ce système exige de notre part un suivi très professionnel » précise Chaim Erenthal . L’impressionnant environnement médical lors du séjour est justifié : « un enfant malade reste un enfant malade, pas question de lui faire prendre le moindre risque médical ». à l’arrivée, sur les lieux du séjour, cette équipe médicale se tient donc en permanence sur le pied de guerre. En nous parlant de cette initiative, les yeux de Chaim Erenthal s’enthousiasment encore un peu plus : « Sur place, les enfants sont réellement dans un autre univers. Après quelques jours, ils se découvrent des amis de tous horizons, ils apprennent chaque minute l’un sur l’autre mais aussi l’un de l’autre. C’est impressionnant de voir à quel point ils profitent de la moindre activité, de chaque instant… » Les activités sont elles aussi à la hauteur du défi : balades en hélicoptère, en mongolfières, envols en parapente, parcs d’attraction, concerts,… tout est vraiment prévu et organisé pour que les affres de la maladie s’éloignent au maximum des enfants. Ce luxe de moyens ne vise qu’à donner le meilleur du meilleur à ces jeunes êtres dans la souffrance et la douleur. Tout cela a certes un coût, et ce coût est assumé par des dons privés qui proviennent d’Israël et du monde entier : « Ce n’est pas mon père qui m’a laissé tout l’argent pour ça… » précise Chaim Erenthal. L’abondante banque d’images de ces camps d’été, sur le site de la Fondation (www.zichron.org), présente les visages radieux des enfants malades de zichron Menahem, la joie des moniteurs et des accompagnateurs. On devine, au détour d’un regard, d’une attitude, d’un câlin, les moments précieux gagnés contre la douleur et les tourments… Et au détour de l’une ou l’autre photo, on repère quelquefois le bon visage de Chaïm Erenthal. Ses yeux brillent en permanence de cette petite flamme qui trahit une évidence : cet homme est dans sa vérité absolue… Et vous savez quoi ? Le prochain camp d’été de zichron Menahem se déroulera… en Alsace, en juillet prochain. D’ores et déjà, des deux côtés de la Méditerranée, à Strasbourg et à Jérusalem, les volontaires se mobilisent depuis quelques semaines pour que le sourire des enfants malades soit une réalité, chez nous, en Alsace. Or Norme Strasbourg sera bien sûr de la fête…
Ils vivent à Jérusalem
Lucien Lazare Un idéal de jeunesse Parce qu’il est encore membre (très actif) de la Commission de désignation des Justes parmi les nations, nous avons souhaité rencontrer Lucien Lazare, 87 ans. Ce Strasbourgeois d’origine vit en Israël depuis 1968. Nous avons en fait rencontré un pionnier… Il nous accueille très simplement dans son modeste appartement, niché au cœur d’une petite résidence coquette à deux pas du centre-ville de Jérusalem. à peine un peu voûté à cause des années qui se succèdent, Lucien Lazare a une formidable envie de nous raconter les événements de sa vie. « Notre famille est en effet originaire de Strasbourg. Nous étions, disons.. des petits bourgeois alsaciens, sans histoire. Le choc de la guerre et de l’évacuation de tous les juifs d’Alsace a été terrible pour nous… La guerre et l’extraordinaire brassage de populations qui a suivi a eu un effet inattendu sur notre famille. Après la guerre, on a tous cherché à en savoir beaucoup plus sur nos origines. Notre connaissance du passé, de notre passé, est devenue moins superficielle et nous a conduit à assumer beaucoup plus notre condition juive… »
unE SOcIété IDéAlE SE DévElOPPAIt… En 1948, l’état d’Israël est proclamé. Dans le monde entier, les communautés juives se passionnent pour cet événement. Et chez les Lazare naît peu à peu l’idée de rejoindre ce pays qui se construit. Le grand saut se fera en 1968. « C’est cette année-là que s’est concrétisé notre projet de se fixer là où se jouait le destin du peuple juif. Nous n’avions en tête rien de spécifiquement religieux, culturel ou politique, non… Simplement, une société idéale, à nos yeux, se développait et elle affichait clairement un programme égalitaire qui nous fascinait. Qui n’a pas flirté avec le socialisme parmi les gens de ma génération ? J’avais 44 ans, trois de mes enfants ont choisi de vivre et travailler au kibboutz, juste en nous entendant en parler à table ».
mIlItAnt, tOujOuRS… « à ma retraite, la Commission de désignation des Justes parmi les nations m’a coopté et je me suis retrouvé à faire un nombre considérable d’allers et venues aux archives. Nous manquions de partenaires francophones pour remplir notre mission. Je suis devenu peu à peu un spécialiste de l’histoire des organisations juives de résistance. L’histoire se réécrit quelquefois trop rapidement, les gens aiment bien les situations nettes et tranchées, mais ce n’est jamais comme ça en réalité. Les collabos : tous des salauds ! Ceux qui ont aidé les juifs, tous des héros !… Non, c’est trop simple. La plupart des Français entre 1940 et 1945 n’étaient ni des héros ni des salauds. Cependant, énormément de juifs ont été protégés et sauvés par des Français durant la Seconde Guerre mondiale. Il y a une justice à rétablir à ce sujet. J’ai toujours tenu à en être le promoteur… »
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ISRAël, PRèS DE 65 AnS APRèS Questionné sur la réalité contemporaine d’Israël, Lucien Lazare devient très volubile, retrouvant ainsi les réflexes du militant qu’il n’a jamais cessé complètement d’être. « Israël n’échappe pas à l’évolution globale de la planète. Le projet de société égalitaire il faut être lucide là-dessus. Je le répète, ce n’est pas spécifique à Israël mais il faut également bien reconnaître que le gouvernement actuel excelle dans le développement d’une société très inégalitaire. Cela s’est notamment manifesté l’an passé avec le mouvement des Indignés de Tel-Aviv. Je vous assure que si j’avais été moins âgé, j’aurais été parmi eux. Le mouvement s’est essoufflé pour une raison très simple : il n’a pas pris une dimension de revendication politique, il manquait depuis le départ une volonté délibérée de modifier les données du pouvoir dans notre pays. Concernant la paix, l’argument de la sécurité d’Israël n’est qu’un manteau qui cache les intentions réelles des gouvernants. Je ne dis pas qu’il suffit de se baisser pour gagner la paix mais un traité de paix n’est pas l’objectif du gouvernement actuel, c’est certain… Je suis un vieil homme, maintenant, mais ma foi en un monde meilleur n’a pas disparu pour autant. Ce que vous voyez aujourd’hui n’est pas le visage définitif d’Israël, loin s’en faut. Des jeunes viendront relayer leurs anciens et vont parvenir à effacer cette période d’obscurantisme que nous traversons actuellement. ça va changer, j’en reste convaincu… »
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YAD VASHEM
Le monde n’oubliera jamais Une longue galerie déroule l’histoire de l’holocauste lors des années de plomb du XXe siècle. Le cœur se serre souvent : visages, objets, témoignages, photos, documents… Et ces noms : Auschwitz, Treblinka, Sobibor, Majdanek, … Si Yad Vahem perpétue la mémoire individuelle et collective des victimes de la Shoah, ce lieu est aussi un centre de recherche et un lieu d’enseignement. On y passe des heures bouleversantes et d’une très forte charge émotionnelle. Quand, à la sortie, nos yeux sont éclaboussés par le panorama ensoleillé sur la proche Jérusalem, on sait avec certitude que le monde n’oubliera jamais… La rédaction d’or norme strasbourg remercie schlomo balsam pour la qualité de la visite guidée.
Ils vivent à Jérusalem
Jean-Jacques Rein
Un cœur pour la paix Jean-Jacques Rein, 61 ans, a l’Alsace dans ses gènes puisqu’il est né d’un père mulhousien et d’une mère strasbourgeoise. Il est arrivé en Israël en 1968 et, depuis 1990, il dirige le service de cardio-pédiatrie d’Hadassah, le principal centre hospitalier de Jérusalem. Nous l’avons rencontré car son métier l’a entraîné sur des chemins empreints de fraternité… Il arrive, un grand sourire aux lèvres et avec une disponibilité totale. Il serre les mains, s’assoit et écoute avec attention… Nous sommes dans la cafétéria du centre commercial au premier niveau du gigantesque centre hospitalier d’Hadassah. une demi-heure auparavant, nous ne le connaissions pas et lui ne nous connaissait pas plus. un simple coup de fil de l’attachée de presse de l’hôpital a suffi pour qu’il nous retrouve, stéthoscope en bandoulière et le sourire aux lèvres… Il est comme ça, Jean-Jacques Rein, spontané, curieux, authentique et « sans façon », il fonctionne au feeling. Et malgré ses responsabilités écrasantes et l’agenda démentiel qui va avec, le rendez-vous est pris pour le lendemain soir. Car il a une belle histoire à nous raconter…
un SERvIcE REnOmmé
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C’est la fin d’une belle journée d’hiver sur Jérusalem. Comme tous les jours, le centre hospitalier d’Hadassah est une ruche bourdonnante. D’autant que sa structure même ne peut que surprendre l’Européen de passage. Hadassah étend sa trentaine de bâtiments -et en construit d’autres encore pour faire face aux besoins- sur un vaste domaine à Eim Kerem, dans la verte banlieue ouest de Jérusalem. Pour l’heure, 800 lits sont disponibles sur le site… L’entrée principale du centre hospitalier est aussi celle… d’un gigantesque centre commercial en tout point semblable à ceux que nous connaissons à Strasbourg. Mais nous sommes bien dans un hôpital, en témoignent les nombreux malades en chaises roulantes qui… font leurs courses avec les familles ou amis qui les visitent. une réelle surprise pour nous, mais un univers tout à fait familier à Jérusalem.
Nous avons rendez-vous à l’étage de la cardiologie pédiatrique, le service que dirige Jean-Jacques Rein depuis 1990. Le long des baies vitrées de l’ascenseur, les étages défilent, ponctués par des néons qui diffusent de belles couleurs… 6000 enfants s’y rendent chaque année pour des dépistages d’anomalies cardiaques, les soins afférents et, bien sûr, pour les indispensables opérations et leur suivi post-opératoire et 250 enfants parmi eux -dont beaucoup de nouveaux-nés- sont opérés ici chaque année. Dès la sortie de l’ascenseur, nous observons la salle d’attente du service, particulièrement fréquentée à l’heure stratégique du début de soirée. Ici, des parents attendent de pouvoir visiter leur enfant hospitalisé. Certains sont entourés du reste de la fratrie : une marmaille décontractée qui écarquille les yeux à notre arrivée et qui sourit devant l’appareil photo.
à l’intérieur de la salle d’attente, les parents lisent, discutent, s’interpellent même. Ici, évidemment, on est loin du sempiternel débat juif/musulman, israélien/palestinien. Ici, il n’y a ni origine ni religion, seulement des parents inquiets pour leur enfant quand l’angoisse leur noue le ventre et leur taraude l’esprit. Ils se rapprochent, ils se réchauffent, ils communiquent et chacun s’en retourne ensuite un peu plus apaisé, très loin des grands discours et des affrontements idéologiques ou religieux. Ici règne la paix…
un cœuR POuR lA PAIx : un vRAI mIRAclE… Sous la conduite de Jean-Jacques Rein, nous pénétrons ensuite dans un vaste espace où les enfants opérés se remettent lentement de l’intervention subie. une dizaine de lits, presque tous occupés. Ici, un enfant de quelques mois à peine qui dort, manifestement sous l’effet des médicaments. un petit berceau transparent, un petit être bardé de tuyaux qui assurent les fonctions vitales et une maman épuisée par la veille de son bébé et qui sommeille, la tête appuyée sur le berceau. Cette maman et l’enfant sont juifs… Deux mètres plus loin, une autre famille. Le père, la mère et un jeune homme sont au chevet d’un enfant palestinien, un peu plus âgé. Là aussi, la mère est assise, au plus près du visage de l’enfant. Les deux hommes, debouts, sont tout aussi attentifs à la faible respiration. Cette famille est musulmane. Nous avons l’autorisation de photographier à la seule et unique condition, bien compréhensible, que les visages des enfants et des parents ne soient pas identifiables. Nous avons le temps de noter d’autres détails sur l’endroit : au plafond, sur les murs, des ballons multicolores, des dessins d’enfants… Dans le service, un « joyeux fouillis » et le sourire des deux infirmières de permanence, au passage du patron… De retour dans son modeste bureau, Jean-Jacques Rein évoque avec nous ce qui se passe dans son service, à Hadassah : « Nous sommes bien sûr un service de pointe en matière de cardiologie pédiatrique. Chaque année, nous recevons ici les enfants qui, en Israël, sont victimes de malformations congétinales. Sans l’opération, beaucoup seraient irrémédiablement condamnés. Nous effectuons plus de 250 opérations par an. En cela, nous ne sommes guère différents des services identiques qui, de par le monde, assurent la même mission que la nôtre. Mais nous sommes à Jérusalem. Et ce qui diffère ici, dans mon service,
c’est la prise en charge spécifique des enfants palestiniens. Rien n’est nouveau, à vrai dire. Depuis 1912, Hadassah s’est engagé à prendre en charge et soigner toutes les populations, d’où qu’elles viennent et quelle que soit leur religion. Cela a même valu à l’organisation une nomination au Prix Nobel de la Paix en 2005. C’est justement l’année où « un cœur pour la Paix » a été créée. Cette association est présidée par une collègue français, Muriel Haïm. L’association permet d’opérer une quarantaine d’enfants palestiniens chaque année. 40% viennent de Gaza et la moitié sont des nouveaux-nés dont une immense majorité est victime de malformations dues aux mariages consanguins. » (Près de la moitié des mariages en Palestine sont consanguins. Les raisons en sont multiples, mais la principale d’entre elles est que les terres sont ainsi conservées au sein de la famille qui en est propriétaire – ndlr). « Dans 95% des cas d’enfants victimes de ce type de pathologie, une opération rapide, dont nous maîtrisons bien les paramètres, leur garantit ensuite une vie tout à fait normale. Dans le cas contraire, non opérés, ces enfants sont promis à une mort inéluctable… » poursuit Jean-Jacques Rein. une telle opération coûte cher (14 000 € à ce jour) et bien sûr, la sécurité sociale n’existe pas pour les familles palestiniennes. Ce coût est donc largement hors de leur portée. C’est là qu’intervient « un Cœur pour la Paix ». L’association finance 50% de chacune des 40 interventions annuelles réalisées dans le service de Jean-Jacques Rein par des chirurgiens israéliens et palestiniens. Côte à côte, avec des techniques de pointe, ces médecins sauvent ainsi chaque année ces enfants d’une mort certaine. Les 7000 € restants sont pris en charge par l’hôpital Adassah.
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lES SOInS Aux EnfAntS : lE muR n’ExIStE PluS… Et ce n’est pas tout. à Hadassah, « un Cœur pour la Paix » finance également la formation de médecins palestiniens à l’échographie cardiaque. Ensuite, munis d’échographes portables, ils peuvent ainsi mieux dépister et suivre les enfants palestiniens sur leur lieu de vie. Les projets 2012 vont tous dans ce sens : cette année verra l’ouverture du premier dispensaire de cardiologie pédiatrique au cœur des territoires palestiniens, à Ramallah. Ainsi, les besoins des enfants de la moitié nord de la Cisjordanie seront couverts. Jusqu’en 2015, « un Cœur pour la Paix » assurera le financement de la structure qui deviendra financièrement autonome en 2016. En outre, les centres de soins palestiniens et le service de cardiologie pédiatrique de Jean-Jacques Rein à Hadassah vont prochainement être reliés via la vidéotransmission. Enfin, « un Cœur pour la Paix » va financer la formation d’une généticienne palestinienne pour conseiller et informer les familles. Ainsi, une prévention efficace des conséquences de la consanguinité pourra s’amorcer… Loin des turpitudes géopolitiques, loin des fanatismes de tous ordres, des femmes et des hommes, sans le moindre mandat politique, agissent ainsi au quotidien pour la paix et l’entraide entre les hommes, d’où qu’ils viennent et quelle que soit leur religion.
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Dans la salle d’attente du service de cardiologie pédiatrique de JeanJacques Rein ou dans le service où de minuscules bébés renaissent à la vie, il y a des kippas, des voiles, des têtes nues… Il y a surtout des mamans qui se penchent toutes sur le berceau de leur enfant qui lutte sous leurs yeux pour sa survie.
Il y a aussi quelque chose d’invisible dans ces lieux. Quand JeanJacques Rein les traverse à pas pressés, la blouse ouverte et virevoltante, l’œil tel un scanner qui repère tout en un dixième de seconde, il y a quelque chose d’incroyablement humain, chaleureux, fraternel et authentique qui l’accompagne. Ce quelque chose-là est activé par des dons venus du monde entier et mis en œuvre par le (trop) modeste patron du service et ses collaborateurs. Ce quelque chose-là est relayé ensuite par ces pères et mères qui tente d’insuffler à leur enfant en danger, les promesses d’une vie qui lui tend les bras. Ce quelque chose-là ne peut se traduire par d’autres mots que ceux que nous avons écrits… Mais ce quelque chose-là diffuse efficacement les invisibles molécules de la Paix, c’est une certitude…
Muriel Haïm raconte moi comment on fait pour travailler dans un pays en guerre...
Rencontre, à Paris, avec la présidente de l’association « Un cœur pour la paix ». Muriel Haïm se dépense sans compter pour que les enfants palestiniens aient accès aux soins dont ils ont terriblement besoin… « Aussi loin que je me rappelle, j’ai toujours voulu faire quelque chose pour la paix » : voilà la réponse, désarmante, que nous fait Muriel Haïm à notre question sur les raisons de son engagement. Cette responsable des affaires économiques et de la communication d’un grand laboratoire pharmaceutique, qui fête sa soixantaine cette année, vit à Paris et se démène comme une folle pour « un cœur pour la paix ». « En fait, je suis une quêteuse professionnelle et je passe beaucoup de temps à lever des fonds pour l’association. Il nous faut environ 600 000 € par an pour atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés. Ce sont 70 enfants qui sont opérés désormais chaque année à Hadassah, plus d’un par semaine. Ce n’est que la partie la plus visible de notre action, nous formons aussi des médécins et soignants parlestiniens, nous avons également entamé des actions de sensibilisation des généralistes dans les territoires pour diagnostiquer plus tôt les maladies cardiaques chez les enfants. On pourrait aussi parler des actions de dépistage systématiques, deux jours par semaine, en Cisjordanie, de l’organisation d’une permanence de nuit à Hadassah, ou encore des groupes de parole palestiniens/ israéliens. Sans parler du centre de cardiologie de 42
en fait, je suis une quêteuse professionnelle et je passe beaucoup de temps à lever des fonds pour l’association.
pointe que nous allons ouvrir à Ramallah, pour tout le nord de la Cisjordanie. Alors oui, je passe beaucoup de temps à convaincre mes interlocuteurs afin de récolter cet argent qui nous est indispensable. C’est mon rôle… » L’histoire de cette jeune association (elle n’a été créée qu’en 2005) est bien représentative des deux personnalités qui en sont à l’origine. Muriel Haïm a vécu cinq ans en Israël et avait fait la connaissance, à l’époque, de Jean-Jacques Rein. une fois rentrée en France, quand le labo qui l’emploie la charge d’organiser un voyage de 25 médecins en Israël, elle recontacte le chef du service de cardio-pédiatrie rencontré quelques années plus tôt. « Raconte moi comment on fait pour travailler dans un pays en guerre… » lui demande-t-elle. Tout est parti de ces retrouvailles… « un an plus tard » raconte Muriel Haïm « un ami médecin américain, âgé de 77 ans, décide de vendre son laboratoire. Sur le fruit de cette vente, il nous a envoyé 150 000 $. C’était parti ! Cette somme a bénéficié à l’opération des 25 premiers gosses… »
Et çA nE S’ESt PluS jAmAIS ARRêté… Aujourd’hui, une seule chose énerve cette femme qui dégage une énergie manifeste. « C’est de ne pas toujours réussir à convaincre mes interlocuteurs, je sais qu’ils sont très sollicités et qu’ils doivent faire des choix. Mais quand leur choix ne se porte pas sur notre association, j’ai l’impression d’avoir échoué à les convaincre. ça de me décourage pas pour autant, dès le lendemain, je repars au combat... » Prochain objectif de la présidente d’« un cœur pour la paix » : Strasbourg ! Muriel Haïm est en train de finaliser le montage d’une association alsacienne de soutien aux actions qui, là-bas, en Israël, au plus près des réalités du quotidien des enfants palestiniens, font que le difficile chemin de la paix se débroussaille au quotidien par des citoyens et des professionnels admirables…
UN CŒUR POUR LA PAIX 48, rue Cortambert - 75016 Paris
www.uncoeurpourlapaix.org
Vous pouvez envoyer un don soit par courrier à l’adresse ci-dessus soit directement via le site. L’association est habilitée à délivrer des reçus Cerfa permettant aux donateurs de bénéficier d’une déduction fiscale équivalente à 66% du don.
Ils vivent à Jérusalem
Hadassah
La paix est en marche à tous les étages… C’est un endroit que les malades et leurs visiteurs ne connaissent évidemment pas. Les coulisses, disons même les entrailles du gigantesque centre hospitalier d’Hadassah. Ici s’activent tous ces professionnels de l’ombre, ces mille métiers qui assurent la maintenance de l’hôpital. Des couloirs de béton gris, des néons un rien blafard, une foule d’ouvriers qui vont et viennent sans cesse, une ruche là aussi.
Beli Deutsch, la presque soixantaine, est connu comme le loup blanc à Hadassah. Ce juif israélien, d’origine allemande, dirige plusieurs équipes d’entretien et parmi elles, une équipe de plomberie qui nous attend dans son atelier, niché au détour des couloirs du sous-sol du centre hospitalier.
Beli Deutsch
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L’endroit ressemble à tous les ateliers de maintenance du monde. Des étaux, un stock de pièces de rechange, de l’outillage un peu partout. Et au fond du local, trois hommes qui nous attendent alors que nous faisons notre entrée avec leur contremaître. Beli leur réexplique qui nous sommes, les raisons de notre venue et nous nous asseyons tous autour d’une vaste table. D’abord, ce sont des échanges de regard. Il n’y a pas de réelle méfiance (Beli les a bien sûr informés en amont de notre demande d’interview, ils savent qui nous sommes et ce que nous avons l’intention de leur demander..) mais chacun reste prudemment sur sa réserve. L’exercice est difficile pour tout le monde : nous ne sommes sans doute pas les premiers journalistes à poser des questions à ceux qui travaillent à Hadassah. Mais, à coup sûr, c’est bien la première fois qu’on souhaite les interviewer, eux qui passent d’habitude
totalement inaperçus avec leur bleu de travail. Quant à nous (il s’agit de notre première interview de la semaine passée en Israël), si nous avons certes envie et besoin de poser des questions, l’endroit est suffisamment inhabituel pour nous perturber quelque peu. D’autant que Beli, qui ne parle pas assez bien le français, prend connaissance de nos questions en anglais, écoute les réponses en arabe ou en hébreu, et les retraduit en anglais pour que nous puissions les noter… Peu à peu cependant, les langues se délient et la communication finit par passer. Sasson a 62 ans. Il est juif israélien, il vit à Jérusalem. Quand nous l’interrogeons sur son travail quotidien en compagnie de palestiniens, il est clair et net : « Personne ici ne rencontre le moindre problème. Que ce soit durant le travail, avant ou après, il n’y pas de musulmans ou de juifs ici. Il n’y a que des plombiers. Tout le monde travaille ensemble, nous vivons et nous travaillons de la même façon que d’autres plombiers, dans d’autres pays, vivent et travaillent ensemble. Tout cela est très naturel, nous sommes des plombiers à Hadassah, nous sommes tous collègues de travail et voilà tout… »
Naïm
il n’y pas de musulmans ou de juifs ici. Il n’y a que des plombiers. Naïm, 32 ans, est musulman et vit à Jérusalem-Est ; ce qui veut dire que, chaque jour, il franchit le mur pour se rendre à son travail à Hadassah. « Le mur n’a pas toujours existé, il reste quelque part nouveau à mes yeux. Pour moi, il n’est pas une nécessité mais je comprends qu’Israël le considère important pour sa sécurité. Maintenant, ce mur est un gros problème pour les jeunes palestiniens, quand ils doivent se rendre à l’école par exemple… Je n’ai pas de problème avec les juifs, aucun. J’ai des amis juifs et je les invite très souvent à la maison. Avec l’un d’entre eux, je suis même allé jusqu’en Géorgie pour acheter des… pigeons. Là-bas, les gens étaient stupéfaits de voir un juif et un musulman voyager ensemble et être manifestement amis. Pourtant, tout cela est parfaitement naturel, pour moi… » Le mur. Le mur qui balafre et sépare. Ce mur ne serait-il pas aussi dans les têtes ? Sasson : « Le mur est juste une nécessité pour contrer les attaques terroristes. Non, je ne pense pas qu’il soit dans nos têtes. En tous cas, pas entre nous, ici, à Hadassah. Il y a trente ans, je travaillais chaque jour à Gaza. Je prenais le bus matin et soir pour m’y rendre, puis un taxi arabe pour rejoindre mon lieu de travail dans la bande Gaza. Et il n’y avait aucun problème, aucun… » à ce stade de la discussion, Beli intervient : « Moi, juif israélien, je proteste contre le mur ! Chaque vendredi, je m’y rends avec des associations pour leur montrer ce que je considère être un vrai désastre. Et dans ce quartier de Sheik Jerah, un quartier à la limite de JérusalemOuest et Jérusalem-Est, je manifeste contre l’expulsion de ces familles palestiniennes pour laisser la place à mes compatriotes juifs. Et cela fait trois ans que c’est comme ça ! Je sais que c’est la loi, mais cette loi est injuste ! » Naïm intervient: « Moi, je lui dis chaque semaine : ne va pas là-bas, j’ai peur pour toi ! Mais il ne m’écoute pas». Beli sourit tranquillement… Et Naïm enfonce le clou, approuvé de la tête par Sasson : « La politique ne nous concerne pas. Nous sommes tous pour la paix et pour vivre ensemble tranquillement. Je donne mon sang et je ne demande
Sasson
pas qui le reçoit. Des juifs, des arabes… je m’en fiche, je donne mon sang, c’est tout. Je vais vous dire : quand il y a de l’argent en jeu, ça n’arrête jamais. Les problèmes ici font l’affaire des gouvernements, au fond… Imaginons qu’il n’y en ait plus, quelle sera leur utilité ? Tant qu’il y aura de l’argent disponible pour acheter des armes, on fera la guerre ! Nous, les plombiers d’Hadassah, nous n’avons aucun problème à vivre et travailler les uns avec les autres. Beli est israélien, le chef-adjoint est palestinien, et alors ?.. » Sasson, qui ne parle pas beaucoup mais écoute avec attention, conclut : « Il n’y a pas d’autre choix que vivre et travailler ensemble… »
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De la douce Haïfa à l’antique Césarée, de Tel-Aviv au désert de Judée jusqu’aux rives de la Mer Morte, feuilletez avec nous les pages d’un livre d’histoire grandeur nature…
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Errances
en terre sainte hAïfA Elle est bien douce cette ville, aujourd’hui… C’est ce que nous nous disons en parcourant les belles plages qui bordent l’ouest de Haïfa, l’historique port d’Israël, niché sur les flancs du mont Carmel, tout au nord de l’état hébreu. Nous avons rendez-vous avec Patrice Wolf. La jeune quarantaine, ce Strasbourgeois a fait, avec femme et enfants, son « aliya » (son retour) en Israël il y a quatre ans. Il est aujourd’hui responsable du développement d’un grand laboratoire qui conçoit et commercialise une impressionnante gamme de produits de soin et de beauté à partir des ressources minérales des eaux de la Mer Morte. Le clin d’œil de Patrice Wolf à ses amis strasbourgeois.
les habitations limitrophes, faisant plusieurs morts parmi la population. Les nombreuses communautés de la ville (musulmans, juifs, chrétiens, druzes, baha’ï…) ont toutes été touchées par ces événements et ont alors fait preuve d’une solidarité exemplaire…
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Nous faire découvrir la capitale du nord d’Israël en quatre petites heures lors de notre court crochet à Haïfa : le pari était tenable, selon lui. Pari tenu ! à elle seule, Haïfa est un condensé des mille et une surprises qu’offre Israël. Prenez l’avenue Ben Gourion, par exemple. à première vue, elle est banalement rectiligne, bordée d’hôtels, de restaurants et de commerces. Elle ne dépasse qu’à peine le kilomètre… Mais ces lieux regorgent d’histoire. Tout en bas, le mythique port d’Haïfa, le plus grand d’Israël qui fut très longtemps le seul lieu par lequel transitaient les indispensables marchandises nécessaires à l’édification de l’état hébreu. Au large d’Haïfa, en 1947, la marine anglaise intercepta l’Exodus, un vieux cargo, à bord duquel 4 500 hommes, femmes et enfants juifs, survivants de la Shoah, voulaient rejoindre la Palestine. L’histoire de ce bateau et de ses occupants, et l’émotion internationale devant le sort subi par ses passagers, contribua pour beaucoup à la proclamation de l’état d’Israël, un an plus tard… Des quais du port d’Haïfa, on distingue sans problème les côtes du sudLiban, juste en face, à quelques kilomètres. Il y a six ans, lors de la seconde guerre du Liban, des salves de roquettes, tirées par le Hezbollah, s’abattirent à l’aveugle sur les silos et les entrepôts du port ainsi que
On remonte tranquillement l’avenue Ben Gourion. Patrice nous demande soudain si nous avons envie de découvrir un vieux cimetière templier… Aussitôt dit, aussitôt fait. Quelques dizaines de tombes nichées au pied d’un quartier d’affaires aux tours vitrées flambant neuves… Elles constituent la dernière demeure de nombre de familles allemandes, arrivées à Haïfa au XIXe siècle, toutes membres de la Société des Templiers, un mouvement chrétien qui n’a rien à voir avec… l’Ordre des Templiers du Moyen-Âge. Incongrue, mais utile, la visite de ce petit cimetière… Elle nous permet ensuite de mieux comprendre pourquoi la partie supérieure de l’avenue se nomme « le quartier allemand ». Car ces émigrants, débarqués là parce qu’ils étaient convaincus que le Messie reviendrait une seconde fois en Palestine pour établir la paix, ont pris
racine, développé des commerces, des hôtels, des restaurants avec une architecture plus proche de celle de la Forêt-Noire que de celle du MoyenOrient. Et Patrice de nous inciter à pénétrer dans un des hôtels bordant l’avenue, un vieux palace au charme désuet qui respire bon le « Gemütlichkeit » d’outre-Rhin. C’est étonnant… il ne manque que la généreuse serveuse blonde avec son plateau de bocks de bière sur l’épaule ! Pour autant, nous ne sommes pas au bout de nos surprises. En remontant l’avenue, s’offre à nos yeux une vision encore plus étonnante ! Au sommet de la grande colline qui la barre vers le sud, surgit une grande coupole au toit doré, de laquelle dévalent de somptueux jardins « à la française » dont le gazon vert pomme, traversé par des escaliers de marbre, est agrémenté de superbes massifs floraux et de fontaines au glou-glou insolite… Il s’agit du principal lieu saint des adeptes de la religion baha’ï, fondée en Iran au début du XIXe siècle par Siyyid Ali Muhammad, dont les restes reposent ici. Cette religion compte six millions d’adeptes de par
céSARéE, lE PORt DES ROmAInS Créé de toutes pièces par les Romains, le port de Césarée, à une soixantaine de kilomètres au sud d’Haïfa, possède le titre inaliénable de premier port artificiel de l’histoire de l’humanité ! Hérode le Grand voulut en faire l’égal d’Alexandrie et les historiens disent que plus de 400 navires pouvaient y accoster en même temps. Au coucher de soleil, il y a quelque chose de fascinant à s’asseoir sur les gigantesques rochers qui bordent la grève à l’entrée de la vieille cité de Césarée et imaginer les galères romaines accédant à ce port mythique. Les vestiges de l’époque romaine se sont ensuite endormis durant de très longs siècles. Ce n’est qu’avec la création du kibboutz de Sdot Yam au début de la Seconde Guerre mondiale qu’ils revirent le jour. Les pre-
le monde (l’immense majorité vivant en Inde) et son but est d’unir tous les hommes dans une foi et une cause universelle communes. Pour les Baha’ï, Abraham, Jésus, Mahomet, Moïse, Krishna, Bouddha… sont tous les prophètes d’une seule et même religion et les fidèles baha’ï lisent indistinctement les Evangiles, la Torah ou le Coran. Quand on aura ajouté que les Baha’ï prônent la charité, l’égalité entre les sexes et qu’ils fonctionnent sans clergé, notre esprit… Or Norme aura tôt fait de nous souffler que règne ici une atmosphère décidément bien délicieuse…
miers émigrants juifs de l’époque les redécouvrirent, déclenchant la curiosité et l’intérêt scientifique de nombreux archéologues qui, peu à peu, les restaurèrent. Aujourd’hui, la vieille ville de Césarée est devenue un des sites touristiques les plus fascinants d’Israël. En témoigne, à quelques kilomètres du port, un splendide acqueduc, dont les Romains avaient le secret . Sa parfaite restauration est réellement bluffante… 49
Israël est en danger depuis toujours…
Léa et albert bénatar Binyamina est une petite ville à quelques encablures de Césarée. Le hasard (et la magie des amitiés) nous y a fait rencontrer ce couple recomposé de juifs sépharades. Albert, 55 ans, est né au Maroc. Il est arrivé en Israël avec ses parents à l’âge de cinq ans. Léa, 56 ans, d’origine algérienne, a vécu son enfance en France avant, elle aussi, d’émigrer en Israël à l’âge de treize ans. Nous sommes chaleureusement accueillis dans la grande tradition maghrébine : Léa nous a préparé « quelques » petits gâteaux à la bonne odeur de miel (il y en a cependant suffisamment pour résister à un siège d’une semaine !...). La guerre a profondément marqué ce couple. Après quatre années passées au kibboutz de Carmel, près de Haïfa, Albert s’est engagé dans l’armée à l’âge de 18 ans. un mois après, c’était la guerre du Kippour, en 1973… une longue carrière s’en est suivie : « Les juifs sont en guerre depuis 2000 ans » lâche Albert, « et Israël est en danger depuis sa création. Nous ne sommes entourés que d’ennemis… » Léa, elle aussi, a connu les affres de la guerre : « Durant la guerre du Golfe, en 1991, je vivais à Beer-Sheva, aux portes du désert du Neguev. Je me souviens du hurlement des sirènes, lors des alertes. Il y avait un abri étanche dans chaque maison et on ne sortait jamais sans avoir notre masque à gaz avec nous. C’est ça vivre dans un pays en guerre, on n’oublie jamais cette peur-là… » Suivent quelques minutes où Albert nous conte les difficultés qu’il a rencontrées avec les artisans qui ont contribué à l’édification de leur maison de Binyamina. Des histoires de malfaçons volontaires qui auraient vu des tuyaux d’évacuation d’eau usée bouchés par du ciment… « C’est du terrorisme ça aussi » finit par lâcher l’ancien militaire. Léa semble catégorique : « Ils sont jaloux de voir Israël avancer… »
« On vIvRAIt bIEn tOuS EnSEmblE… »
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à un certain moment, et malgré la chaleur de leur accueil, nous nous sommes sérieusement demandés si cette interview allait pouvoir se poursuivre longtemps ainsi. Puis, peu à peu, les réflexions de ce couple ont été de moins en moins conditionnées par la peur. « Les Arabes sont vos ennemis ? » avons-nous fini par demander. « Non » ont-ils répondu sans réfléchir. « Nous nous méfions, c’est tout... » soupire Albert. « J’avoue que je n’aime pas ce mur qui a été construit. ça me fait mal de voir ça. Mais il a été efficace, il n’y a plus d’attentats. Le mur est une solution provisoire jusqu’à ce qu’il y ait la paix… »
Nous avons insisté en leur demandant si la paix était possible. « Oui, c’est possible » a répondu Albert. « Il faut bien sûr un état palestinien mais, en même temps, il faut que les Palestiniens reconnaissent qu’Israël est un état à part entière. Je suis convaincu que le gouvernement israélien veut la paix mais tout le monde se rappelle que nous avons redonné Gaza aux Palestiniens. Et, en échange, les Israéliens ont reçu des bombes… » Léa parle de cette paix si difficile à établir et depuis si longtemps : « Si elle survenait, ce serait magnifique. On vivrait bien tous ensemble. On apprendrait tant les uns des autres. Ce serait si bien. J’adorerais… » Plus tard, nous reparlons de la paix qui est apparemment dans toutes les têtes. Et, pour bien expliciter notre question, nous tendons la main à Albert Bénatar. « Si je te disais : allez, serrons-nous la main, faisons la paix… si les Palestiniens te tendaient la main comme ça, la serrerais-tu, cette main-là ? » un long silence d’une dizaine de secondes. Puis Albert me serre la main que je lui tends. Tout en me disant : « J’ai une main droite que je tends pour la paix mais… l’autre main continue à monter la garde ». S’en suit un énorme éclat de rire… Plus tard encore, à la nuit tombée, le couple Bénatar nous salue chaleureusement quand nous remontons dans notre voiture. « Shalom ! » « Shalom ! » nous répondent-ils. La paix, ce merveilleux désir encore si difficile à dire…
L A G R A N D E É C O L E D E L’ A U D I T, G E S T I O N & F I N A N C E Cycle Expertise Comptable Diplômes d’État
■ BTS
Bac+2
■ DCG
Bac+3 - Grade Licence
Comptabilité et Gestion des Organisations Diplôme de Comptabilité et de Gestion
■ DSCG Bac+5 - Grade Master
Diplôme Supérieur de Comptabilité et de Gestion
■ DEC
Bac+8 - Grade Doctorat
Diplôme d’Expertise Comptable
Conseiller Financier®
■ Master 1
Titre Professionnel reconnu par l’état de niveau II, RNCP
45 aniesnce
d’expér ccès et de su
03 88 36 61 40
www.centre-europe.fr • 24a, rue des magasins - 67000 Strasbourg
Tel-Aviv cette hideuse merveille dans l’obscurité de l’Orient Que penser d’une ville qui, née il y a 100 ans seulement, bluffe par son dynamisme trépidant, son rayonnement culturel, sa jeunesse bouillonnante, sa philosophie du respect de l’autre, ses contrastes impossibles, ses paradoxes multiples, son énergie qui court dans les rues du matin au soir et du soir au matin, ses musées ultra designs, ses restaurants et ses marchés orientaux ?
STéPHANE LOuY
à ce coin de l’Allée Ben Gourion, je débouche sur une large avenue dont le terre-plein central ombragé propose à chacun de ses coins, un aimable kiosque pour déguster une boisson bien fraîche. Suis-je dans une de ces charmantes villes anglaises qui fleurent bon la douceur de vivre ? Mais non ; sur la piste cyclable passent tranquillement quelques Vélhop qui me rappellent étrangement Strasbourg, mais aussi d’étranges trottinettes électriques…
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Où suis-je, lorsqu’une promenade me plonge immédiatement dans l’architecture Bauhaus, construite par les immigrés allemands de 1900 et qu’au détour du chemin j’aperçois la plage ? La plage de Tel-Aviv : plusieurs kilomètres de sable fin envahis par les bars, leurs musiques et leurs ambiances décontractées. Cela va de la plage pour monsieur tout le monde à celle réservée aux chiens ou la plage pour les gays. un instant, je crois avoir atterri en Amérique du sud… Erreur, je lève les yeux : le long de cette belle promenade de cinq kilomètres s’étend une multitude d’hôtels écrasants, clinquants, colorés, décrépis parfois, et de véritables musées comme celui dont la façade a été réalisée par Agam et dont la modernité, tout au bout de la baie, est détrompée par un petit village de pêcheurs à l’allure médiévale, aux pierres ocres d’où s’échappent beffrois et minarets.
STéPHANE LOuY
500 000 à 2 000 000 d’habitants, selon la saison, et qui enfle et désenfle chaque jour, au rythme de ceux qui viennent pour le business ou ceux qui sont en vacances. Tel-Aviv, ce concentré de Copacabana, Los Angeles, New-York, Berlin où voisinent des drugstores et des antiquités, le houmous et les bars à yaourts, les surfers en tongs et les nightclubers, les chapeaux noirs des religieux et les hommes d’affaires sans veste ni cravate...
La chaleur m’a happé et je regarde en contrebas de jeunes éphèbes sportifs s’en donner à cœur joie sur les terrains de beach-volley au soleil de midi ou… sous les projecteurs de minuit. Quelle est cette ville aux multiples noms, la ville des collines, la ville blanche, The Bubble ? Cette ville qui respire l’histoire d’un pays et sa modernité, cette ville où les filles vous sourient, qu'elles portent minijupes ou mitraillette en bandoulière, ou les deux à la fois, quelquefois... Que faire ce soir, entre l'opéra, la cinémathèque mythique de Karlsbad Street, où est née la "Nouvelle Vague israélienne" avec son chef de file, Dan Wolman, la disco underground Le Maxim's ou le Cat and Dog, le houmous de l'échoppe de Jaffo où le lounge-bar Marina Roof Bar and Pool ? Déambulant au gré des ombres de ses palmiers, je me retrouve soudain plongé au sein d'une mégalopole où dansent les buildings verticaux soumis au flux trépidant d’une ville d’affaires, dont la population varie de
Comment imaginer que, 100 ans plus tôt, le goudron surchauffé n’aurait été sous mes pieds qu’une dune de sable ? Et soudain de ses entrailles minérales a surgi la ville "Mervugly", cette hideuse merveille dans l’obscurité de l’Orient, la douceur de la Méditerranée et l’éblouissement de sa foultitude de terrasses et lounge-bars... Le temps est venu de sortir du Café Francfort pour entrer dans un bar à tapas… une ville à l’image de ses habitants et de ses migrants tantôt anglais, tantôt allemands, tantôt français où il n’est pas rare non plus de croiser des russes ; une ville dont les habitants affichent constamment le respect de l’autre, modestement, et où les panneaux indicateurs sont en trois ou quatre langues : l’arabe, l’anglais, l’hébreu et, parfois, le russe… Bienvenue à Tel-Aviv ! STéPHANE LOuY
Tel-Aviv by night Le site de référence pour les francophones : www.searchisrael.fr Merci à Karen Sutton pour son accueil et sa disponibilité pour m'initier à Tel-Aviv. Merci à Dan Wolman pour sa gentillesse et son éclairage sur le cinéma israélien.
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CETTE BALAfRE QUI SÉpARE…
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Il surgit toujours brusquement la première fois, et sa vision ne vous lâche plus… Déjà plus de dix ans que le gouvernement israélien d’Ariel Sharon a débuté la construction de cette « barrière de sécurité » destinée à isoler complètement les territoires palestiniens de Cisjordanie du reste d’Israël et ainsi prévenir les attentats… un « mur » de béton gris de plus de 730 km de long, des miradors aux équipements électroniques sophistiqués, des chemins de ronde bitumés pour les patrouilles de véhicules militaires ou de vastes étendues de sable, pour mieux repérer les traces des audacieux qui oseraient braver l’interdit… Sur les routes et autoroutes voisines, des check-points militaires ou des vigiles civils avec les gilets pare-balles, l’arme automatique à la main, et le regard froid et métallique sous les Rayban…
quelques années, le pays le doit bien plus aux opérations de police de Tsahal, son armée, qui traque sans relâche les extrémistes palestiniens sur leurs propres terres. Bien sûr, depuis son édification, le mur a aussi contribué à éviter ces horreurs, mais à quel prix ? De « l’autre côté », il y a des enfants qui chaque jour butent contre le béton gris. Le mur s’édifie alors aussi dans leur tête. Devenus plus grands, ils ressentiront la haine. Et le cycle infernal pourra continuer…
Ce mur est l’horrible fruit d’une politique sécuritaire destinée à « protéger les Israéliens contre les attaques sanglantes des terroristes ». Voilà pour le discours officiel… Mais ils ont été nombreux, nos interlocuteurs, à démythifier cette balafre. Voire à l’estimer inutile (lire à ce sujet l’interview de Forsan Hussein, page 24). Objectivement, si Israël se sent beaucoup plus en sécurité aujourd’hui qu’il y a
Et au-delà du mur ? Au-delà, il y a les territoires palestiniens qui abritent des êtres humains dont l’immense majorité ne souhaite que vivre et travailler en paix. Au-delà du mur, il y a aussi ces
colonies illégales sur lesquelles le gouvernement israélien actuel ferme les yeux. à chaque fois, c’est le même scénario. Les terres sont confisquées, les femmes, hommes et enfants qui y vivent sont expulsés encore un peu plus loin… Les colons construisent, se protégent et le cycle infernal se prolonge, indéfiniment. Tous les israéliens ne sont pas d’accord : certains manifestent sans relâche contre ce scandale permanent (lire à ce sujet l’interview de Beli Deutsch page 44). Mais, pour le gouvernement, le mur est aussi très visible, concret et très « bankable » pour l’opinion. Il y a le mur visible que nous avons côtoyé et traversé. Mais, bien plus tragique encore, il y a le mur dans les têtes… Cependant, à chaque fois que nous avons pu dialoguer longuement et poser les vraies questions, tous nos interlocuteurs ont révélé un point commun incontestable : ils ne pensent qu’à la paix…
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un jour, ce mur tombera. Car ils tombent tous. Tôt ou tard…
Ci-dessus : Le mur est aussi un support où le « street art » prend toute sa dimension. En 2007, JR, un photographe resté anonyme, a réalisé Face2Face, la plus grande expo illégale au monde. Il a réussi à afficher d’immenses portraits d’Israéliens et de Palestiniens dans huit villes et de part et d’autre du mur.
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Ci-dessous : L’artiste français Ernest Pignon-Ernest a également utilisé le mur pour rendre hommage au poète Mahmoud Darwich, une des figures phares de la poésie parlestinienne.
EntRE DEux cOllInES, lA PluS vIEIllE vIllE Au mOnDE…
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Il n’était pas question de quitter Israël sans nous rendre au bord de la mythique Mer Morte, le berceau des trois grandes religions monothéistes. Ariel Assaf, qui fut notre guide érudit, sympa et souriant à Jérusalem, était du voyage. Avec lui, nous avons d’abord traversé le désert de Judée. D’immenses étendues de rocailles blondes à perte de vue, de temps en temps un campement de bédouins… ce désert aride est une destination à lui seul. Ariel nous fait soudain quitter l’unique serpent de bitume qui descend imperturbablement vers les rivages de la Mer Morte. une simple piste qui grimpe vers les hauteurs. Aucun panneau indicateur, pas même un simple écriteau. Lui seul sait où il nous emmène… une demi-heure cahotique avec chaque caillou qui fait souffrir les amortisseurs de notre voiture de location. un panache de poussière gicle en permanence des pneus arrières… Puis, tout là-haut, un « parking » sur le côté. un dernier monticule qu’on grimpe à pied et… le choc d’un panorama exceptionnel. Les yeux se perdent à 180° sur ce tapis de collines où les ombres des rares nuages glissent tranquillement sur un désert minéral, caressé par le doux vent de janvier. un silence total, absolu… cet endroit lunaire est magique. Vers le sud, on repère vite l’énorme lèvre du canyon de Wadi Quelt qui a été creusé il y a des millénaires par ce fleuve impétueux. Il débouche sur la vallée du Jourdain. Et là, entre deux collines, nous apercevons au loin les premières habitations de la plus vieille ville au monde, Jéricho. Les archéologues ont relevé des traces de peuplement qui datent de plus de… 9000 ans avant Jésus-Christ. Jéricho, qui s’étale à une altitude de 240 mètres… en dessous du niveau de la mer, fut, avant « l’intifada » (la guerre des pierres), la destination où tous les Israéliens rêvaient de passer les week-ends d’hiver… Aujourd’hui, elle retrouve peu à peu sa tranquillité perdue et s’ouvre de nouveau au monde. Ariel observe notre méditation du coin de l’œil. Le bougre a décidé de nous bluffer autant qu’il le peut. Nous le suivons sur un sentier caillouteux au flanc d’une colline que nous contournons. Quelle surprise peut bien encore nous réserver un endroit aussi aride et désertique ? Elle est de taille ! Encastré au bas d’une falaise abrupte, un monastère semi-troglodyte dont le bleu des coupoles scintillent sous le soleil. Saint-Georges de Koziba existe depuis plus de quinze siècles mais ses bâtiments actuels ont été érigés en 1878 et sont habités par… des moines orthodoxes grecs. un livre d’histoire là encore: l’endroit fut oc-
cupé par les égyptiens, détruit par les Perses qui y massacrèrent ses moines ermites (leurs restes reposent encore dans ces lieux) avant d’être occupé par les Croisés venus d’Europe pour libérer la Terre sainte. Abandonné ensuite, c’est un pèlerin grec, le moine Kalinikos qui entreprit de le restaurer et lui donna sa configuration actuelle à l’aube du XXe siècle… Au milieu de nulle part, cerné par un désert d’une aridité totale, en plein cœur des territoires palestiniens, à une encablure de Jéricho… un monastère orthodoxe grec ! Israël est vraiment une terre incroyable…
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à l’aube
des temps bibliques
L’ombre de la colossale forteresse de Massada envahit la vallée du Jourdain et s’apprête à recouvrir la Mer Morte. Une nouvelle nuit tombe là où tout a commencé…
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Au détour d’un virage, dans la descente interminable qui nous emmène vers le point le plus bas sur la surface de la Terre, une langue bleue est apparue est en plein désert : la Mer Morte. un dernier check-point (nous sommes en plein territoire palestinien…) et la voiture roule sur l’unique route qui longe la côte. Soudain, Ariel, presque négligemment, nous glisse : « à droite, ce sont les montagnes de Qumrân. C’est tout près d’ici qu’ont été découverts les Manuscrits… » Puis il se tait, sûr de l’effet que ses paroles viennent de produire… Le plus curieux est qu’il ne nous faut pas le moindre effort d’imagination tant les dernières journées en Israël nous ont imprégnés d’histoire et de culture.
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Palestine, printemps 1947 : Muhammed edh-Dhib Hassan, un berger qui fait paître ses chèvres dans les montagnes de Qumrân, part à la recherche d’une d’entre elles qui manque à l’appel. Il pénètre dans une grotte. Dans la pénombre, le temps que ses yeux s’habituent à la quasi absence de lumière, il tend désespérément l’oreille, à l’écoute d’éventuels bêlements de l’animal disparu. Mais le silence est total… Alors qu’il s’apprête à quitter les lieux, il finit par apercevoir un amas de terre qui attire son attention. De ses mains calleuses, il repousse plusieurs centimètres de poussière et de fins gravats. une jarre en terre cuite, puis deux, puis trois… à l’intérieur, il découvre, parfaitement conservés, de longs rouleaux de cuir enveloppés dans de la toile. Il en ouvre un : apparaît alors un très ancien manuscrit… Il raconte sa découverte aux rares être humains qui vivent dans les environs. Tous décident de continuer les recherches. Et, dans les mois qui suivent, plusieurs autres rouleaux sont découverts, dans la même grotte et dans d’autres excavations voisines. Les bergers n’ont aucune conscience de ce qu’ils ont mis à jour, ils décident d’aller négocier leurs trouvailles chez un vieil antiquaire de Béthléem, Ibrahim ‘Ijha… C’est là que les découvrira l’archéologue israélien Eleazar Sukenik qui convaincra ensuite le gouvernement d’acheter ceux qui avaient été mis en vente… Les Manuscrits de la Mer Morte sont sans doute les plus fascinants écrits découverts par l’homme. Beaucoup de rouleaux sont parfaitement conservés comme « Le rouleau d’Isaie » qui est le plus ancien manuscrit hébreu
complet connu d’un livre biblique (Le Livre d’Isaie). La datation précise indique qu’il a été confectionné au IIe siècle avant Jésus-Christ. Ce texte est écrit en trois colonnes sur dixsept feuilles de cuir cousues bout à bout et le rouleau entier mesure 7,30 m. un long travail de traduction a alors commencé, malheureusement freiné des quatre fers par l’église catholique qui a longtemps craint que les textes mis au jour portent atteinte à la spécificité de la parole chrétienne. Depuis 1990, l’église catholique, n’a plus le monopole de la traduction des textes des rouleaux. Dans les années qui suivirent, Israël décida le libre accès à l’ensemble des manuscrits. Des traductions sont désormais disponibles dans le monde entier. En revanche, beaucoup d’autres rouleaux ne contenaient que des fragments de texte (plusieurs dizaines de milliers) qu’il faut donc patiemment assembler, tel un puzzle. Le travail se poursuit encore aujourd’hui…
massada Alors que nous poursuivons notre route plein sud, un immense rocher se détache soudain au-dessus des falaises vers l’Est du désert de Judée. Tel un « Ayers Rock » moyen-oriental apparaît alors le gigantesque piton de Massada, un des lieux les plus mythiques d’Israël. La montagne s’élève à 450 mètres au-dessus de la Mer Morte. une verticalité absolue, un colossal monolithe. une histoire légendaire, aussi… Massada est le symbole ultime de la légendaire résistance d’Israël face aux envahisseurs, depuis l’aube des temps bibliques. Hérode le Grand, roi de Judée, fut le premier à y construire une forteresse pour abriter les garnisons romaines, chargées de combattre les juifs. Après sa mort, en l’an 66 de l’ère chrétienne, la forteresse fut conquise par un groupe de juifs sicaires (du nom d’une dague tout à fait caractéristique qui les armait, la sica). Bientôt rejoints par des milliers d’autres qui fuyaient Jérusalem après la destruction du Temple, ils organisèrent, à partir de leur base de Massada, la grande révolte juive contre les Romains. Deux ans plus
tard, plus de 10 000 légionnaires romains entamèrent le siège de Massada. La résistance des juifs assiègés (ils étaient un millier) est entrée dans l’histoire d’Israël. Il fallut plus de sept mois pour que les troupes romaines viennent à bout de leur lutte acharnée. à leur arrivée sur le plateau de Massada, les Romains ne trouvèrent aucun survivant. Tous s’étaient donnés la mort. L’histoire de ce suicide collectif est littéralement ébouriffante : ce geste ultime est strictement prohibé dans la religion juive qui, cependant, n’interdit pas le meurtre pour peu qu’il soit pratiqué dans des conditions extrêmement précises. Ainsi, chaque père aurait tué sa propre famille puis, par tirage au sort (des tuiles de pierre cuite qui ont été utilisées pour ces désignations en attestent), les hommes survivants se seraient tour à tour entretués, jusqu’au dernier qui lui, se serait suicidé… Nul ne peut prouver l’entière véracité historique de cet épisode tragique. Néanmoins, Massada est devenue très vite le symbole de la résistance juive à toutes les oppressions. Il n’y a pas si longtemps encore, les soldats des unités d’élite de Tsahal montaient à Massada par le sentier du Serpent (encore utilisable de nos jours, pour les plus courageux) avant de prêter ce serment au sommet du piton : « Jamais plus Massada ne tombera ! ». La visite de Massada (au coucher ou au lever du soleil, de préférence) est étonnante à plus d’un titre grâce à la restauration pointilleuse des vestiges. Après avoir emprunté le téléphérique ultra-rapide qui conduit au sommet, nos pas se perdent sur ce plateau inondé de soleil tout au long de la journée. Ariel nous explique les mille et une subtilités déployées par les assiégés pour résister (notamment l’exploitation des citernes à eau de pluie construites par la première garnison romaine qui avait occupé les lieux). Et, du haut du piton, on distingue parfaitement les vestiges des camps romains qui, il y a deux millénaires, encerclaient la forteresse assiégée.
une fois de plus, nous nous sentons les témoins lointains des exceptionnelles pages d’un des plus beaux livres d’histoire qui soit… Au bout de plusieurs appels du hautparleur qui signale le départ imminent de la toute dernière cabine de téléphérique de la journée, nous décidons enfin d’interrompre notre errance sur le plateau de Massada. Au loin, derrière nous, le soleil disparaît derrière les montagnes du désert de Judée, le spectacle est fantastique… Jusqu’au bout, la forteresse de Massada nous aura magnétisés et il nous faut même courir pour nous engouffrer dans l’ultime benne qui redescend. Il ne fallait pas la rater... Car, avant même que le soleil revienne une nouvelle fois éclairer la Terre Sainte, notre avion du retour devait décoller très tôt de Tel Aviv…
Or Norme adresse un très chaleureux clin d’œil à l’ami Ariel Assaf. Cet alsacien d’origine a décidé il y a plus de trente ans d’émigrer en Israël pour s’y établir et fonder une famille. Il est aujourd’hui guide professionnel. Ariel nous a accompagnés à Jérusalem et lors de nos errances dans le désert de Judée et sur les rives de la mer Morte. Il nous a livré mille anecdotes et expliqué des quantités de mystères. Merci Ariel, tu as été un délicieux complice. Ariel Assaf - 00972 2 9973284 - ariel.guide@gmail.com 61
bientôt la paix ? En conclusion des pages spéciales Israël de notre numéro « Destinations de légende », la rédaction de Or Norme Strasbourg a rencontré deux écrivains qui, chacun avec leur sensibilité –et leur talent- parlent des conditions de la paix en Israël. elias Sanbar est ambassadeur de la Palestine auprès de l’UNeSCO. Il n’avait que quinze mois quand sa famille a quitté haïfa, après la proclamation de l’État d’Israël, pour se réfugier au Sud-Liban. Dans les années 90, il a dirigé la délégation palestinienne aux négociations sur les réfugiés et est membre du Conseil national palestinien depuis 1988. elias Sanbar vient de signer « Le rescapé et l’exilé», ouvrage rédigé avec Stéphane hessel. (editions Don Quichotte).
On ne présente plus Marek halter. L’auteur de « La mémoire d’Abraham » et, récemment, de « L’inconnue de Birobidjan » (un livre superbe – Éditions Robert Laffont) est un conteur extraordinaire. Rescapé du ghetto de Varsovie durant les années de plomb de la Seconde guerre mondiale, Marek halter a fondé dès 1967, au lendemain de la guerre des Six Jours, le Comité international pour la paix négociée au Proche-Orient. Ami personnel de Yitzhak Rabin, Shimon Peres et Yasser Arafat, il a participé activement à l’organisation de rencontres secrètes entre Israéliens et Palestiniens, à Paris et à Oslo.
Elias Sanbar
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« La paix peut survenir plus vite qu’on ne le pense…» « Tous les états, dans le monde, ont été créés à partir d’injustices. Même la France : des centaines de milliers de Vendéens n’ont-ils pas été massacrés durant la Révolution Française ?.. Israël est néanmoins le seul pays qui, aux yeux du monde, doit en permanence faire ses preuves. De toute façon, il y aura la paix, c’est certain, et elle surviendra plus vite qu’on ne le pense. Toutes les guerres finissent un jour car survient la fatigue de la guerre. Regardez à Belfast : même race, même Dieu, même langue. ça a duré pendant 100 ans ! Et un jour, les femmes sont descendues dans la rue et la guerre s’est arrêtée. J’y étais, avec Kouchner…Si les Palestiniens et les Israéliens étaient seuls, ils seraient en paix depuis longtemps. Il y a tout le temps des intermédiaires : la France, les états-unis, etc, etc… Stop ! C’est comme pour un enfant : si on s’intéresse trop à lui, il fait monter les enchères en permanence. Il veut toujours plus de bonbons… Si on rassemble les forces vives des deux côtés, sans les uSA ni personne d’autre, plus personne ne pourra empêcher la paix de se mettre en mouvement. à quel terme, je ne sais pas. Le prophète Jérémie avait été jeté au fond d’un puits par la police du Roi. Que vois-tu ? lui criaient ses amis. Il répondit : « Maintenant, je vois de la lumière… » Il faut être au fond du puits pour voir la lumière. On n’y est peut-être pas encore et j’espère bien que la fatigue viendra avant qu’on y soit !.. »
JuLIE FOuRNIER
AuDE MuLLER
marek halter
« Seule la paix peut garantir sa sécurité à Israël…» « Il y a une vraie volonté de réconciliation entre les deux peuples, tant à Gaza qu’en Cisjordanie, mais cette volonté de réconciliation est gangrenée par tant d’éléments d’inquiétudes !... Il faudrait qu’elle se concrétise autour d’une table mais pour cela, on a besoin d’être deux. un exemple : il y a quelques semaines, c’était la énième réunion de la dernière chance en Jordanie. Chacun devait arriver et être prêt à développer ses propositions très en détail, jusqu’à l’échange de territoires. L’Autorité palestinienne était prête. Du côté d’Israël, la délégation est arrivée avec une simple feuille de papier sur laquelle étaient inscrites une liste de 21 points à discuter. La même feuille que depuis 21 ans ! Le gouvernement actuel d’Israël est encore là pour deux ans et, au rythme de l’expansion des colonies illégales, il y a un énorme risque d’explosion. D’autant qu’avec le printemps arabe, la région est en plein bouleversement. un conflit qui n’a pas trouvé de solution, ça n’a jamais existé dans l’histoire ; il y en a assez de cette comptabilité de morts et de souffrances ! Il faudrait élargir les places autour de la table de négociation mais les états-unis considèrent que le processus de paix est leur chasse gardée. Le Droit international, ils n’aiment pas, ça les encombre. Autour de la table, en plus des uSA, il faudrait l’Europe, la Russie et l’ONu de façon à redonner confiance au peuple palestinien. Oui, la paix pourrait ainsi se mettre en œuvre et d’ailleurs, seule la paix peut garantir la sécurité pour Israël… »
Coexist En reprenant l’avion du retour, nous savions que nous rentrions avec un passager clandestin indétectable, même par les plus sophistiqués des scanners de sécurité de l’aéroport Ben Gourion : l’espoir qu’Israël et ses peuples connaissent très vite la belle lumière de la paix. Nous savons que c’est possible, ils nous l’ont tous dit et nous avons bien senti leur détermination. C’est cette réalité-là, que nous ne lisons que trop rarement dans nos journaux et magazines français, que nous voulions vous raconter… Pour cela, nous avons rencontré toutes ces belles personnes dont vous avez lu les propos dans les nombreuses pages de cette revue « Destinations de légende ». Toutes vivent, travaillent, aiment, souffrent, rient et respirent sur la Terre sainte d’Israël. C’est leur terre, tous les peuples qui composent aujourd’hui Israël étaient là, il y a plus de deux mille ans, quand les trois grandes religions monothéistes sont nées des mêmes racines, de la même terre… Bien sûr, faire preuve d’un angélisme forcené serait stupide et inconscient. à l’heure où nous « bouclons » ce numéro d’Or Norme Strasbourg, de sombres perspectives semblent menacer cette terre et ces gens merveilleux. On dit qu’Israël attaquerait les installations nucléaires iraniennes avant l’été, et surtout avant qu’il ne soit trop tard, selon le gouvernement israélien actuel. On devine sans peine, si cela s’avérait, combien la région serait de nouveau à feu et à sang, plongeant encore un peu plus ces peuples dans une souffrance sans nom. Par ailleurs, Israël est en train de bâtir une gigantesque barrière anti-pénétration, censée isoler complètement sa frontière avec l’égypte, sur des centaines de kilomètres dans le désert du Sinaï. En août prochain, ce rideau de fer, bardé d’équipements électroniques sophistiqués, aura entièrement été réalisé… Pour l’heure cependant, il y a une réalité qui s’exprime en Israël comme ailleurs, un peu partout dans le monde maintenant… Là-bas, elle passe par la prise de paroles des peuples. Et ces peuples réclament la paix, la désirent et l’espèrent. Plus de trois générations se sont succédées depuis la proclamation de l’état d’Israël le 14 mai 1948. 64 ans après, en dépit d’une situation apparemment inextricable, la paix est tout autant désirée que la sécurité par des millions de gens : des Israéliens juifs, musulmans, chrétiens, orthodoxes, et on en passe, et ces athées aussi, qu’on finit par trop oublier tant cette terre est imprégnée de spiritualité... Est-ce la fatigue dont parle si bien Marek Halter dans la page qui précède ? Est-ce l’évidence, patente, incontestable, qui crève les yeux, que les leaders politiques, élus ou auto-proclamés, ne sont que de pauvres marion-
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nettes aux mains de puissances occultes discrètes mais si actives ? Est-ce enfin un monde dont la folie devient si aveuglante qu’elle réveille les consciences assoupies ou fermement maintenues sous l’éteignoir ? Les temps qui viennent diront si les gens de bonne volonté (et ils sont nombreux dans tous les peuples, ils sont l’immense majorité…) vont se retrousser les manches. Il serait temps… En rédigeant ces lignes, nous avons cherché à vous inciter à vous rendre en Israël, à la rencontre de ce pays complexe et de cette terre si lumineuse. N’hésitez pas, allez-y, bouclez vos valises, partez là-bas… C’est un voyage hors norme qui vous attend, une destination de légende. Vous y attendent aussi tous les Forsan, Beli, Elisabeth, Annette, Chaïm, Lucien, Schlomo, JeanJacques, Sasson, Naïm, Patrice, Léa, Albert et Ariel… qui vivent en Israël. Ils sont des millions…
Au moment de boucler ces pages tombe, via internet, l’image ci-dessus en médaillon. Coexist… Le hasard n’existe pas ... Bon voyage ! JEAN-LuC FOuRNIER
« Au premier jour Dieu créa la terre. Comme il la trouvait fade, il créa Bagelstein. »
18, rue des Bateliers • 5, rue Saint Etienne • 15, rue des Francs Bourgeois à Strasbourg 64, rue du sauvage à Mulhouse
Kochi – pondichéry
quinze jours d’arrêt
aux pieds de la dame rouge
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Kochi-Pondi. Traversée de l’Inde du Sud, d’Ouest en Est. De la Mer d’Arabie au Golfe du Bengale. Plus de 1400 kilomètres A/R. Avec une Dame pour fil conducteur. Rouge, comme ce drapeau, politique, au marteau et à la faucille, qui orne les allées de Vypin. Rouge comme le feu éclatant, qui illumine le cœur de ces hommes et de ces femmes, croisés tout au long de la route. Du Kerala au Tamil Nadu. à commencer par Marco, lui l’ancien joaillier strasbourgeois, devenu depuis patron de la Dame, notre première escale.
Kochi Airport, Kerala. Sorte de longue bicoque faussement coloniale. Check up des passeports. Regard mi-figue mi-raisin des douaniers. De ceux dont on ne sait s’ils sont bienveillants ou non. Direction hall central. Marco nous avait prévenus : « Pour le duty free, mieux vaut faire vos courses à Dubaï ». électroménager défraîchi au premier, casé dans à peine 20m2. Quelques alcools d’entrée de gamme en rez-de-chaussée. Attente sans fin des bagages. Chaleur moite. L’envie d’en griller une. Dix, vingt, trente, quarante minutes... Rien, nada. Tapis roulants paraplégiques... Respiration. Mouvement. Exclamation. Enfin. Quelques mètres avec chariot. Passage devant des uniformes en armes. Guichet 1, « de change ». Premier accent. Glasgow sauce Bollywood... Pas gagné... Guichet 2, « taxi » : « Where are you going, Sir ? ». « La Dame Rouge, Kezhakke veedu Manapilly, Ayyampally, Vypin ». Le mec consulte son listing. « Ici, aucun risque d’arnaque, nous avait rassurés Marco. Tu donnes l’adresse, ils calculent le nombre de kilomètres et tu paies ». à ceci près que le gars, lui, il ne l’avait pas sur son listing, l’adresse... Débutent alors de longs palabres entre la station et cinq ou six chauffeurs drapés de blanc. Puis vient un « Ok, Sir. 700 roupies ». 10 euros. Sortis sur le parvis, un type nous demande de le suivre, puis de l’attendre. La voiture arrive, se gare. Regard fatigué. Sourire nerveux. Micro Tata en équilibre sur quatre petites roues. Autant de passagers, plus le « driver ». Coffre quasi inexistant... Malaise. Retour à la station, le chauffeur explique le souci. Nous dit à nouveau de patienter. Appelle l’un de ses collègues. Puis un autre. And so on. Le temps du ballet, trois clopes au moins y passent. Le dernier nous demande finalement de le suivre. Stop again, wait & park. Celle-là sera la bonne. une vieille Ambassador. Sorte de Chesterfield cuir à moteur essence. une caisse tellement décalée à l’heure des hybrides qu’elle en est resplendissante. Plus qu’un symbole d’un passé glorieux, une identité nationale à part entière made in... Mercedes. Sur la planche de bord, toute une série d’images et de bibelots protecteurs. Le chauffeur parle à peine anglais mais ne ménage pas ses efforts. Après deux trois indécisions, et autant d’arrêts, la voiture stoppe devant les grilles d’une ancienne demeure. Sur les marches, un homme grand, fin, souriant, modestement vêtu mais aux allures de prince. Tanga, cuisinier et bras droit de Marco, le propriétaire des lieux. à bien y réfléchir, une rencontre improbable entre deux hommes. Entre un ancien joaillier strasbourgeois et le fils du chef d’une vieille tribu du Tamil Nadu.
personnages...
Dix-huit ans que Marco a quitté Strasbourg. Au départ, par curiosité pour le théâtre indien et l’envie d’en apprendre les codes. Puis par sens, par évidence. Peut-être aussi parce qu’adopté par les habitants de Vypin. L’homme s’en amuse mais ne compte plus les plateaux télévisés auxquels il a participé. Pas plus que les articles de presse le concernant ou les inaugurations dont on lui a confié la charge. Lui, le premier blanc à avoir posé ses valises dans ce petit bout d’Inde, dont il espère un jour devenir citoyen. Lui, l’ami aussi de quelques grands de ce monde en déliquescence, comme ce Cheikh koweïtien de la famille Al Saba qui, longtemps, ne manqua pas de passer le voir à chacun de ses déplacements dans sa maison princière de Vypin. un Cheikh qu’il conseilla un temps de Dehli à Paris en art et en architecture d’intérieur. Pour lequel il aménagea aussi un vieux navire keralais. Qui le surprit, également, à refuser l’une de ces enveloppes, déposées discrètement sur la table de nuit de sa chambre d’hôtel. L’un de ces généreux per diem dont a toujours été coutumier le Cheikh envers son entourage. « T’imagines pas : je me suis d’abord fait sévèrement engueulé. Pour ça et pour la fois où j’avais passé un coup de fil à mes frais. Et puis, une fois calmé, il m’a sorti ‘jamais un homme avant toi n’avait refusé mon argent !’ ». C’est sans doute de là qu’est née véritablement leur amitié.
Marco
Et les rivalités associées de la cour... « Mais le plus drôle, c’était au Louvre. Pour l’inauguration d’une exposition de bijoux mongols prêtés par le Cheikh. une exposition au cours de laquelle il m’avait demandé de l’accompagner. Lui, discutait avec toute une ribambelle de ministres et de hauts fonctionnaires français. Quand il m’a vu débarquer il s’est arrêté et a lancé, bras grands ouverts : ‘Marcooo, mon ami !’. T’aurais dû entendre le silence qui a suivi, voir ce ballet d’officiels français qui se sont tous jetés vers moi pour me cirer les pompes. un truc incroyable. Tout ça parce que j’étais l’ami du Cheikh... ». « Et Tanga ? » « Tanga, lui, c’est un prince. un cuisinier remarquable, mais surtout un membre de ma famille. L’homme aussi qui a bravé la tradition en épousant une femme qui n’était pas de sa caste. un truc incroyablement courageux... ».
Tanga
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Pour la première fois de la soirée, Marco marque une pause. Fait silence. Entre deux pluies « moussonesques », entre deux tasses de café fraîchement moulu et quelques verres d’Antique, un vieux whisky local de quinze ans d’âge, cherché en moto, quelques heures plus tôt, sous une pluie diluvienne, au Liquor shop du coin. Sorte d’endroit improbable aux allures de petite prison poussiéreuse que l’on imaginerait tout droit sortie d’un film de John Wayne. Murs décrépis, fenêtres grillagées, affiches arrachées, barrière métallique en L sur la droite, le long de laquelle les hommes encore à peu près sobres se rangent en file indienne. Manquerait plus qu’une vieille Winchester entreposée non loin de la caisse. Au cas où... Derrière le comptoir, deux employées prennent les commandes. Le plus souvent, des petites fioles d’alcool bon marché. Des petites morts frelatées, les seules accessibles financièrement au plus grand nombre. Le mec me regarde. Je regarde mon « guide », un ami de Marco. Je vois la gueule des mecs, je regarde les prix. Mon choix se fait à l’européenne. à la sécurité financière. Trois jours déjà ici et pas une goutte d’alcool, exclu des lieux publics.
ment sur le côté. Droit, puis gauche. Gestes longs, profonds, de plus en plus appuyés. Retour face planche. Tête, cuir chevelu. Gestes vifs, saccadés, rapides. Comme si la Dame cherchait à chasser un mauvais esprit. Nouveau mouvement du corps. Assis, sur le rebord. Elle, derrière. Epaules, nuque. Sourire pudique. Douche. Out.
putain de paradoxe...
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Des paysages somptueux, un peu plus au Nord, sur les Back Waters, entre notre arrivée à Cochin et celle de Marco, retenu à quelques jours de vols pour affaires ; des canaux à perte de vue ; des regards d’hommes et de femmes, beaux, généreux, fiers et pudiques à la fois ; ce temps qui passe sans qu’on ne l’aperçoive ; des paysans, sur une rive, en pleine récolte de riz ; des enfants, en costume, qui reviennent de l’école pendant que leurs mères frottent le linge en bordure de rivière ; une petite embarcation, aussi, qui sillonne un bout de lac, de berge en berge pour conduire un ou deux notables d’Allepey ; ce gosse, aussi, plus près, la veille, à Fort Cochin, s’acharnant avec une belle élégance à me vendre quelques gravures - « Next time I come back. I swear » ; mais pas même une bière pour compenser la moiteur de l’été. Me sentirais presque une âme d’Angel Heart... Derrière sa grille, le vendeur a pigé. Pour nous, pas de Winchester, juste un grand sourire à 800 roupies. Histoire, peut-être aussi, de se dire qu’un jour il aura vendu autre chose qu’une de ses petites fioles morbides. Putain de fléau. putain de paradoxe kéralais... Plus de 90% de taux d’alphabétisation, des écoles bilingues à chaque coin de rue et un taux record d’alcoolémie. « God’s Own Country »... Même l’église en perd son latin, au point de vouloir décréter l’abus d’alcool péché capital. La faute à qui, à quoi, personne ne le sait ou ne le dit vraiment. En vrac, la pression démographique, la frustation sexuelle : trop peu de femmes pour trop d’hommes - et encore, faut-il qu’ils soient de la bonne caste... La flambée des prix immobiliers, aussi, dans ce petit bout de monde, où le coût du mètre carré s’aligne sur ceux de Londres ou Paris... pour un salaire moyen de 8 à 9 dollars jour... Autour de la table, Marco finit son verre en silence, tout juste ponctué par les frappes de la mousson. Sur le mur du dehors, Molly, l’araignée, prépare sa chasse, pendant que Tanga nous propose un dernier café. Oui, entre deux verre d’Antique, entre deux stats, entre deux histoires de castes, le silence de Marco fait jour en pleine nuit. Comme si cette fin de soirée avait été court-circuitée par sa propre histoire, par celle d’une femme restée « intouchable »... Lendemain matin. 9h. « Alors, ce massage ? ». « Divin ». Ambiance allongé sur une vieille table en bois sculpté dans l’aile réservée aux invités. Huile tiède ruisselant sur le corps pétri près de deux heures durant par les gestes sûrs d’une masseuse kéralaise. Presqu’un rite, une forme de transe musculaire où au poids du passé se substitue progressivement la légèreté du moment. Elle, teint mat, drapée d’un sari aux reflets rouges et or, souriante, bienveillante, prend soin de me poser un linge sous les genoux pour éviter le frottement avec le bois brut. D’abord le dos, l’arrière des cuisses, puis les mollets. Me demande de me tourner. Torse, avant bras, mains, phalanges, dessus des cuisses, plante des pieds, orteils. Mouve-
sur Les traces de KipLing « M.., Impossible de trouver un chauffeur, s’agace Marco. On est dimanche. Ils ont tous un mariage. Tanga, essaie l’autre à Ernakulam. Tu l’as eu » ? « Oui ». « C’est bon, il devrait être là d’ici une heure ». Dans la cour de la Dame rouge, un gamin sort d’un crossover Chrysler. à tout casser on lui donnerait 17 ans... Son employeur est là aussi. Négociations tarifaires. Forfait à la journée. Dépassements kilométriques, per diem. Tout y passe mais les choses ont l’avantage d’être cadrées. Première traversée d’Ouest en Est, visiblement, pour Manoj. Première fois aussi, je le crains, dans une voiture deux fois plus haute que lui. Oui, pas certain qu’il la connaisse vraiment. Pas plus que le levier de vitesses, l’usage des phares ou du dégivrage... « No problem, Sir », rassure Manoj, présenté par son boss comme un prometteur chauf-
moteur, insubmersible, de lieu en lieu, au gré des ces courants. à l’inverse, passage presqu’obligé pour qui traverse d’Ouest en Est, Maduraï suscite bien moins d’enthousiasme. Tout au plus quelques anecdotes, comme celle de ce garde, posté deux jours durant devant notre chambre. Vieux costume et fusil tout droit sortis du Commonwealth Museum. un garde qui, après confidences de la direction du Heritage, n’était en fait présent que par devoir protocolaire, envers nos voisins de palier : Richard Stagg, British High Commissioner for India, et sa petite famille, de passage en ville. feur de bus... L’air de rien, après quelques mètres de route, je me dis que le prendrais bien le volant. Mais sans permis international, c’est la taule qui menace en cas d’arrestation. Pas grave, on se raccrochera au gabarit char d’assaut du véhicule. Et puis, en dix jours de route, Manoj aura tout le temps de se perfectionner. à commencer sur la route de Thekkadi et ses premiers tronçons barrés par les crues de la mousson. Manoj hésite. Les bus passent, les 4x4 aussi. ça se tente. De toute façon, il n’y a pas d’autre alternative. Juste éviter de caler. épaules rentrées, regard fixe, concentré, droit devant, Manoj s’engage. Passe une ou deux voitures, plantées, de l’eau jusqu’aux vitres, pour une durée indéterminée. Puis, franchit l’obstacle, sous les holà des villageois. Manoj Matador sourit. Oui, kilomètre après kilomètre, le gamin prend confiance, s’affirme au volant. Reste encore la question des phares et du dégivrage, la nuit tombée. J’allume. Il éteint. une fois, deux fois, trois, quatre fois de suite, avant de finalement céder, le reste de la petite troupe rassurée. à cette heure, je ne sais toujours pas trop quoi penser de Thekkadi. Plantée en pleine jungle, la petite ville est colonisée par les boutiques de Kashmiri, vendeurs d’objets à la qualité plus que douteuse. Des touristes italiens, espagnols, principalement. un hôtel eco-friendly. Tout ou presque semble « fake », dirait un geek. Jusqu’aux tarifs du seul cybercafé du coin. Après une nuit bercée par les cris de la forêt, direction le parc national de Periyar et son administration qui ferait aimer jusqu’aux démarches urssaf ou Assedic. Formulaire de deux pages, en deux exemplaires pour prendre un pauvre ticket d’embarcation sur le lac. Et encore, ça c’est pour la version « privée ». Comprendre pour les touristes désireux de ne pas passer trois plombes à attendre un formulaire d’Etat. Même topo pour les appareils photo. Nouvelle queue, nouveaux formulaires qu’une fois remplis un employé retape à la machine... Reste l’éblouissement des lieux une fois le bateau parti. Entre songe kiplingnien et paysages alpins. Brume, pluie, soleil. Tout cela à la fois sur un lac duquel sortent quelques troncs, droits, dirigés vers le ciel et sur lesquels perchent quelques oiseaux rares fixant au loin des éléphants, cachés entre deux arbres ou égarés sur une petite plage. Moment calme, paisible, féerique, loin du rugissement de Maduraï, Tamil Nadu, prochaine étape. une ville au temple somptueux que les expats rencontrés regrettent toutefois d’avoir vu dénaturé au fil du temps par quelques officiels, accros au Ripolin... un choix qu’a su éviter Tanjavur et son temple, resté intact, authentique. un lieu doué d’une incroyable sérénité avec pour seule peinture, le jeu de lumières que se livrent encore ciel et pierres aux différentes heures de la journée. Aussi intact, également, que ces rues traversées par des torrents d’eau dès que la pluie se met à tomber. Que John, ce chauffeur de Rickshaw, drôle, aimable et souriant qui nous conduira, de l’eau jusqu’au
pondichéry : douce, charmante, respLendissante... Six jours déjà que nous sommes avec Manoj dont la seule véritable conversation se limite encore à un simple dodelinement de la tête ou à quelques « no problem » et autres « yes, Sir ». Rarement un pays ne m’a paru aussi difficile à cerner. Comme si le poids des castes avait atteint les « blancs » que l’on n’ose à peine approcher. un brin caricatural mais véritable sentiment. L’impression, aussi, faute de temps, de traverser ce pays trop vite, sans pouvoir prendre le temps de le « sentir ». Sensation de passer à côté de beaucoup trop de choses. Sorte de Lost in Translation, le whisky, au moins depuis quelques jours, en moins... à mesure que Manoj enfile les kilomètres vers Pondichéry, je repense néanmoins à cet homme, rencontré la veille au soir devant l’hôtel. Checking des mails au business center, envie d’en griller une. Parking. un homme, la jeune quarantaine, employé de l’établissement. Fin de service. Entre deux blondes la conversation se noue. Sa vie, sa famille, agricultrice d’origine, ses conditions de vie, son travail. Ce qu’il gagne. une misère comparée à son manager, le seul à pouvoir s’offrir un minimum de décence sociale. échange d’anecdotes franco-indiennes, aussi. Rires. Oui, j’ai aimé ce mec. Parce qu’en l’espace d’un court instant, il m’a fait ne plus me sentir blanc.
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l’obligation administrative. Celle de Manoj, dont le permis de conduire au Tamil Nadu expire le lendemain midi. Rares sont les endroits qui font un tel effet. Marco, jamais bien loin, régulièrement en ligne avec Manoj, avait raison d’insister.
La mer d’arabie
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Pondi. une ville qui, sans la connaître, m’a fait rêver depuis que je suis gamin. Peut-être bien plus que Dehli ou Mumbaï. Policiers en costumes blancs, jeunes couples enlacés le long de la jetée. Des familles, des camelots, un peu partout, tout du long. Entre deux ruelles, bordées de trottoirs – les premiers depuis notre départ - petits artisans et cafés cosy, aussi, ajoutent au charme. Goodies Andy Warhol détournés sauce Bollywood, robes de créateurs locaux, librairies, prêtres bénissant de grosses cylindrées devant un vieux temple. Sur la carte des restaurants, premières mentions de vins et de champagne, dont cet étonnant Soula Brut, « made in India », qui n’a rien à envier aux meilleurs crus champenois. Ou ce Ristretto matinal, aux arômes felliniens, servi dans le patio de l’Hôtel de l’Orient. Sur la plage, l’Inde se retrouve, se photographie quand la lune tombe sur le Golfe du Bengale. Pondi est belle. Douce, charmante, resplendissante. Tient du même charme que Tanger. Deux villes aux mêmes destins ou presque, qui ont su croiser le meilleur de l’Orient et de l’Occident. Deux villes dont la plus belle raisonnance est cet accent de “Tout Monde”, si cher à Edouard Glissant. Quitter Pondi n’a vraiment pas été facile. Tout juste aidé par un détour par Auroville, « babosland » pour gens fortunés. Parking payant, aucune autre entrée. Gardes barrière, visite encadrée... Indiens non acceptés... En même temps, faudrait pas non plus déranger. Déjà qu’on accepte qu’ils crèvent de dalle ou de gale à deux pas de là, dans des villages crasse, faute d’être assez riches pour bénéficier des douceurs de l’«Anarchie divine» de «La Mère». échanges de regards dans la Chrysler. De pensées. Manoj a beau être Indien, cette terre, à moins de devenir riche, lui restera interdite. Aucune envie de cautionner. Manoj, pour la première fois, semble acquiescer. Back to West, direction pays Chettinad. Kothamangalam. Village paumé au sud de Maduraï. un enfer à trouver. Michel, ami de Marco et propriétaire, a beau eu tenter de nous radioguider, il nous aura fallu une bonne part de la nuit pour trouver. Manoj, trente fois planté. Fatigués, usés après une semaine de route. une nuitée, pas plus. Juste le temps d’une étape sur la route retour du Kerala. un peu plus de deux jours, en fait. éblouis, charmés par Sarathas Villas, petite sœur de la Dame rouge ou presque. Vieille maison Chettiar construite en 1905 sur 3500 mètres carrés, par un riche banquier, et rénovée depuis par Bernard Dragon et Michel Adment, deux architectes parisiens. Dont l’un, Michel, fut également un temps consultant pour la direction des musées de France. un lieu étonnant. Beau, spacieux, prestigieux, resplendissant. à l’image, un peu, de ce village, pour partie en ruines mais au charme des vieux comptoirs portugais. De ces regards croisés au marché, le lendemain matin. Plein d’humanité et de charme sublimé. Ceux de femmes à la beauté rude et éclatante, comme cette vieille indienne, croisée aux abords d’un chemin de terre, posant d’elle-même, devant l’objectif. Mains jointes et sourire d’une bienveillante luminosité. Ou cet employé de Michel, prenant sur son temps pour nous faire découvrir l’histoire de ce village, les secrets de ses thés, comme le Tulsi, sorte de basilic local, poussant en bordure d’un petit temple retranché à la lisière de la forêt. Décidément aucune envie de rentrer si ce n’est
La frontière du Tamil Nadu repassée, dernière halte à Munar, montagne des thés. Weekend, fête nationale. Des heures pour traverser. Après le calme de Kothamangalam, la tempête ou presque. L’envie de partir vite. Le temps d’une nuit, de quelques épices, de quelques emplettes, quand même. De déguster ce chocolat artisanal, vendu au coin d’une échoppe ou au marché. Manoj, lui, revient avec un teeshirt. Souvenir de voyage. Heureux comme un gosse de narrer son acquisition. Dix jours pour que Manoj commence à se lâcher, à communiquer. Six heures plus loin, Tanga, à nouveau sur le pas de la porte. Yeux pétillants, sourire toujours aussi resplendissant. Puis usha, sa femme, Gurunath, leur fils et Marco. Plus que deux jours avant le départ. Le temps d’un dernier massage, d’une dernière virée en moto avec Marco, au port de Vypin, pour la criée. Histoire de continuer à voir, de continuer à s’imprégner. De découvrir ces gitans des mers naviguant sur une coque en bois, bateau le jour, maison renversée la nuit. Le temps, aussi, de retourner à Fort Cochin pour y honorer une promesse faite quelques jours plus tôt à un jeune graphiste. Et de s’offrir, pour le dernier soir, une bouteille de Soula. Et de prendre le temps de se baigner, enfin, à quelques mètres de la Dame. à Cherai Beach, sur la mer d’Arabie... TEXTES ET PHOTOS : CHARLES NOuAR
Prolonger le voyage : La Dame Rouge (Cochin) http://www.ladamerouge.com/ Sarathas Villas (Kothamangalam) http://sarathavilas.com/
aLmira, d’astana à aLmaty
On s’est croisées au gré de déjeuners d’écrivains à la Libraire Kléber où elle était stagiaire, on a discuté au printemps autour d’un café -de la vie, de la Belgique d’où je viens, du Kazakhstan d’où elle vient, de Strasbourg où on vit… - et puis banco ! Sur un coup de tête, emballé c’est pesé : Almira rentrait à Astana pour les fêtes de fin d’année et c’était le moment de la rejoindre pour découvrir un petit morceau de son immense pays. D’accord, Janvier n’est pas la saison la plus clémente pour atterrir dans une ville qui dispute à Oulan Bator en Mongolie le titre de capitale la plus froide au monde en hiver mais, tant qu’à s’envoler vers la steppe, autant la découvrir dans ses extrêmes. Et l’avantage, lorsque l’on s’est préparée psychologiquement à -40° - ce qui signifie en gros que l’on s’est dit « on verra bien » - l’avantage, donc c’est que les -15 annoncés à l’atterrissage le 5 janvier dernier paraissent cléments. Il est 5 h15 du matin, l’escale à Kiev a été folklorique mais ma foi tout va bien : Kazakhstan nous voilà ! Comme promis-juré, Almira est à l’aéroport avec ses parents, Mayra et Kayrolda. Sourires et embrassades sous les toques et les chapkas avant de rallier la voiture pour rouler vers l’appartement au cœur de la capitale kazakhe. une quinzaine de kilomètres dans le noir d’avant l’aube, sur une large route où les limelights multicolores dessinent une ville ample, plane, hyper contemporaine, aux antipodes du Kazakhstan de misère bête évoqué dans le film « Borat ». Sur les panneaux, Gérard Depardieu himself vante les mérites d’une banque locale. étonnement… « Il interprète le rôle d’un Kazakh d’origine allemande dans un film d’amour », précise Almira, « depuis il s’est entiché du pays et s’est même mis à en apprendre la langue. Pour le gouvernement, c’est une aubaine ! ». Panneaux routiers en kazakh, cyrillique et anglais, minois de Sophie Marceau sur d’autres publicités et arrivée rue Syganak, au pied de l’immeuble où habite la famille Kokayambev.
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Almira, prénom qui lui va bien et qui veut dire « princesse », vit à Strasbourg depuis 2010. En janvier dernier, elle est retournée à Astana. « À chaque fois j’ai peur de ne pas la reconnaître », dit-elle de sa ville aux allures de chantier futuriste, promue capitale du Kazakhstan en 1998.
une base Lunaire posée au miLieu du cieL à un saut d’ascenseur, l’appartement est divinement chaud et confortable. Il y a du thé, du pain, du fromage, des fruits, des biscuits, beaucoup de tapis, un sapin de Noël… et une chambre où dormir quelques heures avant le déjeuner, suivi de la visite de la ville en voiture et en famille. à nouveau c’est l’ampleur qui étonne avec, dans la lumière de l’hiver, l’impression étrange d’être débarquée sur une base lunaire posée au milieu du ciel. Le gigantisme aussi : Arc de triomphe flanqué de glorieux défenseurs kazakhs, palais présidentiel entouré d’un jardin public et coiffé d’une coupole, Conservatoire, hall des sports – hockey, piscine, volley-ball, gymnastique… - « en général, c’est gratuit », précise Almira -, nouvelle mosquée face à l’énorme ambassade des états-unis, Palais
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de l’Indépendance où se tiennent les congrès, salle de concerts… et, au bout de l’immense route à quatre bandes, la « Pyramide de la paix et de la tolérance », conçue par l’architecte britannique Norman Foster. Dédié aux grandes religions monothéistes, ce bâtiment est un éclat de verre de 62 mètres de haut découpé en trois niveaux. Se placer au centre de la lumière qui baigne les lieux porte bonheur, dit-on, de même que sacrifier à un autre des rituels de la ville pratiqué au sommet de « Bayterek », sa tour emblématique.
La main dans La main du président
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« Bayterek » est signée Foster et baignée de transparence. L’inspire le conte ancestral de l’arbre de vie-abri de l’oiseau du bonheur, la gravissent en ascenseur moult visiteurs qui tous viennent, au sommet, placer leur main dans l’empreinte de la paume du président Noursoultan Nazerbayev, saisie dans un triangle d’or. Pour que le sort leur soit favorable il leur faut en même temps regarder dans les yeux le palais de l’homme aux manettes du Kazakhstan depuis 1990. Si l’on sacrifie volontiers au rituel tout en déclinant les services du photographe chargé d’immortaliser l’instant pour quelques tengués, on a du mal avec cette quasi-déification du chef d’état et on hallucine lorsque l’on découvre, dans le Palais de l’Indépendance, un incroyable tableau hyperréaliste, mais « imaginaire », précise le guide, de Nazarbayev foulant un tapis rouge d’un pas vif et conquérant alors que l’acclament, extatiques, Jacques Chirac, Silvio Berlusconi, Tony Blair, George Bush, Vladimir Poutine et autres grands de ce monde. Excusez du peu…Qu’en pensent les habitants d’Astana eux-mêmes, en tout cas ce qu’en disent Almira et sa bande d’amis retrouvés à la nuit tombée dans un bar branché ? « Nous avons enfin des perspectives » zhanel est chercheuse en écologie à l’université Nazerbaev, Yerhulan travaille au centre d’innovation, Manar est employé au ministère de l’éducation et il y a aussi Anouar, Iskander, Madiz… Tous ont la vingtaine, le sourire de ceux qui font confiance et donnent confiance, ainsi qu’un solide parcours étudiant soutenu par la « Bourse du président », sésame vers une formation gratuite. Ils ont voyagé en Italie, en France, en Grande-Bretagne, en Russie, en Corée du Sud, à Shangaï…Tous se trouvent beaucoup de similitudes avec les étudiants européens : « l’Asie est plus fermée », disent-ils, mais « moins chère ». C’est toutefois de la Russie qu’ils disent leur pays le plus proche en citant pour preuve les récents accords commerciaux entre celle-ci, le Kazakhstan et la Biélorussie. Quid de la Chine ? « Eh bien la
Chine, on a une très grande frontière avec elle et c’est un acteur important du monde à venir, alors… », répond Iskander tandis qu’Anouar s’étonne : « En France, tout le monde pense que le Kazakhstan est un tout petit pays. » Il est vrai qu’ils ont de quoi tomber des nues : avec ses 2 717 300 km2 peuplés de quelque 16 millions d’habitants, leur territoire n’a vraiment rien d’un confetti surpeuplé. Et lorsqu’on leur confirme que leur nation n’évoque guère que « yourte », « Route de la Soie », « Baïkonour » et… « Borat » lorsqu’on en parle en Europe, ils sont consternés car ils ont la certitude que leur pays compte et va compter de plus en plus sur la scène internationale. Ils reconnaissent toutefois d’énormes différences culturelles, sociales, économiques entre les différentes régions et Manar confirme le statut particulier d’Astana qui est effectivement « la » ville d’un président auquel ils ne voient pas d’alternative car « personne n’a autant d’expérience que lui ». Cette confiscation du pouvoir – ce « pas de changement » comme ils disent – les dérangent. « Tous nos parents ont été pauvres dans les années qui ont suivi la chute de l’uRSS », souligne Manar, « mais aujourd’hui la classe moyenne a beaucoup évolué et nous avons enfin des perspectives ».
« a La chute de L’urss, on a cru que c’était La fin du monde » Des propos qui rejoignent ceux que tiendra le père d’Almira un peu plus tard : « Quand le mur de Berlin est tombé, le Parti et l’uRSS ont disparu en un jour, sans combat. On a cru que c’était la fin du monde. C’était le contraire mais pendant dix ans, la vie a été très dure ». « à l’époque communiste, le logement, l’éducation et la santé étaient gratuits », renchérit Kayrolda Kokambayev, « je ne peux pas dire qu’on était malheureux. Aujourd’hui, mon travail m’a conduit à Astana » -il est vice-président d’une compagnie de
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en france, tout Le monde pense que Le KazaKhstan est un tout petit pays. construction- et j’ai appris à faire mon bonheur avec ce qui est essentiel pour moi : ma famille ». Les jeunes quant à eux évoquent aussi la corruption et les oligarques « qui existent mais qu’on ne fréquente pas ». Almira, Manar, Iskander, Anouar et les autres sont cependant fiers d’être kazakhs et croient en un « beautiful future » dont Astana, en chantier jusque 2030, leur semble un bon symbole.
une yourte futuriste Ville manifeste posée entre steppe et ciel, rhétorique de pouvoir mais aussi tentative de redonner sens à une nation malmenée par l’histoire, la ville peut aussi se lire comme l’affirmation d’une « kazakhanité » ancrée dans le passé et tendue vers l’avenir. Norman Foster - toujours lui ! - a conçu un centre commercial représentatif de ce défi. Dessiné comme une yourte futuriste de 150 mètres de haut, il déroule à l’intérieur des enseignes européennes et des animations dignes des parcs d’attraction les plus en pointe. Sa déroutante silhouette mauve marque la ville nouvelle ancrée au Sud du fleuve Ichim alors que quelques Isbas et des immeubles soviétiques rappellent le temps où Astana s’appelait encore Akmola, puis Tselinograd. La capitale du Kazakhstan était alors à 1 600 km au Sud dans la ville d’Almaty, chère au cœur d’Almira. Nous y allons d’ailleurs, les billets sont réservés. Train de nuit bondé, départ le lundi soir, arrivée le lendemain à 8 heures. Yerulan, l’un des frères d’Almira nous conduit à l’appartement où ont grandi les trois enfants Kokambayev.
aLmaty, rivaLe d’astana Comme à Astana, l’appartement est vaste. Photos de famille, livres, CD, DVD et, sur le réfrigérateur, une ribambelle de magnets évoquant les pays visités par les propriétaires des lieux. La Turquie mais aussi Bruxelles, Rome, Paris etc. L’obligation de visas pour se rendre dans un
pays d’Europe est une des formalités qui paraissent les plus lourdes aux Kazakhs et ils alignent leurs souvenirs de voyage comme autant de trophées, symboles de leur appétit du monde. Pour l’heure et pour une non-Kazakhe en vadrouille, c’est le moment de partir à la découverte de la cosmopolite Almaty, célèbre pour ses pommes au goût de paradis. Ancienne oasis sur la Route de la Soie, celle-ci est plus douce dans son climat, plus resserrée dans son urbanisme mais plus peuplée qu’Astana dont elle reste la rivale culturelle dans le cœur des Kazakhs. Almira est heureuse d’y retrouver son frère et sa belle-sœur Alyma enceinte d’une petite fille dont la naissance est prévue en avril. Bonheur des retrouvailles pour Almira et émotion de se retrouver dans la ville de ses études. Quand on lui demande quel en est son endroit préféré, elle cite l’Alliance française d’où elle a pris son envol vers une Europe où elle espère se construire un avenir ouvert à 360° sur le monde.
Lait de Jument aux « sept casseroLes » En ce 7 janvier en tout cas, c’est sous la brume qu’Almaty déroule ses larges rues mais le soleil n’est qu’à une demi-heure de voiture, dans la montagne Tagne-Chagne. Forêt de bouleaux et sapins dont une partie est à terre, ravagée par une tempête, skieurs, aigles apprivoisés et repas kazakh de « Manty », raviolis à la vapeur… l’air est vif et la lumière généreuse comme à Astana mais ici en pleine nature. De retour en ville, Almira met le cap vers la cathédrale zenkov, dans le Parc Panfilov. « C’est le Noël orthodoxe », précise-t-elle. L’ambiance est à la ferveur dans cet édifice aux couleurs acidulées construit en 1904, entièrement en bois et sans aucun clou. Les fidèles, pour la plupart d’origine russe, entrent et sortent, certains avec des enfants qui tiennent des ballons, les cierges brûlent devant l’iconostase et la voix du pope se mêle aux chants. Prenant… mais il faut sortir et rejoindre
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E à par le flambant neuf métro d’Almaty, Rawa, une autre amie d’Almira. Passée par la case « Moscou » grâce à la Bourse du Président, celle-ci est économiste et travaille aujourd’hui dans une société d’audit. Tout aussi accueillante, pétillante et revigorante que jeunes d’Astana, elle entraîne son monde vers le zhety Kazyna, un restaurant au décor Ouzbek dont le nom signifie « Les Sept casseroles ». Riz, nouilles laghman, légumes, viande de cheval et de mouton… il faut goûter – et c’est une expérience ! - au lait de jument « excellent pour les cheveux et les ongles » et puis partir très vite car la mère de Rawa tient absolument à ce que l’on passe la voir.
« pour que Le KazaKhstan reste touJours avec toi » étonnant bout de femme, vive et intarissable sur le Kazakhstan et ses coutumes. La voilà qui se saisit d’un feutre pour dessiner au tableau de la cuisine toutes ces traditions auxquelles elle tient comme à la prunelle de ses yeux noirs comme un berceau fait main pour accueillir un bébé que l’on tient éloigné des regards pendant 40 jours avant la grande fête de son entrée dans le monde. un bain l’attend dans un bassin où les invités ont jeté 40 pièces et il est désormais assez fort pour affronter le mauvais sort dont on l’a préservé. Autre événement, les premiers pas marqués également par une petite cérémonie. Les jambes de l’enfant sont alors entravées par des fils auxquels on a accroché rubans et grelots, deux personnes le tiennent et une femme est chargée de couper les liens afin de le lancer sur le tapis blanc de la vie. « Si une telle fête avait lieu ces jours-ci, on vous demanderait de couper les fils parce que vous êtes une voyageuse », me dit la mère de Rawa en m’enjoignant sur un ton sans appel de revenir à la belle saison découvrir la campagne kazakhe et dormir sous une yourte. L’idée est belle et puis, de toute façon, à la cathédrale orthodoxe, une jeune femme m’a annoncé que je reviendrai deux fois dans son pays après m’avoir confirmé, sans en être informée, que j’avais deux enfants, un garçon et une fille. La magie de l’accueil kazakh peut bien se teinter de surnaturel. J’ai tant promis de revenir que je n’imagine pas ne pas les revoir tous. Et, jusque là, je garderai au doigt la bague offerte par les parents d’Almira « pour que le Kazakhstan reste toujours avec toi »… VéRONIQuE LEBLANC
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aLmira un monde sans frontières Elle n’a que 23 ans mais ses valises ont déjà beaucoup été utilisées. Cette jeune Kazakh symbolise à merveille cette nouvelle génération, née en même temps que le mur de Berlin s’écroulait et qui ne connait de « l’ancien monde » issu des turpitudes du XXe siècle, que ce que les parents lui ont raconté. Et, à peine âgée de 10 ans, Almira maniait déjà à sa guise internet et téléphone mobile… Pour elle, « il n’y a plus de frontières dans le monde ». Pas sûr qu’elle n’évoque là que les frontières administratives… « J’ai tout fait pour bénéficier d’une bourse américaine de la Fondation du milliardaire Georges Sorros. Je parlais déjà plusieurs langues et mon entretien a eu lieu après des cours préparatoires que j’ai suivis à… Istanbul. Mon projet portait sur un comparatif entre les comportements français et ceux de mes compatriotes d’Asie centrale. J’ai obtenu la bourse et la prise en charge de mes études. C’est ce que je désirais… » Almira porte sur nous autres Français un regard dénué de tous les clichés généralement colportés : « Je me sens à l’aise en France. Généralement, on considère les Français comme arrogants et prétentieux. Moi, je les trouve plutôt timides et réservés et ils n’ont pas une grande confiance en eux. Alors, avec un sourire et de la gentillesse, ils s’ouvrent vraiment. Les réticences qu’ils éprouvent vis à vis des étrangers s’évanouissent vite dès qu’on leur montre notre tolérance et notre ouverture d’esprit. Ils sont accueillants et hospitaliers et beaucoup moins individualistes qu’on le pense. Et puis, leurs valeurs sont réelles : la famille, la convivialité aussi. Je n’ai jamais rien vécu de désagréable avec les Français, au contraire… Lors de mon stage à la Librairie Kléber où je faisais partie de l’organisation de la venue des écrivains, j’ai fait la connaissance de gens extraordinaires… » Pour Almira, l’avenir s’écrit chaque jour qui passe : « Il n’y a plus de frontière dans le monde pour les jeunes de ma génération. C’est à nous de fabriquer notre bonheur, voilà tout… Nous savons qu’il nous faut avoir une grande confiance en nous et travailler beaucoup pour atteindre ce que nous voulons. Mes parents m’ont inculqué ces valeurs-là… J’ai beaucoup développé la tolérance et la notion de partage : si je suis la seule à être heureuse, ça ne m’intéresse pas. Je me sens très à l’aise en vivant ainsi… » à 23 ans, rien ne semble impossible pour Almira qui envisage déjà l’étape suivante, vivre et travailler dans une grande métropole. New-York, Londres, Paris… ne sont pas des rêves dans son esprit mais bel et bien des objectifs. Peut-être faudra-t-il encore une étape intermédiaire : la jeune Kazakh est actuellement en contact avancé avec Google Europe, dont le siège est à Dublin… Le monde, c’est grand, et Almira a l’appétit de la découverte. JEAN-LuC FOuRNIER
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iL voyage vers L’humain
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Les événements de la vie lui ont fait trouver sa voie. Quand il n’est pas à son atelier de joaillier de la rue des Hallebardes à Strasbourg, Eric Humbert parcourt le monde. Pas seulement pour ramener ses pierres rares qui parsèment ses créations. Eric Humbert est en quête d’humanité… « Je n’ai jamais voulu faire ce métier ». Voilà, c’est dit. Et parfaitement assumé comme le prouve la lueur de défi qui émane des yeux clairs qui se plantent dans votre regard comme s’ils voulaient vous tester. 48 ans et le souvenir d’une jeunesse marquée par un père exceptionnel : « Papa était maître-joaillier et, sûr, il n’avait pas mon look, bien au contraire. Il était grand, toujours bien habillé et il dégageait un charisme fou. Quand j’étais très jeune, son atelier de la rue du Fil me déroutait : je me souviens de ces grandes tables sur lesquelles travaillaient ses six ou sept employés ; il y avait là une ambiance curieuse. Il faut dire que j’étais un sale môme, je dirais même un jeune con quand j’avais 16 ans avec mon allure vaguement punk… » Claude Humbert était aussi un grand sportif, passionné de moto. Jusqu’au drame qui l’a frappé dans les lacets qui descendaient vers Lugano. « Il s’est pris le ravin » se souvient Eric. « La moto est retombée sur lui. On l’a retrouvé en quasi mort clinique. Il s’en est sorti mais il est resté paraplégique… »
une vie qui bascuLe « Quand il a repris son travail, il m’a parlé cash : OK, tu es un cancre, tu n’aimes pas l’école. Je te propose un deal : tu m’aides et je t’apprends le métier. Par amour pour lui, j’ai accepté et, pendant pas mal d’années, j’ai beaucoup pris sur moi : on s’est en quelque sorte battus avec amour… Reste que j’ai appris des choses fondamentales : j’ai appris comment un homme se transforme, j’ai vu chaque jour mon père assumer ce qui lui arrivait. Pour un être qui avait été très beau, grand et fort, apparaître assis dans un fauteuil d’handicapé devant ses clients était sans doute une grande épreuve. Mais il a tenu sa parole, il m’a appris le métier ». En 1996, Eric est en voyage pour Haïti. à l’escale de Los Angeles, il apprend le décès de son père. « à mon retour à Strasbourg, je n’avais plus le moindre repère. Je me demandais s’il fallait ou non continuer. Je ne savais plus… Mon père disparu, les clients se faisaient rares. Il fallait cependant survivre. Peu à peu, je me suis rendu compte que j’avais « la main », le goût du dessin et des belles choses. J’avais hérité de mon père. Lui, il avait toujours su que j’y arriverai. C’était un sacré maître. J’en ai encore des frissons quand je vous en parle aujourd’hui… » 74
L’appeL de L’aiLLeurs Peu à peu, le commerce se réactive grâce à une famille soudée autour de l’activité, la maman et la sœur d’Eric s’impliquant beaucoup dans la boutique de joaillier. L’activité relancée, Eric se lance alors dans un grand voyage autour du monde avec son ami Philippe. Singapour, l’Australie, la Polynésie où les deux amis se trouvent quand Philippe doit rentrer en France, au chevet de sa grand-mère mourante. « Ce fut un voyage révélateur et initiatique » confie Eric. « En Polynésie, j’étais sans cesse sur des voiliers de touristes. Je leur vendais des bijoux. un jour, dans une ferme perlière, j’ai assisté à un shooting publicitaire pour la maison Torrente. Il y avait là plein de top-models qu’on photographiait avec de superbes colliers de perles autour du cou. ça m’a donné des idées… J’ai rencontré là-bas un Alsacien qui m’a proposé de me vendre une récolte de perles grises. Mais je n’avais pas un rond… Il m’a fait confiance : je suis reparti avec les perles. Il y en avait pour 50 000 F quand même… Six mois plus tard, Torrente France m’a acheté mes bijoux pour en faire une partie de sa collection. J’ai profité de ce coup de pouce formidable et je suis reparti autour du monde… »
cette buLLe Je L’ai fait écLater « Ce tour du monde m’a apporté également quelque chose que je ne prévoyais pas : le sentiment de liberté. J’ai compris alors que cette liberté est vraiment à la base de tout développement personnel, surtout quand, comme moi, on se sent artiste et créateur. Je me suis mis à vivre vraiment tout ce dont j’avais été frustré. En Afrique ou à Madagascar, j’ai découvert des civilisations et des peuples qui pensent bien différemment de nous : ils m’ont ouvert l’esprit. J’ai compris grâce à eux que je vivais auparavant dans une bulle où j’étais comme en hibernation. Cette bulle, je l’ai fait éclater… Je partais tous les trois mois, puis je revenais pour travailler. J’étais comme en connexion avec mon père et, grâce à la culture chamanique que j’ai rencontrée, j’ai réalisé que la mort n’était qu’une porte vers un autre univers… J’ai vécu de beaux voyages en Ethiopie en quête d’opales rares qu’on ne trouve qu’en cherchant très longtemps dans le Siemen. Je les ai découvertes dans la région de Mezzezo. J’ai acheté des nodules, comme des tranches d’opale, et à mon retour à Strasbourg, j’en ai fait des modèles uniques. Cette collection, je l’ai appelé Ethiopian Dream et elle m’a énormément stimulé au niveau créatif. J’ai déposé cette marque. Dans mon esprit, j’ai voulu ainsi rendre hommage à ce pays et à ses habitants avant que tout ne soit pillé par de très grosses sociétés. C’est le cas aujourd’hui : c’est la curée, du grand n’importe quoi. Ce n’est pas beau à voir, tout est corrompu… »
En Ethiopie, à la recherche des opales
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L’amour en coLombie
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J’ai vécu là-bas une expérience formidable. Je me baladais avec mes deux chiens, je me perds un peu et je tombe sur un site magnifique. un champ grandiose, face à la montagne Iguavé qui est un site sacré pour les Indiens, avec un lac d’altitude à 4000 m. J’ai à peine le temps de savourer cet extraordinaire paysage que le sol se met soudain à vibrer : devant moi arrivent au galop trois chevaux superbes, un étalon, une jument et son poulain, tous avec des naseaux splendides. Au loin, un orage éclate et plus près de nous, il y a des éclairs qui se rapprochent. Exactement comme dans un film. Ce fut pour moi un coup de cœur puissant et magnifique. un peu plus tard, un paysan sort de dessous les ogaviers et comme je baragouine un peu l’espagnol, je cherche à savoir à qui sont ces chevaux. Ce sont les siens, il est locataire de ce terrain et il les dresse. Je suis rentré au pueblo mais ça m’a travaillé. Pendant quinze jours, on a cherché un terrain à acheter et, trois jours avant notre départ, le gardien de la ferme où je logeais m’en indique un… Miracle, c’était ce même terrain où j’avais vécu ce moment inouï quelques jours avant. Le hasard n’existe pas ! Il ne valait pas grandchose : les FARC étaient dans le coin… Je l’ai acheté.
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Quelquefois, il y a toujours ta petite voie raisonnable qui te dit de ne pas faire mais là, j’ai laissé faire la vie… C’était il y a quatre ans. J’ai rasé la vieille bâtisse, j’ai conservé les ogaviers et j’ai fait reconstruire à l’identique d’il y a cent ans. J’ai voulu rendre la pareille au gardien pour le cadeau qu’il m’a fait en me tuyautant sur le lieu. J’ai dessiné le plan de ma maison et je lui ai demandé s’il se sentait capable de la construire. Je lui ai fait confiance et le résultat a été à la hauteur. Six mois après, elle était terminée. Avec l’argent qu’il a gagné, il a acheté une ferme à 50 km de là et il est heureux comme tout, aujourd’hui. Depuis, j’ai rajouté quelques maisonnettes sur la propriété. Mon amie vit là-bas quand elle
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« Ce sont les émeraudes qui m’ont attiré là-bas. Je vis avec une amie Colombienne et on est partis ensemble dans son pays où sa sœur vit. La Colombie, c’est une ambiance particulière avec la guerre civile et les attentats qui sévissent dans certaines régions. Sûr qu’on n’y roule pas de nuit et qu’il faut une attention permanente dans ces endroits-là. Mais celui que je connais est un pueblo perdu de 1650 habitants qui a été construit par les conquistadors. Cet endroit vit encore dans son jus, comme je dis souvent, il y a encore les énormes pavés sur les routes…
Un des joyaux de la collection « Ethiopan Dream ».
n’est pas à Strasbourg et elle loue à des touristes quand elle est ici. On a maintenant plusieurs chevaux, une vache… c’est la nature, la vie avance. Je suis en harmonie totale avec ce lieu, nous nous y sentons si bien… » Fin avril, quand vous lirez ce numéro de Or Norme consacré aux destinations de légende et aux Alsaciens qu’on y rencontre, Eric Humbert sera sur un voilier en plein océan Atlantique, en route vers Saint-Barth. « Je veux devenir skippeur et vivre cette expérience-là ». Puis il sera de retour à Strasbourg courant mai, pour travailler de nouveau dans sa boutique. « Je vais me consacrer encore à la Colombie : je vais faire pousser du cacao sur une terre que je vais acheter près de ma propriété. Je vais planter et faire pousser et dans dix ans, je verrai bien ce que ça donne. En tout cas, certains grands chocolatiers sont déjà très intéressés… » Et la joaillerie dans tout ça ? « Si j’étais tout le temps à Strasbourg, je vivrais comme un automate, mort, sans âme… Je me nourris de tout ce que je rencontre dans le monde durant mes voyages. Avec tout ça, mes bijoux vivent… » ALAIN ANCIAN
Les combattants
du Livre
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Pas une semaine ne passe sans que retentissent les sonnettes d’alarme sur le sort de ce média universel qu’est le livre. Il serait en danger de mort face aux « envahisseurs » que sont devenus les tablettes numériques, les smart phones.... Plus sournois, le temps réservé à la lecture se réduirait comme peau de chagrin face aux « divertissements » de toutes sortes. Le livre est-il vraiment en danger de disparition ? Non, disent obstinément ces soldats de première ligne que sont les éditeurs. Nous en avons rencontré deux d’entre eux qui n’ont pas peur de monter au créneau…
Véronique Cardi
« tous ces bons romans que Je souhaite faire découvrir… » À 31 ans, l’Alsacienne Véronique Cardi a conservé son look d’étudiante qu’elle arborait en hypokhâgne (c’est le truc qui ne sert à rien, selon nos grands penseurs actuels) au lycée Fustel de Coulanges à Strasbourg. Nous l’avons rencontrée boulevard SaintGermain à Paris, à deux pas du quartier des éditeurs. Normal : elle dirige « Les Escales », une jeune maison d’édition qui, à son image, n’a pas froid aux yeux… Cette native de Riedisheim, près de Mulhouse, avoue facilement avoir « baigné dans les livres depuis toujours ». La faute à des parents enseignants qui ont réussi à lui transmettre le goût de la lecture mais ont échoué à faire de leur fille une prof. « à l’issue d’une maîtrise de philo à la Sorbonne, je me suis dit que je n’avais pas la vocation pour enseigner… » se rappelle Véronique. L’enseignement a perdu une recrue, il s’en remettra… Mais l’édition a gagné une sacrée combattante, ça c’est certain.
au pLus près du terrain Tout a commencé par quelques stages chez des éditeurs. « Là, j’ai tout appris » se souvient Véronique Cardi. « On touche à tout, on voit tout et on finit par comprendre parfaitement le fonctionnement d’une maison d’édition. Pour moi, ce fut comme une révélation : j’étais faite pour ce métier d’éditrice. Puis Le Seuil m’a recrutée en tant qu’éditrice en littérature étrangère où je me suis occupée des auteurs anglosaxons et allemands. un catalogue formidable… La littérature étrangère, pour moi, c’est une vraie invitation au voyage ! » Sa première vraie aventure éditoriale, Véronique Cardi va la vivre au sein de Belfond Etranger avec un livre de Owen Matthews, « Les enfants de Staline », déniché à la Foire du Livre de Francfort. Succès en
France avec une place de finaliste pour le prix Médicis Etranger et le Prix des lectrices de « Elle ». « Il me manquait une corde à mon arc, l’achat des droits. Quand on s’occupe de littérature étrangère, c’est impérativement une compétence à posséder. Chez Belfond, j’ai appris à négocier puis à acheter. une sacrée expérience, là aussi… » à quoi peut bien rêver une jeune éditrice qui a trouvé son créneau et a acquis les différentes compétences qu’il faut détenir pour œuvrer dans un tel milieu ? à créer sa propre maison d’édition, pardi ! Et bien, c’est fait. « Les Escales » vogue désormais vers son destin. Propriété d’Editis, soutenue par un des plus solides éditeurs européens (First), la jeune maison d’édition dirigée par Véronique Cardi a finalisé son catalogue 2012.
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très dense de librairies. Moi, dans le métro, je vois encore plein de gens qui lisent… Mais les nouvelles technologies sont un vrai défi pour les éditeurs, c’est certain. Malgré tout, elles ne remplaceront jamais notre arme la plus importante : notre nez ! Le nez de l’éditeur, c’est un des secrets du métier. Cette démarche m’enthousiasme : ce qui me passionne, c’est ce potentiel infini d’évasion, tous ces romans que je souhaite faire découvrir aux lecteurs. Il ne faut rien lâcher là-dessus, rien ! Permettre aux lecteurs de s’évader le temps d’un roman, c’est génial, non ? un livre, c’est une escale !» (rires). Elle est convaincante, Véronique, très convaincante. Sans beaucoup forcer, nous avons réussi à jeter un œil sur les fameuses épreuves réservées aux journalistes, avant la sortie des livres. élégance des couvertures, beaux textes de « 4ème de couv », pas de doute, « Les Escales » font du beau boulot. Elle ira loin, la jeune Alsacienne. Les passionnés vont toujours loin…
au four et au mouLin « Mon premier gros coup » jubile Véronique, « je l’ai réalisé il y a un an à la Foire de Londres. J’avais rendez-vous là-bas avec le responsable des cessions d’un très grand éditeur, Rowohlt. Là, cette personne me parle d’un roman allemand qu’il s’apprête à publier quelques mois après, en septembre. Je prends connaissance d’un simple extrait : c’est l’histoire d’une famille communiste ; le sujet m’accroche bien d’autant que ce roman est déjà titulaire d’un prix littéraire créé par Gunther Grass. Ce prix
mon premier gros coup Je L’ai réaLisé iL y a un an à La foire de Londres. récompense un manuscrit avant son édition. Et puis, je me rends compte que c’est la grande bagarre entre éditeurs allemands sur ce livre. Je quitte Londres, convaincue que je tiens là mon titre-phare pour mon premier catalogue. On me communique le manuscrit en allemand quelques jours après et je le dévore littéralement dans le TGV pour Strasbourg. Je le confie à Pierre Dessanges, le meilleur traducteur de l’allemand à Paris et lui aussi est enthousiaste. On décide de foncer. Je fais une première offre à l’agent français de Rowohlt. Bien qu’assez importante, elle est refusée. Après, on entre dans un système d’enchères car, évidemment, je ne suis pas la seule à le vouloir, ce livre. Ce sont des enchères à trois rounds, je sais qu’il va falloir monter haut ! J’arrive à convaincre First et j’écris une lettre à l’auteur pour lui dire tout mon enthousiasme, ma volonté d’en faire notre titre-phare pour la rentrée littéraire de septembre 2012 et lui expliquer en quoi nous souhaitons en faire un vrai projet éditorial… Et on a gagné ! Le livre a été vendu dans une vingtaine de pays et on m’a dit plus tard à quel point notre enthousiasme avait joué pour le choix de l’éditeur français… »
BENJAMIN THOMAS
remuer cieL et terre
un défi pour Les éditeurs
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Véronique Cardi n’ignore pas les inquiétudes qui tournent autour du livre. « OK, 2012 étant une année électorale, nos chiffres du premier semestre ne seront pas excellents. Tous les éditeurs le savent… Mais il ne faut pas céder à toutes les prophéties alarmistes : les livres sur support numérique sont marginaux et en France, nous sommes protégés par la loi Lang sur le prix unique du livre. C’est un rempart qui permet encore d’avoir un réseau
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En ce printemps 2012, « Les Escales » prépare sa première rentrée littéraire. Pas un seul moment à perdre car, si les livres seront dans les vitrines des libraires en septembre, un travail gigantesque se doit d’être réalisé bien en amont. « Tout début mai, on aura une grande réunion commerciale de présentation pour motiver nos représentants qui sont chargés de convaincre les libraires. On enverra des épreuves pour la presse, il faut que les journalistes lisent absolument le livre avant sa sortie en librairie. un documentaire sera diffusé sur Arte, on a réussi à les convaincre. On va soigner les journalistes incontournables, comme ceux qui chroniquent dans « Le Monde des livres » par exemple. On fait feu de tout bois : l’auteur sera l’invité de l’Institut Goethe à Paris le 11 juin prochain et, avec lui, on prendra position sur sa visite dans plusieurs centres culturels franco-allemands. Bref, on remue ciel et terre mais après, c’est Inch’Allah ! Le livre vivra sa vie… »
L’ultime secret de Frida K., à paraître le 10 mai prochain, est le superbe roman, très attendu, de l’écrivain espagnol Gregorio Leon.
sans bruit, un signe nous écLaire…
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Éternel débat autour des maisons d’éditions régionales du pays. Certaines traînent comme un boulet un catalogue poussiéreux, d’autres ont tenté (avec plus ou moins de succès) la spécialisation. Le paysage alsacien est à peine moins sinistré qu’ailleurs. Cependant, à Strasbourg, Christian Riehl, le PDG des Éditions du Signe, est un homme heureux…
C’est exactement le genre de bonhomme qu’on adore rencontrer. Et vous savez pourquoi ? Parce qu’il est d’une modestie non feinte et déteste se mettre en avant. Dans le milieu de l’édition, où la grosse tête s’attrape si vite, Christian Riehl, 60 ans -et qui en paraît dix de moins- détonne. C’est peut-être aussi parce que rien, vraiment rien, ne le destinait à devenir éditeur…
« mon père faisait mes devoirs à ma pLace… » Quand il parle de son enfance avec ses cinq frères et sœurs, Christian Riehl insiste surtout sur son goût forcené du sport : le foot bien sûr, mais aussi le volley pratiqué jusqu’à la Nationale II et le basket en Nationale III. « Samedi et dimanche, c’était sport et encore sport ! une véritable passion qui perdure encore avec deux fois quatre heures de vélo par semaine, qu’il pleuve ou qu’il vente. Côté études, c’était plus cahotique. J’avais un goût personnel pour l’écriture, la lecture et la littérature. Mais bon, quand je faisais une rédaction de français, mon père, qui était un surdoué en écriture, finissait immanquablement par me relayer au bout de quatre heures, jusqu’à la réécrire quelquefois totalement. évidemment, j’avais d’excellentes notes, mais je crois que mes profs ne s’y sont jamais trompés. Reste qu’après diverses pérégrinations, on m’a proposé de passer un Bac technique en fonderie ! Je n’y ai passé que quelques semaines, ça m’a suffi. J’ai annoncé à mes parents que je ne continuais pas dans cette voie-là… »
La superbe écoLe du porte-à-porte évidemment, à vingt ans, en rupture de banc avec les études, il faut bien gagner sa vie. Grâce à l’appui d’un ami prêtre, Christian Riehl va vendre les fascicules mensuels d’Aujourd’hui la Bible, une encyclopédie religieuse exclusivement commercialisée en porte-à-porte. « une sacrée école » reconnaît-il aujourd’hui. « Je suis devenu le meilleur vendeur de France de la société éditrice puis j’ai grimpé dans la hiérarchie, inspecteur, directeur des ventes. Je gagnais très bien ma vie, je me rap-
pelle que mon salaire était déjà trois fois supérieur à celui de la fin de carrière de mon père qui travaillait dans l’administration des HLM… La boîte a fini par être rachetée par le groupe Hachette. Moi, ça ne m’intéressait pas du tout d’être le salarié d’un grand groupe. J’ai fini par créer ma société personnelle il y a 25 ans, une société alors spécialisée dans les éditions religieuses. Peu à peu, on a développé des revues pour le catéchisme, puis d’autres, semestrielles, pour Noël, Pâques, en France, en Suisse et en Belgique. Elles ont eu un tel succès que des éditeurs étrangers en Allemagne, Autriche, Italie ou encore en Espagne nous ont proposé de les co-éditer dans leur pays. Depuis 25 ans, ils sont restés fidèles aux éditions du Signe. Ensuite, les diocèses américains nous ont contactés et on a foncé, là encore. Aujourd’hui, depuis Eckbolsheim, nous gérons tout : les photographes que nous dénichons sur place, la collecte des infos, les auteurs et les indispensables représentants. Ces éditions religieuses constituent notre fonds de commerce, elles correspondent aujourd’hui à 60% de notre chiffre d’affaires (5 M€ - ndlr). Plus d’une centaine de diocèses de par le monde sont nos clients réguliers…»
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était partant, a été enthousiaste. Le tour de table a été vite bouclé… » un mot revient très souvent dans la bouche de Christian Riehl : « la qualité ». à 60 ans, il n’est pas question d’un quelconque compromis : « Je fais ce que j’aime, je fonctionne par coups de cœur, ce qui me plaît c’est de voir naître des ouvrages parfaitement réalisés, avec des contenus, textes et photos, réellement exceptionnels… ». Il en a fait du chemin le gamin qu’on destinait au Bac technique fonderie… Et, jamais en retard d’une idée originale, il va continuer, sûr !
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Depuis quelques années, les éditions du Signe ont su s’évader vers d’autres territoires éditoriaux, jusqu’à devenir une maison d’édition réputée en matière de bande dessinée. On ne présente plus « L’histoire de l’Alsace » débutée il y a trois ans. Neuf tomes sont disponibles et les trois derniers suivront d’ici la fin 2013. Récemment, une superbe édition sur le Struthof est sortie, accompagnée d’un livret pédagogique de remarquable facture réalisée par un historien. Actuellement, les graphistes, dessinateurs et coloristes mettent la dernière main à une non moins remarquable édition qui racontera la Bataille de Hausbergen en 1262. La BD sera remise gratuitement aux spectateurs du grand spectacle historique qui déroulera ses fastes début juillet prochain au stade de la Meinau et qui s’annonce comme le grand événement de l’été prochain à Strasbourg (lire à ce sujet l’interview de Charly Damm et Georges Bischoff page 98 –ndlr). Les « beaux livres » font aussi partie des ouvrages édités par Christian Riehl. Parmi eux, un véritable pavé sur les chemins de Compostelle, illustré par l’œil photographique de Frantisek zvardon. un autre « monument » est en cours d’édition : sur plus de 400 pages en grand format, la beauté des quartiers strasbourgeois s’étalera dès le mois d’octobre prochain. Cinq photographes travaillent sur cet ouvrage. Actuellement s’élabore « Piaf ! », un ouvrage qui célébrera le cinquantenaire de la disparition de la fabuleuse chanteuse française. Les lecteurs y découvriront des photos exclusives et jamais publiées, réalisées par son photographe personnel, Hugues Vassal. Quel est donc le secret de Christina Riehl pour réaliser de tels « coups » ? Il faut pousser dans ses retranchements cet éternel modeste pour avoir un tout petit début de réponse : « C’est une affaire d’amitiés, de rencontres et de flair aussi… Pour « Piaf ! », un de mes auteurs, Jean-Claude Bourret, m’a fait rencontrer Jacques Pessis, (un journaliste, écrivain et scénariste-ndlr) qui, dès qu’il a su que Vassal
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La bd, et Les beaux Livres aussi…
www.editionsdusigne.fr
Le Strissel a 651 ans, mais sa bouchée à la Reine est fraîche du jour !
Bouchée à la Reine à l’ancienne : 19,30 €
établi depuis le XIV e siècle dans le quartier de la Cathédrale à Strasbourg, « Zuem Strissel » est l’un des temples de la cuisine alsacienne. Le Strissel vous accueille tous les jours, le midi et le soir. 5, place de la Grande Boucherie - 67000 Strasbourg - www.strissel.fr - info@strissel.fr - 03 88 32 14 73
queLs chantiers ! Les passants ne voient que les grandes plaques qui préservent du regard les chantiers… hors normes en plein cœur de Strasbourg. Sur les sites, c’est la nuée des ouvriers qui, inlassablement, démolissent et reconstruisent. Visite de deux de ces fourmillières…
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un tout nouveau printemps va arriver ! C’est plus qu’un simple lifting, une étonnante et complète reconstruction. Dans un an, un des plus anciens des grands magasins strasbourgeois aura été complètement métamorphosé. À la fin du premier trimestre 2013, la capitale alsacienne vivra l’arrivée de… deux printemps en même temps. C’est un tout jeune homme (30 ans) qui est le responsable des opérations d’un des actuels plus gros chantiers de Strasbourg, celui du Printemps. Et il a de l’humour, Benoît Guillemin : « Si tout va bien, c’est normal. Si tout va mal, c’est de ma faute !… » Arrivé à Strasbourg début février dernier au moment de l’attaque de la première phase des travaux, ce Parisien de naissance a été recruté spécialement pour gérer l’énorme et complexe chantier du magasin strasbourgeois. « La première phase a permis la libération du bâtiment au 1 rue de la Haute Montée qui deviendra un des deux grands immeubles du futur Printemps. On vient d’attaquer la phase 2 en s’installant intégralement dans le bâtiment rue du Noyer. à la fin de cette phase, les deux bâtiments seront « à béton brut », prêts à être fonctionnalisés. Il nous restera alors neuf mois pour tout aménager avant l’ouverture, qui est toujours prévue au tout début du 2ème trimestre 2013. Et à ce jour, on est dans les temps ! » sourit Benoît Guillemin qui réagit humblement devant notre étonnement quant à ce que nous découvrons de la complexité du chantier : « C’est vrai, l’aspect du chantier peut vous paraître colossal, mais il est très simple dans ses phases… »
une si Longue et intime histoire avec strasbourg
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Sur cet emplacement emblématique au cœur de Strasbourg, le commerce a toujours été présent. Au début du siècle dernier, c’était « Le Louvre » avec ses décorations Arts-Déco. Lourdement endommagé durant la Seconde Guerre mondiale, le magasin a été reconstruit avec son grand habit de béton bien connu, et rebaptisé « Les Grandes Galeries ». Puis le boom économique des années 50 et 60 a provoqué une
frénétique politique d’agrandissements pas toujours très heureuse, sans parler de l’immense parking qui, lui aussi, est aujourd’hui en voie de démolition pour laisser la place à une luxueuse résidence. Bref, les deux chantiers actuels bouleversent une nouvelle fois cet îlot commercial. 15 M€ sont investis par le groupe Printemps pour ce qui le concerne et pas moins de 100 M€ par le propriétaire, le groupe Bénaroch et Oussadon.
La nouveLLe façade va encore faire parLer d’eLLe Dévoilé il y a quelques mois, le projet de nouvelle façade a déjà subi les tirs nourris des esprits conservateurs de tous poils. à cette occasion, on a parlé de dénaturation du lieu, ce qui est du plus haut comique quand on a accepté la place de l’Homme de fer, telle qu’elle est aujourd’hui. Benoît Guillemin parle volontiers « d’un message architectural très fort et d’une curiosité qui sera visitée. Il fallait une architecture qui amène à une certaine idée du futur ». En tout cas, l’incontournable Architecte des Bâtiments deFrance a donné son accord.
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Les Amis du Vieux Strasbourg ont aussi œuvré pour que la façade avant soit préservée. Alors, les pierres de grès rose vont être conservées à l’identique.
Les saLariés ont hâte d’en découdre de nouveau… Benoît Guillemin n’est pas peu fier de nous faire remarquer que les 280 salariés du grand magasin sont particulièrement motivés, malgré les désagréments que le chantier leur procure : « Chez eux, il y a une très forte identification à la marque Printemps, en même temps qu’une nostalgie inévitable vis-àvis de ce qui va être démoli. En même temps, tous savent qu’ils vont disposer, dans un an, d’un tout nouveau magasin, bien plus rationnel, avec 7500 m2 de surface de vente répartis sur cinq niveaux très homogènes. Fini le vieux « L » labyrinthique, le Printemps sera abrité dans un rectangle classique qui facilitera grandement la vie de la clientèle. » un autre élément motive particulièrement les salariés du grand magasin. « Au fil des années, de plus en plus vieillot, le Printemps s’était fait distancer par son principal concurrent. à l’issue des travaux, dans moins d’un an maintenant, l’outil sera magnifique. Chacun a hâte d’en découdre de nouveau… » conclut malicieusement le chef d’orchestre de ce chantier impressionnant. ERIKA CHELLY
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Le chantier de sa vie Patrick Singer, que les lecteurs de Or Norme Strasbourg connaissent bien après son interview dans le numéro 3 de notre revue, vient d’attaquer les titanesques travaux du futur Premium, rue du Fossé des XIII. Visite guidée d’un chantier rare, voire même unique, pour un promoteur régional. Le chantier de sa vie… Des millions de Strasbourgeois connaissaient bien l’immense garage Mercedes, construit après-guerre et souvent agrandi et rénové, finissant par occuper une très grande surface qui, peu à peu, a fait partie du paysage du quartier. Certains, clients de la marque, ont sans doute maintes fois accédé à l’un des sept niveaux de l’énorme bâtisse via la gigantesque rampe hélicoïdale dans le ventre du monstre.
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S’ils revenaient aujourd’hui, ils seraient stupéfaits : quand nous avons visité ce chantier, au tout début avril, on commençait à peine les démolitions. En grimpant à pied la fameuse rampe jusqu’au parking à ciel ouvert, sept niveaux plus haut, nos yeux se sont souvent perdus sur ces gigantesques plateaux désertés. Il y a bien une poésie du bâtiment industriel en friche : débarrassé de tout aménagement intérieur, désossé de tout son équipement technique apparaît le béton brut d’origine. On réalise alors la prouesse architecturale et surtout, l’extraordinaire gigantisme d’un tel bâtiment, en plein centre-ville de Strasbourg. étonnant…
un chantier qui constitue une véritabLe prouesse technique Casque sur la tête, Patrick Singer est vraiment dans son élément quand il nous explique tout ce que le gigantisme de ce chantier implique : « On vient de terminer le carottage, c’est-à-dire la mise à nu de la structure complète. Il n’y a plus
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queLs chantiers !
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une seule gaine, plus une seule tuyauterie, plus aucun radiateur, etc… On entame maintenant un long processus de démolition-reconstruction qui est, de très loin, le plus grand défi technique que j’ai eu à relever dans ma carrière. En fait, on va casser jusqu’au ciel les immenses dalles des niveaux 5, 6 et 7. Nous avons calculé qu’il va nous falloir évacuer environ 15 000 tonnes (!) de béton, sans parler du ferraillage et même du bitume que nous venons de casser tout en haut. Chaque jour, ce sont une quinzaine de semi-remorques qui vont se charger de cette évacuation. Tout raser aurait infiniment été plus facile : on n’en a pas décidé ainsi pour pouvoir continuer à bénéficier de la réglementation du Plan d’occupation des sols. En rasant tout, on n’aurait pas pu reconstruire aussi haut, de nos jours. Et puis, on conservera ainsi le souvenir d’une ancienne vie industrielle qui ne pourra jamais plus s’exercer de la même façon en plein Strasbourg. Pour nos équipes, c’est un super-challenge car ce gigantisme est en trompe-l’œil : en fait, nous sommes au chœur d’une « horlogerie suisse ». Quelquefois, ça se joue à quelques centimètres. Ce chantier est vraiment d’une extrême technicité… »
Le coup est parti… « J’ai une vraie obsession » avoue Patrick Singer. « Un tel défi entraîne un scrupuleux respect des délais et donc, une organisation sans la moindre faille. Chaque jour éventuel de retard coûterait une véritable fortune, nous ne pouvons pas nous le permettre. Aussi, je me suis transformé en chef d’orchestre, bien assisté par Philippe Hammann, l’architecte et Anne Blanc qui vient de racheter le cabinet et qui lui succède. On ne raisonne pas sur quinze jours mais sur un mois d’avance. Il faut tout prévoir, jusqu’au moindre détail. À un certain moment, bien en amont, j’ai eu du mal, je l’avoue, à tout visualiser tant le gigantisme et la complexité du chantier étaient oppressants. L’équipe autour de moi a été formidable : ils ont tout mis à plat avec des techniques 3D dernier cri, on a travaillé des heures et des heures là-dessus, ces réunions me « vidaient » littéralement tant tout cela était complexe. Maintenant, le coup est parti et on assure bien. D’ici le mois d’octobre, le gros œuvre sera terminé et on est dans les temps : on a même quatre jours d’avance, ça pourra peut-être paraître peu pour vos lecteurs mais pour nous, c’est déjà beaucoup, compte tenu des enjeux de ce chantier hors norme… »
L’imagination pour faire face à La crise économique Jamais en retard d’une innovation, ce promoteur atypique a profité de l’énormité d’un tel chantier pour encore améliorer sa relation avec les entreprises sous-traitantes avec lesquelles il travaille. « Toutes sont formidables, nous nous connaissons très bien mutuellement depuis
très longtemps pour une majorité d’entre elles. Vous savez, si on n’a pas leurs compétences, c’en est fini de notre rôle de promoteur, on est mort ! Toutes ces entreprises n’arrêtent pas de subir des augmentations sur le coût des matériaux, des charges, etc… De notre côté, on est contraint de négocier très durement, notamment parce que j’impose mes produits. J’exige de la qualité, de la disponibilité en matière de stock. Je me suis donc demandé dans quelle mesure mes entreprises partenaires pourraient suivre financièrement… J’ai donc pris le taureau par les cornes et je suis allé voir Würth, mon voisin d’Erstein. Pierre Hugel, le directeur général et moi, on savait chacun que l’autre existait mais on ne se connaissait pas personnellement. Je l’ai rencontré avec Claude Kopff, Directeur Opérationnel et leur ai exposé les enjeux en leur livrant les chiffres d’un tel chantier : rien qu’en matériels divers, ça représentait un chiffre d’affaires entre 2,5 et 3 M€ ! Ils ont compris que l’enjeu était important pour leur société qui, ainsi, pouvait gagner de nouveaux clients et nous n’avons eu aucun mal à nous entendre sur un partenariat innovant et original. Tout le monde y trouve son compte : Würth accède à de nouveaux marchés et de nouveaux clients, les entreprises achètent moins cher car la globalisation des volumes produit ses effets, elles peuvent donc mieux répondre à mon cahier des charges et moi, je bénéficie de marges moins tendues et moins étroites. C’est du gagnant-gagnant à 100% et j’imagine même, dans le futur, créer ainsi comme une centrale d’achats adaptée à l’activité du promoteur régional que je suis… » Il y a fort à parier que Patrick Singer va très souvent fréquenter la rue du Fossé des XIII dans les mois qui viennent. Car le chef d’orchestre veut vivre au plus près « le chantier de sa vie »… JEAN-LUC FOUrNIEr
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écrans noirs au star ? Il avait résisté à la vague des multiplexes mais le Star fait face à un nouveau défi. Judiciaire, cette fois. Une histoire de loyer sans cesse revu à la hausse et une procédure judiciaire dont l’issue récente risque de faire apparaître définitivement “The end” sur les écrans...
Rien de tel ne s’est pourtant produit, en grande partie grâce à l’attachement des Strasbourgeois à leurs derniers bastions cinématographiques. à leur envie de continuer à voir des films en VOST, du cinéma d’auteur issu de tous les continents, et pas seulement quelques blockbusters. 160 000 entrées payantes aujourd’hui au Star. 180 000 au Saint-Ex. Certes pas de quoi rivaliser avec les 1,9 millions d’entrées du Ciné-Cité mais un ratio plus qu’honorable au prorata du nombre de salles : plus de 2 830 entrées mensuelles par salle pour les deux historiques contre près de 7 200 entrées pour l’uGC. Et une place de choix pour le Star, classé parmi les six premiers cinémas d’art et d’essai de France. Letzgus s’était donc planté. Les multiplexes n’ont pas eu la peau des « étoiles ».
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Le cinoche dans Les prétoires
été 1999 : fermeture du Cinéma Club, ouvert trente ans plus tôt par Louis Malle, alors réalisateur d’Ascenseur pour l’échafaud. 4 juillet 2000, le Méliès baisse à son tour définitivement le rideau. La faute, dit-on, à l’arrivée des grands multiplexes. une autre façon de voir, de concevoir le cinéma. une crainte, aussi : que les salles de quartiers disparaissent les unes après les autres. Qu’au centre de Strasbourg, on finisse pas entonner une triste mélodie « eddymitchelienne ». De celle qui narre l’histoire d’un cinéma où « la salle est vide à pleurer » où un « voisin détend ses bras », « s’en va boire un café » et qu’« un vieux pleure dans un coin », parce que « son cinéma est fermé ». Parce que « c’était sa dernière séquence », « sa dernière séance » et que « le rideau sur l’écran est tombé ».
Mais c’était peut-être sans compter sur une simple histoire de bail. Lorsque Stéphane Lips, actuel directeur des deux cinémas de quartier rachète le Star à René Letzgus en juillet 2006, il hérite en parallèle d’un contentieux juridique, avec la propriétaire des murs qui souhaite en augmenter le loyer, avec combat judiciaire de plus cinq ans à la clé. Premier jugement, gagnant, en février 2011... pour la propriétaire. L’histoire aurait pû s’arrêter là, le Star payait, mais la femme fait appel et demande encore plus, expliquait Stéphane Lips début mars avant le jugement de Colmar : « Notre loyer actuel est de 2 900 euros mensuels. Depuis l’enclenchement de la procédure, il est fictivement passé à
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4 100 euros. Et dans son appel, la propriétaire veut désormais l’élever à 8 000 euros ! ». Autant dire un coup de grâce pour le Star qui, poursuivait Lipps, « verrait ainsi la part de son loyer représenter 10 à 12 % de son chiffre d’affaires alors que l’usage de la ‘monovalence’, confirmé par la Loi du 30 septembre 2010 relative à l’équipement numérique des établissements de spectacles cinématographiques veut que le loyer d’un cinéma comme le Star ne puisse excéder 5 à 7% de son CA ». Craintes, indignations, après les multiplexes, la résistance s’est donc organisée cette fois contre les vélléités du bailleur. Mails, réseaux sociaux, tout ou presque a servi à mobiliser. L’enjeu : que les élus actionnent la loi Sueur qui permet d’aider financièrement des cinémas indépendants comme le Star. Nombreux sont les Strasbourgeois qui ont signé. Les élus de la Ville et de la Région ont suivi, avec une enveloppe de 35 000 euros chacun à la clé, soit les deux tiers de la somme à verser en cas de jugement défavorable.
Le couperet est tombé Le délibéré de la Cour d’Appel de Colmar a décidé de fixer le loyer mensuel à 5 742,80 € aggravant de plus de 500 € par mois le jugement en première instance. La décision étant rétroactive, ce sont donc 191 226,88 € exactement que le Star va devoir débourser !
plus aucune copie traditionnelle de film ne devrait être en circulation... Avant le jugement de la Cour d’Appel de Colmar, Stéphane Lips pensait que les banques allaient suivre, grâce aux garanties fournies par un subtil système complémentaire au Compte de Soutien au Cinéma, mis en place sous Jack Lang. Le couperet étant tombé, quel banquier prendra aujourd’hui le risque de suivre un cinéma à l’avenir budgétaire aussi noir ?... “La somme à atteindre paraît impossible à réunir” reconnaît Stéphane Lips “ mais nous sommes prêt à tout pour sauver ce lieu !”. à l’heure du bouclage de notre revue, les modalités d’une souscription publique restaient à déterminer... CHARLES NOuAR
une mauvaise nouvelle arrivant rarement seule, ce coup dur vient encore plus compliquer la situation : à l’instar de l’intégralité des salles françaises, le Star est également contraint d’équiper ses salles en projecteurs numériques (80 000 € par écran). Car en décembre prochain,
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L’odyssée au Long cours S’il y a un cinéma qui ne ressemble à aucun autre, c’est bien l’Odyssée. Propriété de la Ville de Strasbourg, exploité par une association en vertu d’une délégation de service public récemment renouvelée, l’Odyssée poursuit une exigente mission et laisse hurler les loups... Rencontrer Faruk Gunaltay dans son bureau niché au-dessus des salles de cinéma de l’Odyssée est une vraie expérience. “Le jour sur les monts de l’Altay” (la traduction français de son patronyme turc) est scotché au téléphone dans son bureau. En ligne, quelqu’un qui l’appelle de Russie, alors le boss de l’Odyssée parle un anglais peu académique mais efficace. Son bureau, parlons-en... Au premier coup d’œil, un tsunami de papier. Partout : sur, contre, en-dessous et tout près dudit bureau. Dans les métiers de la presse, on dit toujours qu’un journaliste dont le bureau est nickel est soit un éditorialiste très bien payé pour ses 2000 signes quotidiens, soit un type adepte du copier-coller sur internet... Quelquefois, c’est les deux. Mais le bureau de Faruk, c’est autre chose... C’est l’antre d’un vrai malade de cinéma. Dans la mare de papier, il y a une foultitude de dossiers de presse de films quelquefois anciens, un vieux numéro d’un magazine depuis longtemps trucidé qui voisine avec la dernière livraison des “Cahiers du cinéma”, une bonne centaine de cassettes VHS dont le dernier lecteur capable de les diffuser a été jeté à la déchetterie il y a bien cinq ans, quelques courriers urgents qui attendront, bien sûr, et un cendrier qui reçoit impertubablement les cendres des gros cigares de l’occupant. Qui lui seul sait, avec exactitude, où il a rangé la fiche de Nosferatu le
vampire. Même que la bio de Murnau l’accompagne, accolée grâce à un vieux trombone. A l’évidence, la femme de ménage ne fait que vider le cendrier et entrouvrir la fenêtre. Pour le reste, pas touche !... Alors que la conversation téléphonique se poursuit, on laisse ses yeux admirer ce quasi décor d’un vieux polar américain à la base d’un non moins bon vieux film noir et on distingue avec grand plaisir l’affiche de “Full Metal Jacket” de Kubrick soigneusement enchassée dans un cadre sous-verre et celle de “La Strada” de Fellini, rarissime mais pourtant vulgairement punaisée. Dis donc, Faruk, le vieux caractériel italien et son épouse, Giuletta Massina et son nez rouge de clown, mériteraient un meilleur sort, non ?
que d’affiches ! une heure après, un Niagara de paroles a succédé à nos questions . Alors, le mieux est encore de faire comme avec les coffrets de films en DVD qu’on déniche : mater les titres et dérouler les contenus... - La grande vadrouille : “En 1986, l’Odyssée ferme. Il ne peut plus
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soutenir la concurrence avec les multi-salles du centre-ville. Il n’est plus rentable... 1987 : la Ville de Strasbourg le rachète et y entame un travail avec des publics scolaires pour découvrir le cinéma. Bof... Aux yeux de notre association, les Rencontres Cinématographiques d’Alsace, cette salle magnifique peut être le théâtre d’un très beau projet. On commence à l’écrire... En 1989, l’équipe Trautmann inscrit ce projet dans son programme électoral. Première surprise, elle gagne. Deuxième surprise : elle tient sa promesse !
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- La piscine : “L’Odyssée en vie, c’est la rencontre entre une décision publique extrêmement audacieuse et courageuse et un engagement de militants du cinéma alternatif et européen. Les nombreux cinéphiles strasbourgeois n’y croyaient pas tous, loin de là. Je me souviens d’un article de presse qui disait : ”Ils veulent faire un ciné, un café, une bibliothèque de films... Et pourquoi pas une piscine ?” On a tout fait, sauf la piscine effectivement...”
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- Babel : “Notre boulot, c’est de défendre et promouvoir la cinématographie européenne et, en même temps, conforter le rôle et l’image de Strasbourg via tous les cinémas européens. Faut-il rappeler que Strasbourg est le siège d’Eurimages, le seul fonds européen de financement du cinéma, le siège de l’Observatoire du cinéma européen, le siège d’Arte... Eurimages fait un travail formidable malgré un fond d’investissement qui n’est Faruk Gunaltay doté que de 20 M€ par an. Et Arte fait partie du comité de sélection des films ainsi financés depuis le 1er janvier dernier. C’est pourquoi nous pensons que Strasbourg doit être le lieu d’un très ambitieux festival du cinéma européen. De tous les cinémas des 47 pays qui siègent au Conseil de l’Europe. Nous avons élaboré et même fignolé un projet dans ce sens, que nous avons remis à la Ville de Strasbourg. Nous attendons... Avec l’arrivée à la présidence des RCA de Jean-Paul Costa, l’ex-président de la Cour européenne des Droits de l’Homme, nous sommes en ordre de bataille pour nous lancer dans ce combat pacifique pour une Europe du cœur et de l’intelligence loin de celle des requins de la finance...” - Les frontières du passé : “Le Rhin a toujours été un élément de séparation de part et d’autre duquel on se regardait en chiens de faïence. Au point que tout Strasbourg lui tournait le dos... C’est quand même incroyable, ça. Partout dans le monde, les rives sont les endroits les plus recherchés et pendant plus de cinquante ans, ici, ça a été un no man’s land sur des kilomètres et des kilomètres ! Le temps est venu de transgresser ces rigidités. Les politiques s’en occupent avec l’Eurodistrict ou l’urbanisme et bien, en ce qui nous concerne, nous disons qu’il faut remplacer le refus d’aller au-delà par la volonté de découvrir l’autre côté du Rhin, que cela se fasse comme dans une routine quotidienne, dans le murmure quotidien de l’écume des jours... C’est pourquoi on a tendu la main au Kino Center de Kehl. Du 9 mai au 5 juin prochains, il va relayer une opération autour des films de Romy Schneider. Il y aura un tiré à part bilingue qui sera diffusé par les DNA en France et le Kehler zeitung de l’autre côté du Rhin. Et il y aura aussi une carte Ciné Pass à Strasbourg qui permettra de bénéficier d’une réduction de 20% sur les notes des restaurants participant et une carte Kino Pass qui accordera les mêmes avantages au restaurant Lamm de Kehl...” (On souffle cette idée à Faruk : et pourquoi pas Michel Piccoli pour présider ce festival ? ça aurait de la gueule, non ? ndlr)
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Le 24 septembre 1992, on ouvre ! Michel Piccoli est le parrain de cette renaissance. Et depuis, on bosse...”
- La chasse à l’homme : “Je l’ai vécue lors des dernières péripéties de renouvellement de notre délégation de service public. J’insupportais, alors on a tenté de faire jouer la vieille ficelle du jeunisme. Le problème n’est pas d’être ou de rester jeune. Le problème est qu’il faut conserver un cap. Nous, on a choisi : on préfère les exigences humaines et culturelles aux seules exigences du marché ! Nos objectifs stratégiques se définissent en dehors des seuls impératifs du business. Regardez ce que la logique du marché a fait des cinémas : nous sommes fiers d’être une des rares salles françaises crées après la Seconde Guerre mondiale équipée d’un rideau rouge et d’un balcon ! On défend vraiment cette orientation pour permettre d’échapper au consumérisme et à ses leurres.” - L’aventure intérieure : “Il y a deux priorités très urgentes. D’abord, l’obligation qui nous est faite de passer au numérique. On travaille avec le service de l’audio-visuel de la Ville de Strasbourg pour mener ce dossier à bien d’ici la fin de l’année car nous ne sommes ni les propriétaires du lieu ni les propriétaires du fond de commerce. Nous allons également devoir renouveler nos fauteuils. Je crois bien que nous détenons un record national en la matière : ce sont les mêmes fauteuils qu’il y a vingt ans !” Pas mal les titres contenus dans ce coffret “L’Odyssée”... Le cinéma de la Ville de Strasbourg est reparti pour cinq ans. Et Faruk va encore empiler pas mal de docs sur son bureau. “Pfff..” soupire la femme de ménage. JEAN-LuC FOuRNIER
Votre projet d’avenir…
Reconnue par l’État et habilitée à recevoir les boursiers nationaux pour les cycles bac +2 JO n° 0205 République française. Habilitée à délivrer des Titres Certifiés CP FFP • Qualifiée ISQ
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strasbourg et l’alsace
sur grand écran
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Le tournage des « Invincibles ».
de « tous Les soLeiLs » à « miKe » de Lars bLumers en passant par L’ouverture de « sherLocK hoLmes 2 », L’aLsace accueiLLe de pLus en pLus Les tournages de Longs mais aussi de moyens et courts métrages. et ce n’est pas par hasard.
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L’Alsace terre de tournage à l’instar de l’Ile-de-France ou de la région Rhône-Alpes ? un défi en passe d’être relevé. Non par un coup de baguette magique mais pas à pas, grâce à une série de dispositifs, fruits d’une politique mise en place depuis une vingtaine d’années. Dès 1994 en effet, la Région a créé un « Fonds de soutien à la création et à la production audiovisuelle et cinématographique » conforté la même année par un partenariat avec le « Centre National du Cinéma et de l’image animée » (CNC) lui-même renforcé en 2004 afin d’augmenter les aides accordées. D’abord réservé aux documentaires et à la fiction de long-métrage, ce dispositif a été élargi aux courts-métrages et s’est encore étoffé lorsque la Communauté urbaine de Strasbourg (CuS) a apporté sa pierre à l’édifice. Aujourd’hui, ces trois partenaires représentent ensemble un montant de 1,9 million d’euros disponible pour le cinéma et l’audiovi-
suel. Si l’on ajoute à cela la beauté des décors urbains ou naturels, le sérieux reconnu des professionnels locaux – comédiens, techniciens mais aussi restaurateurs, hôteliers, collectionneurs de costumes, de meubles, de voitures etc. – ainsi que, cerise sur le gâteau, le rapprochement de Strasbourg et Paris grâce au TGV, on se rend compte que l’Alsace a effectivement des atouts à faire valoir pour resplendir dans la lumière du Septième Art.
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« sherLocK hoLmes 2 » : un message aux professionneLs Les pLus prestigieux
Listing taf et ebooK Plaque centrale de ce dispositif, les « Bureaux d’accueil de tournages » de la CuS et de la Région. Créées quasi simultanément, en 1997 et 1998, ces structures travaillent en pleine complémentarité, l’une basée à Strasbourg, l’autre installée à l’Agence culturelle d’Alsace (ACA) de Sélestat. Pour attirer un maximum de réalisateurs de courts, moyens et longs métrages, elles disposent d’outils parmi lesquels le « Listing TAF » (techniciens, artistes, figurants) élaboré sur le site de « Film France – commission nationale du film » dont les rubriques « 67 » et « 68 » sont rebasculées chez eux. « Nous pouvons ainsi orienter directement les productions qui nous contactent », expliquent Michel Woch, directeur du Bureau de la Région et Cécile Enjalbal, responsable de celui de la CuS. Autre instrument, élaborés par les deux Bureaux d’accueil de tournages, l’« ebook des tournages en Alsace » où figurent les éphémérides climatiques, la liste des professionnels et prestataires du cinéma ainsi que celles des décors naturels, industriels, urbains etc. D’un point de vue tout à fait pratique les deux structures organisent des pré-repérages, centralisent les informations relevant de la logistique telles que l’hébergement ou la restauration, chacune sur son territoire respectif mais aussi ensemble et en même temps lorsque le tournage à venir l’exige : « nous ne sommes pas concurrents », confirme-t-on de part et d’autre - avec le sourire - en rentrant d’un rendez-vous commun au musée de l’œuvre Notre-Dame.
proJets dans Le viseur ? « Deux courts-métrages, répondent Michel et Cécile : « Baba Noël » de Walid Mattar a démarré en janvier à Colmar et dans la CuS et « Le Bouillon » de Stéphanie Lagarde produit par Cassiopée films a été tourné début février à Strasbourg ». La productrice de ce dernier film était venue en 2008 pour « Les Grands-mères » de Frédéric Malegue et ensuite pour « Abribus » de Carine Hazan avant de revenir et de faire appel directement aux mêmes techniciens. » une fidélisation se met donc en place, ce qui est bon signe. à venir également, un docu-fiction consacré par Seppia aux « Bâtisseurs de cathédrale ». Premier film en 3D tourné en Alsace, sa sortie est prévue pour la fin de l’année. « C’est un projet très ambitieux, souligne Michel Woch, et le fait que Seppia soit restée basée à Strasbourg démontre que le travail des « Fonds de soutien permet à des sociétés alsaciennes innovantes de résister aux sirènes parisiennes ».
Deux longs métrages sont également annoncés : « Vandal » d’Hélier Cisterne consacré à la vie des deux adolescents en quête d’identité sera tourné entre Lyon et Strasbourg ainsi qu’un film allemand dont trois semaines de tournage se passeront… sur une aire de repos de l’A35. « Cette dernière opportunité a été déclenchée par une rencontre avec un repéreur allemand lors des « Rencontres de la coproduction rhénane » organisées en juin à Strasbourg », précisent Michel et Cécile. Et que pensent-ils de « Sherlock Holmes 2 », soutenu quant à lui à plus de 90 % par le Bureau de la CuS, ont-ils été déçus par les 24 secondes d’un Strasbourg enfumé qui apparaissent au final ? « Honnêtement, ce sont surtout les réactions de la presse qui nous ont laissé perplexes. Concrètement, les retombées pour Strasbourg ont été de 1,8 million d’euros, 900 cachets de figurants et l’emploi de plus de 100 techniciens locaux sur ce film. Ce n’est pas rien et puis surtout les professionnels les plus prestigieux savent aujourd’hui que Strasbourg et sa région sont capables d’accueillir un tournage de cette envergure. » Site : www.Tournages-alsace.org Toute proposition de lieu de tournage est la bienvenue !
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Sorti en 2010, le film « Tous les soleils » de Philippe Claudel a mis en lumière, au son des tarentelles, un Strasbourg inédit au cinéma. Lumineux, fantasque, méridional. Cadre idéal d’un film qui a foi en la vie. « Je n’aurais pas pu le tourner ailleurs », confie le réalisateur. un film, une ville. L’équation n’est évidemment pas la seule clé du cinéma de Philippe Claudel mais elle est partie prenante de l’alchimie de ses œuvres. Si « Il y a longtemps que je t’aime » « devait » se dérouler à Nancy, la ville de l’écrivain-réalisateur, « Tous les soleils » n’aurait pu se faire ailleurs qu’à Strasbourg », dit-il. Il définit la ville comme « polymorphe, aux antipodes de la carte postale des colombages sous la neige » et a voulu la filmer « sous le soleil », « dans son inspiration italienne ». Trop peu utilisée au cinéma à son avis, Strasbourg l’a « toujours fasciné » par la multitude de visages qu’elle offre aux différentes saisons et par son « cosmopolitisme ». « Grâce au tourisme et aux institutions européennes, on y entend toutes les langues lorsque l’on s’y promène, cela me plaisait de la montrer à contrepied des idées reçues et d’en faire la ville de ces Italiens qui ne sont pas nés en France mais qui y vivent et qui l’aiment. ». Autre composante essentielle de « Tous les soleils », la musique baroque qui le parcourt de bout en bout, à la fois vivifiante et mélancolique. « une amie m’a offert l’album de « L’Arpeggiata » en 2002, raconte Philippe Claudel, il m’a captivé et j’ai très vite décidé de l’utiliser dans un film en y mêlant une histoire d’apparence légère mais avec des racines douloureuses, ici celles d’un deuil ». « La musique des tarentelles est une musique d’exorcisme qui extirpe le mal pour parvenir à la renaissance, elle la source et la sève de « Tous les soleils ». Tout comme Strasbourg, elle a été prenante d’un projet qui voulait rendre hommage autant à la vie qu’à ceux qui l’ont quittée ». Les comédiens italiens s’imposaient dans cette comédie tendre irriguée de sonorités transalpines. Stefano Accorsi joue Alessandro, musicologue en deuil d’une lumineuse épouse alsacienne et père d’une vive adolescente. Son improbable frère Luigi, anarchiste d’appartement en guerre contre Berlusconi, est quant à lui interprété par Neri Marcoré. Mais l’équipe fut aussi strasbourgeoise. « Je tenais à engager un nombre important de comédiens alsaciens pour retrouver la réalité humaine de la ville, explique Philippe Claudel. Les castings ont été assez longs et j’ai choisi les personnes qui correspondaient le mieux à mes personnages au milieu de beaucoup d’autres toutes très talentueuses ». « C’est une des forces de l’Alsace, poursuit-il, elle dispose d’un vrai vivier d’artistes et de techniciens né sans doute de l’implantation d’ARTE à Strasbourg. Il faut que les élus prennent toute la mesure de cet atout et proposent aux réalisateurs des aides financières encore plus attractives. Le cinéma peut apporter beaucoup au rayonnement d’une ville ou d’une région ». L’envie de revenir tourner à Strasbourg taraude en tout cas Philippe Claudel mais pour l’heure il mène de front deux projets de film. Où ? Quand ? Comment ? On le saura plus tard…
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strasbourg au zénith de « tous Les soLeiLs »
des comédiens strasbourgeois parLent du fiLm Deux des comédiens « locaux » de « Tous les soleils » évoquent le tournage. L’une est fondatrice de la compagnie théâtrale « Le Talon rouge » et a joué au cinéma, entre autre, dans « Le septième Juré » avec Jean-Pierre Darroussin ainsi que dans « Les Invincibles ». L’autre, figure du la scène théâtrale régionale lui aussi, a joué dans une trentaine de films dont « Mike » et « Forever Mozart » de Godart. Il était l’un des héros des « Miettes » de Pierre Pinaud qui a obtenu le César du meilleur court-métrage en 2009. Ils brûlent les planches strasbourgeoises depuis un bout de temps déjà et font partie des comédiens locaux embarqués par Philippe Claudel dans l’aventure de « Tous les soleils ». Souvenezvous… Catherine Javaloyès est la froufroutante, horripilante et désopilante maman de Noémie qui confond rock et baroque dans sa détermination très décolletée à charmer le bel Alessandro. Xavier Boulanger confère quant à lui son imposante stature à Dieter, le copain producteur de vins, fomentateur des fausses « Dernières Nouvelles d’Alsace » annonçant la fuite de Berlusconi.
Leurs souvenirs du tournage ? « Avant d’entamer le film, Philippe Claudel avait convoqué tout le monde Place de la Gare à Strasbourg, on a embarqué dans deux bagnoles direction le Donon, marché, déjeuné tous ensemble et là, le tour a été joué en deux temps trois mouvements : on était une équipe et la bonne humeur ne nous a pas lâchés durant le tournage. On s’est vachement bien entendu… » Des bémols ? Catherine regrette en plaisantant de ne pas avoir eu de scène avec Xavier et aurait aimé pouvoir donner plus de gravité à son personnage « de fofolle » inspiré des comédies italiennes. « Ce sera pour une autre fois dans mon parcours de comédienne, dit-elle, une des qualités de Claudel est de nous faire toucher du doigt nos envies en nous faisant explorer le contraire tout en douceur. Xavier se serait bien vu plus « complexe » dans le film, « pas seulement déconneur ». « Il n’y a pas dans « Tous les soleils » les scènes d’engueulades qui déchiraient les bandes d’amis du cinéma de Sautet, explique-t-il, en évoquant « Vincent, François, Paul et les autres » qui a été une des références de Claudel dans l’écriture du scénario, mais c’est logique puisque le film revendiquait d’abord et avant tout les « bons sentiments » si injustement décriés. » un film vitamine en somme et qui atteint son but puisque Catherine et Xavier confirment qu’à sa sortie, ils ne cessaient d’être accostés par des spectateurs leur disant combien « Tous les soleils faisait du bien ». VéRONIQuE LEBLANC
UNe CAMPAgNe De PUB RêVÉe en plus du succès public, « Tous les soleils » a vraiment attiré l’attention sur Strasbourg. On ne compte plus les coups de fil d’amis fréquentés il y a longtemps, loin de l’Alsace et qui vous avaient un tantinet oublié. Après avoir vu le film, ils vous ont retrouvé sur Facebook ou ailleurs : - « Dis donc, je viens de voir « Tous les soleils ». C’est vraiment comme ça là où tu vis ? - Ben, oui… - et toi aussi tu fais du vélo, j’y crois pas… - Si, si, j’te jure, je m’y suis mis, c’est tout plat, bien aménagé, j’aime ça… - Allez, quand même, y’a pas tant de soleil que ça chez toi… - Mais si, mais si, c’est comme ça, manque que la mer… - et bien, tu vis dans une très belle ville, mon vieux… » Une campagne de pub aussi performante, aucune agence ne peut la créer. et comme elle n’a pas coûté des mille et des cents, et bien ça vaut plutôt le coup d’investir dans un bureau de tournage, non ?
Les restaurateurs prennent soin de votre Ligne Selon les statistiques, 55% des hommes et 90% des femmes déclarent surveiller leur poids. Inutile de préciser que cette surveillance s’applique aussi dans la restauration traditionnelle : qui d’entre nous n’a jamais rencontré ce problème au moment de commander, après avoir lu avec plus ou moins de perplexité la carte du restaurant ?
un concept originaL une jeune société strasbourgeoise (CMS, pour « C’est Ma Santé ») a décidé de prendre le problème à bras-le-corps (sans jeu de mots) et se lance dans l’audit des cartes des restaurants. Evaluation nutritionnelle, bilan calorique de 15 plats minimum -des entrées jusqu’aux desserts-, mise à disposition de petites pastilles numériques d’étiquetage des plats des restaurateurs et, belle innovation, mise à disposition d’un site internet d’information nutritionnelle pour le client lambda. un sourire ne coûtant rien, le concept sera visible sous l’appellation Nutrismile et matérialisé par un logo qui sera affiché dans le restaurant. Par ailleurs, des flyers seront à la disposition des clients. Les restaurateurs participants afficheront à leur porte d’entrée ce même logo, qui figurera également sur les cartes. Plusieurs mois de test ont été réalisés à la Brasserie Flo de Strasbourg et les réactions des clients ont été suffisamment positives pour valider que ce concept répond avec justesse à une véritable attente des consommateurs. Cet établissement sera d’ailleurs le premier dans le Bas-Rhin à populariser le concept Nutrismile. Avec ça, si vous grossissez exagérément au restaurant, ce sera à désespérer de tout… ERIKA CHELLY
JeAN-LUC FOURNIeR
Infos : www.nutrismile.org contact@nutrismile.org
La phiLharmonie Les amateurs, nous Les aimons tout autant
TEXTE : ANTOINE SPOHR / PHOTOS : YANN ROHRER
Quatre jours avant la date d’ouverture du festival de musique de Strasbourg (du 8 au 22 juin prochains), annoncé dans la presse quotidienne sous le titre « Nos amis maestros », les Strasbourgeois auront l’insigne plaisir de savourer une nouvelle offrande de La Philharmonie.
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Cette formation de structure académique traditionnelle née en 1900, est pour nous « hors norme » parce qu’elle n’a pas le statut qu’elle pourrait revendiquer. Elle a compté, brièvement certes, Charles Munch parmi ses musiciens et même à la baguette, exceptionnellement, pour le concert du cinquantenaire. On sait : ce n’est certainement pas la seule « assoc’ » de haute qualité qui mériterait une appellation contrôlée ou institutionnalisée, si ce n’est qu’elle appartient au domaine culturel où les uns et les autres cohabitent dans la cour des grands, celle des moyens et des petits. Souvent en bonne entente d’ailleurs, sûrement grâce à une passion partagée et apaisante, celle de la musique, engendrée par les ensorceleuses Euterpe et Erato coalisées. Des chœurs remarquables y sont souvent incorporés comme celui de Saint Guillaume, avec Erwin List ou de la paroisse du Bouclier avec Christian Seckler et tant d’autres.
amateurs ? certes, mais au sens authentique. Oui « aimer » est le radical commun qui n’implique pas ce sens péjoratif que parfois lui confère son horrible contraire, « professionnel ». Dans les arts, en tout cas, cet antagonisme est malvenu. Formation modulable selon les besoins et les disponibilités, voici donc la Philharmonie de Strasbourg, orchestre symphonique d’amateurs hautement qualifiés. Quatre-vingt musiciens, qui professeur de musique, qui instrumentiste confirmé par des diplômes, qui encore tout simplement « fou de musique », les uns comme les autres souvent contraints à des occupations autres. On y compte ainsi un militaire, un juge… Eh oui ! Violon d’Ingres ! Si la qualité de virtuose du violon du grand peintre lui est parfois contestée, son ardeur et son amour de la musique ne le sont jamais.
un duo harmonieux : etienne bardon et Jérôme vetter. Le chef et le président sont en parfaite symbiose. Etienne Bardon a quarante années de présence musicienne à Strasbourg, comme clarinettiste au « Philhar’ », comme professeur au conservatoire et aujourd’hui comme chef admiré pour sa compétence, son autorité et son enthousiasme débordant de vitalité. Son modèle est Charles Munch dont il détient précieusement une baguette. Son jeune acolyte, le président Vetter, est de son côté en charge de la gestion des impedimenta, des comptes et de l’organisation des prestations à l’extérieur qui constituent un apport substantiel en complément des cotisations (de 50 à 38 ou 26 euros, respectivement pour les bienfaiteurs, les donateurs ou les membres associés). Ces très raisonnables contributions valent accès à tous les concerts de la saison pour quatre personnes. Qui dit mieux ? Le choix de la programmation revient évidemment au chef mais il écoute son entourage ou les commanditaires, parfois, pour les participations à des festivals par exemple.
des programmes ambitieux, audacieux, exigeants. Même pas peur ! C’est difficile ? On travaillera, voilà tout. La saison 2011/2012 est d’une diversité hors norme. En décembre Nino Rota était encadré par Arthur Honegger et Claude Debussy. Original à souhait ! Plus tard la fin du printemps a été consacrée au très étonnant compositeur britannique, Vaughan Williams, avec sa très belle « A sea symphony » offerte, oui offerte, au Royaume-uni en l’honneur de la présidence britannique du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, à Strasbourg. Et enfin, devant nous pour le 4 juin prochain, une Rédemption (1874) de César Franck mais aussi une résurgence d’un compositeur né en Alsace, à Ensisheim, Léon Boëllmann (1862-1897) avec deux œuvres que le maestro Bardon dit représentatives, toutes deux créées en 1892 : Variations symphoniques pour violoncelle et orchestre et la Symphonie en fa majeur. Le maître est mort de phtisie à 35 ans alors que des musicologues remarquaient déjà « la force poignante du romantisme alliée à une prudente modernité qui peut apparenter sa musique symphonique à l’impressionnisme musical ». On jugera après une écoute attentive ! Quand on connaît et le talent et l’investissement humain de la Philharmonie, on sait que le plaisir sera partagé par les exécutants et l’auditoire, en proximité. C’est ce qu’on appelle une communion.
S’interdisant toute germanophobie qui serait d’ailleurs dérisoire particulièrement dans ce domaine, Jérôme Vetter rappelle que la Philharmonie avait été créée aussi par une élite strasbourgeoise, soucieuse de faire jouer de la musique française sous annexion allemande. Le programme du festival officiel comporte évidemment la sublime 9e symphonie de Beethoven : capitale européenne oblige. Mais la diversité et la découverte doivent également s’inscrire dans cette impérieuse obligation de Strasbourg. Avec d’autres en Alsace, terre de musique et de musiciens, La Philharmonie s’en charge avec les moyens dont elle dispose et qu’il faut abonder. Ainsi la Ville, par la voix du premier adjoint au maire, Robert Hermann, promet de l’héberger au Palais des Fêtes, après restauration. Dont acte !
Les musiciens travaillent régulièrement leurs morceaux à l’escale, le Centre Socio-Culturel de la Robersau où on peut aller librement les écouter. Le chef etienne Bardon y donne aussi fréquemment une conférence préalable à l’œuvre produite.
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Le saLtimbanque et L’historien
Le hasard n’existe pas : ces deux-là devaient tôt ou tard se rencontrer pour créer ensemble. Charly Damm, l’ex-flic devenu saltimbanque et Georges Bischoff, le prof d’histoire de la Fac de Strasbourg, adulé par ses étudiants ont abattu un travail titanesque pour « 1262 - Strasbourg ville libre ! », le spectacle qui sera l’événement du futur été strasbourgeois… Tout est parti d’un livre qui a failli tourner au cauchemar pour son auteur, Charly Damm. « Le XIIIe siècle m’a toujours passionné » raconte ce spécialiste des spectacles populaires qui vit à Baerenthal, dans les Vosges du nord, au milieu d’une nature exubérante et ressourçante. « J’ai toujours trouvé que c’était le siècle le plus passionnant de la longue histoire de Strasbourg. Je l’ai peu à peu découvert en lisant « L’histoire de Strasbourg » écrit par Rodolphe Reuss, le grand historien alsacien du XIXe siècle. une période m’a plus particulièrement attiré : celle qui commence en 1262 avec la bataille de Hausbergen et qui se termine en 1349 avec le massacre des Juifs. »
ce petit saLaud de nicLaus Niclaus Findel, c’est le titre du livre, est paru en novembre 2005. « Auparavant, j’avais écrit sept spectacles » se souvient Charly Damm. « Mais un spectacle, on le voit et après, il n’y a plus rien. Quelquefois un DVD, pas toujours. Et puis, c’est une année de bonheur pour l’écriture du scénario, une année pendant laquelle on se documente et on gratte le papier, suivie d’une autre année pour le réaliser. Et cette année-là, c’est la galère. Alors, je me suis dit que j’allais tenter d’écrire un livre pour rompre avec ce rythme-là. Je ne savais pas dans quoi je m’engageais… »
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Trois ans de recherche pour imaginer le personnage, Niclaus Findel, secrétaire de la Ville de Strasbourg, ses amis Samuel, Erwin von Steinbach, le Chevalier Liebenzeller et tous les événements que Strasbourg va vivre. L’un d’entre eux sera majeur : la bataille de Hausbergen (qui sera le thème du spectacle cet été au stade de la Meinau). D’autres seront moins glorieux, voire indignes comme le massacre des Juifs.
« Au bout de ces trois ans de recherches, j’avais réuni une incroyable masse d’histoires et de documents mais je n’avais pas écrit une seule ligne. Je me suis dit : t’es malade, t’iras jamais au bout. Au bout de six mois d’écriture, je me suis rendu compte que c’était titanesque : il me fallait tout décrire : comment ils vivaient, mangeaient, s’habillaient… Je me suis accroché mais peu à peu, le personnage central a fini par m’habiter complètement. Ce petit salaud de Niclaus me réveillait tôt chaque matin… Le 22 juillet 2005, j’ai mis le point final et il m’a enfin laissé tranquille. J’ai bu une bouteille de pinard à sa santé. Et le livre a été édité… C’est à cette occasion que j’ai fait la connaissance de Georges Bischoff… »
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« c’est révoLutionnaire ! » Georges Bischoff : une figure du milieu universitaire strasbourgeois. Ne vous fiez pas à sa mine qui paraît renfrognée au premier abord : sa discrétion et sa modestie légendaires se traduisent ainsi. Mais une fois que la glace est rompue, c’est un festival de bons mots et une tonne de connaissances qui vous déboulent dessus et vous ravissent. Quel personnage ! « Le livre de Charly, je ne l’ai pas lu, je l’ai dévoré » se souvient-il. « J’adore les romans historiques, il y a du souffle, de l’aventure. un historien de métier, comme moi, veut en faire beaucoup trop quand il se met à écrire un tel roman. Le bouquin de Charly, c’est un équilibre réussi. Il est passionnant de bout en bout. Charly écrit pour les gens avec qui il vit, il s’adresse à un public qu’il connaît… » Mais que s’est-il donc passé de si spectaculaire en 1262 ? Georges Bischoff ne se fait pas prier pour répondre : « 1262 est un événement fondateur. une armée populaire, composée pour l’essentiel d’artisans, est parvenue à mettre la pâtée à une armée féodale, recrutée par un évêque et menée par des chevaliers. Cet événement extraordinaire s’est passé chez nous, tout près de Strasbourg, à Hausbergen. Après cette bataille, les habitants de Strasbourg ne sont plus les sujets de leur évêque. Ils osent fonder une ville libre, quelque chose comme une « République urbaine ». Ce qui est réellement extraordinaire, c’est que nos lointains ancêtres ont su oser, oser faire, oser expérimenter. En tant que ville libre et rhénane, Strasbourg est devenue l’égale de Venise, en Italie du nord. Les citoyens étaient accablés d’impôts de toutes sortes, levés par leur évêque qui avait besoin d’argent pour mener des guerres et étendre sa domination. Ils ont dit : ça suffit, stop ! Et ils se sont révoltés. La ville a été assiégée par les troupes épiscopales, cela se passait aux alentours de l’actuel Faubourg National qui était la principale entrée de Strasbourg. Puis, tout s’est joué à Hausbergen, sur un coup de dés… et ils ont gagné ! »
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« J’ai consacré trente pages à cette bataille dans « Niclaus Findel ». Mon héros, je m’ai imaginé sur un promontoire. Pour le reste, je n’ai rien inventé, j’ai donné de la vie avec le bruit, la fureur, le sang… Mais si je t’avais connu avant, Georges, j’aurai pu faire beaucoup plus… » rigole Charly Damm. « Ce qu’il faut bien comprendre » reprend Georges Bischoff, « c’est qu’Hausbergen est l’équivalent de la bataille où le héros russe Alexander Nevski libère la Russie du joug des Chevaliers teutoniques. C’était en 1212, cinquante ans plus tôt. une autre bataille, celle de 1297, en Ecosse, où le peuple écrase l’armée féodale du Roi d’Angleterre, est du même tonneau. Elle est racontée dans le film « Braveheart » avec Mel Gibson. à chaque fois, le peuple part battu mais à chaque fois, il gagne ! C’est révolutionnaire car d’autres villes vont s’inspirer de Strasbourg et vont aussi oser. Bâle, Cologne, Metz, Colmar, Mulhouse… Strasbourg est devenu, de fait, un modèle… »
Le spectacLeévénement de L’été 2012 Ils ont peut-être tardé pour se rencontrer mais le temps perdu a vite été rattrapé. Le saltimbanque et l’historien se sont attelés à écrire ensemble le scénario du spectacle qui sera présenté cinq soirs de suite début juillet prochain, au stade de la Meinau. « Pendant près de trois ans, on a travaillé ensemble à la Médiathèque Malraux et on a construit le scénario à partir de « Niclaus Findel ». « Niclaus est devenu ainsi le sémaphore de notre histoire » précise Charly Damm qui ajoute : « Je suis tellement passionné par le destin de Strasbourg. Plus de cinq siècles avant la Révolution Française, nos ancêtres ont arraché leur liberté. C’est pas fabuleux, ça ? Et dire que les gens ne savent rien de tout ça.1664 est plus connu que 1262 ! » Et les deux compères éclatent une nouvelle fois de rire… Georges Bischoff explique les raisons de cet oubli : « En 1962, pour le 500e anniversaire, sous le règne de Pierre Pflimlin, l’événement est passé inaperçu. Ce n’était pas l’histoire de France, l’Alsace d’alors faisait partie du Saint-Empire romain germanique… En 1862, c’était Napoléon III, bof… En 1762, ça aurait fait tache au moment où Strasbourg voulait s’intégrer dans le royaume de Louis XV. En 1662, la guerre de cent ans allait prendre fin, les têtes étaient ailleurs. Et en 1562, on était en plein dans les guerres de religion, les Strasbourgeois de l’époque avaient d’autres chats à fouetter… » Et le malicieux historien de conclure, un petit sourire dans sa barbe et l’œil lumineux : « à Strasbourg, on a souvent peur de ce qui est confrontant. Cette histoire, ce n’est pas de l’eau tiède, hein !... Elle pourrait bien faire passer des messages qui nous seraient bien utiles aujourd’hui, non ? » JEAN-LuC FOuRNIER
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Le Semaine du Handicap a donc multiplié les occasions de rencontres entre les handicapés et les personnes valides, à l’image de la réalisation de cette fresque qui a inauguré l’opération le 4 avril dernier. à noter que les artistes handicapés sont tous actifs au sein de l’ESAT Evasion, un Etablissement de Service et d’Aide par le Travail spécialisé en activités culturelles (spectacles de rues, théâtre, musique…).
une fresque,
ensembLe… Une belle initiative et une animation originale… Dans le cadre de la Semaine du Handicap, mise en place et organisée par le Conseil général du Bas-Rhin, artistes handicapés et valides se sont unis pour réaliser une fresque pleine de couleurs, en plein centre commercial…
à noter une initiative plus qu’intéressante : jusqu’au 6 mai prochain, la Black Box sera installée dans le hall de l’Hôtel du Département, près des Ponts Couverts. Il s’agit de la reconstitution d’un appartement au sein d’un espace complètement opaque, sans la moindre lumière. L’impression est étrange pour les valides : ils se mettent ainsi dans la situation d’un aveugle qui évolue au sein de cet espace. De quoi mieux comprendre ce terrible handicap. Les visiteurs peuvent également participer à un jeuconcours basé sur la recherche d’objets dans la Black Box.
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ALAIN ANCIAN
Quelques passants les bras chargés de paquets qui s’interrogent sur ces artistes qui réalisent tranquillement leur œuvre au beau milieu d’une allée bordée de boutiques. « Si vous le voulez, Madame, vous aussi vous pouvez peindre… » Et la passante s’empare d’un pinceau et enchaîne les arabesques de couleur…
« Notre rôle est d’informer les personnes en situation de handicap et de les aider à faire valoir leurs droits » précisent Clara Del Piano, responsable de l’accueil et de la communication et Régis Febvre, directeur-adjoint de la Maison Départementale des Personnes Handicapées (MDPH), un organisme financé et géré par le Conseil général du BasRhin. « Le grand public nous connaît mal et pourtant, la perte d’autonomie nous concerne tous. Plus on informe tôt les personnes en situation de handicap, le mieux on leur donne accès à leurs droits et le plus leur vie en est facilitée. Avec cet outil centralisateur qu’est la MDPH, on met fin aux barrières d’âges qui existaient auparavant, on ne scinde plus… Cette convergence des dispositifs est une véritable novation, seuls deux ou trois autres départements en France pratiquent ainsi.
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Donner de la visibilité aux différentes actions qui sont menées tout au long de l’année dans le Bas-Rhin : voilà l’objectif poursuivi par le Conseil général, en charge, de par la loi, de gérer ces dispositifs.
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Durant plusieurs heures, début avril dernier, la Maison Départementale des Personnes Handicapées a ainsi fait se rencontrer artistes valides et handicapés.
Hôtel du Département Place du Quartier Blanc Strasbourg La Black Box est visitable jusqu’au 6 mai de 8h30 à 18h, le samedi et le dimanche de 14h à 18h. www.bas-rhin.fr
Rains de toutes
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les délices
Entrez au 14 rue des Dentelles au cœur de la Petite France,
vous y ferez un délicieux voyage parfumé d’arômes d’épices, de miel, d’agrumes, de beurre fondu... L’abondance des créations de pains d’épices régalera vos papilles pour accompagner aussi bien les délices d’un goûter que le raffinement d’un repas de fête !
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Le bLoc-notes
d’hervé WeiLL
• Avant en hiver il faisait -10°, on avait froid et on ne connaissait pas notre chance. Maintenant on a encore plus froid car on nous explique qu’avec « la température ressentie » il fait -25°. C’était mieux avant.
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• Chevènement, Boutin, Morin, Nihous ne seront finalement pas candidats à l’élection présidentielle. Information qui aura au moins le mérite de faire savoir qu’ils s’étaient déclarés.
• Christine Boutin devait « lâcher une bombe » si elle n’obtenait pas les 500 signatures. Elle est un peu comme le Rafale, son armement n’est pas très dissuasif.
• Claude Guéant aura réussi quelque chose de remarquable depuis qu’il est ministre de l’intérieur, avoir fait oublier Brice Hortefeux.
• Quand dans de nombreux pays on rêve d’alternance, la Russie en démocratie moderne a trouvé comment faire. une fois Poutine, une fois Medvedev et ainsi de suite, c’est la technique des poupées russes.
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• Eva Joly réagit à un commentaire de Corinne Lepage -qui l’accuse de desservir l’écologiede la façon suivante : « je l’emmerde ». Difficile pourtant de faire plus naturel.
• La France est le pays de la gastronomie, c’est un fait avéré. La bonne bouffe s’invite donc aux élections présidentielles mais c’est un sujet grave avec lequel on ne rigole pas. Et risquer de se voir servir une viande halal ou casher au Fouquet’s ça fait peur.
• Cette fois Sarkozy l’annonce officiellement, la politique c’est fini s’il est battu. Comme dirait Cloclo dans « Magnolias for ever » : « Si tu t’en vas, dans la tempête, si tu t’en vas, tu la verras... » • Nos politiques qui veulent nous faire croire que la France oscille entre les « salauds de riches » et les « salauds de pauvres » ont définitivement oublié qu’ils vont être élus pour diriger l’avenir d’un pays et pas le leur. On voudrait de l’audace, de la modernité et des idées et pas de la posture et du dogme. Avant le début de la campagne il y avait une crise, non ?
• Rien. Mélenchon monte, monte, Sarko grignote, Hollande s’effrite, Joly est à la ramasse dans l’escalier et Bayrou s’essouffle encore un peu plus. La France, elle, ne retient même pas son souffle devant une campagne qui ne dit rien de ses vrais problèmes. On en est même venu à parler de l’obtention du permis de conduire. D’ici la parution de ce numéro 5 de Or Norme Strasbourg, on espère que ne sera pas oublié le problème crucial des colorants figurant dans la recette des fraises tagada. une certitude, le 7 mai prochain sera un jour comme un autre… Faudra aller au boulot et serrer les mâchoires. Comme d’hab…. et pour longtemps encore, manifestement…
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• Eric Cantona traite le public d’Arcachon « de merde et de petits bourgeois » dans le livre d’or du théâtre, vexé du peu d’intérêt que sa pièce suscite. Cantona prochain porte-parole des Verts ?
fana d’actuaLité, La pLume impertinente et iconocLaste, hervé WeiLL revient sur Les évènements des derniers mois.
• Pendant les bombardements sur Homs, les Syriens sont appelés à se prononcer sur une nouvelle constitution pour aider Bachar al Assad à rester au pouvoir jusqu’en 2028. Croquemort de son peuple, al Assad développe sa petite entreprise et lance les urnes funéraires.
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• Si comme le disait de Gaulle, on ne commence pas une carrière de dictateur à 67 ans, à 85 ans c’est possible. Au Sénégal en tout cas. Wade a des progrès à faire quand même. Pour être crédible comme dictateur il faut être élu au premier tour. Mais il a tout l’avenir devant lui.
• Et paf ! L’Amérique nous supprime un A, la France le lui renvoie en pleine face en raflant 5 Oscars avec The Artist. C’est ce côté « village gaulois » qui fait notre force.
• Montauban, Toulouse… Qui dira ce qui transforme une petite frappe en assassin monstrueux ? Qui dira ce qui fait passer du vol de scooter à la haine la plus absurde ? Légitimement, les porte-parole des communautés juive et musulmane ont annulé la marche solidaire qu’ils devaient organiser à Paris le soir-même de l’assaut de la police. Beaucoup auraient aimé qu’ils invitent aussi sec à une grande marche le lundi 7 mai et ce, quel que soit l’heureux élu. Avec pas un seul politique en tête du cortège. Juste façon de dire que la France ne supporte plus les mots de haine, ces mots qui tuent…
Venez découvrir Tel-Aviv
Niché au coeur de Tel Aviv, à quelques pas de la célèbre promenade de Tel Aviv et de la plage, l’hôtel Mercure est le point de départ idéal pour les vacanciers comme pour les voyageurs d’affaires. Des centres culturels et commerciaux importants, des restaurants locaux, et des magasins populaires sont seulement à quelques minutes...
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syLvie mattLé Sylvie Mattlé le reconnait bien volontiers : elle a vécu plusieurs vies professionnelles avant de s’avouer à elle-même qu’elle était faite pour le photo-reportage. Mortuacienne d’origine, elle a quitté sa Franche-Comté natale pour s’attaquer à la fac d’Arts-Pla de Strasbourg avec, dans son bagage, « le vieux Kodak » que Papa lui avait légué. Même si sa vraie ambition était d’écrire, elle a su peu à peu imposer son talent de reporter photographe en collaborant avec Cus Magazine, Strasbourg Magazine et depuis 12 ans avec le journal L’Est agricole et Viticole . « Je sais ce que je veux dire avec une photo, je sais ce que la photo doit montrer » dit-elle en souriant sereinement. La preuve avec ses clichés de spectacle que nous publions.
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