9 minute read
À la source
Dès l’origine de Palais des Thés, nous avons pris le parti de nous approvisionner directement sur les lieux de culture du thé. Tout au long de l’année, nos chercheurs de thé parcourent le monde, recherchent les crus les plus rares et les plus délicats et découvrent de nouveaux jardins.
En nous rendant dans les pays de thé, nous participons à la mise en place d’un cercle vertueux. En partant à la rencontre des producteurs, nous les encourageons à faire des thés de qualité, que nous achetons au juste prix, ce qui leur assure une bonne source de revenus. Plus la qualité est au rendez-vous, plus cela les pousse à mieux rémunérer le personnel et à investir dans une agriculture plus respectueuse de la planète. Cette approche permet d’améliorer le niveau de vie dans ces régions, un phénomène que nous constatons lorsque nous nous rendons dans les plantations.
S’aventurer sur les routes du thé, c’est rencontrer au détour d’une plantation des personnalités très enrichissantes. C’est apprendre à connaître les hommes et les femmes qui vivent du thé, c’est découvrir l’immense richesse culturelle de ces régions et de ces populations, en construisant jour après jour des relations durables fondées sur la confiance et l’amitié avec nos partenaires producteurs. Tout cela contribue au plaisir que nous prenons à exercer notre métier et nous donne envie de partager avec vous nos voyages et nos expériences.
Cette quête, c’est la nôtre, et nous continuerons de la mener à bien. Car nous en sommes persuadés, un thé d’exception naît sur une terre fertile, grandit dans les mains d’un producteur passionné, se révèle grâce à une entreprise responsable et se déguste en amateurs conscients de la valeur des bonnes choses.
L’équipe Palais de Thés
La bergamote est un agrume utilisé pour parfumer le Earl Grey. Les plus recherchées poussent dans le sud de l’Italie, à Reggio de Calabre.
SOMMAIRE
CARNET DE VOYAGE
Propos recueillis par Bénédicte Bortoli
2079 au Népal, notre premier voyage en pays de thé
6
PLANÈTE THÉ
Par Mathias Minet
Les nouveaux défis du bio pour les créations parfumées
14
PLANÈTE THÉ Comprendre l’utilisation des arômes dans les créations parfumées
18
CULTURE THÉ
Par Laetitia Portois Le thé et l’eau 20
RACONTEZ-MOI Le Temps Retrouvé 30
UN GRAND CRU, UN TEA SOMMELIER Dégustation du Dong Fang Mei Ren
26
THÉ D’EXCEPTION Les Aiguilles d’Argent, l’éclat de la nature
DU THÉ EN CUISINE Riz ochazuke au Sencha Ariake
28
CONTRIBUTEURS
Mathias Minet
Depuis qu’il a rejoint Palais des Thés en 1990, Mathias signe pour la maison des créations parfumées – thés et infusions –au succès jamais démenti.
Oxana Genel
Ayant grandi en Russie, Oxana a toujours bu du thé. Master Tea Sommelier, elle aime rendre chaque dégustation unique et inoubliable.
Laetitia Portois
Laetitia aime particulièrement les thés verts japonais. Elle a plaisir à raconter des histoires et fait chaque jour de son métier une passion.
2079 au Népal, notre premier voyage en pays de thé
Depuis plus de 30 ans, François-Xavier Delmas, fondateur de Palais des Thés, s’est donné pour mission de transmettre ses connaissances sur le thé et son amour pour cette délicate boisson. Mais il est une autre mission qui lui tient à cœur : inviter celles et ceux qui, en boutiques comme au siège de la maison, contribuent à partager cette passion avec nos clients. C’est ainsi que nous, Anna, Cassandra, Svetlana, Clément, Pierre et Thomas, sommes partis à la rencontre de fermiers de la vallée d’Ilam alors que le Népal entrait dans l’an 2079… Un récit à six voix.
Printemps 2020, automne 2021. Notre planète pandémiée s’était mise en pause. Et les voyages avaient cessé, annulés, reportés. Alors, quelques jours avant Noël, quand François-Xavier nous a annoncé que nous étions conviés à le rejoindre au Népal, ainsi que Léo, qui cherche à ses côtés les meilleurs thés, notre joie et notre surprise n’en furent que plus grandes. Au plaisir d’être les « heureux élus de l’année » se sont mêlées mille interrogations, mais surtout une profonde envie de découvertes et de rencontres. Le cœur et les yeux ouverts.
Premières fois
Première fois dans un pays de thé, première fois au Népal, premier voyage entre collaborateurs. Terra incognita pour tous ! 12 avril 2022. Nous voilà enfin dans l’avion pour Katmandou, capitale du Népal, à la fois excités et fébriles. Pour des amateurs de thé, le Népal, c’est un peu le Graal. Un pays auréolé de mystère, de spiritualité et d’une culture singulière, dont nous avions dégusté en boutiques ou au bureau quelques merveilles sélectionnées par François-Xavier. Mais c’est à la chaleur écrasante de Katmandou… et à nos premiers momos, ces fameux raviolis tibétains, que nous goûtons d’abord. Étourdis par le trafic et les klaxons, nous échappons au grouillement de la ville pour nous faufiler dans les ruelles du centre historique de Bhaktapur, avant de nous rendre, à la nuit tombante, sous quelques gouttes de pluie, au pied du stupa Boudhanath, l’un des principaux sanctuaires bouddhistes de la région. Encore un peu intimidés, nous passons notre première soirée ensemble sur les toits de la cité.
Sur ces drapeaux sont inscrites des prières, que le vent lit et emporte avec lui.
Le lendemain matin, dans le vol qui nous amène à Bhadrapur, nous voyons se dessiner les lignes du mont Everest. À notre arrivée, nous faisons la connaissance de nos chauffeurs, Bouddha et Dipech, qui seront nos fidèles compagnons pendant tout notre périple. Sur la route que nous empruntons, nous sommes surpris par le soin apporté à la décoration des maisons, qu’elles soient modestes, ou cossues comme ces habitations qui nous semblent un peu rococo dans ce milieu rural. Nous cherchons du regard les théiers de plaine, nous nous interrogeons sur ces préparatifs festifs dont nous ignorons à cette heure la signification, nous guettons tous les détails de ces paysages qui nous sont inconnus. Et enfin les nuages.
Dans les nuages
Le Népal est un pays de thé assez jeune, enclavé entre l’Inde et la Chine, deux géants à la tradition théicole ancestrale. Il existe au Népal trois régions de production de thé : le Teraï, Dhankuta et l’Ilam, que nous allons traverser et où il n’existe pas de grandes plantations sur le modèle anglais. À plus de 1 600 mètres d’altitude, dans une zone très humide dont se dégagent de doux parfums de fleurs, les premières plantations que nous visitons sont celles de Norling et de La Mandala. C’est là que nous rencontrons Sonam Paljor Lama. Figure emblématique de la région, il a voyagé jusqu’en Géorgie pour partager ses connaissances et son savoir-faire en matière de théiculture. Nous buvons les sages paroles de ce terrien inspiré. Dans un bâtiment récent plongeant sur les plantations, nous dégustons silencieusement une dizaine de thés. Des récoltes de ce printemps et celles de l’automne passé. C’est aussi le début d’une longue série de dal bhat (« riz aux lentilles » déclinés en de multiples recettes épicées) qui mettront à l’épreuve nos estomacs occidentaux. Le jour même, nous apprenons que les villageois s’apprêtent à fêter ce soir l’année 2079 et qu’ils nous invitent à célébrer avec eux le nouvel an ! Nous partageons musique, danses et Tongba, un alcool traditionnel issu de la fermentation du millet. 20 h 30 : fin de la fête, couvre-feu. Tout le monde rentre chez soi.
Des oolongs népalais
Une route de terre et de roches qui ne nous semble jamais finir nous conduit à la petite plantation artisanale de Mai Pokhari, soigneusement tenue par deux frères et leurs femmes. Il se produit ici, de manière totalement inattendue, des oolongs aux notes miellées et florales. Ils nous confient que c’est grâce à un tutoriel sur Internet qu’ils ont appris à manufacturer ces thés semi-oxydés ! Au cœur des champs embrumés, nous observons les cueilleuses et essayons maladroitement de reproduire leurs gestes minutieux. Puis, à Jasbire, nous goûtons une très large sélection de thés de grande qualité. Après un passage obligé par Ilam, nous remontons à Shangri-La où s’offre à nous une vision plus industrielle de la théiculture népalaise, en blouses blanches et charlottes.
La magie de Pathivara
Le lendemain, nous rejoignons Pathivara par des chemins cabossés, jalonnés de rhododendrons, fleurs nationales dont nous mâchons quelques pétales lors d’arrêts bien mérités. Nous sommes désormais à 2 500 mètres. L’air et les habitations se raréfient. Nous sommes accueillis par Uday, sa femme Surya et leur fils qui nous ouvrent leur maison, comme des amis, dans des moments inoubliables de sincérité et d’hospitalité. Très investie dans l’éducation et la santé du village, la famille d’Uday accueille à sa table les enfants les plus démunis. Toutes les feuilles de thé – une petite production d’environ 8 tonnes – qu’ils manufacturent sont issues de leurs jardins, qui font vivre toute la communauté. C’est aussi, pour nous qui participons à l’économie du thé, l’occasion de vivre ce que signifie être utile pour une maison de thé.
C’est ici que nous retrouvons Léo, chercheur de thé, qui, au fil de ses passages chez eux, a tissé des liens si forts avec ces gens de grande valeur qu’il nous semble être l’aîné de la famille. Munis de paniers, nous nous essayons à la récolte du thé et à l’identification des cépages. Puis nous nous déchaussons et assis à même le sol, nous nous initions au roulage manuel des feuilles. Nous sommes fiers de fabriquer notre premier thé, de le sentir entre nos doigts et de le déguster le matin suivant au petit-déjeuner ! Nous rencontrons également Lapam, le « faiseur de thé » de la ferme. Uday nous explique que c’est entre ses mains expertes que le thé que nous commercialisons se transforme.
Dégustation concentrée et studieuse avec François-Xavier à Mai Pokhari.
Un moment de partage et de convivialité autour d’une danse traditionnelle népalaise, interprétée par Svetlana.
Depuis 30 ans, Palais des Thés off re à ses collaborateurs l’opportunité d’aller à la source du thé. De gauche à droite : 1. Clément Régis, chef de projets RSE, Qualité et Amélioration Continue, Thomas Faivre, Anna Galitzine, Master Tea Sommelier, responsable CHR et François-Xavier Delmas, fondateur de Palais des Thés.
À Jasbire, les feuilles de thé juste cueillies offrent des parfums herbacés. Une expérience sensorielle inédite pour Svetlana et Cassandra.
Une chance pour Pierre de déguster des thés de printemps tout juste produits, offrant une fraîcheur exceptionnelle.
Thomas expérimente la cueillette des feuilles de thé dans la plantation de Pathivara.
Nous quittons quelques heures les hauteurs de Pathivara pour découvrir des petits lopins de terre où se jouxtent théiers, fleurs et ruches, entretenus par le seul Chrétien de la vallée, nous dit-on. Une parenthèse édénique avant de retrouver Uday pour une joyeuse fête improvisée dans l’intimité de son foyer. Au rythme des musiques népalaises et occidentales, nous dansons, entraînés par la magie de Pathivara. Est-ce les sommets enneigés, les paysages époustouflants, les confidences de François-Xavier exprimant sa joie de nous voir, nous aussi, touchés par la grâce de ces lieux qui l’ont bouleversé quelques décennies plus tôt ou l’ivresse de l’altitude ? L’émotion nous a saisis, dans une communion. Nous sommes littéralement émerveillés.
Au bord du lac de Kalapani
Sommairement assis à l’arrière d’un pick-up, puis en cheminant à tâtons, guidés par les rares humains que nous croisons, nous montons à Kalapani (« l’eau noire ») où l’on nous présente le maire de la localité mais surtout Apsara, la seule femme tea maker que nous verrons tout au long de notre voyage. Une responsabilité professionnelle, et sans doute sociale, pour les jeunes filles des générations à venir. Dans cet océan végétal aux nuances de verts, encadré de montagnes, nous sommes séduits par les jolies tenues traditionnelles colorées des coquettes cueilleuses que nous ne pouvons nous empêcher de photographier. S’ensuit la traditionnelle dégustation organisée sous un kiosque aux abords du lac.
Plantation de thé au Népal. On trouve souvent le théier à flanc de montagne. Cela permet de drainer naturellement l’eau de pluie.
Dernières plantations à Arya Tara
Dans ses plantations, Sonam Paljor Lama, figure du thé de la région, livre aux collaborateurs de précieuses informations sur la culture du thé.
Arya Tara, notre ultime étape, est l’occasion pour nous de passer du temps dans une manufacture et de confronter tout ce que nous imaginions de ce travail à la réalité. Nous sommes arrivés avec notre rapport au temps et notre vision très rationnelle de la fabrication du thé, et nous avons compris combien tout ceci n’est que théorie au regard de l’expérience et de l’approche très artisanale et sensorielle de ces hommes et de ces femmes. Dans la salle de flétrissage, nous sommes saisis par les notes végétales que délivrent les feuilles. Puis lors de la dégustation, de seulement trois thés, en un jeu de regards, nous comprenons aussi que François-Xavier et Léo ont trouvé en un AV2 aux notes amandées l’objet de leur quête.
Pour en apprendre davantage sur les thés du Népal, encore peu connus, partez pour un voyage auditif aux côtés de François-Xavier.
Après un dernier dal bhat et une chanson d’adieu à nos chauffeurs, nous nous envolons pour Katmandou. Transportés par Bouddha Air à l’aller, c’est Yéti Air qui se chargera de nous au retour. Une carte postale holistique du Népal ! Nous passons les heures précédant notre départ avec un représentant de Karuna-Shechen, l’association fondée par Matthieu Ricard que Palais des Thés soutient depuis deux ans. Des échanges passionnants et éclairants qui donnent du sens à notre métier et remettent au cœur de nos vies professionnelles le rayonnement que la culture du thé peut avoir sur la vie de communautés. Nous avons assisté avec émotion à la genèse de jeunes manufactures, fragiles mais entreprenantes, qui, pour certaines, ont moins de six mois. Nous avons visité des plantations, nous avons cueilli nos premières feuilles de thé, nous avons bu des thés extraordinaires, et surtout, nous avons rencontré des âmes et des visages. Et nous nous sommes rencontrés. Tous les six. •